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Article de revue

Structures industrielles des régions belges et grandes entreprises : quelques éléments d'analyse

Pages 1 à 23

Notes

  • [1]
    N. Nabokoff, "Le développement de la Flandre et de la Wallonie", La Revue Nouvelle, 15 janvier 1962, p. 16.
  • [2]
    G. Chaput et R. de Falleur, "La production et l’investissement des régions flamandes, wallonnes et bruxelloises", Cahiers Économiques, de Bruxelles, n°10-11, 1961. Pour la période 1958-1966, voir P. Romus, "Évolution économique régionale en Belgique, depuis la création du Marché Commun", Revue des sciences économiques, 1968, p. 152.
  • [3]
    N. Nabokoff, art. cit., p. 8. Prudemment, l’auteur évoquait lui-même le caractère "assez hasardeux" de ce genre de projection … en mentionnant notamment le caractère temporaire de la crise charbonnière wallonne.
  • [4]
    Institut national de Statistiques, Bulletin de Statistiques, n°3-4, 1971.
  • [5]
    I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°5, 1973. Soulignons que pour les statistiques antérieures à 1966, la région de Bruxelles inclut Hal-Vilvorde et les communes périphériques, alors qu’après cette date, elle se limite à Bruxelles-capitale. De façon plus générale, il faut se rendre compte que même avec les clefs de répartition régionales les mieux adaptées, la ventilation des données nationales sera toujours contestable, notamment par suite de l’importance des relations interrégionales, qui ne se laissent pas saisir. L’élaboration rigoureuse d’une série de statistiques régionalisées reste donc un besoin prioritaire.
  • [6]
    En 1959, le % du PIB flamand par tête, par rapport au PIB bruxellois, et de 59 %, alors que le % du PIB wallon est de 66 %. En 1971, ces rapports étaient, pour la Flandre, de 65 %, et pour la Wallonie, de 59%.
  • [7]
    I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°5, 1973.
  • [8]
    Au sein des fabrications métalliques, l’orientation des régions est assez différente. La Wallonie, par rapport à l’ensemble du pays, est spécialisée dans les armes, munitions et aéronautique (89 %), dans la fonderie de fer (64 %), dans la forge estampage et gros emboutissage (68 %), ainsi que dans les ponts, charpentes, chaudronnerie et chaudières (48 %) et le matériel de chemin de fer (49 %). Par contre, la région flamande (sans Hal-Vilvorde et communes périphériques) occupe une place prépondérante dans les constructions navales (97 %), l’automobile et les cycles (65 %), les machines textiles (65 %), la tréfilerie, étirage et laminage à froid (61 %) ainsi que dans la construction électrique (49 %). Dans ce dernier secteur, ainsi que dans celui de l’automobile, la Flandre et la région bruxelloise occupent ensemble une position de première importance (respectivement 71 % et 92 %) ; I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°9, 1967.
  • [9]
    J. Verly, Emploi des structures de production régionale, Service mensuel de conjoncture de Louvain, IRES, 1973, p. 34.
  • [10]
    De 1959 à 1972 parmi les investissements qui bénéficient de l’application des lois d’expansion économique, 44,8 % se manifestent en Flandre par la création de nouvelles entreprises, alors qu’en Wallonie, ce pourcentage n’atteint que 32,8 %. En outre, parmi ces investissements bénéficiant de l’application des lois d’expansion économique, les nouvelles entreprises étrangères ou mixtes représentent 30,8 % en Flandre, contre 16,9 % en Wallonie. Cf. Les investissements étrangers en Belgique, Rapport 1972, Ministère des Affaires économiques.
  • [11]
    Cette liste a été initialement élaborée par M. De Vroey et A. Carton, dans "La propriété et la part de marché des principales entreprises industrielles en Belgique", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°495, 16 octobre 1970, et n°509-510, 16 février 1971.
  • [12]
    Ces données proviennent d’informations non publiées émanant de l’O.N.S.S.
  • [13]
    Pour un examen général de la concentration en Belgique, voir Y. de Wasseige et X. Mabille, La concentration économique, Dossier du CRISP, n°5, mars 1973.
  • [14]
    Selon une étude approfondie, si le degré de concentration de l’activité économique n’atteint pas à Bruxelles un niveau comparable à celui d’autres régions fortement industrialisées, telles Anvers et Liège, le poids, la part d’influence des unités de grande dimension dans la vie économique de la région apparaît néanmoins considérable. J. Lievens et M. Vandermosten, "La concentration des effectifs dans les entreprises de la région bruxelloise", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°609, 22 juin 1973.
  • [15]
    Pour les critères utilisés, voir M. De Vroey, art. cit., I, pp. 6 et 7.
  • [16]
    En 1968, les firmes multinationales occupent, en Belgique, 18 % de la main-d’œuvre industrielle : bien qu’elles ne soient qu’au nombre de 600, plus de 30 % occupent plus de 500 ouvriers et employés ; 70 % des nouveaux emplois créés par ces firmes l’ont été en Flandre, 20 % en Wallonie et 10 % à Bruxelles. Voir J. Van Ginderachter, in CRIDE, Vers une politique fiscale européenne à l’égard des entreprises multinationales, Bruylant et Vander, 1973, p. 121.
  • [17]
    J. Lievens et M. Vandermosten, art. cit., p. 17.
  • [18]
    Le secteur pétrolier n’est pas repris, de même que les nouvelles entreprises constituées depuis 1965.
  • [19]
    L’utilisation d’autres mesures du profit n’apporte pas de meilleurs résultats.
  • [20]
    Les chiffres en dessous de chaque coefficient de régression indiquent la valeur du test t, n.s. indique que le coefficient n’est pas significatif, R2 est le coefficient de détermination, Er représente l’erreur résiduelle de la régression et n le nombre d’observations.
  • [21]
    Voir par exemple A. Jacquemin et M. Cardon, "Size Structure, Stability and Performance of the Largest European Firms", European Economic Review, 1973, à paraître.
  • [22]
    I.?.S., Statistiques financières, n°2, 1973.
  • [23]
    Comme nous le verrons, le capital fixe par travailleur, c’est-à-dire le rapport entre la valeur de l’équipement et le nombre d’emplois n’obéit pas nécessairement à la même relation. En effet, un accroissement du stock de biens d’équipement peut être financé par une politique généreuse d’amortissement. C’est ce qui permettrait d’expliquer qu’au sein des 52 plus grandes entreprises, le capital immobilisé brut par unité d’emploi soit en moyenne supérieur pour les entreprises situées en Wallonie (et de même pour celles sous le contrôle d’un groupe belge, par opposition aux entreprises indépendantes ou celles sous contrôle étranger).
  • [24]
    Voir J. Defay, Recherche et croissance économique, 3, S.P.P.S., Bruxelles, 1973 à paraître.
  • [25]
    Voir L. Phlips., "Concentration, dimension et recherche dans l’industrie manufacturière belge", Recherches Économiques de Louvain, n°1, fév. 1969, qui a néanmoins du se contenter d’utiliser le nombre de personnes employées.
  • [26]
    Par contre, L. Phlips, art. cit., obtenait des rendements croissants, mais en utilisant l’emploi comme indice de dimension. Ainsi qu’il le signalait lui-même, cet indice est favorable à la thèse d’une augmentation à un taux croissant, notamment parce que les grandes firmes sont proportionnellement plus grandes en termes de chiffre d’affaires qu’en termes d’emploi. Si nous désagrégeons l’analyse en quatre grands secteurs (chimie-électronique et électrotechnique - pétrole, caoutchouc, minéraux non métalliques et transport - alimentation, boisson, tabac, textile et vêtements), les résultats ne sont guère améliorés. Pour le premier et le second secteur, les coefficients ne sont pas significatifs ; pour le troisième, ils sont du signe attendu et significatifs ; pour le quatrième secteur, le coefficient est négatif et significatif pour (CA), positif et significatif pour (CA).

