Notes
-
[1]
Cfr. art. 8.2 du Traité.
-
[2]
Cfr. art. 5 du Traité. Ces institutions sont, rappelons-le :
- dans l’ordre du pouvoir de délibération et de contrôle : l’Assemblée ? - dans l’ordre du pouvoir exécutif s le Conseil et la Commission, assistés d’un Comité économique et social, représentatif des milieux professionnels et à caractère consultatif ; - dans l’ordre du pouvoir juridictionnel : la Cour de Justice. -
[3]
La recherche des mesures pratiques d’exécution fut surtout le fait de la Commission de la C.E.E. (assistée par des experts nationaux gouvernementaux et aidée à certaines occasions par des représentants des organisations nationales patronales et syndicales) ; le Conseil des Ministres, la Commission sociale de l’Assemblée et le Comité économique et social furent également attentifs à la mise en service de l’article 119.
-
[4]
Rapport de la Commission au Conseil sur l’état d’application au 31 décembre 1964 de l’article 119 C.E.E. et de la résolution adoptée par la Conférence des Etats-membres le 30 décembre 1961.
-
[5]
Rapport cité, pp. 76-77.
-
[6]
Pour les études statistiques, la C.E.E. dispose d’un organisme de cette nature : l’Office statistique des communautés européennes (O.S.C.).
-
[7]
Ce bilan a été complété par des rapports nationaux sur l’évolution de la question depuis le 1er janvier 1965 jusqu’en mars 1966. Il s’agit de rapports établis en commun, au niveau national, par les gouvernements et les partenaires sociaux. La décision d’établir ces rapports avait été prise au cours d’une réunion organisée à la mi-mars 1966 par la Commission de la C.E.E. avec les experts gouvernementaux et des partenaires sociaux.
-
[8]
Ceci n’exclut pas la possibilité d’"accords nationaux interprofessionnels" qui constituent, soit des recommandations générales, soit des engagements un peu plus poussés, du type "programmation sociale" ; mais ils nécessitent pour leur mise en œuvre soit des mesures législatives ou réglementaires, soit des conventions collectives professionnelles (nationales, régionales ou d’entreprise). A noter qu’aucun accord national interprofessionnel n’a jamais porté sur la réalisation de l’égalité de rémunération, ce qui s’explique par le fait que le problème se pose diversement selon les secteurs professionels et les entreprises, et surtout par le fait même que ces accords netraitent que rarement de la rémunération directe des travailleurs.
-
[9]
Cette pratique n’a pas un caractère absolu. C’est ainsi que dans l’industrie textile, qui occupe beaucoup de femmes, les salaires effectifs sont fixés par des conventions collectives professionnelles nationales.
-
[10]
et de la Convention n° 100 de l’Organisation Internationale du Travail (1951) relative, elle aussi, à l’égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale.
-
[11]
Elle est, en fait, la transposition d’un système de classification en usage dans l’industrie allemande du métal. Un aperçu de la classification Fabrimétal a été publié dans le bulletin hebdomadaire de cette organisation patronale, n° 1034 du 11 juin 1966, pp. 405-411.
-
[12]
Voir en ce sens le document Fabrimétal : "Application de l’article 119 du Traité de Rome et Convention portant barème unique des salaires minima dans l’industrie des fabrications métalliques". (Bruxelles, 1er décembre 1965, p. 3).
-
[13]
Une "Commission technique paritaire" dont l’existence était déjà prévue au plan national, par la convention collective du 26.12.62, mais qui pratiquement n’avait pas fonctionné pendant la durée de cette convention, est néanmoins chargée par le nouvel accord "de compléter le catalogue d’exemples par des métiers exercés dans certains secteurs qui n’y sont pas encore suffisamment représentés" et d’"étudier les perfectionnements techniques qui, sur base de l’expérience acquise, pourraient être apportés à la méthode de classification du travail dans l’industrie des fabrications métalliques". Ainsi, avant la fin de l’année 1967, les représentants patronaux et syndicaux auront à confronter leurs vues sur plusieurs aspects de la méthode de classification (notamment la pondération des facteurs pris en considération pour le classement, ainsi que l’attribution des points déterminant les catégories salariales).
-
[14]
Pour les salaires minimums des classes II et III, le taux devait atteindre à cette date 93,4 et 96,7 %.
-
[15]
conventionnel, c’est-à-dire établi par convention collective.
-
[16]
Voir à ce sujet les conclusions dégagées par V. Feaux, à la suite de son enquête dans le milieu des délégués syndicaux d’entreprise de la construction métallique.
V. Feaux, le délégué syndical de la métallurgie, dans Revue de l’Institut de Sociologie, 1965-4, pp. 685-716. -
[17]
Voir Feaux, art. cit.
-
[18]
Voir les exposés faits sur la question au cours de la semaine d’études organisée par la F.G.T.B. à Zeezicht-Mariakerke, 20-24 septembre 1965. Voir aussi les résultats d’une enquête menée par Melle C. Bouhy en milieu d’ouvrières : "Dans le cadre de la fédération liégeoise des syndicats chrétiens, la travailleuse métallurgiste et la syndicalisation", Ecole provinciale de service social, Liège 1964
-
[19]
Préambule de l’accord.
-
[20]
Augmentations salariales, rétablissement de l’indexation automatique des salaires, réduction de la durée du travail, indemnités de "sécurité d’existence" en cas de chômage.
-
[21]
Ces conditions ne sont pas imposées lorsque l’employeur est manifestement responsable du conflit, soit parce qu’il n’applique pas une convention collective nationale, régionale ou d’entreprise, soit parce qu’il ne respecte pas la procédure de conciliation à propos d’un litige. Dans ces cas, il n’y a pas manquement syndical à l’accord du 7 janvier 1965.
-
[22]
De droit, c’est le président de la commission paritaire nationale.
-
[23]
Le ressort de chaque comité régional de conciliation est celui de la commission paritaire régionale correspondante ; le pays est divisé en 5 régions : Bruxelles et province du Brabant, province d’Anvers, provinces de Flandre occidentale et de Flandre orientale, province de Hainaut, province de Liège.
-
[24]
Du côté de la Centrale Chrétienne des Métallurgistes (C.C.M.B.), la dénonciation faisait suite à la décision prise en ce sens par le Conseil National des militantes de cette Centrale, les 3 et 4 juin 1965.
-
[25]
C’est ainsi qu’après la semaine d’études des problèmes féminins organisée par la F.G.T.B. à Zeezicht-Mariakerke du 20 au 24 septembre 1965, une commission féminine, composée de huit travailleuses est constituée dans le cadre de l’action syndicale des métallurgistes F.G.T.B. à la F.N. Ceci représenta un facteur important dans la prise de conscience des ouvrières de l’entreprise.
-
[26]
Durant toute la négociation, les propositions patronales successives sont examinées au sein de chaque centrale syndicale selon la procédure suivante : avis d’une commission technique mixte (hommes et femmes) pour les problèmes féminins, décision du comité exécutif de la centrale.
-
[27]
Syndicats, 5 février 1966, p. 7.
-
[28]
2.500 ouvrières sont présentes à cette assemblée.
-
[29]
Syndicats, 26 février 1966, p. 7 ; Au Travail, 26 février 1966, p. 2.
-
[30]
Au Travail, 26 février 1966, p. 2.
-
[31]
Syndicats, 5 mars 1960, p. 4.
-
[32]
Le recrutement des "ouvrières-machines" est cependant plus sévère que celui des manœuvres hommes : ces ouvrières sont sélectionnées sur base de tests préalables ; les manœuvres hommes ne sont pas soumis à une épreuve de sélection.
-
[33]
La Wallonie, 22 février 1966.
-
[34]
La Wallonie, 1er mars 1966.
-
[35]
Quatre augmentations successives de 0,75 F. aux 1er janvier 1966, 1er avril 1966, 1er janvier 1967 et 1er juillet 1967 ; limitation de ces augmentations à 0,25 F. pour les salaires féminins égaux ou supérieurs à 40 F. (travaux lourds ou dangereux).
-
[36]
A noter qu’avant l’assemblée, le M.P.W. avait fait distribuer en rue des tracts réclamant le fédéralisme.
-
[37]
La Cité, 10 mars 1966.
-
[38]
Le bureau de l’assemblée est constitué, outre M. R. Gillon, par les délégués syndicaux d’entreprise ; l’un de ces derniers préside.
-
[39]
Cette formulation des revendications en termes de moyenne commune aux 4 sièges n’est pas traditionnelle aux ACEC.
-
[40]
On se retrouve donc pratiquement devant les signataires de l’accord national.
-
[41]
A noter toutefois qu’à Charleroi, le vote prévu pour le 21 mars dut être reporté au 22 mars en raison de la confusion de l’assemblée
-
[42]
Ce même jour, une trentaine d’ouvriers du département "peinture" des ACEC de Herstal partent en grève, sans attendre l’expiration d’un préavis de grève déposé le 25 mars, ce qui entraîne le chômage d’une nonantaine d’ouvriers. A cette dernière date une conciliation au plan de l’entreprise portait sur un conflit de classification et de salaires touchant les ouvriers des départements "expédition" et "peinture". Une solution satisfaisante était trouvée pour le premier de ces départements, mais non pour le second. La grève du département "peinture" distincte de la grève des femmes, mais influencée par le climat de celle-ci, durera jusqu’au 31 mai.
-
[43]
La Voix du Peuple, édition du Parti Communiste Wallon, 22 avril 1966.
-
[44]
Il faut encore citer l’appui de la Ligue nationale des coopératrices, de la Fédération belge des femmes diplômées d’Université, du Mouvement ouvrier chrétien de Solidarité juive…. De l’étranger sont parvenus des témoignages notamment du Mouvement démocratique féminin (Paris), de la Fédération démocratique internationale des femmes (Berlin).
-
[45]
Il s’agit du P.C. tendance Moscou, Le P.C., tendance Pékin, ne possède pas d’élu au Parlement.
-
[46]
C’est le 31 mars que réuni sous la présidence de M. Larock et sur rapport de Mme Copée, le groupe socialiste de la Chambre avait décidé cette interpellation, en même temps qu’il saluait les travailleuses en grève et souhaitait pour elles la conclusion d’un accord équitable.
-
[47]
M. Magnée fait partie de la "Démocratie chrétienne liégeoise".
-
[48]
Il faut noter que les grèves féminines ont commencé à un moment où le Gouvernement Harmel-Spinoy P.S.C./P.S.B., qui avait présenté sa démission, était chargé de l’expédition des affaires courantes et se sont poursuivies sous le gouvernement P.S.C.-P.L.P. Van den Boeynants-De Clercq. Mais M. Servais (P.S.C.) est resté titulaire du Ministère de l’Emploi et du Travail sous les deux gouvernements.
-
[49]
Le problème de l’égalité de rémunération fut encore évoqué à la Chambre le 6 avril par MM. Nijfels (P.S.B.) et Glineur (P.C.) dans la discussion du budget du Ministère de l’Emploi et du Travail.
-
[50]
M. Leemans est membre du Parlement européen.
-
[51]
Nous avons dit d’autre part que le Comité "A travail égal, salaire égal" avait adressé une petition aux Chambres législatives en faveur d’une initiative parlementaire.
-
[52]
Voir notamment question écrite n° 104 à la Commission de la C.E.E. (mars 1966).
Présentation
1Ce Courrier Hebdomadaire analyse les grèves d’ouvrières qui ont touché un certain nombre d’entreprises du secteur des fabrications métalliques, de février à début mai 1966.
2Le centre du conflit se localisait dans la région liègeoise, principalement à la Fabrique nationale d’armes de guerre de Herstal. Il a cependant eu des prolongements dans la région de Charleroi, aux Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi.
3Mais, par l’objet de la revendication - à travail égal, salaire égal, conformément à l’article 119 du Traité de Rome - la résonance du conflit dépasse singulièrement son extension territoriale ou sectorielle.
4De plus, les grèves ont présenté un ensemble de particularités rarement réunies ; elles ont été menées par des femmes, le mouvement est parti de la base, le nombre des ouvrières engagées est exceptionnellement élevé (plus de 4.000), sans compter les multiples mises en chômage d’ouvriers (environ 5.000), la longue durée du conflit et la détermination des ouvrières n’ont cependant pas modifié le caractère non-violent de l’action.
5Ce Courrier s’attache essentiellement à dégager l’interaction des groupes concernés par le conflit.
6Celui-ci apparaît dans un cadre pré-établi de relations institutionnalisées, qui sont expliquées dans le chapitre 1er : le réseau de ces relations résulte de textes internationaux, de textes législatifs nationaux et surtout de conventions collectives du travail.
7Les chapitres ultérieurs décrivent les cheminements du conflit et les réactions de groupes.
Chapitre I - L’encadrement institutionnel du conflit des ouvrières sur l’égalité de rémunération entre hommes et femmes
8Le conflit des ouvrières pour l’égalité de rémunération est encadré dans un jeu de relations institutionnalisées par certaines dispositions du Traité de Rome, par des dispositions nationales et par les conventions collectives du secteur des fabrications métalliques.
Section 1. Contexte de la Communauté Economique Européenne
91. Le Traité de Rome assigne, à chaque étape de sa réalisation, un ensemble d’actions qui doivent être engagées et poursuivies concuremment [1].
10Les Etats membres se sont engagés à prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du Traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté [2].
11Parmi ces obligations, l’article 119 prescrit la réalisation de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes à l’expiration de la première des étapes fixées pour l’exécution progressive du Traité, à savoir dès la fin de l’année 1961.
122. Malgré la vigilance des institutions communautaires [3], et en raison de divergences de conceptions entre certains partenaires du Traité, l’objectif de l’article 119 était loin d’être atteint à l’échéance prévue. Pour éviter un déséquilibre préjudiciable à l’ensemble du Traité, à la veille du passage à la deuxième étape, la conférence des Etats-membres du 30 décembre 1961 se mit d’accord sur une résolution destinée à garantir une application uniforme et progressive mais effective de l’article 119 :
- la portée du principe de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes est précisée et cela dans un sens très large, qui vise non seulement les fonctions techniquement identiques, mais aussi toutes les fonctions de valeur égale ;
- les Etats-membres s’engagent à éliminer progressivement, selon un calendrier précis dont l’échéance finale est fixée au 31 décembre 1964, toute forme de discrimination entre la main-d’œuvre masculine et féminine susceptible d’influencer la rémunération.
133. L’analyse des mesures prévues par la résolution des Etats-membres permet de dégager les obligations qui incombent :
- au niveau national, respectivement aux gouvernements et aux organisations professionnelles (patronales et syndicales) ;
- au niveau des institutions communautaires, à la Commission de la C.E.E.
- Niveau national :
- Le gouvernement :
- sur un plan général : assure, par des instruments juridiques adéquats, la protection juridictionnelle de tout travailleur se réclamant de l’égalité de rémunération ;
- dans le secteur public : assure directement la réalisation de l’égalité de rémunération ;
- dans le secteur privé : refuse de sanctionner les conventions collectives contenant des discriminations entre hommes et femmes ;
- les organisations professionnelles patronales et syndicales (les "partenaires sociaux") :
- l’autonomie qui leur est pratiquement reconnue dans tous les pays de la Communauté pour fixer les salaires leur confère la responsabilité de traduire dans les conventions collectives du secteur privé le principe de l’égalité de rémunération ;
- Le gouvernement :
- Niveau des institutions communautaires :
La Commission de la C.E.E. est chargée de rassembler et d’étudier les données statistiques et monographiques susceptibles de suivre avec une précision suffisante l’exécution de l’égalité de rémunération dans les six pays membres (paragraphe 6 de la résolution de la Conférence des Etats-membres).
154. Dans quelle mesure, la résolution de la Conférence des Etats-membres a-t-elle été exécutée à l’expiration de l’échéance du 31 décembre 1964 ?
16La Commission de la C.E.E. a fait le bilan de la situation dans un rapport daté du 7 juillet 1965 [4].
17Il apparaît que "des progrès remarquables ont été accomplis dans la plupart des Etats-membres" et que "l’effort conjoint des gouvernements et des partenaires sociaux a produit ses effets positifs, faisant en sorte que les salaires féminins se sont accrus ces dernières années à un rythme plus prononcé que celui des salaires masculins". L’article 119 et la résolution de la Conférence des Etats-membres ont donné un essor nouveau aux différentes actions en cours, faisant en sorte que le principe de l’égalité des salaires … a reçu une application de plus en plus poussée, voire une application complète dans plusieurs secteurs d’activité. Toutefois, en dépit des progrès accomplis, le bilan final … oblige malheureusement à constater que l’obligation inscrite à l’article 119 et traduite dans la Résolution du 30 décembre 1961 n’a trouvé dans l’application pratique une réalisation complète dans aucun des pays de la Communauté. Dans tous les Etats-membres, soit le gouvernement, soit les partenaires sociaux, soit l’un et les autres, ont encore des tâches à remplir pour que leurs engagements respectifs soient tenus" [5].
18Reste l’obligation qui était faite aux Etats-membres de créer les instruments juridiques aptes à garantir directement aux travailleurs un droit à l’égalité de rémunération, susceptible d’être protégé par les tribunaux ; la Commission constate que cette garantie est complète en Allemagne et en Italie et présente encore des lacunes en France et au Luxembourg, tandis qu’en Belgique et aux Pays-Bas, la garantie n’existe que lorsque l’égalité de rémunération est assurée par une convention collective.
