Notes
-
[1]
O.N.S.S., Statistique établie au 30 juin 1977.
-
[2]
Pour l’historique des événements qui ont précédé directement l’accord du 3 septembre 1977, voir L. Goffin, Mentalités de sidérurgistes en milieu rural. Le cas d’Athus et du Sud-Luxembourg belge, Ed. Universitaires - F.U.L., Bruxelles-Arlon, 1979.
-
[3]
Pour les autres aspects, voir Louis Goffin, op.cit.
-
[4]
Cette disposition n’a pu être appliquée.
-
[5]
Notons qu’en 1970, ils étaient 2.483.
-
[6]
Pour la période de référence, et pour 3 personnes à charge :
- 160 francs bruts/heure = ± 21.500 francs nets par mois
- 200 francs bruts/heure = ± 25.800 francs nets par mois
- 240 francs bruts/heure = ± 29.900 francs nets par mois
- 260 francs bruts/heure = ± 31.850 francs nets par mois.
-
[7]
Base = 1978.
-
[8]
Notons qu’on retrouve là des idées défendues par des économistes tels que E.F. Schumacher, dans Small is beautifull (Equipements assez bon marché pour être accessibles à presque tout le monde, susceptibles d’une application sur une échelle réduite, compatibles avec le besoin de créativité de l’homme) ; S. Amin (développement autocentré) ou encore A. Grjebine, De la crise mondiale au développement autocentré, PUF, Paris, 1980.
-
[9]
Vu les limites de ce texte, on ne pourra citer toutes les données qui fondent ces analyses : on se contentera d’en citer quelques-unes au cours du texte.
-
[10]
On ne considère dans cette analyse que les ouvriers âgés de moins de 55 ans et en distinguant entre ouvriers spécialisés et qualifiés d’une part et manœuvres d’autre part.
-
[11]
M. Mormont et J.-C.Bastin, Potentiel de main-d’œuvre et attitudes à l’égard de la formation du personnel de la M.M.R.-A., F.U.L., décembre 1977, Rapport au Comité subrégional de l’emploi.
-
[12]
On remarquera que ces qualifications ne sont connues avec précision que pour une partie des travailleurs qui ont déclaré en posséder une : on peut penser que ceux qui n’en ont pas déclaré en sont effectivement privés.
-
[13]
-
[14]
Selon les chiffres d’avril 1980 (Cellule de l’emploi), la distribution des “définitifs” se présente, en gros, comme suit (pour 177 ouvriers) :
-
[15]
Ce sont notamment les ouvriers-paysans (quelques-uns dans ce groupe) qui espèrent trouver “n’importe quoi” qui leur permette de continuer leur activité agricole.
-
[16]
Ce sont eux, effectivement, qui sont les plus radicalement opposés à la formule de la Cellule de l’emploi qui, à leurs yeux, est un gaspillage qui inciterait à “ne pas chercher du travail”.
-
[17]
“On n’aura plus jamais ce qu’on avait. L’usine, c’est fini”.
-
[18]
Nombreux sont ceux qui sont entrés à la M.M.R.-A. parce que, pour des ouvriers peu qualifiés, c’était le meilleur employeur possible, c’est-à-dire notamment celui où on pouvait acquérir et se voir reconnaître du savoir-faire.
-
[19]
“Qu’ils viennent me chercher. Ils nous l’ont pris (notre travail), qu’ils nous en donnent qui nous convienne”.
-
[20]
La majorité de ceux qui ont effectivement trouvé du travail dans ces entreprises sont des jeunes, des ouvriers qualifiés ou du personnel de maîtrise (contre-maîtres, chefs d’équipe) pour les plus âgés.
-
[21]
Il faut cependant noter que les ouvriers qui sont plus satisfaits de leur reclassement, parce que leur nouveau travail correspond à leurs compétences acquises dans l’entreprise sidérurgique (parmi ceux n’ayant aucune qualification scolaire), sont significativement plus nombreux dans les quelques entreprises liées à la S.D.B.L., où ces compétences semblent avoir été mieux prises en compte que dans l’ensemble des entreprises qui ont embauché d’anciens sidérurgistes.
-
[22]
Ce qui se traduit par des expressions comme : “Soporifique”, “On a endormi les ouvriers”, “On a fait des discours, des promesses”.
-
[23]
“La politique pourrit tout”. “Ils n’ont rien fait, ils ne feront plus rien”.
-
[24]
Parmi les responsables de la situation actuelle, les enquêtes citent pêle-mêle, les banques, l’Etat, la M.M.R.-A., les syndicats, les actionnaires, la politique, ou des événements passés comme la fusion des entreprises…
-
[25]
Cf. M. Mormont et J.-C. Bastin, Les travailleurs de la M.M.R.-A., Potentiel de main-d’œuvre et attitudes à l’égard de la formation et du reclassement, étude citée, 1977.
-
[26]
J. Siebertz et M. Haidon, “Le Sud-Luxembourg”, Courrier Hebdomadaire du CRISP nos 695 et 696 des 3 et 10 octobre 1975.
-
[27]
Codes I.N.A.S.T.I. 401 – 402 – 403 – 410 et 307.
-
[28]
L’adjonction du village de Guerlange lors de la fusion n’a pas d’influence sur ces données.
-
[29]
Les statistiques par commune, classe d’activité N.A.C.E. et importance sont établies au 30 juin, uniquement les années paires.
-
[30]
Les données de 1980 ne sont pas encore publiées.
-
[31]
I.N.S., 31 décembre 1979.
-
[32]
ONEM, Chômeurs complets indemnisés au 31 juillet 1980.
-
[33]
Un immeuble commercial acheté ±FB 2.000.000 deux ans auparavant a été revendu pour FB 600.000. Le cas est extrême, mais pas unique.
-
[34]
D’après : C.S.C., Les travailleurs d’Athus en lutte pour leur devenir, 1979.
INTRODUCTION
1 Le lent déclin de la sidérurgie lorraine, et la fermeture de la plus importante unité industrielle de la province de Luxembourg, ont créé un vide dans le tissu économique du Sud-Luxembourg.
2 L’impact sur l’emploi est très important dans la région et particulièrement dans l’arrondissement d’Arlon qui a vu le volume de l’emploi manuel masculin diminuer de 36 % [1].
3 Cela explique sans doute que l’on ait pris à l’époque deux décisions originales : la création d’une Cellule de l’emploi et celle d’une Société de diversification.
4 La Cellule de l’emploi est à présent arrivée à son terme et la Société de diversification belgo-luxembourgeoise, devenue entretemps la Société de diversification du Bassin luxembourgeois (S.D.B.L.), a trois ans d’existence.
5 C’est une analyse des résultats produits jusqu’à ce jour par ces initiatives que nous présentons dans ce Courrier.
6 Elle sera complétée par un examen de la situation économique du Sud-Luxembourg. En effet, résoudre une partie des problèmes des “dégagés” d’Athus n’est pas nécessairement résoudre en même temps ceux du Sud-Luxembourg.
I – LE PROTOCOLE D’ACCORD DU 3 SEPTEMBRE 1977 [2]
1 – Les parties concernées
7 Le protocole d’accord du 3 septembre 1977, relatif aux problèmes de la S.A. Minière et Métallurgique de Rodange-Athus (M.M.R.-A.) est signé par les gouvernements belge et luxembourgeois, en liaison avec la Commission des Communautés européennes. Les travailleurs d’Athus acceptent, le 5 septembre 1977, par 691 “oui” contre 94 “non” ce que les organisations syndicales appellent un “accord social”. Les parties privées concernées par l’accord sont les sociétés Arbed et Cockerill.
2 – Le contenu de l’accord
8 L’accord comporte deux volets :
- un volet social, approuvé par le Conseil des ministres le 2 septembre ;
- un volet économique et financier, négocié “à l’arraché” le 3 septembre entre les représentants des deux gouvernements, de la Communauté économique européenne et des sociétés Arbed et Cockerill.
9 Cet accord est considéré comme un moindre mal par le gouvernement belge, parce qu’il rencontre les quatre objectifs suivants :
- restructurer la société en vue d’assurer sa viabilité économique ;
- promouvoir l’emploi et le développement régional durement atteint par la rationalisation nécessaire en organisant la diversification industrielle ;
- innover sur le plan social pour permettre aux travailleurs désengagés de bénéficier d’un temps de réadaptation ;
- demeurer dans la ligne du programme de la C.E.E. de lutte contre la crise sidérurgique.
10 Dans ce Courrier, nous n’aborderons que le volet social et la politique de reconversion [3].
a – La Cellule de l’emploi
11 Aspect le plus original mais aussi le plus critiqué dans certains milieux, cette Cellule de l’emploi mérite qu’on en examine plus en détail les modalités de constitution. Certes, comme l’ont affirmé les ministres belges, le cas d’Athus est unique, car peu de possibilités de reconversion existent dans cette région mono-industrielle, et pareille solution, fort coûteuse à l’Etat, ne sera sans doute jamais appliquée ailleurs. Elle ne doit donc pas créer une jurisprudence automatique.
