Couverture de CRIS_2037

Article de revue

Gouvernance et Technology Assessment en Wallonie

Pages 5 à 43

Notes

  • [1]
    P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1909-1910, 2006.
  • [2]
    A. RIP, « Technology Assessment », in N. J. SMELSER and P. B. BALTES eds., International Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, vol. 23, Oxford, Pergamon (Elsevier Science), 2001, pp. 15512- 15515 ; J. VAN EIJNDHOVEN, « Technology Assessment : Product or Process ? », Technological Forecasting and Social Change, 54-2, 1997 ; M. DECKER et M. LADIKAS, Bridges between Science, Society and Policy, Verlag Berlin Heidelberg, Springer, 2004.
  • [3]
    P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », op. cit., p. 71.
  • [4]
    Ibidem, p. 73.
  • [5]
    Le STV est une fondation, un centre d’étude dont le conseil d’administration est composé par de membres du Conseil économique et social flamand (SERV). Ce bureau d’études s’empare de thématiques liées à l’évaluation technologique et à l’innovation. Jusqu’en 1998, au moment où le SERV décida de recentrer sa mission sur le domaine « innovation et travail », le STV porta la sous-appellation de Flemish Foundation for Technology Assessment, bien qu’il s’agissait d’un modèle de débat axé sur la concertation sociale et non le TA parlementaire tel que nous l’avons abordé dans nos travaux antérieurs (cf. par exemple P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », op. cit.).
  • [6]
    Ce sera Albert Liénard (PSC) qui héritera des Technologies nouvelles dans l’exécutif wallon PS-PSC qui gouvernera la Région de février 1988 à janvier 1992.
  • [7]
    Cf. à ce sujet l’avis du CESRW A.318 du 27 juin 1988 concernant le rapport des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix sur l’évaluation des choix technologiques en Région wallonne.
  • [8]
    Alors que l’OTA américain est né suite à un « sursaut de fierté » des parlementaires américains qui voulaient renforcer leur expertise face à celle dont bénéficiait le pouvoir exécutif, la volonté politique de renforcer le Parlement ou de rééquilibrer les pouvoirs législatif et exécutif était souvent moins forte ailleurs.
  • [9]
    Presque dès le départ, certains pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suisse ont souhaité axer le développement de leur TA autour d’un modèle fortement participatif, s’appuyant sur des traditions historiques et culturelles de participation.
  • [10]
    Les TA européens restent le plus souvent des institutions fragiles au budget nettement moins lourd que le budget de l’ancien TA américain : à titre d’exemple, le budget annuel de l’OTA américain était de l’ordre de 20 millions de dollars alors que celui du STOA européen est de l’ordre d’un demi million d’euros.
  • [11]
    A l’exception des sénateurs wallons cooptés. Ce n’est qu’à partir de 1995 qu’il fut composé d’élus directs.
  • [12]
    Arrêté de l’exécutif régional wallon du 15 novembre 1990.
  • [13]
    Créée en 1966 pour instituer un lien entre le monde du travail et le monde de l’université, la FTU déploie aujourd’hui ses activités dans trois domaines : elle offre des services d’éducation permanente destinés au monde associatif, en particulier aux organisations de travailleurs. Elle mène des recherches sur des thèmes d’intérêt sociétal en privilégiant la recherche-action, en lien avec les thèmes « innovation, travail et société » et « évaluation des politiques publiques ». Elle entretient des liens institutionnels à l’interface entre le monde des organisations sociales et le monde académique. Cf. <http:// www. ftu. be/ >.
  • [14]
    Dans le cadre de ce projet de recherche, un livre a d’ailleurs été publié : G. VALENDUC et P VENDRAMIN, Évaluation des choix technologiques et régions, collection EMERIT, Fondation Travail-Université, Namur, 1993.
  • [15]
    Certains de ses membres participeront d’ailleurs au colloque de 1994 organisé par la FTU, dont nous reparlerons plus loin.
  • [16]
    L’académie de TA travaillait pour le parlement régional du Land et son conseil d’administration était composé des partenaires sociaux et des politiques. Elle a fermé suite à un changement de majorité politique dans le gouvernement du Land, malgré une évaluation positive et suite à un changement générationnel chez les politiciens.
  • [17]
