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Article de revue

Y a-t-il un « parler jeune » ?

Pages 75 à 98

Notes

  • [1]
    Cette publicité par affiche mettait en scène deux enfants en train de se livrer, en portant des jeans, à des exercices sportifs de nature à considérablement solliciter l’agilité de leur corps.
  • [2]
    C’est en ce sens qu’il convient de revenir sur les formulations théoriques d’un Alain Girard. Le mimétisme ne peut, sans doute, pas être pensé comme concept fondateur de la sociabilité. En revanche, sans doute peut-il définir une forme de sociabilité en mouvement, en transition, en cours de formation, ce qui définit la « culture jeune ».
  • [3]
    Cf., ici même, l’article de Zsuzsanna Fagyal.
  • [4]
    Cela représente un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour mais un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour.
  • [5]
    Bien sûr, et au-delà de la jeunesse, une telle question peut se poser pour l’ensemble des âges. Le congrès de l’Association française de sémiotique (Lyon, juillet 2004), consacré à « la sémiotique des âges de la vie » aura, sans doute, à se poser la question au cours de ses débats et de ses réflexions. S’adresser, pour toute information, à : http://sites.univ-lyon2.fr/semio2004.
  • [6]
    Il s’agit d’un magasin où l’on peut pratiquer des jeux électroniques. Il est situé au centre, près de la place des Terreaux, lieu de rassemblement de beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes.

Introduction : parler, parole, langue, langage

1Commençons par le commencement : définissons les mots que nous allons employer ici, car il ne s’agit pas de mots simples, et, surtout, il s’agit de mots chargés de connotations et de définitions dans l’histoire des sciences des hommes et des sociétés. Si ces termes revêtent une telle importance, c’est qu’ils désignent les pratiques fondatrices, les moments qui nous instituent dans les identités dont nous sommes porteurs aux yeux des autres et à nos propres yeux.

2Le langage est l’ensemble des pratiques symboliques par lesquelles le sujet représente son identité, pour les autres et pour soi-même. Le langage est bien, en ce sens, une institution : une médiation symbolique de l’appartenance sociale. C’est notre langage qui constitue l’ensemble des formes et des pratiques par lesquelles notre identité acquiert sa consistance et peut, dès lors, faire l’objet d’une reconnaissance – que l’on appelle, d’ailleurs, identification. Si elle est, d’abord, singulière, l’identification qui donne naissance au sujet est, ainsi, d’abord, le moment singulier de l’identification spéculaire à l’autre, par laquelle le petit de l’homme devient un sujet lors de la découverte du miroir. C’est dans un second temps que l’identification ne sera plus seulement singulière, mais que, collective, elle sera la médiation par laquelle nous exprimerons les appartenances et les sociabilités dont nous serons porteurs tout au long de notre existence. Et, parmi elles, la jeunesse qui fait l’objet, sans doute comme la vieillesse, d’une reconnaissance sociale un peu particulière, puisqu’elle est, comme la vieillesse, structurée par des institutions, des normes, des lois, des médiations, qui lui sont propres. C’est pourquoi le langage de la jeunesse, le langage des jeunes peut se comprendre comme l’ensemble des pratiques symboliques mises en œuvre dans les lieux où se reconnaissent les jeunes.

3La langue est une médiation politique qui exprime l’appartenance sociale à un territoire. On parle la langue d’un pays quand on l’habite ou qu’on y séjourne, parce que ce pays est politiquement structuré par cette langue. La langue est instituée dans un pays par le pouvoir qui s’y exerce et qui y définit la citoyenneté. C’est, justement, pourquoi il ne saurait y avoir de langue des jeunes, car l’existence d’une langue suppose l’institution d’une identité politique dans un territoire. C’est en ce sens que, classiquement, la langue se distingue de la parole. La parole est la mise en œuvre singulière d’une langue par un sujet parlant, au cours de l’événement particulier que représente son usage au cours d’une situation de communication. La parole est l’événement singulier de l’appropriation singulière de la langue.

4C’est ici que l’on pourrait définir les deux termes qui sont à la marge : le parler et lalangue. Lalangue est le néologisme forgé par Lacan pour désigner l’ensemble des pratiques singulières de la langue par un sujet. En effet, à travers les événements au cours de laquelle le sujet met en œuvre la parole, que Michel de Certeau avait, jadis, appelé la prise de parole, on peut reconnaître des cohérences, des continuités, des permanences qui, comme le temps long de Braudel, font apparaître l’expression d’une identité de la subjectivité et du désir qu’elle exprime dans son usage de la langue et du langage. Le parler serait une autre forme d’appropriation symbolique : il ne s’agirait pas, comme lalangue, d’une appropriation singulière, mais de l’inscription d’une identité dans le langage. Le parler pourrait, alors, se définir comme l’ensemble des pratiques symboliques (parole et autres pratiques symboliques) par lesquelles nous pouvons exprimer notre identité et la faire reconnaître des autres dans l’espace public de la sociabilité.

L’identité des « jeunes » existe-t-elle ?

5Il existe des médiations linguistiques de l’identité et de l’appartenance : des formes et des pratiques qui inscrivent dans la langue les représentations des appartenances dont nous sommes porteurs. Dans ces conditions, la question est de savoir si l’on peut parler d’une identité des jeunes, et si l’on peut parler d’une identité particulière. Sans doute faut-il suggérer un concept particulier d’identité symbolique et linguistique, qui se structurerait de la façon suivante.

6Le concept d’identité renvoie à une dialectique entre notre dimension subjective et singulière et notre dimension sociale, politique et collective. Sur le plan des formes que peut revêtir une telle dialectique dans nos usages de langue et de parole, on peut schématiser la construction linguistique de l’identité de la façon suivante. L’identité linguistique consiste dans une dialectique entre deux formes de conscience symbolique. La première est d’ordre singulier, et a à voir avec notre désir. Elle représente l’ensemble des représentations de notre propre subjectivité dont nous pouvons être nous-mêmes porteurs dans nos relations avec les autres : elle se fonde sur l’image de soi, que nous construisons à partir de l’expérience originaire du miroir, dans nos relations avec les autres, mais aussi dans notre façon d’éprouver nos désirs et sentiments et d’assumer nos pratiques singulières. La seconde est d’ordre collectif, et a à voir avec nos appartenances et nos pratiques sociales, avec notre conscience d’appartenance sociale et politique, telle qu’elle s’exprime dans notre engagement dans des formes et des pratiques de communication inscrites dans l’espace public, et dans notre appartenance à un espace dans lequel se définit et s’affirme notre identité singulière, au sein de la filiation.

7Le concept d’identité peut se définir comme une dialectique entre la vérité dont est porteur un sujet, et qui définit sa place dans les espaces de communication dans lesquels il s’inscrit et la dimension politique qui le fonde par la médiation de ses appartenances et des liens sociaux dont il est porteur. C’est dans ce cadre qu’il convient de poser la question de la reconnaissance d’un groupe d’âge comme identité. Cela peut se faire par le constat de leurs choix politiques (et, en particulier, de la question de l’inscription sur les listes électorales), de leurs pratiques culturelles, de leurs activités de communication et de représentation.

8On peut définir les « jeunes » comme les sujets dont les pratiques et les investissements symboliques ne sont pas stabilisés entre les deux espaces de l’identité. Sans doute le « jeune » est-il celui qui est en train de découvrir les espaces publics, entre les lieux de sa filiation et ceux qui seront ceux de ses appartenances. Être « jeune » consiste à se reconnaître porteur d’une identité en transition : il s’agit de ne se reconnaître dans aucune forme stabilisée d’identité sociale et culturelle et, par conséquent, à se reconnaître une identité en mutation. C’est en ce sens, et avec cette dimension proprement transitoire, qu’existe l’identité « jeune ». Sans doute faut-il, en ce sens, distinguer deux concepts de jeunesse. Le premier renvoie à un âge, ou, plutôt, à plusieurs âges. Il renvoie à un état de développement de la personnalité, et, en ce sens, il est extrêmement difficile de le définir et de la stabiliser. Affaire de culture, de psychanalyse, de développement de nos capacités et de nos désirs. Le second concept est affaire moins d’âge et de développement de la personnalité que de pratiques et de représentations, et, en ce sens, il relève de logiques politiques, institutionnelles et culturelles. C’est à ce second type de définition du concept d’âge qu’appartient le concept de « jeune » que nous définissons comme une identité en transition. Il s’agit, finalement, de définir moins une appartenance qu’une absence d’appartenance, qu’une sociabilité en mutation. C’est dire la difficulté de définir un langage des jeunes, puisqu’une telle identité ne saurait s’identifier à un type homogène de pratique linguistique et d’usage culturel.

9L’identité « jeune » renvoie, ainsi, à des sujets qui n’assument pas une appartenance sociale définitive. Ils s’inscrivent, en revanche, dans des pratiques culturelles et symboliques instables qui assument différents espaces sociaux d’appartenance et de sociabilité, selon les pratiques, selon les relations, selon les désirs.

10On peut, ici, citer trois exemples de ce concept, que l’on pourrait désigner par le terme d’identités nomades, ou de nomadisme identitaire.

11Le premier exemple est l’articulation, dans l’image sociale de soi, du costume et de l’habillement et des objets constitutifs de ce que l’on peut appeler « l’être au monde social » : les ornements et les bijoux, la coiffure, ou encore les accessoires comme le téléphone portable. Les « jeunes » revendiquent, plus que d’autres âges de la société, une mode spécifique et souvent complexe. Sans doute, même, sont-ils les éléments les plus dynamiques et les plus novateurs de la société dans la découverte et d’adoption de nouveaux vêtements et de nouvelles pratiques d’habillement. Ce dynamisme particulier de la mode vestimentaire peut s’interpréter de deux façons. D’une part, on peut le considérer comme le fait, pour une certaine population, de toujours courir après la nouveauté, et de se poser, ainsi, en contestation ou en mise en cause de ce que l’on pourrait appeler un certain immobilisme vestimentaire. Mais, d’autre part, on peut considérer ce dynamisme comme une aptitude particulière à adopter des habillements différents, c’est-à-dire des formes différentes d’identité, telles que l’identité se donne à voir dans cette « scène » particulière que constitue l’espace public, la rue.