12 Le protocole d’accord approuvé par l’Etat belge et signé le 10 septembre 1977 prévoit que :
-
Les travailleurs concernés auront au moment de leur dégagement à faire un choix définitif entre deux possibilités : soit percevoir les indemnités de préavis ainsi que les indemnités C.E.C.A., les unes et les autres plafonnées ; soit adhérer à la Cellule de l’emploi et, dans ce cas, percevoir sans plafonnement et sur base du salaire de 1974 indexé, les indemnités suivantes, à dater du jour du dégagement :
- pendant 12 mois : 100 % de ce salaire
- pendant 12 mois : 90 % de ce salaire
- pendant 12 mois : 80 % de ce salaire
- La finalité de la cellule sera double : elle remplira un rôle administratif et un rôle actif de recherche d’emplois nouveaux. La cellule sera financée par le Fonds de Fermeture, l’O.N.E.M., la C.E.C.A. et le Département des Affaires économiques (crédits sectoriels) ;
- Cette Cellule de l’emploi, constituée sous forme d’une a.s.b.l., sera gérée paritairement (travailleurs et représentants du gouvernement belge). Les formalités administratives seront assurées globalement par le seul canal de la Cellule de l’emploi. L’a.s.b.l. sera placée sous un double contrôle : pour les opérations financières, l’inspecteur des Finances près du Ministère des Affaires économiques et pour les opérations techniques, l’inspecteur à désigner par la direction du Bureau régional de l’O.N.E.M. ;
- Les travailleurs inactifs domiciliés à la Cellule de l’emploi toucheront par le canal exclusif de celle-ci les rémunérations dégressives indiquées plus haut ;
-
Pour les travailleurs remis au travail, trois hypothèses sont à considérer :
- tout travailleur qui accéderait à un nouvel emploi, dans quelque secteur professionnel que ce soit, conserverait la “rémunération lui acquise dans la Cellule de l’emploi au moment de son départ”, cette dernière couvrant la différence entre cette rémunération et celle applicable au secteur pendant la période restant à couvrir. S’il devait être licencié, il retrouverait la protection de la cellule pour la même période ;
- la Cellule de l’emploi sera assimilée à une instance publique [4]. Dans la mesure où elle donnera de l’emploi aux travailleurs qui y ont adhéré, la réglementation actuelle de la mise au travail des chômeurs par les pouvoirs publics lui sera applicable ;
- à partir du 1er janvier 1978, les travailleurs pourront bénéficier en outre de la mise au travail dans le cadre spécial temporaire (programme du Département de l’emploi).
13 Pendant les périodes où les travailleurs seraient placés par l’intermédiaire de la Cellule de l’emploi, ou par les services de l’ONEM, soit en tant que chômeur mis au travail par les pouvoirs publics, soit dans le cadre spécial temporaire, la cellule couvrira la différence entre la rémunération allouée dans le secteur considéré et le salaire initial.
b – La Société de diversification du Bassin luxembourgeois S.D.B.L.
14 Afin d’organiser la reconversion et la diversification industrielle, il a été convenu de créer une société de diversification : la Société de diversification belgo-luxembourgeoise. Constituée le 24 mars 1978 et opérationnelle à partir de mai 1978, la S.D.B.L. dispose d’un capital de départ de FB 20 millions, souscrit à concurrence de : 74,8 % par la S.D.R.W., de 25 % par l’Etat Grand-ducal, de 0,05 % par l’Arbed, de 0,05 % par Cockerill, de 0,02 % par la Province de Luxembourg, de 0,02 % par Idelux et de 0,02 % par la M.M.R.-A.
15 Les moyens mis à la disposition de la S.D.B.L. lors de sa création ainsi que les engagements des groupes privés apparaissent pour le moins dérisoires.
16 En juin 1980, une nouvelle dénomination fut adoptée, Société de diversification du Bassin luxembourgeois “S.D.B.L.”. Le capital fut réduit à FB 0 par apurement des pertes puis porté à FB 100.006.000. Cette augmentation a été souscrite par l’Etat belge représenté par la S.R.I.W.
II – ESSAI D’EVALUATION DES RESULTATS DES MESURES DE RECONVERSION
1 – La Cellule de l’emploi
17 La Cellule de l’emploi devait initialement prendre fin le 4 septembre 1980. Elle a été successivement prolongée d’un mois, puis de 15 jours. Elle a donc officiellement pris fin le 19 octobre 1980.
a – Aspects financiers
18 En trois ans et quelques semaines, la Cellule de l’emploi aura géré un budget global de 1 milliard 442 millions de francs qui se ventile comme suit (en millions) :
DEBIT
DEBIT
CREDIT
CREDIT
19 Les 335 millions de dettes à court terme concernent d’une part l’O.N.S.S. (103 millions), d’autre part le précompte professionnel (233 millions). La cellule ne recevant pas, au fil des mois, les moyens suffisants pour faire face à ses besoins (ce qui explique l’importance des frais financiers) a suspendu ses paiements d’O.N.S.S. et de précompte.
20 Il faut noter que ce budget ne représente
- ni le coût du volet social des accords de 1977, dans la mesure où les interventions 1 à 5 du crédit sont des interventions classiques ;
- ni le coût de trois années “sans sidérurgie” dans la mesure où environ 500 anciens sidérurgistes ont entretemps trouvé du travail ailleurs sans pour autant que le déficit d’emploi provoqué par la fermeture ait été résorbé.
Situation du personnel émargeant à la Cellule de l’emploi au 19 octobre 1980
Situation du personnel émargeant à la Cellule de l’emploi au 19 octobre 1980
b – Evolution de la situation des adhérents sur le plan de l’emploi
21 Le nombre total de travailleurs dégagés le 5 septembre 1977 s’élève à 1.538 unités [5], soit 1.372 ouvriers et 166 employés.
22 Parmi ceux-ci, 45 employés et 164 ouvriers ont été prépensionnés le 5 septembre 1977 ; 4 employés et 25 ouvriers ont été pensionnés.
23 En tenant compte des exclus, non-adhérents au départ, décèdes, etc., étaient adhérents à la cellule au 19 octobre 1980, date de la fin de la cellule : 107 employés, 1.036 ouvriers, soit au total 1.143 adhérents.
24 Parmi ceux-ci, 733 se trouvaient dans une situation “stable” (contrat à durée indéterminée, indépendants, militaires de carrière ou prépensionnés). Restent 410 personnes n’ayant pas d’emploi ou un emploi précaire. On verra dans la troisième partie qu’il s’agit d’une catégorie présentant des caractéristiques relativement différentes par rapport à ceux qui se sont reclassés.
25 Il est intéressant de voir vers quelles entreprises ont pu s’orienter les sidérurgistes reclassés. Ce reclassement, portant sur 499 ouvriers et 58 employés selon les derniers renseignements établis par la cellule, se présente comme suit :
26 Relativement peu d’anciens sidérurgistes ont trouvé de l’embauche dans les nouvelles implantations industrielles, telles que Archambel (± 1 emploi sur 6) ou Mobil, dans lesquelles les milieux syndicaux avaient initialement placé beaucoup d’espoir. Les raisons invoquées sont généralement l’âge ou la qualification.
c – L’après-cellule
Les mesures prises en faveur du personnel non reclassé
27 A la fin de la cellule, le gouvernement belge a marqué son accord pour octroyer :
- aux anciens adhérents de la Cellule de l’emploi remis au travail dans le cadre d’un contrat de formation ONEM, d’un contrat de C.S.T. ou d’un contrat de C.R.T., une indemnité spéciale de 100 francs par jour de chômage pointé, augmentée d’une indemnité complémentaire de formation et de déplacement qui, cumulée à l’indemnité de chômage, permet d’atteindre un complément de 5.000 francs bruts par mois ;
- aux anciens adhérents chômeurs, une indemnité de 100 francs par jour de chômage pointé.
Le personnel reclassé
28 Aucune mesure n’a été prise en faveur du personnel remis dans un circuit de travail normal.
Les prépensionnés 1980
29 151 personnes ont été prépensionnées en 1980, par le fait de l’application du régime de prépension (CNT 17) aux travailleurs atteignant l’âge de 55 ans avant le 31 décembre 1980.
La situation financière des anciens sidérurgistes
30 L’effet de la fermeture de l’usine d’Athus a été amorti et retardé sur le plan des revenus par la Cellule de l’emploi. S’il y avait des amputations de 10 ou 20 % pour le personnel non reclassé et des diminutions de revenus pour ceux qui ont été prépensionnés en 1977, dans l’ensemble, les véritables effets se font (et se feront) sentir à partir de la fin de la cellule.
1 – Situation des reclassés
31 Les employés reclassés ont connu les amputations les plus importantes. Certains ont même enregistré une perte de la moitié de leur rémunération nette. Une estimation générale est impossible à réaliser en raison de la multiplicité des situations. On peut simplement constater que le niveau des rémunérations atteint à la M.M.R.-A. se situait sensiblement au-dessus de la moyenne.
32 Pour les ouvriers adhérents en juin 1980, la rémunération horaire brute moyenne à 100 %, gratification de fin d’année comprise, garantie par la Cellule, s’élevait à 230 francs, ce qui représente une rémunération mensuelle nette de ± 28.500 francs avec 3 personnes à charge [6].
