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Article de revue

Évolution et disparition d'un hebdomadaire d'opinion : le cas "De Linie"

Pages 1 à 29

Notes

  • [1]
    De Maand, mars 1964, p. 165.
  • [2]
    Voir l’article de l’hebdomadaire Pan, dans son numéro du 3 mars 1964.
  • [3]
    La Cité, 22 février 1964.
  • [4]
    C’est en 1954 que l’hebdomadaire, intitulé jusqu’alors De Vlaamse Linie, prit le titre de De Linie.
  • [5]
    De Linie, 20 août 1954.
  • [6]
    De Linie, 4 mars 1955.
  • [7]
    De Linie, 8 avril 1955.
  • [8]
    "Les armes, la guerre, la violence n’ont jamais rien réglé" ;
    (23 avril 1954)
    "Il faut rechercher la paix par tous les moyens".
    (24 mai 1954)
  • [9]
    21 avril 1950.
  • [10]
    ibid., souligné par nous.
  • [11]
    voir, par exemple, les numéros du 26 juin 1949 et du 10 mars 1950.
  • [12]
    4 août 1950.
  • [13]
    13 janvier 1961.
  • [14]
    20 août 1954.
  • [15]
    4 février 1955.
  • [16]
    18 mars 1955.
  • [17]
    10 septembre 1954 et 4 février 1955.
  • [18]
    18 février 1955 et 1er avril 1955.
  • [19]
    3 septembre 1954 et 1er avril 1955.
  • [20]
    1er avril 1955 et 8 avril 1955.
  • [21]
    18 janvier 1955.
  • [22]
    17 juin 1955.
  • [23]
    23 avril 1958.
  • [24]
    24 juin 1949.
  • [25]
    1er juillet 1949.
  • [26]
    26 février 1954 et 2 avril 1954.
  • [27]
    25 avril 1958 et 23 mai 1958.
  • [28]
    30 mai 1958.
  • [29]
    13 janvier 1961.
  • [30]
    23 avril 1961.
  • [31]
    26 juin 1949.
  • [32]
    12 mai 1950 et 9 juin 1950.
  • [33]
    9 avril 1954.
  • [34]
    11 juin 1954.
  • [35]
    1er avril 1955.
  • [36]
    6 juin 1958.
  • [37]
    13 janvier 1961 et 10 mars 1961.
  • [38]
    30 décembre 1960.
  • [39]
    13 janvier 1961.
  • [40]
    Il s’agit de Lode Bostoen, actuellement journaliste au Standaard.
  • [41]
    9 janvier 1959.
  • [42]
    5 février 1960.
  • [43]
    19 février 1960.
  • [44]
    8 juillet 1960.
  • [45]
    15 juillet 1960.
  • [46]
    26 août 1960.
  • [47]
    Nous avons nous-mêmes relevé des attaques très fréquentes et véhémentes, sous la forme d’articles et de dessins, dirigées contre la franc-maçonnerie.
  • [48]
    voir le numéro du 18 juin 1949.
  • [49]
    9 avril 1954.
  • [50]
    Déjà, le 30 novembre 1962, l’hebdomadaire avait publié, en 1ère page, un long poème d’Evtouchenko : "Les héritiers de Staline".
  • [51]
    Par ailleurs, De Linie a consacré plusieurs articles à ce problème. Le "pour" et le "contre" y sont présentés, sans que la rédaction ne tranche le débat.
  • [52]
    14 février 1964.
  • [53]
    Lors de la manifestation flamande à Anvers de novembre 1963, M. Grammens se réjouira de ce que le mouvement flamand abandonne son "nationalisme d’antan". (15 novembre 1963)
  • [54]
    Il est utile de préciser que M. Grammens a régulièrement collaboré à la revue Socialisme (chronique des livres).
  • [55]
    L’article de Mark Grammens à ce sujet défendait la thèse suivante : S’il faut une Université catholique, elle devrait être divisée en deux sections linguistiques. La première partie de cette proposition fit l’objet d’une censure.
  • [56]
    Il lui arrivera d’attaquer le capitalisme en tant que tel (voir ses articles du 31 janvier 1964 et du 7 février 1964).
  • [57]
    Dans le numéro de De Nieuwe du 1er mai 1964, M. Verrept, traitant de la "radicalisation" du mouvement flamand, lui attribue, dans sa forme nouvelle, l’étiquette de "social-flamingantisme".
  • [58]
    Les attaques de De Linie dirigées contre Bruxelles et sa "bourgeoisie francophone" apparaissent comme une des constantes du journal, y compris, et peut-être surtout, dans sa "dernière version".

I – Introduction

1Le 28 mars dernier, l’hebdomadaire flamand De Linie publiait son dernier numéro et mettait ainsi fin à une existence de quinze ans. Cet évènement n’aurait pu concerner que la presse en Belgique, mais les circonstances qui ont entouré cette disparition ont fait de celle-ci un phénomène plus spécifiquement politique. De Linie était en effet une publication des jésuites flamands et c’est une décision de l’Ordre qui a mis fin à son existence. D’autre part, l’évolution suivie depuis quelques années par l’hebdomadaire - tant sur le plan religieux que sur le plan économico-social et politique - n’est pas étrangère à sa disparition. Cette circonstance renforce l’intérêt politique que présente le problème soulevé par la fin de De Linie. Il n’est pas interdit, par ailleurs, de voir dans les changements idéologiques qui y apparaissaient le reflet de ce que la revue De Maand appelait la "radicalisation flamande" [1].

2Cette étude a donc pour objet de voir dans quelles conditions a été prise la décision qui a mis un terme à la parution de l’hebdomadaire flamand. Elle cherche également à esquisser l’évolution que De Linie avait suivie depuis sa fondation, tout en accordant le primat à son contenu politique plutôt qu’à son aspect religieux.

II – Les circonstances de la disparition de "De Linie"

3C’est dans son numéro du 21 février que la Gazet van Antwerpen annonçait que De Linie cesserait de paraître à la fin du mois de mars. Le journal anversois avait lui-même tiré du quotidien hollandais Volkskrant cette information, obtenue à Rome, à la suite d’une "fuite".

4Avant cela, il n’avait pas été question ni de "sanction" contre l’hebdomadaire flamand, ni même de difficulté qui se serait produite au sein de sa rédaction ou qui aurait été suscitée par ses prises de position en matière politique ou religieuse. Le personnel même de De Linie ne reçut la communication annonçant la fin du journal que le 25 février. A la suite de l’information parue dans la Gazet van Antwerpen, on s’était borné à lui faire savoir qu’il serait bientôt mis au courant de la situation.

5Dès le 22 février, La Libre Belgique affirmait que la "vraie raison" de la disparition de De Linie résidait dans les difficultés financières que le journal aurait rencontrées. Le quotidien bruxellois affirmait que De Linie souffrait d’une "maladie de langueur, d’une sorte de crise d’inanition devant une caisse vide". D’autres journaux avancèrent la même hypothèse, se contentant le plus souvent de la citer comme une des raisons possibles qui motivaient la fin de De Linie. Par contre, on mettait ailleurs ouvertement en doute la valeur de cette explication. La Gazet van Antwerpen, qui fut un des rares journaux catholiques à s’élever contre la décision d’arrêter la publication du journal, déclarait (le 26.2) que la situation financière de De Linie s’était récemment améliorée. En réalité, depuis le milieu de l’année 1963, le nombre d’abonnés du journal aurait augmenté de 50 %, tandis que la vente au numéro avait légèrement baissé. Dans l’ensemble, le tirage avait augmenté de quelque mille exemplaires et atteignait le chiffre de 9.000.

6Quoi qu’il en soit, l’ensemble des réactions de la presse et de certaines organisations flamandes s’accorda rapidement pour présenter l’affaire comme dépassant singulièrement l’aspect financier et pour expliquer la fin de De Linie par les attitudes que l’hebdomadaire avait adoptées, tant en matière religieuse que politique. A cet égard, on mettait en cause son "extrémisme flamand", son "radicalisme", ses prises de position en faveur du fédéralisme. D’autre part, de divers côtés, on demandait à la rédaction de De Linie de s’expliquer ouvertement sur les motifs de sa disparition.

7Le 28 février paraissait dans De Linie une "communication aux lecteurs". Cette communication, signée par la direction, affirmait qu’il "était de son droit et de son devoir de ne pas se prononcer au sujet des rumeurs, des informations et des commentaires" qui circulaient à propos de la disparition de l’hebdomadaire. Cette disparition était évidemment confirmée et la seule explication offerte était la suivante : "Depuis notre création, nous nous sommes à maintes reprises posé la question de savoir si les fruits de notre travail étaient proportionnés à nos efforts. Un examen attentif du problème nous amène aujourd’hui à conclure par la négative. C’est pourquoi nous cesseront de paraître à Pâques".

8Cette déclaration était accompagnée d’un dessin peut-être plus explicite : il montrait un arbre portant l’inscription De Linie et qui, déraciné, s’abattait sur la queue d’un lion dont on pouvait se demander s’il s’agissait du lion flamand ou du lion belge.

9Telles sont, très largement brossées, les données qui ont été fournies sur une décision - tout le monde insista sur ce point - qui fut prise à Rome même, par le Général de l’Ordre des Jésuites.

10En fait, de graves difficultés avaient surgi, dès l’année 1962, au sein de la rédaction du journal. Certes, antérieurement déjà, des frictions s’étaient produites. Mais celles auxquelles nous ferons allusion sont en rapport direct avec la décision ultime et avec la fin de De Linie. Ces difficultés mirent surtout aux prises le rédacteur-en-chef de l’époque, le Père Vandenbussche, au principal chroniqueur politique, Mark Grammens, qui entra au journal au début de l’année 1962. Il semble d’ailleurs que, dans une équipe comprenant six personnes (trois laïcs et trois pères jésuites), le Père Vandenbussche ait été isolé. C’est ainsi que lorsqu’il fut amené, en 1962, à vouloir se séparer de M. Grammens, tous les membres de l’équipe rédactionnelle firent comprendre que ce départ entraînerait le départ collectif des autres membres de la rédaction.

11Ce fut dans ces circonstances qu’en septembre 1962, le P. Van Bladel, S.J., prit le poste de rédacteur-en-chef, remplaçant ainsi le P. Vandenbussche, qui demeura cependant à la direction de De Linie et publia encore des articles. Cette solution ne mit pas fin aux difficultés. La différence d’optique entre les points de vue du P. Vandenbussche et ceux des autres membres de la rédaction - et en particulier de M. Grammens - ressort de l’analyse que nous avons entreprise de l’évolution du journal et explique ces heurts. Quelques mois à peine avant la disparition de De Linie, à la fin de l’année 1963, M. Grammens fut même amené à interrompre pendant quelques semaines sa collaboration à l’hebdomadaire, à la suite de la publication d’un article jugé trop critique à l’égard du P.S.C. Nous en étudierons plus loin la substance.