12Il y a une « mode jeune », ou, plus exactement, ce que l’on peut appeler un usage jeune de la mode, si l’on considère la mode comme une médiation vestimentaire de la sociabilité. Cette spécificité de la mode des jeunes fait, d’ailleurs, l’objet d’une appropriation dans les représentations publicitaires de la mode vestimentaire, et constitue une véritable norme dans l’évolution de la mode vestimentaire. La « mode jeune », qui fait l’objet, d’ailleurs, d’une codification assez stricte dans les médias, en particulier dans la presse magazine et dans la publicité, présente trois caractéristiques, éminemment porteuses de sens. D’une part, elle affiche une rupture par rapport aux normes et aux usages de ce que l’on peut appeler « la mode établie », en particulier dans le choix des couleurs, dans l’usage des formes vestimentaires et dans la mise en valeur du corps par le vêtement, par la revendication d’une mode dynamique et inscrite dans la perspective d’une grande mobilité du corps. « À quoi ça sert d’imaginer des vêtements si on peut rien faire dedans ? », demande une marque de vêtements pour enfants ? D’autre part, la « mode jeune » s’affiche par des attitudes et une exhibition du corps qui souligne à la fois son agilité et son intention de s’inscrire pleinement dans l’espace par le mouvement et par des positions théâtralisées. C’est le cas, par exemple, de l’attitude des deux personnages mis en scène par une photographie publicitaire destinée à une marque de jeans [1].

13Quant aux ornements et aux accessoires, que l’on peut définir comme la « mode non vestimentaire », on peut les analyser comme des objets de mise en scène dans l’espace public. Les ornements et les accessoires représentent, comme, d’ailleurs, au théâtre ou au cinéma, ce que l’on peut appeler l’amplification sémiotique du corps. Ils représentent ce qui inscrit le corps dans une présence dans l’espace, sémiotisée, précisément, par les ornements et les accessoires qui, en accompagnant le corps, assurent, en quelque sorte, sa mise en scène dans l’espace public représenté. C’est ainsi que les ornements et les accessoires accompagnent le corps dans l’espace de la représentation, comme pour porter une partie de la signification « jeune » dont il peut être porteur. Un lecteur-graveur de DVD, des représentations de téléphones portables, la référence à une « série culte », constituent autant d’exemples de telles représentations censées mettre en scène une « culture jeune » ou, plutôt, une « sociabilité jeune », telle qu’elle peut apparaître dans les figures normatives de la publicité. Surtout, ils mettent en scène la mobilité des personnages qui les utilisent ou qui les mettent en œuvre dans leur activité sociale (téléphones portables, fenêtre ouverte et référence à un caméscope mobile, etc.). Les accessoires fonctionnent dans cette sémiotique de la jeunesse comme des signifiants objectaux, susceptibles d’éveiller, en même temps, et l’un parce que l’autre, le sens et le désir, par rapport à l’identité jeune qu’ils contribuent à mettre en scène dans l’espace médiaté de la représentation. Les objets et les accessoires sont, en l’occurrence, fondamentaux, parce qu’ils définissent, en même temps que la figure de la personne qu’ils accompagnent, les pratiques sociales et culturelles censées constituer son identité.

14La seconde illustration de ce nomadisme identitaire est l’importance de la fonction mimétique dans la culture « jeune ». Identité en transition, la jeunesse se définit comme une succession de passages d’un âge à l’autre, et, en ce sens, se fonde en grande partie sur des processus mimétiques d’identification. Le mimétisme se distingue de l’identification, en ce qu’il ne s’agit pas de s’instituer une identité symbolique, mais de jouer une identité pour se la construire. L’enfant commence par imiter les autres, il commence par un moment mimétique, et c’est seulement quand il assume ce mimétisme dans ses pratiques et son activité de représentation, quand il lui donne du sens, qu’il passe du moment mimétique au stade du miroir et à l’institution de son identité et de son statut de sujet, en articulant son identité à son activité langagière propre. On observe dans la « culture jeune » une persistance du mimétisme, dans un jeu d’identité, dans une mise en scène des identités des autres, non assumées, mais seulement montrées. Cela commence par l’enfant qui « joue au pompier », mais cela continue, dans la « culture jeune », sous la forme de représentations mimétiques comme la pose de la voix ou les gestes, les habitudes, les rituels, adultes transposés dans le monde des jeunes. Le fait de fumer, par exemple, est une bonne illustration de ce mimétisme culturel. Sans doute importe-t-il de définir sémiotiquement le concept de mimétisme [2].

15Il y a, d’abord, un mimétisme que l’on peut appeler le mimétisme primaire, qui est celui du stade du miroir, au cours duquel le petit enfant « joue », pour l’acquérir, l’identité du modèle auquel il se conforme. Ce mimétisme primaire fait l’objet d’une forme de sémiotisation, au moment où l’enfant lui substitue le jeu et le langage, pratiques symboliques assumées par l’enfant devenant un sujet, au lieu, comme tout mimétisme, de n’être pas assumée, mais d’être, au contraire, tenues à distance par un processus qui n’est pas de jeu, mais d’imitation.

16Il y a, ensuite, un mimétisme second, qui s’inscrit dans les pratiques idéologiques et les activités sociales que les « jeunes » empruntent aux adultes. Le mimétisme second est celui qui est mis en ouvre dans les activités sociales, dans le militantisme, dans les appartenances sociales et institutionnelles. On peut renvoyer le mimétisme second au dispositif sémiotique représentant le fait social majeur défini par Bourdieu par le concept de reproduction. Au-delà de la mise en œuvre des dispositifs symboliques, le mimétisme second produit une « idéologie jeune », sous la forme d’un imaginaire politique, nourrie de l’adoption mimétique des références et des pratiques culturelles des adultes.

17La « culture jeune » s’exprime, enfin, par un mimétisme tiers, qui s’inscrit dans les formes imposées de la normativité de la publicité ou de la fiction (arts du spectacle, littérature). Ce mimétisme tiers consiste dans la production d’une identité dans l’espace public, sous la forme d’un ensemble de normes. Ce ne sont pas seulement les images et les discours qui produisent une représentation culturelle de l’identité « jeune » : cette identité se structure comme un ensemble d’impératifs sociaux et de normes culturelles. La conformité à ces modèles et à ces normes est une façon de se construire une identité sociale et de l’assumer dans ses pratiques et dans ses discours. Ces normes structurent les pratiques sociales considérées comme significatives de l’identité des « jeunes » par la médiation des logiques d’identification aux artistes, en particulier aux acteurs de cinéma et aux musiciens, et aux personnages de roman ou aux personnages de fiction, le propre de ce mimétisme étant, fondamentalement, la méconnaissance de la distinction entre le réel et l’imaginaire, au moment de la mise en œuvre des processus d’identification spéculaire.

18Enfin, une troisième illustration du nomadisme identitaire est donnée par les pratiques sociales et les activités constitutives de l’identité et de la médiation culturelle. Le nomadisme représente une forme de paradigme culturel, sans doute un des éléments constitutifs de la « culture jeune ». Le nomadisme prend quatre formes particulièrement courantes dans les pratiques culturelles observées.

19D’abord, il s’agit des voyages et des déplacements, y compris des déplacements et des parcours dans l’espace urbain. Le déplacement représente un mode d’appropriation de l’espace particulièrement caractéristique des « jeunes », qu’il s’agisse de la déambulation urbaine collective (le fait social des « bandes », parfois accompagnées de chiens) ou de la déambulation individuelle des jeunes dans une logique d’appropriation de l’espace social. Il faut ajouter l’importance que revêt le voyage dans les pratiques culturelles « jeunes », en particulier les longs voyages à l’étranger qui se pratiquent pendant d’assez longues périodes, en vacances ou non, qui constituent une forme de mondialisation de l’identité « jeune », par la confrontation aux jeunes d’autres pays, porteurs d’autres cultures et d’autres modes de vie et de sociabilité. Sans doute pourrait-on dire que le nomadisme représente une des médiations constitutives du « parler jeunes », la médiation de l’espace.

20La seconde forme du nomadisme constitutif de la culture des « jeunes » est ce que l’on peut appeler le nomadisme intellectuel et culturel. Il s’agit de cette forme de nomadisme qui ne consiste pas dans des parcours et des déplacements du corps, mais dans des parcours de la réflexion et de l’attention, dans un nomadisme des parcours de communication. Il s’agit du nomadisme de la lecture, du nomadisme des films, de cette forme particulière de nomadisme intellectuel auquel on a donné le nom de « zapping », qui consiste à se frayer un chemin non linéaire dans le parcours des médias, des images, des informations. Ce nomadisme intellectuel de la lecture et des pratiques symboliques et culturelles est un nomadisme du regard et du sens, par lequel la « culture jeune » revendique son absence d’ancrage privilégié, mais, au contraire, sa pratique culturelle du métissage et du parcours.

