Qu’on le croisât dans la rue ou qu’on s’approchât de lui, ce qui frappait dans la personne de Louis-René des Forêts, c’était l’acuité de son regard. Je ne parlerai pas de son silence, tant il aimait les anecdotes, sans pour autant jamais rien perdre de sa réserve, même quand il était en confiance. Il s’exprimait lentement, cherchant, contrairement au bavard selon Kleist, à ne rien énoncer qu’il n’ait au préalable pensé. Il évitait toute précipitation, se souciant plus de comprendre que de répliquer. Durant le dialogue, son regard ne déviait pas plus de l’interlocuteur qu’il ne se détourne de l’objectif, sur les photographies qu’on garde de lui. Se laissait-il même aller à ciller ?
Avare de gestes, il avait tué la marionnette en lui, ce qui l’apparentait à Monsieur Teste. Le temps et la souffrance avaient creusé son visage, lui donnant un aspect de pierre rugueuse. Il était dandy dans la discrétion et l’effacement ; son élégance était sans rapport avec celle qu’imposent les modes. Par coquetterie, il remettait régulièrement ses cheveux en désordre, et de la main les gonflait avec soin. De sa façon de parler et de se conduire – je ne l’ai connu que déhanché et s’aidant d’une canne – émanait le sentiment d’une contradiction dépassée : son temps épargné, il en usait libéralement avec autrui ; il ne répugnait pas à s’abandonner à une brève et imprévisible effusion – était-ce par lassitude ? – tout en se montrant d’ordinaire réservé ; la douleur ne l’empêchait pas de se déplacer, par goût de l’opéra, ou par curiosité d’un lieu de vie…