12Certes, la fin d’un journal d’opinion de l’importance, et surtout de la qualité de De Linie constitue un évènement qui dépasse le cadre religieux, même si la décision en cause fut le fait d’une autorité ecclésiastique. Un point, en tous cas, doit être souligné : ce fut la direction des Jésuites, installée à Rome, qui prit la responsabilité d’arrêter la publication du journal. Exprimée en termes très généraux, cette décision s’expliquait de la manière suivante : l’Ordre ne pouvait plus prendre la responsabilité de paraître soutenir la tendance exprimée par l’hebdomadaire, tant sur le plan religieux que sur le plan politique. Il apparaît d’ailleurs que les considérations religieuses pesèrent encore d’un poids plus grand que les considérations politiques. C’est néanmoins sur ce dernier aspect du problème que portera notre analyse. Cette orientation de notre étude, compte tenu des données que nous venons de préciser, en marque encore les limites.

13Ceci étant, la décision de la direction des Jésuites fut précédées d’interventions qui, sans mettre en cause la responsabilité ultime de la hiérarchie de l’Ordre, n’en éclairent pas moins les rétroactes de cette affaire.

14Ainsi, le fait que De Linie ait pris ses distances de plus en plus nettement à l’égard du P.S.C. a dû influencer le jugement de personnalités politiques catholiques. D’autant plus que, comme nous le verrons, l’attitude du journal s’est faite franchement critique à l’égard du Parti Social-Chrétien, à partir des accords de Val-Duchesse. Que ces personnalités aient exprimé leur jugement quant à l’orientation prise par l’hebdomadaire, auprès d’autorités ecclésiastiques, voilà qui est certain. Il a souvent été fait mention de "pressions" exercées sur la direction de l’Ordre [2], mais la limite entre l’expression d’une "opinion" et l’exercice d’une "pression" n’est pas nette et dépend parfois de l’autorité morale ou politique de la personne qui s’en trouve à l’origine.

15Mais, nous l’avons indiqué, ce ne sont pas les positions politiques adoptées par De Linie qui étaient en cause. La critique ouverte dirigée, dès son premier éditorial, par le Père Van Bladel contre Mgr Daem, évêque d’Anvers, bien que non dépourvue d’aspects politiques, doit être versée au "dossier religieux" de De Linie. De même, le fait que la rédaction du journal se soit adressée, au cours des derniers mois de son existence, au conseiller des évêques hollandais auprès du Concile, plutôt qu’à Mgr Philips, qui exerce ce même rôle auprès des Pères conciliaires belges, n’a sans doute pas été sans influencer les dispositions d’esprit à l’égard de De Linie. Or, les deux prélats que nous venons de citer ont fait partie de la conférence des évêques belges qui a été amenée, à deux reprises sans doute, à s’occuper du cas De Linie.

16On aurait tort, toutefois, d’attacher ici une importance excessive aux questions de personnes. Nous montrerons, en effet, mais très schématiquement, que l’évolution de De Linie en des matières qui touchent tout à la fois la religion et la politique (comme l’enseignement confessionnel et l’existence d’un parti d’inspiration chrétienne), déboucha sur des prises de position peu traditionnelles et propres sans doute, à alimenter les controverses. C’est alors qu’on affirma, pour reprendre les termes de La Cité, que le journal prenait des "positions extrêmement en flèche et peu compatibles, en définitive, avec le caractère qu’on était en droit d’attendre d’une publication rédigée par des ecclésiastiques" [3]. Certes, il n’a pas fallu attendre 1963 pour voir De Linie descendre dans l’arène politique armée d’un véritable esprit de combat. Nous montrerons les positions extrêmement accusées et exprimées, au surplus, en des termes parfois très tranchants, que De Linie avait adoptées, pendant la première partie de son existence pour défendre des opinions que sa rédaction qualifiait elle-même de droite.

17L’essentiel ne pout être estimé qu’en fonction des transformations idéologiques qu’avait subies le journal au cours des dernières années. C’est pourquoi la plus grande partie de cette étude s’emploie à caractériser ces changements. Ceux-ci ont plus qu’une valeur historique. On sait, en effet, que l’élément laïc qui faisait partie de la rédaction de De Linie a, en un minimum de temps, lancé un nouvel hebdomadaire, De Nieuwe, qui se présente, à certains égards, comme l’héritier de De Linie, dans le "cours nouveau" qu’il avait adopté. A ce titre, l’étude qui suit éclaire un aspect toujours actuel, tant de la presse d’opinion en Belgique que du mouvement flamand dans sa phase présente.

III – L’évolution de "De Linie"

A – De 1948 à 1962

18Il va de soi qu’il est impossible, dans le cadre de cette étude, de suivre systématiquement cette évolution depuis la fondation de l’hebdomadaire en 1948. A défaut de pouvoir entreprendre un tel relevé, nous nous sommes contentés, pour la période qui va de 1948 à 1962 (année qui coïncide avec le tournant pris par De Linie), d’examiner l’attitude prise par le journal face à quelques problèmes-tests.

19Il convient cependant de noter de quelle façon se présenta De Vlaamse Linie[4], lors de la parution de son premier numéro, le 1er octobre 1948. Il est significatif qu’il portait, en première page, un emblème religieux accompagné d’une devise : "Voor Outer en Heerd" ("Pour l’autel et le foyer"), reprise à la révolte dirigée par les paysans limbourgeois contre la Révolution française. Le journal publiait également en première page une photo montrant le nonce apostolique bénissant les presses sur lesquelles il allait être imprimé.

20Quant aux principes proclamés par la rédaction, ces quelques passages en soulignent, dès l’abord, l’orientation religieuse et traditionnaliste : "Nous sommes pour le peuple : c’est-à-dire pour les hommes qui travaillent, qui pleurent leurs morts, attendent leur Roi, prient dans leurs églises …, qui partent en mission, colonisent et émigrent… En un mot, le peuple sain et total, tel que Dieu l’a créé". Par ailleurs, en précisait que "le but de De Vlaamse Linie est de chanter la gloire de la foi et d’adopter comme critère de tout ce qui est humain les principes divins". On ajoutait cependant que "la lutte pour la foi est liée à la lutte pour la culture, et, en particulier, pour la culture flamande".

21L’orientation nettement catholique était d’ailleurs conforme aux statuts de la fondation "De Vlaamse Linie", tels qu’ils figurent aux Annexes du Moniteur du 29 mai 1948. On y lit notamment : "La fondation se fixe pour but de guider, à la lumière de la doctrine catholique, l’appréciation des évènements et des courants actuels, et ce, entre autres, par la publication d’un hebdomadaire et, éventuellement, par le soutien et l’encouragement de publications analogues à l’étranger". Par ailleurs, parmi les onze membres du Conseil d’Administration cités au Moniteur, sept étaient des ecclésiastiques, tous appartenant à l’Ordre des Jésuites.

22A partir de cette base doctrinale, comment De Linie réagit-il devant quelques-uns des grands problèmes politiques de l’après-guerre ?

1 – La politique étrangère : le problème du communisme

23Dès son premier numéro, De Linie manifeste un anti-communisme intégral s’exprimant d’emblée par l’assimilation du communisme au nazisme. L’hebdomadaire consacrera une place importante à cet aspect de son idéologie et s’opposera, par exemple, à la notion de "coexistence pacifique". Ce problème fera l’objet en 1954 d’une série d’articles signé G. Boutsen de l’Ordre des Frères mineurs. La coexistence pacifique y est présentée comme un "principe absurde" auquel il faut préférer le suivant : "Bien plutôt la guerre sans le communisme que le communisme sans la guerre", ce qui impliquerait une lutte énergique contre toutes les formes ouvertes ou non de pacifisme, la défense inconditionnelle du "moral de l’armée" et une mise en garde contre "tous les groupements populaires non-communistes mais néanmoins marxistes ou de gauche". Le devoir des Occidentaux, d’après G. Boutsen, est de délimiter une "ligne stratégique" telle, que si elle se trouvait dépassée par les troupes communistes, "une réponse immédiate et impitoyable" serait indispensable [5].

24Notons également que l’on trouve en 1955 une approbation circonstanciée de la politique d’"apartheid" dans son principe, sinon dans les modalités qu’elle emprunte en Afrique du Sud [6]. En 1960, le journal prendra davantage ses distances vis-à-vis de la politique sud-africaine qui représente tout à la fois une "oppression" et une "cause perdue", tout en approuvant une "séparation territoriale" entre populations blanches et de couleur [7].

25Il convient toutefois d’être prudent dans le jugement que l’on porte sur les réactions de De Linie en matière de politique étrangère. Les points de vue développés à cet égard par l’hebdomadaire flamand ne sont pas parfaitement homogènes. Par rapport à l’anticommunisme total qui donne, en général, le ton, des articles manifestent des écarts parfois importants. Les jugements portés sur la guerre d’Indochine et sur celle d’Algérie, par exemple, en portent témoignage. D’autre part, les chroniques de G. Westerhuyzen, rédacteur de politique étrangère en 1954, révèlent des tendances favorables à une négociation avec le camp communiste et même à un certain pacifisme de principe [8].

26Il va de soi qu’en ce domaine, la latitude laissée par la direction d’un journal à sa rédaction est plus large qu’en ce qui concerne les principaux problèmes de politique intérieure où l’homogénéité des points de vue est plus grande. Nous verrons d’ailleurs que, dans "l’affaire congolaise", De Linie affirma des opinions que l’on peut globalement qualifier d’"anti-colonialistes".

2 – La "question royale"

27Dans la "question royale", De Linie eut des réactions totalement dénuées d’ambiguïté et adopta, tout au long de l’affaire, des positions et un style de combat. Le soutien de la cause de Léopold III est entier et ardent. La cause paraît d’ailleurs, dans l’esprit de De Linie, dépasser la personne du souverain. C’est une question de moralité et une question de régime politique. Ainsi, l’éditorial du 10 mars 1950 proclame que "la crise politique de 1945-1950.. est le fruit … de la décadence foncière de notre politique des partis qui a commencé avant la guerre et la manifestation ouverte d’une corruption depuis toujours latente". Dans un même ordre d’idées, l’hebdomadaire se prononce contre la "dictature des partis" [9] et présente ainsi les objectifs de sa campagne : "Nous voulons en premier lieu une solution saine et définitive de la question royale et, liée directement à la première, la solution du problème scolaire et du drame de la répression… Notre intérêt à tous exige l’élimination des éléments de gauche de la direction du pays" [10].

28D’autre part, on donne plusieurs fois à entendre que le fond de l’affaire est le résultat des manœuvres et des ambitions des communistes [11].

