1Le 29 juin 2007 s’est tenue à l’Université de Nantes une journée d’étude consacrée à la langue gallèse. Organisée par le Laboratoire de linguistique de Nantes (LLING), elle fut intitulée, avec un peu d’audace « 1ère Journée d’Etudes Gallèses » (JEG’07).
2Ce n’était évidemment pas la première fois que le gallo faisait l’objet d’une attention « universitaire ». Depuis le XIXème siècle en effet, le gallo est loin d’être ignoré des romanistes et dialectologues : la communication de Jean-Paul Chauveau (dont les travaux sur le gallo sont connus de tous) en témoignera ici-même, dans une corrélation de principe entre histoire de la langue d’oïl (et du français bien sûr) et variations dialectales de l’ouest ; les descriptions d’usages locaux et les collectages (assurés par des individus ou par différentes associations contemporaines) sont nombreux ; l’université Rennes 2, depuis plusieurs années, (autour de l’ERELLIF et des Cahiers de Sociolinguistique) mène ou soutient différentes recherches en linguistique, phonologie, sociolinguistique de la Haute Bretagne et des régions voisines (Mayenne, Normandie etc.).
3Mais c’était, à notre connaissance, l’une des toutes premières fois qu’une journée était exclusivement consacrée au gallo, ou langue gallèse. Et, justification a posteriori du terme « premier », une 2ème journée d’Études Gallèses est annoncée pour 2008, cette fois à l’Université Rennes 2 Haute Bretagne.
4Cette journée a permis à une trentaine de chercheurs (étudiants, universitaires, enseignants de gallo, responsables d’associations) d’échanger et de débattre autour des dix communications retenues. S’il n’a malheureusement pas été possible de conserver la trace de ces discussions enrichissantes (autrement que dans nos mémoires), ce n° 12 des Cahiers de Sociolinguistique propose une version écrite des communications présentées ce jour-là.
5Il est intéressant d’observer que nombre des interventions et des débats du 29 juin 2007 portaient (sans concertation préalable) sur l’état du gallo et sa vitalité souvent surprenante dans une période où l’on dit les langues régionales en difficulté. Dans cette composante de la réflexion, diachroniciens, dialectologues et sociolinguistes font en effet le constat principal de la vitalité.
6Mais, en même temps, se pose constamment la question de la durée prévisible de cette vitalité heureuse. Avec la disparition de locuteurs actifs désormais âgés ou très âgés, le solde « naturel » du gallo ne sera-t-il pas très rapidement négatif ? Et dans ce cas les investissements normatifs, pédagogiques et institutionnels ne doivent-ils pas prendre le relais dans la perspective de la perpétuation de cette langue régionale ?
7Ceci détermine évidemment une deuxième composante de notre réflexion collective : la question de la production des normes explicites. Une composante qui nous occupa beaucoup le 29 juin dernier.
Vitalité du gallo
8Non sans paradoxes, la langue gallèse semble aujourd’hui plutôt bien se porter dans le concert des langues régionales de France, ce que soulignent différentes enquêtes (Philippe Blanchet, André Le Coq). Si elle fait naturellement partie des langues menacées notamment en ce début de XXIe siècle, elle compte au moins autant de locuteurs que le breton, son voisin de l’ouest qui dispose pourtant d’une aura culturelle nationale et internationale ainsi que d’un soutien institutionnel bien supérieurs. C’est dire que la langue gallèse conserve un ancrage social pas forcément très perceptible de l’extérieur, mais qui lui permet, en de nombreux lieux, d’être encore vraiment vivante. Il n’est pas impossible (comme le fait remarquer Francis Manzano) que le gallo ait de fait bénéficié de sa proximité avec la langue dominante pour survivre adroitement, écologiquement devrait-on dire, dans l’usage de nombreux locuteurs de Haute Bretagne, y compris comme l’ont montré différentes enquêtes récentes, au sein de la communauté urbaine de Rennes (Thierry Bulot). Dans le même ordre d’idée on ne peut manquer d’observer une forte rémanence de l’utilisation de traces intéressantes comme celle de l’usage des temps surcomposés dans les parlers ordinaires de la banlieue nantaise. Les causes de cette survivance ne sont pas uniquement « dialectales », mais elles le sont probablement en bonne partie (Morgane Houdemont).
