Dans les années 1980 et 1990, l’anthropologie s’infligea un sévère examen autocritique. Elle mit en cause les présupposés épistémologiques fondant sa façon d’analyser les cultures étrangères ; elle instruisit le procès de son rôle dans la conquête coloniale et la subjugation des populations indigènes. Au même moment, l’anthropologie des sciences émergea en tant que spécialité, complétant et débordant à la fois cet examen réflexif. Plutôt que d’adopter sans réserves un idéal d’objectivité associé aux sciences de la nature dans l’imagerie courante, et de se demander dans quelle mesure l’anthropologie s’en approchait, des ethnographes se mirent à fréquenter les laboratoires, les salles de conférences, les cliniques, les comités et leurs dépendances, pour découvrir à quoi la science ressemble vue du sol. Comme le suggère le titre de Laura Nader, il s’agissait de mettre la science « à nu», l’observation directe des pratiques matérielles et symboliques la dépouillant de ses apprêts protecteurs et abstraits comme « la méthode scientifique » ou « les normes universelles de la raison ».
L’anthropologie des sciences présente donc une nouveauté véritable. Non pas qu’elle se soit emparée d’un nouvel objet: au contraire, qu’on fasse partir la généalogie de Comte et de ses analyses sur le progrès menant l’esprit humain de la participation mystique jusqu’à la science positive, de Durkheim et Mauss décrivant les formes primitives, à la fois naturelles, sociales et religieuses de la connaissance, ou de Tylor et Frazer et de leur séquence magie-religion-science, l’anthropologie n’a cessé d’enquêter sur la relation entre la connaissance de la nature et les pratiques sociales…