29Tout au long de la phase finale de la "question royale", le journal prône une politique "dure" : "L’heure des compromis est maintenant passée", affirme-t-il le 17 mars 1950 ; "Un compromis satisfaisant pour les deux parties est impossible", répète-t-il le 21 avril, tout en regrettant la proposition faite par le Roi Léopold de déléguer temporairement ses pouvoirs au prince héritier, pour "mettre fin à cette délégation avec l’accord du gouvernement" au moment où (il l’estimera) … conforme à l’intérêt du pays".

30Mais les positions de De Linie ne peuvent être appréciées pleinement qu’en tenant compte du style par lequel elles se traduisent. Les attaques contre Léopold III y sont qualifiées de "crime" (24 juin 1949) ; les adversaires du monarque sont présentés comme des "politiciens sans honneur ni conscience" (31 mars 1950), comme des "politiciens sans principes" (10 mars 1950), leur campagne, faite "d’hypocrisie et de mensonge" (24 février 1950) révèle en général une "stupidité démentielle" (10 mars 1950).

31Enfin, les réactions de l’hebdomadaire après l’épilogue de l’affaire, en août 1950, valent d’être mentionnées : "La lourde défaite" que viennent de subir les Flamands ("Les Flamands et pas seulement les flamingants" déclare le journal) ne peut plus se reproduire. Pour éviter qu’elle se renouvelle, il faut, non créer un nouveau parti flamand, "mais réorganiser le P.S.C.". La direction ne peut plus en être confiée "à des gentlemen respectés par nos adversaires, ni à des économistes avertis …, mais à des hommes modernes, pleins de caractère, politiquement formés, aussi capables de manier les masses populaires que d’exercer le pouvoir étatique". Quant à la nouvelle organisation, elle doit se baser sur des "comités d’action et des noyaux" dont tous les membres doivent être formés dans des écoles spéciales. "On peut se demander" s’interroge finalement l’éditorialiste, "si nous aussi nous devons devenir un parti totalitaire". S’il semble tout d’abord pencher pour une réponse négative, il ajoute cependant tout aussitôt : "Mais peut-on … espérer triompher d’adversaires, prêts à recourir à tous les moyens, sans en faire autant ? Ne faut-il pas combattre le feu par le feu ?" [12].

32L’amertume suscitée par l’issue de la "question royale" ne se dissipera pas rapidement. Plus de dix ans après sa conclusion, le rédacteur-en-chef de De Linie reprochera au P.S.C. d’avoir "péniblement perdu le Roi à un jeu hypocrite" ("smartelijk en scheinheilig verspeeld de Koning") [13].

3 – La lutte scolaire

33L’attitude de De Linie dans la "lutte scolaire" que connut la Belgique en 1954 et 1955, révèle les mêmes traits que celle que le journal adopta dans la "question royale" : même affirmation de principes identifiés avec un bien absolu, même intransigeance et même style de combat.

34Dès juillet 1954, le journal attaque sur un double front : celui des projets du Ministre Collard et celui de la politique que mène le Ministre Buisseret au Congo. Ainsi, le 6 août 1954, l’hebdomadaire s’oppose à l’introduction d’un enseignement "neutre" dans la Colonie : "Avant tout", proclame-t-il, "il faut respecter l’indigène et l’enseignement neutre ne le respecte pas". Et au cours du même mois, il invite à s’opposer aux projets Collard "avec la dernière énergie."

35Sur le fond même de l’affaire, De Linie considère que le gouvernement s’en prend aux droits des parents chrétiens et accroît la discrimination entre ceux-ci, d’une part, et ceux qui envoient leurs enfants dans l’enseignement officiel de l’autre. [14]. Mais, pour De Linie, "les projets de réforme du Ministre Collard dépassent, et de loin, le cadre politique. Ils s’attaquent aux parents, dans des devoirs et des droits enracinés dans la nature des choses. Les politiciens de gauche peuvent nous traiter de cléricaux s’ils le veulent, mais ils ne peuvent nous déclarer déchus de nos droits naturels" [15].

36Même intransigeance que dans l’affaire royale : en mars 1955, reconnaissant que le gouvernement vient d’atténuer la portée de ses projets scolaires et d’opérer une "retraite stratégique", l’éditorialiste de De Linie demande que la lutte ne perde rien de son énergie [16]. L’hebdomadaire flamand estime, par ailleurs, que le P.S.C. devrait bloquer le mécanisme de la révision constitutionnelle et défaire entièrement ce qui aura été fait dès qu’il reviendra au pouvoir [17].

37Mais une fois encore, c’est le ton adopté qui mérite d’être relevé comme particulièrement significatif de la "philosophie" du journal. Celui-ci dénonce les "calomnies répugnantes de la presse de gauche" et, par la plume de son rédacteur-en-chef, E.J. Vandenbussche, S.J., les "scandaleux mensonges du gouvernement" [18]. Les adversaires sont décrits tantôt comme les "fascistes libéraux et socialistes", tantôt comme les "dictateurs rouges et bleus" [19], tandis que M. Vermeylen devient "Peter Augustovitch" et M. Buset "le duce Buset" [20]. De telles prises de position ne se comprennent naturellement qu’à la faveur des passions que souleva l’affaire scolaire et de la conviction exprimée ainsi par De Linie : "la situation que nous connaissons commence à présenter de fatales analogies avec celles que nous avons subies sous l’occupation". Et, une fois encore, le problème scolaire est lié, en termes particulièrement incisifs, à celui de la communauté flamande : "Les socialistes veulent utiliser leur force pour occuper la Flandre. Nous résisterons" [21].

38Lorsque le projet sera voté à la Chambre, l’article qui commente l’évènement est intitulé : "Le crime" et accompagné de la liste des parlementaires qui "ont trahi la Flandre" [22].

39Il va de soi que les marches qu’organisa le "Comité de Défense des Libertés Démocratiques" (C.D.L.D.) et, particulièrement, celle qui se déroula à Bruxelles le 26 mars 1955, bénéficièrent d’un appui total de la part de De Linie.

40Enfin, à la veille des élections législatives de 1958, le journal publiera une carte du pays flamand, indiquant, par arrondissement, le nom des parlementaires ayant voté la "loi Collard" [23]. Nous verrons plus loin que les modalités du Pacte scolaire n’ont pas été jugées satisfaisantes par De Linie.

4 – L’attitude envers le P.S.C.

41Etant donné les conditions dans lesquelles se déroulèrent les luttes que nous venons d’évoquer, De Linie ne pouvait que soutenir les campagnes électorales du P.S.C. Ce soutien fut particulièrement net lors des élections de juin 1949. C’est aussi l’unité de l’électorat catholique flamand que défend le journal, en affirmant que "la majorité absolue du P.S.C. sera un don précieux que les électeurs offriront à la Flandre" [24] et au lendemain de la consultation, il regrettera que des listes de "concentration flamande" aient nui au P.S.C. [25]. De même, peu avant les élections législatives de 1954, A. Vanhaverbeke critiquera, dans les colonnes du journal, les listes flamandes séparées et le P. Vandenbussche présentera l’épreuve électorale comme un affrontement entre la gauche et la droite, se rangeant expressément, quant à lui, dans ce dernier courant [26].

42Même choix entre la "gauche" et la "droite" lors des élections de 1958, ceci accompagné d’une vive critique du gouvernement Van Acker pour sa politique en matière scolaire : "Jamais les élections dans notre pays n’ont été aussi nettement placées sous le signe de la lutte entre la gauche et la droite". Faisant allusion à l’existence de listes "Volksunie", l’éditorialiste regrette cette division des forces de droite et s’interroge sur les choix avec lesquels l’électeur se trouve ainsi confronté : "Un grand nombre de voix accordées à un des partis de droite n’expriment rien d’autre que du … ressentiment. Or, pouvons-nous, nous, électeurs de droite, considérer le ressentiment comme un signe d’intelligence et le défendre ?" [27].

43Dans le numéro de De Linie qui paraît juste avant la consultation, le soutien au P.S.C. prendra principalement la forme d’un dessin montrant un électeur pointant la liste P.S.C. sur son bulletin de vote [28].

44Sans vouloir nous prononcer ici sur les causes de l’évolution subséquente, il est normal de supposer qu’elle est liée au règlement de la "question scolaire". De Linie, en effet, paraît avoir, par la suite, pris ses distances à l’égard du P.S.C. Ainsi, en janvier 1961, le rédacteur-en-chef, E. Vandenbussche, S.J., n’hésitera pas à attaquer violemment le Parti Social-Chrétien qui, ayant "lâché" le Roi Léopold et "dupé" ("bedot") les chrétiens honnêtes dans le problème scolaire" s’est avéré incapable de résoudre les difficultés que connaît le pays" [29].

45On notera que cette critique du P.S.C. est une critique de droite et que, d’autre part, elle n’empêchera pas l’éditorialiste d’éclairer ainsi les devoirs de conscience de l’électeur à la veille de la consultation du 26 mars 1961 : "Les principes religieux doivent avoir la priorité sur les principes juridiques et moraux, ces derniers la préséance sur les principes culturels, les principes culturels sur les principes socio-économiques et ceux-ci sur les principes matériels" [30].

5 – Problèmes sociaux, attitude vis-à-vis du socialisme

46En cette matière moins qu’en toute autre, il ne saurait être question, dans le cadre de cette étude, d’analyser de façon relativement et suffisamment exhaustive, les prises de position de De Linie. A divers signes, on croit cependant comprendre que si le journal, comme nous venons de l’indiquer, se présente, dans la généralité de son contenu, et parfois dans des "professions de foi" explicitement avancées, comme étant de droite, il manifeste néanmoins des préoccupations pour les problèmes sociaux.

47Ainsi, dès son premier numéro, celui du 1er octobre 1948, il se propose de lutter contre les "injustices sociales", en cherchant "à protéger les socialement faibles contre les socialement forts". En outre, il exprime son approbation enthousiaste à l’égard du programme de Noël que le P.S.C. a mis au point en 1945 [31].

48Si, par ailleurs, le journal va jusqu’à souhaiter de voir "l’injustice capitaliste être remplacée par quelque chose d’autre que l’absolutisme étatique" et à demander du P.S.C. de "larges réformes sociales" [32], son idéologie, fort proche, semble-t-il, de celle du "catholicisme social" traditionnel, est surtout marquée par son refus intransigeant de la lutte des classes. Cette option se traduit naturellement par l’opposition au communisme, mais aussi, et parfois dans une mesure presqu’égale, dans son hostilité, au socialisme, hostilité qu’avivent encore les luttes politiques en Belgique.

