Notes
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[1]
Ce terme désigne les individus à la fois en tant qu’utilisateurs de la langue (locuteurs du breton ou non, les usages de la langue bretonne n’étant pas restreints à la pratique linguistique de cette langue), et en tant que destinataires de cette même langue, par les aménagements linguistiques effectués dans l’espace public, dont l’affichage des toponymes fait partie.
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[2]
Commune du département des Côtes-d’Armor – département 22 –, région Bretagne, située dans l’ancien évêché de Trégor, en Basse-Bretagne.
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[3]
Régis Le Vaillant et Erwan Bocher, RESO-ESO UMR 6590 CNRS, Université Rennes 2 Haute-Bretagne.
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[4]
La commune de Quemper-Guézennec se situe en effet au cœur du pays bretonnant.
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[5]
Je retranscris ici la forme relevée dans les états de section de la commune.
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[6]
Cf. tableau 2.
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[7]
Expression que j’emprunte à Thierry Bulot : il est important de « …conceptualiser la spatialité socio-langagière dans la mesure où la ville n’est pas uniquement un fait démographique ou géographique mais est d’évidence un fait qui relève du culturel, du social… une urbanité langagière fonctionnellement empreinte du rapport aux langues représentées ou effectivement présentes dans l’espace urbain. Le terme même intègre dans le rapport à l’organisation sociocognitive de l’espace de ville non seulement les pratiques linguistiques elles-mêmes mais aussi les pratiques discursives et notamment les attitudes linguistiques (celles rapportées à la structure de la langue) et langagières (celles liées à la structure linguistique)… », (Bulot, 2003), pp. 101-102.
-
[8]
Nom d’une commune dans le département du Morbihan (département : 56).
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[9]
Cette formation nous ramène vraisemblablement à des installations anciennes des Bretons.
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[10]
L’étendue relative du territoire de Ploemeur est un indice de son ancienneté. Jusqu’à la Révolution Française, Ploemeur s’étend sur 64 km2, et la commune voisine, Lorient, ne se développe qu’à partir du début du XVIIIe siècle. Les faubourgs lorientais resteront effectivement ploemeurois jusqu’en 1791. Depuis lors, la commune de Ploemeur a perdu une partie de son territoire et aujourd’hui sa superficie est de 40 km2 à peine. Voir le document cartographique comparatif figurant en annexe.
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[11]
Pour une étude approfondie de cette question, je renvoie à l’article suivant :
Roseline Le Squère et David Le Roux, « Traduction et affichage bilingue : quel(s) service(s) pour les langues régionales de Bretagne ? », Revue Marges Linguistiques, n° 10, décembre 2005/janvier 2006, 17 pages. -
[12]
Notons que la forme en (ñw) reflète plutôt la prononciation réelle du nom « Plañvour ».
-
[13]
Comme on l’a déjà souligné, la fonction de lien social est aussi un objectif recherché à l’échelle communale et les micro-toponymes bretons permettent cela, sans pour autant que le conflit soit porté au centre de la commune.
-
[14]
Bien évidemment, cette incertitude risque toujours de peser sur la qualité de l’affichage définitif.
1La toponymie, science des noms de lieux, repose sur la recherche de leur étymologie, leur signification et leur évolution à travers les âges. Cette branche de l’onomastique permet d’étudier les noms de lieux habités (villes, villages, hameaux et écarts), que je nommerai macro-toponymes et les noms de lieux liés au relief, au bocage, aux voies de communication (routes, rues, etc.), aux parcelles de terre, que je nommerai micro-toponymes, suivant une tradition bien établie. Parmi leurs fonctions, les noms de lieux sont dits vecteurs d’une communication trans-générationnelle. Mais que communiquent-ils ? Quand d’un côté les micro-toponymes servent à dénommer authentiquement les parcelles d’une prairie, un courtil ou un hameau, rappelant l’origine des lieux, les macro-toponymes représentent parfois des formes reconstruites, comme on le verra. À quelle réalité toponymique avons-nous alors affaire ? Quels témoignages transportent et apportent ces noms de lieux ?
2La région Bretagne, et particulièrement la Basse-Bretagne (objet de ce texte), est riche de toponymes utilisés pour revaloriser l’identité locale autant que pour témoigner des langues jadis usitées. Nous traiterons donc des toponymes régionaux – en langue régionale, le breton – objets d’une politique toponymique, en dehors des considérations techniques de l’onomastique traditionnelle. Dans cette situation, on considère qu’il s’agit de transmettre par les toponymes une vision construite de l’identité régionale, particulièrement aux générations non-bretonnantes, qui sont majoritaires. Sur ce modèle toponymique, quelles peuvent être les informations transmises aux générations futures ? Quand les groupes en présence se disputent l’intérêt d’un affichage toponymique en langue régionale, nous sommes en droit de nous interroger sur la conscience d’appartenance des usitaires (utilisateurs et destinataires à la fois) de cette nouvelle toponymie à une entité socio-ethno-identitaire que celle-ci permet d’articuler.
3Ainsi, c’est en trois points que nous étudierons la dynamique identitaire et sociolinguistique bretonne : quelles sont les caractéristiques de l’acte de communication toponymique et quelle communication passe par les toponymes ? Quelles informations sont transmises, et à qui ? Et enfin, comment les toponymes permettent-ils de fonder la conscience d’appartenance à l’identité bretonne des usitaires [1] des langues régionales (sous la forme des toponymes urbains principalement) ?