195. Comme on le voit, le jugement de la Commission est très nuancé sur l’avancement de l’égalité de rémunération. Ceci se comprend si l’on examine les données sur lesquelles la Commission a fondé son rapport :
- les études statistiques et monographiques entreprises par ou à l’intervention de la Commission n’ont pas permis jusqu’à présent d’aboutir à un instrument de mesure satisfaisant ; la méthode statistique permet difficilement d’isoler pour les fonctions autres que mixtes ou identiques les facteurs de discrimination résultant uniquement du sexe du travailleur ; la méthode monographique semble mieux adaptée à l’étude de la valeur des fonctions spécifiquement féminines (et notamment à l’étude des classifications professionnelles basées sur la valeur "objective" des fonctions) ; mais cette méthode n’a pas été suffisamment poussée, à défaut, semble-t-il, pour la C.E.E. de posséder un cadre de recherches spécialisé, apte à donner l’ampleur voulue aux applications de la méthode et dont le statut communautaire garantirait l’indépendance et l’objectivité des travaux [6] ;
- pour établir son rapport, la Commission a donc utilisé essentiellement les renseignements communiqués par chacun des gouvernements, sous bénéfice, il est vrai, d’un inventaire contradictoire de la part des partenaires sociaux : "pour la première fois depuis le début des travaux concernant la mise en œuvre de l’article 119 du Traité, tous les pays ont fourni, à l’occasion de ce rapport, des renseignements ayant reçu, sur le plan national, l’accord préalable du gouvernement ainsi que des organisations d’employeurs et de travailleurs" ;
- cette approche ne permet cependant pas une comparaison aisée de la situation dans les six pays (surtout pour le problème essentiel qui est d’apprécier les discriminations salariales susceptibles d’affecter les fonctions masculines et féminines qui ne sont pas mixtes ou strictement identiques) ; en effet, la crainte de compromettre les intérêts nationaux crée dans chaque pays une solidarité de fait entre gouvernement et partenaires sociaux ; cette crainte incite plutôt à sous-évaluer qu’à surévaluer le degré de réalisation de l’égalité de rémunération dans les autres Etats-membres et provoque à la fois un réflexe de prudence dans la réalisation du principe et un réflexe de justification dans la présentation des résultats.
20Le bilan établi en juillet 1965 par la Commission de la C.E.E. [7] doit encore être discuté au cours de l’année 1966, dans la perspective de l’action future de la Communauté, par le Parlement européen (sur rapport de sa commission sociale).
21Dans l’intervalle, les grèves d’ouvrières des fabrications métalliques de Belgique (février à mai 1966) ont créé un ressourcement d’intérêt à l’égard du rapport de la Commission de la C.E.E. et de la réalisation de l’égalité de rémunération.
Section 2 - Contexte belge
22Le partage du pouvoir de décision entre le gouvernement et les partenaires sociaux dans la réalisation de l’égalité de rémunération est conditionné par les modes traditionnels de fixation des salaires (ces modes sont consacrés légalement par l’arrêté-loi du 9 juin 1945 fixant le statut des commissions paritaires) ;
- la fixation des salaires est du ressort des organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs ;
- les conventions collectives salariales se négocient au plan professionnel (national, régional ou d’entreprise) [8].
Par. 1. Intervention du gouvernement
23En dehors de la pression morale exercée par voie de recommandations aux partenaires sociaux, la seule arme juridique dont dispose le gouvernement est le refus de sanctionner les décisions de commissions paritaires - nationales ou régionales - (c’est-à-dire les conventions collectives conclues au sein de ces institutions sectorielles), lorsque s’y rencontrent des discriminations salariales contraires à l’article 119 du Traité de Rome. Ces décisions se bornent généralement à fixer des minimums de salaires obligatoires, les salaires effectifs étant plutôt réglés au plan de l’entreprise [9]. D’autre part, il n’est pas rare que la commission paritaire évite de demander qu’un arrêté royal sanctionne la décision : en ce cas, le gouvernement reste complètement étranger à la décision prise.
Par. 2. Intervention des organisations d’employeurs et de travailleurs
24Comme nous l’avons dit, les conventions collectives salariales conclues au plan professionnel peuvent se situer à trois niveaux : national, régional et d’entreprise. Les interlocuteurs patronaux et syndicaux sont différents selon le niveau de négociation.
25Par exemple, dans le secteur des constructions métalliques :
26Le recours à un niveau déterminé de négociation n’exclut pas l’intervention des autres niveaux ; un accord national laisse subsister une marge plus ou moins importante de négociation aux niveaux régionaux et/ou d’entreprise, selon les matières réglées par l’accord.
27D’autre part, la marge de négociation disponible à chaque niveau sur un objet déterminé (par exemple les salaires féminins) peut être influencée par des accords collectifs portant sur d’autres questions (soit que leur contenu épuise la somme des avantages que la patronat estime pouvoir concéder pendant un laps de temps déterminé, soit que des accords institutionnalisent les rapports entre employeurs et travailleurs aux divers niveaux : Ex. programmation assortie de la clause de paix sociale ; respect d’une procédure déterminée pour le dépôt des revendications ; statut des délégations syndicales d’entreprise, etc…).
28Enfin, les tensions que les négociations collectives ont à résoudre se présentent différemment à chacun des niveaux de négociation.
29Les récentes grèves d’ouvrières pour l’égalité de rémunération trouvent leur origine dans la difficulté à résoudre par la négociation des tensions existantes au niveau de l’entreprise.
30Toutefois, il existait un cadre de négociation au niveau national de la construction métallique, comme nous allons le montrer.
Section 3. Contexte de la construction métallique
Par. 1. Les accords professionnels conclus au plan national
31La solution du problème de l’égalité de rémunération dans le secteur des fabrications métalliques, mécaniques et électriques est orientée par la convention collective du 26 décembre 1962, conclue en commission paritaire nationale.
32Cette convention collective professionnelle nationale déclare se placer dans la ligne de l’article 119 du Traité de Rome [10].
33Rompant avec la pratique des conventions antérieures, qui fixaient des salaires différenciés selon le sexe du travailleur, le nouvel accord collectif établit, au plan national du secteur de la construction métallique, une classification des fonctions selon la nature de des tâches et un barème "unique" de salaires minimums correspondant à chacune des fonctions.
34Un "protocole annexe" détermine un minimum et un plafond d’augmentation des salaires effectifs pour les fonctions spécifiquement féminines ; cette augmentation est étalée en deux tranches sur un an (du 1er janvier 1963 au 1er janvier 1964).
35La convention du 26 décembre 1962 "oriente" la solution du problème de l’égalité de rémunération ; en effet, elle laisse subsister une zone d’indétermination quant aux aspects définitifs ou provisoires de la solution adoptée, et quant à son champ d’application.
1 – Aspects définitifs ou provisoires de l’accord du 26.12.1962
36La classification range les fonctions de caractère manuel en huit classes : les sept premières sont celles d’un niveau inférieur à celui de l’ouvrier qualifié, la huitième classe est le seuil des ouvriers qualifiés.
37Cette classification combine la méthode globale et la méthode analytique [11] : les fonctions sont classées par référence à un "catalogue d’exemples" qui définit environ 240 fonctions-types (description des fonctions et évaluation en points).
38Les critères utilisés sont tels que les fonctions spécifiquement féminines sont toutes rangées dans les classes I, II et III, inférieures au niveau de la classe IV qui est celle du manœuvre adulte. Aucun homme adulte n’est rangé dans une classe inférieure à la classe IV ; d’une part, la convention prévoit que la méthode de classification n’est pas applicable dans les entreprises qui n’occupent que des travailleurs manuels masculins ; d’autre part, une garantie de fait a été donnée hors convention aux hommes adultes qui seraient exceptionnellement occupés à des fonctions classables en-dessous de la classe IV ; Fabrimétal a recommandé à ses membres "de ne pas utiliser en général des hommes dans ces fonctions et ce en tenant compte de la formation professionnelle que les hommes acquièrent soit au cours de leurs études, soit au cours de leur expérience dans l’industrie".
39En fait, le salaire minimum de la classe I est fixé par le "barème unique" à un montant correspondant à 85 % environ de celui de la classe IV.
40Enfin, l’ensemble de la convention collective est signé pour une durée minimale de trois ans (du 1.1.1963 au 31.12.1965), à l’échéance de laquelle la dénonciation de l’accord est possible, à l’initiative de chacune des organisations signataires (sinon, il y a tacite reconduction).
41L’organisation patronale fait une distinction entre le principe et le niveau des salaires conventionnels. Elle considère (sous réserve d’éventuelles adaptations de détail) que la classification adoptée résoud définitivement le principe de l’égalité de rémunération posé par l’article 119 du Traité de Rome [12]. Seul pourrait faire l’objet de nouvelles négociations le montant des salaires,dans les limites des charges salariales économiquement supportables, compte tenu de la concurrence internationale (la convention stipule qu’il pourra être tenu compte de la réalisation effective de l’article 119 du Traité de Rome dans les autres pays de la C.E.E.).
42Les organisations syndicales ne voient dans la convention du 26 décembre 1962 qu’un accord provisoire : la convention apporte, certes, aux ouvrières une amélioration du salaire, mais elle reste fort éloignée d’une égalité de rémunération qui postulerait une revision de la valeur intrinsèque du classement des fonctions féminines et de leur niveau salarial.
43Les organisations dénonceront d’ailleurs l’accord du 26 décembre 1962 à la fin de l’année 1965, et la négociation d’un nouvel accord coïncidera avec les prodromes et puis l’éclatement du conflit à la Fabrique Nationale d’armes de guerre de Herstal (16 février 1966).
44La revendication syndicale comportait au plan du secteur l’alignement du salaire minimum féminin le plus bas sur le niveau de la classe du manœuvre adulte, la réévaluation des critères de qualification et la suppression des classes I à III actuelles. Les syndicats admettaient cependant une réalisation progressive.
45Le nouvel accord auquel on parvint le 28 février 1966 laissait subsister la classification existante [13], mais réduisait la tension salariale barémique, entre les classes de fonctions féminines et la classe du manœuvre adulte : le niveau du salaire minimum de la classe I était porté, par étapes, à partir du 1er mars 1967, à 90 % du salaire minimum de la classe IV [14].
46Le nouvel accord garantissait, par ailleurs, suivant des étapes parallèles, des montants minimaux d’augmentation des salaires féminins effectivement payés (montants exprimés en chiffres absolus et non en pourcentages).
47La convention collective du 28 février 1966 est valable pour environ deux ans (du 1er mars 1966 au 31 décembre 1967).
2 – Champ d’application des accords conclus au plan national
48La convention collective du 26 décembre 1962, pas plus que celle du 28 février 1966, ne comporte pour les entreprises l’obligation d’adopter la classification nationale des fonctions.
49Il faut distinguer les obligations valables pour les entreprises qui mettent en œuvre la classification nationale et celles applicables aux entreprises qui conservent leur propre système de classification ou de salaires.
50Pour les premières, le barème unique des salaires minimums et le relèvement des salaires effectifs sont applicables tels quels, sous la simple réserve d’accords plus favorables existants ou à conclure au plan régional ou des entreprises.
51Les entreprises qui maintiennent leur propre système de classification ou de hiérarchie des salaires doivent "procéder aux aménagements indispensables" ; toutefois, la convention nationale du 26.12.62 n’est pas explicite sur ce point. S’il paraît logique et conforme au contexte que les salaires minimums soient fixés partout à des niveaux comparables à ceux de la convention nationale, la transposition concrète peut donner matière à contestation.
52Le protocole annexe, relatif aux relèvements des salaires féminins effectifs est applicable à toutes les entreprises sans distinction.
53La nouvelle convention du 28 février 1966 prévoit de son côté que les entreprises qui n’ont pas suivi la classification nationale doivent "s’inspirer" des dispositions de l’accord. Celui-ci précise que :
- les adaptations sont faites après examen paritaire dans l’entreprise ;
- les salaires effectifs doivent en toute hypothèse, pour des fonctions de valeur comparable, atteindre aux dates indiquées les nouveaux minimums barémiques ;
- les augmentations du salaire effectif des ouvrières doivent également être garanties.
54De nombreuses entreprises, dont celles de l’importance des "Ateliers de Construction Electrique de Charleroi" (ACEC) et de la "fabrique Nationale d’armes de guerre" (F.N.) n’appliquent pas la classification nationale. Des accords d’entreprises y étaient donc nécessaires pour procéder aux "adaptations" indispensables, en "s’inspirant" de l’accord national.
55Le conflit éclatera à la F.N. du fait que la direction et le personnel différaient raidcalement d’avis sur la part de liberté de négociation que ces textes autorisent au plan de l’entreprise. La direction considère les augmentations salariales de l’accord national comme une indication des limites de la négociation dans l’entreprise. Les ouvrières revendiquent une négociation qui relève le niveau barémique des fonctions féminines au niveau correspondant des fonctions exercées par les hommes et qui corrige sur cette base les écarts salariaux effectifs entre hommes et femmes dans l’entreprise.
Par. 2. Contexte de la négociation au plan de l’entreprise
56En se développant, les rapports collectifs du travail marquent la tendance à s’institutionnaliser, et par un effet de retour, ce processus influence l’orientation des rapports.
1 – La délégation syndicale d’entreprise
57Au plan de l’entreprise, le statut conventionnel [15] des délégations ‘syndicales investit le délégué du double titre de représentant officiel des travailleurs vis-à-vis de la direction et de représentant officiel du syndicat, dont il constitue l’échelon hiérarchique de la base.
58Cette institutionnalisation, conjuguée avec l’extension des accords collectifs et l’élargissement des compétences du délégué syndical, le situe au croisement d’une relation complexe entre l’employeur, les travailleurs et le syndicat et l’oblige à s’orienter par rapport à ces trois pôles intégrateurs [16] :
- la direction patronale : en associant le délégué syndical à certaines de ses décisions, elle l’oblige à en partager la responsabilité ;
- l’organisation syndicale : le délégué syndical a besoin de "coller" de près à son syndicat, surtout à l’échelon régional, pour y trouver aide dans l’accomplissement de ses responsabilités accrues ;
- les travailleurs : ils attendent du délégué la traduction et la valorisation directe de leurs revendications.
59Le délégué syndical d’entreprise ne peut donc plus apparaître comme "l’homme de combat" à l’état pur, il est aussi chargé d’une fonction médiatrice [17].
60Vis-à-vis des travailleurs de l’entreprise, ce glissement du rôle du délégué rend évidemment le contact plus difficile. Ceci est d’autant plus vrai : lorsque apparaît dans l’entreprise une situation conflictuelle touchant une catégorie de travailleurs dont le degré d’intégration est faible tant dans l’entreprise que dans l’organisation syndicale. Tel est le cas des ouvrières particulièrement nombreuses et concentrées dans la construction métallique de la région de Liège.
61Elles sont peu intégrées dans l’entreprise : les salaires les plus bas et les tâches les moins qualifiées leur sont réservés ; le personnel de maîtrise est surtout masculin ; le travail les engage fortement du point de vue utilitaire, mais peu du point de vue humain.
62Même lorsqu’elles sont massivement syndiquées (comme à la F.N.), elles sont peu intégrées dans l’organisation syndicale, en ce sens que leur pénétration dans les postes de responsabilités est peu prononcée ; leurs revendications sont noyées dans les revendications masculines ; et pourtant elles sentent d’autant plus la nécessité d’être défendues qu’elles sont peu intégrées dans l’entreprise [18].
63Dans le cas des grèves de la F.N. et des ACEC, un facteur de durcissement du conflit a été l’apparition de "comités d’action", composés d’ouvrières et constitués en dehors de l’obédience syndicale. Ces comités, qui se veulent directement représentatifs des ouvrières sont du type "organe de combat" et cherchent à prendre appui aussi bien sur les travailleurs non syndiqués que sur les membres des organisations pour faire pression sur ces dernières.
2 – Les garanties syndicales et la procédure de conciliation
64La délégation syndicale d’entreprise est en un certain sens un organe permanent de prévention des litiges du travail.
65En cas de conflit déclaré, non résolu au niveau de la délégation syndicale d’une entreprise de la construction métallique, un accord du 7 janvier 1965, conclu entre l’organisation patronale Fabrimétal et les trois centrales syndicales nationales (C.M.B., C.C.M.B., C.G.S.L.B.) fait intervenir ces organisations au titre de garants du respect des conventions collectives existantes et d’une procédure hiérarchisée de conciliation.
66L’accord"confirme le rôle de contractants valables des organisations syndicales et patronales", "engage leur responsabilité", "règle les rapports entre les parties à tous les niveaux" et "assure le règlement des conflits pouvant surgir entre elles" [19].
67Cette expérience récente, engagée pour une durée minimale de deux ans (de janvier 1965 à fin décembre 1966) se relie en fait à l’octroi par les employeurs d’une série d’avantages programmés [20] assortis d’une clause de paix sociale, par laquelle les syndicats excluent pour deux ans d’autres revendications salariales d’ordre général ou collectif aux plans régional, national et local (convention collective du 13.1.1965).
68En vertu de l’accord du 7 janvier 1965, les centrales syndicales nationales assument :
- une responsabilité directe dans le respect par elles des conventions collectives entérinées par la convention paritaire nationale ; la violation de l’engagement est sanctionnée par la résiliation de l’accord ;
- une responsabilité de garantie dans le respect de ces conventions collectives au plan de l’entreprise ; c’est ce dernier aspect des engagements syndicaux qui nous intéresse ici.
69L’obligation de garantie engage les centrales syndicales professionnelles nationales à mettre en œuvre les moyens appropriés pour éviter qu’une grève totale ou partielle ne se produise dans une entreprise :
- soit à propos d’une matière réglée par convention collective, entérinée par la commission paritaire nationale ;
- soit à propos de toute autre matière, sans que soit respectée la procédure de conciliation (déterminée par une convention annexe).
70Lorsqu’une telle grève n’a pu être évitée, l’accord considère néanmoins que les organisations syndicales ont respecté leur engagement de garantie si leur intervention s’est manifestée dans certaines conditions [21] :
- après avoir examiné les causes du litige, elles ont tout mis en œuvre pour éviter la grève, et celle-ci n’est pas soutenue ;
- en cas de grève spontanée, le travail reprend à l’intervention des organisations syndicales dans les trois jours du début du conflit ou, le travail n’ayant pas repris dans ce délai, la grève n’est pas soutenue.
71Ne pas soutenir la grève signifie en clair que chaque organisation syndicale applique les règles de ses statuts appropriées à cette éventualité, spécialement en ce qui concerne les indemnités de grève. On notera qu’ici, la C.S.C. se distingue de la F.G.T.B. par une gestion plus centralisée des fonds de résistance. A la C.S.C., la décision de payer les indemnités de grève ne peut être prise par la Centrale professionnelle qu’en accord avec les organes directeurs de la Confédération. A la F.G.T.B., chaque centrale tranche en pleine autonomie la question de l’opportunité du paiement, et dans la prise de la décision, l’avis des sections professionnelles régionales concernées est d’un poids non négligeable ; la Centrale ne peut pratiquement pas agir à l’opposé de l’avis de la section régionale. Ces nuances sont importantes lorsqu’à propos d’un conflit du travail, il faut ajuster les divergences d’opinion manifestées au sein d’une organisation syndicale à des niveaux différents de responsabilité, ou entre différentes sections régionales.