21La troisième forme de nomadisme dont est porteuse la « culture jeune » est le nomadisme politique. Sans doute peut-on constater, aujourd’hui, moins une désaffection des jeunes pour l’engagement politique – ce serait aller bien vite en besogne, et ignorer la mobilisation considérable des jeunes dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2002 pour refuser ce courir le risque de l’élection de Le Pen – qu’une perte de pertinence des engagements pérennes qui caractérisaient la politique dans les périodes précédentes. Sans doute le temps n’est-il plus aux engagements pérennes, inscrits dans le marbre, constitutifs des choix politiques des générations précédentes, eux-mêmes sans doute liés aux circonstances historiques formées par la seconde guerre mondiale, puis par la guerre froide et, pour parler vite, par l’affrontement entre l’Est et l’Ouest. Aujourd’hui, l’engagement politique se pense par rapport à des critères et à des choix différents, sans doute plus mobiles, moins durables, davantage liés aux circonstances et aux événements politiques. Sans doute la chute du mur de Berlin a-t-elle entraîné, dans ce que l’on peut appeler la « culture politique jeune », la perte des repères fondateurs des clivages politiques antérieurs et une recomposition des critères de choix et d’appartenance. Ceux-ci prennent désormais la forme d’engagements plus temporaires et moins durables – vers une sorte de nomadisme idéologique.

22Enfin, la dernière forme que l’on peut relever du « nomadisme culturel » de la culture des jeunes peut-il se lire dans les pratiques symboliques qui entourent le désir et sa mise en œuvre dans la relation à l’autre. La sexualité et le rapport à l’autre sexe, le rapport même à la différence sexuelle, s’inscrivent dans les figures d’un véritable nomadisme identitaire. Les discours et les images revendiquant, dans l’espace public, le fait de représenter la « culture jeune » semblent s’investir dans des formes nomades de désir et de sexualité, la transsexualité représentant une des figures majeures d’un tel nomadisme. Mais l’usage du corps comme support de mises en scène et de travail esthétique (piercing, etc.) constitue, lui aussi, une forme de nomadisme esthétique, puisque c’est le corps même qui peut, comme à volonté, changer de signification et d’usage.

Les langages et les représentations identitaires

23Une langue est une médiation linguistique de l’appartenance : c’est par la langue que l’on représente l’identité dont on est porteur au cours de ses pratiques de communication et au cours de son activité symbolique. L’existence d’une langue signifie, par conséquent, l’existence d’une sociabilité d’appartenance et d’un statut identitaire de cette appartenance. La langue est, en ce sens, une institution, puisqu’elle structure symboliquement une appartenance et une forme de sociabilité.

24Une des formes linguistiques qui instituent symboliquement une classe d’âge en lui donnant une identité est l’expression « Génération … ». On se souvient, à cet égard, de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 1988, qui avait vu le succès de l’affiche « Génération Mitterrand » conçue pour la campagne du président sortant qui se représentait. Génération construit, ainsi, un syntagme qui représente une classe d’âge, ou un ensemble de personnes et d’acteurs sociaux qui se reconnaissent dans une identité définie par l’âge. C’est ainsi que l’on peut citer le magazine « Génération Piercing », qui paraît depuis une quinzaine de numéros, et qui propose un certain nombre d’images et de reportages sur cette pratique identitaire.

25On peut citer trois exemples de représentation de l’identité par les pratiques linguistiques et énonciatives relevées dans ce magazine.

26Le premier trait linguistique identitaire fort est le tutoiement des entretiens et des appels aux lecteurs. Le tutoiement revêt une double signification. D’une part, il institue une relation de proximité, voire d’intimité, entre les lecteurs et le journal, et, de cette façon, accentue la dimension identitaire du magazine. D’autre part, il représente une proximité et une connivence entre le journal et ses supposés destinataires, qui reposent sur la reconnaissance d’un âge commun, qui est, en même temps, celui de la jeunesse et de la familiarité. Le tutoiement dans la rédaction des textes définit enfin une politique d’expression écrite qui se différencie par rapport aux autres médias, et, de cette façon, assume une place particulière.

27Le second trait que l’on peut relever dans la représentation linguistique des identités est l’usage du prénom, qui marque à la fois la familiarité dans les échanges linguistiques et la proximité revendiquée entre les lecteurs et les personnages dont il est question dans le magazine. La désignation des personnages par leur prénom permet la construction linguistique d’une communauté distincte de l’espace public, dans laquelle le prénom suffit à désigner l’identité des acteurs de la communication et de la sociabilité.

28Enfin, c’est la thématique de ce magazine qui le renvoie au « parler jeunes », en ce qu’il s’agit d’un magazine entièrement conçu autour d’une pratique sociale et culturelle, le « piercing », par laquelle les jeunes se reconnaissent en assumant une identité inscrite dans leur corps. Cet usage identitaire du corps est, d’ailleurs, caractéristique des pratiques symboliques des jeunes, de la même façon que l’ont été des pratiques traditionnelles comme les tatouages. Le « parler jeunes » s’inscrit, dans un magazine comme celui-là, dans l’expression symbolique de pratiques sociales identitaires, le piercing représentant, pour certains jeunes, une façon de « parler » avec leur corps, comme d’autres le font avec leurs vêtements, ou leurs bijoux – le journal proposant, d’ailleurs, un bijou comme offre promotionnelle.

29Mais le « parler jeune » représente aussi un usage particulier de la langue, une forme particulière de parole. Parler une langue, c’est revendiquer dans ses pratiques linguistiques son appartenance à une forme sociale d’identité. On peut parler d’une dialectique entre l’existence d’une langue et la reconnaissance d’un fait identitaire - l’une et l’autre constituant les deux aspects indissociables de l’appartenance à un espace de sociabilité, sans que l’une soit première par rapport à l’autre. Ensemble de nos activités d’énonciation, la parole représente une appropriation des systèmes symboliques institués, et, par conséquent, elle engage une dialectique entre la dimension collective de la langue, médiation d’appartenance fondée sur un langage commun et sur un code partagé, et la dimension singulière de l’appropriation de la langue par le sujet qui investit ses activités de communication des désirs et des représentations qui lui sont propres. Au-delà de la relation à l’exercice de la parole, grâce, en particulier, à l’usage de la voix, qui permet l’identification de la personne qui parle, il convient de donner au concept de parole, et, en particulier, ici, au « parler jeunes », une définition plus large. Nous désignerons, par ce concept, l’ensemble des pratiques symboliques par lesquelles s’exprime, dans l’espace public et dans les relations avec les autres, l’identité dont on est porteur et qui nous fonde comme sujet de sociabilité. Le « parler jeune » ne saurait se réduire au seul usage de la parole, mais implique l’ensemble des activités symboliques, y compris l’usage des médias et des autres pratiques symboliques engagées dans la communication.

30On peut alors définir le « parler », de façon plus générale, et construire, entre « langue » et « parler » une autre relation, comparable à la relation, établie par Benveniste, entre « langue » et « parole ». Deux différences permettent de distinguer « parler » de « parole ». La première différence tient au mode d’expression, à ce que l’on peut appeler la matérialisation de l’expression. Tandis que « parole » sera réservé à l’usage signifiant de la voix dans l’énonciation, « parler » désignera l’ensemble des pratiques signifiantes mises en œuvre par le sujet, quel que soit le matériau employé. Le « parler » désignera, ainsi, l’ensemble des pratiques de représentation symbolique de l’identité dans les relations de communication. La seconde différence entre « parler » et « parole » désignera la situation de communication mise en œuvre, et le rapport à l’autre instauré dans l’activité symbolique. Tandis que la parole désigne une activité symbolique appelant une réponse de la part de l’autre, ou, en tous les cas, fondée sur l’attente ou le désir d’une parole de l’autre, le « parler » désignera une activité symbolique non nécessairement inscrite dans l’attente de la parole de l’autre. Il pourra s’agir, alors, de la désignation générale de l’activité symbolique du sujet, indépendamment des situations d’énonciation effective au cours desquelles il attend la réponse de l’autre. Mais il pourra aussi s’agir de la désignation d’une compétence symbolique, indépendamment des modes particuliers d’expression qui sont mis en œuvre dans la communication.

31La question du « parler jeunes » peut, dans ces conditions, s’articuler autour de l’analyse de trois critères, qui permettent de définir ce concept par rapport au concept d’âge, par rapport aux formes de l’énonciation et par rapport aux espaces de la communication et de l’échange symbolique.

32Le premier critère est la reconnaissance, par eux-mêmes et par les autres, d’une identité sociale des « jeunes » allant au-delà du constat d’un âge. La conversation est, ainsi, plus qu’un échange intersubjectif ; entre jeunes, elle représente, dans le même temps, l’expression de la reconnaissance d’une appartenance commune. Autant que l’information ou la représentation symbolique voulue par l’énonciateur au cours de la parole, l’échange symbolique entre « jeunes » exprime l’appartenance sociale à un groupe défini, justement, par le mode d’expression mis en œuvre. L’importance identitaire ainsi reconnue à la parole par ceux qui mettent en œuvre le « parler jeunes » se fonde, justement, à l’absence de reconnaissance institutionnelle dont ils font l’objet dans l’espace public. Le « parler jeunes » constituerait en quelque sorte, une forme d’illusion d’une identité sociale qu’ils seraient les seuls à reconnaître et à partager.

33L’identité sociale revendiquée par les jeunes qui s’expriment dans ce « parler » (ce que tous ne font pas) relève, finalement, sans doute, d’une identité imaginaire, d’un imaginaire social et culturel partagé, fondé sur des références communes et sur des usages symboliques communs. Le « parler jeunes » représente la matérialisation de ce que l’on peut appeler un imaginaire institutionnel. Il s’agit, pour ceux qui le mettent en œuvre, de mettre en scène dans l’espace public de la communication une sociabilité et une appartenance imaginaires. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que le « parler jeunes » puisse être mis en œuvre par des locuteurs que l’âge ne classe pas dans la catégorie des jeunes, mais qui, en l’employant, donnent aux autres l’illusion de ce que l’on pourrait appeler leur jeunesse symbolique, à moins qu’ils ne cherchent à se la donner à eux-mêmes.

