La formule « De la peinture considérée comme une tauromachie », empruntée à Thomas de Quincey (L’Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts), avait déjà été détournée par Jean Cocteau (Des Beaux-Arts considérés comme un assassinat), avant de l’être par Michel Leiris (De la littérature considérée comme une tauromachie). C’est dire son peu d’originalité, mais aucun titre ne s’applique mieux à mon propos où il est question de mise à mort et d’art. C’est d’ailleurs avec Leiris que Picasso vit sa première et sa dernière course de taureau – spectacle dont l’écrivain est un des premiers à avoir pensé les enjeux éthiques et esthétiques.
Depuis la scène primitive du Petit Picador posté à l’orée de l’œuvre jusqu’aux matadors velazquéiens de 1971, figés en cartes de tarot, Picasso, pendant quelque quatre-vingt ans, n’en finit pas de tourner et retourner le motif tauromachique au carrefour de ses préoccupations formelles, intimes, politiques ou sociales. Entre ces images, une présence s’inscrit en creux, celle du véritable alter ego, le toro, qui hantera son œuvre jusqu’à l’obsession, à la compulsion. Quant au picador, premier des acteurs de l’arène à s’affronter à sa puissance et à en répandre le sang, il a fasciné Picasso d’un bout à l’autre de son œuvre : sujet de sa première huile (Le Petit Picador, 1889), de sa première gravure (El Zurdo, 1899), de sa première sculpture (Picador au nez cassé, 1903) et celui de ses dernières toiles. Durant huit décennies donc, la corrida traverse l’œuvre, la troue parfois de ses fulgurances et sert de support à des variations formelles, symboliques, métaphoriques ou allégoriques…