L’héritage micro-toponymique : état des lieux de la commune de Quemper-Guézennec [2]
4Pour comprendre les liens entre micro-toponymes et espaces actuels, deux géographes [3] et moi-même avons constitué en 2003, le groupe de recherche interdisciplinaire LERA (Lecture de l’Espace Rural Actuel) pour traiter des problèmes environnementaux qui placent aujourd’hui le bocage au cœur des préoccupations des gestionnaires territoriaux et des populations, pour lesquels il devient un facteur important de l’aménagement du territoire. Placé sous le thème des relations entre l’homme et le paysage, entre la société et l’espace qu’elle construit, l’objet de nos recherches a été d’examiner les relations qu’entretiennent les agriculteurs avec l’espace bocager actuel, avec une spécificité concernant les noms de lieux (plus précisément les micro-toponymes : noms des parcelles de terre) sur la commune non remembrée de Quemper-Guézennec. La proximité entre l’agriculteur, le lieu de culture et sa dénomination permet de saisir comment les toponymes sont des facteurs de construction du territoire et de l’identité du territoire mais aussi des personnes. De plus, cela nous a permis de vérifier si les micro-toponymes faisaient toujours référence à une certaine réalité de terrain et quels types d’informations les noms de lieux de ce type pouvaient communiquer.
5Nous avons donc fait un recensement de l’ensemble des noms de parcelles de cette commune et vectorisé les 5732 parcelles cadastrales (cadastre napoléonien de 1832), que nous avons renseignées à partir des états de sections toujours en cours d’informatisation (noms des convenanciers, fonciers et leur lieu de résidence, les numéro, nom, nature, contenance et valeur vénale des parcelles). Ne pouvant présenter ici une étude approfondie de l’ensemble de ces micro-toponymes, le tableau 1 donné en annexe indique les noms les plus utilisés. Nous noterons que les toponymes qui apparaissent dans ce tableau sont tous bretons [4].
6Une présentation des micro-toponymes les plus fréquents révélera qu’un grand nombre d’entre eux sont des termes génériques [5] (liors, champ jouxtant l’habitation ; parc, champ ; lannec, lande ; prat, pré ; loguel, pièce de terre ; klos, enclos ; hrouch, coteau ; palut, pré inondable ; mez, champ ouvert ; enes, île ; plassen, place ; hervet, ancienne unité de mesure de surface ; baelaneier, genêtières : endroit où pousse le genêt). Seuls, ils ne donnent pas explicitement d’information sur la localisation de la parcelle. D’autres sont plus originaux et plus informatifs (orguet, luxure ; kergan, un lieu-dit). Lorsqu’un complément est ajouté au déterminé (parc ar pors, prat bian, etc.), il n’est également dans la plupart des cas que très peu explicite pour le lecteur non bretonnant d’aujourd’hui (bras, grand ; bian, petit ; nevez, nouveau ; gos, ancien ; min, cailloux ; groas, croix ; vilin, moulin ; feunteun, fontaine). Mais le manque d’information sur la localisation n’est en fait qu’apparent. Au moment de la désignation de ces parcelles, la propriété étant très morcelée, chacun ne disposait que d’un nombre restreint de parcelles. Le type de champ (liors, parc, mez, loguel, hervet…), le type d’occupation du sol (lannec, prat, baelaneier…), un élément topographique (hrouch), une indication de forme (bian, bras, hir), un repère physique (groas, vilin, feunteun), une indication temporelle (nevez, gos) ou spatiale (parc crais, le champ du milieu ; parc pen ar liors, le champ au bout du liors) suffisaient à repérer la parcelle désignée. Ces 32 micro-toponymes les plus fréquents représentent pourtant à peine 2 % des micro-toponymes répertoriés. Une étude plus approfondie montrerait la grande richesse des termes utilisés : on note ainsi plus de 80 façons de préciser le terme générique de lannec, 190 pour le liors, 260 pour le loguel ou encore plus de 330 façons différentes pour le parc.
7Si les micro-toponymes étaient nombreux et variés en 1832, qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons interrogé par entretiens semi-directifs un ensemble d’agriculteurs pour connaître la dénomination des parcelles qu’ils exploitent et évaluer ainsi le taux de conservation des toponymes originels, le taux de transmission trans-générationnelle, le taux de connaissance des significations de ces noms (avec une comparaison des pratiques linguistiques en breton), ainsi que les liens entre bocage et noms de lieux. Le tableau n° 2, qui correspond à cela, est également donné en annexe.
8Deux éléments peuvent être soulignés : un nombre relativement réduit de types toponymiques est cité et un faible usage des micro-toponymes du parcellaire ancien est fait par les agriculteurs interrogés (environ un quart des dénominations). Les trois quarts des noms cités se répartissent quasi également entre le nom du quartier (Kermenguy, Kervorgan), un nom cadastral (loguen hir, liors pen dossen) et le nom d’une personne (chez Souder, le champ à Jean Breton) puis une création en langue française dans 15 % des cas (l’oasis) et enfin un nom breton-français (le liors des cyprès).
