Dans son dernier livre, Jeune fille, Anne Wiazemsky relate sa rencontre avec Robert Bresson pour le tournage d’Au hasard Balthazar durant l’été 1965. Ce fut un événement majeur dans son existence dont le cours allait dès lors radicalement changer. Si elle tient à qualifier fort justement son livre de « roman », c’est qu’en effet cette œuvre à la fois tellement simple au premier abord et si savante en réalité, ne relève pas du reportage ni du témoignage. Seule une orchestration littéraire subtile où l’on peut voir l’aboutissement de son travail d’écrivain était à même de rendre compte d’une expérience aussi fondatrice pour elle : ce moment inaugural de bonheur pur et qui de toute sa vie reste apparemment un des plus chers à son cœur, ne pouvait être restitué qu’à travers la mise en scène complexe d’un ouvrage dense et poétique, émouvant et drôle. À François Mauriac, son grand-père, qui lui avait demandé, un peu trop cyniquement à son goût, si elle tenait bien son journal (au cas où « ce Monsieur Bresson » s’aviserait « d’être désagréable », p. 54), la jeune fille avait répondu affirmativement, mais à en juger par le présent livre, c’était en toute innocence et sans arrière-pensée : si elle dévoile bien l’envers du cinéma sans transiger avec la vérité, elle n’a aucun compte à régler avec personne et tient avant tout à s’acquitter d’une dette envers le cinéaste qui l’a aussitôt devinée (pour employer une expression tout à la fois gidienne, klossowskienne, bressonienne) et révélée ainsi à elle-même…