Couverture de CRPSY_001

Article de revue

S’il vous plait, dessine-moi un cancer… La narrativité en situations extrêmes

Pages 131 à 155

Notes

  • [1]
    R. Gori, « Vingt ans après », Cliniques méditerranéennes, 1, 69, 2004, p. 8.
  • [2]
    N. Luhmann (1986), Amour comme passion. De la codification de l’intimité, Paris, Aubier, 1990.
  • [3]
    A. Artaud, « Le surréalisme et la fin de l’ère chrétienne », dans Œuvres complètes, t. XVIII (Cahiers de Rodez, septembre-novembre 1945), Paris, Gallimard, 1983.
  • [4]
    G. Deleuze (1953), L’île déserte et autres textes (1953-1974), Paris, Éditions de Minuit, 2002.
  • [5]
    M.-J. Del Volgo, R. Gori, Y. Poinsot, « Roman de la maladie et travail de formation du symptôme », Psychologie médicale, 26, 1994, p. 1434-1438.
  • [6]
    S. Freud (1917), Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1990, p. 369.
  • [7]
    M. Duras, Détruire, dit-elle, Paris, Éditions de Minuit, 1969.
  • [8]
    G. Genette (1972) Figures III, Paris, Le Seuil, 1972, p. 72.
  • [9]
    Ibid., p. 280.
  • [10]
    P. Ricœur (1983), Temps et récit, Paris, Le Seuil, 1991.
  • [11]
    S. Leclaire, Le pays de l’autre, Paris, Le Seuil, 1991.
  • [12]
    A. Rimbaud (1871) « Lettre du voyant à Paul Demeney », dans Correspondance, Paris, Fayard, 2007.
  • [13]
    L. Sfez, La santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, Paris, Le Seuil, 1995.
  • [14]
    A. Rimbaud (1874), Conte, dans « Les illuminations », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2004.
  • [15]
    Verlaine (1881) Sagesse I, IV, dans Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992.
  • [16]
    Voltaire (1747-1748), Zadig ou la destinée, Paris, lgf, coll. « Livre de Poche », 1999.
  • [17]
    J.-L. Nancy, L’intrus, Paris, Galilée, 2000.
  • [18]
    M. Foucault (1966), Le corps utopique. Enregistrement sur cd de la conférence prononcée le 7 décembre 1966 sur France-culture, Paris, ina Mémoire vive, 2004  ; M. Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Éditions Lignes, 2009.
  • [19]
    P. Legendre (1978), La passion d’être un autre. Étude pour la danse, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2000.
  • [20]
    J. Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, p. 68.
  • [21]
    C. Dumoulié, M. Riaudel (sous la direction de), Le corps et ses traductions, Paris, Desjonquères, 2008.
  • [22]
    M. Casanova (2008), « Le corps et ses traductions chez Friedrich Nietzsche », dans C. Dumoulié, M. Riaudel (sous la direction de), Le corps et ses traductions,ibid.
  • [23]
    R. Gori, M.-J. Del Volgo (2005), La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël, coll. « Espace psychanalytique » ; Flammarion, coll. « Champs Essais », 2009.
  • [24]
    P. Barreau, Le coaching-santé : une relation d’être au monde, Paris, emc, Savoirs et soins infirmiers, 2010, [60-110-X-10].
  • [25]
    F. Chirpaz, L’homme précaire, Paris, Puf, 2001.
  • [26]
    I. Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Paris, Actes Sud, 1998.
  • [27]
    M. Frisch, Le désert des miroirs, Paris, Gallimard, 1966.
  • [28]
    Il me faut ici, d’entrée, rendre hommage aux équipes soignantes mais aussi à tous ceux qui exercent en ce centre de lutte contre le cancer, l’Institut Paoli-Calmettes, à Marseille. Je reste chaque jour admiratif de leur présence assidue et de leur engagement maintenu.
  • [29]
    S. Freud, « Le roman familial des névrosés » (1909), dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973, p. 157-160.
  • [30]
    Emblématique est celle qui se présente sous la question : « Pourquoi moi ? » qui ne manque d’en appeler à l’autre. « Que me veut l’autre ? », « Pour quoi suis-je ? », mais assurément plutôt « pour qui suis-je ? » en seraient les variations élues. En écho à « Que me veut-on ? » où le « on », surtout, prime, nous y reviendrons.
  • [31]
    P.-C. Racamier, Le psychanalyste sans divan. La psychanalyse et les institutions de soins psychiatriques, Paris, Payot, 1983.
  • [32]
    J. Cocteau, La machine infernale (1932), Paris, lgf, coll. « Livre de poche », 1992.
  • [33]
    Elle reste encore à élaborer, cette « déambulation » du psy, d’un lieu à l’autre, à l’hôpital. Le psy sans divan, assujetti à un cadre thérapeutique plus psychique que géographique, n’aurait-il pas comme fonction première celle de créer-trouver ces espaces potentiels où l’un et l’autre, psy et sujet malade – mais ceci ne manquera de se décliner pareillement pour ces autres « couples », psy et médecin, psy et équipe soignante, psy et tutelle… – découvrent ensemble un lieu pour penser, le lieu tranquille d’une élaboration mentale où puisse se poursuivre comme un jeu avec les objets internes : « Là où Ça joue » (Steven Wainrib, Revue française de psychanalyse, tome LXVIII, 2004, 1), c’est n’importe où !
  • [34]
    « Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat. Il était couché sur le dos, dur comme une carapace et, lorsqu’il levait un peu la tête, il découvrait un ventre brun, bombé, partagé par des indurations en forme d’arc, sur lequel la couverture avait de la peine à tenir et semblait à tout moment près de glisser. Ses nombreuses pattes pitoyablement minces quand on les comparait à l’ensemble de sa taille, papillotaient maladroitement devant ses yeux. […] » F. Kafka (1912), La métamorphose et autres récits, Paris, Gallimard, 1989 (coll. « Folio », 1990), note 20.
  • [35]
    A. Camus, La peste, Paris, Gallimard, 1947, coll. « Folio », p. 96.
  • [36]
    P. Ricœur, Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 18.
  • [37]
    E. Jabès, Le livre des questions, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1988.
  • [38]
    E. Jabès, Le livre des marges, Paris, Le livre de Poche, coll. « Biblio essais », 1984, p. 185.
  • [39]
    J. Borges, Fictions, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1984, p. 51.
  • [40]
    Faire en sorte que l’activité psychique soit suspendue, cesse d’exister. Les manifestations pulsionnelles sont alors désintégrées et le sujet ne ressent plus l’angoisse. À la base de tout ce qui a à voir avec le fait de suspendre tout lien avec l’extérieur.
  • [41]
    Forme d’identification en surface : comment vider de sens – et donc de profondeur, de matière – tout ce qui est vécu comme dangereux ? Comment éviter de disparaître ?
  • [42]
    J. Hassoun, L’exil de la langue. Fragments de la langue maternelle (1993), Toulouse, érès, coll. « Points Hors Ligne », 1999.
  • [43]
    Dans Entre la mort et la famille : l’espace crèche, Paris, F. Maspero, 1973.
  • [44]
    S. Freud, « Le problème économique du masochisme » (1924), dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973.
  • [45]
    S. Freud, Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973. On ne manquera de se rapporter tout autant au texte de sa fille, A. Freud, « Fantasme “d’être battu” et “rêverie” », dans Féminité mascarades, Paris, Le Seuil, 1994, p. 57-75, et à l’attention que P.-L. Assoun propose de soutenir quant à la présence d’Anna sur la scène de l’élaboration de la théorie du masochisme de son père (Leçons psychanalytiques sur le masochisme, Paris, Économica, 2003, p. 39-41).
  • [46]
    M.-A. Ouaknin, Le livre brûlé. Philosophie du Talmud, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1993.
  • [47]
    S. Freud, L’interprétation des rêves (1899-1900), Paris, Puf, 1967, p. 274.
  • [48]
    D.-W. Winnicott, « La crainte de l’effondrement », Nouvelle revue de psychanalyse, 11 (Figures du vide), 1975, p. 40.
  • [49]
    S. Leclaire, On tue un enfant, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1981.
  • [50]
    P. Favaro, On ne meurt pas, on est tué, Paris, Denoël, 2001 et Gallimard Jeunesse, coll. « Scripto », 2004.
  • [51]
    R. Munier, Mélancolie, Paris, Le Dyctalope, 1987.
  • [52]
    A. Miller, Notre corps ne ment jamais, Paris, Flammarion, 2004.
  • [53]
    F. Roustang, Elle ne le lâche plus, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
  • [54]
    A. La Rivière, « Prendre le temps… Pensées en vrac », Filigrane, 3 (Vieillissement et capacité thérapeutique), 1994, Montréal, Québec.
  • [55]
    « Plus de lumière ! » furent les dernières paroles de Goethe, sur son lit de mort, en mars 1832, dans sa maison de Weimar.
  • [56]
    Ibid., note 1, p. 46.
  • [57]
    P. Forrest, Sarinagara, Paris, Gallimard, 2004.
  • [58]
    P. de Duve, L’orage de vivre, Paris, J.-C. Lattès, 1994.

Topologie d’une pratique

1J’exerce en cancérologie. J’y rencontre chaque jour des malades, leurs familles, des équipes de soins, qui tous traversent une expérience extrême, au sens de Bettelheim.

2Je serais incapable de réduire, même temporairement, cette pratique à ce curieux assemblage entre psychanalyse et médecine, et je serais plutôt enclin à penser, avec Roland Gori [1], que « la médecine la plus sophistiquée, la plus technoscientifique, sécrète toujours davantage la nécessité d’accueillir et de traiter ce reste auquel s’adosse son dispositif : l’appel du malade et la mission aléatoire du médecin de prendre en charge la détresse et la souffrance. […] je suis certain que la médecine authentiquement hippocratique n’aura de cesse dans les années à venir de solliciter la psychanalyse. À nous de ne pas la décevoir, faute de quoi nous laisserions la place et la fonction éthiques à des techniciens de l’éthique, biotechniciens, à même de feindre de combler les vides laissés par les retraits du politique et l’anéantissement des espaces d’intersubjectivité ».