1L’objet du présent Courrier est d’introduire une réflexion sur les structures industrielles régionales de la Belgique. Dans quelle mesure existe-t-il des caractéristiques industrielles propres à la Flandre, à la Wallonie et à Bruxelles, ainsi qu’aux entreprises qui y sont localisées ? Dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences et les implications pour les politiques industrielles régionales ? A l’heure actuelle, il est malaisé de donner des réponses précises à ces questions essentielles pour notre économie.

2Les pages qui suivent n’ont d’autre prétention que d’apporter quelques indications susceptibles d’éclairer ce problème vaste et complexe.

3Nous présenterons tout d’abord un aperçu général de l’évolution régionale des structures industrielles belges. À partir d’échantillons des principales entreprises installées en Belgique, nous examinerons ensuite dans quelle mesure, pour ces entreprises, l’appartenance régionale a joué, aux côtés d’autres variables telles que la dimension, le secteur industriel, la structure de propriété, un rôle spécifique qui éclaire les tendances globales observées antérieurement.

I – APERÇU DE L’EVOLUTION GLOBALE DES STRUCTURES INDUSTRIELLES REGIONALES

4Il y a près de 12 ans, un spécialiste des problèmes régionaux belges pouvait écrire que "le problème régional belge semble se situer à la fois en deçà et au-delà de la frontière linguistique"[1]. En deçà parce que les disparités observées entre le développement de l’économie flamande et celui de l’économie wallonne sont relativement modérées par rapport aux déséquilibres entre provinces ou entre régions. Au delà parce que les comparaisons "Bruxelles - reste du pays" et surtout "Belgique - Marché Commun" décèlent des déséquilibres de développement bien plus importants que ceux que l’on peut constater entre la Flandre et la Wallonie.

5Un examen de l’évolution actuelle montre la nécessité d’un changement radical de perspective.

6a. C’est ainsi que pour la période 1948-1959, il avait été calculé que les pourcentages d’accroissement moyen du produit intérieur brut, par habitant, et à prix constants, étaient les suivants [2] :

tableau im1
Belgique : 2,4 % Flandre : 2,3 % Wallonie : 1,9 % Bruxelles : 3,5 %

7Il en résultait qu’en 1959, les produits intérieurs bruts par habitant, exprimés en milliers de francs, se répartissaient comme suit :

tableau im2
Flandre : 49 Wallonie : 55 Bruxelles : 83,5

8La conclusion suivante était alors dégagée : "le taux d’expansion du produit intérieur brut, par habitant, de la Flandre (2,3 %) est un peu plus rapide que celui de la Wallonie (1,9 %). Si ce rythme se maintenait, il faudrait une trentaine d’années pour que la Flandre rattrape la Wallonie, compte tenu de l’écart subsistant en 1959[3].

9Or en fait, des 1965, les produits intérieurs bruts par habitant, sur base d’un indice 100 pour le Royaume, étaient les suivants [4] :

tableau im3
Flandre : 91,7 Wallonie : 91,4 Bruxelles : 145,1

10L’évolution ultérieure n’a fait que confirmer ce rapide retournement de la situation.

11De 1966 à 1971, les pourcentages d’accroissement moyen du produit intérieur brut par habitant, au prix de 1963, sont respectivement [5] :

tableau im4
Flandre : 5,5 % Wallonie : 3,9 % Bruxelles-capitale : 2,7 %

12En conséquence, les montants des produits intérieurs bruts par habitant sont, en 1971, au prix de 1963 :

tableau im5
Flandre : 88,9 Wallonie : 80,1 Bruxelles-capitale : 135,9

13Les implications sont évidentes. Le développement de l’économie flamande par rapport a celui de l’économie wallonne a dépasse les prévisions, tant dans son ampleur que dans son rythme : les disparités observées dans les évolutions sont devenues fondamentales et ont abouti à un renversement complet de la situation. En outre, l’écart existant entre Bruxelles et la Flandre s’est relativement réduit, alors qu’il s’est accru vis-à-vis de la Wallonie [6].

14b. Cette situation générale se retrouve au niveau des grands secteurs industriels, et plus spécialement dans le secteur manufacturier. De 1966 à 1971, la valeur ajoutée des industries manufacturières s’est accrue, en moyenne et à prix courants, de 8,2 % en Flandre et de 4,9 % en Wallonie, alors qu’elle s’est réduite de –0,3 % a Bruxelles [7].

15L’évolution de la part de chaque région dans le produit manufacturier belge est dès lors la suivante :

tableau im6
Année Flandre Wallonie Bruxelles 1966 55,3 % 32,6 % 12,1 % 1971 60,7 % 30,5 % 8,8 %

16Enfin, par habitant, le montant du P.I.B., manufacturier général a évolué comme suit :

tableau im7
Année Flandre Wallonie Bruxelles Royaume 1966 23,6 23,1 25 23,7 1971 33,8 29 24 31,3

17Deux constatations se dégagent de ces chiffres. En premier lieu, la moindre croissance de l’industrie manufacturière wallonne par rapport à celle de la Flandre a été telle que, non seulement l’apport industriel global wallon s’est réduit par rapport au produit national, mais en outre la situation par habitant, équivalente à celle de la Flandre en 1966, est devenue nettement inférieure en 1971.

18En second lieu, la contraction des activités manufacturières de Bruxelles-capitale a réduit à la portion congrue sa contribution à la production industrielle belge ; par habitant, sa position dominante de 1966 s’est transformée en une situation d’infériorité vis-à-vis des deux autres régions.