34Nous sommes au-delà du constat de l’âge réel de la personne qui s’exprime, et, de cette façon, le « parler jeunes » introduit, dans le champ de l’âge la tripartition entre réel, imaginaire et symbolique, constitutive de la médiation – en l’occurrence constitutive de la médiation de l’âge - et de la communication.

35On peut, alors, définir le réel de l’âge comme l’ensemble des manifestations physiologiques du vieillissement. L’âge relève, alors, d’un constat sur le corps de la personne, et il peut se mesurer en fonction de l’état effectif de l’organisme à un moment donné. En ce sens, d’ailleurs, le concept d’âge est le même quel que soit l’organisme vivant (animal ou humain) et quelle que soit la culture dans laquelle on se trouve.

36La dimension symbolique de l’âge est l’ensemble des représentations langagières par lesquelles le sujet exprime son appartenance à un âge, ou grâce auxquelles l’autre peut identifier ou reconnaître l’âge de son interlocuteur. L’âge symbolique s’inscrit, ainsi, dans un ensemble de dispositifs de représentation qui vont de la parole au costume en passant par les loisirs et les pratiques sociales, les activités politiques et les activités culturelles constitutives de la sociabilité, et les modes artistiques ou littéraires de représentations de l’âge par des acteurs ou des personnages.

37Enfin, l’âge imaginaire est l’ensemble des projections du sujet sur un âge qu’il n’a pas – ou l’ensemble des projections qu’il se fait des autres sur des âges qui ne sont pas les leurs. Ce que l’on peut appeler l’âge imaginaire est l’âge que je m’attribue fantasmatiquement ou celui que j’attribue aux autres indépendamment de toute perception réelle ou de toute connaissance de leur identité.

38Le second critère de l’existence d’un « langage jeune » serait l’existence de pratiques spécifiques d’énonciation. Tant en matière de lexique qu’en matière d’intonation, de rythme de la parole ou, de façon générale, de ce que l’on peut appeler la « musicalité » de la langue, on peut relever un certain nombre de formes spécifiques du « parler jeunes » dans l’énonciation et dans les pratiques symboliques de ceux qui le mettent en œuvre. Un certain nombre de caractéristiques permettent de reconnaître la musicalité du « parler jeunes ».

39La première est le rythme de l’énonciation qui n’est pas sans rappeler le rythme de formes musicales comme le rap. Il s’agit d’un rythme syncopé, haché, séparant les unités d’énonciation, et produisant une mélodie énonciative discontinue. D’une façon générale, d’ailleurs, le propre du « parler jeunes » est de s’inscrire dans des formes très proches des formes musicales et d’atténuer la différence entre expression musicale et expression linguistique, ce qui confère à la parole le statut d’une expression inscrite dans le temps et le rythme autant que dans le lieu de l’intersubjectivité et dans l’univers de la référence linguistique.

40La seconde caractéristique de l’énonciation du « parler jeunes » est l’existence d’un certain nombre de formes linguistiques phatiques. « Attends » est un exemple de ces formes linguistiques qui n’ont pas d’autres significations que de représenter la communication même pour mieux en assurer la permanence au cours de l’échange intersubjectif, et, surtout, pour mieux marquer l’importance de la représentation de l’autre au cours de l’intersubjectivité. Cette exigence de représentation de la figure de l’autre au cours de la communication caractérise le « parler jeunes » par rapport à d’autres pratiques d’échange symbolique.

41Une autre caractéristique de ce « parler » est, enfin, l’existence, au cours de l’énonciation, de marques symboliques de l’énonciateur comme les adverbes, les adjectifs adverbiaux - grave, moyen (« j’ai apprécié moyen ») - ou encore des locutions comme « j’y crois pas », qui instaurent une appropriation spécifique du discours de l’autre par l’interlocuteur, ou une certaine distance par rapport à elle. Ces marques linguistiques de l’énonciation concourent à l’expression de l’appropriation de l’énonciation par les partenaires de l’échange symbolique.

42La parole et le lexique font apparaître une consistance linguistique propre de la sociabilité des jeunes. Comme à propos du vêtement, on peut remarquer que les pratiques linguistiques des « jeunes » consistent dans la production symbolique d’une identité qui leur permet de se distinguer de l’identité des autres, précisément dans cette phase majeure de leur existence au cours de laquelle ils instituent leur propre identité. L’identité linguistique des « jeunes » répond à une triple exigence, ou à une triple signification. D’abord, il s’agit, pour eux, de se donner une langue, ou un système de communication et d’information qui leur soit commun et qu’ils puissent reconnaître au cours de leurs activités d’échange symbolique et de communication. Par ailleurs, il s’agit d’établir, ainsi, un système symbolique, on pourrait dire une « langue », qui leur soit propre, et qui se distingue, par conséquent, de la langue instituée comme système symbolique dominant d’information et de communication. Enfin, ces formes d’expression qui leur sont propres permettent aux « jeunes » de construire la dimension proprement linguistique de la culture et de la sociabilité qui leur sont particulières et dans lesquelles ils peuvent se reconnaître et se faire reconnaître de ceux qu’ils considèrent comme différents d’eux.

43Le vocabulaire des « jeunes » se caractérise par deux éléments majeurs. Le premier est une intense créativité lexicale, qui correspond, à la fois, à la très rapide mutation et au très rapide renouvellement des concepts qu’ils mettent en œuvre, des institutions qui les structurent, des pratiques culturelles qu’ils engagent. Le second élément du lexique des « jeunes » est sa relative homogénéité sociale. Le lexique des jeunes ne présente pas une très forte segmentation sociale, car il est unifié par les médias des »jeunes » et par les normes qu’ils partagent, et, par ailleurs, parce que la segmentation institutionnelle par l’âge semble, au moment de la jeunesse, plus forte et plus structurante que la segmentation par les classes sociales ou les repères idéologiques.

44Le verlan représente une permanence dans les formes linguistiques de segmentation d’une communauté culturelle. On peut interpréter le verlan de trois façons complémentaires, qui permettent d’en faire une pratique symbolique identitaire de la langue, plutôt qu’une langue particulière. D’une part, l’inversion des signifiants construit une autre linéarité de la langue, ce qui reconnaît à l’ordre des signifiants une fonction majeure de reconnaissance. D’autre part, l’inversion ne représente pas l’apparition de signifiants nouveaux, mais une autre organisation des signifiants existants, ce qui représente linguistiquement le même type de distanciation que la distanciation par rapport à la loi et à l’institution. Enfin, le « verlan » représente un véritable travail sur la langue, comparable à l’investissement identitaire par ailleurs engagé sur la forme et l’esthétique.

45C’est l’intonation et l’accentuation qui sont, sans doute, les éléments les plus porteurs de marques d’identification culturelle. Cela correspond à l’importance de la culture orale dans les formes identitaires du « parler jeunes ». C’est, sans doute, dans l’oralité et la parole que l’identité des jeunes se manifeste avec le plus de netteté. En effet, les usages de la langue écrite sont plus unificateurs et moins propres à représenter des spécificités identitaires, et parce que l’usage de l’écrit est sans doute moins fréquent dans les pratiques de communication entre jeunes que l’usage de la parole - ce qui est attesté par l’importance de l’usage du téléphone portable.

Formes sociales théâtralisées d’identification et de reconnaissance

46Les « jeunes » disposent d’un certain nombre de formes symboliques particulières qui leur permettent de s’attester réciproquement, dans leurs activités de communication, de leur appartenance à un groupe social qu’ils instituent en en reconnaissant l’existence et en y reconnaissant l’existence de liens sociaux de solidarité et de sociabilité. Sans doute peut-on même définir la jeunesse comme l’âge de la vie au cours duquel l’identité, en cours de construction symbolique, ou, mieux encore, en cours d’institution, fait l’objet de mises en scène théâtralisées. L’identité des jeunes est encore un rôle par rapport auquel ceux qui en sont porteurs s’inscrivent à la distance d’une situation temporaire, provisoire. Il y a une distanciation du sujet « jeune » par rapport à son identité, ne serait-ce que parce qu’il la sait temporaire, en cours d’institution et de formation. On peut citer, en particulier, quatre formes symboliques particulières d’identification. Cette théâtralisation de l’identité caractérise les « jeunes », et permet d’expliquer la signification de leurs pratiques de l’espace public et des modalités de leur présence au monde.

47Le costume met en scène la personne dans l’espace public. C’est pourquoi les jeunes attachent une importance particulière à la façon dont leur habillement leur permet de rendre visible dans l’espace public l’identité dont ils se veulent porteurs. La théâtralisation des jeunes passe par leur costume et par l’adoption d’une mode spécifique, dont Barthes parle ainsi, dans Système de la Mode (Barthes, 1983 : 260):

48Structuralement, le junior se présente comme le degré complexe du féminin/masculin : il tend à l’androgyne ; mais ce qu’il y a de remarquable dans ce nouveau terme, c’est qu’il efface le sexe au profit de l’âge ; c’est là, semble-til, un processus profond de la Mode : c’est l’âge qui est important, non le sexe.

49La mode représente, ainsi, l’un des systèmes symboliques identitaires, l’un des langages, dans lesquels l’âge « jeune » peut se reconnaître et exprimer le type de sociabilité et d’appartenance qu’il représente dans l’espace public. C’est par le costume que nous nous donnons à voir aux autres, c’est par le costume que notre identité se met en représentation dans l’espace public. En ce sens, la mode des « jeunes » constitue un système symbolique puissant de reconnaissance mutuelle, de distinction et de différenciation par rapport aux autres acteurs de l’espace public, et, enfin, d’investissement symbolique de l’identité.