3Mon insistance enthousiaste à travailler en ce champ depuis près de quinze ans maintenant a sûrement pour fonction de maintenir intact ce fil fluet sur lequel je fais fonction d’équilibriste, hésitant entre cette barbarie si proche et la détresse, héritée de cette figure freudienne s’il en est, du nourrisson dans sa dépendance originaire.

4Cette recherche toujours fragile d’équilibre, elle est aussi une incessante interrogation de ce nouement, cette « interpénétration », dit Niklas Luhmann, sociologue allemand contemporain [2], qui conjoint ce qu’on appelle ordinairement l’âme au corps. Existe-t-il d’autres lieux que ceux du corps ? Il y a une expression subtile d’Artaud, l’en-cage de l’être[3], qui rappelle que, pour s’incarner, l’âme doit sortir (et non entrer) dans le corps. Sortir indique un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, comme si l’âme, tant qu’elle n’est pas incarnée dans un corps, était en cage.

5L’idiome d’Artaud nous rappelle que le corps, « mon corps », toujours, est tributaire de la langue car il existe une corrélation étroite entre les représentations du monde, les représentations de soi et la langue qui les véhicule. « Mon corps » est un objet du monde et comme tel, il est nécessairement soumis, dans mes représentations, aux contraintes de la langue. Il parle, mon corps, un langage souvent aphasique, brouillé, confus : il sait se « costumer », se « dénuder », cacher, montrer, révéler par ses sursauts, ses tensions, ses couleurs – rougir, blêmir, être bleu de froid, jaune de peur… –, son intime. On lui parle aussi, on s’adresse à lui, souvent sans mots, avec des gestes, doux, violents, des médications… Il peut être l’objet de transformations, de pertes, de mutilations, mais il reste toujours le corps d’un sujet, même souffrant, inquiet, parcellé mais sujet. « Mon corps » est fait autant de représentations psychiques et culturelles que de chair et d’os : lui-même et toutes les techniques qu’il convoque ne peuvent être considérés dans les seuls plans de l’anatomie, de la physiologie, de la biologie ou de la psychologie, de l’anthropologie ou de la… narrativité. Mon corps me raconte des histoires, me mène en bateau, mais tout autant il est continûment « branlé », pour parler comme Montaigne, de mots et de récits.

6Il existe un texte relativement peu connu de Gilles Deleuze, « Causes et raisons des îles désertes », dans lequel il établit une nette distinction entre deux types d’îles : « Les îles continentales sont des îles accidentelles, des îles dérivées : elles sont séparées d’un continent, nées d’une désarticulation, d’une érosion, d’une fracture, elles survivent à l’engloutissement de ce qui les retenait. Les îles océaniques sont des îles originaires, essentielles : tantôt elles sont constituées de coraux, elles nous présentent un véritable organisme, tantôt elles surgissent d’éruptions sous-marines, elles apportent à l’air libre un mouvement des bas-fonds ; quelques-unes émergent lentement, quelques-unes aussi disparaissent et reviennent, on n’a pas le temps de les annexer [4]. »

7Je voudrais proposer de penser, par cette bicatégorisation architectonique séparant le tellurique de l’océanique, l’originalité de la rencontre avec le sujet « empêché » par la maladie. On comprendra ainsi que le fil évoqué plus haut, hésitant entre barbarie et détresse, organise en fait cet affrontement – affûté pour ce qui en est de médecine et psychanalyse – entre structure et événement, discours et acte, histoire et fait historique…

8Entendons-nous. Cette ligne de fracture pourrait s’établir ainsi : « Qu’est-ce qui fait histoire pour un sujet ? » En quoi le roman de nos vies, le roman de nos maladies [5], pour reprendre Marie-José Del Volgo et Roland Gori, ne relève que d’une continentalité hier encore homogène et dorénavant accidentée ? La fragmentation désarticulée de nos existences, traversées par la maladie, comme un « accident » de vie – étape développementale pour les uns, rupture biographique pour les autres, voire véritable épisode traumatique –, s’exerce-t-elle en fonction d’une ruine préalable, d’une fracture essentielle ? L’événement viendrait-il s’inscrire dans une sérialité aussi aléatoire que heurtée de ce qui fait retour, dans un récit qu’il constitue en archipel. Freud le rappelle : « Le symptôme fourni par la réalité devient immédiatement le représentant de toutes les fantaisies inconscientes qui épiaient la première occasion de se manifester [6]. » Et Duras aussi, à sa façon : « L’histoire de votre vie, de ma vie, elle n’existe pas, ou bien alors il s’agit de lexicologie. Le roman de ma vie, de nos vies, oui, mais pas l’histoire. C’est dans la reprise des temps par l’imaginaire que le souffle est rendu à la vie [7]. »

9Je m’arc-boute sur ce souffle, cette mise en récit et en mots du sujet par et à travers les événements qu’il vit. La matière même de ce que vit le sujet ne serait jamais première, originelle, mais c’est bien à partir d’elle que procéderait le récit : jamais l’inverse.

10La diégèse est un pur produit du sujet. Quand Gérard Genette développe la notion de diégèse pour l’appliquer à la littérature, il l’emprunte d’abord aux théoriciens du récit cinématographique. Elle est pratiquement synonyme d’« histoire [de] signifié ou contenu narratif [8] ». Par la suite, la diégèse représente tout « l’univers spatio-temporel désigné par le récit [9] », autrement dit, toutes les parties temporelle et spatiale concernant le récit.

11« L’histoire ne vaut que pour ce qu’elle raconte de ce qui s’est passé à ceux qui n’y étaient pas eux-mêmes », écrit Ricœur [10]. Sommes-nous présents au cœur du fait historique que nous vivons ? Proférons-nous toujours de cet événement un récit « à la première personne » qu’un auditeur pourrait considérer avec intérêt, curiosité ou détachement ? Rapidement, ce récit laisse entrevoir ses coutures et ses accrocs, il dévoile son statut de fiction, de croyance, d’illusion, de mise en scène de fantasmes, de construction vraisemblable, mais falsifiée, de tous les personnages, à commencer par le « je » lui-même qui se prend pour l’auteur de cette autobiographie. « Je » se raconte des histoires et m’en raconte. Quelles vérités néanmoins sont à l’œuvre en cette chronique du soi ? Un sujet qui dit « je » est en proie à quelque chose – le cancer est-il cette chose ? – qu’il ne comprend pas, dont il ne sait rien, malgré toutes les paroles qui lui ont été adressées, les informations qu’il a pu recevoir, les protocoles, les examens ; il ne sait pas au juste ce qui lui arrive. Il en sait si peu sur tout cela qu’on pourrait dire qu’il est en proie, de façon intransitive, se sentant « saisi » par un prédateur dont il ne manquera d’évoquer aucune des représentations, culturelles et historiques. Suis-je la proie exclusive de la nature défaillante, la génétique incertaine, la maladie, le destin, le hasard… ? Quelle est donc l’histoire officielle de ma vie ? Serais-je contraint de ne tenir que la chronique non authentifiée des faits divers de mon existence ? Ai-je quelque influence, déterminante, sur mon avenir ? « L’identité n’est pas un héritage mais une création », écrit Mahmoud Darwich. Voyage-t-on incessamment en ce pays de l’autre dont Serge Leclaire nous disait qu’il « n’est la terre de personne, ni d’un lui, ni d’un toi, ni d’un moi : il s’ouvre dans l’entre-deux de la rencontre et rien ne peut en garantir les frontières puisqu’il n’en a pas [11]… » ?

12Qu’est-ce que la rencontre avec un événement tel que le cancer peut ouvrir ? Ou fermer, couvrir, recouvrir ? Que, qui faudra-t-il alors parfois aller débusquer derrière cette forêt de mots, d’actes, que le sujet risque ?

13Ces questions et bien d’autres, incessamment ouvertes, me travaillent, depuis longtemps. Gilles Deleuze, dans le texte précédemment cité, précise ce qu’il cherche à faire en distinguant deux régimes spécifiques d’îles : « Rêver des îles, avec angoisse ou joie peu importe, c’est rêver qu’on se sépare, qu’on est déjà séparé, loin des continents, qu’on est seul et perdu – ou bien c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence. Il y avait des îles dérivées, mais l’île, c’est aussi ce vers quoi l’on dérive, et il y avait des îles originaires, mais l’île, c’est aussi l’origine, l’origine radicale et absolue. Séparation et recréation ne s’excluent sans doute pas, il faut bien s’occuper quand on est séparé, il vaut mieux se séparer quand on veut recréer, reste qu’une des deux tendances domine toujours. »

14Entre ce couple de termes, séparation-recréation, dont la tension s’exerce de part en part, réside la compréhension existentielle de ce champ déjà évoqué des malades somatiques graves en général et du cancer en particulier. Tous les malades du cancer rêvent « follement » de (se) recommencer, de se recréer, de se refaire un corps neuf.

