En 1966, Jean Starobinski donne un article intitulé « Thomas l’obscur. Chapitre premier » à la revue Critique, pour un numéro spécial consacré à Maurice Blanchot. Il est déjà un universitaire en vue et un essayiste célébré : L’Œil vivant a paru en 1961 et L’Invention de la liberté en 1964. Il s’aventure ici sur un tout autre terrain et, au moment de conclure, laisse percer une inquiétude : « Il est difficile de parler de Blanchot sans subir une étrange fascination, sans être captivé par la voix même de l’écrivain. »
Disons à notre tour et pour commencer : il est bien difficile de parler de Jean Starobinski sans subir une étrange fascination, sans être captivé par sa voix même. Ce sont pourtant des causes diamétralement opposées qui produisent les mêmes effets. La difficulté qu’évoquait Starobinski en 1966, il l’attribuait au fait que les livres de Blanchot lui paraissaient se dérober à l’« explication », relevant – ajoutait-il – d’une « compréhension inachevable ». Il en va bien différemment, s’agissant de ses propres écrits. Ce n’est pas l’intuition d’une « compréhension inachevable » qui, devant eux, intimide le commentateur ; c’est, tout au contraire, le sentiment qu’ils donnent d’une si pleine « compréhension » de leurs objets qu’elle ne laisse rien à désirer, rien à ajouter. Sentiment si fort qu’il résiste à tous les démentis que peuvent lui opposer Starobinski lui-même et son écriture critique, laquelle répugne à l’exhaustivité comme à la complétude, et préfère les lignes de fuite aux mots de la fin…