Il était possédé par la forme et l’urgence de l’expression. La Rage est l’un de ses plus beaux titres et c’est pour lui, peut-être plus que pour aucun autre, que vaudraient les premiers vers des Métamorphoses d’Ovide : « mon esprit me porte à dire des formes changées en corps nouveaux » – et non l’inverse, plus attendu, qui évoquerait des « corps changés en formes nouvelles ». Il fut poussé. Il changea les formes. Il modifia les corps. Soient l’élan, les formes, les corps et la puissance que le premier octroie à celles-là sur ceux-ci. Pier Paolo Pasolini eut plusieurs corps, il pratiqua plusieurs formes. Il avait plusieurs adresses – par où il faut entendre, à la fois, c’est bien étrange, l’indication d’un lieu, d’une destination, ainsi que la direction d’une parole (« c’est à vous que je m’adresse » et « je te donne ces vers afin que si mon nom »), mais aussi la capacité, l’habileté (un « jeu d’adresse »). Il fut poète, romancier, dramaturge critique, éditeur, journaliste, cinéaste, acteur. Et il le fut, sinon avec la même adresse, du moins avec le même génie. On se complaira peut-être à distinguer les corps et les formes. On passera son œuvre au crible, à la recherche de césures et de patrons, on procèdera à la généalogie et au tri des lignées. Procédant par secteurs et jugeant, comme l’époque, le sérieux à l’aune de la spécialisation, on s’exposera, comme on fragmente, à manquer ce qui précisément fait l’unité et la vigueur d’un tel élan (animus fert) et doit répondre à ce qu’une pareille œuvre comporte de permanent, d’essentiel et de fécond…