Salaires horaires bruts des ouvriers - juin 1980
Salaires horaires bruts des ouvriers - juin 1980
Taille de l’échantillon : 1.238Moyenne : 230
33 Il est évidemment difficile d’évaluer avec précision la perte de pouvoir d’achat du personnel reclassé. Le seul élément de comparaison reste donc le salaire fixé par les conventions des secteurs présents dans le Sud-Luxembourg. Précisons toutefois que ces conventions établissent des minima et que des accords particuliers peuvent être à l’origine de rémunérations plus intéressantes.
34 Le barême établi par convention se présente comme suit pour quelques secteurs pouvant reprendre d’anciens sidérurgistes :
35 La différence entre ces barêmes et les salaires pratiqués à la M.M.R.-A. est importante. La perte des revenus est surtout sensible pour ceux qui se situaient au-delà de 200 à 210 francs de l’heure, soit la majorité des ouvriers. Les entreprises situées sur le site d’Athus tentent généralement d’offrir un minimum de 25.000 francs nets [7] par mois à leurs ouvriers. Il n’en va pas nécessairement de même ailleurs.
2 – Situation des prépensionnés
36 Pour les prépensionnés, le nouveau revenu est égal à l’indemnité de chômage, plus la moitié de la différence entre cette indemnité et la rémunération nette de référence (prépension conventionnelle - CNT 17). A titre d’exemple, une rémunération nette de 36.000frs est amputée de ± 8.000frs.
3 – Les autres
37 La réduction du pouvoir d’achat des chômeurs ainsi que de ceux qui ont un statut précaire du type C.S.T., C.R.T. ou formation ONEM, est atténuée par l’indemnité de 100 francs par jour pour les premiers, de 5.000 francs par mois pour les seconds.
2 – La reconversion tentée dans le cadre de la S.D.B.L.
a – Moyens mis en œuvre par l’initiative publique
b – Premiers résultats
Sur le plan de la diversification
38 Lors de sa création, la S.D.B.L. estimait devoir se doter d’une structure souple et peu importante, basée sur un jeu de cellules de travail chargées de concrétiser les divers projets de diversification. Sans exclure, par principe, les grandes concentrations industrielles, il apparaissait néanmoins essentiel à ses dirigeants de repenser le développement économique et social dans une voie nouvelle centrée davantage sur l’aspect qualitatif plutôt que sur la production quantitative, et notamment sur :
- la durée de vie des installations et des équipements à réaliser ;
- la qualité des matériaux utilisés, notamment sur le plan des exigences en matière de durée de vie ;
- la facilité de maintenance.
39 Il s’agissait aussi :
- de favoriser au maximum toute promotion d’activités susceptible d’atteindre un moindre degré de dépendance, en valorisant les ressources locales ;
- de repenser le développement en termes d’outils simples, décentralisés et à la portée d’investissements modestes, sans négliger par principe les hautes technologies, mais en jugeant erroné d’espérer que quelques usines de haute technicité puissent suppléer le manque d’activité d’une large partie de la population active [8].
40 En conclusion, on souhaitait pouvoir promouvoir des solutions simples en matière de production d’énergie, de production d’outillage et d’équipements, de formation artisanale et professionnelle, de construction d’infrastructures et d’équipements en faveur des milieux ruraux.
41 Après 3 ans d’activité, on constate, au vu de l’objet social des entreprises implantées sur le site d’Athus, que si certaines réalisations sont relativement classiques, la plupart répondent aux critères de départ et que l’objectif de diversification se concrétise.
42 Nous donnons ci-après un bref aperçu des principales caractéristiques de ces entreprises : dénomination, structure du capital, objet. Le bilan de l’emploi sera examiné ensuite.
1 – Sarsi
43 La Société d’assainissement et de rénovation de sites industriels est une société coopérative, créée le 10 mars 1980 à Aubage, au capital de FB 35.007.000 représenté par 35.007 parts de coopérateurs de FB 1.000. 35.000 parts de coopérateurs ont été souscrites par la Société de diversification belgo-luxembourgeoise “S.D.B.L.” en mission déléguée par l’Etat belge. La société a pour objet “en vue de leur réintégration dans une politique de saine gestion du patrimoine foncier, le démantèlement, l’assainissement, l’aménagement et la rénovation en tout ou en partie, de sites, ensembles et sous-ensembles industriels désaffectés (référence à l’Arrêté royal portant exécution de la loi du 27 juin 1978, relative à la rénovation des sites wallons d’activité économique désaffectés, complété par l’Arrêté royal du 15 décembre 1978)”.
2 – Terminal Athus
44 La société coopérative Terminal Athus, à Athus, possède un capital de FB 7.600.000, représenté par 76 parts de FB 100.000, dont 50 parts ont été souscrites par les pouvoirs publics. La société a pour objet “l’exploitation d’un complexe “Transport général” comprenant l’installation d’un terminal container et de ferroutage, d’une gare ferro-routière et de toutes installations se rapportant à cet objet, ainsi que l’organisation et la mise à disposition de tous les services auxiliaires y afférents”.
3 – Ocribel S.A.
45 La société anonyme Ocribel a été créée le 9 juin 1980 à Arlon, au capital de FB 80.000.000 représenté par 8.000 parts de FB 10.000 dont 3.000 ont été souscrites par les pouvoirs publics. “La société a pour objet, pour son compte ou pour compte de tiers, en Belgique ou à l’étranger, toutes opérations généralement quelconques relatives à la fabrication, l’achat, la vente et la revente de tous appareils ou systèmes chauffants et/ou réfrigérants et de tous produits en matière plastique et/ou en tôle métallique ou autre”.
4 – Société Multi-Services (S.M.S.)
46 La société coopérative Société Multi-Services “S.M.S.” a été créée à Aubange en mars 1980, au capital de départ de FB 522.000 représenté par 522 parts, toutes privées. Elle a pour objet “dans le contexte de la nécessité de créer des emplois, d’aider au développement d’activités existantes et de susciter des activités nouvelles notamment en matière d’assistance aux P.M.E. et de la collaboration entre celles-ci par :
- la promotion et l’exécution de l’aide administrative, juridique et de gestion ;
- la promotion et l’exécution de l’aide à l’organisation commerciale ;
- la promotion et l’exécution de services techniques polyvalents, notamment en matière de rénovation et d’entretien de bâtiments et de mise en service et de maintenance d’équipements et d’installations”.
5 – L.G.R.
47 La Société pour l’industrialisation des procédés de télémesure “L.G.R.”, est une société anonyme constituée en septembre 1978 à Athus. Son capital, porté de FB 1.250.000 à FB 15 millions en juillet 1979, est détenu par la SDRW. La société a pour objet “la fabrication, le développement, la commercialisation, le service et l’entretien de matériel et de système principalement électronique, notamment en matière de mesure et de transmission automatique de données par réseaux téléphoniques commutés. Elle a également pour objet les services liés au fonctionnement de ce matériel et de ces systèmes”.
6 – Athus Recycling Company “ARC”
48 La société anonyme Athus Recycling Company “ARC”, a été créée le 6 juin 1980 à Aubange, au capital de FB 1.250.000. Le 7 mai 1981, il a été porté à FB 72.000.000. La S.D.B.L. en mission déléguée par les pouvoirs publics détient 50 % du capital de cette société. “La société a pour objet la production, la récupération, le recyclage, la transformation et la commercialisation de métaux non ferreux, de toute autre matière et de tout autre déchet, et ce à partir d’une affinerie de seconde fusion, d’une installation Dryflo et de toutes autres installations utiles”.
7 – Fabrique Sibenaler
49 La S.A. Fabrique Sibenaler a un capital de FB 7.000.000. “La société a pour objet toutes opérations se rattachant directement ou indirectement à la fabrication, au commerce et à la représentation d’escaliers métalliques ou en toute autre matière, ainsi que les accessoires y afférents, de même que tous les équipements de bâtiments et autres produits accessoires”.
8 – Service forestier
50 La dénomination reste à préciser. Ce service a pour objet l’exécution de tous les travaux de sylviculture pour favoriser la croissance des peuplements de façon à obtenir une meilleure production par unité de surface boisée, notamment :
- récolte de graines forestières de qualité ;
- fossés d’assainissement et de drainage ;
- débroussaillage ;
- premières éclaircies ;
- clôtures pour protections des plantations ;
- travaux de voirie ;
- plantation et préparation à la plantation.
51 L’activité a été lancée à titre expérimental et de formation via un cadre spécial temporaire groupant neuf communes comme promoteurs, sous la coordination de la S.D.B.L. assistée par l’administration des eaux et forêts. Actuellement, le champ d’activité s’étend sur ± 30 communes.
Sur le plan de l’emploi
52 L’emploi occupé par les différentes sociétés décrites est le suivant :
(2)Il s’agit d’emplois confortés.
(3)Sous forme de C.S.T. actuellement.
53 Nous n’avons repris, sous la rubrique “Emploi additionnel à court terme” que les projets d’embauche sûrs dans les mois à venir. D’autres sociétés prévoient des extensions dès maintenant, notamment Terminal Athus et Société Multiservices.
c – Activités futures
54 Divers projets sont actuellement à l’étude. Ils devraient amener la création d’autres emplois nouveaux.
55 La S.D.B.L. a, par ailleurs, été chargée d’assurer le Service des prépensions et des indemnités spéciales, après la clôture de la Cellule de l’emploi.
