Depuis plus de trente ans, l’orientalisme est tenu pour le stade suprême de l’européocentrisme. Ce modèle d’interprétation repose sur une double insatisfaction. D’un côté, les sociétés qui se définissent elles-mêmes comme occidentales ont forgé une conception évolutionniste de la pluralité humaine. D’un autre côté, le perfectionnement des outils de compréhension des différentes sociétés du monde a abouti à un cloisonnement essentialiste des spécificités culturelles de chacune d’elles. Suivant la première pente, toute la diversité des situations constatées se trouve ramenée au calcul comparé de la distance de chacune d’entre elles par rapport au stade de développement de l’Europe. Suivant la seconde pente, la hantise de l’attraction exercée par l’Occident triomphant conduit à privilégier dans l’étude des autres sociétés tout ce qui ne doit rien au contact avec les Européens. Il en résulte une fabrication de l’altérité qui se donne pour l’antidote de l’eurocentrisme, mais qui procède d’une épuration biaisée de tous les éléments estimés inauthentiques… par les savants européens eux-mêmes.
De surcroît, dans le cas du Japon, la question des relations avec l’Europe est dramatisée et scandée par la succession de trois moments historiques : le « siècle chrétien » du Japon, marqué par les succès de la mission catholique introduite par les Portugais ; la période d’Edo, réputée être celle de la fermeture aux influences étrangères à l’exception des marchands hollandais de Nagasaki ; et enfin l’ère de Meiji, définie par l’ouverture active à la présence du monde extérieur…