9Nous sommes donc dans un contexte où un grand nombre de micro-toponymes anciens a disparu. Les causes de cette déperdition sont multiples. Le regroupement parcellaire avec l’arasement des talus en est la raison la plus évidente. De fait, la parcelle culturale ne correspond plus, comme autrefois, à la parcelle cadastrale mais en contient plusieurs. Un des agriculteurs rencontrés travaille ainsi un champ constitué de 17 anciennes parcelles (liors vian, mez guen vian, parc flem, liors hervé, parc bras, etc.), qu’il appelle aujourd’hui runio. Les noms de ces différentes parcelles n’ont donc plus d’utilité et disparaissent logiquement, remplacés par un seul nom. Le principe de dénomination des parcelles au moment de la réalisation du cadastre est également à l’origine de la disparition actuelle d’un grand nombre de toponymes. Les propriétaires ont donné un nom à chacune de leurs parcelles, en fonction de repères de l’époque et de l’organisation de leur propre espace agricole : la ferme (comprenant habitation et bâtiments) avec une cour et un espace de travail (le courtil), une parcelle jouxtant la maison (le liors) et des parcelles (parc, loguel, tachen, etc.) plus ou moins éloignées de la ferme (parc tostan, le champ le plus proche ; parc pellan, le champ le plus éloigné). Beaucoup de parcelles ont ainsi un nom générique, mais qui ne peut pas être source de confusion de la part de l’exploitant (le liors est par exemple toujours à proximité de la ferme). L’évolution de l’espace rural et surtout la diminution du nombre d’exploitations a entraîné une modification des repères spatiaux (disparition de nombreuses fermes devenues de simples résidences) sans pour autant modifier les noms de parcelles, dont la signification devient alors obsolète ou insuffisante pour se repérer (fonction première du micro-toponyme) : il devient ainsi impossible de distinguer parmi d’autres une parcelle appelée liors quand cette dernière n’est plus rattachée au siège d’exploitation. En outre, avec l’augmentation de la superficie des exploitations, les agriculteurs cultivent un plus grand nombre de parcelles et se retrouvent, après des achats successifs ou des locations multiples, avec des parcelles qui portent souvent le même nom. Il n’est alors pas possible de conserver ces noms sous peine de confusion. Un de nos informateurs a ainsi débaptisé le champ de Kermenguy (lieu-dit) en champ de chez Jean-Louis (du nom d’un riverain) après l’achat d’un nouveau site d’exploitation du nom de Kermenguy (lieu-dit) dans une commune voisine. Notons que l’agriculteur avait accès au nom initial (mez ar hoat) sur le cadastre, qu’il n’a pas repris. L’accroissement des superficies des exploitations s’est fait par l’acquisition d’un grand nombre de parcelles avec lesquelles les agriculteurs n’ont plus de lien, notamment familial. La transmission orale n’ayant pas eu lieu, l’agriculteur se trouve tout à fait libre de choisir un nom pour son champ.
10Une autre raison pour laquelle la disparition des micro-toponymes s’accélère se trouve dans les décisions et les formulaires administratifs. On peut lire par exemple sur l’un de ces formulaires : « îlot 3 parcelle C488 ». Les différents soutiens attribués dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) sont soumis à la déclaration des surfaces de l’exploitation et de leur occupation. Les agriculteurs doivent procéder à cette déclaration en prenant comme unité l’îlot, communément appelé « l’îlot PAC ». Un îlot est un ensemble contigu de parcelles, mises en valeur par un agriculteur, dont les limites physiques sont naturelles ou artificielles (un cours d’eau, un chemin, une route, une construction…). Cet îlot est numéroté et, s’il le souhaite, dénommé par l’agriculteur (l’îlot Désiré, etc.). Bien qu’elle ne soit pas représentative, la remarque suivante, oscillant entre regret et pragmatisme, est révélatrice de l’évolution des « rapports culturels » à la terre : « oui, je connais plein de noms de parcelles. Mais je me casse pas la tête… Et d’ici peu, on va se mettre à appeler îlot 1, îlot 2, îlot 3. Ça c’est sûr et certain. Çà c’est encore une déformation de la PAC ». Non pas partisan du moindre effort, notre informateur exprime simplement la difficulté dans laquelle les agriculteurs paraissent se trouver : les micro-toponymes ne font pas partie des codes permettant de référencer les îlots de terre, utilisés par l’ensemble des acteurs de l’agriculture. Les codes existants sont des numéros, beaucoup plus faciles à manipuler, à utiliser. Mais par suite l’effet est très négatif sur la micro-toponymie.
11Les micro-toponymes sont des noms qui se sont le plus souvent transmis de génération en génération, sans être écrits. C’est là une difficulté de plus à maîtriser. Que ce soit l’agriculteur, locuteur du breton ou non, ou l’agent administratif, écrire le nom de la parcelle n’est pas toujours aisé, loin s’en faut. On comprend donc que les micro-toponymes bretons ont de moins en moins de chances d’être utilisés car ils semblent ne plus répondre aux contraintes pratiques des codes de référencement des parcelles de terre, en même temps que leurs significations originelles s’estompent.
12Tous les agriculteurs ont également mentionné le problème du relevé parcellaire délivré annuellement pas la Mutualité sociale agricole (MSA). Sur ce relevé figure l’ensemble des parcelles en propriété et louées par l’agriculteur, identifiées par leur numéro cadastral et leur nom. Dans un certain nombre de cas, les agriculteurs ont remarqué que les noms de parcelles n’apparaissaient plus. Toutefois, lorsque nous avons interrogé l’agriculteur en présence de son épouse, l’information a toujours été démentie par cette dernière (une certaine distribution des tâches apparaît ici). Pour autant, la disparition des noms de parcelles, qu’elle soit réelle ou supposée, confirme l’évolution progressive de l’usage des micro-toponymes anciens. Les noms cadastraux de parcelles deviennent davantage des références (pour formalités administratives, actes notariés), et ne sont donc plus des noms vraiment usuels.
13Bien entendu, l’obsolescence des toponymes, pour les raisons évoquées précédemment, est liée à l’usage « déclinant » du breton. On peut observer que par facilité, phénomène de francisation ou perte de la signification des mots, certains noms cadastraux ont été remplacés par leur traduction française ou par un nom mieux assimilable car plus évocateur. Ainsi, parc hir est devenu en traduction littérale le champ long et parc ar justis, situé sur une butte non naturelle, s’appelle dorénavant le champ de la butte. Les entretiens montrent que la disparition des toponymes est fortement corrélée à celle de la langue bretonne. En ce qui concerne les agriculteurs questionnés (nés dans les années 1950), tous comprennent le breton mais se disent incapables de tenir une conversation dans cette langue. Leurs parents, installés dans l’immédiat après-guerre, ne leur parlaient déjà qu’en français, tandis qu’entre eux, ils s’exprimaient le plus souvent en breton. De fait, les agriculteurs peuvent généralement traduire les termes génériques désignant les parcelles, les noms les plus simples ou encore connaissent de façon approximative et empirique leur signification (liors : à côté de la maison ; lannec : un terrain pauvre). Par contre, ils ne perçoivent plus les subtilités (ou très peu) des informations données par les noms des parcelles (sol humide, caillouteux, etc.). La plupart ne font pas de différence entre liors, parc, mez, loguel, tachen. Pour l’anecdote, le seul de nos interlocuteurs qui puisse s’exprimer en breton (grâce aux cours qu’il suit depuis 5 ans dans un cadre associatif) montre un lien plus fort aux micro-toponymes bretons – bien que tous ses champs n’aient pas un nom breton, contrairement à ses vaches. Ainsi, le contexte linguistique ayant occasionné un bouleversement profond dans la transmission et, de manière plus générale, dans l’utilisation de la langue bretonne, puis les parcelles agricoles ayant été, pour la plupart, réagencées, nous avons constaté non seulement une perte dans l’usage des micro-toponymes mais surtout une perte de la connaissance des origines et des structures sémantiques portées par ces micro-toponymes.