50Mais le costume représente aussi une forme symbolique de représentation de l’identité car il théâtralise les rôles tenus par les « jeunes » dans l’espace public. Âge d’identité en transition, la jeunesse s’inscrit, par le costume et, par conséquent, par la mode, dans des formes symboliques qui, comme les costumes du théâtre, lui confèrent, le temps d’une représentation, des identités de rôles, de personnages. Le costume fait partie intégrante du « parler jeunes », car il définit une sémiotique de l’identité dont se réclament ceux qui le portent. Cette théâtralisation de l’identité [3] par le costume et l’habillement explique, d’ailleurs, certains traits qui peuvent paraître excentriques, hors normes, parce qu’il s’agit de distinguer fondamentalement l’identité des « jeunes » de celle des autres, par le type d’habillement qu’ils portent. Ces traits apparaissent aussi hors normes parce que cette théâtralisation vestimentaire de l’identité représente une forme de distanciation critique, de mise en question, voire de subversion ou d’insoumission par rapport aux formes instituées de la culture et de la sociabilité.

51Il convient d’ajouter l’importance du travail du corps, qui constitue un élément majeur de la médiation symbolique de représentation de l’identité des « jeunes » dans l’espace public. Tandis que les sujets de la sociabilité dissimulent, au contraire, leur identité, sous le costume, pour mieux la refouler sous les traits partagés de l’indistinction, les « jeunes » assument pleinement leur identité et leur spécificité en la donnant à voir aux autres habitants de l’espace public, sous la forme d’une véritable mise en scène de leur corps.

52On peut citer, à cet égard, l’exemple des marches de l’Opéra de Lyon, où, tous les jours, le soir, ont lieu de véritables exhibitions des jeunes. De façon plus générale, on peut considérer que les formes musicales ou dansées comme le hiphop donnent aux « jeunes » des formes, à la fois esthétiques et politiques, de représentation de leur identité collective dans l’espace public. Il ne s’agit pas, ici, de pratiques culturelles singulières, donnant à ceux qui les mettent en œuvre des moyens d’expression de leur désir propre et de leur identité particulière, mais bien de pratiques collectives rendant possible l’expression d’une identité collective des « jeunes » grâce aux pratiques esthétiques et culturelles qu’ils mettent en œuvre.

53Le travail du corps, qu’il s’agisse de la danse, de la déambulation ou de l’exhibition de performances dans l’espace public a toujours représenté, pour les « jeunes » une médiation symbolique majeure de leur identité. Sans doute même la possibilité de donner son corps à voir est-elle un mode d’expression assumé par les « jeunes » de façon particulière. Au lieu de constituer un mode d’expression par la représentation du corps de l’autre (d’un modèle, par exemple), la mise en scène du corps des « jeunes » dans l’espace public par ceux mêmes qui se donnent à voir constitue ce que l’on peut appeler un mode d’expression par le corps propre des « jeunes ».

54Il convient de penser cette exhibition du corps dans les mêmes termes que l’expression sportive de la performance. Les « jeunes » donnent, en effet, leur corps en représentation à la fois dans des pratiques artistiques et dans des pratiques sportives, qui, les unes et les autres, constituent de véritables performances. Le travail sportif du corps a la même signification que le travail artistique : il s’agit de ce que l’on peut appeler l’exposition du corps, caractéristique des « jeunes ». En revanche, il convient de faire apparaître la différence entre ces deux modes d’exhibition du corps – l’une étant structurée par la signification de la performance, et l’autre étant structurée par la mesure de l’exploit que représente cette performance. L’exhibition esthétique du corps des « jeunes » aboutit à une forme de sublimation artistique de leur corps. De son côté, l’exhibition sportive du corps aboutit à une forme d’exploit physique et à la réalisation d’un optimum, d’une performance obtenue par l’effort intensif fourni par leur corps – qui, en quelque sorte, refoule, ainsi, ses potentialités proprement symboliques de signification et de représentation, pour s’en tenir à une performance quantitativement mesurable.

55L’usage symbolique du corps représente une forme de « parler jeune », en ce que c’est par le corps que l’âge acquiert une forme apparente, et peut, par conséquent, dans l’espace public où les identités sont censées être indistinctes, exprimer l’identité de celui qui en est porteur. Exprimer son identité par un travail symbolique sur son corps (des vêtements à l’usage du corps comme matière d’expression du sens), c’est mettre en œuvre une activité symbolique indépendante des systèmes signifiants imposés, c’est recourir à une logique de représentation et à un matériau signifiant que l’on est seul à maîtriser.

Un espace public particulier

56Le « langage jeune » se caractérise par l’existence de lieux et de territoires dans lesquels il s’exerce. La communication entre les jeunes s’inscrit dans une géographie symbolique particulière, qui correspond à des lieux qui sont à la fois des lieux de sociabilité et des lieux de communication. Sans doute convient-il de définir une relation particulière au lieu qui caractériserait les pratiques culturelles des « jeunes », et qui permettrait de définir une sémiotique particulière de l’espace, qui leur serait propre. Cet espace de communication des « jeunes » se caractérise par trois éléments importants.

57D’abord, c’est un espace de mobilité, de parcours et de déplacement : comme un espace temporaire, comme un espace de transition[4]. Les jeunes se déplacent dans l’espace public, faute, sans doute, d’être en mesure d’ancrer leur identité dans un lieu stable, et, surtout, faute d’articuler leur identité à une appartenance pérenne. C’est pourquoi les « jeunes « qui manifestent leur jeunesse de façon ostentatoire le font par des défilés, par des déambulations dans la ville, par des déplacements dans la rue – qui prennent souvent la forme de mouvements collectifs, ou, enfin, par des séjours nombreux dans les cafés et dans d’autres lieux de séjour temporaire. Les défilés, les cortèges, les déplacements bruyants des « jeunes » dans les rues transforment l’espace dans lequel ils sont présents en espace de reconnaissance de ce que l’on peut appeler une mobilité sémiotique.

58Ensuite, on peut observer que les « jeunes » investissent les lieux par des objets et par des traces. On observe cela, par exemple, dans le film de Nanni Moretti, La chambre du fils. La trace est une métonymie de l’identité des jeunes qui investissent les lieux qu’ils occupent ou qu’ils parcourent. Cette métonymie peut s’inscrire dans des objets quotidiens, qui manifestent la nécessité d’occuper l’espace par des marques identitaires aisément reconnaissables. Cela explique le désordre qui peut exister dans certaines chambres d’adolescents : il renvoie à ce que l’on peut appeler un langage de la trace, fondé sur une représentation métonymique de l’identité par des accumulations d’objets. Le désordre n’est pas un simple désordre. Il s’agit, en fait, d’une inscription de la présence des « jeunes » dans des objets censés non les représenter, mais constituer des traces de leur sociabilité.

59Enfin, la sémiotique de l’espace des « jeunes » est une sémiotique de l’inscription – qui, d’ailleurs, renvoie les signes et les mots inscrits à un statut de traces. Cette sémiotique de l’inscription prend la forme du graffiti ou celle de l’inscription de symboles et de figures de représentation sur les murs des villes. Ces graffitis (qui ont abouti, d’ailleurs, à une expression artistique sous la forme de l’art des grapheurs) correspondent à l’exigence de lisibilité identitaire de la mémoire du passage des « jeunes » dans les lieux qu’ils investissent ainsi de la métonymie de leur présence. Ils rendent lisible la présence des « jeunes » dans l’espace urbain, ainsi transformé en espace de lisibilité des signes qu’ils y inscrivent.

60Il s’agit d’un espace symbolique dans lequel se formulent et s’échangent des représentations symboliques et des pratiques culturelles qui, par cette circulation et ces échanges, instituent pleinement les identités politiques qui structurent les acteurs de la sociabilité. L’espace public des jeunes est fait de toutes sortes d’acteurs et de médias de communication et d’information qui produisent à la fois des représentations du monde et des médiations de sociabilité. Il se définit par trois éléments qui lui confèrent une géographie particulière.

61D’une part, cet espace public est unifié. Il comprend un ensemble d’acteurs sociaux porteurs du même âge – se reconnaissant, ainsi, de la même identité en matière d’âge. Le concept d’identité se définit comme une dialectique (Lamizet (2002 : 45) entre la dimension singulière du sujet (la vérité de son désir et de son rapport à l’autre) et sa dimension collective (la dimension politique de son expérience et de ses rapports avec les autres dans l’espace public). S’agissant des jeunes, la définition de ce concept d’identité a à être précisé. Moins que d’une dialectique entre vérité et politique, sans doute s’agit-il, plus précisément, d’une dialectique entre l’expression du désir qui forme la singularité de chacun des jeunes et l’expression de leur appartenance commune, au sein de la société, cette appartenance commune au champ des « jeunes » pouvant entrer elle-même en conflit avec les formes de la sociabilité de l’espace public.

62C’est au sein de l’espace public que l’on peut définir un espace public propre des jeunes, structuré par leurs institutions, par leurs médias, par leurs lieux de spectacle et de sociabilité. L’identité des « jeunes » exprime, ainsi, dans l’espace social dans lequel ils vivent, cette dialectique entre le désir qui motive leurs conduites personnelles singulières et l’appartenance sociale qui structure leurs relations avec leurs parents, avec leurs familles, avec les institutions auxquelles ils sont confrontés. L’unification de l’espace public des jeunes relève donc, en réalité, d’une double logique. Il s’agit à la fois de deux unifications. On peut qualifier la première de « réelle ». Elle se fonde sur l’âge commun dont sont porteurs tous ces « jeunes » qui forment cette sociabilité et sur les pratiques sociales et culturelles effectives qu’ils mettent en œuvre dans l’espace public. L’autre unification dont il est question, que l’on peut qualifier de symbolique, est, elle, fondée sur des représentations, des savoirs et une culture que partagent les « jeunes » en y reconnaissant des marques et des formes de leur identité collective, instituée par leur âge partagé.

