Voilà quatre décennies que le philologue Jean Bollack lit en parallèle les textes des auteurs anciens et ceux des poètes contemporains, sur le métier sans cesse remettant son ouvrage, comme l’atteste la parution, il y a deux mois à peine, d’une édition bilingue commentée des Purifications d’Empédocle, dont il avertit le lecteur qu’elle « fait suite à [son] édition et au commentaire des Origines […] parus il y a plus de trente ans. Voilà aussi plusieurs années qu’il poursuit une entreprise d’autobiographie intellectuelle dont Sens contre sens, venant après La Grèce de personne, est le plus récent jalon. L’enjeu de ces entretiens avec Patrick Llored est double : sortir la philologie du ghetto où la tient enfermée en France l’assimilation à une technique érudite de déchiffrement ; en éclairer la spécificité en montrant comment la réflexion sur le sens des œuvres est indissociable, non seulement d’une critique de la pratique philologique elle-même, mais d’une interrogation sur la société dans laquelle celle-ci prend place. L’approche philologique suppose toujours un arrière-plan esthétique qui détermine, plus encore que les modes de lecture, le rapport au texte. Ce faisant, elle fait signe vers une position de réflexivité seule susceptible d’appréhender le sens d’un texte dans sa dimension d’ensemble. Cet art de lire qui, au-delà de la discipline de l’esprit, repose sur le respect de son objet, définit dans le paysage intellectuel français une position aussi originale en 2003 qu’elle l’était à la fin des années 1950 et offre aux sciences sociales, aujourd’hui désorientées, une direction de recherche féconde…