19c. Examinons ensuite la structure interne du secteur manufacturier et l’évolution de celle-ci.

20Un premier aspect est relatif à l’importance respective des différentes industries dans les trois régions. La répartition de la valeur ajoutée brute au coût des facteurs, à prix courants, souligne combien la région wallonne dépend encore fortement de la métallurgie, alors que les deux autres régions connaissent une plus grande diversification en 1970, la sidérurgie, les non-ferreux et les fabrications métalliques représentent en Wallonie 53 % de l’ensemble des activités manufacturières (tableau 1).

Tableau I

Parts des industries dans le secteur manufacturier de chaque région, en 1971

Tableau I
Région wallonne Région flamande Bruxelles - capitale Denrées alimentaires, boissons, tabac 13,26 16,22 19,88 Textiles 4,03 9,82 1,45 Vêtements et chaussures 1,74 4,25 6,18 Bois et meubles 2,39 6,03 4,33 Papier, impression, édition 4,53 3,86 18,18 Industries chimiques et activités connexes 5,69 11,53 11,33 Terre cuite, céramique, verre, ciment 9,54 3,99 1,53 Sidérurgie, métaux non ferreux 23,81 4,74 0,51 Fabrications métalliques (y compris constructions navales) 27,48 31,33 26,63 Garages 4,57 3,91 6,54 Industries non dénommées ailleurs 1,73 4,32 3,44 Industries manufacturières 100,- 100,- 100,-

Parts des industries dans le secteur manufacturier de chaque région, en 1971

Calcul effectué sur base des données de l’I.N.S., Bulletin de statistiques, n°5, 1973.

21Par contre, les principales industries en Flandre sont, dans l’ordre, les fabrications métalliques (31 %), l’alimentation (16 %) et la chimie (11,5 %), soit 58 % du total. A Bruxelles, les trois principales industries sont les fabrications métalliques (26,6 %), l’alimentation (19,8 %) et le papier-impression-édition (18 %). L’examen des parts régionales, dans le montant national des diverses industries manufacturières, révèle en outre que c’est dans le secteur de produits de base semi-finis, tels l’acier, le verre, le ciment, que la région wallonne conserve un rôle prépondérant.

22Par contre, la Flandre est particulièrement dominante dans l’industrie textile, celle du meuble, de la chimie et de la confection. C’est dans le secteur du papier et de l’édition que Bruxelles détient une position relativement importante.

Tableau II

Parts régionales dans les industries manufacturières en 1971

Tableau II
Région wallonne Région flamande Bruxelles - capitale Pays Denrées alimentaires, boissons, tabac 25,9 62,5 11,6 100, - Textiles 16,9 81,3 1,8 100, - Vêtements et chaussures 14,5 70, - 15,5 100, - Bois et meubles 15,3 76,4 8,3 100, - Papier, impression, édition 25,7 43,3 31, - 100, - Industrie chimique et activités connexes 17,8 71,5 10,7 100, - Terre cuite, céramique, verre, ciment 54,5 43, - 2,5 100, - Sidérurgie, métaux non ferreux 64, - 24,4 11,6 100, - Fabrications métalliques (y compris constructions navales) 28,2 63,6 8,2 100, -

Parts régionales dans les industries manufacturières en 1971

23L’évolution de la valeur ajoutée brute de 1966 à 1971 confirme cette situation. On remarque que sauf pour l’industrie des minéraux non métalliques, les taux de croissance wallons sont systématiquement inférieurs aux taux flamands (tableau III). En chimie, l’écart est particulièrement élevé : la croissance est de 6,2 % en Wallonie, de 7,2 % à Bruxelles et de 14,4 % en Flandre. Soulignons aussi le nouveau rôle de la Flandre dans le domaine de la sidérurgie (un accroissement de 22,2 % contre 5,6 % en Wallonie) et la consolidation de sa part dominante dans celui des fabrications métalliques (un accroissement de 9,3 % contre 4 %) [8].

Tableau III

Taux d’accroissement moyen de la valeur ajoutée brute au coût des facteurs et à prix constants, de 1966 à 1971

Tableau III
Royaume Wallonie Flandre Bruxelles Denrées alimentaires, boissons, tabac 4,7 3,3 5,3 4,1 Textiles 1,7 - 0,1 2,7 - 9,3 Vêtements, chaussures 1,0 3,2 3,2 - 7,9 Bois et meubles 5,7 4,9 6,4 1,2 Papier, impression, édition 4,9 5,4 7,2 1,6 Industrie chimique et connexes 11,8 6,2 14,4 7,2 Terre cuite, céramique, verre, ciment 7,2 9,2 4,7 8,1 Sidérurgie, non-ferreux (9,5 (5,5 5,6 22,2 5,2 Fabrications métalliques 5,9 4,0 9,3 - 5,4 Garages 5,0 4,1 6,0 3,3 Autres industries 12,2 11,4 13,3 5,9

Taux d’accroissement moyen de la valeur ajoutée brute au coût des facteurs et à prix constants, de 1966 à 1971

24En ce qui concerne Bruxelles, nous constatons une importante contraction ou une croissance très lente de certaines activités manufacturières (textile, vêtements et chaussures, fabrications métalliques, bois, meubles et papier, impression-édition) qui n’est que partiellement compensée par l’expansion de quelques industries (chimie, électronique, ciment). Cette évolution traduit, à l’intérieur du produit intérieur brut bruxellois, le rôle grandissant du secteur tertiaire.

25Non seulement il existe de fortes disparités régionales dans l’importance relative des industries et dans leur croissance, mais de plus, les effets des investissements sur la valeur ajoutée sont très différents (tableau IV).

Tableau IV

Rapport entre investissements et croissance de la valeur ajoutée : 1955-1968 (prix de 1963)

Tableau IV
Wallonie Flandre Bruxelles Royaume Alimentation, boissons, tabac 6,3 5,2 5,1 5,4 Textiles 14,6 6,7 11,9 7,7 Vêtements et chaussures 12,9 2,5 13,4 5,5 Meubles et bois 1,8 1,8 2,2 1,8 Papier, impression, édition 4,5 5,1 4,5 4,7 Chimie et activités connexes 24,7 6, - 4,6 6,5 Verre, ciment 8,7 4,7 5, - 6,4 Fer, acier, non ferreux fabrications métalliques 5,2 2,4 2,2 3,2 Industries manufacturières 5,9 3,7 3,6 4,2

Rapport entre investissements et croissance de la valeur ajoutée : 1955-1968 (prix de 1963)

26De façon assez systématique, pour augmenter d’un million la valeur ajoutée des secteurs considérés, les dépenses d’investissement nécessaires s’avèrent supérieures en Wallonie, à celles qui sont requises en Flandre ou à Bruxelles. Remarquons également qu’il est loin d’y avoir une supériorité de Bruxelles vis-à-vis de la Flandre [9].