III – ANALYSE SOCIOLOGIQUE DES CONSEQUENCES DE LA FERMETURE : LA POSITION DES TRAVAILLEURS SUR LE MARCHE DU TRAVAIL
56 Trois questions sont abordées. La première concerne les facteurs favorables et/ou défavorables au reclassement : les travailleurs licenciés ne forment pas un groupe homogène, certains ont plus de chances que d’autres de trouver un emploi. Mais trouver un emploi peut aussi signifier un déclassement ; la deuxième question prend en compte le processus de déclassement social et professionnel qui prend des formes particulières selon les groupes. Une troisième partie essaie de dégager les grandes tendances des réactions divergentes - voire opposées - des travailleurs face à leur situation qu’on peut considérer comme une sorte de déstructuration d’un groupe social.
57 Ces analyses reposent d’une part sur des données exhaustives (âge, qualification, statut actuel) et d’autre part, sur une enquête effectuée auprès d’un échantillon de travailleurs de différentes catégories et statuts (au 10 mai 1980, moment de l’enquête) : cette enquête permet de donner une idée plus fine des effets de cette fermeture d’entreprise, ainsi que des réactions des travailleurs licenciés [9].
1 – Les chances de reclassement : être jeune et qualifié
58 Les travailleurs en sont très conscients : l’âge est un facteur décisif de reclassement : plus de la moitié des ouvriers de moins de trente ans ont retrouvé un emploi pour seulement un cinquième des ouvriers de plus de cinquante ans (non compris les prépensionnés).
59 La qualification possédée a le même effet : les ouvriers qui déclarent posséder une qualification (spécialisation) se reclassent à raison d’un pour deux, alors que seul un manœuvre sur trois a retrouvé un emploi.
60 Et ces deux “facteurs” convergent. Si les ouvriers âgés sont en général moins qualifiés que les jeunes (qui sont plus nombreux à posséder un diplôme technique ou autre), on s’aperçoit qu’à âge égal, ce sont les plus qualifiés qui trouvent plus aisément du travail. Autrement dit, tout se passe comme si le vieillissement était de toute manière un facteur défavorable, mais aussi comme si la qualification possédée permettait mieux de résister à ce vieillissement, alors que le vieillissement touche beaucoup plus les manœuvres [10].
61 Ces constatations n’ont rien de surprenant. Mais on peut mener rapidement une analyse plus fine des différents statuts possibles pour les travailleurs licenciés au moment de l’enquête : on s’aperçoit alors d’une hiérarchisation de statuts depuis l’emploi salarié définitif (contrat à durée indéterminée), le stage ou la formation, l’emploi indépendant, l’emploi temporaire, les statuts de chômeur remis au travail (C.R.T.) ou cadre spécial temporaire (C.S.T.) et enfin ceux qui relèvent toujours de la Cellule de l’emploi. Ces différents statuts se hiérarchisent ainsi en fonction de l’âge et des qualifications (scolaires et autres) (voir tableau 3).
QUELQUES CARACTERISTIQUES DES OUVRIERS SELON LEURS STATUTS ACTUELS (en %)
QUELQUES CARACTERISTIQUES DES OUVRIERS SELON LEURS STATUTS ACTUELS (en %)
62 On peut en tirer quelques conclusions :
a – Les indépendants
63 Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, le passage sous statut indépendant ne concerne ni des ouvriers jeunes, ni des ouvriers dotés d’une qualification ou d’une formation scolaire élevée. Bien qu’il s’agisse d’un groupe peu nombreux, on peut noter qu’ils sont significativement plutôt des manœuvres, sans formation scolaire et en général âgés de plus de 40 ans.
b – Ceux qui sont reclassés définitivement
64 En tant que groupe, cette catégorie cumule toute une série d’avantages sur le marché du travail : relativement jeunes, qualifiés et dotés de diplômes ou certificats, ils ont en majorité trouvé cet emploi directement sans passer par d’autres statuts ou activités, comme d’ailleurs les indépendants.
c – Stage et formation
65 Ce petit groupe est formé en majorité de gens dotés déjà par ailleurs d’une formation scolaire, et de gens relativement jeunes. Ceci tend à confirmer une étude précédente, effectuée au moment de la fermeture et qui montrait que plus le niveau de formation ou de qualification était élevé, plus les détenteurs de celles-ci étaient disposés à accepter de recevoir une formation [11].
d – Les emplois temporaires
66 Sans que l’on puisse assurer que leur avenir se trouve dans l’emploi actuellement occupé, les ouvriers qui occupent en emploi temporaire se rapprochent plus par leurs caractéristiques des reclassés, que d’autres catégories.
e – Cadre spécial temporaire, chômeurs remis au travail, cellule
67 Ces trois catégories forment un groupe relativement homogène (et d’ailleurs mouvant, puisque les travailleurs passent souvent d’une catégorie à l’autre). Elles se composent de gens plus âgés, moins diplômés et moins qualifiés. Si une majorité importante de ceux qui sont chômeurs remis au travail ou dans un cadre spécial temporaire ont déjà exercé plusieurs activités de ce type, par contre, la majorité de ceux qui relèvent encore de la cellule n’ont jamais exercé d’activité depuis la fermeture de la M.M.R.-A.
68 Les tableaux 4 et 5 nous montrent avec plus de précision l’effet de la possession d’une qualification [12] sur les chances de reclassement et sur la hiérarchie des statuts actuels. De manière générale, plus de la moitié de ceux qui possèdent une formation acquise à l’école sont soit reclassés “définitivement”, soit en stage de formation. De même, la qualification acquise dans l’entreprise - quant elle est connue avec certitude, soit pour 254 ouvriers - constitue également un facteur de reclassement. Il en va d’ailleurs de même en ce qui concerne les employés (chiffres non fournis ici), où ce sont surtout les travailleurs qualifiés (bureau technique, comptabilité, etc.) qui ont retrouvé un emploi, alors que les “petits employés” administratifs sont sans perspective, d’autant plus s’ils sont âgés.
STATUT ACTUEL SELON LA QUALIFICATION EXERCEE DANS L’ENTREPRISE
STATUT ACTUEL SELON LA QUALIFICATION EXERCEE DANS L’ENTREPRISE
a) ayant une formation scolaireb) sans formation scolaire
TYPE DE FORMATION SCOLAIRE ET STATUTS ACTUELS
TYPE DE FORMATION SCOLAIRE ET STATUTS ACTUELS
(1) Le total peut être supérieur à la somme des colonnes dans les cas où certains sont, par exemple, pensionnés, prépensionnés.69 Après trois ans de Cellule de l’emploi, l’ensemble des travailleurs licenciés se trouve donc transformé : le marché de l’emploi combiné avec les différences d’âge et de qualification l’a stratifié d’une manière que l’on peut résumer comme suit :
- environ 350 travailleurs ont retrouvé un emploi : ce sont surtout des jeunes (à raison de 60 %) et des travailleurs qualifiés ;
- quelques-uns ont trouvé un emploi temporaire, et quelques-uns - souvent plus âgés - se sont installés comme indépendants ;
- une troisième strate, la plus importante, rassemble tous ceux qui travaillent sous des statuts spéciaux (C.S.T., C.R.T.) ;
- enfin, quelque 160 travailleurs sont restés sans occupation.
70 Cette stratification du groupe des ouvriers apparaît effectivement liée à l’âge et aux qualifications possédées. Mais quelle est la signification exacte de ces “reclassements” et de ces diverses situations ? C’est ce à quoi une enquête plus qualitative a tenté de répondre, en interrogeant un échantillon de chacune des catégories ci-dessus.
2 – Les positions des travailleurs sur le marché du travail
71 Les travailleurs ont été interrogés [13] sur leurs qualifications et carrières, leur emploi actuel (conditions de travail, accession, etc.), leur situation socio-familiale (famille, logement) et leur perception de la situation.
a – Les indépendants
72 Au nombre d’une dizaine dans notre échantillon (sur 20 connus au moment de l’enquête), les indépendants n’apparaissent ni comme un groupe jeune (en général plus de 40 ans), ni comme un groupe d’ouvriers très qualifiés, du moins ayant une formation scolaire. Par contre, ils sont relativement nombreux, sinon à avoir obtenu une qualification au cours de leur carrière, du moins à avoir réalisé une carrière : la moitié d’entre eux soit sont devenus chef d’équipe (de manœuvres en général), soit ont acquis une qualification. Ceci dénote sans doute de leur part une certaine attitude à l’égard de leur statut : ce sont, plus que d’autres sans doute, des gens ayant tenté et réussi une mobilité ascendante dans leur travail, alors qu’aucun d’entre eux ne se trouve exercer aujourd’hui, comme indépendant, une profession correspondant à leur qualification dans l’entreprise.
73 Ce qui est par contre déterminant de cette forme de reclassement, c’est soit la possession par le travailleur d’une autre compétence, déjà exercée régulièrement avant la fermeture, soit l’exercice d’une autre profession (souvent commerciale) par ou avec un autre membre de la famille. Certains exerçaient une profession autre (ferrailleur, bâtiment, carrelage) et ont estimé n’avoir aucune autre chance - vu leur âge et leur qualification reconnue - de se reclasser que de tenter leur chance comme indépendant. Dans le second cas, c’est généralement la profession indépendante d’un autre membre de la famille (femme, enfant) qui permet ce même passage (commerce, café, garage).