15Dans sa lettre dite du voyant [12], Rimbaud professe son fameux « Je est un autre » et par là même une conception originale de toute création artistique : le poète ne maîtrise pas ce qui s’exprime en lui, pas plus que le musicien ou le peintre. Selon lui, le sujet de l’énonciation, celui qui parle – moi, je – ne serait donc jamais celui qu’il est ou qu’il croit être ou encore que les autres croient connaître. Rimbaud continue : « Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. » Tant pis pour le bois qui se trouve violon. Et tant mieux pour le sujet qui, selon le poète maudit, n’est jamais identique à lui-même et n’existe que dans cette dynamique qui le fait à chaque instant différer de soi. Nous sommes appelés à nous transformer constamment, à parcourir les océans du quotidien tel un « bateau ivre » partant à la rencontre de mondes inconnus, à nous faire « autre » en nous libérant de nos « habits du moi », parfois contraignants et étriqués. Mais il faut être poète, pour se libérer de ce qui nous emprisonne. De ce corps qui parfois à lui seul nous est une prison. Le malade, perclus de douleurs, marqué au corps, le peut-il ? Cette navigation n’est-elle pas tellement risquée pour lui, déjà fragilisé, ébranlé par ce qu’il vit ? Cette quête aventureuse de soi est alors pleine de dangers, et parfois le bateau ivre, ce vaisseau amiral du Moi, n’est qu’un frêle esquif sur les mers démontées de la vie : il ne souhaite que retourner au port, retrouver sa vie d’avant, même s’il y était aliéné, réhabiter son corps d’avant, réhabiliter ses pensées d’avant. En un mot, se réveiller de ce cauchemar, se persuader comme Proust que « les vrais paradis sont ceux qu’on a perdus » et s’en affliger. Cet autre soi ne possède pas toujours les clés d’un autre monde, rêvé, enchanté ; il donne parfois accès à des côtes tourmentées, ténébreuses du Moi, où s’amarrer effraie ; il nous apprend que le bonheur n’est pas forcément dans la possession d’un autre monde, la découverte de nouveaux territoires du Moi, mais peut être « simplement » de rendre celui que nous habitons, plus supportable, plus accueillant. Est-ce cela, transformer le bois en violon : retrouver l’Homme vivant en soi, ne plus subir ? Retrouver cette grande santé dont parlait Nietzsche, cette santé parfaite qui, pour Lucien Sfez, est une nouvelle utopie [13], une nouvelle figure bio-écologique qui suggère l’idée, inquiétante, d’une hygiénisation, purification générale de la planète et de l’homme.

16Il n’y a nulle énigme dans cette « santé essentielle » qu’en 1874 – il a alors 20 ans –, Rimbaud convoque dans son poème Conte[14]. Verlaine, dans son recueil Sagesse, composé à l’occasion de son emprisonnement à Bruxelles – en juillet 1873, au cours d’une dispute, il tire deux coups de feu sur Rimbaud, le blessant légèrement –, dresse un superbe portrait de lui, dans les premières lignes duquel il évoque « la force et la santé comme le pain et l’eau [15] » de son cher Arthur, son égérie. La question du corps affleure derrière ces hermétiques allusions, la santé du corps, les plaisirs du corps et tout autant la question de la mort, « petite » pour jouir, « grande » pour l’éternité. La passion qui « habitait » Rimbaud et Verlaine n’est plus à rappeler. Cette passion « immortelle » réclame formellement cette « santé immortelle » qu’appelait déjà Voltaire en son Zadig – « Que la santé immortelle descende du ciel pour avoir soin de tous vos jours [16] ». Cadeau du ciel, elle figure une des formes idéales du Moi : c’est dans son corps que le sujet s’identifie et même s’éprouve. Les expériences corporelles ont et auront toujours, par l’énigme même de leur révélation, fonction de révélation, d’interprétation, charriant des questions identitaires, narcissiques, mais tout autant ontologiques et politiques. Parenthèse attendue : tout processus narratif ne s’inscrit-il pas de fait dans la démesure de ce corps, qui parle et que nous tentons de parler ? Tout corps ne convoque-t-il pas la fiction tant il convient de se déprendre de son réel, inaccessible ?

17L’intrus[17], de Jean-Luc Nancy, philosophe derridien de l’impossible et toujours nécessaire déconstruction du christianisme, doit ici être sollicité : « D’un même mouvement, le “je” le plus absolument propre s’éloigne à une distance infinie (où passe-t-il ? En quel point fuyant d’où proférer encore que ceci serait mon corps ?) et s’enfonce dans une intimité plus profonde que toute intériorité […] ». Un peu plus loin le philosophe, se mettant à nu en dénudant l’opération chirurgicale dont son corps a été le support, note, dans une proximité intellectuelle avec la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, que « la vérité du sujet est son extériorité et son excessivité : son exposition infinie. L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie » (p. 42). La passion d’être un autre comme geste de l’expropriation même ruine toute idée de propriété, mon corps ne m’appartient plus. Tous les malades que j’ai rencontrés, dans cette « exposition infinie », en appelaient à une re-création, rédemption, réparation, restitution ad integrum d’un corps d’avant. Pas tant leur corps d’avant la maladie que leur corps d’avant, d’un temps d’avant entendu comme premier, originaire, original, qui sonne si bien avec virginal. La pureté séraphique de l’âme enfantine. Qui montre sous son masque intouchable sa face meurtrie et meurtrière. Quelle passion pour cet autre d’avant, jamais connu mais tant chéri, espéré, que la maladie, les douleurs, les infirmités font rappliquer de si loin, du fin fond de nos rêves les plus fous !

18« Mon corps, topie impitoyable », rappelle Foucault. Il faut réécouter la transcription intégrale de sa conférence : « Le corps utopique », prononcée le 7 décembre 1966 sur France-culture [18]. Qu’y a-t-il de moins utopique, demande Foucault, que le corps qu’on a ? Rien n’est en effet moins utopique que le corps, lieu duquel il ne nous est jamais donné de sortir, auquel l’intégralité de l’existence nous condamne. Semble-t-il. Car cette affirmation suscite son objection, que Foucault formule aussitôt : rien n’est certes moins utopique que le corps lui-même, à ceci près que nul ne l’est plus que lui aussi, que c’est de lui que sont nées et nous sont venues toutes les utopies – le corps est lui-même une autotopie en quelque sorte, par opposition aux « hétérotopies » qu’il imaginait dans une autre conférence. Le corps grandi, tatoué, maquillé, masqué, forme autant de figures possibles de cette utopie inattendue et paradoxale du corps. La parure, les uniformes en sont aussi de possibles. Comme la danse ou encore la possession… Mais, c’est l’érotisme, à la fin – Michel Foucault dit même « faire l’amour » – qui est le plus susceptible d’apaiser l’inapaisable désir du corps de sortir des limites qui sont les siennes. Ou des caresses comme moyen d’« utopiser » le corps, mon corps, ce lieu du paradoxe, à la fois ici duquel je ne peux fuir, et ailleurs que je n’atteins jamais. Les malades en attendent des caresses, tant et tant ; voyez le regain saisissant des médecines douces aujourd’hui. Cette allusion de Foucault à la danse – « corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à la fois » – me rappelle cette patiente de 56 ans, en soins palliatifs après un cancer de l’utérus et une chirurgie très mutilante du petit bassin. Au cours d’un entretien, elle me raconte un rêve. Actrice connue, elle tourne le dernier plan d’un film d’amour qui la montre comme allégée, esquissant dans la rue, à l’aurore, quelques pas de danse. La critique encense son rôle, disant d’elle qu’elle tutoie les étoiles, gracile, aérienne, éolienne. Après son récit, elle garde le silence, un long temps ; un sourire se dessine doucement sur ses lèvres. Je pense au poème rimbaldien et à l’éternité retrouvée. La danse est précisément la « passion d’être un autre » dont traite le livre éponyme de Pierre Legendre [19]. La danse pour Friedrich Nietzsche, c’est la création allégée du fardeau des valeurs qui écrasent la vie. La danse – « corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à la fois », écrit Foucault –, c’est aussi le projet final de cette cigale, ayant chanté tout l’été, quand, à l’automne de sa vie, la bise venue, la famine et la fin s’annoncent : « Vous chantiez, j’en suis fort aise/Eh bien dansez maintenant », conclut la fourmi pas prêteuse. Ma patiente est morte quelques jours après ce rêve, elle est partie danser sa vie sous d’autres cieux…

19L’intrus de Jean-Luc Nancy permet de re-penser le concept nietzschéen d’éternel retour. L’intrus est un revenir qui est notre devenir : nous devenons et, parce que l’intrus revient toujours nous rappeler que lorsque nous devenons, nous différons, nous ne sommes jamais identiques à nous-mêmes, toujours « exappropriés [20] ».

20Le corps en ses traductions[21] fait toujours œuvre originale. Marco Casanova ajouterait : « Le corps vit, en somme, dans ses traductions, et il n’a aucune réalité en dehors de ses traductions. Vivre, c’est essentiellement traduire [22]. » Parenthèse usuelle : la narrativité est une des traductions du corps. Insuffisante, pourrait-on ajouter.

21Les atteintes au corps engendrent une incroyable prolifération du sens et des formes, généralisent la figure du survivant, soumettent l’homme à la tyrannie de la corporéité parfaite, à la médicalisation de l’existence [23] ou au dressage civilisateur du corps. Toujours nous hésitons entre l’immortalité, les promesses du paradis et la chair périssable, les peines de l’enfer.

22Tous les malades ont connu ce moment où s’éprouve l’impression d’être face à quelque chose de soudain et d’inouï. Cela est toujours sidérant, brutal et massif, et fait vaciller les repères habituels de leur jugement. Les malades qui font cette expérience sont ensuite en manque de mots pour dire et nommer ce qu’ils vivent – comme on dit de quelque chose que « ça laisse sans voix ». « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? » « Y’a rien à raconter, c’est comme ça, c’est tout, c’est arrivé, voilà ! » Ils peuvent cependant la penser, cette expérience, même s’ils la taisent voire l’ignorent, jusqu’à être « clivés ». Ils ressentent les choses de manière confuse, sur le mode du malaise, voire de l’angoisse, ce qui autour d’eux suscite d’ailleurs l’envie de s’écarter. La famille, les proches, les collègues de travail, tous d’une manière ou d’une autre, partagent une vraie réticence à entendre parler de ces choses-là, renforçant alors la mise sous le boisseau de ce qui est vécu. Le cancer suscite toujours des sentiments forts, parce qu’il fait approcher une certaine horreur.

23Face à cette « horrifiante » vision, la narration serait-elle le nom de ce travail poétique qui transforme le réel en une transe un peu plus jouissive ? Précisons, cela ne constitue pas le travail du « psy » comme on dit, qui exerce en ces lieux de soins. Il faudrait, paraît-il, des « psys » dans tous les services de médecine, présents, en nombre et temps. Ce souci psychologisant de l’autre m’éreinte au possible. Quand tout est dit « psy » ; quand comprendre l’autre, être empathique, est une injonction, tant du côté des malades que des proches, des familles, des soignants ; quand la psychologisation déborde de gentillesse, compatissante, doucereuse, si prompte à faire l’impasse sur la haine, la violence, la mort ; quand la conflictualité est tue, éteinte, et qu’explosent alors conflits d’équipe, épuisement professionnel, manipulations perverses, harcèlement, violences institutionnelles… ; quand il est laissé penser que la rencontre avec le malade ou sa famille peut être « idyllique », comme le travail en équipe, la collaboration comme on dit, avec ses relents historiques ; quelle clinique serait la nôtre ?

