Las de l’histoire sociale, un étudiant chilien exilé, en thèse à la Sorbonne, se met un jour à compter les larmes. « Dès que je me suis penché sur les pleurs, je découvris l’immensité, sans fond, de mon projet. » Renonçant au décompte, il se tourne alors vers les pleureurs pour dégager trois idéaux-types : le chevalier errant de l’épopée médiévale, le poète et le saint. Parmi ces trois traditions, celle de la sainteté surtout le retient. Pour les saints, pleurer, c’est créer l’espace où accueillir Dieu : « Que sont les larmes, écrit Jean-Paul Iommi-Amunatégui, sinon cet espace qui autorise la relation pour qu’un débordant usage répète dans le contour la différence ? Elles attestent la bordure qui tient la distance pour que comparaisse le sens. » Le bord des larmes entretient une relation singulière avec le bord des lèvres, et la lacrymologie avec la poétique. Les larmes signifient un propre de l’homme : « Quel est donc le propre de l’homme, quels sont les Noms de l’homme ? Si on en concentre les multiples attributs, deux les signifient : la parole et les larmes. » On peut se demander comment écrire l’histoire du lien des larmes et du langage. En partant d’une métaphysique de l’expression, comme le préconise Iommi-Amunatégui ? En se tournant vers la psychologie ? On suivra plutôt une intuition de Jean-Jacques Rousseau qui fut un des premiers à s’intéresser aux pleurs des enfants : « De ces pleurs, qu’on croirait si peu dignes d’attention, naît le premier rapport de l’homme à tout ce qui l’environne : ici se forge le premier anneau de cette longue chaîne dont l’ordre social est formé…