27Ces résultats laissent supposer que, comparativement aux autres régions du pays, les investissements de l’industrie wallonne ont davantage porté sur la modernisation de l’équipement que sur l’extension des capacités de production [10].

28Ce panorama général, tout en étant fort net, ne dépasse guère le stade descriptif.

29Pour aller au delà, nous allons nous efforcer de porter l’analyse au niveau plus désagrégé des principales entreprises du pays, afin de déceler dans quelle mesure la différence d’expansion industrielle entre la Flandre et la Wallonie correspond à des caractéristiques et à des performances propres aux principales entreprises de ces régions.

II – LES GRANDES ENTREPRISES ET LES REGIONS

30Sur une base régionale, comment se comportent les grandes entreprises, quelles sont leurs structures et leurs performances, quelle est leur place relative ? Ces firmes occupent, en effet, une position stratégique vis-à-vis de la plupart des entreprises d’une région et leurs politiques conditionnent, dans une large mesure, le développement économique régional.

31Nous avons retenu comme grandes entreprises industrielles, celles dont les capitaux permanents (fonds propres plus dettes à termes) dépassaient cinq cents millions en 1969 [11]. Nous disposons à ce sujet des données comptables publiées dans le bilan des sociétés.

32La ventilation régionale des entreprises s’est effectuée, non pas sur base de leur siège social, mais en fonction de la région où est localisée la majeure partie de l’emploi, soit 70 % [12]. Dans les cas où plus de 30 % de l’emploi est localisé dans une autre région que celle de la localisation principale, l’entreprise est considérée comme multirégionale.

33Dans le cadre de ces échantillons, nous avons examiné diverses caractéristiques économiques de ces entreprises, à savoir la dimension, les types de propriété, la rentabilité, la croissance, l’effort de recherches et l’importance relative des facteurs de production, en introduisant explicitement la variable régionale.

1 – La dimension [13]

34Un examen comparé de la taille des plus grandes entreprises et établissements situés dans les trois régions du pays, montre clairement qu’en Wallonie, la dimension et la concentration en termes d’emplois sont supérieures : en 1969, les 10 plus grandes entreprises wallonnes, classées selon l’emploi, représentent 30,15 % de l’emploi total dans le secteur manufacturier de la Wallonie, soit un montant absolu de 100.730 travailleurs, alors que les 10 plus grandes entreprises flamandes ne représentent que 12,76 % de l’emploi régional, soit un montant absolu de 80.122 travailleurs (tableau V). Les entreprises qui occupent plus de 1.000 personnes représentent 43 % de l’emploi manufacturier en Wallonie et 29 % en Flandre.

Tableau V

Concentration de l’emploi manufacturier par entreprise

Tableau V
Nombre cumulé de firmes Wallonie Flandre Nombre de travailleurs Pourcentage Nombre de travailleurs Pourcentage 1 39.641 11,86 14.037 2,24 3 64.363 19,26 33.997 5,41 5 79.491 23,79 50.249 8,00 10 100.730 30,15 80.122 12,76 20 122.320 36,61 111.263 17,72 30 136.072 40,73 143.253 22,81 Plus de 1000 emplois (37 en Wallonie et 55 en Flandre) 143.398 42,92 180.136 28,69 Total 334.113 100 627.974 100

Concentration de l’emploi manufacturier par entreprise

Tableau VI

Répartition des travailleurs manuels (assujettis à l’O.N.S.S.), par classe d’importance des établissements, au 30 juin 1971, en pourcentage du total

Tableau VI
Nombre de travailleurs Wallonie Flandre Bruxelles-capit. % % cumulé % % cumulé % % cumulé - 5 9,9 9,2 9,8 5 à 9 6,5 90 6,7 90,9 6,0 90,4 10 à 19 8,0 83,5 8,3 84,2 8,3 84,4 20 à 49 12,5 75,5 13,7 75,9 14,1 76,1 50 à 99 10,0 63,0 11,1 62,2 11,0 62,0 100 à 199 8,9 53,0 12,2 51,1 10,7 51,0 200 à 499 13,4 44,1 13,0 38,9 15,9 40,3 500 à 999 9,1 30,07 7,5 25,9 9,7 24,4 + de 1.000 21,6 21,6 18,4 18,4 14,7 14,7 Total 100 100 100

Répartition des travailleurs manuels (assujettis à l’O.N.S.S.), par classe d’importance des établissements, au 30 juin 1971, en pourcentage du total

Source des données : O.N.S.S.

35Cette situation est confirmée au niveau des établissements : pour les trois classes supérieures, la Wallonie dispose d’une plus grande proportion de grands établissements (tableau VI), alors que la Flandre comporte un nombre plus important d’établissements moyens.

36Les plus grands établissements de la région de Bruxelles semblent se situer entre ceux de la Wallonie et ceux de la Flandre [14].

37Dans le contexte général de l’évolution industrielle de la Wallonie, cet état de fait confirme le scepticisme qui se fait jour à l’égard des vertus de la grande dimension, du moins à partir d’un certain seuil. Comme nous le verrons ultérieurement, la grande taille des entreprises n’est pas un gage de la qualité des performances.

2 – La structure de propriété

38Une seconde caractéristique examinée est celle de la nature de la filiation ou de la propriété. Les plus grandes entreprises classées selon les capitaux permanents, en 1969, ont été ventilées entre plusieurs segments : entreprises indépendantes (ou familiales), entreprises dépendantes d’un groupe belge, sociétés étrangères, catégories mixtes [15].

39La conclusion qui se dégage du tableau VII est que dans la région flamande, il y a une prépondérance d’entreprises étrangères [16], alors qu’en Wallonie, les groupes belges, principalement financiers, dominent.

Tableau VII

Structure de propriété des 83 plus grandes entreprises industrielles classées selon les capitaux permanents, en 1969

Tableau VII
Entreprises situées en Wallonie Entreprises situées en Flandre Entreprises multirégionales ou multinationales Nombre Capit. perm. % nombre Capit. perm. % Nombre Capit. perm. % Indépendantes (familiales) 6 8.721 10,5 7 14.794 12,9 2 30.299 69,2 Groupes belges 9 43.214 56,2 7 30.806 27,0 3 7.817 17,8 (dont Société Générale) 6 38.005 49,0 6 27.529 24,2 3 7.817 17,8 Groupes étrangers 9 20.308 26,4 26 51.713 45,3 2 4.558 10,4 Mixtes (belgo-étranger) 2 4.591 5,9 6 16.625 14,6 1 1.138 2,6 Total 26 77.457 100 % 46 113.938 100 % 8 43.812 100 %

Structure de propriété des 83 plus grandes entreprises industrielles classées selon les capitaux permanents, en 1969

40Nous obtenons un résultat encore plus net en nous basant sur les 100 plus grandes entreprises en termes d’emploi (tableau VIII). En outre, il apparaît nettement que les entreprises indépendantes ont une place plus importante en Flandre qu’en Wallonie : 24,74 % comparés à 14,64 %.