74 Quelles en sont les conséquences ? De manière générale, ces ouvriers devenus des indépendants sont satisfaits de leur situation.
75 Ils bénéficient tous de l’aide de leur famille (enfant, épouse) dans le travail. La plupart ont eu recours au crédit. Et la plupart aussi estiment que leur situation financière est plus ou moins analogue à celle qui était la leur auparavant, mais moyennant plus de travail et certains risques (crédit, incertitude), ce qui les rend généralement très inquiets face à l’avenir.
b – Les “définitifs” (travailleurs ayant retrouvé un emploi avec contrat à durée indéterminée)
76 Au nombre de 38 dans l’enquête, les définitifs - dont on sait qu’ils sont plus jeunes et plus qualifiés en général - apparaissent, à première vue, comme un groupe assez composite et hétérogène.
77 L’analyse précédente des “indépendants” nous permet de nous demander si des facteurs analogues ne jouent pas ici. Et il apparaît, en effet, que l’âge et la qualification sont des facteurs déterminants, mais non exclusifs.
78 En effet, dans le contexte d’un très étroit marché de l’emploi, il semble que la qualification à elle seule ne soit pas un facteur décisif du reclassement. D’ailleurs, la diversité des métiers exercés dans ces nouveaux emplois, eu égard aux qualifications et aux postes occupés dans l’entreprise, nous convainc [14] de l’hiatus entre la qualification et l’emploi retrouvé.
79 On pourrait, en effet, dresser une typologie de ces reclassements, en distinguant :
- le très petit nombre qui a trouvé un emploi grâce à une formation nouvelle (O.N.Em., construction en général) ;
- le groupe de ceux qui ont trouvé un emploi lié à leur qualification acquise à l’école (généralement des jeunes) ou dans l’entreprise (1/6 environ) ;
-
le nombre le plus important de ceux qui ont trouvé un emploi sans rapport direct avec leur qualification, parmi lesquels on pourrait distinguer :
- ceux qui ont trouvé, selon leurs dires, grâce à des relations personnelles (ancien employeur, membres de la famille ou amis travaillant dans une entreprise) ;
- ceux qui semblent devoir leur reclassement à des qualités morales reconnues (généralement anciens chef d’équipe) ou qui sont retournés à des activités antérieures (bûcheron, bâtiment, chauffeur-livreur) qu’ils déclarent avoir abandonnées auparavant parce qu’elles étaient dures, peu rémunératrices, peu sûres ;
- ceux qui ont trouvé dans le secteur public ou parapublic (communes surtout) estiment surtout le devoir à des “relations politiques” (ou “pistons”).
80 Naturellement, ces divers “facteurs” de reclassement peuvent se combiner, s’additionner, se cumuler, ce qui accroît sans doute les chances sur le marché du travail.
81 Quelles sont les conséquences de ces modes de reclassement ?
- la sécurité d’emploi (notamment dans le secteur public au sens large) est devenue un élément central d’évaluation du travail ;
- généralement, les conditions de travail, les salaires, sont estimés en régression par rapport à la situation antérieure ;
- les plus satisfaits sont aussi ceux dont la qualification a permis le reclassement tandis que ceux qui sont aujourd’hui cantonniers communaux, par exemple, estiment avoir perdu beaucoup (salaire) ;
- les P.M.E. sont relativement peu appréciées en termes de conditions et surtout d’ambiance de travail.
c – Les “Cadre spécial temporaire” et “Chômeurs remis au travail”
82 Les plus jeunes sont pour la plupart des ouvriers sans qualification (ils n’ont pas une carrière assez longue pour en avoir acquis une dans l’entreprise) ; ils espèrent généralement que leur travail actuel leur donnera accès à un emploi définitif.
83 Les plus âgés (plus de 50 ans) n’ont généralement pas retrouvé un emploi correspondant plus ou moins au poste occupé dans l’entreprise : la plupart y sont résignés, désespèrent de retrouver un jour du travail et se plaignent souvent du caractère dur du travail même si certaines conditions (horaires normaux) leur paraissent meilleures. Que souhaitent-ils, sinon continuer à occuper des emplois temporaires en attendant la prépension ou en continuant à bénéficier des avantages de la Cellule de l’emploi ?
84 Parmi les autres (30 à 49 ans), la qualification possédée (diplôme) permet à quelques-uns d’espérer trouver un jour du travail, et souvent d’ailleurs le travail actuel est qualifié. Quant aux autres - qui sont la majorité -, ils insistent plus sur l’insécurité de leur situation, que tous préfèrent au chômage, que sur leurs conditions de travail qui sont très variables. Ce sont surtout ceux qui sont occupés par les communes qui espèrent voir leur emploi devenir définitif.
85 Ils estiment que la Cellule de l’emploi a été bénéfique dans la mesure où elle les a aidés à trouver les emplois temporaires qu’ils occupent actuellement. Mais ils remettent aussi fort en cause toutes les autres interventions qui n’ont pas réussi à créer les emplois sûrs qui leur donneraient un statut “normal”.
d – Les temporaires
86 Ceux qui occupent aujourd’hui des emplois temporaires sont généralement des travailleurs jeunes et qualifiés et qui ont trouvé un emploi correspondant à leur niveau de qualification, même si l’incertitude demeure quant à leur avenir.
e – La Cellule de l’emploi
87 Le petit groupe des travailleurs qui n’ont eu aucune activité depuis la fermeture sont des travailleurs chez qui l’âge, l’absence de qualification s’additionnent souvent de problèmes de santé divers dont ils disent qu’ils vont s’aggravant à mesure de leur inactivité. Beaucoup espèrent quand même obtenir soit un emploi, soit une formation, ou encore souhaitent plus de liberté pour travailler un peu à domicile [15] ; les plus âgés attendent la possibilité de la prépension.
88 Il est significatif de noter ici le rapport contradictoire à la formule de la prépension qui se dégage de la comparaison des réactions de ce groupe avec celui des “prépensionnés”. Alors que ceux-ci estiment - pour la plupart et surtout ceux qui ont plus de 50 ans - que la prépension est pour eux la seule solution, qu’ils l’attendent comme la fin de leurs soucis et de leurs incertitudes, ceux qui bénéficient actuellement de cette formule ont à cœur de souligner que ce sont les autres qui leur disent qu’ils ont de la chance : la plupart soulignent l’isolement qui s’ensuit, l’envie d’encore travailler (au moins un peu) et la difficulté à le faire, tout en soulignant unanimement combien c’était, pour eux, la seule solution.
89 Ces observations nous permettent d’affirmer que la principale conséquence de la fermeture de l’entreprise peut être décrite comme un vaste processus de déclassement social et professionnel de la majorité des travailleurs issus de l’entreprise sidérurgique.
90 Dans la région qui nous concerne, la M.M.R.-A. constituait la seule grande entreprise industrielle, les autres grandes entreprises étant localisées au-delà des frontières et de toute manière appartenant, elles aussi, au secteur de la sidérurgie.
91 Par ailleurs, la sidérurgie (et particulièrement l’outil vieilli de l’usine d’Athus) avait ceci de particulier que la majorité des ouvriers occupés y entraient sans grande qualification préalable, mais y acquéraient au fur et à mesure de leur carrière une spécialisation. Celle-ci était généralement très liée à l’entreprise sidérurgique et à l’outil lui-même ; laminage, fonderie, coulée ; certains ouvriers accédaient à des postes de chef d’équipe. Ceci donnait lieu à des salaires relativement élevés eu égard à la formation scolaire possédée, mais liés à des qualifications apprises dans l’entreprise.
92 Ce contexte structurel (qui permet aussi de comprendre la valeur “culturelle” de l’entreprise se traduit - au moment de la fermeture - par une déqualification généralisée, et ce, d’autant plus qu’on se trouve devant un marché du travail étroit en général et inexistant dans le secteur sidérurgique.
93 Ainsi, parmi l’ensemble des reclassements observés (emplois salariés définitifs ou indépendants), on trouve bon nombre de travailleurs dont le reclassement constitue en réalité un déclassement au sens d’un changement de position sur le marché du travail : de travailleurs possédant une qualification spécialisée reconnue et sanctionnée (notamment par un salaire correspondant), ils deviennent de simples manœuvres. Ceci est d’autant plus fréquent si on considère les groupes plus âgés puisqu’on a affaire à des travailleurs qui, dans les années vingt ou trente, n’avaient guère eu l’occasion de fréquenter l’école et qui, par ailleurs, avaient pu acquérir au cours d’une carrière longue, ces aptitudes spécialisées.
94 Aussi, dans le groupe des indépendants, la plupart des travailleurs se reclassent à partir de qualifications autres que celles utilisées dans l’entreprise et recourent pour cela à des aptitudes acquises soit antérieurement, soit parallèlement : c’est généralement une seconde profession qui leur ouvre la porte à ce “reclassement” qu’il est difficile d’évaluer, mais dont on peut dire avec certitude qu’il se situe dans presque tous les cas, dans les secteurs les plus menacés du travail indépendant (petit commerce peu spécialisé, petites entreprises du bâtiment).