49Nous ne relèverons ici qu’un nombre restreint d’expressions de cette hostilité, mais les exemples pourraient être multipliés. Tantôt, le journal s’attaque aux jeunesses socialistes dans un article intitulé "Une jeunesse sans âme" [33] ; tantôt, on s’emploie à établir les similitudes foncières qui existeraient entre le socialisme et le communisme [34]. Au cours de la lutte scolaire, le rédacteur-en-chef à propos des projets de M. Collard, déclare : "On peut s’imaginer à quel état fasciste conduirait en Belgique une majorité socialiste" [35]. Après les élections de 1958, le même rédacteur-en-chef affirme qu’une victoire socialiste aurait fait glisser la Belgique sur la pente menant à un régime de "démocratie populaire" [36], tandis qu’à la veille de celles de 1961, le journal s’en prendra avec véhémence aux socialistes "qui utilisent des mandats grassement payés … pour empoisonner le peuple de mensonges et de calomnies" et qu’évoquant la possibilité de la constitution d’un gouvernement dirigé par M. Spaak, le rédacteur de De Linie s’écrire : "Malheur à nous, si cela devait se produire" [37].

50Traduite par d’innombrables attaques lancées contre les "socios", cette hostilité s’exprima, sur un plan doctrinal, par la publication à la fin de l’année 1957, d’un numéro spécial entièrement consacré à la dénonciation du marxisme, mais aussi du socialisme belge.

6 – Les grèves de 1960-1961

51Dès l’année 1960, et à la faveur de l’"affaire congolaise", les positions de De Linie révèlent, comme nous l’indiquerons plus loin, une tendance qui paraît nouvelle et qui se distingue du conservatisme de ses positions habituelles. Mais les limites de cette évolution se dégagent de l’examen des réactions que suscitèrent dans le journal les grandes grèves de décembre 1960-janvier 1961.

52Dans un premier éditorial du 30 décembre 1960, le P. Vandenbussche affirme qu’"il n’y a pas plus de 2 % des grévistes … qui ont la moindre idée de ce que contient la loi unique" et qu’"on fait des masses un instrument politique aveugle". Par ailleurs, De Linie affirme que seuls les "terroristes professionnels" s’opposent à une double et nécessaire limitation du droit de grève : elle ne peut nuire au bien-être général et elle doit respecter la liberté du travail, la grève politique ne pouvant être qu’un recours ultime" parce qu’elle "se rapproche très fort de la révolution" [38].

53Dans un second éditorial, le P. Vandenbussche, après avoir fait un parallèle entre les grèves belges et la grève générale britannique de 1926, reprend à un sociologue anglais l’idée que la grève est surtout le fait de militants syndicaux mécontents de ce que les procédés légaux courants sont insuffisants à assurer leur prestige et leur intérêt matériel. Et l’éditorialiste de conclure : "Ceux qui ont déclenché la grève au nom de l’avenir vivent en réalité dans un passé vieux de cinquante ans" [39].

54Quant au rôle et à la personnalité d’André Renard, ils sont jugés, dans le même numéro du journal, en termes peu indulgents : "Le camarade Renard est l’homme de l’année, mais c’est peut-être … l’homme le plus bête de l’année".

7 – L’indépendance du Congo et l’éventualité d’un "cabinet d’affaires" en Belgique

55Nous l’avons déjà indiqué : dans l’affaire congolaise, De Linie manifesta des opinions plus proches de celles exprimées dans les milieux "progressistes" que de celles prévalant dans des milieux plus conservateurs. Il est loisible de supposer que le fait relève d’une double circonstance. Une circonstance générale tout d’abord : la réserve dont fit preuve, en général, la presse flamande, lors des évènements de juillet et août 1960, réserve contrastant avec les réactions plus vives de la presse francophone, surtout bruxelloise. C’est peut-être l’absence d’un patriotisme exacerbé en milieu nationaliste flamand qu’il faut ici mettre en cause. D’autre part, la personnalité du chroniqueur qui traita du problème a certainement influencé les prises de position du journal [40].

56Quoi qu’il en soit, De Linie s’éleva, dès janvier 1959, contre l’éventualité d’une épreuve de force et, en particulier, contre la possibilité d’envoyer des troupes au Congo : "A notre époque, on ne peut espérer conserver, par l’usage des armes, une tutelle déjà dépassée" [41].

57Retenons des différentes réactions du journal aux péripéties de la Table Ronde belgo-congolaise une volonté de compréhension à l’égard des leaders congolais désireux de ne pas être taxés de "collaborateurs" des Belges : "Ce que nous admettons dans l’attitude de Mgr Makarios à l’égard de l’Angleterre, nous devons également l’admettre dans le comportement des Congolais vis-à-vis de la Belgique" [42]. L’observation suivante participe du même esprit : "Nous ne reprocherons jamais au Ministre (De Schrijver) d’avoir été trop loin dans la voie des concessions ; peut-être, le critiquerons-nous pourtant d’avoir trop écouté ces Congolais qui craignent de se noyer sans l’assistance du maître-nageur belge" [43].

58Mais c’est surtout à partir des évènements de juillet 1960 que De Linie se démarqua par rapport aux réactions les plus courantes de la presse. A propos du discours prononcé le 30 juin par Patrice Lumumba, Lode Bostoen écrivait de Léopoldville : "Il ne faut pas exagérer le scandale du discours Lumumba. Bien des choses qu’il a dites correspondent à la vérité (et sont d’ailleurs inévitables dans un système colonial). Le discours du Roi Baudouin n’était d’ailleurs pas très adroit (accent sur les réalisations belges) ; il constituait presqu’une provocation pour les progressistes. Cela ne signifie pas pour autant que les invités belges n’aient pas été mécontents. Ils sont, en effet, si habitués à l’hypocrisie protocolaire qu’ils considèrent comme exclu que quelqu’un dise ouvertement ce qu’il pense.. Pour pouvoir parler d’insulte ("belediging") au Roi, il faut ne pas vouloir tenir compte du contexte congolais" [44].

59Peu après, le même collaborateur critiquait la politique belge au Congo, tenue pour responsable principale du tour pris par les évènements. Le gouvernement congolais est jugé "peu efficace", mais peut se prévaloir de "circonstances atténuantes". Le gouvernement belge, quant à lui, guère plus efficace, va au devant de complications internationales à cause d’une intervention qui aura peut-être des résultats spectaculaires dans l’immédiat, mais qui, avec le temps, ne pourra qu’aggraver les difficultés que connaissent les blancs restés au Congo. La bonne politique eût consisté à faire tout de suite appel à l’O.N.U., de préférence à la suite d’un accord avec le gouvernement congolais. Le même article jugeait peu courageuse la réaction consistant à envoyer au Congo les parachutistes belges et "à s’incliner ainsi devant une presse qui réagit passionnellement aux évènements…". Et De Linie de conclure "qu’il faut renoncer au plus tôt à l’intervention indépendante des troupes belges … et ne pas céder à la myopie de sentiments faits d’indignation et d’humiliation nationaliste" [45].

60A propos du débat parlementaire consacré aux évènements du Congo, le journal notera qu’"on n’a pas traité du problème principal, à savoir : pourquoi nous n’avons pas africanisé les cadres. Pourquoi n’avons-nous pas accordé, dès l’été 1959, l’autonomie interne au Congo ?". Il met également en doute la régularité des élections qui y furent organisées et explique ainsi l’attitude des responsables belges de l’ancienne colonie : "On a probablement cru qu’une fois l’indépendance acquise, les Congolais allaient faire appel à une aide belge si massive que l’indépendance ne serait rien d’autre qu’une forme d’autonomie interne" [46].

61A cette attitude face au problème congolais, il faut lier celle qu’adopta De Linie, sur un plan plus spécifiquement belge, lorsqu’il fut question du remplacement du gouvernement présidé par M. Eyskens par un "cabinet d’affaires". Dès le 29 juillet, l’hebdomadaire flamand remarquait que "nous avons effectivement besoin d’un gouvernement fort, mais pas pour défier l’autorité internationale avec une poignée de soldats et consentir des efforts absolus ("absolute inspanningen") pour un intérêt aussi relatif que les bénéfices de l’Union Minière".

62Dans un second article traitant le même jour du sujet, Lode Bostoen, à propos du programme d’économies annoncé par le Premier Ministre, affirmait que la discipline (dont on parle) ne serait acceptable qu’à la condition qu’elle s’applique non seulement au domaine social, mais au domaine économique et que … les économies affectent moins l’enseignement que la défense nationale. Toute autre politique consisterait à céder à l’hystérie nationaliste et aux excès du pouvoir économique".

63Dans son numéro du 19 août, le journal revenait à l’éventualité du "Cabinet d’affaires". Il affirmait qu’au cours d’une audience accordée le 10 août à M. Eyskens, le Roi lui avait signifié qu’il ne jouissait plus de sa confiance et ajoutait que c’était l’opposition de M. Lefèvre qui avait sauvé le gouvernement. Et De Linie de déclarer à ce propos : "Nous ne croyons pas que le Roi se serait gagné beaucoup de sympathies en Flandre en se prêtant à ces "grandes manœuvres". Et l’article rappelait que c’était le Roi lui-même qui avait le premier parlé d’indépendance dans son message de janvier 1959, que "c’est à la demande du Roi - demande équivalant à un ordre - que le Gouverneur Cornélis a été maintenu en fonctions..", que "c’est avec le concours de la Cour qu’on a amené le Ministre Van Hemelrijck à démissionner" et que "le Général Janssens a été un homme de la Cour". Finalement, De Linie engageait le Gouvernement à résister à ces pressions si elles devaient se renouveler.

64Telles sont, brièvement esquissées, quelques données rendant compte, avec les réserves que nous avons indiquées, des tendances qui caractérisaient principalement De Linie pendant les premières années de son existence. Il est utile, à titre complémentaire, d’indiquer en terminant que, dans l’article dont nous parlions au début de cette étude, le mensuel catholique De Maand caractérisait la politique suivie par De Linie (ou De Vlaamse Linie) à ses débuts d’"ultra réactionnaire" et signalait, dans de nombreux domaines, des manifestations de cléricalisme extrême [47].

B – De 1962 à 1964

65Il est difficile de préciser de quand date l’infléchissement des positions conservatrices que nous avons décrites et la réorientation de De Linie dans le sens de ce "radicalisme flamand" dont parle De Maand. Déjà, les attitudes que nous venons de relever à propos de l’affaire congolaise et de ses répercussions politiques en Belgique, attitudes qui remontent à l’année 1960, révélaient un ton nouveau. Par ailleurs, le journal manifestait, à l’égard du Parti Social-Chrétien, une indépendance toujours plus grande, que rendaient possible la solution de la "question royale" et celle de la querelle scolaire.

