Nous voudrions soutenir ici l’hypothèse suivant laquelle la « littérature de mutants » au sens le plus large (susceptible d’inclure les bandes dessinées, les séries télévisées et les films) procède d’une fiction de sujet. Cette hypothèse est elle-même associée, en arrière-plan, à une réflexion sur la littérature de science-fiction qui privilégie, relativement à elle, la fiction de monde. Elle suggère donc une tension possible entre l’évocation des mutants et le cadre science-fictionnel, même si ce problème ne sera abordé que de manière oblique dans ce qui suit.
La notion de mutant possède pour commencer un ancrage darwinien. Les mutations sont ce par le biais de quoi s’accomplit l’évolution des espèces dans notre monde. Est supposé donné un générateur aléatoire de mutations, qui « essaie » toutes les conformations possibles des organismes. La sélection naturelle élimine les variantes moins viables et privilégie les variantes adaptées, de sorte que tout se passe comme si l’espèce choisissait dans son potentiel génétique en vue de l’adaptation à l’environnement.
Le mutant, de ce point de vue, possède deux visages. Comme mutant adapté, il préfigure la normalité : à l’issue du processus de sélection, tout le monde sera comme lui. Comme mutant inadapté, il affiche seulement une possibilité de la biologie qui n’aura peut-être été réalisée que de manière épisodique. Mais décrire ces deux possibilités, c’est aussi souligner que le mutant est, dans l’optique darwinienne, lié à la « question du monde » : tout mutant comparaît pour ainsi dire devant u…