Héroïque ou lamentable, personnelle ou collective, la fureur, écrit Camille Dumoulié, « naît du sentiment d’avoir été injustement frustré d’une jouissance légitime, et sa violence est vécue comme une contre-jouissance » (p. 119). Fort de cette définition à la fois minimale et globale, l’auteur entreprend d’écrire une archéologie de la fureur qui se révèle être, en même temps, une généalogie du sujet.
Or toute philosophie occidentale du sujet est, dans son fond, théologique. Le seul sujet qui vaille, c’est Dieu. Voilà pourquoi, afin de mériter le nom de sujet dans le monde chrétien, il faut imiter le Christ, non seulement le Christ des douleurs, mais également celui qui a déclaré : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu y apporter la paix, mais l’épée » (Matthieu, 10.34). Mais à quoi sert d’imiter le Christ, si le rapport mimétique ainsi créé maintient une distance infinie entre le modèle et la copie (distance vécue par le Christ lui-même, car seule la non-coïncidence de sa nature humaine et de sa nature divine lui a permis de mourir) ? Il ne suffit pas d’imiter le Christ, il faut le destituer pour se mettre ensuite à sa place. Celui qui brigue le statut de sujet n’a d’autre choix que de se substituer à Dieu. Antonin Artaud l’a très bien compris, qui tentait furieusement de mettre fin à « la spoliation théologico-métaphysique, le vol de l’âme » dont il se sentait victime. Pour lui, le véritable crucifié, c’était lui, Artaud ; Jésus-Christ n’était qu’un usurpateur, un suppôt, l’une des troi…