63D’autre part, l’espace public des jeunes, ainsi institué, se situe en rupture avec l’espace public – à tout le moins dans une logique de différenciation par rapport à lui. Tandis qu’une identité singulière s’institue, d’abord, sur la base d’une spécularité, d’une identification symbolique à un sujet, et, dans un second temps seulement, s’autonomise par rapport à ce modèle et s’institue en une subjectivité propre, l’identité collective, celle d’un groupe social, s’institue, d’abord, en rupture par rapport à d’autres identités existantes. C’est sur la rupture que se fondent, d’abord, les identités sociales et institutionnelles qui structurent l’espace public en s’inscrivant dans les lieux et dans les espaces qui l’organisent. C’est pourquoi les lieux de spectacle et d’animation des « jeunes », leurs cafés, leurs lieux de jeux et de consommation, sont institués, en rupture avec l’espace public, sur la base d’une forme de territorialisation – un peu à la manière des ghettos du Moyen Âge.

64Des lieux sociaux particuliers, propres à la jeunesse, organisent ainsi cette géographie propre au sein de l’espace public. Cette géographie, cet espace public particulier, fait aussi partie de la théâtralisation de la jeunesse instituée par l’usage sémiotique du vêtement. Cet espace public des « jeunes » est la scène sur laquelle ils se donnent en représentation, pour eux-mêmes mais aussi pour les autres. L’existence de cette géographie particulière fait partie de la théâtralisation des « jeunes » dans l’espace public, car on sait que la théâtralité se fonde, d’abord, sur l’existence d’une scène, d’un lieu théâtral, distinct du lieu réel de l’espace public. La théâtralisation des « jeunes » par leur costume ou par leur expression linguistique s’inscrit dans la même logique que l’existence de cette géographie particulière de leurs lieux d’habitation : il s’agit de la formation d’un espace dans lequel ils puissent représenter leur identité, et, de cette façon, l’instituer, en la confrontant à l’identité des autres populations de la société dans laquelle ils vivent.

Langage, médiations, institutions

65Le « parler jeunes », comme tout système symbolique de représentation des identités, s’inscrit et se met en œuvre dans des lieux institutionnels. Il constitue lui-même une médiation, en donnant une forme aux appartenances sociales qui définissent les « jeunes », et en constituant une médiation de nature à organiser les lieux et les activités de communication et d’information mises en œuvre par les jeunes. Cette fonction de médiation du « parler jeunes » peut se définir en trois points.

66D’une part, il s’agit d’une médiation dont les formes et les modes de représentation évoluent avec les pratiques sociales engagées dans l’espace public. Il y a une très forte corrélation entre la spécificité d’un langage identitaire et des pratiques sociales qui sont, elles-mêmes, considérées comme caractéristiques de cette identité. La question du « parler jeunes » nous oblige, sans doute, à une réflexion sur ce que l’on peut appeler la dimension langagière des institutions et des médiations en usage dans cet espace public propre de la jeunesse. Le fait institutionnel propre à la jeunesse – associations, mouvements de jeunesse, clubs de toute nature – se caractérise par une très grande continuité entre les deux formes majeures de la sociabilité : la quotidienneté et l’organisation des institutions. La sociabilité propre aux « jeunes » s’inscrit dans des pratiques institutionnelles qui sont en continuité avec les formes linguistiques et culturelles de la quotidienneté. Les structures propres à la sociabilité des jeunes articulent étroitement ce que l’on peut appeler les pratiques quotidiennes de la sociabilité (repas, voyages) et les pratiques proprement institutionnelles de la sociabilité (vie associative, responsabilités, élaboration et mise en œuvre de projets collectifs).

67C’est pourquoi le thème de la solidarité ou les thèmes environnementaux sont des thèmes assez caractéristiques du discours politique et de l’engagement propre aux « jeunes » dans leur vie sociale, car il s’agit de thèmes qui articulent très étroitement les exigences de l’engagement et celles de la quotidienneté, voire de la vie pratique. Les mouvements internationaux de solidarité institués par les jeunes (chantiers d’aide au développement ou de sauvetage de régions sinistrées, initiatives d’aide aux pays en voie de développement ou de mise en œuvre d’actions de solidarité avec des malades ou des populations sinistrées) représentent, ainsi, la construction d’un espace public d’expression et de communication politique propre aux « jeunes ». Sans doute, d’ailleurs, est-ce une évolution de cette nature qui peut expliquer l’importance croissante prise dans la vie politique et institutionnelle par les thèmes liés à la protection de l’environnement et à des exigences nouvelles de la vie quotidienne. En effet, de tels thèmes et de telles formulations politiques ont souvent été mis en évidence dans notre conscience politique, illustrés, énoncés, précisément par l’évolution de la vie politique et des pratiques institutionnelles liées à l’engagement des « jeunes » dans l’espace public et dans l’expression de revendications et de discours politiques d’un type nouveau.

68D’autre part, le « parler jeunes » établit un certain rapport à l’institution et à la médiation, et, en particulier, met en scène, dans les pratiques symboliques, une distanciation par rapport à elles, voire un rejet des dispositifs institutionnels. C’est, du moins, souvent par ce rejet que le « parler jeunes » est reconnu comme tel par ceux qui lui sont étrangers. Il y a une sorte de méfiance, de distance, par rapport aux faits institutionnels et par rapport aux logiques de pouvoir, qui est, sans doute, une caractéristique majeure des « jeunes » dans leurs pratiques sociales et culturelles. C’est que les « jeunes » ne sauraient s’identifier symboliquement aux acteurs politiques institués, porteurs de pouvoir et de notabilité. Si, longtemps, cette distance par rapport aux identités politiques instituées a conduit les jeunes à s’abstenir de participer à la vie politique et à se tenir à distance du fait institutionnel, elle prend, aujourd’hui, la forme, beaucoup plus engagée, d’une distanciation critique. L’existence de mouvements spécifiques de « jeunes » aux côtés des partis politiques (Jeunesse communiste, Jeunesse communiste révolutionnaire, Mouvement des Jeunes socialistes, Jeunes de l’U.M.P., etc.) a contribué à ce que s’élabore un langage politique propre aux jeunes et des formes d’affiliation et d’engagement qui leur sont spécifiques.

69Sans doute même l’existence de ce mouvement de sociabilité politique des « jeunes » a-t-il contribué, aussi, à la formulation d’un certain nombre d’exigences politiques propres, et, même, à l’intégration d’un certain nombre de revendications politiques des jeunes dans les plates-formes des partis et dans les engagements des acteurs politiques. Le « parler jeunes » a, ainsi, contribué au renouvellement du vocabulaire et du discours politiques et à la mutation des revendications et des projets des partis et des acteurs politiques. Après tout, l’abaissement de la majorité politique à dix-huit ans est, sans doute, à considérer comme un succès du « parler jeunes » et de sa formulation des identités et des revendications politiques propres à la jeunesse. On peut aussi citer, parmi les évolutions du discours politique et des pratiques institutionnelles liées à l’engagement spécifique des « jeunes » la reconnaissance de la légitimité de la contraception, l’apparition de nouvelles pratiques et de nouvelles logiques de formation et d’éducation, le développement des pratiques et des réseaux d’information et de communication, les nouvelles législations en matière de médias et de radios libres. Ainsi, le « parler jeunes », en s’exprimant dans de nouveaux discours et de nouvelles pratiques institutionnelles, a-t-il, sans doute, contribué à ce qu’apparaissent de nouvelles formes et de nouveaux enjeux pour le discours politique, et à ce qu’ils soient pleinement reconnus et légitimés dans l’espace public.

70Enfin, le « parler jeunes » pose le problème de la durée de l’appartenance à un système institutionnel et de la durée d’exercice d’un dispositif de médiation. En effet, si l’appartenance à un âge est, par définition, temporaire, on peut se demander si certaines cultures et certains parlers « jeunes » ne perdurent pas, chez ceux qui les revendiquent, au-delà de leur appartenance à l’âge constitutif de cette identité. La question, en d’autres termes, consiste à se demander si l’identité « jeunes » continue à être associée à la réalité d’un âge particulier, ou s’il ne convient pas, finalement, de poser la question d’une tripartition de la jeunesse en trois instances [5]. Se distingueraient, dans ces conditions, une jeunesse réelle (celle de l’âge), une jeunesse symbolique (celle des pratiques et des formes spécifiques de représentation et de communication) et une jeunesse imaginaire (celle des utopies dont on peut être porteur, et des rêves que l’on peut faire, pour soi-même et pour les autres). On peut proposer à cette question trois types de réponse. D’abord, sans doute, il dépend de l’inconscient de chacun de connaître l’âge auquel s’identifie le sujet. La psychanalyse nous apprend qu’il convient de distinguer les identités réelles et les identités symboliques (le père réel de quelqu’un n’est pas nécessairement son père symbolique). De la même manière, sans doute convient-il de distinguer l’âge réel de quelqu’un (celui de son développement physiologique) et son âge symbolique (l’âge que, pourrait-on dire, il assume, dans ses façons de parler, dans ses pratiques symboliques, dans les activités et les relations constitutives de sa sociabilité).

71Le « parler jeunes » serait, dans ces conditions, une pratique symbolique particulière à laquelle on adhérerait plus qu’à d’autres – une langue que l’on choisirait de parler de préférence à d’autres langues ou à d’autres modes d’expression. On peut, en particulier, se demander si, finalement, on ne conserve pas toute sa vie, le mode d’expression et de communication de sa jeunesse, et si le « parler jeunes » ne représente pas, en fin de compte, le parler mis en œuvre par chacun d’entre nous dans les pratiques de représentation et de mise en évidence de son identité. Le « parler jeunes » ne serait, au bout du compte, ainsi, que le parler identitaire, que la médiation culturelle de l’identité, puisque, finalement, la jeunesse n’est pas autre chose que l’âge de construction de l’identité.