95 Une bonne part des travailleurs, salariés avec emplois définitifs, se trouvent occupés aujourd’hui dans des emplois sans rapport direct avec leurs compétences. Rares sont ceux qui peuvent affirmer que c’est le poste occupé et la qualification acquise dans l’entreprise qui leur servent aujourd’hui dans leur travail. Si la plupart estiment leur situation favorable, parce que relativement sûre, nombreux sont ceux qui pensent que leur travail ne leur convient guère, ne correspond en rien à leur savoir-faire et constitue un recul par rapport à leur situation antérieure.
96 Si nombreux sont ceux qui estiment que les nouvelles entreprises récemment implantées dans la région ne constituent une solution que pour quelques-uns, c’est précisément parce que dans celles-ci leur compétence actuelle est dévalorisée. Et ceci se traduit aussi par le regret fréquent qu’on n’ait pas créé des emplois “adaptés aux ouvriers de la M.M.R.-A.”. C’est dire combien est ressentie cette déqualification. Tout comme peut être cruellement ressenti le déclassement de ceux qui, engagés par exemple par des communes, se retrouvent simples manœuvres, “hommes à tout faire” ou “pour faire les saletés des communes”. Et ces observations contrastent toujours nettement avec la satisfaction de ceux qui ont retrouvé un emploi lié à leur qualification ou, plus rarement, au poste occupé dans l’usine sidérurgique.
3 – Les travailleurs face à l’avenir et au marché du travail
97 On ne peut pas comprendre les attitudes des travailleurs sans avoir compris, au préalable, ce processus de déclassement socio-professionnel qui a imposé à la majorité des ouvriers une rupture brutale de leur trajet socio-professionnel, lui-même inscrit dans le contexte d’une région particulière. Cette situation a induit une série d’attitudes sociales qui sont, elles-mêmes, une composante de la situation globale et une composante qu’il faut nécessairement prendre en compte pour envisager les avenirs possibles.
a – La nostalgie comme stratégie ultime
98 Les indépendants sont les moins enclins à évoquer les avantages objectifs et subjectifs du travail qui était le leur auparavant.
99 Ayant procédé à une reconversion professionnelle, mais également à une reconversion sociale, ils ont accompli un trajet qui les oppose à tous les autres, et au terme duquel ils s’opposent à tous les autres [16]. Au contraire, c’est seulement quand on a compris que, dans l’état antérieur du marché de l’emploi, l’usine était tout à la fois, ce qui donnait du travail, mais aussi ce qui assurait une possibilité de carrière, d’acquisition et de valorisation de savoir-faire, que l’on peut comprendre l’espèce de nostalgie qu’éprouvent la plupart des ouvriers (même les “définitifs”), mais surtout ceux qui ont le plus subi une déqualification, à l’égard de l’usine ; nostalgie qui se traduit à la fois par un regret de l’ambiance de travail, des relations de camaraderie et (ce qui est plus significatif) par une sorte de valorisation de l’usine, du travail du fer et du prestige de la grande usine” [17]. Et ceci se traduit aussi par opposition aux autres entreprises, nouvelles ou anciennes, de la région qui apparaissent petites, sans sécurité (à l’avenir incertain), sans ambiance.
100 Il n’y a là aucun romantisme, sinon pour l’observateur extérieur qui ne voit pas que ce mythe de l’usine correspond, en réalité, à un état particulier du marché du travail où l’usine était à la fois le seul et un bon marché du travail [18], et l’endroit où il était possible (notamment à travers des relations avec les autres travailleurs, et non à travers des formations formalisées) d’acquérir des compétences professionnelles valorisées.
101 Cette nostalgie peut, au contraire, apparaître comme une tentative - implicite - de restaurer (au moins subjectivement et collectivement) un état antérieur dont la disparition a dévalorisé bon nombre d’entre eux ; stratégie dont le cas limite (rarissime, il est vrai) peut être de refuser tout travail ne correspondant pas à ce qu’ils estiment être leur aspiration et qui était leur droit réel dans la situation antérieure [19]. C’est aussi ce qui permet de comprendre le souhait si fréquent de voir créer des emplois “adaptés aux sidérurgistes” ou l’opinion selon laquelle : “Pour nous, la sidérurgie, c’est fini ; on retrouvera peut-être du travail, mais pas dans la sidérurgie”.
102 Cette stratégie (en ce sens qu’elle essaie au moins de maintenir l’image collective et individuelle de l’état antérieur) est d’autant plus présente chez les ouvriers âgés dont tout le savoir-faire repose sur des acquisitions à l’intérieur de la carrière.
103 Les plus âgés et les moins qualifiés (au sens scolaire du terme, le plus souvent le seul reconnu par l’état actuel du marché du travail) sont aussi ceux qui mettent le plus en doute la possibilité de trouver un emploi dans les entreprises nouvelles créées dans la région [20], et aussi les plus nombreux à souligner que ces entreprises, quand elles embauchent du personnel non-qualifié, engagent surtout des femmes, des jeunes, voire des étrangers, soit les catégories de travailleurs les moins favorisées avec lesquels la concurrence n’est même plus possible en l’état actuel.
b – La diversité des réactions et la déstructuration du social
104 Les possibilités de carrière, d’acquisition de savoir-faire constituaient aussi de puissants facteurs d’intégration du groupe puisqu’elles définissaient un univers commun de possibles, en même temps que les relations entre travailleurs servaient de mécanisme de réalisation de ces possibles (à la fois entre eux pour la transmission des compétences et par rapport à la direction pour les faire reconnaître).
105 On comprend, par conséquent, que dans l’état actuel du marché du travail, ce qu’on a appelé la stratification du groupe relativement à celui-ci, constitue également un éclatement de ce groupe et se traduit par une série d’oppositions internes au groupe des ouvriers, oppositions qui peuvent parfois prendre le pas (plus d’importance dans ce qu’ils disent) sur la dénonciation des responsables de la fermeture de l’entreprise.
106 Aussi, dans l’évaluation que font les ouvriers de la Cellule de l’emploi, peuvent se rencontrer des opinions largement contradictoires selon lesquelles soit elle a constitué un pur gaspillage, coûteux pour tous, alors qu’il vaudrait mieux soulager la fiscalité des entreprises (les indépendants) ; soit elle a, au contraire, garanti les revenus et a aidé certains à trouver du travail (ouvriers peu qualifiés, actuellement Cadre spécial temporaire/Chômeurs remis au travail).
107 De même, l’opinion des travailleurs, quant aux autres et à leur situation actuelle, tend généralement à mettre en valeur tout ce qui sanctionne le statut le meilleur possible, le plus accessible à ceux qui parlent : ceux qui sont reclassés (et plus encore, ceux qui se sont ainsi déclassés et effectuent aujourd’hui des travaux moins rémunérateurs, plus durs ou peu sûrs) estiment que la Cellule de l’emploi est, non seulement une duperie, mais qu’elle favorise la paresse de ceux qui s’en satisfont et ne cherchent pas du travail ; au contraire, ceux dont le statut est les meilleur possible reste l’impossible situation antérieure, sont plus nombreux à estimer que cette solution, sans être idéale, a du moins permis de conserver quelques avantages. Alors que les premiers estiment plus souvent qu’il aurait mieux valu consacrer ces apports à créer des emplois nouveaux, les seconds sont plus sceptiques quant à cette opportunité étant donné que tout ce qui est neuf (entreprises nouvelles) échappe aux “anciens de la M.M.R.-A.”, qu’on ne leur a donné aucune priorité sur ces nouveaux segments (d’ailleurs étroits) du marché du travail.
108 Toutes ces réactions permettent de mesurer combien les oppositions internes au groupe des anciens ouvriers de la M.M.R.-A. sont induites par la déstructuration du groupe social que l’état actuel du marché a créée, en opposant des groupes naguère intégrés sur un même marché (et notamment parfois en inversant le rapport entre jeunes non qualifiés et ouvriers spécialisés plus âgés).
109 Il s’ensuit également que cette formule de Cellule de l’emploi n’est que rarement considérée comme une solution qui aurait été retenue par les ouvriers eux-mêmes. N’ayant pu empêcher la réalité du marché de l’emploi de se manifester par une sélection et un déclassement généralisé, toutes les initiatives qui ont été prises (Cellule de l’emploi et dans une moindre mesure, Société de diversification et entreprises nouvelles aidées par les pouvoirs publics) [21] sont misses en cause (inefficacité, maigres résultats et maigres efforts), surtout par ceux qui estiment n’en avoir pas bénéficié, dans la mesure où elles ont constitué des révélateurs de ces oppositions et de ces déclassements, tout en les atténuant. Ceci revient à dire que le processus de déclassement se traduisant par un sentiment de désenchantement et par des oppositions mutuelles, ces organismes apparaissent aujourd’hui moins comme des enjeux autour desquels se mobiliser et s’organiser, que comme des biais par lesquels l’ensemble du processus s’est réalisé (déclassement, perspective de chômage) [22].
110 Si la majorité des travailleurs interrogés (surtout les plus âgés) se disent aujourd’hui favorables à la “prolongation de la Cellule”, ce sont aujourd’hui les solutions “économiques” (investir, créer des emplois) qui sont le plus souvent citées, mais sans qu’aucune confiance ne soit faite aux instances actuelles [23], ni qu’aucun interlocuteur ne soit clairement désigne [24].