66Pour préciser en quoi consiste ce "radicalisme" - terme souvent employé pour qualifier l’évolution récente du mouvement flamand, de même d’ailleurs que celui de "gauchissement", mais dont le vague gagnerait incontestablement à être tout au moins atténué -, nous avons fait remonter notre analyse au mois de février 1962. C’est à ce moment que Mark Grammens entre à la rédaction de l’hebdomadaire et y devient le principal chroniqueur politique. Le rôle qu’il a personnellement joué dans l’évolution de De Linie - et que dénotent les incidents auxquels il a été-mêlé - nous paraît justifier le choix de cette date. C’est à partir d’elle que ce qui, jusqu’alors, ne paraissait être qu’une série d’indications fragmentaires, prend l’aspect d’un cours systématiquement poursuivi. Toutefois, avant d’en préciser le contenu, il n’est pas inutile de signaler que, dans l’ensemble des points de vue choisis par De Vlaamse Linie, puis par De Linie, avant et après cette date de février 1962, quelques constantes apparaissent.

1er – Les constantes dans "De Linie"

1 – L’attachement à la "cause flamande"

67Nous avons dit que, dès le premier numéro de l’hebdomadaire, cet attachement - d’ailleurs perceptible dans le titre même du journal - s’était expressément manifesté. Nous avons dit aussi que tant la défense du Roi Léopold dans la "question royale", que celle de l’enseignement catholique au cours de la querelle scolaire avaient été liées à la cause flamande.

68Pour le reste, le rédacteur-en-chef du journal, le P. Vandenbussche a précisé, dans un éditorial du 29 janvier 1954, que le terme de "flamingant" lui paraissait trop romantique, mais n’avait pas pour autant perdu toute signification ; "au contraire", ajoutait-il, "le moment est venu où ce terme se valorise complètement dans celui de Flamand".

69Sur un plan plus concret, De Linie s’est opposé au recensement linguistique de 1947 [48] et a pris depuis longtemps position en faveur des revendications flamandes relatives à Bruxelles. C’est ainsi que, dès avril 1954, un éditorial du journal déclarait que "la première préoccupation de nos représentants doit être de faire de Bruxelles une capitale flamande où, en tant que Flamands, et même en dehors du Parlement, ils puissent se sentir en communion avec le peuple [49]. Nous verrons que des prises de position du même ordre expliquent l’opposition tenace dont le journal a fait preuve, neuf ans plus tard, à l’égard des accords de Val-Duchesse. Nous verrons également que l’attachement de De Linie "dernière version", à la cause flamande affirmera vouloir dépasser le réflexe purement nationaliste.

2 – Corollaire : La sensibilisation au problème de la "répression"

70Il s’agit véritablement ici d’une constante, très précise, dans toute l’histoire de De Linie. La critique de la répression de l’incivisme, telle qu’elle a été organisée après la libération, s’exprime à travers de nombreux articles. D’après De Vlaamse Linie (1er juillet 1949), cette répression s’est traduite par des "attaques scandaleuses … contre l’honneur, la vie et les biens d’adversaires politiques qui ont été dénoncés comme traîtres et assimilés aux dénonciateurs et aux véritables traîtres". D’autre part, de nombreux articles ont régulièrement rappelé une revendication qui tient une place essentielle dans le programme du journal, celle de l’amnistie des condamnés politiques de l’après-guerre.

71Pour prouver le caractère de constante de cette attitude, signalons que, dans un article daté du 12 octobre 1962, Mark Grammens affirmait que la répression "avait eu pour but d’étouffer la conscience flamande".

2 – Les tendances nouvelles de "De Linie"

1 – Le problème de la coexistence pacifique, l’attitude envers l’Union Soviétique

72Nous avons relevé ici une série de prises de position concernant tant le problème des relations Est-Ouest que celui du désarmement et de l’évolution de l’Union Soviétique.

73Le 4 mai 1962, M. Grammens manifeste son appui au "mouvement du 8 mai" et s’oppose à la reprise des expériences nucléaires par les Etats-Unis. "Il est normal", écrit-il, "que les citoyens se révoltent ("in opstand komen") contre les considérations strictement politiques qui conduisent à la course aux armements nucléaires".

74Le 26 octobre 1962, en pleine crise cubaine, l’éditorial de M. Grammens paraît en première page barré par le titre "Cuba si" et est accompagné d’une photo montrant un mur chaulé par l’inscription "Vive Cuba - J.G.S.". L’éditorialiste condamne nettement la politique des Etats-Unis et considère le blocus de Cuba comme un "acte d’agression non provoqué". Pour M. Grammens, l’attitude américaine est le résultat d’une "politique de puissance". A propos de la politique étrangère menée par l’Union Soviétique après la guerre, Mark Grammens écrivait le 22 mai 1962 qu’"à l’époque de Staline, la supériorité nucléaire ou même le monopole atomique des Etats-Unis répondait à la menace soviétique". Mais il ajoutait à cet égard : "Nous ne nous arrêterons pas ici à la question de savoir dans quelle mesure les Russes songeaient à une conquête militaire, à l’époque même où Spaak lançait son "Nous avons peur". Ce n’est malheureusement qu’en 1960, que l’ancien Ambassadeur américain à Moscou, G. Kennan, a expressément reconnu qu’il n’avait jamais eu connaissance d’un plan d’attaque des Russes contre l’Occident".

75Le 5 avril 1963, le journal publie un article sur l’évolution de la littérature soviétique [50] et conclut : "Ce sont les jeunes littérateurs soviétiques qui montrent dans quelle voie évolue le pays", cette évolution étant décrite en termes optimistes. L’article est accompagné d’une traduction d’un poème d’Evtouchenko : "Les Russes veulent-ils la guerre ?".

76Le 4 octobre 1963, M. Grammens note, à propos de la coexistence pacifique : "La perspective du désarmement se heurte à cet obstacle : dans un monde sans armes, sera-t-il possible d’écraser une révolution sociale en Amérique latine". Et l’auteur de l’article de déclarer que : "L’Occident se trouve actuellement sur la défensive parce que, fondamentalement, il veut conserver les structures sociales existantes". Il poursuit en niant que la coexistence pacifique soit un "piège" que les Russes tendraient à l’Occident. D’ailleurs, "ce que l’Occident craint, c’est moins le bloc soviétique que des revendications sociales sur le plan intérieur et dans ses sphères d’influence". Et M. Grammens conclut ainsi : "C’est à cause du conservatisme que nous perdrons le monde".

77Il convient de signaler que, dans un article du 22 mars 1963, R.S. Callewaert avait approuvé l’organisation de la marche antiatomique et que le journal avait publié des indications permettant à ses lecteurs de participer à la marche. Relevons enfin que De Linie avait suggéré de consacrer l’argent destiné en Belgique aux dépenses d’armement, en particulier, à l’armement atomique, à l’aide aux pays sous-développés et de ne conserver en Belgique qu’une "armée de police" ("politieleger") chargée de maintenir l’ordre intérieur.

2 – Réactions à quelques problèmes socio-politiques

a – La réforme fiscale

78Dans le premier article qu’il écrivit, le 9 février 1962, dans De Linie, Mark Grammens mettait en cause La Libre Belgique et L’Echo de la Bourse, qui tentent, selon lui, de dresser "les éléments plus ou moins conservateurs du P.S.C. contre les projets gouvernementaux". Il critiquait également MM. Vanden Boeynants et Dequae, le premier pour n’avoir rien fait en faveur de la réforme fiscale, le second pour avoir d’ores et déjà déclaré qu’il accepterait des amendements aux projets du gouvernement, ce qui réduirait la portée de ces projets. Après s’en être pris à certains groupes de pression (il citait "les sociétés" et les "indépendants"), M. Grammens citait, comme principal mérite de la réforme qu’elle visait à réprimer la fraude fiscale qui, à l’en croire, prend en Belgique des "proportions catastrophiques".

79Des points de vue du même ordre allaient se retrouver dans les articles du même Mark Grammens les 24 août 1962 et 5 octobre 1962. Il y prétend notamment que "notre système fiscal (en favorisant les hauts revenus) ne répond plus aux exigences de la justice distributive". "L’aile conservatrice" du P.S.C. y est vivement prise à partie.

b – La réforme de l’Assurance Maladie-Invalidité

80Le 4 octobre 1963, le journal ouvrait largement ses colonnes à un médecin "minoritaire", c’est-à-dire adversaire de l’attitude adoptée par les Chambres syndicales. L’auteur y affirmait, en conclusion : "Le corps médical ne me paraît pas actuellement mûr, du point de vue social, pour discuter du problème de l’Assurance Maladie-Invalidité."

81Le 22 novembre 1963, cependant, c’était Mark Grammens qui attaquait vivement ces mêmes Chambres syndicales, et notamment les "moyens de pression" dont elles feraient usage à l’égard des médecins récalcitrants. La cause des difficultés actuelles, selon l’éditorialiste, réside dans "le gouffre qui s’est creusé entre un certain nombre de médecins et la société", parce que ces médecins "ne comprennent que les professions libérales, dans le sens traditionnel du terme, ont fait leur temps." M. Grammens reproche encore aux médecins "d’émettre des exigences qu’aucun autre groupe social n’aurait osé avancer" et met en cause les déficiences de la formation sociale des étudiants d’Université.

82Cet article donna lieu à de nombreuses protestations de médecins, auxquelles le journal fit écho dans ses numéro des 29 novembre 1963 et 6 décembre 1963.

c – Le problème du maintien de l’ordre

83Dans une série d’articles consacrés à cette question, Mark Grammens affirmait que le maintien de l’ordre doit résulter bien davantage de l’existence de la justice sociale que de textes législatifs (14 décembre 1962). Quant aux projets gouvernementaux, ils ont, selon l’éditorialiste de De Linie, pour origine la pression de la droite et de la F.I.B., qui cherchent à limiter le droit de grève. Leur plus grave inconvénient serait d’ordre psychologique, en ce qu’ils s’inscriraient dans une campagne déclenchée après les grèves de 1960-61. (11 janvier 1963). Après avoir affirmé, le 18 février 1963, que la grève, même politique, est un "moyen de pression légitime", Mark Grammens déclarera, le 12 avril 1963, après l’adoption des projets par la Chambre : "Jugés formellement, ces projets sont un recul par rapport aux exigences de la démocratie sociale.

84Notons enfin, à propos des problèmes sociaux, que M. Grammens en conclusion d’une série de trois articles relatifs aux problèmes agricoles en Belgique, préconise des "réformes de structure" dans l’agriculture belge. Il reprend à son compte les idées d’un journaliste hollandais qui avait suggéré d’examiner l’utilité de la collectivisation de l’agriculture, non sans avoir préalablement affirmé que le mal dont souffre l’agriculture hollandaise est son attachement chronique à l’individualisme (5 avril 1963).

3 – Attitude envers l’Eglise ; le problème scolaire

85Bien que, comme nous l’indiquions au début de cette étude, notre analyse porte en tout premier lieu et presqu’exclusivement sur les prises de position politiques de De Linie, l’analyse de son évolution serait tronquée d’une composante essentielle si n’était au moins évoquée la liberté de ton que manifesta l’hebdomadaire flamand dans les jugements qu’il porta, pendant ses dernières années d’existence, sur l’Eglise, ainsi que son attitude à propos du problème de l’enseignement catholique.