Tableau VIII

Structure de propriété des 100 plus grandes entreprises industrielles classées selon l’emploi, en 1969

Tableau VIII
Entreprises situées en Wallonie Entreprises situées en Flandre Multirégionales Emploi % Emploi % Emploi % Indépendantes (familiales) 19.346 14,6 42.641 24,57 4.188 22,8 Groupes belges 75.840 57,4 32.381 18,9 12.985 70,6 Groupes étrangers 33.647 25,4 78.573 45,6 1.210 6,6 Mixtes (belgo-étranger) 3.275 2,5 18.761 10,9 Total 132.108 100 172.356 100 18.383 100

Structure de propriété des 100 plus grandes entreprises industrielles classées selon l’emploi, en 1969

41En ce qui concerne Bruxelles, une étude récente déjà citée indique que les groupes financiers ou industriels y jouent un rôle influent (32 % de l’ensemble de l’emploi régional dans le secteur privé), mais que pour environ 100 des 351 entreprises examinées, aucun centre de décision n’a pu être identifié. Par ailleurs, peu de groupes contrôleurs réunissent un effectif important [17].

42En conclusion, il existe de nettes disparités dans les types de contrôle qui s’exercent sur les entreprises situées en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles. Ces types de contrôle sont sans doute liés à des comportements et à des performances différentes. Nous verrons cependant que pour nos échantillons, ce résultat est loin d’être systématique.

3 – La rentabilité

43Nous nous sommes ensuite demandé dans quelle mesure la rentabilité des entreprises belges était affectée par leur appartenance régionale.

44Dans ce but, nous avons calculé la rentabilité moyenne, sur la période 1968-1971, des entreprises industrielles dont les capitaux permanents dépassent un milliard en 1969 et dont les chiffres sont disponibles pour les années en cause, soit 52 observations [18]. Le taux choisi pour mesurer la rentabilité est le rapport entre le bénéfice net et les fonds propres.

45Les moyennes telles qu’elles apparaissent dans le tableau IX indiquent, d’une part que les entreprises wallonnes sont moins rentables que les entreprises flamandes, d’autre part que les entreprises étrangères sont plus rentables que les entreprises belges.

Tableau IX

Rentabilité du capital investi (bénéfice net/Fonds propres)

Tableau IX
Nombre Moyenne Ecart-type Entreprises situées en Wallonie 16 3,66 (4,05) Entreprises situées en Flandre 22 7,07 (6,50) Entreprises multirégionales 6 4,29 (6,47) Entreprises indépendantes (familiales) 10 4,71 (3,84) Entreprises dépendant d’un groupe belge 17 5,13 (2,99) Entreprises dépendant d’un groupe étranger 14 9,00 (7,78) Entreprises mixtes 7 2,66 (7,02)

Rentabilité du capital investi (bénéfice net/Fonds propres)

n = 48 entreprises dont les capitaux permanents dépassent un milliard en 1969.

46Mais une régression multiple entre, d’un côté la rentabilité moyenne et de l’autre l’appartenance régionale, la filiation, la dimension et les secteurs, ne donne pas de résultats aussi nets [19].

tableau im17
?68-71 = 2.26 (n.s.) - 3.80 w (2.41) - 2.70 B (n.s.) - 3.06 MR (n.s.) -0.82 H (n.s.) +2.42 E (n.s.) - 3.78 M (1.76) + 0.27 T (n.s.) +3.89 S1 (1.62) + 0.51 S2 (n.s.) + 9.60 S3 (3.4) + 4.51 S4 (1.5) + 6.10 S5 (2.2) R2 = .530 Er =4.62 n = 48
? = taux de rentabilité moyenne ;
w = appartenance à la région wallonne, représentée par une variable auxiliaire (dummy) ;
? = appartenance à la région bruxelloise ;
MR = multi-régionale ;
H = entreprise dépendant d’un groupe belge ;
? = entreprise dépendant d’une société étrangère ;
M = entreprise mixte ;
S1 = sidérurgie et non-ferreux ;
S2 = chimie ;
S3 = fabrications métalliques et mécaniques ;
S4 = construction électrique ;
S5 = minéraux non métalliques ;
T = logarithme de la taille. [20]

47Le résultat essentiel est que l’appartenance à la région wallonne, toutes les autres caractéristiques étant identiques, a un effet négatif, statistiquement très significatif, sur la rentabilité de l’entreprise.

48Par contre, pour cet échantillon, les variables exprimant la structure de la propriété présentent les signes attendus, mais n’ont pas d’effets statistiquement significatifs. Quant à la dimension de l’entreprise, elle n’a aucun impact positif sur la profitabilité, ce qui confirme les résultats d’autres études menées au niveau européen [21].

49Soulignons néanmoins qu’avec un autre échantillon ne se limitant pas à ces très grandes entreprises, l’analyse de régression multiple ne révèle plus un effet négatif de l’appartenance régionale qui soit, au plan statistique, significativement différent de zéro. Font partie de cet échantillon, la plupart des entreprises belges d’une certaine importance. En effet, en 1969, leurs capitaux permanents (ou les fonds propres) dépassaient 500 millions ou bien, soit leur chiffre d’affaires, soit leur actif net, atteignait au moins le milliard. Les différences de rentabilité entre secteurs ont été prises en compte de façon plus rigoureuse encore : la variable à expliquer est devenue le taux d’écart entre la rentabilité moyenne de l’entreprise et celle du secteur [22].

tableau im18
?R = - 1.8384 (n.s.) - 0.0024 CR (1.54) + 0.0041 CRW (2.19) + 0.0037 CRB (n.s.) + 0.0051 CRMR (n.s.) + 0.0030 CRE (1.86) - 0.0041 CRH (2.13) + 0.0024 CRM (1.49) + 0.3378 log T (1.45) - 0.5075 log TE(n.s.) - 0.7098 log TWC (1.58)
tableau im19
- 0.0733 log TMR (n.s.) + 4.0326 W (n.s.) - 0.1673 B (n.s.) - 0.9266 MR (n.s.) + 1.0732 E (n.s.) - 0.6417 M (n.s.) R2 = .2592 Er = 2.013 n = 92
?R = taux de rentabilité relative
CR = taux d’investissement sur la période 1968-1971
CRW=" " " " ", effet spécifique à la région wallonne
CRB=" " " " ", effet spécifique à la région bruxelloise
CRMR=" " " " ", effet spécifique aux entreprises multi-régionales
CRE=" " " " ", effet spécifique aux entreprises sous contrôle étranger
CRH=" " " " ", effet spécifique aux entreprises affiliées à un groupe belge
CRM=" " " " ", effet spécifique aux entreprises mixtes
log ? = logarithme des capitaux permanents
log TE=" " " ", effet spécifique de la taille pour les entreprises sous contrôle étranger
log TW=" " " ", effet spécifique de la taille pour les entreprises wallonnes
log TMR=" " " ", effet spécifique de la taille pour les entreprises multi-régionales