24Vous l’avez compris, je ne me résous pas à la posture réconfortante et paternaliste du « supplément d’âme » et de l’accompagnement des malades, je répugne à être au service du mythe de l’individu autogéré qui ne demande qu’à être éduqué – éducation à la santé, disent-ils – et coaché – « le coaching santé est un processus destiné à favoriser un environnement de croissance et d’optimisation du potentiel de la personne [24] » – je combats cette « médecine vétérinaire appliquée à l’humain », comme la formulait Jacques Schotte.

25Dans Logique des passions, Roland Gori écrit : « Des discours qui habitent l’humain nous n’avons que les mots pour retrouver un monde perdu ou que nous n’avons jamais possédé. Et sous les mots, il y a encore d’autres mots, et sous les autres mots d’autres mots encore… »

26Avec les malades du cancer, ces mots, toujours, sont féconds. Leur but n’est pas de les aider à redevenir comme avant, mais de les aider à devenir comme après. Après ce que François Chirpaz nomme « l’épreuve des confins [25] », quand le sujet est « dans la proximité, dans l’expérience ordinaire de la part énigmatique d’une altérité inquiétante et qui est la mort même. » Mais avant de mourir, nous avons encore et toujours à « apprendre à vivre », selon la belle expression de Kertész [26]. « Vivre, par définition, cela ne s’apprend pas. Pas de soi-même, de la vie, par la vie. Seulement de l’autre et par la mort », rectifiait Derrida. Il continuait : « Nous sommes structurellement des survivants, marqués par cette structure de la trace, du testament. »

27La narrativité nous apprend combien passionnante est cette survivance et combien des marges aux confins, de la périnatalité à la fin de vie, de maux en mots, il nous faut cheminer. « Il faut marcher », disait Jean Oury.

28Je voudrais, pour clore cette bien longue, je vous l’accorde, introduction, proposer de penser la narrativité comme un chemin de vie qu’au quotidien nous empruntons pour rester humain.

Et vogue le navire !

29« Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne. Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père ; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. » Genèse 9, 20-23.

30Or donc le père Noé, une fois la Terre asséchée et sa ménagerie débarquée, se serait tapé une belle cuite. Bâtir l’Arche et sauver les animaux du Déluge, quelle aventure, fallait bien célébrer sa réussite ! Le voilà pas qui s’effondre, selon la Sainte Bible, ivre mort et gravement à poil. Le cadet de ses fistons se bidonne sans vergogne, les deux autres recouvrent pudiquement leur ivrogne de père de son manteau en s’approchant de lui à reculons.

31À l’époque Noé (en hébreu, נֹחַ nōa’h signifie repos ou consolation) a à peine plus de 600 ans, être patriarche biblique, ça conserve, il vivra d’ailleurs 350 ans de plus… Première parenthèse – et vous verrez qu’il s’en ouvrira des parenthèses dans mon propos –, la narrativité fricote toujours avec sa sœur de lait, la temporalité. Faut-il ici rappeler le mythe de Pénélope ? L’épouse d’Ulysse, parti depuis des lustres et présumé mort, est soumise aux demandes incessantes de mariage de ses prétendants. Elle invente un nouveau jeu de patience : elle répondra à la demande de ces soupirants avides de pouvoir le jour où elle aura terminé sa tapisserie. Mais ce qu’elle tisse le jour, elle le défait la nuit ; ainsi l’œuvre n’avance guère et c’est toujours du temps gagné sur le temps. Or donc, à chaque jour, chaque nuit, nous brodons nos vies, nous tissons et détissons les langes narratifs dont nous nous recouvrons. À cette seule fin, comme la Shéhérazade du conte, de prolonger nos vies, d’espérer en des lendemains qui chanteront, qui fêteront le retour de l’aimé, la consolation – noa’h – de son retour, le repos bien mérité. Broder sa vie, se la raconter comme on dit, ne serait-ce pas maintenir vivant, plus vivace, ce fantasme d’éternité qui nous fait humain ? Si dans la famille narrativité, je demande la sœur temporalité, n’oublions pas la mère, la mort.

32Cette histoire d’une immense inondation destructrice traversée par un vaisseau salvateur se retrouve dans plusieurs cultures, tout particulièrement au Moyen-Orient. La plus connue et la plus détaillée est racontée par la Bible, mais on trouve des récits apparentés et parfois très antérieurs, comme ceux des tablettes sumériennes, ou des inscriptions babyloniennes, mais aussi en Grèce, en Inde et même chez les Romains. Plus ou moins divergentes dans les détails, elles reprennent cependant l’essentiel de l’imagerie thématique originelle sans trop en altérer le contenu.

33Et si nous la détournions ainsi : il était une fois un homme comme tous les hommes soumis aux ahurissants aléas de la vie et du hasard et qui va devoir traverser tempêtes, enchantements et souffrances pour, peut-être, sauver sa vie. Cet homme, en pleine traversée ou échu sur la grève, après son long et douloureux voyage, comme ils disent, va raconter – se raconter et raconter, ses mille et une nuits, son odyssée, son roman, ses aventures, sa broderie.

34Je vous propose d’aller à la rencontre de ces lieux dits hospitaliers et où se jouent et se déjouent parfois de bien singulières histoires, quand la maladie exproprie le sujet de son corps et de son histoire ; quand la maladie étrange le quotidien des jours et laisse planer sur l’avenir son ombre funeste.

35Mais avant, revenons à l’Arche. En hébreu, tébah ou taw/bet/hé est un contenant, une boîte, mais il désigne aussi « le mot », comme si le mot était le véhicule de survie d’un trésor qu’il contient. Quel trésor ? La légende sumérienne du déluge le qualifie de « la semence de tout ce qui vit ». Le but de la survie serait-il ainsi non seulement de préserver la vie humaine, mais aussi de maintenir vivants l’esprit des mots et les histoires qu’ils édifient ?

36« Et vogue le navire ! » qui nous emporte vers Ithaque, ou Cythère, à moins que ce ne soit encore vers ce « Never Neverland », cette île du Jamais Jamais ou ces continents, de l’autre côté de la mer, dont rêvait Christophe Colomb… Quand le voyage n’a rien d’une partie de plaisir et que bien des délices s’absentent du jardin vers lequel nous tous rêvons d’embarquer, quand errance, écueil, naufrage, rythment ces temps de navigation, quand nous craignons à chaque instant d’être emporté par une lame de fond, d’étranges sirènes ou d’horribles monstres, que nous reste-t-il ? Sinon le trésor des mots… Et l’histoire de nos vies. Mais l’histoire d’une vie n’existe pas. Elle reste à écrire. Surtout elle reste à vivre.

37« Un homme a fait une expérience, maintenant il cherche l’histoire qui lui convient – on ne peut pas vivre avec une expérience qui demeure sans histoire [27]… »

Des malades en général et du cancer en particulier

38À l’hôpital [28], chaque patient que je rencontre et qui entre dans ce petit bureau, tout au fond d’un long couloir d’un bâtiment de consultation, se conte et me conte une histoire de lui-même dont le « je » est le héros. Ce roman – familial, assurerait S. Freud [29] – est tenu tout prêt pour répondre à la question : « Dis-moi qui je suis ? » qu’ils souhaitent venir déposer et élaborer ici, dans ses multiples figurations [30]. Cette vérité sur soi-même peut-elle se dire, s’entendre ? Non, bien sûr, pour la raison que ses pièces essentielles, sans lesquelles elle ne pourrait se construire, dépendent de quelque chose qui demeure inconnu : le désir de l’Autre qui nous a propulsés en ce monde, qui nous a incorporés à sa culture et à ses lois, un désir que personne ne connaît, spécialement pas cet Autre.

39Dans le travail que nous menons en commun, avec le patient, il ne s’agit pas pour moi de recueillir son autobiographie, ni non plus d’en corriger le récit par l’apport d’éléments de « sens » provenant de mon savoir, comme si celui-ci formait un complément qui suppléerait le défaut de savoir de mon patient. Je ne me sens guère une âme d’« ambassadeur de la réalité » comme requis par Paul-Claude Racamier [31] et je ne vais assurément pas lui proposer d’échanger une autobiographie pour une autre, enrichie par mes élucubrations. Ce point étant posé, mon travail est justement là pour désarticuler « l’histoire officielle » afin que le sujet puisse reconnaître en elle son caractère de fiction – organisée autour de fantasmes et d’idéaux qui proviennent non de lui-même, mais de l’Autre. Il s’agit bien de disséquer l’anatomie de ce « je » acteur qui usurpe la place du sujet. À présent, émancipé de la pesante tâche de se justifier et de se rendre « objectif », comme si une chose pareille pouvait se commander à un sujet, celui-ci peut s’ouvrir à la possibilité d’une écriture, sa première écriture à lui, de sa propre existence. Je ne dis pas : une ré-écriture, car la première a été écrite ni par lui ni pour lui, mais par l’Autre et pour l’Autre.

40Une des conséquences de cette terrible nouvelle qu’administre au patient le savoir médical est bien de faire vivre à ce sujet malade une expérience que l’on pourrait sans peine qualifier de tragique et de transcendantale.

41Tragique car, tenant le « je » constamment en alerte, le cancer peut être, pour reprendre le titre de la pièce de Cocteau, cette « machine infernale [32] » qui broie les corps et les esprits, forçant le sujet, souvent, à de subtiles déclinaisons des notions de désespoir, culpabilité, expiation, rédemption. Proférant avec la plus soudaine démesure – ce que les Grecs nomment ubris – sa condition humaine, le malade d’aujourd’hui porterait-il le masque du héros antique ?