Les médias

72L’espace public des jeunes est régulé et structuré par des médias particuliers, qui inscrivent une certaine temporalité et une certaine événementialité propres aux jeunes. Il y a une mémoire partagée des « jeunes », mémoire construite et structurée par les médias qu’ils lisent, par les histoires qu’ils partagent, par les événements dont ils reconnaissent ensemble l’importance et la signification. Les médias et les sources d’information et de représentation (journaux, livres, spectacles, musique, jeux), qui institutionnalisent les médiations symboliques de l’appartenance, organisent un espace public des « jeunes », au sens même où Habermas définit un espace public. Il a toujours existé des médias destinés aux jeunes, ce qui montre la nécessité de l’existence d’un système médiaté d’information et de représentation pour que soi instituée une appartenance sociale dans l’espace public.

73D’une part, il existe toute une presse écrite et audiovisuelle à destination d’un public, par ailleurs très consommateur. On peut, à chaque époque, relever un certain nombre de médias destinés, ainsi, à ce que l’on peut appeler la socialisation symbolique des « jeunes », destinés à faire exister une identité sociale partagée des « jeunes ». Ces médias, comme ont pu l’être, à différentes époques, Pilote, Salut les copains, la radio NRJ ou encore des magazines contemporains comme Piercing (dont il a été question plus haut) racontent des événements et font apparaître des acteurs particuliers susceptibles de recueillir l’identification de leurs lecteurs. Ils mettent, ainsi, en mouvement une opinion publique propre aux jeunes, et, ainsi, contribuent à construire cet espace public particulier. Les médias des « jeunes » se caractérisent par l’articulation du discours et de la musique, des recherches esthétiques les plus complexes et des discours faisant apparaître des formes nouvelles d’engagement politique, et, enfin, par une articulation très exigeante entre esthétique et information. Les médias des « jeunes » consacrent une part importante de leur activité éditoriale à la publicité, pour des raisons financières, comme tous les médias, mais aussi pour donner à leur lectorat et à leur audience des représentations de leurs propres pratiques sociales, qui confondent activités de consommation et activités sociales et culturelles. Nous sommes ici devant une caractéristique du « parler jeunes », qui est l’absence de distance, d’écart, entre la communication publicitaire et la communication d’information et de médiation culturelle. L’importance de la publicité dans les médias et dans l’espace public à l’époque contemporaine est sans doute à l’origine de cette évolution des médias et des activités symboliques et culturelles des « jeunes », qui n’opposent pas nécessairement, dans leur activité médiatée, la publicité à l’information. La presse et les médias, écrits et audiovisuels, ont, d’ailleurs, à l’intention de l’espace public « jeune » accentué les entreprises de renouvellement et de créativité que la publicité a introduites dans l’activité éditoriale. La créativité en matière de médias s’est, d’ailleurs, elle-même trouvée renforcée par la multiplication des réseaux et des canaux de diffusion, de la presse Internet aux formes renouvelées de l’édition écrite et audiovisuelle.

74Dans le champ de ce renouvellement de l’activité éditoriale des médias et des structures de l’information et de la communication, on observe une très forte articulation entre cette presse et la publicité, qui constitue le second média dans lequel les jeunes peuvent se reconnaître et qui stabilise, en les institutionnalisant, leurs pratiques vestimentaires, culturelles et ludiques. Il convient, sans doute, ici, de ne pas limiter la signification et l’impact de la publicité à la seule promotion des marques et des activités commerciales. L’importance acquise par la publicité dans la seconde moitié du vingtième siècle a amené à une légitimation de la communication publicitaire et à une reconnaissance des formes et des pratiques de représentation que la publicité met en œuvre dans l’espace public. La publicité a fini par se faire accepter dans le champ de la communication médiatée, et les pratiques de communication mises en œuvre par les « jeunes » sont pour beaucoup dans cette reconnaissance et dans cette légitimation. En effet, la publicité a cessé d’être considérée seulement comme une entreprise de promotion de marques et d’incitation à la consommation, pour devenir une activité de représentation symbolique de culturelles et d’usages sociaux. Dans les représentations de la publicité, je reconnais les pratiques sociales que je mets moi-même en œuvre, et les « jeunes », en particulier, consommateurs et destinataires privilégiés des publicitaires, sont largement mis en scène dans les représentations de la publicité qui leur confèrent, ainsi, la légitimité de l’inscription dans les médias. Les « jeunes » sont pour beaucoup dans cette évolution du statut de la publicité, ne serait-ce que parce que l’évolution et le renouvellement de leurs propres pratiques sociales et culturelles a entraîné un renouvellement parallèle des représentations de la publicité. Peut-être même peut-on considérer que le « parler jeunes » se caractérise aussi par de nouveaux rapports entre les pratiques sociales et les représentations publicitaires, fondées désormais sur une étroite dialectique, au lieu de n’être qu’à sens unique, comme elles l’étaient, le plus souvent, auparavant, la publicité étant désormais autant créatrice de pratiques sociales pour les « jeunes » que ceux-ci sont prescripteurs dans les activités de la médiation publicitaire.

75D’autre part, Internet a fait très vite l’objet d’une appropriation par les pratiques symboliques des jeunes, ce qui a donné lieu à la naissance de nombreux sites et ce qui a entraîné une évolution certaine des pratiques de communication et d’information mises en œuvre par les « jeunes » dans les activités constitutives de leur sociabilité propre. Internet correspond à la sociabilité communicationnelle « jeune » de trois façons. D’abord, il s’agit d’un réseau de sociabilité, et, par conséquent, de formes sociales qui confondent appartenance et activité symbolique. Naviguer sur le réseau Internet, c’est, à la fois, utiliser des sites d’information et manifester une véritable activité novatrice dans les pratiques de communication et d’information. Le concept de navigation représente lui-même une forme spécifique d’activité de communication, fondée sur une découverte en partie aléatoire (donc ludique) d’acquisition d’information et sur des parcours symboliques métaphoriquement porteurs des figures du voyage, de l’exploration et de la découverte, fortement associées à l’identité symbolique des jeunes. C’est ainsi que le « parler jeunes » a forgé l’expression surfer sur Internet, qui représente la dimension sportive de l’activité de découverte et de navigation, ainsi que la référence aux exploits sportifs constitutifs d’une partie de l’identité des jeunes. La navigation sur Internet donne lieu à une forme de géographie symbolique des sites, qui manifeste, enfin, une forme particulière de représentation de l’information.

76Par ailleurs, le jeu représente un média très fort chez les jeunes, en raison de la mutation des identités qu’il met en œuvre auprès de ceux qui jouent ou qui pratiquent des jeux de société. Le jeu est un véritable « média jeune », car il porte sur la construction et la négociation des identités. Jouer – et, en ce sens, cela appartient pleinement à l’activité symbolique des « jeunes » - revient à se donner une identité et à inscrire les identités dans les activités symboliques. Le jeu est une pratique symbolique qui consiste à inscrire l’identité dans des échanges, des négociations et du hasard. Jouer, c’est risquer l’identité que l’on met en représentation dans ses pratiques symboliques avec les autres partenaires de la communication et de la sociabilité. C’est pourquoi le jeu fait partie intégrante des processus de formation des identités, dans l’évolution de la personnalité.

77Le jeu, comme forme esthétique et symbolique d’édition et de médiation, a su s’adapter aux nouvelles technologies, en proposant des jeux électroniques de toute nature, qui peuvent se pratiquer en déplacement ou dans des lieux prévus à cet effet C’est ainsi que « La tête dans les nuages » présente, à Lyon [6], des activités ludiques, de la même façon que les très nombreux établissements de jeux électroniques. Le jeu articule, ainsi, les découvertes technologiques et les pratiques d’information et de communication aux activités de négociation et de confrontation des identités. Il met en scène des activités de transformation d’identités et de formation d’identités symboliques au cours de pratiques sociales spécifiques, isolées par rapport à ce que l’on peut appeler la sociabilité ordinaire.

78Les jeux vidéo et les jeux Internet, enfin, comme les pratiques individualisées de médiation singulière, constituent des activités au cours desquelles les joueurs sont en situation singulière de communication et de sociabilité. Ils font l’objet d’une évolution comparable à l’évolution qui a conduit les médias de formes collectives (spectacles, cinéma) à des formes singularisées (télévision). De la même manière, les jeux vidéo ou les jeux Internet ne sont pas, à proprement parler, de jeux de société, mais d’activités singularisées, individualisées, que les joueurs pratiquent seuls, instituant, pour eux-mêmes, des espaces ludiques symboliques dans lesquels ils jouent, pour eux-mêmes les identités dont ils sont porteurs.

79Le cinéma (qu’il s’agisse de films d’identification narrative comme les films d’action ou de films plus distanciés comme le récent Tanguy de Chatilliez) articule la fonction médiatée d’information et de communication, et la fonction de spectacle d’identification et d’appartenance sociale. L’activité de médiation d’identité du jeu est mise en œuvre, au cinéma, sur l’écran, à l’intention des spectateurs qui peuvent y assister, de façon distanciée. Le cinéma représente, en fait, une mise en scène esthétique du « parler jeunes » qui suscite, auprès du public des spectateurs, à la fois une identification narrative et une identification symbolique. L’identification narrative consiste, en particulier pour le public de jeunes qui assiste à la présentation des films, à se reconnaître dans les identités des personnages qui jouent des rôles de « jeunes » dans les films. On peut se reconnaître, grâce au récit dans lequel il intervient, dans un personnage comme celui de Tanguy, ou, dans le cas de films destinés de façon encore plus claire à un public jeunes, comme les films musicaux, dans les personnages mis en scène au cours de la narrativité représentée par le récit filmique. Le « parler jeunes » consiste, ainsi, pour le cinéma, d’abord, à mettre en scène des récits dont les acteurs sont des jeunes et dont les enjeux peuvent être compris par le public « jeune » auquel sont destinés ces films.