50Compte tenu des effets de la dimension et du taux d’investissement, lesquels varient eux-mêmes selon le type de propriété, on observe cependant que la rentabilité relative des entreprises implantées en Wallonie se comporte de façon spécifique par rapport à ces traits structurels. L’impact négatif du taux d’investissement sur la rentabilité relative, particulièrement accusé pour les entreprises affiliées à un groupe belge, se révèle moins important pour les entreprises situées en Wallonie ; de plus, cette différence régionale par rapport à l’effet général est statistiquement significative. D’autre part, l’effet de la taille sur la rentabilité relative se montre positif de façon générale, mais négatif pour les entreprises de Wallonie ; toutefois, ici de nouveau, ces effets n’apparaissent pas comme systématiques et statistiquement acceptables.

51Enfin, on constate aussi que des différences de comportement distinguent les divers types de propriété : l’effet négatif du taux d’investissement apparaît d’une part, plus fort pour les entreprises dépendant d’un groupe belge et d’autre part, moins grave pour celles sous le contrôle d’un groupe étranger ; dans ce cas, les différences par rapport aux entreprises familiales sont statistiquement significatives.

52En conclusion, il ne semble pas exister une différence systématique de rentabilité entre les entreprises implantées en Wallonie et celles du reste du pays, compte tenu des différences de structures en termes de secteur, dimension et type de propriété. Toutefois, il apparaît que cette différence existe au niveau des grandes entreprises, la grande taille exerçant un effet favorable en Flandre et défavorable en Wallonie. Une autre spécificité du comportement économique est aussi apparue : un taux d’investissement élevé a un impact négatif sur la rentabilité de la même période mais dans la région wallonne, l’appartenance régionale compense cet effet défavorable surtout ressenti par les entreprises affiliées à un groupe belge.

4 – La croissance

53À la suite du manque de données comparables, notre examen de la croissance des entreprises se limite aux années 69-71. Nous avons utilisé le taux de croissance du chiffre d’affaires des 81 entreprises dont les chiffres d’affaires dépassent 500 millions en 1969.

54L’analyse de régression donne les résultats suivants :

tableau im20
CR = 0.69 (2.12) - 0.15 W (1.92) - 0.14 B (1.10) - 0.17 BMR (1.23) - 0.10 H (1.02) + 0.03 EUR (n.s.) - 0.05 US (n.s.) - 0.15 M (1.14) - 0.03 T (n.s.) - 0.16 S1 (1.43) -0.12 S2 (n.s.) + 0.12 S3 (1.13) - 0.08 S4 (n.s.) - 0.17 S5 (1.19) - 0.36 S6 (2.70) R2 = .31 Er = 0.28 n = 81
EUR = entreprises sous contrôle de groupes européens ;
US = entreprises sous contrôle de groupes américains ;
S1 = sidérurgie, non-ferreux
S2 = constructions métalliques
S3 = chimie
S4 = minéraux non métalliques
S5 = alimentation, boissons, tabac
S6 = industrie textile

55La principale constatation qui en résulte est que l’appartenance à la région wallonne a un effet négatif significatif sur la croissance de l’entreprise, à secteur et type de propriété donnés.

56On a réestimé la relation en supposant que l’impact négatif de la dimension variait selon l’appartenance régionale, ou encore que l’effet de l’appartenance régionale était lié à la taille de l’entreprise. Dans ce but, on a distingué un effet général de la dimension et un effet spécifique à la région wallonne.

tableau im21
CR = .620 (2,12) -.099 H (1,06) + .028 EUR (n.s.) - .048 US (n.s.) - .154 M (1,20) - .163 S1 (1,50) - .124 S2 (1,04) + .126 S3 (1,20) - .076 S4 (n.s.) - .172 S5 (l,25) - .371 S6 (2,83) - .020 T (n.s.) - .021 Tw (2,26) R2 = .313 n = 81

57Si le premier n’apparaît pas comme ayant une influence significative, par contre, celui qui est spécifique à la région wallonne est hautement significatif. Il en résulte que les effets de dimension et d’appartenance régionale ne sont pas distincts, le dernier étant principalement expliqué par le premier.

5 – Structure des facteurs de production

58Une première constatation qui s’impose est la relative faiblesse des moyens financiers des entreprises wallonnes, eu égard au nombre d’emplois qu’elles fournissent. Le rapport capitaux permanents-emploi a été calculé en 1969 pour 90 entreprises industrielles dont les capitaux permanents dépassaient 500 millions et pour lesquelles les données étaient disponibles : en moyenne, par unité d’emploi, il y a dans les entreprises wallonnes, 1 million de capitaux permanents contre 2,8 en Flandre. Une analyse de régression aboutit aux résultats suivants :

tableau im22
KF/L = - 0,35 (n.s.) - 1.28 W (1,77) - 1.13 B (n.s.) - 1.95 MR (1,58) + 0,13 H (n.s.) + 1,78 E (2,08) + 0,06 M (n.s.) + 0,19 T (n.s.) + 0,36 S1 (n.s.) - 1,42 S2 (l,17) + 2,57 S3 (3,21) + 1,39 S4 (1,33) + 0,47 S5 (n.s.) + 0,92 S6 (n.s.) R2 = .335 n = 90 Er = 2.717
S1 = fabrications métalliques et mécaniques ;
S2 = constructions électriques ;
S3 = chimie ;
S4 = pétrole ;
S5 = verre ;
S6 = ciment.

59Il apparaît que les entreprises situées en Wallonie sont plus faibles que celles des autres régions et que les entreprises sous contrôle étranger sont plus puissantes que les entreprises sous contrôle belge, en terme de ressources financières par unité d’emploi [23].

6 – Les dépenses de recherches

60Il a été impossible d’analyser cet aspect pour nos échantillons habituels composés des principales entreprises du pays. En effet, la proportion d’entreprises de ces groupes effectuant des recherches était particulièrement faible. Tout en ayant conscience du danger que comporte un tel changement, nous avons dès lors utilisé l’échantillon des 157 entreprises industrielles qui ont été sélectionnées, pour l’année 1969, par les Services de programmation de la politique scientifique en vue de l’étude des phénomènes de croissance et de recherche en Belgique [24]. Cet échantillon comprend une majorité d’entreprises qui emploient de 50 à 200 personnes et contient environ 70 % de l’effort de recherche de toute l’industrie.