9Ainsi, le statut de « langue cachée » du gallo, sa proximité typologique avec le français assez facilement exploitable dans un exercice d’aller-retour sociolinguistique (que révèlent par ailleurs différentes régions d’oïl), ont certainement aidé cette langue à s’ajuster à son terrain, à survivre, contrairement à ce que l’on avait bien souvent prévu au cours du XXe siècle. Mais dans le même temps et pour ce même ensemble de raisons, pour la plupart des observateurs professionnels (linguistes, romanistes, diachroniciens) le gallo a été vu le plus souvent comme le témoignage d’autre chose que lui-même, renvoyant en somme au passé de la langue d’oïl, au français d’hier, lointain écho d’une France paysanne qui semble aujourd’hui régresser, mais peut-être moins en Bretagne qu’en d’autres points du territoire.
10Cette diversité et cette richesse du gallo ont été étudiées lors des enquêtes successives développées au sein du CREDILIF (composante de l’ERELLIF) par Philippe Blanchet, Francis Manzano et différents chercheurs (enseignants et étudiants) de l’université de Rennes. Comme le rappellent Francis Manzano, Philippe Blanchet et André Le Coq dans leurs textes, ces recherches, intervenues notamment dans le prolongement des travaux d’Henriette Walter, ont pris une place importante, dès 1995, au sein des Cahiers de Sociolinguistique.
11Ces différentes approches de la diversité et, il faut bien le dire, de la profusion dialectale, amènent régulièrement le chercheur (ou le pédagogue) à se demander s’il existe « un » gallo homogène ou une pluralité d’usages locaux plus ou moins proches les uns des autres. Question sans doute biaisée qui doit toutefois attirer notre attention sur le fait que la variation est constitutive de la trame normale des langues. Le français, proche parent du gallo, s’impose certes aujourd’hui à nombre de locuteurs de Haute Bretagne (et d’ailleurs) comme une langue standardisée, d’une pièce pourrait-on dire. C’est du moins l’une des visions principales des locuteurs du gallo, qui se reporte inévitablement de manière négative sur la langue régionale. Pourtant, récemment, une action d’envergure soutenue par le CNRS (après bien d’autres opérations du même genre durant la seconde moitié du XXe siècle), a permis la constitution (toujours en cours) d’un corpus numérisé de multiples variétés du français (Projet « Phonologie du français contemporain », PFC). Ce travail et bien d’autres depuis une cinquantaine d’années, nous rappellent à quel point « le français » (qu’on le qualifie ensuite de langue « nationale », de « véhiculaire », de « standard » etc.) est le fruit d’une construction historique et sociolinguistique, qui masque sa propre variation sans la faire disparaître pour autant ; la maintenant à distance et la minimisant en quelque sorte.
12Si donc une langue exemplaire de la centralisation, comme l’est le français, varie constamment (c.à.d. normalement) à travers les groupes sociaux et les régions (ce qui est un truisme), pourquoi considérerait-on alors la variation des langues régionales en général et du gallo en particulier comme autant de preuves de faiblesse et non de richesse ?
13Voici donc une observation qui nous conduit à l’un des thèmes de discussion les plus récurrents lors de la journée du 29 juin dernier, véritable point focal pour le gallo et différentes langues régionales d’Europe.
