Écrire la biographie de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, c’est relever un défi singulier. À l’exception de Jean-Jacques Rousseau dont Chateaubriand est si proche par bien des aspects, personne n’avait encore parlé autant de soi, avec autant d’insistance et autant d’éloquence. N’a-t-il pas déjà tout dit et bien dit lui-même ? Et pourtant personne – pas même Rousseau – n’a été autant soupçonné de mauvaise foi. « M. de Chateaubriand est dévoré du démon de la publicité » confie François de Jaucourt à Talleyrand dans une lettre écrite depuis Gand, où Louis XVIII s’est réfugié avec ses fidèles. Cependant, en choisissant d’y rejoindre ce roi, Chateaubriand n’a-t-il pas de toute évidence fait preuve d’un dévouement désintéressé ? N’a-t-il pas agi par conviction plutôt que par intérêt ? Certes Chateaubriand était passé maître dans l’art de soigner sa publicité, dans toutes les pratiques de l’autopromotion, y compris celles de la mise en scène et de la fausseté. Comme le notera son ami Mathieu Molé : « Personne ne sait comme lui travailler à sa renommée. » Mais ce faisant, il a su aussi dire la vérité de toute une génération et peut-être mieux que tout autre mener une réflexion profonde sur le temps, qui continue à nourrir notre compréhension des régimes d’historicité.
Je me suis rencontré entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves ; j’ai plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où j’étais né, nageant avec espérance vers une rive inconnu…