14En dépit des remarques précédentes, le facteur affectif, qu’il provienne d’un attachement à la terre, qu’il soit lié à la tradition familiale ou culturelle, semble persister dans certaines exploitations, entraînant là encore une relation très personnelle au micro-toponyme. Par ce phénomène, nous observons alors de nouvelles créations de dénomination des champs. L’état actuel de la toponymie souligne, il est vrai, que plus aucun toponyme de ce genre n’est créé aujourd’hui. Pourtant, force est de constater qu’il existe une relation toponymique entre la parcelle et l’environnement de celle-ci, puisque nous avons observé que, les micro-toponymes régionaux étant de moins en moins connus, cela a donné lieu à une nouvelle manière de nommer ces espaces [6]. Même si les noms sont donnés en français, les techniques de repérage des parcelles associent encore le terrain à son environnement, que ce soit par la taille (grand champ), la forme (long champ), la localisation par rapport à un repère du paysage (le champ derrière la poubelle, l’éolienne), le nom de l’ancien propriétaire (le champ à Hervé Le Roy, le petit Jean Breton), le nom d’une personne vivant à proximité de la parcelle (le champ à Maï Guen), etc. Si les agriculteurs, en donnant un nom à leur îlot, permettent de donner de nouveaux repères spatiaux pour eux-mêmes, leur famille ou les entrepreneurs, l’agrandissement des parcelles rend néanmoins peu précise cette localisation. Certains agriculteurs trouvent alors des solutions en donnant deux noms à la même parcelle. Ainsi, nous montrant sur un plan une parcelle de plus de 15 hectares, un agriculteur nous dit : « Quand je suis dans ce secteur-ci, j’appelle ça Kerveillant. Quand je suis à l’autre bout, je suis à l’éolienne… et pourtant il n’y a pas de séparation ».
15Malgré leur déclin, les toponymes bretons sont présents dans la moitié des appellations de parcelles mais avec re-diversification linguistique. Dans le cas le plus simple, la parcelle culturale correspondant encore à la parcelle cadastrale (les petites parcelles ou les parcelles isolées), et le nom est généralement conservé s’il n’est pas source de confusion. Lorsque la parcelle culturale résulte du regroupement de plusieurs parcelles, le nom de la parcelle d’origine (celle initialement détenue) est souvent conservé, indépendamment de sa signification. Ensuite, les noms originaux (vlotrès, liors baradoz « champ du paradis » ; pors n’yfern « cour de l’enfer »), en attirant l’attention des agriculteurs, permettent d’être facilement utilisés. Les agriculteurs enquêtés sont généralement capables de citer les noms de parcelles de l’exploitation familiale même s’ils l’ont quittée depuis des années, pour les avoir souvent entendus des parents. Il s’avère que le principe d’héritage ou de transmission est omniprésent dans la dénomination des parcelles. Le nom donné par les parents est très souvent conservé (« parce que papa l’appelle comme ça », « les noms que donnait mon père ») de même que celui donné par l’ancien propriétaire (« parce que Célestin l’appelait comme ça »). En général toutefois, les agriculteurs interrogés disent ne pas avoir d’attachement particulier pour les terres familiales. La résistance de certains noms montre peut-être le contraire. Mais bien souvent, l’usage qui est fait des micro-toponymes bretons par les générations héritières n’est qu’un usage que l’on pourrait qualifier de « mimétique », sans connaissance précise du sens ou de la relation du nom au paysage. Nous avons ainsi constaté que cette transmission s’estompe plus gravement encore avec la génération âgée de 30 à 45 ans aujourd’hui.
16Enfin, plus du quart des parcelles citées par les agriculteurs sont désignées par le nom du lieu-dit dans lequel elles se situent ; ces noms sont quasiment tous bretons dans cette commune. Les agriculteurs sont les principaux et derniers détenteurs / utilisateurs de ce repérage dans l’espace communal dont ils montrent dans l’ensemble une relativement bonne connaissance. Ils utilisent ainsi des noms de quartiers qui ne sont pourtant plus habités depuis des années et dont les bâtiments ont parfois même été remplacés par des champs ou des friches. Ce passage de la parcelle au quartier indique un changement d’échelle et de cadre de perception du parcellaire, conforme à l’évolution de la taille des parcelles et des exploitations, qui passent, quant à elles, de l’échelle du hameau à celle de la commune et fréquemment celle de plusieurs communes.
17Ces premiers résultats nous permettent d’observer qu’en une quarantaine d’années, le mode de développement de l’agriculture a conduit à une transformation du lien entre l’agriculteur et la terre, sous l’influence notamment des spécialisations en élevage hors sol et de la politique agricole. Il n’est pas certain que la disparition des micro-toponymes anciens pour désigner les parcelles puisse être imputée seulement à cette distanciation. Dans tous les cas, l’évolution d’un grand nombre de ces toponymes accompagne logiquement la modification du parcellaire et la désagrégation d’une partie du bocage communal. La modification du parcellaire n’est pas une « simple » ouverture du paysage, elle a également un impact culturel avec la disparition de repères spatiaux (talus, chemins) et « identitaires » (toponymes) héritées de l’ancien monde agraire.