86Dans le premier article qu’il écrivit comme rédacteur-en-chef du journal, le P. Van Bladel, S.J., écrivait, à propos des sermons français à Anvers : "Le peuple ne comprend pas son évêque" (Mgr Daem, nommément cité dans l’article). Quelle qu’ait été sa décision, l’Evêque aurait dû prendre la peine de s’en expliquer (14 septembre 1962).

87D’autre part, le Père Fransen écrivait le 18 octobre 1963 : "Quinze siècles d’histoire européenne ont recouvert nos conceptions relatives à l’Eglise d’une couche de poussière et de rouille qui n’a rien à voir avec l’Evangile". Et comme exemple d’anachronisme, l’auteur citait l’idée que les évêques sont des "Princes de l’Eglise".

88Une même liberté de ton caractérise de nombreux articles consacrés au Concile du Vatican. Certains aspects de son organisation étaient critiqués (8 novembre 1963). Le 6 décembre 1963, P. Fransen citait in-extenso l’intervention d’un prélat américain critiquant le conservatisme de certains milieux écclésiastiques. Le collaborateur de De Linie s’en prenait ouvertement aux Eglises d’Italie et d’Espagne, ainsi qu’à certains membres de la Curie romaine pour leur opposition à une réévaluation libérale du problème de la liberté de pensée et pour leur attachement à des "principes abstraits et scolastiques". L’auteur allait jusqu’à évoquer les pressions que des milieux financiers exerceraient sur le Concile pour empêcher que soit attaqué le Saint-Office, considéré comme le "seul frein s’opposant encore au communisme".

89Et le P. Fransen faisait suivre cette attaque non-déguisée d’une partie tout au moins de l’Eglise italienne de cette remarque significative : "Mais chez nous aussi, il existe des situations italiennes".

90Le 20 décembre 1963, De Linie publiait une très longue interview du Père Schillebeeckx, conseiller des évêques hollandais au Concile. Il s’y prononçait en faveur de l’emploi de la langue usuelle dans la litérurgie et estimait que le Concile devrait examiner le problème de la contraception dans une perspective nouvelle [51].

91Enfin, et dans un domaine qui se rapproche davantage de la politique, De Linie reprenait, en les approuvant, les critiques formulées par la revue De Maand à l’encontre du message de Paul VI aux Belges dans lequel le Pontife se prononçait contre les "luttes stériles" qui divisent la Belgique [52].

92L’évolution du journal n’est pas moins nette en ce qui concerne le problème scolaire en Belgique. Elle prend toute sa signification si on compare les prises de position que nous allons relever aux points de vue que De Linie développa au cours de la lutte scolaire de 1954-1955.

93Un éditorial de Mark Grammens, en date du 22 février 1963, portait, par exemple pour titre "Enterrer la hache de la guerre scolaire". "Nous réagissons positivement", y était-il affirmé, "à l’enseignement officiel ; nous reconnaissons que l’enseignement officiel est nécessaire, tant pour des raisons pédagogiques et sociales (démocratisation) que pour des raisons idéologiques ; nous sommes prêts à participer à son développement … Nous croyons que cette collaboration … nous obligera, à la longue, à revoir certains postulats relatifs à l’enseignement officiel et nous nous en réjouissons… Les masses, tant du côté catholique que parmi les libres-penseurs, souhaitent qu’un respect positif de l’enseignement officiel conduise, le temps aidant, à une approche non-idéologique du problème de l’enseignement dans notre pays".

94Il ne fallut pas attendre très longtemps pour·voir dans quel sans devait s’opérer, selon De Linie, cette réévaluation. Le 31 janvier 1963, en effet, l’hebdomadaire publiait un long commentaire à une prise de position d’un Jésuite hollandais, le Père Pelosi, en faveur de l’enseignement officiel. Ce commentaire était dû à J.A. Meijers qui se présentait lui-même comme défenseur et, somme toute, comme représentant de l’enseignement officiel. Le Père Pelosi allait d’ailleurs plus loin que la défense de l’enseignement officiel. Il mettait explicitement en cause la nécessité de prolonger l’existence de l’enseignement catholique. Le Père Pelosi affirmait que la plupart des facteurs qui avaient nécessité le maintien d’un enseignement confessionnel avaient à présent disparu et doutait, au surplus, que c’était au niveau de l’école que la religion devait s’intégrer dans l’éducation. Il reprochait également à l’enseignement catholique de rendre plus difficile, pour les enfants qui lui sont confiés, le contact avec la réalité et de mal les préparer à un pluralisme social considéré comme indispensable.

95Certes, De Linie ne prenait pas nettement position en la matière, mais les quelques données que nous avons rapportées indiquent à suffisance quel chemin le journal avait suivi dans la voie de la déconfessionnalisation. Cette évolution se confirmera et se précisera d’ailleurs à la lumière de son attitude envers le P.S.C.

4 – Attitude envers le P.S.C.

96Nous avons déjà noté, à propos de la réforme fiscale, que De Linie avait critiqué certaines des personnalités dirigeantes du P.S.C. ainsi que son aile conservatrice. Il va de soi que le règlement de la "question royale" et que l’apaisement de la lutte scolaire ont conduit à un relâchement des liens qui unissaient une partie de l’opinion publique au Parti Social-Chrétien. Ce relâchement s’est exprimé, dans De Linie, de deux façon divergentes. Nous avons signalé la première : l’affirmation, dans un article du 13 janvier 1961, par le rédacteur-en-chef de l’époque, le P. Vandenbussche, que le P.S.C. avait, en fait, échoué dans sa tâche, affirmation qui s’accompagnait d’une critique sévère de l’attitude adoptée par ce Parti, tant dans l’affaire royale que dans la question scolaire.

97Cependant, dans les articles du principal collaborateur politique du journal se développe, depuis février 1962, une critique, puis une remise en cause de certains principes fondamentaux du P.S.C. Alors que la critique du P. Vandenbussche faisait figure de critique de droite, celle de M. Grammens, plus systématique, se présente souvent comme une critique de gauche. Nous en reproduisons ci-dessous les principales données.

98D’une part, le P.S.C. est pris à partie pour le rôle qu’il a joué dans les problèmes linguistiques, en général, et dans l’accord de Val-Duchesse en particulier. En cette circonstance, Mark Grammens mettra en cause la loyauté politique de MM. Gilson et Vanden Boeynants et jugera que "l’intérêt de la Flandre doit primer sur l’intérêt d’un parti quel qu’il soit" (14 juin 1963).

99En cette matière, il est très difficile de séparer la critique que le journal adresse au gouvernement Lefèvre de celle qui vise le P.S.C. Or, l’opposition à la solution adoptée à Val-Duchesse, en juillet 1963, se poursuivra pendant de longues semaines dans les colonnes du journal, sans aucun ménagement de style. Ainsi, si le 21 juin, l’éditorialiste de l’hebdomadaire se contentait d’exposer les raisons pour lesquelles une crise ministérielle ne serait pas, à son sens, une catastrophe, le 12 juillet, M. Grammens s’en prendra plus particulièrement au P.S.C., en affirmant que "d’innombrables militants tournent le dos au Parti".

100Peu le Congrès que le Parti Social-Chrétien tint en décembre 1963, le même rédacteur attaquait les projets de réforme défendus par le Président Vanden Boeynants et les présentait comme "une magistrale tentative pour utiliser le P.S.C. … comme instrument qui rende impossible tout épanouissement de la Flandre". Et l’article de conclure que "si la fermeté des Flamands conduisait à la scission du Parti (scission qu’il ne faut pas, en principe, souhaiter), ce serait peut-être là un fait positif bien plus qu’une catastrophe" (6 décembre 1963).

101Le 22 novembre 1963, M. Grammens se lançait dans une critique acerbe du Parti Socialiste et, plus spécialement, de son "bureaucratisme" et de son "manque de démocratie". Et il ajoutait : "Ce qui est vrai du P.S.B., l’est d’ailleurs plus ou moins également du P.S.C.". Les deux partis auraient d’ailleurs ceci en commun qu’ils défendraient l’unité d’une Belgique "faite de cléricalisme et d’anticléricalisme". Et l’auteur de prendre significativement ses distances par rapport à un tel "anachronisme".

102Les abondantes notes que M. Grammens consacra au Congrès du P.S.C. adoptèrent d’ailleurs un ton très irrévérencieux et parfois sarcastique. Encore faut-il préciser que la forme dans laquelle elles furent publiées fut atténuée par une censure préalable. Néanmoins, et comme nous l’avons signalé, elles eurent pour résultat une interruption dans l’activité de M. Grammens au journal.

103En réalité, la critique du principal chroniqueur politique à l’égard du Parti Social-Chrétien portait plus loin que tel ou tel aspect de son programme et de ses réalisations. C’est l’existence même d’un parti catholique qui fut mise en cause. D’abord presqu’incidemment, et ce dès le premier article de Mark Grammens dans De Linie (9 février 1962). Il y regrettait, en effet, que "la réalité belge a rendu nécessaire un parti catholique qui empêche la réalisation d’un programme franchement conservateur ou franchement progressiste".

104Dans un des derniers numéros que publia le journal avant la décision qui allait mettre un terme à son existence, M. Grammens revenait sur le même problème de l’existence du P.S.C. A l’occasion du cinquantième anniversaire de M. Lefèvre, il passait en revue sa carrière politique, le rôle qu’il avait joué dans la transformation du P.S.C. pendant la guerre, ainsi que le bilan de cette transformation. Il y affirmait que le programme de Noël du P.S.C. (élaboré en 1945) n’avait pas été, en réalité, approuvé par les dirigeants du Parti et que les fonctions responsables, au niveau étatique, avaient été remplies par des représentants P.S.C. qui, pour la plupart, restaient fidèles aux conceptions d’avant-guerre. La "génération" du programme de Noël ne s’était vu confier que des tâches administratives au sein du Parti. Quant au rôle de M. Lefèvre, il aurait essentiellement consisté à prôner qu’un dialogue s’établisse entre catholiques et non-catholiques en Belgique. C’est ainsi qu’"un pluralisme institutionnel a été établi en Belgique au niveau du gouvernement", et cette contribution est jugée par M. Grammens tout à la fois comme positive pour l’époque et dépassée parce qu’elle ne supprime pas la tension entre les deux blocs belges (croyants et incroyants). En réalité, "on n’a jamais douté que cette tension subsisterait et on n’a jamais essayé de la supprimer radicalement". C’est donc le pluralisme (à partir du critère de la religion) dans son principe même, que M. Grammens mettait en cause : pour la "jeune génération" écrivait-il, en effet, "le pluralisme auquel on a visé après la guerre a constitué, dans les circonstances de l’époque, un pas en avant. Mais, dans la seconde moitié du XXème siècle, ce pas en avant ressemble de plus en plus à un pas en arrière" (24 janvier 1964).