42Transcendantale en ce qu’elle dépasse toute pensée, tout possible, ne peut être l’objet d’aucune représentation, d’aucune connaissance et ce, même au dédit de toutes les informations médicales reçues sur sa maladie. Transcendantale aussi, d’une certaine façon, en ce que cette expérience se situe au-delà de la mort de ce « je ».

43Cette épreuve ne saurait se vivre sans peines ni souffrances. Tant de peines et tant de souffrances que parfois la place de cet Autre, qui apparaît en sous-texte, tout en bas de la page de la vie que le patient s’imagine devoir achever, dans la mort, est aussitôt comblée par un para-roman, une nouvelle histoire qu’il faut vite et à tout prix construire.

44Au bout du compte, dans l’une ou l’autre des alternatives, le sujet en vient à se reconnaître autre.

45Voilà donc, dans ce petit bureau, tout au fond d’un long couloir d’un bâtiment de consultation, disais-je, mais tout autant dans une chambre d’une unité d’hospitalisation, un box de chimiothérapie, un espace créé pour l’occasion, deux chaises un peu à l’écart [33], un sujet qui parle et sa parole éclatée, inquiète, inachevée, va, vient, s’interrompt pour mieux reprendre. Un sujet parle et d’emblée il prend possession de cet espace, il prend place, il s’installe. Quelques secondes à peine auparavant, il m’était un total inconnu, un homme quelconque, une femme ordinaire, et voilà que tout à coup, ils sont au cœur de moi-même, au plus près, au plus vrai.

46Il dit « je » : « Je suis malade », « j’ai un cancer », « j’ai attrapé un cancer », parfois même « je me suis fait un cancer ». Il dit aussi : « Je suis là parce qu’on m’a dit de venir vous voir », « j’ai peur », « j’ai besoin de comprendre » ou « il faut que vous m’aidiez » ; qui peut se dire encore : « Est-ce que vous pouvez m’aider ? » ou « on ne nous écoute jamais ».

47Il dit « je » mais déjà se vit autre : cette bête qui est en dedans de lui, qui le bouffe de l’intérieur, qui le détruit, le pourrit, gâte – dans tous les sens de ce mot – sa vie et ses projets, se répand de partout, altère sa vision du monde et de lui-même, avive toutes ses douleurs – cette bête, est-ce lui, est-ce sa maladie qui l’a « animalisé », qui l’a métamorphosé, au sens le plus radical de Kafka [34] ? Que lui reste-t-il de sa vie passée dont il se sent « ravi », celle que déjà il nomme la vie d’avant, exproprié de ce qui faisait cette vie, saturée de petits faits et de grands instants, d’idées assurées sur tout et sur lui-même, de désirs, toujours renouvelés ? Il se sent rejeté de ce monde ouvert, immense, où tout semblait possible, un monde libre et sans entraves, joyeusement bancal mais vivable.

48Il dit que le mal d’un coup arrive à « je » et non pas le mal comme maladie ou comme cancer, c’est pire ce qui arrive, et il le sait, il sait tout déjà ; c’est le malheur qui est là, dit-il, qui s’est abattu sur moi, sur ma famille, le mal comme funeste présage, comme mauvais temps. Par ce mal, il se demande bien sûr s’il ne « paye pas » pour une faute passée, la sienne ou plus largement, celle de ses ancêtres ? Dans La peste – « ce mal qui répand la terreur » –, après le sermon du père Paneloux qui fait de ce fléau l’instrument du châtiment divin et appelle ses fidèles à méditer sur cette punition adressée à des hommes privés de tout esprit de charité, Albert Camus évoque cette réaction d’un paroissien : « Simplement le prêche rendit plus sensible à certains l’idée, vague jusque-là, qu’ils étaient condamnés, pour un crime inconnu, à un emprisonnement inimaginable [35]. » À l’aube d’une belle matinée de février, quand les portes de la ville d’Oran vont enfin s’ouvrir, la peste éradiquée, les habitants qui savourent leur liberté n’oublient pas que cette épreuve « les a confrontés à l’absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine ».

49En définitive, pour ce sujet-là qui parle, la question du mal reste, comme l’écrit Paul Ricœur, « une unique énigme [36] ».

50Et tout ce qui le tient encore un peu, celui-là qui parle, la peur, l’angoisse, ses questionnements sans fin, sa déroute face à tant de mystères, il me les repasse.

51Tout de suite, chaque fois, j’éprouve une tension étrange à ce moment, je ne sais rien de lui, d’elle, de leur vie, et pourtant moi aussi je sais : je sais qu’il a un cancer, qu’il est là pour le traitement, qu’il est « naturellement » inquiet, qu’il est, déjà, « en attente », attente d’un examen, d’une hospitalisation, d’un résultat, d’une réponse, d’un dénouement.

52Je suis en face d’un « je » qui parle. De quoi parle-t-il ? Oui, vraiment, de quoi ?

53Un sujet qui dit « je » se raconte, se confesse, plutôt se court après, se poursuit.

54Je cours avec lui. Où allons-nous ? À cet instant précis, je n’en sais rien. Je sais juste que notre voyage ne va pas être de tout repos, que d’aucuns vont trouver en eux cette « force exténuante » dont parle Blanchot, tandis que d’autres resteront anéantis par cette épreuve. Je sais aussi cela : que même si cet autre en face de moi n’est absolument pas moi, m’est un absolu étranger, un inconnu, quelque chose m’unit à lui que je ne saurais exprimer, nommer, qui me dépasse et m’anime.

55Ce quelque chose, comment le dire ? Edmond Jabès a peut-être, lui, trouvé les mots – qu’on n’en finisse jamais d’écouter les poètes !

56« Ma question n’est pas : qui es-tu ?, mais : que m’apportes-tu ?

57– Ce que je t’apporte n’est autre que ce que je suis, lui fut-il répondu [37]. »

58Ou encore : « L’identité est, peut-être, un leurre. Nous sommes ce que nous devenons [38]. »

59Et Borges aussi : « L’homme oublie qu’il est un mort qui converse avec des morts [39]. »

60J’oublie tant, quand je suis en face de ce sujet qui parle sa maladie et sa vie. J’en oublie même parfois d’être là, j’ai de ces absences étranges qui ponctuent nos rencontres. Je suis avec lui et soudain ailleurs, en un autre lieu, un autre temps, avec d’autres que lui. Mais si vous vous figurez que je le laisse en plan, que je l’abandonne, que je me dérobe et m’égare, vous faites fausse route, radicalement. Tous les thérapeutes se savent affectés de ces phénomènes qui les traversent durant la rencontre clinique avec leurs patients – et même après d’ailleurs. Par quels chemins, par quelles trajectoires ces mouvements arrivent-ils à se faire percevoir, symboliser puis représenter dans le psychisme du clinicien ? Comment ce dernier en vient-il à repérer et à identifier ces différents mouvements qui l’habitent ? Je parle certes ici du transfert – et disjoindre ce transfert du contre-transfert me semble peu pertinent, voire arbitraire. Je parle de cet outil – plus qu’un outil ou un dispositif, osons une disposition – essentiel à l’atteinte des couches archaïques du psychisme, du thérapeute autant que du patient. C’est posé que dans ce petit bureau, tout au fond d’un long couloir d’un bâtiment de consultation, il n’est qu’une cocréation, qu’une coécriture possible, et que le « texte » manifeste ou secret du patient ne manque d’être en écho, en « résonance intime », dirait Rilke, avec celui de son thérapeute. Si travail d’œuvre il y a, cette œuvre s’écrit dans la rencontre.

61Je ne suis pas un prestataire de services et mon patient n’est pas un usager, bénéficiaire « assuré » de mes bons soins. Je ne suis pas spécialiste ès psycho-oncologies, je ne sais rien de cette psychologie qui serait spécifique et exclusive en ce champ. Je ne suis pas un pro de la réduction des souffrances, de l’observance, de l’adaptabilité, de la protocolisation. Je ne sais trop en fait ce que je fais là, et plus encore, je me demande parfois ce que lui, ce sujet qui dit « je », qui vient jusqu’à mon bureau, attend de moi ?

62J’essaie de comprendre, à chaque jour… et qu’il comprenne avec moi.

63« Mes » malades, ceux qui traversent le cancer ou sont traversés par lui plutôt, me convient habituellement à des retrouvailles avec ces temps d’avant et cette foultitude d’enfants et de familles qui ont croisé mon chemin de vie. Je pense ainsi souvent à ces enfants que j’ai accompagnés pendant des années, à la fois absents et radicalement vigiles, à leurs efforts pour contenir les angoisses, le morcellement, la chute, la disparition, le réel. À ces défenses infiniment coûteuses qu’ils mobilisaient alors, du démantèlement [40] à l’identification adhésive [41], qui leur permettaient de s’absenter de tout et de tous, de faire le mort, d’une certaine façon, pour continuer à être vivants – encore et toujours. Dans quelle contrée de la psyché partaient-ils alors en exil ? Jacques Hassoun [42] et son œuvre foisonnante qui déplie en tant de touches subtiles ce motif de l’exil et de la mort seconde, m’aide alors beaucoup, qui ne disait que ceci : il n’y a de sujet qui ne soit le produit d’un passé oublié dont il hérite ; en même temps, il n’y a de sujet qu’au prix d’accepter de naître à l’exil, c’est-à-dire de faire le deuil de ces traces du passé. Relisez ce texte fulgurant sur « l’[enfant-mort] [43] » et cet « ex-il » qu’il écrit alors en deux mots : « l’[enfant-mort] » est pour J. Hassoun ce qui permet de « passer du vagissement de l’enfant au Je de son énoncé ». Ainsi s’atteint ce qu’il nomme le « Il du Je », qui place l’altérité au sein même du sujet. Hassoun lie ce qui se joue pour l’enfant dans l’avènement d’un Je désirant et le travail d’humanisation ; dans l’analyse en particulier : si le passage de l’[enfant-mort] à l’enfant-mot est contrarié, le sujet court le risque de disparaître, assure-t-il, soit psychiquement, en colmatant la béance ainsi repérée – il va se construire une nouvelle histoire qu’il reconnaîtra comme sienne, par exemple –, soit dans des mises en acte réelles.

