« Réflexions sur une hypothèse vingt-cinq ans après », la postface qui figure dans la nouvelle édition de Mythes emblèmes traces offre l’occasion, précieuse, d’observer un auteur reconstituant à rebours son propre chemin de recherche, en prenant comme point de repère un texte programmatique écrit par lui un quart de siècle plus tôt. Exercice délicat, car la fidélité à soi-même peut être interprétée comme le signe d’une cohérence intellectuelle ou au contraire comme l’indice d’un renfermement à l’intérieur d’un paradigme trop autoritaire, tandis que l’attitude inverse, le changement de perspective, peut aussi bien passer pour une preuve d’inconsistance que de créativité.
Rien de tout cela chez Carlo Ginzburg : il fait de cette postface un exercice de recherche et nous y offre une réflexion importante sur le poids que les contextes culturels peuvent exercer sur la production intellectuelle – le terme contexte ne renvoyant pas ici à une toile de fond objectivement incontournable, mais aux éléments avec lesquels un auteur choisit de dialoguer et au sein desquels il inscrit sa propre proposition intellectuelle en leur permettant (au mois pour partie) de la charpenter. Que le problème de la preuve soit à peine abordé dans l’essai ancien, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », alors qu’il est au centre des travaux ultérieurs, permet de mesurer toute l’importance que le défi postmoderniste a présentée pour la production intellectuelle de Ginzburg. Celui-ci ne s’en cache pas : il va jusqu’à faire de l’article de Momigliano, dénonçant les implications sceptiques de la déconstruction à la Hayden White, le moment tournant de son parcours intellectuel…