61Les résultats de la régression sont les suivants :

tableau im23
RD69 = 0,011 CA69 (7,25) + 10,19 F (1,48) + 8,68 W (0,9) + 29 B (2,14) R2 = 60 n = 157
RD = dépenses de recherches en milliers de francs
CA = chiffre d’affaires en milliers de francs.

62Le chiffre d’affaires (CA) est généralement considéré comme étant une meilleure mesure de la dimension que le nombre de personnes employées, car "la valeur des ventes est neutre par rapport aux proportions de facteurs utilisés, représente mieux la demande et semble être la variable déterminante dans les décisions concernant les budgets consacrés à la recherche"[25].

63Il apparaît alors que la recherche grandit de façon très significative avec la dimension des firmes : en moyenne, une augmentation de 1 million du chiffre d’affaires entraîne une dépense supplémentaire pour la recherche, de 11.000 francs. On peut se demander dans quelle mesure la recherche augmente à un taux croissant avec la dimension. En vue de tester l’existence de ces "rendements croissants" (et éventuellement décroissants), nous avons utilisé un polynôme du troisième degré :

tableau im24
RD69 = - 0,70 (0,1) + 29 CA (3,6) - 1,3 (CA)2 (1) + 0,013 (CA)3 (0,3)

64avec un chiffre d affaires exprimé en millions de francs et un R2 = .61.

65Les signes attendus, soit un coefficient positif pour (CA)2 et négatif pour (CA)3, ne sont pas obtenus et en outre ces coefficients ne sont pas significatifs. Il n’apparaît donc pas que l’input en dépenses de recherche augmente plus que proportionnellement avec la taille des entreprises [26].

66Un second résultat de notre première régression multiple est que l’appartenance à la région bruxelloise manifeste, pour une même dimension d’entreprise, un effet positif très significatif sur l’intensité de la recherche, alors qu’il n’en est pas de même pour l’appartenance flamande et wallonne.

67Dans une nouvelle équation, nous avons introduit comme variable explicative possible le taux de profit mesuré par le bénéfice net avant impôt. Outre le taux de la même année que celle des dépenses de recherches, nous avons utilisé un taux décalé de deux années :

tableau im25
RD69 = 8,6 F (1,2) - 5,4 W (0,6) + 26,3 B (2,1) + 0,013 L (10,6) + 14,3 ? (0,5) - 3,45 ? (0,4) R2 = 0.71 n = 157

68Les résultats confirment l’impact positif et très significatif de la dimension (exprimée cette fois en unités de personnel total, soit L) et de l’appartenance à Bruxelles.

69Par contre, contrastant avec les fréquentes affirmations des dirigeants d’entreprises, nous n’avons pas trouvé que les profits, concomitants ou décalés, étaient un déterminant significatif.

CONCLUSIONS

70En conclusion, la première partie du présent Courrier a clairement confirmé que la position industrielle de la région wallonne connaît un grave recul par rapport à la région flamande et, à un beaucoup moindre degré, vis-à-vis de la région bruxelloise.

71L’aspect important de la constatation est qu’il s’agit, non pas d’un phénomène limité à quelques industries particulières, mais d’une situation généralisée à l’ensemble des industries. En outre, la diversification industrielle de la Wallonie est nettement moindre que celle de la Flandre et de Bruxelles qui sont davantage présents dans les secteurs de pointe. Nous avons ensuite recherché dans quelle mesure nos principales entreprises présentent, selon leur appartenance régionale, des caractéristiques susceptibles de servir de point de départ à un réel modèle explicatif.

72Nous avons ainsi observé que, par rapport aux autres entreprises du pays, les entreprises wallonnes connaissent en moyenne une taille supérieure, sont plus souvent contrôlées par les groupes financiers belges et disposent d’un plus faible apport d’investissements directs étrangers.

73On s’est alors demandé dans quelle mesure ces caractéristiques structurelles jouent un rôle explicatif exclusif à l’égard des performances observées (taux de profit, taux de croissance, intensité en capital, dépenses de recherches), de telle sorte que l’effet de l’appartenance régionale se réduise à ces variables.

74Il est apparu qu’à secteurs et caractéristiques semblables, les grandes entreprises wallonnes connaissent, par rapport aux autres entreprises du pays, une moindre rentabilité, une plus faible croissance du chiffre d’affaires et une plus lourde intensité en capital fixe, tout en ne disposant pas d’avantages dans les dépenses de recherche.

75Ainsi, s’il est incontestable que les différences observées dans les traits structurels des entreprises sélectionnées ont dû jouer un rôle, il apparaît important de poursuivre l’analyse afin d’identifier d’autres facteurs qui, sous le couvert de la "variable régionale", ont exercé des effets significatifs.

76Enfin, nous avons constaté que la dimension des entreprises n’a aucun effet positif significatif sur la rentabilité, a un effet négatif significatif sur la croissance des entreprises wallonnes et, pour un échantillon très différent, n’influence pas plus que proportionnellement l’effort de recherches.

77De ces premiers calculs, se dégage essentiellement la nécessité d’améliorer en ce domaine la qualité de l’analyse, afin de localiser avec rigueur l’origine du déséquilibre industriel qui affecte aujourd’hui notre pays. Le recours à d’autres échantillons, à d’autres critères et à d’autres méthodes est indispensable.


Date de mise en ligne : 17/11/2014.