64Exilés en ces terres du cancer, les malades en viennent parfois à penser qu’ils portent comme une indignité, à être, à vivre. Ils se figurent défaits, dans la détresse la plus infinie et la passivité extrême, tant ils sont mis à mal par la maladie mais radicalement plutôt, l’imaginaire qui s’y rattache. Leur cancer, bien entendu, est interprété sur le mode de l’après-coup, de la conséquence, parfois même de la punition attendue, « l’auraient-ils mérité ? »

65Il n’y a pas d’étude des articulations théoriques proposées sur le masochisme qui puisse ignorer les écrits de Freud sur ce qu’il nommait le « masochisme moral [44] » et son célèbre « Un enfant est battu [45] ». Dans cet article de 1919, Freud témoigne de ce rapport si complexe à la culpabilité, à la faute que le sujet est persuadé d’avoir commise et qui est telle qu’il ne cesse de se punir. On ne peut cependant que constater la grande différence de formulation entre ces deux textes, assurément corrélée à l’apparition de la pulsion de mort entre les deux dates de parution. En 1924, Freud règle ainsi le destin de ce masochisme moral : « Son caractère dangereux provient du fait qu’il a son origine dans la pulsion de mort. » Il a, dans ce même texte, en évoquant la pulsion de mort, des propos d’une actualité singulière en ces champs de la biologie et des sciences du vivant qui aujourd’hui sont activement explorés dans la recherche sur la cellule cancéreuse : « La libido rencontre dans les êtres vivants (pluricellulaires) la pulsion de mort ou de destruction qui y règne et qui voudrait mettre en pièce cet être cellulaire et amener chaque organisme élémentaire individuel à l’état de stabilité inorganique (même si celle-ci n’est que relative). La libido a pour tâche de rendre inoffensive cette pulsion destructrice et elle s’en acquitte en dérivant cette pulsion en grande partie vers l’extérieur, bientôt avec l’aide d’un système organique particulier, la musculature, et en la dirigeant contre les objets du monde extérieur. Elle se nommerait alors pulsion de destruction, pulsion d’emprise, volonté de puissance. Une partie de cette pulsion est placée directement au service de la fonction sexuelle où elle a un rôle important. C’est là le sadisme proprement dit. Une autre partie ne participe pas à ce déplacement vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle se trouve liée libidinalement à l’aide de la coexcitation sexuelle dont nous avons parlé ; c’est en elle que nous devons reconnaître le masochisme originaire, érogène. »

66Cette pulsion de mort, convoquée en sa seconde topique par Freud et aujourd’hui rejetée par nombre de psychanalystes, complique en fait beaucoup les choses, et pour les auteurs ayant traité du sujet, la cassure se situe bien à ce niveau : le masochisme a-t-il quelque chose à voir avec la pulsion de mort ? Faut-il rejeter ou accepter ce concept ?

67Qu’est-ce que je pourrais faire de tout cela ? De tous ces textes, de ces idées brillantes, de ces subtiles élaborations, et des questions qu’elles soulèvent, et des questions que ces questions mobilisent. Je suis comme un vieux juif qui errerait dans les couloirs de l’hôpital, en proie à mille énigmes. « La question est mouvement », écrit Marc-Alain Ouaknin [46], qui développe les liens entre la judaïcité, sa longue tradition de questionnement de la question – « la pensée talmudique est une pensée de la question » – et l’humour.

68Dans le transfert avec « mes » malades, je ne cesse de répéter ces mêmes errements, je sais tout cela mais rien ne s’inscrit, rien ne fait trace. Je ne peux en croire mes yeux, la plupart du temps. « On est prié de fermer les yeux », rêve Freud, à la veille de l’enterrement de son père [47]. « Même pas vrai », diraient les enfants.

69Lacan énonce cet aphorisme : « L’inconscient n’est pas de perdre la mémoire mais de ne pas se souvenir de ce que l’on sait. »

70Je perds souvent la mémoire avec mes patients, j’oublie d’eux des pans de vie, des propos, des traits précis, je n’oublie rien, ils se tapissent un temps dans l’arrière-fond du transfert pour s’éveiller résolument au cours de telle ou telle séance, parfois avec eux, parfois sans, lors d’une autre rencontre, parfois la nuit, parfois… Je me fais surprendre continûment par mes malades, dans ma vie, qui jaillissent, comme des voyageurs clandestins de ma psyché. Le voyage est souvent traversé de lumières, de sensations, de goûts. De la mémoire aussi de ces expériences archaïques et infantiles dont seul le corps se souvient. Mais ce n’est pas ma mémoire qui se rouvre dans ces rencontres avec mes malades, ce n’est pas mon passé – passé, certes, mais toujours là – qui se conjugue au présent. Nous ne restons jamais « figés » dans cet autre temps de notre vie, passé. Mais le transfert nous fait « retrouver » des expériences premières, tel cet effondrement premier qui, comme l’écrit D.-W. Winnicott, « a déjà été éprouvé » : « Il faut que le patient “se le rappelle”, mais il n’est pas possible de se rappeler quelque chose qui n’est pas encore arrivé, et cette chose du passé ne s’est pas encore produite parce que le patient n’était pas là pour que cela lui arrive. La seule façon de “se le rappeler” dans ce cas, c’est que le patient ait pour la première fois l’expérience de cette chose passée dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert [48]. »

71C’est cette expérience de rencontre avec mes malades qui me dessille les yeux et qui me donne accès à des « avant-coups » de ma vie, de leur vie. Y aurais-je accédé sans cette expérience ? Y auraient-ils accédé sans ces rencontres ?

72Le cancer, toujours, éveille cet assassin inconnu qui traîne en toute vie fantasmatique – et parfois aussi dans la vie réelle. Michel Sapir avait coutume de dire que quand il y a cancer, il fallait chercher l’assassin. Le « On tue un enfant » de Leclaire [49] apparaît ici bien plus adapté en sa formulation que le « Un enfant est battu » de Freud. L’indéterminé du fantasme insiste bien sur ce fait qu’on ne sait qui tue ni quel enfant est tué. L’action de tuer, de mettre à mort, est seule convoquée, laissant à l’autre le soin de définir ce « on » qui tue. Retour au « que me veut-on » que nous adressent les malades, comme autant de « pourquoi moi ? ».

73« On tue un enfant », un avenir, une promesse. Le cancer est ce tueur, diabolique, qui tue l’enfant en soi, celui innocent qui dans sa toute-puissance s’affirmait invulnérable et éternel. On tue ce représentant narcissique premier. Le cancer, c’est la perte de l’innocence.

74« On ne meurt pas, on est tué [50]. »

75Bien des patients que je rencontre me parlent, à un moment ou à un autre, de cette part d’eux-mêmes qu’ils auraient perdue, souvent longtemps avant leur maladie. En écho, ils évoquent d’autres pertes, bien plus réelles, un mari, une mère, un enfant, un travail, un statut… Rescapés, mais à quel prix, d’une brisure en leur être, assujettis à l’oubli d’un côté et à l’exhibition de l’autre, ils balbutient leur divagation dans leur vie, tel des dibbouks, âmes errantes au royaume des limbes. La maladie cancéreuse les ramène à la réalité, les contraint à penser le monde « pour de vrai », et eux tout autant. Comprendre ce qui leur arrive, ce qui leur est arrivé. Dès lors ce travail qu’ils souhaitent engager avec moi, pour comprendre. Retrouver. Et parfois, quitter ce monde « en pleine connaissance de cause », disent certains. Trouver la cause de ce qui arrive, de ce qui est arrivé, voilà bien la quête effrénée de tous les malades qui un jour s’arrête devant ou dans ce bureau, au fond du couloir. Mais comme le dit merveilleusement Roger Munier : « Nous n’allons pas à la rose dans son éclosion et sa beauté comme à la rose qui périra, dont les pétales flétris, livides, un jour joncheront le sol. Savoir la rose périssable, non pour ensuite, mais maintenant et devant elle, est un autre et poignant savoir [51]. »

76Le cancer ouvre à ce savoir. Ce faisant, il ouvre parfois à d’autres découvertes de soi et sur soi que l’« on » n’osait simplement (!) penser. « La pensée est ce qui répond. Ce qui répond à l’être et ce qui répond de l’être… Penser c’est faire face au verbe le plus terrible, le verbe être », écrit Michel Schneider. Le cancer parfois pousse à penser, conduit les malades en des chemins déjà empruntés. Quand le corps est assailli, intrusé, pour continuer à être, à penser, à vivre, « on » ferme les yeux, « on » s’endort même, « on » ne sait plus ce qui arrive, « on » ne ressent plus rien tant « on » est dur tout à coup à l’intérieur, « on » a l’impression que ce que vit le corps n’est pas vécu en propre, en vrai, par le sujet. « On » devient autre à la situation, à cet « autre » qui entre en soi et « on » s’étrange, « on » s’exile. En revient-« on » ?

77« Ce qui ne me tue pas, me rend plus fort », dit Nietzsche.

78Elle a décidé que la maladie, elle la vaincrait. C’est comme ça, il n’y a pas à discuter. On croirait entendre la reine d’Alice au pays des merveilles : « Telle est ma volonté ! » « Bon, j’ai le cancer, et alors ? Ça se soigne maintenant ! Ce sera difficile, je le sais mais avec de la volonté et le moral, on y arrivera – qui est donc ce “on” qui apparaît là ? – Avec tout ce que j’ai connu dans ma vie, ce n’est pas maintenant que je vais baisser les bras ! » Elle est passée à travers son cancer comme une flèche, active entre et pendant même ses chimios, organisant sa vie avec un timing serré, se rapportant toujours à l’avenir, à ses projets, à ses engagements. Elle continue, quelques années après la fin de son traitement, à comme elle dit, « aller de l’avant. J’avais confiance en moi, je crois que si on – encore ce “on” ? – montre à la bête qu’on ne veut pas d’elle, elle n’insiste pas… »

79Des résolus, battants, assurés, j’en ai rencontré des tas. Les uns dans un déni formel de la maladie, on leur aurait parlé de la grippe qu’ils auraient réagi de la même façon. Les autres garants de leur toute-puissance, lucides quant à la sévérité de leur atteinte, mais pénétrés des pouvoirs de l’humain, souvent en ses mystères. J’ai vu beaucoup d’entre eux perdre cette énergie et cette inexpugnable foi en eux, en la vie, en la médecine, en Dieu…, pour se résoudre, en quelques semaines ou quelques mois, à endosser le costume mal taillé de la souffrance, physique et psychique, voire du désespoir et de l’effondrement. Mais j’en ai connu surtout beaucoup d’autres, les plus nombreux, qui hésitaient entre confiance et abattement, lutte et abandon, qui auraient parfois souhaité être cet autre que convoquait Rimbaud, ou Nietzsche même, « capable d’escalader l’Everest s’il le fallait », comme l’affirmait ce patient, fort des ressources cachées dont nous disposons tous et que nous avons à « cultiver ».

