Au cours des deux dernières décennies, au moins dans la partie « urbaine » du Mexique, et peut-être sur sa frontière nord, sont intervenus, et continuent d’intervenir, une série de changements qui ne sont pas exempts d’effets différés et même immédiats, qui créent des conditions sans précédents pour la vie intellectuelle. Certains de ces changements apparaissent en conséquence d’histoires antérieures ; d’autres se présentent comme des ruptures ou des discontinuités inattendues des fonctions qui au Mexique ont défini cette communauté formée par « les intellectuels » jusqu’aux années 1980. Ces discontinuités ont transformé (et peut-être ont commencé à dépeupler) le lieu spécifique qui leur était attribué, et son repli se traduit par une géographie nouvelle, qui signalise comme jamais auparavant la relation entre l’écriture et la scène publique, entre les ordres de la représentation et les espaces de l’expérience, entre les règles du discours et les institutions visibles et invisibles qui les délimitent. On n’examinera ici qu’un apect de ces nouveautés : le rapport étroit qu’elles entretiennent avec les changements qui se produisent dans les sphères de la politique et, en particulier, du politique.
Premier contraste : le passage de la phase « solide » de l’écriture, pour abuser d’une métaphore de Zygmunt Bauman, à sa phase « liquide », c’est-à-dire à cet état où les formes de l’écriture (les philosophies qui établissent la grammaire des concepts, les canons qui déterminent les goûts, les genres qui connectent les lecteurs et les auteurs) ne parviennent plus à maintenir leur stabilité pour un temps plus ou moins durable parce qu’elles changent, se renouvellent ou disparaissent dans un laps de temps moindre que celui requis pour qu’elles soient assumées ou pour affecter l’herméneutique des sujets et les pratiques discursives…