72Le manquement des syndicats à leur obligation de garantie, telle qu’organisée par l’accord du 7 janvier 1965, entraîne une réduction de la prime octroyée aux ouvriers syndiqués en contrepartie des engagements souscrits ; la réduction est proportionnelle au nombre d’ouvriers grévistes ou chômeurs involontaires et au nombre de jours d’arrêt du travail.
73Toutefois, si les syndicats contestent la réalité du manquement, la question est examinée par les parties signataires et, au cas où le désaccord subsiste, soumise ensuite à l’avis définitif d’un collège de trois conciliateurs communément désignés.
74En souscrivant à l’accord du 7 janvier 1965, les parties ont corrélativement stipulé dans une "convention annexe" les "conditions et les délais … pour examiner en temps utile les différends qui surgissent dans les entreprises" ainsi que "les stades de conciliation prévus et organisés pour les aplanir préalablement à tout préavis de grève ou de lock-out de 7 jours".
75La convention annexe contient le principe qu’aucun préavis de grève ne peut être déposé avant le recours aux organes de conciliation et qu’une grève déclenchée en dépit de cette règle ou en dépit d’un accord intervenu n’est pas soutenue.
76La procédure de conciliation comporte un, deux ou trois stades selon les cas. Les trois stades de la conciliation sont schématiquement les suivants : [22] [23]
77Le fond d’un litige n’est pas nécessairement susceptible d’être soumis aux trois stades ; les recours s’organisent en effet selon l’enjeu du conflit.
78Conflit intéressant une entreprise :
- lorsque les éléments du litige portant sur une ou plusieurs questions considérées comme d’intérêt national (interprétation des conventions collectives nationales, application d’engagements généraux pris en commission paritaire nationale, principes fondamentaux pouvant avoir des répercussions à l’égard de l’ensemble des entreprises de l’industrie des fabrications métalliques ou d’un secteur professionnel de cette industrie) :
- stades 1 (entreprise) et 3 (national) ;
- lorsque le litige porte sur une question autre que celles définies ci-dessus :
- stades 1 (entreprise) et 2 (régional) ;
- conflit portant sur une revendication qui implique collectivement et en même temps plusieurs entreprises ou sièges d’une même entreprise :
- cas où ces entreprises ou sièges d’entreprises dépendent de commissions paritaire régi?nales différentes :
- stade 3 (national) ;
- cas où ces entreprises ou sièges d’entreprises dépendent d’une seule commission paritaire régionale :
- stades 2 (régional) et 3 (national).
- cas où ces entreprises ou sièges d’entreprises dépendent de commissions paritaire régi?nales différentes :
Chapitre II - Processus du développement et de la résolution du conflit des ouvrières pour l’égalité de rémunération
79Le conflit des ouvrières est apparu à la Fabrique nationale d’armes de guerre à Herstal, qui est resté le centre du mouvement. Le conflit a gagné d’autres entreprises et d’autres régions. La procédure de résolution du conflit a parcouru le chemin inverse : elle est partie des zones périphériques du mouvement, pour ensuite en résorber le centre.
Section 1. Phase de développement
Par. 1. Naissance et développement du conflit des ouvrières à la Fabrique Nationale d’armes de Herstal
80La phase aiguë du conflit des ouvrières de la P.N. se situe du 16 février aux derniers jours d’avril 1966.
81Mais il faut remonter à novembre 1965, semble-t-il, si l’on veut percevoir les premiers facteurs de cristallisation.
1 – Interférence de la négociation d’un accord national et de l’attitude de la direction de la F.N. vis-à-vis d’un accord d’entreprise
82Au regard des obligations découlant du Traité de Rome, l’égalité de rémunération entre hommes et femmes aurait dû être intégralement réalisée depuis fin 1964.
83Au niveau du secteur national des fabrications métalliques, les syndicats ont dénoncé la convention collective du 26 décembre 1962, pour marquer d’une nouvelle étape l’égalité de rémunération [24].
84Les pourparlers commencés le 8 novembre 1965 ne progesseront guère, jusqu’à la mi-janvier 1966 ; aucune solution ne se dessine en tous cas à ce niveau. Pour les ouvrières de la F.N., aucun écran ne s’interpose entre la perception des inégalités salariales propres à l’entreprise et la perception de l’échéance de l’obligation internationale posée par les institutions de la C.E.E., dont, par surcroît, la portée est suffisamment vulgarisée dans les milieux d’ouvrières, grâce à l’action d’information menée à différents échelons syndicaux [25]. Ainsi, la perspective des ouvrières se fixe sur la négociation immédiate d’un accord d’entreprise résolvant les écarts de salaires effectifs entre hommes et femmes. Au contraire, la direction répond à la délégation syndicale venue la trouver le 25 janvier qu’elle ne peut accepter la discussion aussi longtemps que les pourparlers continuent au plan national. Cependant, l’impatience des ouvrières de la F.N. est de moins en moins facile à contenir.
85C’est seulement à partir du 17 janvier que la négociation nationale quitte le terrain des oppositions de principe sur la classification des fonctions pour s’engager sur celui des propositions concrètes de compromis. Propositions et contre-propositions [26] se succèdent dans le sens d’un relèvement des salaires minimums des classes de fonctions féminines. Le 31 janvier, les points de vue ne se sont toutefois pas encore suffisamment rapprochés ; une réunion peut-être décisive est attendue pour le 14 février : la presse syndicale F.G.T.B. écrit le 5 février que si la réunion du 14 février s’avère négative, les pourparlers seront rompus et les revendications seront posées au niveau des entreprises [27].
86La situation devient critique à la F.N. : le 9 février, les ouvrières arrêtent le travail et se réunissent en assemblée [28] ; avec beaucoup de difficultés, les délégués syndicaux obtiennent des ouvrières la reprise du travail, sous la promesse d’engager la négociation au plan de l’entreprise. Mais la direction persiste à refuser le dialogue avant l’aboutissement des pourparlers au niveau national.
87Ceux-ci ne sont pas rompus le 14 février, malgré l’absence de décision : une dernière proposition de Fabrimétal relance la discussion : ceci permet aux négociateurs d’aboutir le 18 février à un projet d’accord, qu’ils s’engagent à défendre auprès de leurs mandants, et qui est finalement accepté de part et d’autre le 28 février. La presse syndicale en publie le contenu dès le 26 février [29].
88Un tableau, que nous empruntons à Syndicats donne, sous une forme ramassée, les données chiffrées de l’accord national :
89Rappelons que ces données sont valables pour les entreprises qui appliquent la classification nationale.
90Dans les autres entreprises, les "adaptations" négociées paritairement doivent "s’inspirer" des données et garantir les minimums d’augmentation.
91La presse syndicale faisait suivre la publication du projet d’accord national de commentaires significatifs sur la difficulté de le transposer aux entreprises qui ont maintenu leur propre système de classification des fonctions et des salaires. Les plus importantes de ces entreprises, du point de vue du nombre de femmes occupées, sont Bell Téléphone, Philips, ACEC et F.N. Cette dernière entreprise apparaissant cependant d’emblée comme un cas spécial. En effet, la négociation d’un accord d’entreprise apparaissait en l’occurrence d’autant plus malaisée que les ouvrières de la F.N. n’avaient pas attendu la conclusion de l’accord national pour se mettre en grève, à partir du 16 février.
"A la Fabrique Nationale à Herstal, où les ouvrières de la Métallurgie se sont mises en grève, le problème se pose tout autrement. En 1962, an a malheureusement accepté de ne pas appliquer intégralement l’accord (national) qui venait d’être signé, et cela sous le prétexte des salaires soi-disant trop élevés. Par rapport aux autres "grandes entreprises, ON ENCOURUT DONC UN RETARD, lequel, nous l’espérons, sera rattrapé à la suite des négociations actuellement en cours. Il s’agit ici d’un cas "spécial" … [30].
"Un accord vient d’être conclu (au plan national) … Après avoir demandé l’avis de la commission féminine compétente en la matière, il a été entériné sous réserve par le comité exécutif. Cette réserve porte tant sur les aspects directs qu’indirects de l’accord. En effet, la situation se présente comme suit : s’il est vrai qu’il règle directement les conditions de salaires de certaines entreprises, il peut, de par les dispositions qu’il contient, inspirer indirectement d’autres entreprises. Afin d’éviter une application par trop restrictive dans ces dernières, des éclaircissements se sont donc avérés nécessaires. Cette mesure de précaution s’imposait d’autant plus que, depuis deux semaines, trois mille femmes ont cessé le travail à la F.N. La tâche entreprise est loin d’être terminée. Malgré le résultat positif de l’accord, l’égalité intégrale est encore loin d’être acquise. Il est incontestable que l’accord est un nouveau pas franchi dans la bonne direction. D’autres devront suivre pour que le but poursuivi puisse être atteint" [31].
93En fait, l’accord national contribuera à cristalliser encore davantage l’opposition entre la direction de la F.N. et les ouvrières en grève :
- la direction peut se retrancher derrière une interprétation restrictive de l’accord national : le volet de la classification, bien que non transposable tel quel, consacre le rangement des fonctions exercées par les femmes dans les classes inférieures, le volet salarial limite l’augmentation des salaires féminins effectifs à un niveau commandé par la rentabilité moyenne des entreprises du secteur ;
- les ouvrières ne jettent le volet de la classification qu’elles estiment non conforme au Traité de Rome et revendiquent une restructuration des salaires, fondée sur la valeur des tâches qu’elles effectuent dans l’entreprise ; elles rejettent le volet salarial de l’accord national qui ne tient pas compte des écarts existant dans l’entreprise entre les salaires effectifs des hommes et des femmes.
2 – Situation salariale des ouvrières de la F.N.
94La F.N. de Herstal occupe quelque 3.800 ouvrières sur un effectif total de 10.000 travailleurs environ ; avec les ACEC de Herstal (250 ouvrières), elle constitue la plus forte concentration de main-d’œuvre féminine des fabrications métalliques de la région de Herstal (les autres entreprises sont de dimensions restreintes) et même de toute la métallurgie liégeoise (qui se répartit entre les zones industrielles de Seraing - grosse métallurgie occupant relativement peu de femmes - et de Herstal - constructions mécaniques).
95Par rapport à l’ensemble des ouvrières du secteur Fabrimétal, soit environ 30.000, la main-d’œuvre féminine de la F.N. est également d’une importance non négligeable.
96A le F.N., les ouvrières sont surtout groupées dans les deux plus grandes "divisions" de l’entreprise : l’armurerie qui occupe 50 % de l’effectif total des travailleurs, et la cartoucherie. Ces deux divisions seront directement touchées par la grève ; la division des turboréacteurs ainsi que les fonderies, forges et ateliers d’outillage ne seront que peu atteints.
97Les femmes sont affectées à la production, soit en qualité de "révisionneuses" (vérification des pièces), soit en qualité d’"ouvrières machines" (surveillance des machines). Les premières sont payées à la journée, les deuxièmes sont payées par opération et les temps de travail sont bonifiés au départ d’une prime de rendement de 10 %.
98Ces tâches sont exercées uniquement par des femmes et de jeunes travailleurs (les "gamins"). Les salaires sont fixés pour ces tâches (non qualifiées, mais soumises à un rythme astreignant) à un niveau inférieur à celui du manœuvre adulte de la catégorie la plus basse [32].
99Pour les ouvrières, ceci apparaît comme une discrimination que ne justifie pas la valeur respective des tâches et qui doit dès lors être corrigée par une nouvelle structuration des salaires.
100Il faut noter que la structure générale des salaires est fort complexe à la F.N., du fait de l’organisation même de la production. L’entreprise doit adapter celle-ci à la nature diversifiée de chaque série de commandes, ce qui entraîne la multiplication des fonctions et l’interpénétration des échelons de salaires. Ceci explique aussi l’absence de véritable classification professionnelle et les réticences patronales à modifier sensiblement en un point déterminé l’échafaudage des salaires.
3 – Eclatement du conflit
101La lenteur des négociations au plan national et les atermoiements de la direction de la F.N. incitent les ouvrières de la FN. à provoquer un nouvel arrêt de travail de protestation le 16 février. Deux assemblées d’ouvrières ont lieu coup sur coup la même journée, le ton monte et le mouvement de protestation se transforme en grève pure et simple "jusqu’à satisfaction des revendications".
102Le lendemain, 17 février, les délégués syndicaux régionaux de la métallurgie réunissent les ouvrières et leur demandent de reprendre le travail pour permettre la négociation. Mais la tendance favorable à la grève est trop forte parmi les ouvrières ; les représentants syndicaux se voient contraints de reconnaître la grève et de déclarer qu’elle sera soutenue par les syndicats. On peut contester la conformité de cette attitude à l’accord national sur les garanties syndicales, puisque la grève a été déclenchée sans respecter les procédures prévues. Pour se justifier,les syndicats invoqueront que l’impasse résultait du refus répété de la direction d’ouvrir le dialogue. En tout état de cause, le soutien d’une grève jugée irrégulière par les employeurs empêchera les syndicats de soumettre le conflit à la procédure normale de conciliation.
103Le 19 février, les délégués syndicaux rencontrent la direction, qui accepte de discuter, malgré la grève. Entretemps, le 18 février, un projet d’accord s’était dégagé au plan national. Les délégués syndicaux formulent une revendication visant à amener le salaire effectif des ouvrières de la F.N. au niveau du salaire minimum de l’ouvrier spécialisé de la catégorie la plus basse (classe V du barème unique établi au plan national).Pour arriver à ce résultat, le salaire des ouvrières payées à la journée serait augmenté de 3,90 frs par heure, celui des ouvrières payées par opération serait augmenté de 4,29 frs (3,90 frs plus les 10 % de la prime de rendement). La direction répond qu’elle doit examiner les répercussions financières de la revendication, et une nouvelle entrevue est fixée au 23 février.
104Le 21 février, les représentants syndicaux font rapport à l’assemblée des ouvrières. A celles-ci s’était jointe une délégation d’environ 250 ouvrières des ACEC de Herstal, qui, pour la circonstance, avaient marqué un arrêt de travail de solidarité. A la fin de la réunion présidée par M. G. Barbe (secrétaire professionnel de la Fédération des Métallurgistes - F.G.T.B. - de Liège-Huy-Waremme), celui-ci annonce que la prochaine assemblée "ne pourra se tenir qu’avec des grévistes responsables affiliées à l’une des organisations syndicales du Front Commun". Ceci était une allusion à la présence d’ouvrières non syndiquées et même de "personnes étrangères à la F.N." ; des tracts avaient d’autre part été distribués par le Parti Wallon des Travailleurs (P.W.T.), le Parti Communiste Wallon (P.C.W.) et un "Comité d’Action des femmes" [33].
105A ce propos, M. Barbe précisera ultérieurement (à l’assemblée du 28 février) :
"Nous sommes ici deux organisations syndicales totalement indépendantes à l’égard des partis politiques, Nous ne voulons pas nous immiscer dans leurs affaires, mais nous ne voulons pas non plus qu’ils s’immiscent dans les nôtres…
… Le P.W.T. a été la première formation politique à distribuer un tract aux ouvrières en grève. Nous n’avons rien à reprocher à ce tract sinon qu’il ne demandait pas aux travailleurs non syndiqués de rejoindre les rangs des organisations. On ne peut malheureusement en dire autant du P.C.W. qui essaie de saper la confiance que les travailleurs placent dans leurs syndicats. On m’accuse d’être un diviseur… Mais les diviseurs ne sont-ils pas ceux-là qui créent des Comités de femmes" non représentatifs ? Certaines ont été jusqu’à me demander de payer l’indemnité de grève aux travailleuses non syndiquées, d’autres ont même proposé, étant donné que 90 % des femmes sont syndiquées, de ne leur payer que 90 % du montant de l’indemnité, afin de pouvoir distribuer la différence aux 10 % de non-syndiquées." [34].
107En réaction contre les tendances dénoncées par les syndicats, ceux-ci constitueront, à partir du 23 février, un "Comité de grève" formé de militantes ouvrières et en contact permanent avec les organisations syndicales du Front Commun.
108Le 23 février, la direction de la F.N. apporte sa réponse à la revendication des ouvrières : la rentabilité de l’entreprise ne permet pas de prendre d’autre base que l’accord national. A la suite de cette entrevue, le 24 février, les syndicats, dans l’impossibilité de recourir à la procédure conventionnelle de résolution des conflits, demandent au Ministre du Travail l’envoi d’un conciliateur social.
4 – Echec des premières tentatives de conciliation
109Le 25 février, le conciliateur préside une première séance de conciliation, qui se tient au siège régional de Fabrimétal, mais en la seule présence de la direction et des représentants syndicaux (d’entreprise et régionaux). La direction propose deux augmentations de salaire horaire correspondant aux dates et pratiquement aux montants prévus par l’accord national : 0,50 F., le 1er mars 1966 et 0,50 F. le 1er mars 1967.
110Ces propositions sont jugées dérisoires par l’assemblée ouvrière du 28 février. C’est au cours de cette réunion qu’est adoptée la suggestion syndicale de constituer un "Comité de grève" d’une vingtaine de membres.
111Le 2 mars ont lieu deux nouvelles séances de conciliation, une le matin, l’autre l’après-midi. Le conciliateur s’efforce d’abord de dégager une solution qui permette la reprise du travail moyennant une augmentation salariale dont le montant serait à débattre, et à court terme l’examen paritaire au plan de l’entreprise de la restructuration des salaires féminins.
112Ce deuxième volet de la proposition est accepté par les interlocuteurs syndicaux, mais non par la direction. Le conciliateur reprend alors le problème sur une autre base qui chiffre le montant d’une augmentation salariale établie sur un an et demi [35] et qui écarte toute revendication cherchant à modifier corrélativement les salaires masculins.