111 C’est dire qu’autant qu’une enquête puisse le montrer, le processus de déstructuration sociale se traduit par une incohérence (ou une in-cohésion) des discours.
c – Le nœud de la formation et le rôle des actions publiques
112 Il est symptomatique que le problème de la formation ait été très peu spontanément abordé au cours des enquêtes par les travailleurs interrogés. Tout se passe comme si le processus de formation (“sur le tas”), auquel ont été soumis la plupart des travailleurs, se traduisait par une certaine non-conscience, non tellement de ce processus, mais de la possibilité de le continuer ou de le reprendre. Ceci peut également s’expliquer, en partie, par le fait que la Cellule de l’emploi n’avait effectivement aucun objectif de ce type. Comme le disent les ouvriers souvent, la Cellule “a garanti, les revenus, et c’est tout”.
113 Etant donné que le processus observé (1977-1980) a été analysé comme processus de déqualification et de déclassement, on est amené à se demander si ce processus n’aurait pu être partiellement enrayé ou limité par la mise en place d’une action de formation adaptée à la rupture que la fermeture de l’usine instaurait entre l’état antérieur et l’état actuel du marché du travail.
114 Dans l’évolution de la situation (depuis la fermeture), c’est à travers un double terme (le volet social, le volet économique) que le problème a toujours été formulé. Ajoutons que, par social, on entendait ici exclusivement les conditions économiques (salaires) à assurer aux ouvriers licenciés. Et c’est cette problématique que l’on retrouve aujourd’hui à travers les déclarations des travailleurs qui, aujourd’hui non plus, ne posent guère ni le problème de formation à acquérir (sauf quelques-uns), ni la question des conditions dans lesquelles il aurait été possible d’assurer ou de ré-assurer une reconnaissance sociale à leurs savoir-faire.
115 Ce sont évidemment les travailleurs les plus qualifiés qui sont les plus demandeurs de formation [25]. Et parmi les travailleurs interrogés, ce sont effectivement ceux-là qui ont suivi majoritairement des formations, des stages, ou même passé des examens. On peut estimer que cette relation est encore accrue par le type de processus de formation antérieur (formation sur le tas).
116 Etant donné la rupture profonde entre l’état antérieur et l’état actuel du marché du travail régional, il aurait été considérablement plus significatif de penser ce problème et d’orienter l’action publique en ce sens.
117 * * *
118 Compte tenu des caractéristiques de l’entreprise et du contexte régional spécifique (ce qui ne signifie pas unique), la fermeture de l’entreprise sidérurgique d’Athus apparaît, trois ans plus tard, comme un vaste processus social que l’on peut résumer comme suit :
- effet de sélection du nouveau marché du travail qui tend à utiliser en majorité les travailleurs plus qualifiés et plus jeunes. Ceci conduit à une stratification de l’ensemble des travailleurs qui correspond à leur plus ou moins grande exclusion du marché du travail ;
- effet de déqualification et de déclassement de la majorité des travailleurs dans la mesure où la hiérarchie des savoir-faire de l’ancienne situation se trouve écrasée, et que, même de nombreux emplois actuellement occupés sont des déclassements ;
- effet de la déstructuration sociale du groupe social qui met en péril toute possibilité d’organisation collective.
119 En conclusion, on se bornera à remarquer que, si une action de “formation” devait avoir des chances d’aboutir, ce ne pourrait être qu’en maintenant, dans ce processus, des formes d’organisation collective correspondant au mieux à l’organisation collective du groupe des travailleurs à l’intérieur de l’entreprise disparue.
IV – L’EVOLUTION DE LA SITUATION ECONOMIQUE DU SUD-LUXEMBOURG DEPUIS LA FERMETURE
120 Le CRISP a publié en 1975 une étude consacrée au Sud-Luxembourg [26]. Notre prétention n’est pas de la réactualiser ici. L’analyse se limitera en effet à la mise en évidence de quelques effets indirects et induits sur l’emploi et à l’examen de quelques indicateurs de base.
1 – Effets indirects et induits sur l’emploi
121 La sidérurgie athusienne ne se trouvait pas au centre d’un complexe industriel dense et intégré. Les effets de la fermeture ne sont donc pas difficiles à mettre en évidence. Ces effets sont en fait attribuables à la récession de toute la sidérurgie lorraine, car, si la crise de ce secteur s’était localisée uniquement à Athus, les entreprises situées en amont et en aval auraient pu ou pourraient se réorienter plus ou moins facilement.
122 Les principaux effets concernent trois types d’activités : le transport, les utilisateurs des sous-produits de la sidérurgie et les fournisseurs de la sidérurgie.
a – Le transport
- chemin de fer : perte de 6 emplois ;
- transports routiers : les disparitions ne sont pas dues au seul déclin de la sidérurgie. Globalement, ce secteur est en expansion, grâce notamment aux activités du Terminal Athus ;
- transports de personnes : malgré le déclin de l’emploi dans la sidérurgie, les entreprises concernées semblent s’être suffisamment diversifiées.
b – Les utilisateurs des sous-produits de la sidérurgie
- laitiers routiers : les 50 emplois que compte cette activité actuellement ont une espérance de vie de cinq ans ; ils disparaîtront avec l’épuisement de la matière première ;
- matériaux de construction : les statistiques de l’emploi de l’O.N.S.S. par commune indiquent, pour l’ensemble de l’arrondissement d’Arlon, 25 emplois au 30 juin 1978 dans la branche matériaux de construction et travaux publics en béton, ciment, plâtre.
125 Les entreprises concernées ne semblent pas affectées pour l’instant. Utilisant notamment le laitier, elles auront néanmoins des problèmes d’approvisionnement à moyen terme et/ou des frais de transport qui les mettront en situation difficile face à la concurrence étrangère.
c – Les fournisseurs de la sidérurgie
- minières : 17 emplois perdus à Musson, auxquels il faut ajouter les emplois perdus dans les minières françaises et luxembourgeoises ;
- récupération : alors qu’il y a un an encore, l’Arbed semblait représenter un débouché sûr, l’évolution est à présent défavorable, du fait, d’une part de l’état de la demande, d’autre part du démantèlement du site d’Athus (mitraillage).
127 Quant aux effets induits, il n’est pas encore possible de les déceler ou de les isoler clairement. Si l’on se limite au commerce, on constate en effet que deux phénomènes compliquent fortement l’analyse, à savoir : l’action de la Cellule de l’emploi, qui a maintenu le pouvoir d’achat des dégagés d’Athus d’une part, et la restructuration du commerce, phénomène général d’autre part.
128 Les contacts que nous avons eus avec les délégués de l’Association des commerçants d’Athus, nous amènent à penser que le marasme du commerce athusien préexistait à la fermeture de l’usine, qu’il est dû à des causes qui se rencontrent ailleurs en Belgique, qu’il est aggravé par l’évolution des taux de change.
129 Il apparaît aussi que le commerce athusien, jadis élément d’attraction important, souffre actuellement d’un manque de dynamisme interne. Selon les commerçants, l’âge d’or de la sidérurgie aurait tué l’esprit d’initiative, dans la mesure où les affaires étaient faciles et forcées. La perte du pouvoir d’achat que l’on connaîtra dans les années à venir se fera peut-être sentir à Athus, mais surtout dans les grands magasins de la région, en France, au Grand-Duché de Luxembourg et en Allemagne, dans la mesure où les dépenses sont actuellement très dispersées. Toujours est-il que l’on constate à Athus, contrairement aux tendances observées ailleurs, un déclin continu depuis une dizaine d’années. La rue de Rodange, jadis deuxième artère commerciale, est progressivement abandonnée.
130 Dans la commune d’Aubange, l’emploi indépendant passe de 257 unités en 1970 à 228 en 1978 [27] [28]. Selon les renseignements fournis par l’Association des commerçants, le nombre de commerces est passé de 274 en 1970 à 209 en 1980, avec, comme conséquence, la perte de 53 emplois salariés.
EVOLUTION DE L’EMPLOI SALARIE 1976-1978
EVOLUTION DE L’EMPLOI SALARIE 1976-1978
Commune d’Aubange(X) En 1978, adjonction de Guerlange, suite à la fusion des communes. Influence négligeable.
(1) Travailleurs manuels - Hommes
(2) Travailleurs manuels - Femmes
(3) Travailleurs intellectuels - Hommes
(4) Travailleurs intellectuels - Femmes
(5) Total
2 – L’état de l’emploi dans la région
a – La commune d’Aubange
131 Nous avons tenté de cerner la situation d’ensemble de l’emploi dans la commune d’Aubange. Les données les plus récentes disponibles à l’O.N.S.S. sont celles relatives à 1978, année que nous comparerons à 1976, qui précède la fermeture [29]. L’analyse de ces données révèle des pertes d’emplois dans toutes les branches, à l’exception d’une part des industries transformatrices des métaux (création de la société Champion) et, d’autre part, des banques, assurances et services divers (codes 8 et 9).
132 L’emploi indépendant (I.N.A.S.T.I.) est stationnaire : 864 unités en 1974 et 874 unités en 1978. L’augmentation constatée provient de l’adjonction du village de Guerlange à la commune d’Aubange.
b – La région
133 La diminution du volume d’emploi indépendant est plus nette dans l’arrondissement d’Arlon que dans le reste de la province. De 1974 à 1978, le nombre d’emplois passe en effet de 3.097 à 2.797, soit une perte de 300 unités (indice 90.3 par rapport à 1974). Dans l’ensemble de la province de Luxembourg, le nombre d’emplois passe de 21.171 à 19.546, soit une perte de 1.625 (indice 92.3 par rapport à 1974).