80Je sais aussi qu’au sortir de ce combat – en sort-on jamais ? – ils témoignaient pour la plupart d’une autre place, comme si la maladie avait contribué à les rendre plus « forts » devant la vie et ses aléas. Non pas vraiment « autre » – l’est-on jamais ? – mais aguerris et peut-être surtout plus sages. De quelle sagesse hérite-t-on, à traverser ces épreuves dont les Anciens affirmaient qu’elles nous renforçaient ?

81Alice Miller évoquait l’importance, en ces territoires de l’expropriation de soi, de la rencontre avec celui qu’elle nommait « un témoin bienveillant », seul à même, selon elle, d’aider le sujet exposé à des traumatismes, à s’en sortir. Elle insiste sur la contribution de ce « témoin lucide » qui l’aide à prendre conscience de ce qu’il vit ou a vécu. Plus encore, elle montre comment le corps, lui, se souvient des choses vécues : « Le corps est le gardien de notre vérité, parce qu’il porte en lui l’expérience de toute notre vie [52]. » Si le sujet nie ses anciennes ou actuelles souffrances, ou même s’il n’en a plus aucun souvenir conscient, le corps se charge, par des symptômes, de les lui rappeler. Il faut, pour qu’il se remette de ces meurtrissures, qu’il renonce à nier les souffrances qu’il a connues ou qu’il connaît et qu’il tente, au contraire, de les reconnaître pour ce qu’elles sont. Sortir de la répétition, de la victimisation, de la plainte et de la souffrance, est à ce prix.

82Nous savions, pour reprendre la belle expression de François Roustang [53], que le psychanalyste est un psychotique guéri.

83Nous découvrons, avec Andrée La Rivière, « qu’on devient psychanalyste comme séquelle de l’enfant infirmier qu’on a été (Ferenczi), pour réparer ses parents et se réparer à travers ceux qui viennent nous voir […] De ses voyages avec l’autre dans les profondeurs de l’inconscient, le psychanalyste ne peut donc oublier qu’il retire sa part de gratifications ; découverte toujours renouvelée de la complexité de l’être humain qui, portant en lui tant de richesse et tant de tragédie, tant d’espoir et de déceptions, s’adresse à l’analyste espérant trouver enfin un sens à son désir. Ces trajets maintiennent chez le psychanalyste l’ouverture sur sa propre écoute intérieure ; ce qui lui donne souvent accès à quelque fragment nouveau de son propre mystère […] Pour continuer à penser et à imaginer, on doit sans cesse se rescaper car même les bons objets internes sont menacés par le refoulement. Nous sommes habités par des forces destructrices qui menacent les éléments vivants et les repoussent vers une zone d’obscurité [54]. »

84Bon nombre de mes patients voguent en cet « infracassable noyau de nuit » dont parle André Breton, cette « grande nuit impénétrée de notre âme » qu’évoque Proust et dont chacun de nous est intensément et incommunicablement dépositaire. La nuit est au cœur de tous en fait, psys, patients, malades, soignants. Elle est au cœur de cet hôpital qui fait tout pour se croire hospitalier mais qui n’y parvient guère. Nul ne peut faire bon marché de cette obscurité individuelle, qui nous constitue. Nul ne peut s’en déprendre, et plus encore, c’est bien elle qui parfois nous éclaire sur notre route de vie.

85Fiat lux !

86« Entrez, Doc ! » Il est pâle, de plus en plus, à chaque jour plus pâle, plus maigre, plus lointain. Chaque jour, j’hésite davantage devant la porte de sa chambre, je vais d’abord voir les médecins, puis les infirmières, je retarde notre rencontre. Chaque jour, il m’accueille avec le sourire, il bouge à peine, il s’économise, comme il dit. Nous parlons. De tout, de rien, de l’om bien sûr, de l’actualité de sa ville, de sa maladie, de sa famille. « Vous savez, Doc, ce qui me manque, l’odeur de la mer, le bruit des vagues et puis le soleil, le sentir… mais surtout la lumière, la lumière d’abord. » J’ai pensé à Léonard de Vinci qui, au xve siècle, dans son Traité de la peinture, assurait : « Plonge les objets dans la lumière, tu les plongeras dans l’infini. » Au dernier jour de sa vie et de nos rencontres, je ressens un trouble que je ne parviens à identifier qu’après être sorti de sa chambre : dans le couloir du service, je me rends compte qu’il fait jour. Auprès de lui, les volets mi-clos, le drap remonté haut sur son corps, le silence… j’avais acquis la conviction qu’il était tard, que le soleil s’était couché, que la lumière déclinait. « Mehr Licht [55] ! »

87À « mes » patients, ici, je ne peux offrir de marcher sur l’eau. Je ne sais rien de ce que seront leurs lendemains. Que seront les miens ? La vie tient finalement en cette asymptote vers ce point qu’elle espère et dés-espère tout à la fois de pouvoir réduire : la mort. Ici, entouré de cette ombre funeste – j’allais dire cerné de partout, réduit –, tout instant est créateur de son œuvre, tout sujet y constitue sa légende et s’y confronte à ce que Proust appelait « une recréation en soi ». À condition de transformer son expérience en histoire. De s’y déclarer présent, de la revendiquer comme sienne mais aussi, partant que « toute histoire est une invention » et que « la personne est une somme […] qui dépasse la biographie [56] », de se laisser travailler par la souffrance, l’imprévu et la rencontre. Le transfert, diront d’autres.

88Ici, ensemble, psy et malade, nous construisons cette œuvre de vie, sans occulter ce qui nous fait précaires, en nos histoires de famille, de vie, et en notre corps, sans oublier la part infinie de cet « homme souterrain en nous » dont parle Dostoïevski. Et ces cris-là que nous poussons tous, à notre temps, cet inconsolable cri de l’Homme, qui entre en vous et qui plus jamais n’en ressort, nous tentons tout au plus de le rendre plus humain. Car toute rencontre avec la maladie, d’autant le cancer, est un heurt et de ce heurt, l’existence portera à jamais la marque. Mais parfois, avant cette maladie, s’étaient affirmés dans la vie du sujet d’autres coups du destin, de la fortune, de la génétique, de la nature, allez savoir. Qu’en avait-il fait jusque-là ? En quoi cette épreuve, déjà advenue, n’avait cessé de le travailler ou s’était terré en des recoins obscurs de son Moi ? La maladie vient alors la révéler, têtue et contrariante. Vivre sa vie dans la proximité de cette maladie, voire de la mort qu’elle éclaire, en contraint plus d’un à s’éprouver soi en se découvrant et en se confrontant à cette altérité qui les constitue. La maladie est alors un lieu d’éveil dans la vie et à soi.

89« Sommes-nous vraiment des guignols, et pour amuser qui ? »

90« Vous savez, j’aurais bien aimé faire des études – elle parle d’elle au passé depuis quelques jours –, j’aurais aimé apprendre les langues étrangères, savoir parler plusieurs langues. Des fois, on se dit que même dans sa langue, on n’arrive pas à être clair, à être compris quand on parle, alors… Des fois, je sais plus, ce que j’aurais vraiment voulu faire. J’aurais voulu… » Elle se tait, ses yeux s’embrument. « Peut-être ç’aurait été autrement… Peut-être. Vous pensez des choses comme ça, des fois ? Ce qu’on aurait pu être ou faire d’autre ? Ça vous arrive ? » Me voilà convoqué au plus profond de moi, à « devoir » dire, ce que je suis, ce que je pense, d’eux, des autres mais aussi de moi. « Qui suis-je donc ? » me demandent-ils, mais invariablement aussi : « Et vous, qui êtes-vous et que me voulez-vous ? » Nos identités se croisent, celles que nous tentons d’assumer, que nous croyons être nous et les autres, rêvées, que nous espérons peut-être pouvoir un jour habiter. Quel sens donner à ce « je » qui sans cesse se dérobe et qui, au moment où la vie même semble se retirer, décline ses variations intimes ? Je me rappelle ces langues étrangères qu’elle aurait aimé parler – je pense moi aussi au passé, au passé du conditionnel – et je me dis qu’elle s’interroge peut-être aussi sur toutes ces vies qu’elle me dira avoir vécues, sur celle peut-être qui l’attend après. « Vous croyez qu’il y a une vie après la vie, vous ? » Lirait-elle dans mes pensées ? « Des fois, je me demande qui j’ai été et qui j’aurais pu être si… » Si quoi ? Je me souviens de Paul Guimard et de ce livre où il contait les dernières minutes de Pierre Delhomeau qui, dans la semi-conscience où il se trouve, entre la vie et la mort, après un grave accident de la route, fait le tour de lui-même, revoit qui il a été, ce qu’il a fait, imagine ce que les gens vivront à la suite de sa mort… L’auteur de L’ironie du sort affirmait dans une interview que « le noyau de l’homme est ferme, dur, peut-être même invariable. Mais ce qu’il fait dépend pour 99 % du hasard ». Quel est ce noyau de notre Moi et dépend-il pour autant de ces « choses de la vie », hasardeuses, de ces « concours de circonstances » qui orchestrent nos histoires ? Qui, de nous ou des autres, les organisent ou feignent d’en être les auteurs exclusifs ?