18Le regard que portent les agriculteurs sur les noms de leurs parcelles est en fait très hétérogène. Mais, au-delà de la première surprise, et du fait que ces noms permettent de se repérer dans l’espace, nos questions ont permis de révéler des liens personnels relativement forts entre les agriculteurs et le nom de leurs parcelles. Parmi les facteurs de pérennisation ou de disparition des toponymes que nous avons identifiés, celui de la transmission est apparu déterminant : transmission de la langue bretonne, transmission orale du nom de la parcelle lors des mutations de propriété, et surtout transmission de l’exploitation familiale.
19Si le lien culturel s’affaiblit à travers la régression de l’usage du breton et la disparition des significations des dénominations anciennes, les agriculteurs, tous âge confondus, montrent de manière générale qu’ils s’intéressent pourtant au sens du nom breton de leurs parcelles et quelques-uns en ont retenu certains, liés à leurs nouvelles parcelles culturales. L’attention que ces agriculteurs portent au nom est d’autant plus grande que celui-ci est informatif, affectif ou original. Le décryptage de ces noms attiserait certainement la curiosité et l’intérêt des agriculteurs qui pourraient alors choisir en connaissance de cause. Nous avons pu le constater au cours des entretiens.
20*
21Au-delà de la fonction de référent géographique, le nom, en tant que référent identitaire, pourrait donc permettre d’intégrer une dimension socioculturelle dans l’aménagement des structures foncières et faciliter les relations entre la profession agricole et son environnement social. À l’heure des mouvements de re-territorialisation de l’agriculture et de patrimonialisation d’éléments matériels et immatériels de l’espace rural, une prise en compte élargie du bocage allant de sa dimension environnementale à sa dimension culturelle pourrait ainsi s’insérer pleinement dans l’expression concrète de la multifonctionnalité de l’agriculture.
Nouveaux usages des toponymes : état des lieux des fonctions des toponymes
22Une seconde manière de percevoir la toponymie consiste à en considérer les nouveaux usages possibles. Nous allons pouvoir en retenir le potentiel social, la valeur identitaire et commerciale. Cette approche concerne notamment la toponymie urbaine qui est aussi une réponse à la demande sociale (affichage des identités bretonnes et perspectives politiques régionales) ; car les acteurs de cette urbanité langagière [7] adoptent des stratégies diverses d’affichage, que ce soit par l’orthographe, la typographie, ou les lieux symboliques choisis pour produire les nouvelles signalisations.
23Pour éclairer cette situation, je confronterai l’étude micro-toponymique précédente à des recherches sur un terrain urbain. Cela permettra peut-être de repérer un objet commun à toutes les perspectives toponymiques d’aujourd’hui : comment fonctionne la toponymie et que permet-elle de transmettre ? Dans la comparaison de ces deux études de terrain, je montrerai quels usages sont faits des toponymes aujourd’hui, quelles informations les noms de lieux transmettent d’une génération à une autre et de manière plus vaste comment et à travers quelles articulations les données observées fondent la conscience d’appartenance à une entité socio-ethno-identitaire régionale.
24Prenons le cas, par exemple, du toponyme Ploemeur [8], constitué du terme Ploe (préfixation témoignant du peuplement), suivi de l’adjectif meur qui signifie « grand, important ». Ploemeur signifierait donc initialement « grande paroisse ».
25On imagine effectivement que Ploemeur est une paroisse très ancienne par le simple fait de sa désignation, puisque plus précisément ploe vient du breton plou, lui-même issu du latin plebs : la paroisse [9]. Plou désigne donc primitivement « le peuple de Dieu » et le territoire où il s’installe. Le terme perd son sens de paroisse au XIIe siècle. Sous diverses formes, nous savons en général que les préfixes plé, plu, pleu, plo ont ainsi servi à former les noms de paroisses primitives [10].
26Bien entendu la signification de Ploemeur ne semble plus en rapport direct aujourd’hui avec cette réalité de la fondation, ce qui paraît relativement normal. Mais en plus de son rôle fonctionnel de nom communal, le toponyme fournit tout de même une caractérisation, une assiette à la commune, transmettant ainsi une information historique aux générations actuelles et futures, transportant une sorte de témoignage sur le passé (quand on s’informe sur les origines du nom en question).
27Aujourd’hui, qu’en est-il donc du rapport de ce toponyme à sa signification originelle ? A quelle réalité toponymique avons-nous à faire ? Que signifia aujourd’hui le nom de « Ploemeur » pour les usagers de la commune, qu’ils soient usagers permanents ou ponctuels ? Quel témoignage enfin transmet et apporte ce nom de lieu ?
28Quelques remarques sur la graphie. Dans l’objectif d’un ancrage identitaire fort de la commune, le nom de Ploemeur est l’objet de re-transcriptions bretonnes [11], sous les formes Plañvour (forme attestée par l’Office de la langue bretonne en particulier) / Plañwour (forme choisie par la commune), et supplante ainsi la forme Plœmeur pour toute référence à l’identité bretonne. Au cours d’un entretien avec le maire de la commune, nous avons appris que la forme orthographique bretonne choisie est Plañwour car le (w) apparaît, selon ses propos, comme une marque plus exotique, ou en tout cas témoignant d’une identité bretonne plus forte [12]. Nous pouvons donc nous interroger sur le caractère essentiel de la dénomination. Pour qui la dénomination est-elle importante, et que signifie-t-elle ?