80Mais il y a aussi, au cinéma, un autre type d’identification, l’identification symbolique, qui consiste à mettre en scène le « parler jeunes » comme une modalité d’expression du film, et non comme une simple modalité du récit filmique. C’est le discours du film, les propos des personnages, voire la configuration des décors, de la mise en scène et des personnages, qui, dans ces conditions, deviennent des formes de mise en œuvre de la médiation symbolique du « parler jeunes ». Bien sûr, un exemple historiquement très fort de ce type de médiation symbolique assurée par les films demeure La Guerre des Boutons, d’Yves Robert, d’après le roman de Louis Pergaud. En effet, au-delà du récit, le « parler jeunes » mis en scène dans ce film (en particulier l’immortel Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu, de P’tit Gibus) institue une véritable sociabilité, non seulement dans les mots, mais aussi dans les rituels institués et dans les relations mises en scène dans le film entre les personnages.

81Enfin, il convient de noter que l’individualisation des médias et des pratiques de communication est une caractéristique des usages, propres aux « jeunes », de la communication médiatée. Des « baladeurs » aux téléphones portables et aux écrans « Texto », les médias des « jeunes » se signalent par le double aspect de leur mobilité et de leur singularité – dans la définition de ce que l’on pourrait appeler un espace singulier de communication. Le « parler jeunes » pourrait alors se définir - toujours dans la perspective de la définition d’une sociabilité globale comme on vient de le voir à propos du cinéma – comme la mise en œuvre de pratiques de communication de nature à instaurer un nouvel espace public des jeunes en rupture avec l’espace public institué.

82La première rupture d’un tel espace de sociabilité symbolique par rapport à l’espace institué consiste dans la délimitation d’un espace singulier de communication, dans une véritable fragmentation de l’espace public, morcelé, en quelque sorte, en autant d’espaces de communication qu’il existe de relations singulières ou intersubjectives de communication. C’est cela, l’espace du téléphone portable ou du «Texto » : un espace séparé de l’espace public par la mise en œuvre d’un code de communication propre aux interlocuteurs. Le « parler jeunes » consiste, alors, avant tout, dans la délimitation d’un espace de communication propre et dans la rupture de cet espace par rapport aux autres lieux de communication ensemble constitutifs de l’espace public. La multiplication des dispositifs techniques de communication individuelle revient, ainsi, pour les jeunes, à instaurer un espace public morcelé, fragmenté, dans lequel ce sont les partenaires de l’échange qui, en quelque sorte deux à deux, réinventent un espace public qui leur est propre.

83L’autre grande rupture qui caractérise ces formes et ces pratiques de communication individualisée est la clôture sur elles-mêmes de ces activités de communication. Le « parler jeunes » se clôt sur lui-même dans l’écoute d’un baladeur ou dans la lecture d’un message sur un « Texto ». Le « parler jeunes » consiste, dès lors, non seulement à s’abstraire et à s’isoler de l’espace public dans la formation d’un espace intersubjectif, mais, en allant plus loin, à configurer un espace symbolique propre qui, dès lors, ne consiste pas dans un espace d’échange mais dans un espace de représentation de la communication. Le « parler jeunes » consisterait, alors, à retrouver la logique du jeu, mais à l’appliquer, cette fois, à la communication même. Le jeu est renvoyé, dans l’imaginaire des jeunes et dans leurs pratiques symboliques, à la formation d’un espace identitaire second dans lequel s’institue et se met en scène une identité propre. De la même façon, la communication, ainsi mise en œuvre au cours d’activités esthétiques et symboliques singulières, est renvoyée à un jeu singulier, de nature, peut-être, à refonder le « je » singulier de « jeunes » qui tentent de s’y retrouver.

Conclusion. Existe-t-il un « parler jeunes » ?

84Pour finir, tentons donc de répondre à notre question du commencement. La question est intéressante aussi parce qu’elle nous permet de répondre à une autre : qu’est-ce, au fond, qu’un parler, peut-on imaginer une différence entre langue, parole et parler ? La question du parler jeunes nous permet, en conclusion, de rebondir, en quelque sorte, sur deux autres thèmes : celui du parler et celui que l’on pourrait désigner comme une approche du concept d’identité en termes de communication. En provoquant la mise en question du concept de langue et de celui de langage, le mot, parler, ne serait-il, finalement, pas utile à l’intelligibilité linguistique des faits de communication ? On peut répondre en trois points.

85Sans doute n’existe-t-il pas, à proprement parler de parler jeunes, ne seraitce, d’ailleurs, que, parce que, comme on l’aura vu tout au long de ce texte, le concept même de jeunesse est mouvant. Ce qui existe, c’est un certain nombre de pratiques symboliques mises en œuvre, dans l’espace public, par des personnes qui, justement, construisent leur appartenance et leur identité par l’usage de ces pratiques symboliques dont la répétition, au-delà de l’effet de « mode » qu’elle représente, produit une stabilisation qui a quelque chose à voir avec l’institutionnalisation d’une langue. Il n’existe ni de langue des jeunes, ni de parler jeunes : sans doute n’existe-t-il qu’un ensemble ritualisé de pratiques symboliques dont le retour et la répétition permettent à la fois la reconnaissance et l’identification de ceux mêmes qui les mettent en œuvre. S’il y a des usages symboliques de la langue et des pratiques sociales qui sont propres à une certaine catégorie de population qu’ils parviennent justement à constituer, sans doute s’agit-il, d’abord, essentiellement, de modes particuliers d’appropriation de l’espace public et de formes particulières de pratiques sociales d’usage de la langue.

86Le second point qui permet de définir ce qu’il en est d’un « parler jeunes » est lié à l’espace public. L’observation permet de se rendre compte de l’importance de l’espace dans la reconnaissance des identités et des pratiques symboliques qui les mettent en scène. S’il y a un « parler jeunes », sans doute est-il, d’abord, fondamentalement défini par les lieux où il est mis en œuvre. Avant même de parler de langue, voire d’usage particulier de la langue, il nous faut revenir à cette catégorie fondamentale élaborée par Habermas. En effet, dans l’espace privé, dans le lieu familial, ce n’est pas par le langage que « les jeunes » se définissent et se reconnaissent, mais bien par leur situation par rapport aux autres générations. C’est la filiation qui constitue les identités dans l’espace familial et dans l’espace privé. En revanche, il faut bien le langage, qu’il s’agisse des mots du « parler jeunes » ou des formes symboliques de leur langage, pour que les jeunes s’instituent une identité qui fasse l’objet d’une reconnaissance, à la fois par eux-mêmes, entre eux, et par les autres. C’est dire l’importance des lieux de la sociabilité qu’ils mettent en œuvre pour comprendre l’institution d’un parler jeunes.

87Enfin, cet espace public ne saurait être situé hors de l’histoire et du politique. Il ne saurait y avoir de parler jeunes sans reconnaissance de l’existence d’une médiation culturelle de la jeunesse dans l’espace de la sociabilité. Sans doute la véritable question n’est-elle pas celle d’un parler jeunes, mais celle de l’existence d’une culture jeunes, de lieux propres à la mise en œuvre de pratiques de médiation culturelle de nature à exprimer leur identité – voire à la leur constituer. Les formes du langage ne sauraient faire l’objet d’une analyse et d’une rationalité qui les séparent des autres formes constitutives de la culture et des médiations qui l’expriment dans l’espace public. Plus encore que des lieux constitutifs d’un espace public propre, ce qui peut constituer un parler jeunes, un ensemble de pratiques symboliques exprimant leur identité, ce sont de véritables pratiques culturelles au cours desquelles ceux que nous avons l’habitude d’appeler les jeunes puissent exprimer et sublimer les désirs propres dont ils sont porteurs. Même s’il s’agit d’une identité en transition, de telles médiations esthétiques et culturelles de la sociabilité leur confèrent, dans la société civile, une identité dont ils puissent se soutenir, dont ils se fassent reconnaître : dans laquelle ils puissent se faire entendre des autres, et, surtout, s’entendre eux-mêmes.

Notes

  • [1]
    Cette publicité par affiche mettait en scène deux enfants en train de se livrer, en portant des jeans, à des exercices sportifs de nature à considérablement solliciter l’agilité de leur corps.
  • [2]
    C’est en ce sens qu’il convient de revenir sur les formulations théoriques d’un Alain Girard. Le mimétisme ne peut, sans doute, pas être pensé comme concept fondateur de la sociabilité. En revanche, sans doute peut-il définir une forme de sociabilité en mouvement, en transition, en cours de formation, ce qui définit la « culture jeune ».
  • [3]
    Cf., ici même, l’article de Zsuzsanna Fagyal.
  • [4]
    Cela représente un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour mais un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour.
  • [5]
    Bien sûr, et au-delà de la jeunesse, une telle question peut se poser pour l’ensemble des âges. Le congrès de l’Association française de sémiotique (Lyon, juillet 2004), consacré à « la sémiotique des âges de la vie » aura, sans doute, à se poser la question au cours de ses débats et de ses réflexions. S’adresser, pour toute information, à : http://sites.univ-lyon2.fr/semio2004.
  • [6]
    Il s’agit d’un magasin où l’on peut pratiquer des jeux électroniques. Il est situé au centre, près de la place des Terreaux, lieu de rassemblement de beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes.
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