La personnalité de Rousseau, les motifs de son œuvre se sont inscrits au cœur du travail de Jean Starobinski dès 1957, dans La transparence et l’obstacle, et semblent relever d’une affinité élective avec une critique qui non seulement les explique mais les comprend : « À tort ou à raison, Rousseau n’a pas consenti à séparer sa pensée de son individualité, ses théories et son destin personnel. Il faut le prendre tel qu’il se donne, dans cette fusion et cette confusion de l’existence et de l’idée. On se trouve ainsi conduit à analyser la création littéraire de Jean-Jacques comme si elle représentait une action imaginaire, et son comportement comme s’il constituait une fiction vécue », écrivait Starobinski dans l’avant-propos. Série d’autoportraits, autobiographie interminable, les écrits de Jean-Jacques tentent de dévoiler le « modèle intérieur » et se heurtent à une impuissance constitutive. Car si « nul ne peut écrire la vie d’un homme que lui-même », on la déguise en l’écrivant. Les essais de Starobinski sur Rousseau s’appliquent à parcourir en tous sens – y compris dans les écrits dits philosophiques – un tel « double bind ». Ainsi qu’il le dit dans La Relation critique : « L’interprétation veut tout ensemble l’abolition de la différence (par le discours conclusif et totalisateur) et le maintien de l’écart (par la compréhension de l’autre en tant qu’autre). Plus généralement, l’interprétation vise tout ensemble le maximum de cohérence discursive et le maximum de spécificité individuelle…