14Doit-on effectivement se résoudre à admettre que la vitalité du gallo est fondamentalement liée à la subsistance de modes de vie et de socialisation paysans et, finalement, à l’oralité et à la ruralité de cette langue ? Le gallo n’est-il pas alors, dans un contexte général de globalisation linguistique ou de mondialisation, la trace encore vivante de la territorialité et de la riposte identitaire tranquille ? Si oui et si l’on veut le défendre, quel intérêt aurait-on à l’extraire du faisceau de conditions écologiques et économiques qui lui ont permis de survivre et d’exister pleinement à côté du et en relation avec le français ? Sur ce genre de questionnement, l’évolution de la pratique du breton montre assez bien que la création de normes centrales ne garantit pas la survie de la langue. C’est même plutôt une source de rupture entre les pratiques rurales qui disparaissent rapidement et une variété véhiculaire et scolaire qui ne parvient semble-t-il pas à récupérer le terrain perdu.
15Ce point de vue, que l’on retrouve à des degrés divers chez différents observateurs et acteurs du renouveau gallésant, peut conduire à l’hypothèse extrême que le gallo ne doit pas être amené (du moins trop nettement et brutalement) sur le terrain de la normativisation, ce déplacement conduisant à le faire sortir de ses conditions naturelles de reproduction et à le placer de fait dans l’orbite sociolinguistique et sous le feu direct du français. Ce constat est effectué par des chercheurs mais aussi par des enseignants de gallo, des praticiens donc, qui observent que ce qui attire les jeunes gens vers le gallo est davantage le besoin de retrouver le parler des grands-parents et la culture de leurs terroirs, plutôt qu’une quelconque volonté de bilinguisme éventuel français/gallo.
16Un autre point de vue est possible, beaucoup l’ont défendu le 29 juin et le défendent depuis des années. Non sans simplification, on peut dire que c’est celui des militants. On considère dans ce cas que le gallo doit investir des fonctions dont sa longue coexistence avec le français l’avaient privé. On retrouve alors la question lancinante de l’écriture de la langue, de la production de règles communes visibles (grammaticalisation explicite), de la constitution d’institutions sinon académiques du moins directrices, susceptibles de charpenter, de structurer le renouveau de la langue gallèse ou, à défaut, de freiner son éventuel recul dans les années qui viennent.
Normalisation ou encadrement du gallo ?
17Langue usuelle dans les campagnes de Haute Bretagne, le gallo, sur les traces de son voisin le breton, investit en effet depuis quelques dizaines d’années le champ de ce que l’on pourrait appeler la « récupération linguistique ». Une diffusion à la radio, bien que modeste, peut être désormais observée, ainsi qu’un accroissement de l’écrit dans différentes publications (de la chronique hebdomadaire dans l’Hebdomadaire d’Armor aux traductions très prisées de Tintin ou Astérix), et sur Internet également (Gwendal Chevalier).
18Un mouvement de normalisation est en cours, non sans secousses et multiplicités de propositions. Le gallo, langue « sans grammaire » comme le disent encore tant d’informateurs patoisants, est désormais l’objet de grammaires (comme celle de P. Deriano, 2005) ou de travaux lexicographiques d’ampleur, comme Le Petit Matao (R. Auffray, 2007), un dictionnaire de 25000 entrées. Le rédacteur de cette somme nous dit ici-même les difficultés rencontrées lorsqu’il s’est agi de transformer en un outil scientifique et utilement consultable un amoncellement de fiches, près de 150 lexiques et les cartes de l’Atlas linguistique et ethnographique de la Bretagne romane, de l’Anjou et du Maine (ALBRAM, Gabriel Guillaume & Jean-Paul Chauveau). Le lecteur se convaincra aisément que son travail et ses commentaires suscitent, et à l’occasion résolvent, de passionnantes questions linguistiques : il ne s’agit pas seulement de débattre de la validité des sources ou de ce que doit ou ne doit pas contenir un dictionnaire, mais, en s’interrogeant sur le lexique, de questionner la notion même de langue.
19Si plusieurs observateurs évoquent, comme on l’a vu plus haut, la vitalité quotidienne « ordinaire » du gallo, cette vitalité (qui est aussi celle du conte et du théâtre) ne doit pas faire oublier que son expression écrite (articles, romans, ouvrages divers) reste limitée, même si depuis quelques années les sites accessibles sur Internet (bilingues ou trilingues) constituent une vitrine de large diffusion (n’oublions pas que l’ordinateur contient d’abord du texte).