105Dans une de ses dernières prises de position, De Linie arrivait donc, dans le style indirect qu’il adoptait souvent, à mettre en cause l’existence d’un parti à base religieuse, tout comme il avait prêté ses colonnes à une remise en cause, plus directe celle-là, de l’utilité d’un enseignement confessionnel.

5 – Attitude envers la "Volksunie"

106A ce stade-ci de notre analyse, il y a lieu de se demander si l’éloignement du P.S.C. n’a pas conduit De Linie, hebdomadaire affichant un sentiment national flamand très aigu, à se rapprocher de la "Volksunie", voire à en soutenir l’action. S’il en était ainsi, le "label" politique du journal s’imposerait de lui-même. Or, que constatons-nous à cet égard ?

107Dans un article publié le 28 août 1962, M. Grammens approuvait la "tendance jeune" de la "Volksunie" qui voudrait, selon lui, "remplacer l’ancien nationalisme basé sur un réflexe de ressentiment et s’exprimant de manière irrationnelle et régressive, par un idéal fédéraliste à contenu positif". Cette "tendance jeune" se rendrait également compte que "le combat flamand doit être davantage conçu comme une émancipation économico-sociale plutôt que comme la défense des lois linguistiques". Et l’auteur de regretter que cette "tendance" qu’il qualifie de "sociale" manifeste encore trop souvent une "regrettable méfiance à l’égard des grandes organisations ouvrières".

108M. Grammens terminait par des considérations visant la "Volksunie" dans son ensemble : "En ce qui concerne l’avenir du parti …, il s’agit de savoir si la Volksunie vit en 1962 ou en 1932, si elle sera réactionnaire ou progressiste. C’est sur la base de ce critère qu’elle devra être jugée".

109Revenant, le 9 novembre 1962, sur ce sujet et commentant le dernier congrès de la Volksunie, le même rédacteur estimait que ce congrès n’avait pas fait la clarté sur le caractère "réactionnaire" ou "progressiste" de la formation flamande. Et l’article de critiquer le fait que le programme économique et social adopté ne tiendrait compte que des paysans et des classes moyennes. Or, affirmait M. Grammens, "un mouvement flamand qui ne songe pas en premier lieu aux intérêts des masses (y compris à leurs intérêts matériels) n’a aucun sens". Aussi, y avait-il lieu, selon lui, de se demander si la Volksunie "ne vit pas trop dans le passé". Une fois encore, il insistait sur la nécessité, pour le mouvement flamand, de "syndicats puissants" [53].

110Ce sont là les deux seuls articles de fond que De Linie consacra à la Volksunie. Toutefois, Mark Grammens terminait les notes relatives au Congrès du P.S.C. de décembre 1963 par une allusion, et une seule, au Congrès que tenait en même temps, à Malines, la Volksunie. Cette allusion, un peu désabusée, visait le salut qui y avait été envoyé à ceux que le rédacteur politique de De Linie appelait "les dominateurs blancs de l’Afrique du Sud" (20 décembre 1963).

6 – Attitude envers le socialisme

111Il n’est pas inutile d’examiner ici ce que devient, dans ce "cours nouveau", le jugement porté à l’égard du socialisme qui, autrefois, faisait, dans De Linie, figure de "bête noire" presqu’à l’égal du communisme.

112En termes très généraux, M. Grammens affirme (21 juin 1963) que si les socialistes flamands acceptaient de combattre pour la cause flamande, s’ouvrirait "entre eux et nous une magnifique perspective qui irait plus loin encore que le simple dialogue".

113Cependant, il fait une très nette différence entre les diverses tendances du socialisme, tout au moins en Belgique [54]. Le P.S.C. fait l’objet d’une critique acerbe : "ses leaders dirigent un socialisme qui n’a plus rien de socialiste. Ce sont de simples opportunistes qui s’emploient à écarter le pays de tout engagement social et à l’écarter du socialisme lui-même" (22 novembre 1963).

114Par contre, il témoigne d’une attitude plus positive à l’égard de ceux qu’ils appellent les "socialistes flamingants" et il reproche à la Volksunie de vouloir les écarter du mouvement flamand (31 janvier 1964).

115Dans un même ordre de problèmes, il n’est pas sans intérêt de noter que De Linie a publié, en date du 22 novembre 1963, un article portant pour titre : "Les ouvriers sont les patrons en Yougoslavie". Il s’agissait d’un reportage décrivant en termes élogieux la condition ouvrière en Yougoslavie, où il était affirmé que le "contrôle ouvrier est "un pas en avant dans la voie de la suppression du Parti et de l’Etat", ce qui, notait l’auteur du reportage, est dans la ligne même de l’enseignement marxiste.

7 – Le problème du fédéralisme et des réformes de structures

116Quelques-unes des prises de position que nous avons relevées procèdent sans doute d’une "tendance progressiste", mais se présentaient sous la forme de considérations assez générales dont l’incidence immédiate et concrète sur les problèmes les plus épineux de la politique belge n’était pas apparente. C’est sans doute dans ce dernier domaine que De Linie a pris des positions nettes qui ont surtout alimenté les controverses dont il a été l’objet.

117Indiquons tout d’abord que, pendant la dernière phase des grèves de 1960-1961, lorsqu’André Renard lança le mot d’ordre de "fédéralisme" couplé à celui des "réformes de structure", cette double revendication se heurta, de la part de l’hebdomadaire flamand, à un scepticisme mêlé d’hostilité (6 janvier 1961).

118Il convient également de noter que les points de vue fédéralistes adoptés par l’hebdomadaire flamand sont inséparables des positions qu’il a adoptées en matière linguistique. Bornons-nous, à ce propos, à la constatation qu’il a soutenu les marches flamandes sur Bruxelles, qu’il a pris parti contre l’intégration dans l’arrondissement de Bruxelles des communes périphériques flamandes (voir par exemple, l’article de M. Grammens dans le numéro du 12 octobre 1962), qu’il s’est prononcé (le 4 janvier 1963) contre un Sénat paritaire et contre la formule de la majorité "qualifiée". De même qu’il avait attaqué le principe des "facilités" accordées aux communes périphériques, De Linie demanda qu’on les refusât à l’Université de Louvain (13 avril 1962) et se déclara en faveur de la dispersion des candidatures et de la constitution d’une université catholique wallonne (15 février 1963) [55]. Rappelons, au surplus, que le journal a mené une longue lutte contre les accords de Val-Duchesse.

119Des opinions nettement fédéralistes ne seront avancées par De Linie qu’après les accords de Val-Duchesse de juillet 1963. Dans les mois qui précédèrent cet évènement, M. Grammens s’était contenté de revendiquer l’autonomie pour la Flandre, ainsi que la décentralisation des organes étatiques, tout en affirmant que, dans la réalité des choses, la Belgique se fédéralisait de plus en plus. La condition du maintien de l’unité belge était, selon lui, la transformation de Bruxelles en une capitale vraiment bilingue. A défaut de cette transformation, il ne resterait rien d’autre à faire aux Flamands "que de se retirer en une nation propre" (12 octobre 1962).

120Dès avant Val-Duchesse toutefois, l’hebdomadaire exprimait de plus en plus régulièrement la possibilité et l’utilité d’un dialogue direct entre Wallons et Flamands. C’est ainsi que M. Grammens affirmait, le 24 mai 1963, que, moyennant la reconnaissance par les Wallons du fait que "l’agglomération bruxelloise ne doit pas empiéter sur la Flandre", "ce n’est pas seulement un dialogue qui s’avèrerait possible, mais également un accord rapide."

121Mais c’est bien l’accord de Val-Duchesse qui précipite l’évolution de De Linie vers une conviction fédéraliste. A peine, ces accords sont-ils passés que le rédacteur-en-chef du journal, le Père Van Bladel, S.J., déclare : "La semaine passée encore, on faisait figure d’extrémiste, même si on se contentait de songer à l’adaptation plus ou moins radicale des structures de l’Etat et des partis aux deux communautés nationales existantes. A partir de maintenant, un minimum de lucidité exige de préparer sérieusement une telle adaptation. Les Flamands modérés eux-mêmes ne peuvent plus croire que la solution (des problèmes) naîtra des structures de l’Etat et des partis, telles qu’elles existent actuellement" (12 juillet 1963).

122Peu après cette prise de position, il arrivera encore que Mark Grammens use de formules conditionnelles pour éclairer la perspective fédéraliste, mais cette prudence ne durera guère. Après le Congrès du "Davidsfonds" qui, en septembre 1963, se prononce pour le fédéralisme, De Linie, le plus souvent sous la plume de M. Grammens, défendra vigoureusement la même formule. L’originalité de sa position consiste cependant dans le fait que cette opinion fédéraliste s’accompagne de l’affirmation de la nécessité des réformes de structure, de telle sorte que cette double revendication - dans laquelle les deux éléments sont constamment associés - apparaît comme la plateforme politique principale de l’hebdomadaire pendant les derniers mois de son existence.

123Le point de vue social de cette plateforme est maintes fois souligné : les forces qu’il s’agit de combattre ne peuvent être atteintes que "si, à côté de réformes de structures politiques, se réalisent également des réformes de structures sur le plan social et économique". Et M. Grammens désigne ainsi ces forces : "les capitalistes spéculateurs fonciers" (13 septembre 1963) [56]. Le 4 octobre 1963, il acceptera l’étiquette "fédéraliste" qui "exprime sans ambiguïté le désir d’autonomie des deux communautés". Ajoutons ici que c’est avec insistance que sera soulignée la communauté d’intérêts entre Flamands et Wallons. Ce sont les Bruxellois, et plus particulièrement la "bourgeoisie francophone" de la capitale qui feront l’objet de régulières attaques. Lors de la manifestation d’Anvers, M. Grammens se réjouira vivement de l’accueil chaleureux réservé à quelques ouvriers wallons qui prirent part au cortège (numéro du 15 novembre 1963).

124L’affirmation de la nécessité du fédéralisme ("Dans l’Europe de demain, il nous paraît primordial que la Flandre et la Wallonie soient des entités puissantes" ; "ce problème est si important qu’il est impossible d’envisager utilement toute autre question, tant qu’on ne se sera pas sérieusement attelé à la résoudre" - 24 janvier 1964) ira désormais de pair avec la proclamation de principes démocratiques et sociaux. Sous la plume d’A. Roosens, Secrétaire général du "Vlaams Aktiecomite voor Brussel en de Taalgrens", De Linie déclarera que "l’aspiration à la démocratie économique est un des objectifs principaux du mouvement flamand" (14 février 1964).