91Tout n’est pas possible à l’homme et tout ne lui est pas permis. Il est bien contraint de vivre sa vie dans les limites que lui impose sa condition. Et parfois sa rencontre avec la maladie borne davantage encore, irréductiblement, sa liberté. À sa condition humaine, souffrante, rien ni personne ne pourra l’arracher mais ces accrocs de son histoire qui ont pu filer le cours même de sa vie, il n’est jamais trop tard pour prendre le temps de la « reprise ». Jusqu’au dernier souffle, l’humain exerce le difficile et sensible métier de raccommodeur de porcelaine.

92« C’est comme ça toujours que tout commence : lorsque vient la certitude d’avoir touché le fond, d’en avoir fini pour de bon avec le fatigant commerce des pensées, des émotions, des sentiments et qu’il n’est plus possible de se vouer à rien sinon au vide en soi [57]. »

93« Celui qui écrit devrait penser plus souvent à l’ultime page blanche qui clôt ses livres. Elle symbolise tout ce qui manque, tout ce qu’il y a en trop, tout ce qui est mal fait. Chaque livre se termine par une page blanche. Chaque œuvre se termine par une bibliothèque blanche [58]. »

Notes

  • [1]
    R. Gori, « Vingt ans après », Cliniques méditerranéennes, 1, 69, 2004, p. 8.
  • [2]
    N. Luhmann (1986), Amour comme passion. De la codification de l’intimité, Paris, Aubier, 1990.
  • [3]
    A. Artaud, « Le surréalisme et la fin de l’ère chrétienne », dans Œuvres complètes, t. XVIII (Cahiers de Rodez, septembre-novembre 1945), Paris, Gallimard, 1983.
  • [4]
    G. Deleuze (1953), L’île déserte et autres textes (1953-1974), Paris, Éditions de Minuit, 2002.
  • [5]
    M.-J. Del Volgo, R. Gori, Y. Poinsot, « Roman de la maladie et travail de formation du symptôme », Psychologie médicale, 26, 1994, p. 1434-1438.
  • [6]
    S. Freud (1917), Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1990, p. 369.
  • [7]
    M. Duras, Détruire, dit-elle, Paris, Éditions de Minuit, 1969.
  • [8]
    G. Genette (1972) Figures III, Paris, Le Seuil, 1972, p. 72.
  • [9]
    Ibid., p. 280.
  • [10]
    P. Ricœur (1983), Temps et récit, Paris, Le Seuil, 1991.
  • [11]
    S. Leclaire, Le pays de l’autre, Paris, Le Seuil, 1991.
  • [12]
    A. Rimbaud (1871) « Lettre du voyant à Paul Demeney », dans Correspondance, Paris, Fayard, 2007.
  • [13]
    L. Sfez, La santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, Paris, Le Seuil, 1995.
  • [14]
    A. Rimbaud (1874), Conte, dans « Les illuminations », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2004.
  • [15]
    Verlaine (1881) Sagesse I, IV, dans Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992.
  • [16]
    Voltaire (1747-1748), Zadig ou la destinée, Paris, lgf, coll. « Livre de Poche », 1999.
  • [17]
    J.-L. Nancy, L’intrus, Paris, Galilée, 2000.
  • [18]
    M. Foucault (1966), Le corps utopique. Enregistrement sur cd de la conférence prononcée le 7 décembre 1966 sur France-culture, Paris, ina Mémoire vive, 2004  ; M. Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Éditions Lignes, 2009.
  • [19]
    P. Legendre (1978), La passion d’être un autre. Étude pour la danse, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2000.
  • [20]
    J. Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, p. 68.
  • [21]
    C. Dumoulié, M. Riaudel (sous la direction de), Le corps et ses traductions, Paris, Desjonquères, 2008.
  • [22]
    M. Casanova (2008), « Le corps et ses traductions chez Friedrich Nietzsche », dans C. Dumoulié, M. Riaudel (sous la direction de), Le corps et ses traductions,ibid.
  • [23]
    R. Gori, M.-J. Del Volgo (2005), La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël, coll. « Espace psychanalytique » ; Flammarion, coll. « Champs Essais », 2009.
  • [24]
    P. Barreau, Le coaching-santé : une relation d’être au monde, Paris, emc, Savoirs et soins infirmiers, 2010, [60-110-X-10].
  • [25]
    F. Chirpaz, L’homme précaire, Paris, Puf, 2001.
  • [26]
    I. Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Paris, Actes Sud, 1998.
  • [27]
    M. Frisch, Le désert des miroirs, Paris, Gallimard, 1966.
  • [28]
    Il me faut ici, d’entrée, rendre hommage aux équipes soignantes mais aussi à tous ceux qui exercent en ce centre de lutte contre le cancer, l’Institut Paoli-Calmettes, à Marseille. Je reste chaque jour admiratif de leur présence assidue et de leur engagement maintenu.
  • [29]
    S. Freud, « Le roman familial des névrosés » (1909), dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973, p. 157-160.
  • [30]
    Emblématique est celle qui se présente sous la question : « Pourquoi moi ? » qui ne manque d’en appeler à l’autre. « Que me veut l’autre ? », « Pour quoi suis-je ? », mais assurément plutôt « pour qui suis-je ? » en seraient les variations élues. En écho à « Que me veut-on ? » où le « on », surtout, prime, nous y reviendrons.
  • [31]
    P.-C. Racamier, Le psychanalyste sans divan. La psychanalyse et les institutions de soins psychiatriques, Paris, Payot, 1983.
  • [32]
    J. Cocteau, La machine infernale (1932), Paris, lgf, coll. « Livre de poche », 1992.
  • [33]
    Elle reste encore à élaborer, cette « déambulation » du psy, d’un lieu à l’autre, à l’hôpital. Le psy sans divan, assujetti à un cadre thérapeutique plus psychique que géographique, n’aurait-il pas comme fonction première celle de créer-trouver ces espaces potentiels où l’un et l’autre, psy et sujet malade – mais ceci ne manquera de se décliner pareillement pour ces autres « couples », psy et médecin, psy et équipe soignante, psy et tutelle… – découvrent ensemble un lieu pour penser, le lieu tranquille d’une élaboration mentale où puisse se poursuivre comme un jeu avec les objets internes : « Là où Ça joue » (Steven Wainrib, Revue française de psychanalyse, tome LXVIII, 2004, 1), c’est n’importe où !
  • [34]
    « Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat. Il était couché sur le dos, dur comme une carapace et, lorsqu’il levait un peu la tête, il découvrait un ventre brun, bombé, partagé par des indurations en forme d’arc, sur lequel la couverture avait de la peine à tenir et semblait à tout moment près de glisser. Ses nombreuses pattes pitoyablement minces quand on les comparait à l’ensemble de sa taille, papillotaient maladroitement devant ses yeux. […] » F. Kafka (1912), La métamorphose et autres récits, Paris, Gallimard, 1989 (coll. « Folio », 1990), note 20.
  • [35]
    A. Camus, La peste, Paris, Gallimard, 1947, coll. « Folio », p. 96.
  • [36]
    P. Ricœur, Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 18.
  • [37]
    E. Jabès, Le livre des questions, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1988.
  • [38]
    E. Jabès, Le livre des marges, Paris, Le livre de Poche, coll. « Biblio essais », 1984, p. 185.
  • [39]
    J. Borges, Fictions, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1984, p. 51.
  • [40]
    Faire en sorte que l’activité psychique soit suspendue, cesse d’exister. Les manifestations pulsionnelles sont alors désintégrées et le sujet ne ressent plus l’angoisse. À la base de tout ce qui a à voir avec le fait de suspendre tout lien avec l’extérieur.
  • [41]
    Forme d’identification en surface : comment vider de sens – et donc de profondeur, de matière – tout ce qui est vécu comme dangereux ? Comment éviter de disparaître ?
  • [42]
    J. Hassoun, L’exil de la langue. Fragments de la langue maternelle (1993), Toulouse, érès, coll. « Points Hors Ligne », 1999.
  • [43]
    Dans Entre la mort et la famille : l’espace crèche, Paris, F. Maspero, 1973.
  • [44]
    S. Freud, « Le problème économique du masochisme » (1924), dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973.
  • [45]
    S. Freud, Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973. On ne manquera de se rapporter tout autant au texte de sa fille, A. Freud, « Fantasme “d’être battu” et “rêverie” », dans Féminité mascarades, Paris, Le Seuil, 1994, p. 57-75, et à l’attention que P.-L. Assoun propose de soutenir quant à la présence d’Anna sur la scène de l’élaboration de la théorie du masochisme de son père (Leçons psychanalytiques sur le masochisme, Paris, Économica, 2003, p. 39-41).
  • [46]
    M.-A. Ouaknin, Le livre brûlé. Philosophie du Talmud, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1993.
  • [47]
    S. Freud, L’interprétation des rêves (1899-1900), Paris, Puf, 1967, p. 274.
  • [48]
    D.-W. Winnicott, « La crainte de l’effondrement », Nouvelle revue de psychanalyse, 11 (Figures du vide), 1975, p. 40.
  • [49]
    S. Leclaire, On tue un enfant, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1981.
  • [50]
    P. Favaro, On ne meurt pas, on est tué, Paris, Denoël, 2001 et Gallimard Jeunesse, coll. « Scripto », 2004.
  • [51]
    R. Munier, Mélancolie, Paris, Le Dyctalope, 1987.
  • [52]
    A. Miller, Notre corps ne ment jamais, Paris, Flammarion, 2004.
  • [53]
    F. Roustang, Elle ne le lâche plus, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
  • [54]
    A. La Rivière, « Prendre le temps… Pensées en vrac », Filigrane, 3 (Vieillissement et capacité thérapeutique), 1994, Montréal, Québec.
  • [55]
    « Plus de lumière ! » furent les dernières paroles de Goethe, sur son lit de mort, en mars 1832, dans sa maison de Weimar.
  • [56]
    Ibid., note 1, p. 46.
  • [57]
    P. Forrest, Sarinagara, Paris, Gallimard, 2004.
  • [58]
    P. de Duve, L’orage de vivre, Paris, J.-C. Lattès, 1994.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions