Istanbul est le premier récit autobiographique d’Orhan Pamuk. C’est également le premier ouvrage où il insère des photographies, tantôt de la ville, tantôt de sa famille, auxquelles s’ajoutent des reproductions d’œuvres de quelques singuliers personnages stambouliotes. Chroniqueurs, mémorialistes et encyclopédistes sont les principales figures d’écrivains qui viennent soutenir une remémoration subjective, s’articulant elle-même sur l’histoire de la ville. Istanbul raconte la naissance d’un regard sur soi depuis ce lieu du grand Orient déchu où flotte le hüzün, singulière mélancolie à l’origine d’une écriture qui « bricole des fictions » (p. 34) avec ce qui reste du passé ; mais plus qu’un bricolage, Istanbul s’impose comme un montage de la mémoire qui épouse le modèle cinématographique. Centre de gravité de l’écriture, la ville est moins une image fantasmatique qu’une réalité « objective et concrète » (p. 420) dont l’auteur extrait les matériaux pour son ouvrage. Car ce que nous présente Istanbul, c’est une formidable collection de souvenirs sur la ville, conservés dans l’immeuble éponyme, « Pamuk Apt. », et amassés depuis des années en vue d’« un grand projet » (p. 420) que nous tenons à présent entre nos mains.
On sait le décalage propre à l’autobiographie entre le narrateur et son personnage l’enfant qu’il fut dont la destinée sera celle d’un écrivain. « Ici, votre mémorialiste va quelque peu éloigner son récit de la conscience du petit enfant et se rapprocher de celle de l’écrivain de cinquante ans, qui croit parvenir à se raconter en s’efforçant de comprendre ce petit enfant » (p…