125Elargissant le problème de la lutte pour le fédéralisme, Mark Grammens soutiendra que l’action fédéraliste "offre la possibilité d’une transformation pacifique des rapports de forces, tant sur le plan socio-économique que sur le plan politique" (13 septembre 1963) et se réjouira, à propos des slogans anticapitalistes affichés lors de la manifestation d’Anvers, de ce que "les Flamands envisagent leur lutte pour l’autonomie dans le cadre d’une révolution qui se déroule à l’échelle mondiale" (15 novembre 1963).

8 – Remarque terminale

126Ce "gauchissement" rapide des positions de De Linie ne doit pas donner l’illusion d’une homogénéité parfaite de sa "ligne politique". A côté des points de vue nouveaux qui s’y affirment, les anciennes positions apparaissent encore, bien que de plus en plus occasionnellement. Le lien entre l’ancienne équipe, et l’ancienne idéologie, et la nouvelle équipe est constitué pour le directeur du journal, le P. Vandenbussche. La différence d’optique entre ce dernier et Mark Grammens se dégage avec une particulière netteté lorsqu’on compare deux articles qu’ils écrivirent l’un et l’autre à quelques mois de distance. Le premier du P. Vandenbussche portait pour titre : "Avec toutes nos armes, sur le front scolaire" (31 août 1962) et constituait une polémique avec le journal socialiste Vooruit. Le second écrit par M. Grammens et que nous avons relevé en cours d’analyse s’intitulait : "Enterrer la hache de la guerre scolaire" (22 février 1963). Nous avons dit que cette divergence d’optique amena des heurts et même des conflits au sein de la rédaction. D’autre part, De Linie conserva jusqu’au bout certains de ses correspondants à l’étranger qui collaboraient à l’hebdomadaire avant sa "radicalisation". Les membres de la nouvelle équipe tentaient d’ailleurs de réduire la part réservée dans le journal à ces correspondants.

IV – Conclusions

127L’étude de l’évolution de De Linie, telle que nous l’avons entreprise et malgré ses limitations, a permis de constater que les caractères de l’hebdomadaire flamand, au cours de la dernière période de son existence, ne sont que très imparfaitement rendus par l’étiquette "flamingante" ou "fédéraliste", qu’on lui a attribuée. En ce qui concerne la première, nous avons fait ressortir à quel point De Linie, "dernière version", cherchait à se dégager de conceptions nationales qu’elle considérait comme anachroniques. A maintes reprises - et nos citations, à cet égard, eussent pu être bien plus nombreuses -, le journal s’est prononcé pour une transformation du mouvement flamand et pour son élargissement en un mouvement avant tout économico-social [57].

128Quant au "fédéralisme", de De Linie, il a lui aussi débordé son cadre politique et, par le truchement d’un dialogue, voire d’une alliance avec les fédéralistes wallons, a pris pour objectif une transformation des structures économiques du pays. On ne peut manquer, à ce propos, d’être frappé par le parallélisme entre la plateforme revendicative de De Linie et celle de l’aile gauche du P.S.B. (d’expression française). Sans nul doute, le style par lequel ces revendications s’expriment est différent et cela s’explique tant par le caractère intellectuel de De Linie que par le public auquel il s’adressait. Mais l’analogie demeure et incite à une réflexion qui dépasse le problème de l’hebdomadaire lui-même.

129Cette tentative de rapprochement entre fédéralistes wallons et flamands peut avoir l’apparence d’une manœuvre tactique entre deux mouvements unis seulement par l’existence d’un adversaire commun - l’"unitarisme" belge centré sur la capitale [58]. Mais la "couleur politique" que De Linie a finalement acquise, encore qu’elle ne fût pas dénuée d’un certain flou dû principalement à la persistance de l’"ancien esprit", semble démentir l’hypothèse d’un rapprochement purement tactique. En prenant ses distances par rapport au vieux flamingantisme et en manifestant des points de vue qui se rapprochent des positions du socialisme, la nouvelle rédaction contribuait à élargir la base de ce rapprochement. Dès lors que le "radicalisme" flamand prend cet aspect, ce n’est plus seulement une opposition à l’"unitarisme belge" qui inspire le dialogue wallon-flamand, mais une donnée plus positive.

130Sans doute, peut-on se demander dans quelle mesure l’évolution de De Linie est l’expression d’une évolution plus large que suivrait le mouvement flamand, sinon dans sa majorité, du moins dans une fraction non-négligeable. Il n’appartient pas à cette étude d’offrir une réponse à cette question. Tout au plus, pouvons-nous signaler quelques indications qui se dégagent des observations mêmes auxquelles elle a donné lieu. En premier lieu, la concomitance, soulignée par le journal lui-même, entre ses positions et les slogans adoptés par la manifestation d’Anvers du 10 novembre 1963. En second lieu, l’approbation du journal aux prises de position anticapitalistes que l’on trouve dans le manifeste du K.V.B. Enfin, la collaboration occasionnelle de M. A. Roosens, Secrétaire général du "Vlaamse Aktiecomite voor Brussel en de Taalgrens" à De Linie et ses déclarations favorables à la "démocratie économique".

131Voilà, très sommairement esquissées, quelques données qui justifient, tout au moins, l’intérêt qu’il y aurait à poursuivre l’étude du "radicalisme" flamand, dont la présente analyse a permis de cerner quelque peu la nature.

132Pour en revenir finalement au journal lui-même et au problème posé par sa disparition, il n’est pas inutile de rappeler les réflexions que l’évènement a inspirées à la revue catholique De Maand. L’article que ce mensuel a consacré au problème a mis en lumière le caractère double de la notion de "cléricalisme", telle qu’on pouvait l’appliquer à De Linie. Selon l’auteur, il s’agissait là, tout à la fois, d’un cléricalisme de fond et de structures. Le premier a fait l’objet d’une "révision" presque "déchirante" et, en tous cas, d’un très net assouplissement. Le second cependant, le "cléricalisme structurel", tenait à la dépendance organique qui continuait de lier l’hebdomadaire à l’Ordre des Jésuites. Les circonstances qui ont amené la fin de De Linie semblent suggérer que la contradiction entre l’effritement du "cléricalisme de fond" et la persistance du "cléricalisme structurel" n’a pu résister aux tensions que l’évolution idéologique du journal a produites. Il est certain qu’à ces données de base, sont venus s’ajouter les effets de pressions extérieures auxquelles nous avons fait allusion dans cette étude. Un des aspects fondamentaux du problème pourrait consister dans l’affrontement entre d’une part, l’évolution d’une partie des rédacteurs et, d’autre part, les structures établies à la fondation et maintenues par la direction.


Date de mise en ligne : 18/01/2015

https://doi.org/10.3917/cris.242.0001

Notes

  • [1]
    De Maand, mars 1964, p. 165.
  • [2]
    Voir l’article de l’hebdomadaire Pan, dans son numéro du 3 mars 1964.
  • [3]
    La Cité, 22 février 1964.
  • [4]
    C’est en 1954 que l’hebdomadaire, intitulé jusqu’alors De Vlaamse Linie, prit le titre de De Linie.
  • [5]
    De Linie, 20 août 1954.
  • [6]
    De Linie, 4 mars 1955.
  • [7]
    De Linie, 8 avril 1955.
  • [8]
    "Les armes, la guerre, la violence n’ont jamais rien réglé" ;
    (23 avril 1954)
    "Il faut rechercher la paix par tous les moyens".
    (24 mai 1954)
  • [9]
    21 avril 1950.
  • [10]
    ibid., souligné par nous.
  • [11]
    voir, par exemple, les numéros du 26 juin 1949 et du 10 mars 1950.
  • [12]
    4 août 1950.
  • [13]
    13 janvier 1961.
  • [14]
    20 août 1954.
  • [15]
    4 février 1955.
  • [16]
    18 mars 1955.
  • [17]
    10 septembre 1954 et 4 février 1955.
  • [18]
    18 février 1955 et 1er avril 1955.
  • [19]
    3 septembre 1954 et 1er avril 1955.
  • [20]
    1er avril 1955 et 8 avril 1955.
  • [21]
    18 janvier 1955.
  • [22]
    17 juin 1955.
  • [23]
    23 avril 1958.
  • [24]
    24 juin 1949.
  • [25]
    1er juillet 1949.
  • [26]
    26 février 1954 et 2 avril 1954.
  • [27]
    25 avril 1958 et 23 mai 1958.
  • [28]
    30 mai 1958.
  • [29]
    13 janvier 1961.
  • [30]
    23 avril 1961.
  • [31]
    26 juin 1949.
  • [32]
    12 mai 1950 et 9 juin 1950.
  • [33]
    9 avril 1954.
  • [34]
    11 juin 1954.
  • [35]
    1er avril 1955.
  • [36]
    6 juin 1958.
  • [37]
    13 janvier 1961 et 10 mars 1961.
  • [38]
    30 décembre 1960.
  • [39]
    13 janvier 1961.
  • [40]
    Il s’agit de Lode Bostoen, actuellement journaliste au Standaard.
  • [41]
    9 janvier 1959.
  • [42]
    5 février 1960.
  • [43]
    19 février 1960.
  • [44]
    8 juillet 1960.
  • [45]
    15 juillet 1960.
  • [46]
    26 août 1960.
  • [47]
    Nous avons nous-mêmes relevé des attaques très fréquentes et véhémentes, sous la forme d’articles et de dessins, dirigées contre la franc-maçonnerie.
  • [48]
    voir le numéro du 18 juin 1949.
  • [49]
    9 avril 1954.
  • [50]
    Déjà, le 30 novembre 1962, l’hebdomadaire avait publié, en 1ère page, un long poème d’Evtouchenko : "Les héritiers de Staline".
  • [51]
    Par ailleurs, De Linie a consacré plusieurs articles à ce problème. Le "pour" et le "contre" y sont présentés, sans que la rédaction ne tranche le débat.
  • [52]
    14 février 1964.
  • [53]
    Lors de la manifestation flamande à Anvers de novembre 1963, M. Grammens se réjouira de ce que le mouvement flamand abandonne son "nationalisme d’antan". (15 novembre 1963)
  • [54]
    Il est utile de préciser que M. Grammens a régulièrement collaboré à la revue Socialisme (chronique des livres).
  • [55]
    L’article de Mark Grammens à ce sujet défendait la thèse suivante : S’il faut une Université catholique, elle devrait être divisée en deux sections linguistiques. La première partie de cette proposition fit l’objet d’une censure.
  • [56]
    Il lui arrivera d’attaquer le capitalisme en tant que tel (voir ses articles du 31 janvier 1964 et du 7 février 1964).
  • [57]
    Dans le numéro de De Nieuwe du 1er mai 1964, M. Verrept, traitant de la "radicalisation" du mouvement flamand, lui attribue, dans sa forme nouvelle, l’étiquette de "social-flamingantisme".
  • [58]
    Les attaques de De Linie dirigées contre Bruxelles et sa "bourgeoisie francophone" apparaissent comme une des constantes du journal, y compris, et peut-être surtout, dans sa "dernière version".

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