134 L’évolution de l’emploi salarié de 1974 à 1979 [30] se traduit par un accroissement de 8,3 % dans l’arrondissement d’Arlon, et de 13,9 % dans la province de Luxembourg. L’accroissement, dans l’arrondissement d’Arlon, se situe principalement dans le secteur tertiaire :
135 Le fléchissement du secteur secondaire est par contre général, la seule exception significative étant la transformation des métaux suite à la création de Champion à Aubange. En 1974, les emplois tertiaires représentaient 61 % du total ; en 1979, ils atteignaient 81 %.
136 Les statistiques du chômage reflètent évidemment la situation née de la crise sidérurgique. Alors que le Sud-Luxembourg (arrondissements d’Arlon et de Virton) compte 42 % de la population de la province [31], le chômage des hommes, particulièrement concernés par la dégradation de la structure industrielle, représente 59 % du total provincial (943 unités sur 1.592 au total) [32].
137 L’ancienne commune d’Athus enregistre une perte régulière de population : 637 unités (±8 %) en 10 ans (7.516 habitants en 1970 ; 6.879 en 1979). Aubange et Rachecourt perdent respectivement 116 et 30 habitants, tandis qu’Halanzy enregistre un gain de 12 unités. Cette diminution résulte d’un mouvement migratoire négatif sur l’ensemble de l’actuelle commune d’Aubange : –230 unités en 1977 ; –205 en 1978 ; –123 en 1979 ; –110 pour le premier semestre de 1980.
138 La fermeture de l’usine d’Athus et le transfert du site à l’Etat se traduisent pour la commune d’Aubange par une moins-value fiscale directe (précompte immobilier, taxe sur le personnel occupé) de 10 millions de francs par an. L’effet indirect, via l’impôt sur les revenus du personnel domicilié dans la commune, se traduit à partir de 1981 par une moins-value d’au moins 5 millions de francs.
139 La perte de revenus en perspective et la diminution de la population expliquent une décote assez désordonnée du marché immobilier de 30 à 40 % par rapport à la normale [33]. Selon les milieux concernés, on constate une baisse de ± 25 % des loyers commerciaux, à laquelle échappe cependant une partie de la principale rue commerçante.
CONCLUSIONS
140 Le problème d’Athus est double :
- il concerne tout d’abord ceux qui ont perdu leur emploi le 3 septembre 1977. Certains ont pu se reclasser plus ou moins rapidement. D’autres ont été victimes d’un processus de déqualification, qui les place en position défavorable sur le marché du travail. Tous, par contre, ont vu leur pouvoir d’achat diminuer sensiblement au lendemain de la clôture de la Cellule de l’emploi. Il est encore trop tôt pour en mesurer tous les effets ;
-
il concerne toute une région qui a enregistré une diminution brutale du volume de l’emploi. La perte subie est, en dépit des efforts de reconversion, loin d’être résorbée.
On peut dès lors dire que si le problème des anciens sidérurgistes est considéré comme résolu, celui du Sud-Luxembourg reste posé. Le ministre W. Claes n’avait-il pas dit à l’époque : “Toute proportion gardée, fermer Athus équivaut à supprimer le port d’Anvers” [34].
Notes
-
[1]
O.N.S.S., Statistique établie au 30 juin 1977.
-
[2]
Pour l’historique des événements qui ont précédé directement l’accord du 3 septembre 1977, voir L. Goffin, Mentalités de sidérurgistes en milieu rural. Le cas d’Athus et du Sud-Luxembourg belge, Ed. Universitaires - F.U.L., Bruxelles-Arlon, 1979.
-
[3]
Pour les autres aspects, voir Louis Goffin, op.cit.
-
[4]
Cette disposition n’a pu être appliquée.
-
[5]
Notons qu’en 1970, ils étaient 2.483.
-
[6]
Pour la période de référence, et pour 3 personnes à charge :
- 160 francs bruts/heure = ± 21.500 francs nets par mois
- 200 francs bruts/heure = ± 25.800 francs nets par mois
- 240 francs bruts/heure = ± 29.900 francs nets par mois
- 260 francs bruts/heure = ± 31.850 francs nets par mois.
-
[7]
Base = 1978.
-
[8]
Notons qu’on retrouve là des idées défendues par des économistes tels que E.F. Schumacher, dans Small is beautifull (Equipements assez bon marché pour être accessibles à presque tout le monde, susceptibles d’une application sur une échelle réduite, compatibles avec le besoin de créativité de l’homme) ; S. Amin (développement autocentré) ou encore A. Grjebine, De la crise mondiale au développement autocentré, PUF, Paris, 1980.
-
[9]
Vu les limites de ce texte, on ne pourra citer toutes les données qui fondent ces analyses : on se contentera d’en citer quelques-unes au cours du texte.
-
[10]
On ne considère dans cette analyse que les ouvriers âgés de moins de 55 ans et en distinguant entre ouvriers spécialisés et qualifiés d’une part et manœuvres d’autre part.
-
[11]
M. Mormont et J.-C.Bastin, Potentiel de main-d’œuvre et attitudes à l’égard de la formation du personnel de la M.M.R.-A., F.U.L., décembre 1977, Rapport au Comité subrégional de l’emploi.
-
[12]
On remarquera que ces qualifications ne sont connues avec précision que pour une partie des travailleurs qui ont déclaré en posséder une : on peut penser que ceux qui n’en ont pas déclaré en sont effectivement privés.
-
[13]
-
[14]
Selon les chiffres d’avril 1980 (Cellule de l’emploi), la distribution des “définitifs” se présente, en gros, comme suit (pour 177 ouvriers) :
-
[15]
Ce sont notamment les ouvriers-paysans (quelques-uns dans ce groupe) qui espèrent trouver “n’importe quoi” qui leur permette de continuer leur activité agricole.
-
[16]
Ce sont eux, effectivement, qui sont les plus radicalement opposés à la formule de la Cellule de l’emploi qui, à leurs yeux, est un gaspillage qui inciterait à “ne pas chercher du travail”.
-
[17]
“On n’aura plus jamais ce qu’on avait. L’usine, c’est fini”.
-
[18]
Nombreux sont ceux qui sont entrés à la M.M.R.-A. parce que, pour des ouvriers peu qualifiés, c’était le meilleur employeur possible, c’est-à-dire notamment celui où on pouvait acquérir et se voir reconnaître du savoir-faire.
-
[19]
“Qu’ils viennent me chercher. Ils nous l’ont pris (notre travail), qu’ils nous en donnent qui nous convienne”.
-
[20]
La majorité de ceux qui ont effectivement trouvé du travail dans ces entreprises sont des jeunes, des ouvriers qualifiés ou du personnel de maîtrise (contre-maîtres, chefs d’équipe) pour les plus âgés.
-
[21]
Il faut cependant noter que les ouvriers qui sont plus satisfaits de leur reclassement, parce que leur nouveau travail correspond à leurs compétences acquises dans l’entreprise sidérurgique (parmi ceux n’ayant aucune qualification scolaire), sont significativement plus nombreux dans les quelques entreprises liées à la S.D.B.L., où ces compétences semblent avoir été mieux prises en compte que dans l’ensemble des entreprises qui ont embauché d’anciens sidérurgistes.
-
[22]
Ce qui se traduit par des expressions comme : “Soporifique”, “On a endormi les ouvriers”, “On a fait des discours, des promesses”.
-
[23]
“La politique pourrit tout”. “Ils n’ont rien fait, ils ne feront plus rien”.
-
[24]
Parmi les responsables de la situation actuelle, les enquêtes citent pêle-mêle, les banques, l’Etat, la M.M.R.-A., les syndicats, les actionnaires, la politique, ou des événements passés comme la fusion des entreprises…
-
[25]
Cf. M. Mormont et J.-C. Bastin, Les travailleurs de la M.M.R.-A., Potentiel de main-d’œuvre et attitudes à l’égard de la formation et du reclassement, étude citée, 1977.
-
[26]
J. Siebertz et M. Haidon, “Le Sud-Luxembourg”, Courrier Hebdomadaire du CRISP nos 695 et 696 des 3 et 10 octobre 1975.
-
[27]
Codes I.N.A.S.T.I. 401 – 402 – 403 – 410 et 307.
-
[28]
L’adjonction du village de Guerlange lors de la fusion n’a pas d’influence sur ces données.
-
[29]
Les statistiques par commune, classe d’activité N.A.C.E. et importance sont établies au 30 juin, uniquement les années paires.
-
[30]
Les données de 1980 ne sont pas encore publiées.
-
[31]
I.N.S., 31 décembre 1979.
-
[32]
ONEM, Chômeurs complets indemnisés au 31 juillet 1980.
-
[33]
Un immeuble commercial acheté ±FB 2.000.000 deux ans auparavant a été revendu pour FB 600.000. Le cas est extrême, mais pas unique.
-
[34]
D’après : C.S.C., Les travailleurs d’Athus en lutte pour leur devenir, 1979.