29Il apparaît que l’information que ces deux formes transmettent n’est pas une information de nature sémantique (d’autant plus que la forme meur n’est pas comprise en breton moderne) mais bien une information de type identitaire, puisque l’alignement des lettres formant le nom perçu comme breton (soit la forme Plañvour) suffit à faire sens pour l’usager :
- la commune prouve ainsi immédiatement son appartenance à la Bretagne ;
- la commune reconnaît du même coup la langue bretonne comme un élément essentiel de son patrimoine ;
- la commune souhaite préserver son patrimoine et montre que cela passe par la langue.
30Cette remarque est d’ailleurs validée par ces affichages concrets, photographiés sur la commune de Lorient :
31Ou celles-ci (à Ploemeur) :
Panneau d’entrée de ville de la commune de Ploemeur
Panneau d’entrée de ville de la commune de Ploemeur
32Nous retrouvons bien deux orthographes différentes sur deux panneaux installés par deux communes différentes, à trois kilomètres de distance seulement. L’orthographe retrouvée sur le panneau d’entrée de ville a été choisie par la commune de Ploemeur, tandis que l’autre émane d’une politique de standardisation de la langue (contrat élaboré entre la commune de Lorient et l’Office de la langue bretonne) et propose donc une orthographe différente, attestant en théorie la forme « exacte » standardisée, « officielle ».
33Dans un autre domaine, lorsqu’une commune procède à une opération immobilière, soit la cession de terrains, soit la vente de terrains à des promoteurs ou à des particuliers, il n’est pas rare de voir aujourd’hui de nouveaux quartiers se créer avec un maillage de rues dénommées au moyen des noms originels des parcelles sur lesquelles ces rues se trouvent. Un entretien semi-directif avec le maire de la commune de Ploemeur a permis de mettre en évidence le caractère commercial et promotionnel (entre autres) de cette procédure de dénomination des rues. Il est important à ce sujet d’observer le rapport particulier avec la dénomination en langue régionale. On a vu précédemment que les micro-toponymes ont normalement un lien direct avec leur environnement, bien qu’il se perde. Nous pouvons donc considérer qu’il existe primitivement une réelle recherche de sens dans la dénomination d’une parcelle culturale. Or aujourd’hui, lorsque le toponyme est breton, la parcelle ayant été nommée par les générations précédentes, les jeunes générations d’agriculteurs interrogées disent le plus souvent ne pas comprendre la signification des composants du toponyme, et d’ailleurs ne pas attacher d’importance aux significations qu’ils peuvent avoir. Mais pour autant l’attachement au nom, à la dénomination est important. C’est un fait que la commune de Ploemeur, comme d’autres, utilise la toponymie bretonne pour donner un atout identitaire fort aux lots de terre mis en vente, dans le but de créer un quartier résidentiel. Cette fois, en plus de la fonction de repère spatial, le micro-toponyme en langue régionale se charge clairement de fonctions de vecteur identitaire et de vecteur de lien social. La commune de Ploemeur accorde en effet beaucoup d’importance à l’harmonisation des noms de rues du nouveau quartier, réalisée d’après les micro-toponymes originels, car elle y voit justement un supplément de lien social.
34Passons à la signalisation publique au sein de la commune. Dans la même commune, lors de la restructuration de la place centrale – la place de l’église (achevée en 2005) –, l’équipe municipale, non favorable à une politique d’affichage bilingue systématique (à l’inverse de sa commune voisine Lorient, qui y voit une exigence) a décidé d’adopter une signalisation minimale uniquement en français (ce qui va également à l’encontre de la politique de la communauté d’agglomération qui souhaitait une uniformisation de l’affichage bilingue pour toutes les communes). L’équipe municipale préfère que l’affichage se fasse par exemple sur les chemins de randonnées ou de manière plus générale, sur les lieux où passent les piétons et non les automobilistes. On ne peut, selon l’équipe municipale, confondre la voirie et les usages qu’elle supporte. La voirie, dans le contexte d’une place dotée d’une forte fonction d’échanges, de transit, et de représentation symbolique de l’espace urbain comme la Place de l’église à Ploemeur (c’est le lieu où se déroule notamment le marché hebdomadaire), développe une logique particulière. Ce lieu est considéré avoir une fonction sociale générale, et l’équipe municipale a jugé que ce ne devait pas être, de plus, le lieu d’une revendication identitaire spécifique. Ce sont donc les chemins piétonniers, à travers la commune, qui ont été retenus pour l’affichage en langue bretonne, par le biais des toponymes notamment. Il s’agit donc de types d’affichage différents répondant à des motivations également différentes. Dans ce cas précis, il ne s’agit pas bien sûr d’orienter les usagers mais surtout de les informer (en se servant des noms bretons) sur la dénomination de l’endroit dans cette langue. La langue devient ainsi un objet de valorisation du lieu où elle s’affiche et non un sujet (de militantisme), autrement dit : elle ne représente pour l’essentiel dans ce type d’application que la reconnaissance identitaire et la valorisation du territoire [13].
35On assiste donc à une transformation des fonctions des toponymes ; le toponyme breton n’a plus une fonction spatiale et linguistique, mais il est bel et bien la marque d’un label de qualité de la commune sur laquelle il se trouve. Dans leurs premières fonctions, les toponymes guident, informent sur le territoire qu’ils nomment et contribuent même parfois à la reproduction de ce territoire. Loin des analyses de toponymie historique, nous constatons aujourd’hui l’apparition de nouvelles fonctions toponymiques, et les cadres de variation laissent place à des usages bien souvent profilés comme des réinvestissements sociaux ; Ceux-ci provenant de choix institutionnels motivés par des raisons propres à chaque lieu d’affichage. Car nommer l’espace consiste à produire du territoire identifié, reconnu dans son identité régionale, les noms participant pleinement à cette reconnaissance. Donc choisir d’afficher des noms de lieux en langue régionale selon un choix spécifique d’orthographe fait de l’espace toponymique une base d’affirmations identitaires (plus ou moins marquées comme on l’a vu) aussi bien que le lieu d’une publicité identitaire pour la commune.