20Le développement d’une littérature d’expression gallèse, la publication de manuels d’apprentissage, l’investissement des courriers électroniques et des blogs etc. sont autant de directions possibles qui présupposent bien entendu une convention orthographique dont on peut souhaiter qu’elle soit souple et d’appropriation aisée. Sans doute va-t-on se rapprocher de cette norme commune dans les années qui viendront. Mais aujourd’hui, au moins quatre formes d’écriture coexistent : l’ELG (défini par Alain Raude en 1978), celle de l’association Aneit, celle (encore plurielle) de l’Association des Enseignants de Gallo, celle du Moga enfin, développée et défendue par l’association Chubri et que nous présente ici-même Bèrtran Ôbrée, en relation avec les autres systèmes disponibles. Parmi ces systèmes, tantôt concurrents, tantôt complémentaires, Christophe Simon propose également dans ce volume une réflexion adossée aux travaux préalables d’Alain Raude et à la longue expérience acquise sur le terrain par l’association Bertaèyn Galeizz (Bretagne Gallèse).
21Ce mouvement normatif et associatif, amorcé plusieurs années en amont par différentes associations parviendra-t-il à faire du gallo une langue régionale parfaitement visible dans le concert des langues romanes de France ?
22À un moment où la transmission naturelle ne se fait plus sans difficultés, l’avenir du gallo repose enfin sur un enseignement aux différents niveaux du système éducatif, ce que nous rappelle André Le Coq. Les freins sont nombreux, administratifs, financiers, pédagogiques, et la passion des enseignants de gallo ne suffit pas toujours. Si dans l’ensemble la situation paraît plutôt bonne dans l’enseignement primaire, elle apparaît plus incertaine au collège et au lycée.
23D’autre part, après une présence de 20 ans à l’Ecole Normale de Rennes puis à l’IUFM, et la création d’un enseignement de gallo à l’université de Haute Bretagne (sous l’impulsion d’Henriette Walter, puis celle de Philippe Blanchet et du groupe CREDILIF), la présence de cette langue dans l’enseignement supérieur a pris fin en 2001. L’espoir est grand, aujourd’hui, de voir à nouveau réunies les conditions de cet enseignement universitaire, avec le soutien du Conseil Régional de Bretagne en 2008.
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25Cette première Journée d’Études Gallèses de Nantes avait pour but de rassembler différents acteurs et observateurs du renouveau du gallo. Après d’autres occasions de rencontre des partenaires réunis ce jour-là, elle aura une fois encore montré que le gallo se trouve probablement à un stade crucial de son évolution.
26Les choix qui seront faits dans les années qui viennent ne seront certes pas faciles à effectuer. Cela ressort assez clairement des débats. Faut-il normaliser, et comment ? pour qui ? pour des locuteurs qui considèrent que le gallo ne doit pas s’écrire ? pour d’autres qui jugent au contraire que seules l’écriture et la grammaire du gallo en feront véritablement une langue ? pour des anciens, pour des jeunes, pour ceux qui viendront ? avec quels moyens financiers et institutionnels ?
27Autant de questions que l’on soulève régulièrement il est vrai à propos des langues régionales de France, dans des dossiers où les tenants et aboutissants sont toujours assez complexes. Mais l’originalité de la langue gallèse tient aussi au fait qu’elle compte parmi les langues régionales en quelque sorte les plus « récentes » dans le mouvement de récupération évoqué plus haut (et l’on se souvient alors des difficultés rencontrées dans la reconnaissance statutaire, juridique, du gallo et des langues d’oïl il y a quelques années seulement).
28À ce titre les acteurs du renouveau gallésant peuvent avoir sous les yeux ce qui s’est fait pour d’autres langues, avec des méthodes et des résultats très variables. Tirer profit des succès mais aussi des erreurs commises ici et là, voici donc l’un des enjeux pour l’avenir et un sujet possible parmi d’autres pour notre prochaine rencontre en 2008.
29Décembre 2007