113Les syndicats soumettent cette proposition à l’assemblée ouvrière du 3 mars, qui, votant par assis et levé, la rejette à l’unanimité moins deux voix. Par ailleurs, M. G. Barbe, qui préside, communique la liste des ouvrières qui se sont présentées pour faire partie du Comité de grève, lequel s’est réuni pour la première fois ce même jour, et fait une mise au point au sujet de certaines attaques extra-syndicales :
"Certains journaux ont prétendu que j’aurais regretté l’attitude du Parti communiste belge dans le conflit de la F.N. C’est évidemment faux car je n’ai jamais fait allusion qu’au Parti communiste wallon, qui cherche à dresser les travailleurs contre leurs organisations, à des seules fins électorales".
115Il propose alors à l’assemblée d’adopter une résolution qui dit :
"Les femmes grévistes syndiquées de la F.N, réunies en assemblée générale…..
Après avoir entendu le rapport des militants de la C.S.C. et de la F.G.T.B.,
Estime que la proposition émanant de la conciliation qui s’est tenue le 2 mars 1966 n’est acceptable ni en ce qui concerne son niveau, ni en ce qui concerne la forme préconisée.
Répondant aux attaques de groupuscules et d’agitateurs irresponsables contre leurs militants syndicaux, fait entière confiance à ses militants et aux organisations syndicales qu’ils représentent."
117Le 4 mars, la direction de la F.N. apporte à son tour sa réponse au conciliateur social : la solution proposée dépasse les possibilités économiques de l’entreprise. La direction développe son point de vue dans une note du 14 mars, remise au conciliateur et publiée dans L’Echo de la Bourse du 16 mars 1966. La direction reste ouverte à une négociation, mais sur la base de l’accord national. Les syndicats définissent également leur position auprès du conciliateur : si la discussion reste possible, ce ne peut être sur les bases avancées par la direction.
118La solution du conflit de la F.N. restera bloquée jusqu’à fin avril, du fait de l’opposition trop nette des ouvrières d’une part, de la direction de la F.N. et aussi de Fabrimétal d’autre part, aux propositions du conciliateur du Ministre du Travail. La relance du dialogue par ce dernier pourrait d’ailleurs sembler peu opportune, alors que l’extension du conflit aux A.C.E.C., pour une revendication identique, a amené les partenaires sociaux à s’y saisir eux-mêmes de la conciliation. Pour les A.C.E.C., en effet, la procédure conventionnelle de résolution des conflits a pu être suivie et ce n’est qu’après son aboutissement, dans les derniers jours d’avril, que le Ministre du Travail sera en mesure de relancer la conciliation entre les parties en litige à la F.N.
5 – Stabilisation de la grève à la F.N.
119Pendant ce laps de temps, les grévistes continueront à se réunir chaque semaine en assemblée pour y être informés des prolongements du conflit et des témoignages de solidarité qui leur sont adressés, tant de Belgique que de l’étranger, par des organisations syndicales et des groupements d’intérêts féminins.
120A l’assemblée du 9 mars, après avoir déploré l’attitude du Parti Communiste Wallon (P.C.W.), le secrétaire professionnel de la Fédération des Métallurgistes de Liège (F.G.T.B.), G. Barbe, fait un exposé général sur la situation de l’économie wallonne : il passe en revue les pertes d’emplois, les fermetures de charbonnages,les difficultés de la sidérurgie, le problème de l’eau, l’orientation des investissements étrangers vers la Flandre ; ses thèses sont celles du M.P.W. : nécessité de réformes de structure et du fédéralisme [36]. Cette prise de position suscitera une réaction des syndicats chrétiens : les métallurgistes chrétiens de Liège ne se considèrent en rien comme engagés par ces déclarations ; la C.S.C. continue à appuyer l’action des grévistes, mais pour les problèmes wallons, elle s’en réfère aux décisions prises par le Mouvement Ouvrier Chrétien (M.O.C.) [37].
121L’assemblée du 21 mars ratifia par acclamations la poursuite de la grève jusqu’à satisfaction complète et réclama l’organisation par le comité de grève d’un cortège de protestation "à Herstal et même peut-être à Liège".
122Devant l’assemblée du 28 mars, les représentants syndicaux réfutèrent l’argumentation patronale contenue dans une lettre adressée par la direction de la F.N. individuellement à chaque gréviste, et dans des articles de presse. Il fut annoncé aussi que le comité de grève préparait pour le 7 avril une manifestation de rue à Herstal et une audience auprès du Gouverneur de la Province et du Bourgmestre de Herstal. Les représentants syndicaux désapprouvèrent d’autre part l’initiative prise par un groupe d’ouvrières de la F.N. de distribuer des tracts aux A.C.E.C. de Charleroi (également touchés par le conflit à ce moment).
123De son côté, le comité de grève composé de militantes F.G.T.B. et C.S.C. se réunit régulièrement pour s’occuper des questions pratiques concernant l’organisation de la grève (répartition des fonds de soutien, aide sociale, etc…).
124La grève paralysait totalement les divisions "armurerie" et "cartoucherie" de la F.N. de Herstal et entravait l’approvisionnement de l’usine de Zutendael. Les grévistes étaient au nombre de 3.000 environ et elles entraînèrent la mise en chômage de 800 ouvrières et de plus de 4.000 ouvriers.
125A aucun moment cependant, le conflit de la F.N., pas plus que son extension à d’autres entreprises, n’allait poser aux autorités de problème de "maintien de l’ordre".
6 – Refus syndical d’officialiser l’accord national du 28 février 1966
126Au plan national, la persistance du conflit de la F.N. empêcha la ratification de l’accord du 28 février 1966 par la commission paritaire nationale. Toute la négociation s’était déroulée dans des réunions de groupes paritaires officieux où siégeaient cependant les principaux porte-parole habituels des organisations patronales et syndicales représentées en commission paritaire nationale. Celle-ci avait été convoquée le 10 mars pour "entériner", c’est-à-dire pour enregistrer officiellement l’accord intervenu. Mais les représentants syndicaux déclarèrent qu’il leur était "psychologiquement" impossible d’officialiser l’accord tant qu’une solution n’était pas trouvée au conflit de la F.N.
Par. 2. Extension du conflit des ouvrières dans la métallurgie de la région liègeoise
1 – Usine ACEC de Herstal (260 ouvrières)
127Dès le 21 février, un arrêt de travail d’un demi-jour s’était produit parmi les ouvrières et une délégation avait participé à l’assemblée des grévistes de la F.N.
128Fondamentalement, le problème des ouvrières des ACEC de Herstal est le même que celui de la F.N. : la classification nationale n’est pas appliquée et les femmes sont rangées à un niveau inférieur à celui du manœuvre adulte ? l’écart entre les salaires féminins et masculins semble cependant plus creusé aux ACEC de Herstal : il est évalué à 9,10 F. par les travailleuses.
129Le mécontentement des ouvrières s’étendant, la délégation syndicale chercha à rencontrer la direction, mais se heurta à la difficulté de rencontrer "l’interlocuteur valable". Les ACEC de Herstal ne sont en effet que l’un des sièges des ACEC, les autres étant Gand, Ruysbroek et le principal Charleroi. Finalement, la délégation syndicale obtint l’ouverture d’une négociation, mais au niveau de l’ensemble des sièges ACEC. Une réunion fut donc fixée au 3 mars à l’"Intersiège" de Charleroi. A partir de cette décision de principe, le conflit des ACEC de Herstal est englobé dans l’ensemble du contentieux ACEC, ce qui déterminera son orientation finale comme nous le verrons plus loin.
2 – Ateliers SCHREDER à Ans (60 ouvrières)
130Fin février, la délégation syndicale d’entreprise remet à la direction un cahier de revendications sur l’inégalité des salaires féminins ; il y est notamment fait état d’écarts de salaires de 12 F. au détriment d’ouvrières exerçant des travaux équivalents à ceux effectués par les ouvriers.
131Le 3 mars, la direction répond à la délégation syndicale qu’elle ne peut entamer des pourparlers avant la signature de l’accord national. Mécontentes,les ouvrières observent un arrêt de travail ce jour-là.
132Le 18 mars, la direction accepte de discuter sur la base de l’accord qui vient d’être adopté au plan national. Or, les propositions de la délégation syndicale sont très différentes ; la classification n tionale n’est pas appliquée chez SCHREDER.
133Les ouvrières, auxquelles la délégation syndicale fait rapport, décident de se mettre en grève aussitôt. Cette grève durera du 22 mars au 2 mai ; bien que la Fédération des métallurgistes F.G.T.B. ait immédiatement fait appel à un conciliateur du Ministère du Travail ; on retrouve en effet chez SCHREDER la même opposition des points de vue patronal et syndical qu’à la F.N.
134La délégation syndicale d’entreprise et un représentant de la Fédération liégeoise des métallurgistes F.G.T.B. réunissent d’une part les ouvriers, et, d’autre part, les ouvrières.
135Les ouvriers auxquels on fait comprendre l’enjeu de la grève des femmes refusent le vote secret, car ils déclarent que leur solidarité ne peut être mise en doute ; ceux quine seront pas mis en chômage à cause de la grève s’engageront d’ailleurs à verser chaque semaine l’équivalent de trois heures de travail au fonds de soutien des grévistes.
136La grève des femmes allait entraîner la mise en chômage d’une vingtaine d’hommes.
137A l’assemblée des ouvrières du 31 mars, il est rendu compte du développement du conflit, aussi bien à la F.N. et aux ACEC de Herstal qu’aux ateliers SCHREDER. M. Robert Gillon, secrétaire propagandiste de la Fédération des Métallurgistes F.G.T.B. [38] déclare que la grève en cours n’est pas une grève sauvage, car elle dispose de l’appui total de la F.G.T.B. ; si le préavis n’a pas été déposé, c’est uniquement parce que les patrons ont fait traîner les pourparlers durant plus d’un mois et qu’il ne s’offrait pas d’autre possibilité aux ouvrières excédées que de partir en grève. Il affirme ensuite que la direction de SCHREDER oppose des préalables à la conciliation :
- celle-ci devrait avoir lieu à Bruxelles, devant d’autres instances que la délégation syndicale d’entreprise et les permanents de la Fédération des Métallurgistes de Liège (F.G.T.B.) ;
- les ouvrières doivent reprendre le travail pour permettre la négociation ;
- la conciliation pourrait se faire sur une base comparable à celle des accords intervenus dans les entreprises JASPAR, DEHOUSSE et des propositions d’accord des ACEC, c’est-à-dire 1,60 à 1,90 F.
138M. Robert Gillon en conclut que le patronat se rend compte que les femmes sont décidées à continuer la lutte et que le mouvement risque de s’étendre dans d’autres entreprises, et qu’il ne sera pas possible d’arriver à une solution à partir des propositions initiales, trop faibles, de l’employeur. Au nom de la Fédération des Métallurgistes, le permanent syndical engage les ouvrières à tenir jusqu’au bout.
139A l’issue du débat, l’assemblée décide que les grévistes de chez SCHREDER participeront à la manifestation décidée par les ouvrières de la F.N. pour le 7 avril.
3 – Autres entreprises
140Des revendications féminines sont introduites dans d’autres entreprises des fabrications métalliques où l’on parvient à éviter la grève moyennant des augmentations de salaire de l’ordre de 1,50 à 2,50 F :
141WESTINGHOUSE, à Awans-Bierset
142Perforation JASPAR à Liège
143DEHOUSSE à Liège.
Par. 3. Extension du conflit aux sièges des ACEC situés dans d’autres régions
144L’ensemble de l’entreprise ACEC comporte plusieurs sièges et nous avons vu au paragraphe 2, 1 comment le conflit du siège de Herstal s’est transposé au niveau de la totalité des sièges ACEC.
145Le siège ACEC de Herstal compte 260 ouvrières, celui de Charleroi 1.600 ouvrières environ. Les deux autres sièges, en régions flamandes, occupent : Ruysbroeck, 500 ouvrières et Gand, 50 ouvrières ; les salaires masculins et féminins y sont plus bas, mais l’écart entre ces salaires est aussi plus réduit qu’à Charleroi et Liège.
1 – Echec de la négociation à l’Intersiège des ACEC
146Le 3 mars, à l’"Intersiège" de Charleroi, la direction s’en tient étroitement à l’accord national (0,40 F. en 1966 et 0,40 F. en 1967). La représentation syndicale, au nom des quatre sièges, oppose comme à la F.N. une revendication sortant du cadre de l’accord national ; il s’agit en effet d’avancer vers l’égalisation des salaires en réduisant les écarts mesurés entre les salaires effectifs des hommes et des femmes.
147Toutefois, comme la discussion doit se faire aux ACEC au niveau commun des 4 sièges, la revendication sera chiffrée en additionnant la moyenne des écarts propres à chaque siège, puis en établissant une moyenne unique pour l’ensemble des sièges [39]. Les représentants évaluaient l’écart moyen des salaires effectifs des hommes et des femmes au niveau le plus bas, à 9,10 F. pour Herstal, 6,53 F. pour Charleroi et 4,50 F. pour Ruysbroeck et Gand· La différence moyenne pour les 4 sièges est d’environ 6,40 F. C’est donc ce montant d’augmentation des salaires horaires effectifs que les représentants syndicaux revendiquent pour les ouvrières ; ils acceptent cependant d’étaler l’augmentation sur 4 ans, ce qui représente 1,60 F. par an. Mais le niveau d’augmentation salariale et la durée de l’accord national (2 ans) sont ainsi nettement dépassés.
148Une nouvelle entrevue à l’Intersiège le 11 mars ne débouche sur aucun accord car la direction maintient sa position de principe et n’améliore que légèrement sa proposition (0,50 F. en 1966 et 0,50 F. en 1967). On décide simplement de porter le litige, conformément à la procédure conventionnelle, devant le Comité national de conciliation, à Bruxelles, le 18 mars.
149Les Syndicats informent les ouvrières de la situation ; ils demandent (et obtiennent) d’être mandatés à déposer le préavis de grève en cas d’échec de la conciliation au niveau national.
150Mais sans attendre la réunion du Comité national de conciliation, les ouvrières de Herstal se mettent en grève le 14 mars, malgré les efforts des représentants syndicaux qui se soucient de ne pas gêner la conciliation.
2 – Vers la conciliation au niveau national
151En fait, cette grève qui n’affecte que l’un des sièges ACEC alors que la situation est régulière dans les autres sièges, n’empêchera pas la réunion du 18 mars du Comité national de conciliation. Rappelons que celui-ci est composé de représentants nationaux et régionaux de Fabrimétal et des Centrales syndicales des métallurgistes [40] ; organe officiel de la Commission paritaire nationale, le Comité est présidé de droit par le président de cette dernière.
Section 2. Phase de résolution du conflit
152Nous faisons débuter la phase de résolution du conflit des ouvrières à partir du moment où celui-ci est repris au niveau national par le Comité national de conciliation, c’est-à-dire par les partenaires sociaux sous la présidence d’un conciliateur indépendant des intérêts en présence. C’est en effet à partir du moment où les organisations patronales et syndicales, au niveau national, sont associées à la conciliation que l’on voit celle-ci orienter le conflit vers sa solution. Le cadre de la solution est tracé pour les ACEC ; lorsqu’il ne restera plus que le conflit de la F.N. à résoudre isolément, le Ministère du Travail pourra s’inspirer de la solution trouvée par les parlementaires sociaux pour les ACEC. Tout ce processus connaîtra cependant de nombreux rebondissements.
Par. 1. Résolution du conflit des ACEC
1 – Proposition du président du Comité national de conciliation
153Le 18 mars, à l’issue de discussions serrées, le président du Comité national de conciliation formule une proposition de conciliation. Du côté patronal, cette proposition n’engage pas Fabrimétal, qui a seulement rempli son rôle conciliateur, mais elle correspond à ce que la direction des ACEC est prête à consentir. Du côté syndical, on s’engage à soumettre la proposition au vote des ouvrières des quatre sièges ACEC.
154La proposition du président du Comité national de conciliation :
- retient le principe posé par les syndicats d’un examen comparatif des moyennes de salaires effectifs masculins et féminins (ceci constitue un net progrès par rapport à l’accord national) ;
- mais établit un compromis dans la résorption progressive des écarts des rémunérations.
155En effet, la résorption se fera en deux phases et dans certaines limites :
- majoration horaire des salaires effectifs féminins de 1,50 F. en un an sous forme de trois augmentations successives de 0,50 F. aux 1er janvier 1966, 1er juillet 1966 et 1er janvier 1967 ;
- à partir de cette dernière date un nouveau rajustement de salaire doit intervenir, dans la mesure nécessaire pour réduire à 10 % la différence entre les moyennes des salaires masculins et féminins (cette limitation est imposée, suivant les employeurs, par les exigences de rentabilité des ACEC) ;
- l’examen comparatif des moyennes de salaires masculins et féminins portera sur les fonctions tarifées entre 106 et 117 points par l’échelle du siège de Charleroi (considéré comme représentatif de l’écart moyen évalué par les syndicats à 6,40 F. pour l’ensemble des 4 sièges).
156Comme nous le verrons, cette proposition de conciliation nécessitera encore plusieurs aménagements avant de pouvoir résoudre le conflit des ACEC, et indirectement celui de la F.N. Néanmoins, le cadre de la solution est tracé ; les aménagements ultérieurs porteront sur :
- le montant et l’étalement dans le temps des augmentations de salaires chiffrées au départ ;
- la base de calcul des moyennes comparées des salaires masculins et féminins ; le montant du rajustement final peut varier notablement selon la base adoptée ; tout au long des discussions, les techniciens syndicaux s’efforceront d’évaluer le montant probable du rajustement final d’après les catégories d’ouvriers et d’ouvrières retenues pour établir les moyennes comparatives de salaires ;
- la limite de résorption des différences (la règle du maintien des 10 % d’écart).
2 – Consultation des ouvrières des ACEC
157Le 22 mars, les ouvrières sont consultées dans chaque siège, au vote secret, sur la proposition de conciliation.
158A Ruysbroeck, la proposition recueille une large adhésion (de l’ordre de 80 % des voix), tandis qu’à Gand, les 50 ouvrières attendent le résultat des autres consultations. S’il est vrai que le niveau absolu des salaires est moins élevé que dans les régions wallonnes, l’écart entre les salaires masculins et féminins est aussi moins prononcé ; la solution de conciliation pouvait donc plus facilement être jugée satisfaisante en région flamande.
159A Herstal et à Charleroi, au contraire, le niveau absolu des salaires masculins et féminins est plus élevé, mais l’écart entre eux est plus prononcé.