36On soulève donc ici une question fondamentale, celle du rôle des toponymes dans la culture. Quand un nouveau quartier se crée et que l’on y introduit un peu partout dans les odonymes (noms de rues) des noms de fleurs ou de personnalités ayant marqué le pays, des noms de régions françaises etc. que faisons-nous ? Nous passons, c’est certain, à côté de la possibilité d’afficher l’identité régionale du lieu, qui peut sembler plus importante que des références trop communes, sans doute trop banales et uniformes.
37En même temps, dans une optique régionaliste, on a tendance à croire que c’est par le signal qu’on crée (ou maintient) l’identité du lieu et c’est plus généralement la culture qui fournit (ou ne fournit pas) les éléments de conservation de cette identité. En soulignant l’action de la commune de Ploemeur qui crée des odonymes à partir des noms de parcelles, nous rappelons également que ce n’est pas sans une dynamique plus générale que la culture bretonne trouvera une garantie de « préservation ». Penser que l’avenir de cette langue régionale se trouve dans de nouveaux usages de la langue en société semble certes cohérent. Mais il est également évident que l’avenir du breton ne saurait être assuré seulement par la reprise de toponymes plus ou moins traditionnels dans la forme (voir plus haut le cas du nom actuel de Plœmeur) et que les premiers concernés (les agriculteurs) ne comprennent plus vraiment. La limite du regain identitaire est ainsi posée.
38En matière de toponymie urbaine et d’odonymie, il s’agit on le voit, soit d’attribuer de nouveaux noms, soit de conserver les formes traditionnelles de noms de voies de communication. La commune est libre de désigner la ou les personnes qui se chargeront de la recherche des anciens noms et de leur retranscription à cet effet. La réussite d’une telle opération n’est pas forcément assurée à cause des difficultés de reconnaissance des anciens noms. Les communes se trouvent ainsi quotidiennement confrontées à des questions de choix de noms et d’écriture, qu’il s’agisse d’établir ou de mettre à jour des cartes, des plans de ville, des listes de recensement et de manière générale pour tous les documents utiles au développement du territoire [14].
39On soulignera bien sûr que l’affichage / la signalisation en langue régionale ne peuvent assurer la survie de la culture bretonne, tant que les usagers ne sont pas impliqués dans investissements culturels et sociolinguistiques plus vastes. Ajoutons aussi que vouloir préserver une langue, une culture, une identité, par des moyens souvent marginaux et spectaculaires, au risque de rendre cette langue « exotique » (voir plus haut), n’est sans doute pas la bonne voie pour parvenir au moins à une « préservation » du patrimoine régional.
40On dira pour finir que les fonctions des toponymes en Bretagne occidentale se sont transformées au fil du temps et qu’aujourd’hui, elles peuvent semble-t-il se regrouper en un schéma organisationnel visant la valorisation du territoire. Il s’agit :
- d’identifier le territoire est la première opération pour que le lieu existe et que les usagers se repèrent. L’identification en langue régionale permet donc d’identifier le lieu tout en en véhiculant des informations historiques positives. D’où un enchaînement avec la deuxième opération :
- de catégoriser un territoire de façon positive. En effet, la Bretagne bénéficiant d’une image positive et d’un capital « sympathie » à l’échelon national, le caractère localisant de la langue (par le breton) permet sans doute de renforcer cette image positive en utilisant l’attachement bien connu de la plupart des français au terroir et aux « origines » ;
- de réactiver la mémoire du lieu et de l’ensemble du territoire auquel ce lieu appartient ;
- de permettre de faire fructifier le « capital » culturel et économique du territoire tout en assurant l’évolution de son image ;
- de signifier quelque chose de nouveau. Il faut alors envisager l’affichage comme une interface entre le respect, la réhabilitation de l’histoire et une perspective d’avenir ;
- d’accréditer l’idée d’une place plus importante de la langue bretonne au sein de ces espaces ;
- d’inciter le destinataire à devenir un usager régulier en motivant des attitudes aussi diverses que la curiosité (suscitant ensuite, peut-être, de l’intérêt ?), le désir, l’adhésion à des valeurs associées à la langue bretonne mais surtout à la culture bretonne au sens large.
41Pour conclure, la valorisation culturelle et touristique de l’espace (patrimoine bâti, patrimoine linguistique, etc.) passe certainement par les toponymes et l’affichage des langues régionales de Bretagne. L’identité bretonne est un label de qualité intéressant, et qui fonctionne. C’est en tout cas devenu une sorte de « vitrine » directement perceptible. De nombreux habitants de la région se saisissent de cet atout linguistique pour mieux se faire reconnaître comme Bretons avec toute la symbolique comme avec les limites que cela implique. Dans le cas qui nous a occupé, on peut penser que l’objectif principal n’est pas de construire une société bilingue mais plutôt de préserver et d’identifier comme présente une culture régionale, une conception de l’espace, par le biais de la toponymie. À peu près toutes les questions relatives à la valorisation du patrimoine sont ainsi soulevées (à travers des options diverses), qui oscillent entre la simple affirmation identitaire de particularités régionales et l’hypothèse militante de la réappropriation de la langue de la culture bretonnes.
Cartes de l’évolution du territoire de Ploemeur entre 1709 et 2000
Cartes de l’évolution du territoire de Ploemeur entre 1709 et 2000
Les 32 micro-toponymes utilisés 10 fois et plus d’après le cadastre de 1832
Les 32 micro-toponymes utilisés 10 fois et plus d’après le cadastre de 1832
Typologie des microtoponymes cités spontanément par les agriculteurs enquêtés (n° 1 à 6)
Typologie des microtoponymes cités spontanément par les agriculteurs enquêtés (n° 1 à 6)
Bibliographie
- Bulot, Thierry (2003), « Matrice discursive et confinements des langues : pour un modèle de l’urbanité », Cahiers de sociolinguistique n° 8, PUF, pp. 99-109.
