Quel est donc le prix d’un Nègre à la fin du xviiie siècle ? À l’achat, en fonction de la comptabilité habituelle de l’époque, il coûte environ 1200 livres réparties sur une durée de vie moyenne de dix années, soit 120 livres par an. Il faut ajouter la perte de capital lors de la mort de l’esclave (120 livres), plus le fait que ce capital ne peut être valorisé car il doit être nécessairement remplacé. On obtient un coût final de 240 livres, auquel il convient d’ajouter les frais d’entretien (nourriture, vêtement) d’environ 100 livres, soit un coût direct annuel de 340 livres. Mais comme l’esclave n’a aucun intérêt à travailler, il importe d’ajouter le coût du commandeur qui manie le fouet : son prix à l’achat est plus élevé (1800 livres) et cet acteur essentiel est mieux nourri et mieux vêtu que ses congénères (150 livres). Il faut aussi ajouter le coût de la défense de la plantation contre les esclaves marrons qui se sont enfuis. L’un dans l’autre, le travail d’un Nègre revient donc à 420 livres annuelles, alors que la rémunération des paysans européens avoisine seulement 30 livres par an ! De plus, de ceux-ci à ceux-là (dont on ne cesse de souligner la « paresse » et la « fainéantise »), la productivité varie au moins du simple au double. Dès lors, tout milite contre l’esclavage, qui apparaît dépourvu de toute rationalité économique ; les planteurs auraient intérêt à employer plutôt des ouvriers libres, qui leur reviendraient deux fois moins cher. En 1845, André Cochut écrit, dans le même sens : « Il est reconnu que quarante Nègres, grattant la terre avec la houe, font moin…