160La proposition de conciliation sera donc repoussée dans ces deux derniers sièges, mais plus nettement à Herstal (unanimité) qu’à Charleroi (54 % des voix sur 950 votes valables) [41].
161Le contenu de la proposition explique en partie le refus plus net de Herstal : selon les délégués syndicaux, pour calculer les moyennes comparatives des salaires masculins et féminins, on excluerait en fait non seulement 20 % des ouvrières, précisément les plus mal payées, du siège de Charleroi, mais encore toutes les ouvrières du siège de Herstal, où l’écart des salaires est plus élevé ; le rajustement final de 1967 n’aurait donné au mieux que 0,35 F. d’augmentation des salaires féminins ; dans ces conditions, la limitation définitive à 90 % du pourcentage de résorption des écarts de salaires, déjà contestable sur le plan des principes, apparaissait d’autant plus discriminatoire aux ouvrières du siège de Herstal.
162Il faut en outre noter le conditionnement psychologique différent des ouvrières de Charleroi d’une part, et de Herstal, d’autre part. En effet, les 260 ouvrières des ACEC-Herstal ont radicalise leur action, depuis une semaine, en rejoignant dans la grève les 3.800 ouvrières de la F.N. qui représentent le noyau dur du conflit. Et les permanents syndicaux liégeois chargés le faire rapport sur l’ensemble du conflit aussi bien aux ouvrières des ACEC qu’à celles de la F.N. de Herstal doivent en tenir compte.
163Au niveau des centrales syndicales, qui ont la responsabilité de poursuivre la conciliation entamée dans le cadre des 4 sièges ACEC, avec la collaboration des permanents régionaux, le problème est de trouver une solution médiane à partir des résultats des votes enregistrés à Ruysbroeck, Charleroi et Herstal. Cette solution consistera à demander à la direction des ACEC d’améliorer le contenu de la proposition e conciliation. L’attitude des organisations syndicales n’est pas susceptible e provoquer des réactions d’ouvrières dans les sièges où celles-ci se sont prononcées nettement : Ruysbroeck, qui a accepté la proposition de conciliation et Herstal, qui l’a rejetée et poursuit la grève. Par contre, la situation est équivoque à Charleroi, puisque les ouvrières ont rejeté la proposition, mais par un vote dont le quorum n’atteint pas les 66 % requis par les statuts syndicaux pour justifier le déclenchement immédiat de la grève.
164Les représentants syndicaux régionaux de Charleroi sentiront donc le besoin d’expliquer leur attitude dans un communiqué adressé aux ouvrières des ACEC-Charleroi, le 23 mars :
"Les organisations et délégations syndicales régionales F.G.T.B. et C.S.C. régionales….. ;
Considèrent que le résultat de cette consultation indique que la formule proposée ne rencontrant pas dans son entièreté l’adhésion générale, il appartient aux parties en cause d’en préciser davantage les termes, surtout ceux qui doivent résulter d’un examen ultérieur ;
Estiment que cette attitude n’est nullement en contradiction avec le fond et la valeur le l’accord, qui témoignent de l’efficacité des représentants des deux Centrales dans les travaux et négociations qui ont précédé cet accord ;
Décident d’ailleurs de poursuivre avec leur concours l’examen précité".
166Les organisations syndicales demandent dès lors à la direction des ACEC de réexaminer la proposition de conciliation. La direction accepte et une réunion est prévue à cet effet le 30 mars à l’Intersiège de Charleroi.
167Toutefois, un incident se produit le 24 mars. Une délégation de grévistes de la F.N. et des ACEC de Herstal se rend aux ACEC de Charleroi et y détermine la majorité des ouvrières à déclencher une grève de solidarité de 24 heures. Environ 250 grévistes organisent alors un cortège à travers la ville.
168Le même jour, dans un nouveau communiqué, les syndicats régionaux de métallurgistes de Charleroi réprouvent cette initiative : "… les éternels groupuscules antidémocratiques, antiorganisations, qui toujours à l’affût de la moindre possibilité de confusion sont entrés en action. … Un commando de ce genre, organisé, animé et excité par un soi-disant "Parti communiste de Pékin" est descendu aux entrées du personnel des ACEC. Leur but est évident, augmenter la confusion et sans égard pour le vote effectué, tenter de mettre le personnel en grève dans le plus grand désordre possible…". Les syndicats dénonçaient le danger que représentait "cette tendance aventurière qui ne peut que desservir la cause féminine" et invitaient les travailleuses à suivre les voies du syndicalisme.
169Aux ACEC de Herstal, les ouvrières en grève depuis une quinzaine de jours, se réunissent pour la deuxième fois en assemblée le 28 mars [42]. M. Jean Klengtsstens, secrétaire propagandiste de la Fédération des Métallurgistes de Liège (F.G.T.B.) informe les grévistes du développement de la situation à Charleroi ; il précise notamment que 54 % seulement des ouvrières ont rejeté la proposition de conciliation, mais qu’un certain nombre d’entre elles qui étaient favorables à la grève n’ont pas pris part au vote, ce qui aurait faussé la moyenne ; il ajoute au sujet de la grève des ACEC de Herstal : "Notre position n’a pas changé, la grève est reconnue et le paiement des indemnités de grève aura lieu en fin d’assemblée". M. Henri Gillon, délégué principal (F.G.T.B.) des ACEC, donne également des précisions sur la situation à Charleroi ; il annonce la rencontre avec la direction prévue pour le 30 mars ; en ce qui concerne le vote des ouvrières, il affirme que "les bulletins ont été rédigés d’une manière orientée, notamment parce qu’ils signalaient que les ouvrières de Ruysbroek avaient accepté la proposition de conciliation, en omettant de dire que les ouvrières de Herstal étaient en grève contre ces mêmes propositions." Enfin, M. G. Barbe, secrétaire professionnel de la Fédération des Métallurgistes de Liège (F.G.T.B.) rend compte de l’assemblée des grévistes de la F.N. qu’il a présidée le même jour ; en conclusion, il convie les ouvrières des ACEC à manifester avec celles de la F.N. le 7 avril.
3 – Réexamen de la proposition de conciliation à l’Intersiège des ACEC
170Le 30 mars, comme prévu, la proposition de conciliation, rejetée par Charleroi et Herstal est réexaminée à l’Intersiège de Charleroi, entre les délégations syndicales et la direction des ACEC. La proposition en sort amendée :
- l’augmentation horaire est portée de 1,50 F. à 1,70 F. et son étalement est modifié : 1 F. à partir du 1er janvier 1966 et 0,70 F. à partir du 1er janvier 1967 (au lieu de 0,50 F. au 1er janvier 1966, 0,50 F au 1er juillet 1966 et 0,50 F. au 1er janvier 1967) ;
- pour le rajustement final à partir de 1967, la base de calcul des moyennes de salaires est maintenue, mais on ne considérera plus que le maintien d’un écart de 10 % résoud définitivement le problème.
4 – Deuxième consultation des ouvrières
171Les ouvrières de Charleroi, consultées le 31 mars, rejettent violemment cette nouvelle proposition et les syndicats sont obligés de déposer un préavis de grève qui prendra cours le 4 avril et expirera le 12 avril. Les délégués syndicaux en informent les centrales syndicales nationales et le président du Comité national de conciliation.
172Le 1er avril, les ouvrières des ACEC de Herstel repoussent également la proposition et se préparent à la manifestation prévue en commun avec les grévistes de la F.N. et de SCHREDER pour la semaine suivante.
173Cette manifestation publique du 7 avril animée, mais sans heurts, se déroule à Herstal. Après le défilé, les 3.000 participantes assistent à un meeting devant la Maison du Peuple. M. Ruth, secrétaire professionnel de la Fédération des métallurgistes de Liège (F.G.T.B.) préside et donne connaissance d’une motion par laquelle les parlementaires présents demandent au Gouvernement de remplir ses engagements vis-à-vis de l’article 119 du Traité de Rome. Ensuite, ?. E. Remouchamps, secrétaire-adjoint de la Centrale chrétienne des Métallurgistes de Liège,critique la passivité du Premier Ministre Van den Boeynants devant le conflit sur l’égalité de rémunération, et propose que tous les travailleurs de Liège abandonnent le salaire d’une heure de travail au profit des grévistes. M. R. Latin, secrétaire général de la Fédération des métallurgistes de Liège (F.G.T.B.) se réjouit de l’existence du Front Commun des syndicats liégeois et donne connaissance de ce que la Fédération des Métallurgistes a décidé un prélèvement sur le fonds régional de grève pour soutenir non seulement les femmes grévistes mais aussi les hommes réduits an chômage (pour compenser le non-paiement par les les employeurs des indemnités de sécurité d’existence) ; il annonce pour l’après-midi une entrevue entre une délégation syndicale et le Ministre du Travail ; il s’élève contre les "imputations scandaleuses de la direction de la F.N." ; enfin soulignant la préoccupation des syndicats de lutter sur le plan européen, il insiste dans la ligne des résolutions du dernier Congrès de la F.G.T.B. (décembre 1955) sur la nécessité d’assurer dans les institutions européennes une représentation de toutes les tendances syndicales, y compris celles, réputées communistes, des organisations française et italienne. M. Braham, secrétaire principal de la Centrale Chrétienne des métallurgistes de Liège rend compte des entreprises qu’ont eus en le même jour des représentants du Front commun syndical avec le Gouverneur de la Province (sur la disponibilité des syndicats à négocier et sur la situation économique régionale) et avec le Bourgmestre de Herstal (notamment sur les équipements sociaux en faveur des femmes au travail) ; il déclare que le gouverneur a promis de faire rapport au Ministre du Travail.
174Le 8 avril, en prévision d’une nouvelle réunion du Comité national de conciliation annoncée pour le 12 avril, les permanents syndicaux rencontrent une délégation d’ouvrières des ACEC-Charleroi pour discuter des négociations en cours et préparer une assemblée d’ouvrières qui se tiendrait le 13 avril à Charleroi.
5 – Deuxième réunion du Comité national de conciliation
175Le 12 avril, jour d’échéance du préavis de grève, le Comité national de conciliation se réunit à Bruxelles. Les représentants syndicaux s’engagent en finale à défendre devant leurs mandants un nouvel amendement aux propositions de base antérieures ; comme l’ensemble de celles-ci, l’amendement concerne les ouvrières des 4 sièges ACEC :
augmentation salariale horaire de 1 F. au 1er janvier 1966, 0,70 F. au 1er janvier 1967 et - ceci est nouveau - 0,30 F. au 1er juillet 1967 (soit une augmentation globale de 2 F. au lieu de 1,70 F.).
6 – Troisième consultation et grève des ouvrières des ACEC - Charleroi
177La consultation des ouvrières de Charleroi auxquelles les syndicalistes avaient demandé de postposer le début de la grève est perturbée le 13 avril par l’arrivée d’une délégation d’ouvrières de Herstal. Les permanents syndicaux régionaux se concertent avec les délégués syndicaux de l’entreprise. Il est décidé de surseoir au vote. Les syndicats diffusent un communiqué invitant les grévistes à se réunir le lendemain 14 avril dans l’enceinte de l’usine, pour entendre des "explications relatives au contenu de l’accord de conciliation, qui représente une solution équitable aux revendications des ouvrières" et pour prendre position en pleine connaissance de cause.
178Le 14 avril, les ouvrières présentes sont relativement peu nombreuses (606) ; pourtant la réunion est confuse et le vote secret consécutif aux explications des représentants syndicaux donne une majorité de 59,2 % de voix opposée à la proposition de conciliation.
179Considérant la confusion de l’assemblée et le fait que le quorum de 66 % des voix n’est pas atteint, alors que le quorum des présences n’est même pas de 75 %, les syndicats lancent le mot d’ordre du travail.
180Quelque 300 femmes se remettent au travail immédiatement. Mais la plupart des ouvrières continuent la grève se ralliant ainsi à la position exprimée par un communiqué répandu dès le 13 avril au nom d’un "Comité d’action des ACEC de Charleroi", qui vient de se constituer :
"Les discussions qui se sont déroulées entre les dirigeants syndicaux et le patronat pendant la durée du préavis légal de grève n’ayant abouti à aucun résultat acceptable et, à l’échéance de ce préavis légal, les dirigeants syndicaux n’ayant pas respecté leurs engagements envers les ouvrières des ACEC de Charleroi, celles-ci ont créé un comité d’action qui décide de poursuivre la grève jusqu’à entière satisfaction malgré les manœuvres de division syndicales".
182A partir du 14 avril, le "Comité d’action" avait organisé des piquets de grève et distribué un tract appelant à la grève.
183De son côté, la section des ACEC du Parti communiste wallon avait diffusé des tracts rédigés dans le même sens, accusant les syndicats d’isoler les grévistes de la région de Liège.
184La situation était donc tendue entre les ouvrières et les représentants syndicaux, qui s’efforçaient de garantir la reprise du travail.
185Un incident survenu le jeudi 14 avril - une ouvrière avait été "bousculée" par un délégué syndical - entraînera de nouveaux incidents et des réactions en chaîne le vendredi 15 avril : après une courte reprise du travail, les ouvrières de la division "électronique" d’abord, des divisions "mécanographie" et "transformateurs" ensuite, se remettent en grève en exigeant la démission d’un délégué syndical ; elles entraînent avec elles, par solidarité, les hommes occupés dans ces divisions ; cette protestation touche au total près de 500 travailleurs, hommes et femmes, qui rejoignent donc les rangs des ouvrières restées en grève.
186Le samedi 16 avril, alors que les piquets de grève du comité d’action empêchaient le travail, les permanents syndicaux régionaux de la métallurgie rencontrent une délégation de grévistes groupés autour de ce comité. La délégation de grévistes exprime sa volonté de voir régler rapidement la reclassification des ouvrières. A cette première entrevue fait suite le lundi 18 avril une réunion élargie à laquelle participe cette fois la délégation syndicale d’entreprise. Les responsables syndicaux s’engagent à mettre à l’étude, avec le concours d’une délégation féminine, la classification des ouvrières, de façon qu’à la fin du 1er semestre 1967 au plus tard, des propositions soient soumises à la direction des ACEC et discutées avec elle.
7 – Résorption de la grève des ACEC-Charleroi
187Le lundi 18 avril, la direction des ACEC-Charleroi évalue à 53 % le personnel féminin ayant répondu à l’appel à nouveau lancé par les syndicats pour la reprise du travail.
188En vue de mettre fin au conflit, les délégués syndicaux et les femmes restées en grève conviennent de former une délégation d’ouvrières qui, avec les syndicalistes, rencontreraient la direction des ACEC afin d’obtenir un engagement de celle-ci sur l’étude de la classification des ouvrières.
189Le travail reprend progressivement le mardi 19 avril, tandis que se déroule l’entrevue avec la direction. Un accord intervient sur les principes et la procédure que voici :
- la direction accepte la constitution d’une délégation féminine dans l’entreprise ;
- la direction s’engage à réaliser dès le 1er janvier 1968 les principes "salaire égal pour un travail égal", "salaire juste et équitable dans les autres cas" ;
- ces principes seront mis en application selon un timing précis ;
- en 1966, discussion paritaire en présence de la délégation féminine, de la formule de comparaison des moyennes de salaires masculins et féminins ;
- pendant le premier semestre 1967, étude d’une nouvelle classification des fonctions féminines au siège de Charleroi ;
- pendant le deuxième semestre 1967, négociation avec la direction pour l’établissement de la nouvelle classification.
190Cet accord permet la reprise normale du travail le mercredi 20 avril.
8 – Troisième consultation des ouvrières des ACEC-Herstal
191Aux ACEC-Herstal, les ouvrières avaient été consultées sur la deuxième proposition de conciliation du Comité national le vendredi 15 avril, c’est-à-dire le lendemain du vote des ACEC-Charleroi. Bien que défendue par les responsables syndicaux, cette nouvelle proposition fut rejetée également à la majorité simple des voix (105 contre 52), ce quorum suffisant par ailleurs à la poursuite de la grève en cours.
192Toutefois, les représentants syndicaux désirent qu’une majorité plus nette se dégage. Ils annoncent une nouvelle consultation pour le lundi 18 avril. Mais la faible proportion d’ouvrières présentes ce jour incite les syndicats à convoquer une nouvelle assemblée pour le mercredi 20 ; afin d’éliminer les influences extérieures, la réunion se tiendra à huis-clos.
9 – Quatrième consultation et fin de la grève aux ACEC-Herstal
193Le vote du 20 avril renverse la majorité antérieure et la reprise du travail est décidée par 112 voix contre 59. Au cours de la réunion, les permanents syndicaux avaient fait état d’un élément nouveau, une déclaration du directeur général des ACEC :
"Je suis d’accord pour que, pendant l’année 1967, une véritable analyse de la valeur des métiers féminins soit opérée, pour que, sur cette base, des comparaisons avec les professions masculines et leurs valeurs soient opérées, ceci en vue de rechercher la véritable application de l’égalité des salaires.
En tout état de cause, dès maintenant, je puis affirmer que l’application de cette formule ne sera pas tempérée ou limitée par la notion des 90 %".
195Sur la proposition des représentants syndicaux, les ouvrières adoptent une motion qui était à la fois un satisfecit pour l’action des syndicats au plan national, et une invite aux grévistes de la F.N. ;
"L’assemblée des femmes grévistes des ACEC de Herstal réunie le mercredi 20 avril, après avoir pris connaissance des résultats des négociations qui se sont déroulées sur le plan national,
Décide la reprise du travail pour ce jeudi 21.
Consciente que les résultats et la fin du conflit aux ACEC sont de nature à hâter les conclusions d’un accord favorable pour leurs amies de la F.N.
Assure celles-ci de leur entière solidarité, que ce soit dans la rue ou dans l’entreprise".
197Cette solidarité "dans la rue" devait se concrétiser par la participation à la manifestation décidée par le Front commun syndical à Liège le 25 avril.
198Mais entretemps, la reprise du travail s’opérait complètement et sans incidents aux ACEC de Herstal, le 21 avril, après 5 semaines de grève.
Par. 2. Résolution du conflit de la F.N.
1 – L’Assemblée du 16 avril des grévistes de la F.N.
199Le 16 avril, après deux mois de grève, les ouvrières de la F.N. se réunissent pour la 9ème fois en assemblée. M. G. Barbe qui préside déclare que la grève arrive à un tournant, et cela en raison de deux faits.