https://doi.org/10.3917/cris.614.0001

Notes

  • [1]
    N. Nabokoff, "Le développement de la Flandre et de la Wallonie", La Revue Nouvelle, 15 janvier 1962, p. 16.
  • [2]
    G. Chaput et R. de Falleur, "La production et l’investissement des régions flamandes, wallonnes et bruxelloises", Cahiers Économiques, de Bruxelles, n°10-11, 1961. Pour la période 1958-1966, voir P. Romus, "Évolution économique régionale en Belgique, depuis la création du Marché Commun", Revue des sciences économiques, 1968, p. 152.
  • [3]
    N. Nabokoff, art. cit., p. 8. Prudemment, l’auteur évoquait lui-même le caractère "assez hasardeux" de ce genre de projection … en mentionnant notamment le caractère temporaire de la crise charbonnière wallonne.
  • [4]
    Institut national de Statistiques, Bulletin de Statistiques, n°3-4, 1971.
  • [5]
    I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°5, 1973. Soulignons que pour les statistiques antérieures à 1966, la région de Bruxelles inclut Hal-Vilvorde et les communes périphériques, alors qu’après cette date, elle se limite à Bruxelles-capitale. De façon plus générale, il faut se rendre compte que même avec les clefs de répartition régionales les mieux adaptées, la ventilation des données nationales sera toujours contestable, notamment par suite de l’importance des relations interrégionales, qui ne se laissent pas saisir. L’élaboration rigoureuse d’une série de statistiques régionalisées reste donc un besoin prioritaire.
  • [6]
    En 1959, le % du PIB flamand par tête, par rapport au PIB bruxellois, et de 59 %, alors que le % du PIB wallon est de 66 %. En 1971, ces rapports étaient, pour la Flandre, de 65 %, et pour la Wallonie, de 59%.
  • [7]
    I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°5, 1973.
  • [8]
    Au sein des fabrications métalliques, l’orientation des régions est assez différente. La Wallonie, par rapport à l’ensemble du pays, est spécialisée dans les armes, munitions et aéronautique (89 %), dans la fonderie de fer (64 %), dans la forge estampage et gros emboutissage (68 %), ainsi que dans les ponts, charpentes, chaudronnerie et chaudières (48 %) et le matériel de chemin de fer (49 %). Par contre, la région flamande (sans Hal-Vilvorde et communes périphériques) occupe une place prépondérante dans les constructions navales (97 %), l’automobile et les cycles (65 %), les machines textiles (65 %), la tréfilerie, étirage et laminage à froid (61 %) ainsi que dans la construction électrique (49 %). Dans ce dernier secteur, ainsi que dans celui de l’automobile, la Flandre et la région bruxelloise occupent ensemble une position de première importance (respectivement 71 % et 92 %) ; I.N.S., Bulletin de Statistiques, n°9, 1967.
  • [9]
    J. Verly, Emploi des structures de production régionale, Service mensuel de conjoncture de Louvain, IRES, 1973, p. 34.
  • [10]
    De 1959 à 1972 parmi les investissements qui bénéficient de l’application des lois d’expansion économique, 44,8 % se manifestent en Flandre par la création de nouvelles entreprises, alors qu’en Wallonie, ce pourcentage n’atteint que 32,8 %. En outre, parmi ces investissements bénéficiant de l’application des lois d’expansion économique, les nouvelles entreprises étrangères ou mixtes représentent 30,8 % en Flandre, contre 16,9 % en Wallonie. Cf. Les investissements étrangers en Belgique, Rapport 1972, Ministère des Affaires économiques.
  • [11]
    Cette liste a été initialement élaborée par M. De Vroey et A. Carton, dans "La propriété et la part de marché des principales entreprises industrielles en Belgique", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°495, 16 octobre 1970, et n°509-510, 16 février 1971.
  • [12]
    Ces données proviennent d’informations non publiées émanant de l’O.N.S.S.
  • [13]
    Pour un examen général de la concentration en Belgique, voir Y. de Wasseige et X. Mabille, La concentration économique, Dossier du CRISP, n°5, mars 1973.
  • [14]
    Selon une étude approfondie, si le degré de concentration de l’activité économique n’atteint pas à Bruxelles un niveau comparable à celui d’autres régions fortement industrialisées, telles Anvers et Liège, le poids, la part d’influence des unités de grande dimension dans la vie économique de la région apparaît néanmoins considérable. J. Lievens et M. Vandermosten, "La concentration des effectifs dans les entreprises de la région bruxelloise", Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°609, 22 juin 1973.
  • [15]
    Pour les critères utilisés, voir M. De Vroey, art. cit., I, pp. 6 et 7.
  • [16]
    En 1968, les firmes multinationales occupent, en Belgique, 18 % de la main-d’œuvre industrielle : bien qu’elles ne soient qu’au nombre de 600, plus de 30 % occupent plus de 500 ouvriers et employés ; 70 % des nouveaux emplois créés par ces firmes l’ont été en Flandre, 20 % en Wallonie et 10 % à Bruxelles. Voir J. Van Ginderachter, in CRIDE, Vers une politique fiscale européenne à l’égard des entreprises multinationales, Bruylant et Vander, 1973, p. 121.
  • [17]
    J. Lievens et M. Vandermosten, art. cit., p. 17.
  • [18]
    Le secteur pétrolier n’est pas repris, de même que les nouvelles entreprises constituées depuis 1965.
  • [19]
    L’utilisation d’autres mesures du profit n’apporte pas de meilleurs résultats.
  • [20]
    Les chiffres en dessous de chaque coefficient de régression indiquent la valeur du test t, n.s. indique que le coefficient n’est pas significatif, R2 est le coefficient de détermination, Er représente l’erreur résiduelle de la régression et n le nombre d’observations.
  • [21]
    Voir par exemple A. Jacquemin et M. Cardon, "Size Structure, Stability and Performance of the Largest European Firms", European Economic Review, 1973, à paraître.
  • [22]
    I.?.S., Statistiques financières, n°2, 1973.
  • [23]
    Comme nous le verrons, le capital fixe par travailleur, c’est-à-dire le rapport entre la valeur de l’équipement et le nombre d’emplois n’obéit pas nécessairement à la même relation. En effet, un accroissement du stock de biens d’équipement peut être financé par une politique généreuse d’amortissement. C’est ce qui permettrait d’expliquer qu’au sein des 52 plus grandes entreprises, le capital immobilisé brut par unité d’emploi soit en moyenne supérieur pour les entreprises situées en Wallonie (et de même pour celles sous le contrôle d’un groupe belge, par opposition aux entreprises indépendantes ou celles sous contrôle étranger).
  • [24]
    Voir J. Defay, Recherche et croissance économique, 3, S.P.P.S., Bruxelles, 1973 à paraître.
  • [25]
    Voir L. Phlips., "Concentration, dimension et recherche dans l’industrie manufacturière belge", Recherches Économiques de Louvain, n°1, fév. 1969, qui a néanmoins du se contenter d’utiliser le nombre de personnes employées.
  • [26]
    Par contre, L. Phlips, art. cit., obtenait des rendements croissants, mais en utilisant l’emploi comme indice de dimension. Ainsi qu’il le signalait lui-même, cet indice est favorable à la thèse d’une augmentation à un taux croissant, notamment parce que les grandes firmes sont proportionnellement plus grandes en termes de chiffre d’affaires qu’en termes d’emploi. Si nous désagrégeons l’analyse en quatre grands secteurs (chimie-électronique et électrotechnique - pétrole, caoutchouc, minéraux non métalliques et transport - alimentation, boisson, tabac, textile et vêtements), les résultats ne sont guère améliorés. Pour le premier et le second secteur, les coefficients ne sont pas significatifs ; pour le troisième, ils sont du signe attendu et significatifs ; pour le quatrième secteur, le coefficient est négatif et significatif pour (CA), positif et significatif pour (CA).
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