- Guillorel, Hervé (1999), « Toponymie et politique », in Noms et re-noms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, sous la direction de Salih Akin, coll. Dyalang, publications de l’Université de Rouen, pp. 61-91.
- Huchet P., Lukas Y. et Moy M. (2000), Histoire du pays de Plœmeur, Éditions Palantines, Quimper, 137 pages.
- Jonasson, Kerstin (1994), Le nom propre, Constructions et interprétations, coll. Champs linguistiques, éd° Duculot, Louvain-la-Neuve, 256 pages.
- Kripke, Saul (1982), La logique des noms propres (Naming and Necessity), Éditions de Minuit, Paris, 173 pages.
- Le Pan, Hervé et Perron, Yannick (Comité d’Histoire du pays de Ploemeur) (1989), 1788-1795 Le pays de Ploemeur et la Révolution, Ploemeur, Larmor, Lorient, Imprimerie de Basse-Bretagne, Hennebont, 208 pages.
- Le Squère, Roseline et Le Roux, David (2006), « Traduction et affichage bilingue : quel(s) service(s) pour les langues régionales de Bretagne ? », Revue Marges Linguistiques, n° 10, 17 pages.
- Le Squère, Roseline (2005), « Mise en œuvre du bilinguisme de la ville de Lorient : de la conceptualisation politique à l’application territoriale. Pratiques, analyse de la demande sociale et enjeux », in Signalétiques et signalisations linguistiques et langagières des espaces de villes, Actes de la 4e journée internationale de sociolinguistique urbaine, Moncton, Revue de l’Université de Moncton, vol. 36, n° 1, pp. 157-183.
- Plonéis, Jean-Marie (1982), Microtoponymie des Monts d’Arrée, Thèse de Doctorat, Brest, 2 volumes.
- Plonéis, Jean-Marie (1989), La toponymie celtique : l’origine des noms de lieux en Bretagne, Paris – Ed. du Félin, Collection Description, 225 pages.
- Plonéis, Jean-Marie (1991), « Toponymie : contribution à la dialectologie bretonne », revue La Bretagne linguistique, numéro 8, page 91-97.
- Plonéis, Jean-Marie (1993), La toponymie celtique : l’origine des noms de lieux en Bretagne : la flore et la faune, Paris – Ed. du Félin, Collection Description, 247 pages.
- Noailly, Michèle [éditeur] (1995), Nom propre et nomination, Actes du colloque de Brest, 21-24 avril 1994, Imprimerie de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 377 pages.
- Rostaing, Charles (1945), Les noms de lieux, coll. Que sais-je, PUF, Paris 1945, p. 6.
Notes
-
[1]
Ce terme désigne les individus à la fois en tant qu’utilisateurs de la langue (locuteurs du breton ou non, les usages de la langue bretonne n’étant pas restreints à la pratique linguistique de cette langue), et en tant que destinataires de cette même langue, par les aménagements linguistiques effectués dans l’espace public, dont l’affichage des toponymes fait partie.
-
[2]
Commune du département des Côtes-d’Armor – département 22 –, région Bretagne, située dans l’ancien évêché de Trégor, en Basse-Bretagne.
-
[3]
Régis Le Vaillant et Erwan Bocher, RESO-ESO UMR 6590 CNRS, Université Rennes 2 Haute-Bretagne.
-
[4]
La commune de Quemper-Guézennec se situe en effet au cœur du pays bretonnant.
-
[5]
Je retranscris ici la forme relevée dans les états de section de la commune.
-
[6]
Cf. tableau 2.
-
[7]
Expression que j’emprunte à Thierry Bulot : il est important de « …conceptualiser la spatialité socio-langagière dans la mesure où la ville n’est pas uniquement un fait démographique ou géographique mais est d’évidence un fait qui relève du culturel, du social… une urbanité langagière fonctionnellement empreinte du rapport aux langues représentées ou effectivement présentes dans l’espace urbain. Le terme même intègre dans le rapport à l’organisation sociocognitive de l’espace de ville non seulement les pratiques linguistiques elles-mêmes mais aussi les pratiques discursives et notamment les attitudes linguistiques (celles rapportées à la structure de la langue) et langagières (celles liées à la structure linguistique)… », (Bulot, 2003), pp. 101-102.
-
[8]
Nom d’une commune dans le département du Morbihan (département : 56).
-
[9]
Cette formation nous ramène vraisemblablement à des installations anciennes des Bretons.
-
[10]
L’étendue relative du territoire de Ploemeur est un indice de son ancienneté. Jusqu’à la Révolution Française, Ploemeur s’étend sur 64 km2, et la commune voisine, Lorient, ne se développe qu’à partir du début du XVIIIe siècle. Les faubourgs lorientais resteront effectivement ploemeurois jusqu’en 1791. Depuis lors, la commune de Ploemeur a perdu une partie de son territoire et aujourd’hui sa superficie est de 40 km2 à peine. Voir le document cartographique comparatif figurant en annexe.
-
[11]
Pour une étude approfondie de cette question, je renvoie à l’article suivant :
Roseline Le Squère et David Le Roux, « Traduction et affichage bilingue : quel(s) service(s) pour les langues régionales de Bretagne ? », Revue Marges Linguistiques, n° 10, décembre 2005/janvier 2006, 17 pages. -
[12]
Notons que la forme en (ñw) reflète plutôt la prononciation réelle du nom « Plañvour ».
-
[13]
Comme on l’a déjà souligné, la fonction de lien social est aussi un objectif recherché à l’échelle communale et les micro-toponymes bretons permettent cela, sans pour autant que le conflit soit porté au centre de la commune.
-
[14]
Bien évidemment, cette incertitude risque toujours de peser sur la qualité de l’affichage définitif.