200Le premier est la reprise des négociations sous l’égide du Ministère du Travail : après l’entretien chez le Gouverneur de la Province et la manifestation du 14 avril, les responsables syndicaux ont été reçus au Ministère du Travail ; ils ont demandé que le Ministre prenne les dispositions nécessaires pour appliquer le Traité de Rome, qui engage le gouvernement ; plusieurs entretiens ont eu lieu au Ministère et il a été décidé que le contact serait renoué entre la direction de la F.N. et les représentants des travailleurs, le 18 avril, au Cabinet du Ministre.
201Le deuxième fait est la décision prise le 14 avril par le Comité exécutif de la régionale F.G.T.B. de Liège-Huy-Waremme, d’organiser prochainement à Liège, en commun avec la C.S.C., un large rassemblement des "femmes, travailleuses, ménagères et étudiantes", en vue "d’appuyer la lutte courageuse menée par les grévistes en faveur de la réalisation de leurs droits sociaux et de l’application intégrale du Traité de Rome …".
202Cette décision est approuvée aux applaudissements de l’assemblée des ouvrières.
203L’assemblée enregistre de nombreux témoignages de solidarité, notamment de la part des Femmes Prévoyantes Socialistes et de la Fédération des Guildes de coopératrices.
204Une voix discordante s’élève : c’est celle d’une ouvrière, membre du Comité d’action des femmes de la F.N., qui affirme que les résultats obtenus aux ACEC n’intéressent en rien les grévistes de la F.N.
205M. J. Braham, secrétaire principal de la Fédération des métallurgistes chrétiens de Liège, tire les conclusions de l’assemblée :
" … ce conflit a démarré dans l’unité, il se poursuivra et se terminera dans l’unité. Le rassemblement des femmes sera lui aussi encore dans l’unité la plus totale entre les organisations syndicales et les organisations féminines qui constituent la charpente du mouvement socialiste et du mouvement ouvrier chrétien. Le dernier round va s’entamer … Un véritable marathon qui sera peut-être long va s’engager, mais tous ensemble, nous le gagnerons."
2 – La conciliation du Ministère du Travail
207Effectivement, les séances de conciliation seront longues et laborieuses au Cabinet du Ministre, du 20 avril au 4 mai, pour mettre au point une solution susceptible d’être acceptée par la direction de la F.N. et par les ouvrières.
208Tout porte à croire que le gouvernement considérait l’aboutissement de la conciliation du conflit ACEC comme un préalable à la solution du conflit F.N.
209Les contacts n’avaient cependant pas été négligés pendant cette période, entre le Ministère du Travail et les parties en litige.
210De caractère plutôt informatifs jusqu’à la mi-avril, ils ne se transformèrent en intervention plus officielle et plus active qu’à partir du 18 avril. A ce moment, la conciliation des ACEC était en bonne voie.
211Le 18 avril, une première confrontation des points de vue eut lieu au Cabinet du Ministre du Travail. Les séances de conciliation se succédèrent ensuite du 20 avril au 4 mai. La délégation syndicale était particulièrement nombreuse - 27 personnes - tandis que les représentants patronaux étaient au nombre d’une dizaine.
212La délégation syndicale s’était adjoint - fait nouveau - deux déléguées du comité de grève de la F.N.
213Etant donné le nombre élevé de délégués des parties, les solutions de conciliation étaient d’abord discutées en bureau restreint, composé de quelques délégués, puis soumises à la réunion plénière. L’ensemble des travaux était dirigé par le conciliateur (un membre du Cabinet du Ministre).
214Le point le plus délicat à régler semblait être le montant de l’augmentation salariale qui serait accordée dès la reprise du travail.
215Jusqu’au 21 avril, la direction s’en tint à sa proposition initiale, qui est celle de l’accord national du 28 février 1966 : 0,50 F. le 1er mars 1966 et 0,50 F. le 1er janvier 1967. Puis elle admit 1 F. à la reprise du travail et 0,75 F. au 1er mai 1967, sous certaines conditions d’harmonisation des salaires, qui excluaient certaines catégories d’ouvrières. Il semblait que l’on allait vers la rupture des pourparlers quand, le 27 avril, la direction déclare ne pouvoir octroyer plus de 1,25 F. à partir de la reprise du travail.
216Du côté syndical, on était passé de la revendication initiale de 3,90 F. et 4,29 F. à 2,50 F. à partir du 1er janvier 1966, suivis de 0,40 F. à une proche échéance et d’un rajustement final selon une classification des fonctions, avant la fin de 1967.
3 – Un protocole d’accord
217Finalement, le 4 mai, le conciliateur formule au nom du Ministre du Travail un protocole d’accord destiné à régler le conflit. La délégation syndicale et le comité de grève s’étaient engagés à défendre ce projet devant les ouvrières de la F.N.
"Protocole d’accord.
Préambule.
Après onze semaines de grève au sein de la F.N. pour obtenir l’application de l’article 119 du Traité de Rome, il sied de rencontrer le désir des deux parties de mettre fin à ce conflit.
Le principe de l’égalité des rémunérations des travailleurs féminins et masculins qui repose sur un désir de justice sociale constitue depuis longtemps un objectif social. Il se retrouve dans la convention n° 100 de l’Organisation internationale du travail concernant l’égalité des rémunérations entre la main-d’œuvre masculine et féminine, pour un travail de valeur égale, ratifiée par la Belgique.
Dans une préoccupation d’ordre économique, le traité de Rome a repris ce principe dans le but de réduire les distorsions existantes dans ce domaine. En ce qui concerne le secteur industriel de la construction métallique, les partenaires sociaux qui, selon la méthode de formation des rémunérations propres à notre pays, sont chargés de l’élaboration des conventions collectives et, partant, de la fixation des rémunérations, ont depuis le 26 décembre 1962 conclu des accords en vue de se conformer à l’article 119 précité. Ce fut le cas pour la période 1962-65.
Le dernier accord datant du 28 février 1966 n’est pas applicable comme tel à la F. N. à Herstal ; dès lors, il y a lieu de trouver une solution s’inspirant de cet accord.
Le conflit au sein de la F.N., où un système de classification des rémunérations féminines semble être apprécié par toutes les parties, ne met nullement en doute la volonté de cette entreprise de respecter l’application progressive de l’article 119 précité, mais soulève de sa part des objections d’ordre économique.
Il est en effet indéniable, au point de vue concurrentiel, que l’effort accompli par l’industrie belge en général et le secteur de la construction métallique en particulier, est souvent supérieur à celui des entreprises d’autres pays.
Cependant, la grève reflète la détermination des femmes de voir accélérer l’application du principe d’égalisation, et il convient, dès lors, après onze semaines de grève, de franchir une nouvelle étape vers cette égalisation.
Salaires :
En conséquence, au nom de Monsieur le Ministre, nous proposons aux parties :
- de charger la Commission permanente des salaires de la F.N., organisme paritaire existant depuis 1953, d’étudier le problème de l’égalisation des rémunérations féminines et masculines afin d’y trouver une solution définitive.
Cette Commission entamera immédiatement l’examen des rémunérations féminines et masculines, afin d’établir une hiérarchie unique des rémunérations.
Il resterait toutefois entendu que les résultats découlant des travaux de cette Commission ne seraient applicables que progressivement dans les limites des décisions arrêtées par la Commission paritaire des fabrications métalliques.- A la date du premier payement de la rémunération suivant la reprise du travail, une augmentation-horaire de deux francs serait accordée par la F.N. à toutes les femmes impliquées dans le conflit social.
- Au 1er janvier 1967, une nouvelle augmentation de la rémunération sera allouée en vue de l’harmonisation des rémunérations féminines et masculines.
Cette mission d’harmonisation serait confiée à la "Commission pour l’égalisation des rémunérations féminines et masculines." Les travaux devraient être terminés pour la fin de l’année 1966. Dans l’éventualité où, pour des motifs admis par les deux parties, ce travail ne serait pas terminé au 31 décembre 1966, il resterait entendu que, sur recommandation de ladite commission, la somme convenue pour cette augmentation par métier et fonction serait répartie avec effet au 1er janvier 1967. Cette commission commencera ses travaux sur rapport du Bureau des salaires.
La somme convenue pour cette augmentation s’élèvera à cinq millions et intéressera les travailleurs en grève ainsi que les cas tangents de certains gamins.- Les "femmes-machines" de moins de 21 ans et les "gamins-machines" bénéficieront des mêmes augmentations sans dégressivité aucune.
- Les femmes de moins de 21 ans payées à la journée bénéficieront des mêmes augmentations, compte tenu de dégressivité en vigueur à la F.N.
- Les organisations syndicales et les délégations syndicales s’engagent comme par le passé à ne prendre aucune rémunération féminine comme point de comparaison pour poser des revendications salariales masculines."
219Annexe du protocole :
220Au protocole proprement dit est jointe une annexe fixant les modalités d’un organisme de contrôle médical qui devra assumer sa tâche au plus tard le 1er juillet 1967. Ceci répond au désir de la direction de la F.N. de contrôler plus strictement l’absentéisme féminin, accusé de grever particulièrement la charge salariale.
221Recommandation finale :
222Le Ministre lance un appel à la reprise du travail et au rétablissement de rapports sociaux normaux entre les parties, dans un véritable esprit de conciliation.
4 – Portée du protocole d’accord
223Nous situerons brièvement la portée de ce protocole :
- La justification de principe contenue dans le préambule n’apporte pas d’élément nouveau à la politique suivie jusqu’à présent par le gouvernement et les partenaires sociaux dans l’application de l’article 119 du Traité de Rome ; mais c’est la première fois qu’une justification aussi détaillée est faite par le gouvernement à l’occasion de la conciliation d’un conflit et à propos d’une convention collective dont la ratification ne lui avait pas été demandée par les partenaires sociaux ; ce souci de justification s’explique ici par les interpellations parlementaires suscitées par les grèves féminines.
- Le contenu de l’accord de conciliation est dans la ligne de la solution de conciliation appliquée aux ACEC ; par rapport à l’accord national du 28 février 1966, le progrès réside dans le fait qu’il est tenu coopte non seulement des écarts dans le barème des salaires minimums, mais aussi et surtout des écarts entre les salaires effectifs ; toutefois, le protocole d’accord de la F.N. conditionne la négociation des étapes suivantes vers l’égalité de rémunération, en prévoyant que les résultats découlant des travaux de la commission permanente des salaires de la F.N. "ne seraient applicables que progressivement dans les limites des décisions arrêtées par la commission paritaire des fabrications métalliques". D’autre part, la question peut se poser de savoir si les sommes et notamment les 5 millions de francs, affectées aux augmentations salariales suffiront à résorber les écarts de salaires effectifs.
- Comme pour les ACEC, le projet d’accord de la F.N. prévoit une augmentation salariale chiffrée et un rajustement final qui ne sera chiffrable qu’après réexamen de la situation salariale féminine dans l’entreprise.
- L’augmentation chiffrée pour la F.N. (2 F.) est octroyée en une fois, mais seulement à partir de la reprise du travail ; aux ACEC, l’augmentation de 2 F. est établie sur 1 an 1/2, mais avec un effet rétroactif au 1er janvier 1966 (1 F. au 1er janvier 1966, 0,70 F. au 1er janvier 1967 et 0,30 F. au 1er juillet 1967).
- Le rajustement final de 1957 est évalué au mieux pour la F.N. à 0,50 F. ou 0,75 F. et pour les ACEC à 0,35 F. ; mais, dans les deux cas, il dépendra de la réévaluation qui sera faite des différentes fonctions féminines par les commissions de salaires des entreprises.
- Quant au contrôle médical prévu dans l’annexe du protocole, il faisait déjà l’objet de discussions depuis un certain temps dans l’entreprise ; sur ce point, le projet d’accord vise essentiellement à coordonner la mise en œuvre du contrôle médical avec les décisions salariales.
5 – Consultation des ouvrières et fin de la grève
224Le 5 mai, dans l’après-midi, après un filtrage sévère à l’entrée, l’assemblée des ouvrières de la F.N. débute dans une atmosphère tendue et assez solennelle : il s’agit de se prononcer sur une proposition faite au nom du Ministre lui-même et la séance est présidée par M. Lambion, président des métallurgistes de Liège (F.G.T.B.), mandaté par l’ensemble du Front Commun syndical liégeois F.G.T.B.-C.S.C.
225M. Lambi on résume l’évolution du conflit, explique la proposition de conciliation "qui accorde 70 % des augmentations réclamées" et conclut en invitant les grévistes à accepter le protocole et à reprendre le travail. A ce moment, l’assemblée devient houleuse. M. Lambion estime que l’acceptation du protocole met les ouvrières dans les meilleures conditions pour affronter une direction avec laquelle "on est loin d’avoir fini" puisqu’il faudra négocier l’harmonisation des salaires.
226M. J. Braham (C.S.C.) intervient dans le même sens : grâce à la proposition du Ministre,il n’y aura plus à la F.N. qu’une seule hiérarchie salariale.
227Des ouvrières se succèdent alors à la tribune et manifestent trois types d’attitudes : attendre la réponse patronale, lutter jusqu’au bout, accepter le protocole.
228Le vote secret dégage enfin l’acceptation de la proposition ministérielle, par 1.320 voix contre 205 (sur 1.540 votants, le reliquat étant constitué par des bulletins nuis), soit une majorité de 85 %.
229Dans la soirée du même jour, la direction de la F.N. marquait également son accord sur la proposition du Ministre.
230La reprise du travail s’amorçait dès le lundi 9 mai : 6.000 travailleurs, hommes et femmes, regagnaient l’usine.
231Le 10 mai, un certain nombre d’ouvrières marquaient officiellement la reprise du travail après douze semaines de grève, en se rendant en cortège vers les ateliers, derrière les drapeaux de leurs organisations syndicales.
232Le 11 mai, l’usine fonctionnait à nouveau normalement.
Par. 3. Résolution du conflit SCHREDER
233Pendant que s’amorçait la solution du conflit de la F.N., le conciliateur social chargé de résoudre le conflit des ateliers SCHREDER était parvenu à mettre la direction et les ouvrières d’accord sur les bases suivantes
- à partir du 1er mars 1966 : augmentation salariale horaire de 2 F., soit en moyenne 2,61 F. pour les "ouvrières-machines" et 2,54 F. pour les ouvrières du montage :
- à partir du 1er janvier 1967 : alignement des salaires féminins de SCHREDER sur la moyenne des salaires qui seraient payés à ce moment aux ouvrières des ACEC, de DEHOUSSE et de JASPAR ; cette moyenne serait déterminée par une Commission d’enquête présidée par le conciliateur social ;
- à partir du 1er juillet 1967 : étude et détermination de l’évolution des salaires féminins par une "Commission d’égalisation des salaires" qui doit donc être constituée.
234Dès lors, le travail a repris chez SCHREDER le 3 mai, après six semaines de grève.
Par. 4. Le rassemblement féminin du 25 avril à Liège
235Ainsi qu’annoncé à l’assemblée des grévistes de la F.N. le 16 avril, le Front commun syndical liégeois avait organisé dans l’après-midi du 25 avril, à Liège, un vaste rassemblement de femmes, destiné à "faire prendre conscience des problèmes féminins et de la revendication de l’égalité absolue avec les hommes".
236Les ouvrières de toutes les entreprises de construction mécaniques de la région avaient été invitées à manifester. A ce moment, seules restaient en grève les ouvrières de la F.N. et de SCHREDER. Mais le front commun avait recommandé l’élargissement de la manifestation, non seulement aux travailleuses de la construction mécanique, mais à toutes les autres, l’ensemble des travailleuses étant appelées à arrêter le travail pendant la demi-journée consacrée à manifester. Le rassemblement devait englober également les ménagères, étudiantes, etc… décidées à appuyer les revendications féminines, ainsi que les militantes des organisations féminines chrétiennes et socialistes.
237Après ce cortège eut lieu un meeting au cours duquel on entendit de nombreux orateurs, notamment Mme Petry, secrétaire générale des Femmes prévoyantes socialistes, Mme Braham, secrétaire générale des Ligues ouvrières chrétiennes, M. Fallais, secrétaire fédéral de la C.S.C. et M. Lambion, président de la F.G.T.B. de Liège.
238Ce devait être la dernière manifestation publique des ouvrières grévistes, à la veille de la résolution des derniers conflits en cours.
Chapitre III - Réactions de groupes non syndicaux au plan local
239Nous avons montré jusqu’ici en détail les réactions syndicales dans le conflit des ouvrières pour l’égalité de rémunération. Nous avons aussi noté au passage l’interférence de groupes extérieurs aux syndicats.
240Il nous reste à situer les lignes d’intervention de ces derniers groupes au plan local.
241Il faut d’abord distinguer les groupes qui ont manifesté leur solidarité aux grévistes dans la ligne de l’action définie par les syndicats et sans vouloir empiéter sur elle. D’autres groupes ont joué auprès des ouvrières un rôle activiste, opposé ou non complètement conforme aux lignes d’action du Front commun, syndical F.G.T.B.-C.S.C.
242Nous commencerons par examiner cette dernière catégorie de groupes.
Section 1. Groupes ayant exercé une intervention directe
2431. Les plus remuants ont été ceux qui gravitent autour du Parti communiste wallon (P.C.W.) (tendance Pékin). Il s’agit des sections d’entreprises du P.C.W. et surtout des "Comités d’action" composés de femmes. Présents dans l’entreprise et aux assemblées d’ouvrières comme dans les manifestations publiques, disposant d’un organe de presse hebdomadaire (La Voix du Peuple), leur action et leur revendication d’augmenter les salaires féminins de 10 %, 5 F. au minimum, étaient plus radicales que celles soutenues par les délégations syndicales d’entreprises au nom des ouvrières.
244L’attitude du P.C.W. a contrasté avec celle du Parti Communiste (tendance Moscou) qui n’a pas joué un rôle très apparent mais a soutenu le Front commun syndical, les attaques du P.C.W. ont été au moins aussi virulentes à l’égard du Parti communiste que vis-à-vis des syndicats ; quant à ceux-ci, leurs réactions les plus vives se sont adressées au P.C.W., en le distinguant explicitement du Parti communiste.
245Les "Comités d’action" ont été à la pointe du combat. Ils sont constitués dans le cadre d’une organisation plus large, l’"Union des Femmes".
