Avec plusieurs centaines de milliers d’exemplaires vendus, l’ouvrage de Philippe de Gaulle sur son père constitue à coup sûr un superbe succès d’édition. Ce triomphe laisse pourtant sinon sceptique, du moins songeur. Faut-il rechercher en amont et analyser l’apport historique de cette somme imposante – le succès couronnant alors les qualités intrinsèques d’un livre qui apporterait du neuf ? Ou convient-il de raisonner en aval, en réfléchissant sur la demande sociale à laquelle cet opus a de toute évidence répondu ? Les deux versants méritent, semble-t-il, d’être explorés conjointement.
Soulignons d’emblée le genre hybride auquel se rattachent les deux tomes de De Gaulle mon père. L’ouvrage, fondé sur une série d’entretiens conduits par l’écrivain et journaliste Michel Tauriac, ne constitue pas un livre de souvenirs au sens strict du terme. Outre qu’il couvre l’ensemble de la vie du général, des origines familiales à sa disparition, il évoque et analyse nombre d’événements que le fils n’a pas vécus aux premières loges et dont il ne peut, au sens plein du terme, témoigner – l’enfance du général ou l’équipée de Dakar. Il prétend donc au statut de livre d’histoire, pour « redresser la statue sur son socle » (t. I, p. 12), au risque d’échauffer « la bile des historiens qui, s’accaparant l’histoire du père, n’admettent pas que le fils y apporte sa pierre sans leur blanc-seing et l’appui de leurs recherches » (t. II, p. 10). Le récit des faits comme leur analyse reposent sur la seule mémoire filiale…