246Celle-ci a été mise sur pied le 25 septembre 1965 par des militantes du Parti communiste (tendance Pékin) ; elle réunit "des femmes de tous âges et de toutes professions" décidées à lutter ensemble pour les droits de la femme, les revendications sociales, la paix et l’indépendance des peuples".
247Les modes d’action de l’Union des Femmes sont extrêmement souples et variés : publication de motions, organisation ou participation à des manifestations publiques, journées d’études, collectes de fonds de solidarité, etc….
248Cette politique de présence se manifeste, dans le domaine des revendications sociales, soit par la participation directe de l’Union et de ses sections régionales aux manifestations de grévistes, aux piquets de grève, aux récoltes de fonds, soit par la constitution de Comités d’action.
249Le sens et les formes d’intervention dans les grèves d’ouvrières pour l’égalité de rémunération sont ainsi définis dans La Voix du Peuple [43] ;
"… Immédiatement, les membres de l’Union des femmes dans la région liégeoise, dont certaines travaillent à la F.N., sont sur la brèche. Les grévistes forment leur "Comité d’Action", qui détermine clairement leurs revendications et choisit les moyens de lutte.
Pour que cette grève soit victorieuse, il faut organiser la solidarité :L’Union des femmes s’est donné pour tâche d’aider les grévistes de toutes les façons. Ses affiches "A travail égal, salaire égal" "couvrent bientôt les murs. Ses membres vont aux piquets de grève dans d’autres usines à Herstal et Liège, et c’est SCHREDER, ce sont les ACEC-Herstal qui débraient également, puis les ACEC-Charleroi.
- par la collecte de fonds pour aider les grévistes ;
- par des messages et lettres d’encouragement ;
- en arrêtant le travail dans d’autres entreprises, en manifestant.
Dans tout le pays, les sections de l’Union des Femmes font circuler des listes de souscription. Un premier versement de 5.200 F. sera remis à l’occasion de la magnifique célébration de la Journée Internationale des Femmes, le 13 mars à Bruxelles, à une délégation des grévistes de la F.N., acclamée par l’assemblée. Un nouveau soutien de 7.200 frs leur sera remis lors de la grande manifestation à Herstal le 7 avril, où l’Union des femmes envoya une délégation, avec calicots proclamant sa solidarité totale.
Une bonne part de ces collectes sont faites aux usines des faubourgs de Bruxelles, appelant les ouvrières à soutenir leurs compagnes en grève, à prendre en mains elles-mêmes leurs revendications et à exiger leur droit : IMMEDIATEMENT à travail égal, salaire égal ; 25 usines ont été ainsi visitées par 25 militantes enthousiastes, qui se repartissent en équipes, donnant leur temps selon leurs possibilités. Chaque matin, elles luttent ainsi pour les grévistes avant de se rendre elles-mêmes à leur travail, à leur école ou chez elles faire lever leurs petits enfants".
Les Comités d’Action ne visent cependant pas à se constituer en organisation syndicale distincte des syndicats existants, à l’opposé de la tendance de certains travailleurs qui "écœurés par les procédés de ces agents de la bourgeoisie (les dirigeants syndicaux) désertent les organisations syndicales et se mettent à rêver, chacun dans son coin, d’organisations syndicales épurées de toute influence bourgeoise". Ce qu’il faut au contraire, c’est "garder sa place parmi les travailleurs organisés, c’est travailler à rendre cette masse des travailleurs toujours plus consciente."
251Les Comités d’Action entendent dès lors renouer avec certaines traditions du mouvement ouvrier :
"Les Comités d’Action qui constituent une arme déjà ancienne et parfaitement éprouvée du mouvement ouvrier peuvent jouer à cet égard - les exemples de Charleroi et de liège le confirment une fois de plus - un rôle de premier plan, un rôle d’autant plus grand que leur action ne se limite pas à une bataille isolée, mais devient permanente, aidant ainsi les travailleurs à exercer une vigilance constante, à préparer sérieusement les luttes et à chasser chaque fois que cela est nécessaire les traîtres et les agents de l’ennemi de classe."
253Nous avons montré d’autre part, dans le chapitre I, comment le point d’insertion des comités d’action dans la pyramide des relations collectives du travail se situe au niveau de l’entreprise, en relation avec l’évolution du rôle de délégué syndical d’entreprises et avec la tendance générale à institutionnaliser les relations entre le patronat et les organisations syndicales.
2542. Le Parti Wall?n des travailleurs (P.W.T.) :
255a également exercé une action directe auprès des ouvrières ; il n’est cependant pas organisé dans les entreprises et il s’est manifesté par la diffusion des tracts et la participation aux manifestations publiques des grévistes.
256Les syndicats ont reproché au P.W.T. de faire cavalier seul et de ne pas soutenir leurs organisations en tant que telles.
2573. Le Mouvement populaire wallon (M.P.W.),
258de création plus ancienne, a une action plus diffuse que les groupes que nous venons de citer. Sa base de recrutement est spécialement large parmi les métallurgistes. Ses thèmes "les réformes de structure par le fédéralisme" ont été répandues sous forme de tracts distribués à l’entrée des assemblées de grévistes et au cours des manifestations publiques. Mais ils furent développés aussi par des permanents syndicaux F.G.T.B. dans les premières assemblées d’ouvrières ; ceci amena une mise au point officielle des syndicalistes chrétiens, pour qui la caution du Front commun syndical ne pouvait s’étendre à des aspects doctrinaux relevant pour leur part du Mouvement ouvrier chrétien (M.O.C.).
259Il faut aussi souligner que le M.P.W. dispose d’un support de presse non négligeable ; son hebdomadaire Combat auquel sont abonnés les métallurgistes, a consacré une large place aux grèves féminines en les situant dans l’ensemble des problèmes de la femme au travail et du conditionnement économique wallon.
Section 2 - Groupes ayant manifesté leur solidarité
260Dans cette catégorie, nous trouvons tous les groupes venus apporter aux grévistes leur appui moral et parfois financier. Il s’agit notamment des organisations féminines telles que les Femmes prévoyantes socialistes (F.P.S.), la Ligue ouvrière des femmes chrétiennes (L.O.F.C.), le Conseil National des Femmes belges (où se retrouvent de nombreuses organisations), le Rassemblement des femmes pour la paix et le bien-être. Ces organisations ont assuré un contact direct avec les grévistes en envoyant des déléguées aux assemblées et manifestations de femmes à Herstel et à Liège [44].
261D’une manière générale et d’un point de vue pratique, les groupements féminins souffrent peut-être d’une dispersion dans l’action. La grève des ouvrières a joué à cet égard un rôle catalyseur.
262Certains milieux féminins ont estimé qu’un resserrement de ces organisations et des femmes non organisées permettrait à l’avenir, en s’appuyant sur l’éveil de l’opinion au slogan de "l’égalité de rémunération" de mener des actions plus concrètes.
263Un comité s’est constitué le 21 avril sous la dénomination "A travail égal, salaire égal". La réalisation de ce principe est l’objectif premier du Comité. Mais le but fondamental est de rallier les organisations féminines et progressistes à une action plus large, sur le plan national et sur le plan européen.
264Le Comité a lancé un appel à tous ceux qui "ont à cœur le respect par les partenaires sociaux des engagements souscrits par l’Etat belge" vis-à-vis du Traité de Rome, pour appuyer le mouvement déclenché par les grèves d’ouvrières.
265Parmi les associations qui ont donné leur adéhsion à l’appel du 21 avril, on note la Ligue belge pour la défense des Droits de l’homme, l’Association belge et l’Association internationale des femmes juristes, le Rassemblement des Femmes pour la Paix, la Section belge de l’Association internationale des juristes démocrates….
266Deux grandes organisations restent cependant absentes jusqu’à présent : Les femmes prévoyantes socialistes et la Ligue ouvrière des femmes chrétiennes.
267Le Comité "A travail égal, salaire égal" a organisé une manifestation publique le 2 juin 1966 à Bruxelles.
268Cette manifestation se voulait plus représentative que massive et était volontairement dépouillée de tout engagement politique ou philosophique.
269Les slogans exposés par les calicots dénotaient l’orientation pratique des revendications ? "A travail égal, salaire égal", "Continuons la lutte des ouvrières de Herstal", "Application de l’article 119 du Traité de Rome", "Revision des classifications", "Accès à la qualification professionnelle", "Des crèches, des garderies".
270Citons parmi les manifestants Mme Ernst-Henrion, Présidente de l’Association belge des femmes juristes ; M. Klein, Peeters (P.L.P.), Brogniez, Slusny (P.S.B.) ; Dispy et Verstappen (P.C.B.).
271Avant la dislocation du cortège, les présidentes (francophone et flamande) du Comité, Marthe Van de Meulebroecke et Marijcke Van Hemeldonck résument les objectifs poursuivis par l’organisation en mettant l’accent sur l’information, premier pas vers la prise de conscience et l’action.
272Une délégation du Comité a été reçue par le président du Sénat, auquel il a été demandé d’appuyer une pétition remise aux Chambres législatives en vue d’obtenir un instrument juridique garantissant l’égalité de rémunération.
Chapitre IV - Répercussion politique des grèves féminines
273Cette répercussion se situe au niveau national et au niveau de la C.E.E.
Section 1. Au niveau national
274L’incidence politique a été peu marquée. Elle s’est traduite par des interpellations au Parlement, une question parlementaire et le dépôt de propositions de lois.
2751. Des interpellations adressées à M. Servais (P.S.C.), Ministre de l’Emploi et du Travail, furent développées à la Chambre, le 5 avril, par deux membres de l’opposition :
276M. Timmermans (parti communiste) [45] sur "le conflit qui oppose 3.800 femmes travailleuses au patronat de la Fabrique Nationale d’armes de guerre à Herstal et sur les mesures qu’il compte prendre pour que l’article 119 du Traité de Rome soit appliqué tant dans son esprit que dans sa lettre à l’ensemble des femmes travailleuses de notre pays".
277Mme Copee-Gerbinet (P.S.B.), sur "la non-application du principe d’égalité entre les salaires masculins et féminins, qui soulève un mouvement de grève chez les travailleuses" [46].
278La Chambre entendit aussi des interventions de MMmes Groesser-Schroyens (P.S.B.) et Verlackt-Gevaert (P.S.C.) et de MM. Magnée (P.S.C.) [47] et Perin (Parti Wallon).
279Dans sa réponse, le Ministre de l’Emploi et du Travail s’explique sur la politique suivie jusqu’à présent en matière d’égalité de rémunération, sur sa position vis-à-vis du conflit de la F.N. et sur les perspectives générales de l’égalisation des salaires masculins et féminins en Belgique.
280Au sujet de la politique suivie jusqu’à présent par les gouvernements successifs, la réponse du Ministre reprend pratiquement les éléments déjà contenus dans les rapports antérieurs de la Belgique à la C.E.E. : l’autonomie des partenaires sociaux dans la fixation des salaires, la réticence des gouvernements à intervenir directement et de manière coercitive dans la structure complexe des salaires, la valeur des progrès enregistrés dans les conventions collectives et la réduction des écarts de salaires effectifs. Le Ministre évoque aussi la nécessité d’un progrès identique dans les Etats signataires du Traité de Rome et les lacunes de l’information communautaire sur cette évolution.
281A propos de la F.N., le Ministre regrette qu’un conflit d’entreprise ait été présenté comme la preuve de l’immobilisme social des gouvernements successifs, La situation des parties au conflit de la F.N. est paradoxale : "d’une part, il y a un projet d’accord national que chacune des parties déclare vouloir signer et, d’autre part, les organisations syndicales reconnaissent la grève de la F.N. et l’indemnisent, alors que les revendications formulées sont pour le moins très différentes du projet d’accord". Le Ministre déclare que cette attitude des parties ne permet pas d’entrevoir une possibilité immédiate de conciliation, mais que le problème reste au centre des préoccupations du gouvernement.
282Les perspectives générales de l’égalisation des salaires sont définies par le Ministre comme celles de "l’équilibre dans le progrès" sous la responsabilité première des partenaires sociaux : l’égalisation doit être progressive, sans compromettre le coût salarial dans la situation économique actuelle et sans rompre l’équilibre structurel des salaires au sein d’une industrie, voire d’une entreprise ; il appartient aux partenaires sociaux de réaliser l’équilibre dans le progrès, le gouvernement ne pouvant qu’inviter à une concrétisation aussi rapide que possible.
283Toutefois, le Ministre souligne que dans la situation économique actuelle, il est nécessaire de s’en tenir à une politique salariale modérée ; si celle-ci autorise le rejet de tout blocage des rémunérations, elle impose aussi l’obligation d’éviter toute hausse inflatoire des salaires et des prix.
284Enfin, le gouvernement est conscient de ce que le problème du travail féminin se posera dans les années à venir avec une acuité croissante ; il est attentif à cette évolution mais constate que le travail féminin doit être abordé dans un cadre élargi qui englobe la formation professionnelle et la promotion de la femme au travail.
285En conclusion du débat à la Chambre, deux textes d’ordre du jour sont déposés, le premier rédigé au nom de la majorité par MM. Eneman (P.S.C.) et Cornet (P.L.P.) est un ordre du jour pur et simple.
286Le deuxième, établi par M. Larock (P.S.B.) au nom de la minorité, estime qu’il y a lieu pour le gouvernement :
- de prendre ou de soutenir toute initiative parlementaire visant à assurer dans la législation belge le respect des conventions internationales et en particulier de l’article 119 du Traité de Rome ;
- dans l’immédiat, de mettre tout en œuvre pour que le conflit en cours depuis huit semaines aboutisse rapidement à une solution conforme au droit ainsi qu’à la dignité et aux intérêts légitimes des femmes au travail.
287Toutefois, M. Larock, qui avait d’ailleurs précisé que sa proposition d’ordre du jour ne visait pas à "circonvenir le gouvernement" [48], d’autant plus qu’un procès de tendance se dessinerait de manière injustifiée au plan international contre la Belgique, accepte un amendement qui réduit la portée de la première partie de son ordre du jour. Celui-ci ne parlera plus d’"initiatives parlementaires", mais simplement de "toutes mesures" visant à assurer le respect réel des conventions internationales.
288Finalement, l’ordre du jour pur et simple est adopté le 6 avril majorité contre minorité [49].
289Le gouvernement apportera une réponse pratique aux interpellations en mettant fin au conflit de la F.N. par son protocole d’accord du 4 mai 1966, que nous avons déjà analysé et dont le préambule contient une justification gouvernementale vis-à-vis du Parlement belge et vis-à-vis de la C.E.E.
290Au Sénat, le 27 avril, le Ministre fut aussi interpellé par Mme Jadot (P.L.P.) et il y eut des interventions de MM. Vermeylen (P.S.B.) et Dejace (P.C.). La réponse du Ministre fut la même qu’à la Chambre. En conclusion, le texte d’ordre du jour de confiance pur et simple fut déposé par MM. Leemans (P.S.C.) [50] et Gillon (P.L.P.) au nom de la majorité et adopté par celle-ci.
2912. Au plan parlementaire, il faut encore mentionner le dépôt de propositions de lois, par M. Timmermans (P.C.) et par Mmes Copée et Groesser (P.S.B.), relatives à l’égalité de rémunération. La dernière de ces propositions vise à autoriser le gouvernement et le Conseil national du travail à se substituer aux commissions paritaires défaillantes pour réaliser l’égalisation des salaires. Mais le texte des ordres du jour votés par la Chambre et le Sénat n’engagent pas le gouvernement à soutenir des initiatives législatives [51].
2923. La grève de la F.N. a motivé d’autre part le dépôr d’une question parlementaire par le Sénateur L.E. Troclet, qui est aussi membre du Parlement européen (et président de la Commission sociale de cette assemblée). M. Troclet demande au Ministre du Travail si le conflit ne controuve pas toutes les déclarations officielles antérieures sur l’état satisfaisant de l’égalisation des salaires en Belgique. Le Ministre répond que les traités internationaux établissent une progressivité dans l’égalisation et rappelle les nombreuses recommandations faites par le gouvernement aux partenaires sociaux ; en ce qui concerne le conflit de la F.N., il signale que l’accord national n’a jamais fait l’objet d’une demande de ratification par arrêté royal et que jusqu’au déclenchement de la grève, les parties n’avaient pas fait appel au gouvernement.
2934. Enfin, il faut noter des interventions extra-parlementaires auprès du Ministre du Travail. C’est ainsi qu’au mois de mars 1966, le Conseil national des Femmes belges a adressé une requête qui attire l’attention du gouvernement sur l’urgence de la mise en œuvre du principe d’égalité des rémunérations, qui implique l’abolition non seulement des discriminations salariales fondées sur le sexe mais aussi des classifications désavantageuses. On sait qu’au Conseil national des Femmes belges sont représentées de très nombreuses organisations féminines ; et ce n’est pas la première fois que le Conseil intervient auprès du Ministre du Travail. Au mois de mars également, ?. E. de la Vallée-Poussin a adressé une lettre au nom du Conseil belge du Mouvement européen dont il est le président ; il rappelle qu’en novembre 1964 déjà,la Commission féminine belge du Conseil avait organisé sur ce point fondamental de la politique sociale de la C.E.E. une importante journée d’information dont les conclusions avaient été portées à la connaissance du Ministre ; ces conclusions soulignaient notamment que certains systèmes de classification ont pour résultat de déclasser le travail des femmes et de les placer dans une catégorie de salaires inférieure à la catégorie des manœuvres hommes les moins qualifiés. La lettre constatait que les ouvrières de Herstal étaient en grève pour faire respecter le Traité de Rome et que, dans toute la mesure où leurs revendications étaient légitimes, elles méritaient l’appui du Conseil belge du Mouvement européen.
Section 2. Au niveau de la Communauté économique européenne
2941. Dans le cadre de l’Exécutif de la Communauté, les grèves d’ouvrières belges ont motivé, en juin, une question écrite de M. Troclet à la Commission de la C.E.E. Cette question estparallèle à celle posée par lui au Parlement belge au Ministre de l’Emploi et du Travail M. Troclet demande si les grèves féminines ne contredisent pas les différents rapports présentés par la Commission de la C.E.E. sur la réalisation, notamment en Belgique, de l’égalité de rémunération. Le président de la commission sociale de l’Assemblée européenne sollicite notamment des éclaircissements sur le niveau d’égalisation à la F.N. à la veille du conflit et sur la position des parties à ce conflit.
295Dans sa réponse, la Commission de la C.E.E. rappelle les réserves qu’elle avait précédemment marquées dans différents rapports ; elle invoque l’absence de données précises sur la situation dans chacune des entreprises de la Communauté et le fait que les évaluations de la C.E.E. visent surtout l’état de réalisation globale dans chaque pays et dans les secteurs et branches les plus importants.
2962. C’est également le problème de l’information communautaire qui a fait l’objet de la préoccupation des experts gouvernementaux dans certains groupes de travail organisés dans le cadre de l’exécutif européen. Les experts français ont suggéré récemment d’entamer sérieusement l’enquête spécifique sur les salaires. Les experts belges et hollandais ont marqué leur opposition à cette voie car à leur avis, ce qu’il faut mettre en œuvre, c’est surtout le paragraphe 6 de la résolution du 30 décembre 1961 de la Conférence des Etats-membres : c’est-à-dire les enquêtes monographiques sur les conventions collectives et les méthodes de classification professionnelle en usage dans les pays-membres.
2973. Au niveau de l’Assemblée parlementaire, M. Vredeling, membre hollandais du groupe socialiste, a invoqué la grève de la F.N. pour demander une réunion extraordinaire de l’Assemblée au mois de mai 1966, afin de "discuter de la non-observation par les pays membres, sauf la France, de la Clause obligatoire depuis 1962 du Traité de Rome instituant pour les femmes un salaire égal pour un travail égal". Le même parlementaire s’était inquiété précédemment de la politique suivie par les Pays-Bas en matière de rémunération féminine [52].
298Toutefois, l’Assemblée, qui s’e t réunie, comme de droit, en session ordinaire en mai 1966, a préféré reporter la discussion sur l’article 119 à la fin du mois de juin ; en bénéficiant ainsi d’un recul suffisant qui éviterait de mettre plus particulièrement en cause un gouvernement à l’occasion d’un conflit du travail bien déterminé.
299En prévision de cette réunion, la commission sociale de l’Assemblée a déjà adopté le rapport de M. Berkhouwer (membre hollandais du groupe libéral).
300Une proposition de résolution sera présentée, qui fait appel aux gouvernements, aux parlements et aux partenaires sociaux :
- aux gouvernements des Etats-membres : afin qu’ils ne tardent plus à prendre toutes les mesures qui assurent une application intégrale du principe de l’égalité de rémunération ;
- aux parlements nationaux : pour qu’ils exercent résolument en ces matières leurs pouvoirs de contrôle sur leurs gouvernements ;
- aux partenaires sociaux : pour qu’ils aient désormais égard à l’article 119 lorsqu’ils concluent des conventions collectives et des contrats de travail individuels.
301La proposition de résolution s’adresse d’autre part à la Commission de la C.E.E. pour la prier :
- de continuer à établir annuellement un rapport sur l’état d’application de l’article 119 ;
- d’effectuer une enquête sur les classifications professionnelles ;
- de "déceler les causes qui retardent ou empêchent la réalisation de l’égalité des salaires masculins et féminins" :
- en recensant les moyens de formation et de perfectionnement professionnels de la main-d’œuvre féminine ;
- en effectuant une enquête sur l’évolution de l’emploi féminin et sur la population active féminine travaillant à temps plein et à temps partiel.
302La proposition qui sera soumise à l’Assemblée se résume donc à :
- accentuer sa pression morale sur les autorités publiques et sur les partenaires sociaux de chacun des pays membres ;
- inviter à nouveau la Commission de la C.E.E. à donner suite à la recommandation déjà faite en décembre 1961 par la Conférence des Etats-membres de procéder à un examen détaillé des classifications professionnelles en usage ;
- élargir la question de l’égalisation des salaires à l’étude de certaines des causes qui font obstacle à la participation des femmes à la promotion ouvrière.
Conclusions
303Les grèves d’ouvrières pour l’égalité de rémunération auront eu pour effet essentiel d’imposer une plus grande considération de l’importance et de l’urgence de la revendication féminine. De surcroît, à partir du point d’émergence relativement limité de l’inégalité salariale, les grèves féminines ont forcé l’attention de tous les milieux sur l’ensemble des besoins de la femme au travail ; qu’il s’agisse des équipements sociaux adéquats (crèches, garderies, etc…) ou des questions plus complexes de la formation professionnelle et de l’accès à la qualification, une mutation semble bien avoir été déclenchée.
304Au point de vue salarial, qui est du ressort des partenaires sociaux, il faudra attendre les périodes de renouvellement des conventions collectives, surtout dans les secteurs importants (et le début de l’année est assez crucial à cet égard) pour apprécier les formes et niveaux des revendications qui seront introduites par les syndicats, ainsi que les réactions patronales.
305Mais il est vraisemblable que, dès maintenant, les syndicats seront attentifs d’une part à intégrer davantage les déléguées féminines dans le fonctionnement de leurs organisations et, d’autre part, à évaluer ou à réévaluer l’importance de l’entreprise en tant que niveau de participation effective des travailleurs à l’ensemble du mouvement syndical et à l’action revendicative. Dans le progrès vers l’égalité de rémunération, l’information et l’application au niveau de l’entreprise sont en tout cas apparues comme déterminantes. Deux catégories de problèmes se sont posés aux syndicats : éprouver la valeur des classifications, éprouver la traduction qui en est faite en termes de salaires effectifs. Pour résoudre ces questions, les syndicats ont dû utiliser au mieux leurs possibilités de contrôle et de contestation non seulement au plan du secteur, mais aussi au niveau des entreprises.
306Quant à la sphère de décision des pouvoirs publics, il est peu probable que le gouvernement tente d’intervenir d’autorité dans la fixation des salaires. S’il le faisait quand même, cela signifierait qu’il s’engage dans la voie d’une politique des revenus, que les syndicats ont résolument repoussée jusqu’à présent.
307Les domaines de la décision gouvernementale pourraient se situer davantage, au cas où se dégagerait la volonté politique, dans des domaines touchant plus largement la condition de la femme au travail : certains aménagements des horaires de travail, la formation professionnelle, le développement des équipements sociaux appropriés … Sur ces deux dernières catégories de problèmes, les pouvoirs provinciaux et communaux ont également des possibilités d’action.
308Pour ce qui regarde la sphère de décision de la Communauté économique européenne, les grèves féminines ont donné une nouvelle résonance à certaines résolutions du Congrès de la F.G.T.B. de décembre 1965 affirmant la nécessité d’assurer dans les institutions européennes une représentation de toutes les tendances syndicales, y compris celles réputées communistes de France et d’Italie. Le secrétaire général de la Fédération des Métallurgistes de liège (F.G.T.B.) a rappelé publiquement ces résolutions lors de la manifestation des femmes en grève le 7 avril à Herstal. Il faut dire que la C.G.T. française avait particulièrement marqué sa solidarité avec les ouvrières grévistes de Belgique, notamment par l’envoi d’une délégation, le vote d’une résolution à la 3ème Conférence de cette organisation et une campagne d’information par la presse.
Notes
-
[1]
Cfr. art. 8.2 du Traité.
-
[2]
Cfr. art. 5 du Traité. Ces institutions sont, rappelons-le :
- dans l’ordre du pouvoir de délibération et de contrôle : l’Assemblée ? - dans l’ordre du pouvoir exécutif s le Conseil et la Commission, assistés d’un Comité économique et social, représentatif des milieux professionnels et à caractère consultatif ; - dans l’ordre du pouvoir juridictionnel : la Cour de Justice. -
[3]
La recherche des mesures pratiques d’exécution fut surtout le fait de la Commission de la C.E.E. (assistée par des experts nationaux gouvernementaux et aidée à certaines occasions par des représentants des organisations nationales patronales et syndicales) ; le Conseil des Ministres, la Commission sociale de l’Assemblée et le Comité économique et social furent également attentifs à la mise en service de l’article 119.
-
[4]
Rapport de la Commission au Conseil sur l’état d’application au 31 décembre 1964 de l’article 119 C.E.E. et de la résolution adoptée par la Conférence des Etats-membres le 30 décembre 1961.
-
[5]
Rapport cité, pp. 76-77.
-
[6]
Pour les études statistiques, la C.E.E. dispose d’un organisme de cette nature : l’Office statistique des communautés européennes (O.S.C.).
-
[7]
Ce bilan a été complété par des rapports nationaux sur l’évolution de la question depuis le 1er janvier 1965 jusqu’en mars 1966. Il s’agit de rapports établis en commun, au niveau national, par les gouvernements et les partenaires sociaux. La décision d’établir ces rapports avait été prise au cours d’une réunion organisée à la mi-mars 1966 par la Commission de la C.E.E. avec les experts gouvernementaux et des partenaires sociaux.
-
[8]
Ceci n’exclut pas la possibilité d’"accords nationaux interprofessionnels" qui constituent, soit des recommandations générales, soit des engagements un peu plus poussés, du type "programmation sociale" ; mais ils nécessitent pour leur mise en œuvre soit des mesures législatives ou réglementaires, soit des conventions collectives professionnelles (nationales, régionales ou d’entreprise). A noter qu’aucun accord national interprofessionnel n’a jamais porté sur la réalisation de l’égalité de rémunération, ce qui s’explique par le fait que le problème se pose diversement selon les secteurs professionels et les entreprises, et surtout par le fait même que ces accords netraitent que rarement de la rémunération directe des travailleurs.
-
[9]
Cette pratique n’a pas un caractère absolu. C’est ainsi que dans l’industrie textile, qui occupe beaucoup de femmes, les salaires effectifs sont fixés par des conventions collectives professionnelles nationales.
-
[10]
et de la Convention n° 100 de l’Organisation Internationale du Travail (1951) relative, elle aussi, à l’égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale.
-
[11]
Elle est, en fait, la transposition d’un système de classification en usage dans l’industrie allemande du métal. Un aperçu de la classification Fabrimétal a été publié dans le bulletin hebdomadaire de cette organisation patronale, n° 1034 du 11 juin 1966, pp. 405-411.
-
[12]
Voir en ce sens le document Fabrimétal : "Application de l’article 119 du Traité de Rome et Convention portant barème unique des salaires minima dans l’industrie des fabrications métalliques". (Bruxelles, 1er décembre 1965, p. 3).
-
[13]
Une "Commission technique paritaire" dont l’existence était déjà prévue au plan national, par la convention collective du 26.12.62, mais qui pratiquement n’avait pas fonctionné pendant la durée de cette convention, est néanmoins chargée par le nouvel accord "de compléter le catalogue d’exemples par des métiers exercés dans certains secteurs qui n’y sont pas encore suffisamment représentés" et d’"étudier les perfectionnements techniques qui, sur base de l’expérience acquise, pourraient être apportés à la méthode de classification du travail dans l’industrie des fabrications métalliques". Ainsi, avant la fin de l’année 1967, les représentants patronaux et syndicaux auront à confronter leurs vues sur plusieurs aspects de la méthode de classification (notamment la pondération des facteurs pris en considération pour le classement, ainsi que l’attribution des points déterminant les catégories salariales).
-
[14]
Pour les salaires minimums des classes II et III, le taux devait atteindre à cette date 93,4 et 96,7 %.
-
[15]
conventionnel, c’est-à-dire établi par convention collective.
-
[16]
Voir à ce sujet les conclusions dégagées par V. Feaux, à la suite de son enquête dans le milieu des délégués syndicaux d’entreprise de la construction métallique.
V. Feaux, le délégué syndical de la métallurgie, dans Revue de l’Institut de Sociologie, 1965-4, pp. 685-716. -
[17]
Voir Feaux, art. cit.
-
[18]
Voir les exposés faits sur la question au cours de la semaine d’études organisée par la F.G.T.B. à Zeezicht-Mariakerke, 20-24 septembre 1965. Voir aussi les résultats d’une enquête menée par Melle C. Bouhy en milieu d’ouvrières : "Dans le cadre de la fédération liégeoise des syndicats chrétiens, la travailleuse métallurgiste et la syndicalisation", Ecole provinciale de service social, Liège 1964
-
[19]
Préambule de l’accord.
-
[20]
Augmentations salariales, rétablissement de l’indexation automatique des salaires, réduction de la durée du travail, indemnités de "sécurité d’existence" en cas de chômage.
-
[21]
Ces conditions ne sont pas imposées lorsque l’employeur est manifestement responsable du conflit, soit parce qu’il n’applique pas une convention collective nationale, régionale ou d’entreprise, soit parce qu’il ne respecte pas la procédure de conciliation à propos d’un litige. Dans ces cas, il n’y a pas manquement syndical à l’accord du 7 janvier 1965.
-
[22]
De droit, c’est le président de la commission paritaire nationale.
-
[23]
Le ressort de chaque comité régional de conciliation est celui de la commission paritaire régionale correspondante ; le pays est divisé en 5 régions : Bruxelles et province du Brabant, province d’Anvers, provinces de Flandre occidentale et de Flandre orientale, province de Hainaut, province de Liège.
-
[24]
Du côté de la Centrale Chrétienne des Métallurgistes (C.C.M.B.), la dénonciation faisait suite à la décision prise en ce sens par le Conseil National des militantes de cette Centrale, les 3 et 4 juin 1965.
-
[25]
C’est ainsi qu’après la semaine d’études des problèmes féminins organisée par la F.G.T.B. à Zeezicht-Mariakerke du 20 au 24 septembre 1965, une commission féminine, composée de huit travailleuses est constituée dans le cadre de l’action syndicale des métallurgistes F.G.T.B. à la F.N. Ceci représenta un facteur important dans la prise de conscience des ouvrières de l’entreprise.
-
[26]
Durant toute la négociation, les propositions patronales successives sont examinées au sein de chaque centrale syndicale selon la procédure suivante : avis d’une commission technique mixte (hommes et femmes) pour les problèmes féminins, décision du comité exécutif de la centrale.
-
[27]
Syndicats, 5 février 1966, p. 7.
-
[28]
2.500 ouvrières sont présentes à cette assemblée.
-
[29]
Syndicats, 26 février 1966, p. 7 ; Au Travail, 26 février 1966, p. 2.
-
[30]
Au Travail, 26 février 1966, p. 2.
-
[31]
Syndicats, 5 mars 1960, p. 4.
-
[32]
Le recrutement des "ouvrières-machines" est cependant plus sévère que celui des manœuvres hommes : ces ouvrières sont sélectionnées sur base de tests préalables ; les manœuvres hommes ne sont pas soumis à une épreuve de sélection.
-
[33]
La Wallonie, 22 février 1966.
-
[34]
La Wallonie, 1er mars 1966.
-
[35]
Quatre augmentations successives de 0,75 F. aux 1er janvier 1966, 1er avril 1966, 1er janvier 1967 et 1er juillet 1967 ; limitation de ces augmentations à 0,25 F. pour les salaires féminins égaux ou supérieurs à 40 F. (travaux lourds ou dangereux).
-
[36]
A noter qu’avant l’assemblée, le M.P.W. avait fait distribuer en rue des tracts réclamant le fédéralisme.
-
[37]
La Cité, 10 mars 1966.
-
[38]
Le bureau de l’assemblée est constitué, outre M. R. Gillon, par les délégués syndicaux d’entreprise ; l’un de ces derniers préside.
-
[39]
Cette formulation des revendications en termes de moyenne commune aux 4 sièges n’est pas traditionnelle aux ACEC.
-
[40]
On se retrouve donc pratiquement devant les signataires de l’accord national.
-
[41]
A noter toutefois qu’à Charleroi, le vote prévu pour le 21 mars dut être reporté au 22 mars en raison de la confusion de l’assemblée
-
[42]
Ce même jour, une trentaine d’ouvriers du département "peinture" des ACEC de Herstal partent en grève, sans attendre l’expiration d’un préavis de grève déposé le 25 mars, ce qui entraîne le chômage d’une nonantaine d’ouvriers. A cette dernière date une conciliation au plan de l’entreprise portait sur un conflit de classification et de salaires touchant les ouvriers des départements "expédition" et "peinture". Une solution satisfaisante était trouvée pour le premier de ces départements, mais non pour le second. La grève du département "peinture" distincte de la grève des femmes, mais influencée par le climat de celle-ci, durera jusqu’au 31 mai.
-
[43]
La Voix du Peuple, édition du Parti Communiste Wallon, 22 avril 1966.
-
[44]
Il faut encore citer l’appui de la Ligue nationale des coopératrices, de la Fédération belge des femmes diplômées d’Université, du Mouvement ouvrier chrétien de Solidarité juive…. De l’étranger sont parvenus des témoignages notamment du Mouvement démocratique féminin (Paris), de la Fédération démocratique internationale des femmes (Berlin).
-
[45]
Il s’agit du P.C. tendance Moscou, Le P.C., tendance Pékin, ne possède pas d’élu au Parlement.
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[46]
C’est le 31 mars que réuni sous la présidence de M. Larock et sur rapport de Mme Copée, le groupe socialiste de la Chambre avait décidé cette interpellation, en même temps qu’il saluait les travailleuses en grève et souhaitait pour elles la conclusion d’un accord équitable.
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[47]
M. Magnée fait partie de la "Démocratie chrétienne liégeoise".
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[48]
Il faut noter que les grèves féminines ont commencé à un moment où le Gouvernement Harmel-Spinoy P.S.C./P.S.B., qui avait présenté sa démission, était chargé de l’expédition des affaires courantes et se sont poursuivies sous le gouvernement P.S.C.-P.L.P. Van den Boeynants-De Clercq. Mais M. Servais (P.S.C.) est resté titulaire du Ministère de l’Emploi et du Travail sous les deux gouvernements.
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[49]
Le problème de l’égalité de rémunération fut encore évoqué à la Chambre le 6 avril par MM. Nijfels (P.S.B.) et Glineur (P.C.) dans la discussion du budget du Ministère de l’Emploi et du Travail.
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[50]
M. Leemans est membre du Parlement européen.
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[51]
Nous avons dit d’autre part que le Comité "A travail égal, salaire égal" avait adressé une petition aux Chambres législatives en faveur d’une initiative parlementaire.
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[52]
Voir notamment question écrite n° 104 à la Commission de la C.E.E. (mars 1966).