    Le CPS est chargé de formuler des avis et des recommandations sur la politique scientifique à l’intention du gouvernement wallon. Il s’agit d’une commission mixte du CESRW, qui rassemble des représentants des interlocuteurs sociaux (patrons et syndicats) et des représentants du monde de la recherche (universités, enseignement supérieur non universitaire, centres de recherche) et des représentants du gouvernement wallon. Son rôle est essentiellement consultatif et réactif. Le secrétariat du CPS est assuré par le CESRW. Ce dernier, qui ne comprend que les partenaires sociaux, valide toujours les avis du CPS pour leur donner une force juridique.
  • [18]
    Cf. à ce sujet l’avis du CPS A.441 du 7 mars 1994 – Propositions du Conseil de la politique scientifique concernant la mise en œuvre d’un dispositif d’évaluation des choix technologiques en Région wallonne.
  • [19]
    Ce type de TA régional fut institutionnalisé en Europe occidentale dans les années 1980 et 1990, et un réseau européen de TA régional fut mis en place (le réseau EURETA). Toutefois, à présent, ce modèle a complètement disparu.
  • [20]
    Nous avons consulté les archives du CPS le 17 juin 2008.
  • [21]
    Les documents de l’époque ne mentionnent pas « TA » mais bien « ECT » pour « évaluation des choix technologiques ». Cependant, parce que l’acronyme TA est le plus répandu dans la littérature, y compris en langue française, nous préférons l’utiliser de manière élargie afin d’éviter les confusions.
  • [22]
    Le montant restant était consacré au frais de documentation et à la rémunération d’experts. On peut à première vue considérer que les activités de vulgarisation se situent en-dehors des missions classiques des institutions de TA, axées sur la mise en évidence d’opportunités technologiques et sur la facilitation de la décision politique. Cependant, pour atteindre ses objectifs et augmenter sa visibilité, en interne comme en externe, cette phase de diffusion des résultats et ces activités de vulgarisation sont primordiaux pour un TA. Notons au passage que certains offices de TA (au Pays-Bas et en Flandre) ont activement participé au cours des cinq dernières années au développement de « festivals technologiques », événements thématiques ponctuels qui permettent au TA de s’investir dans des interactions avec le grand public en combinant information/vulgarisation et amusement/apprentissage. Un exemple particulièrement éclairant dans le cas de l’IST flamand est le festival technologique dédié aux nanotechnologies, NanoNu, qu’ils ont organisé les 9 et 10 novembre 2007. Cf. <http:// www. nanonu. be/ >.
  • [23]
    Cela n’est pas pour autant une caractéristique différente de certains autres offices de TA : au niveau du Parlement européen, le STOA ne dispose pas non plus de capacité analytique interne et il confie la réalisation de ses études à un consortium d’institutions scientifiques, le European Technology Assessment Group (ETAG).
  • [24]
    G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, Frankfurt /New York, Campus, 1996 ; P. DELVENNE, G. JORIS et F. THOREAU, « Appréhender l’incertitude : le Technology Assessment au service du processus décisionnel », Pyramides, n° 15, 2008.
  • [25]
    En plus de la « participation élitiste », G. Bechmann donne deux significations à la participation : la « participation instrumentale » et la « participation démocratique » (G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, op. cit.). Selon lui, la signification de la « participation » est sujette à des variations significatives, en fonction du modèle sous-jacent retenu. Dans le modèle participatif instrumental, la participation joue essentiellement le rôle d’un instrument consultatif renforçant les mécanismes de la prise de décision propres au paradigme de la démocratie représentative. Dans le modèle participatif démocratique, la participation adopte une fonction-clé en donnant au public – au sens large – un rôle important dans l’évaluation des sciences et des technologies. On peut alors parler de véritables outils délibératifs fortement inclusifs, y compris pour le simple citoyen (P. DELVENNE, G. JORIS et F. THOREAU, « Appréhender l’incertitude : le Technology Assessment au service du processus décisionnel », op. cit., p. 10).
  • [26]
    L’État central ne conservant que la recherche spécifique liée à l’exercice de ses propres compétences, la politique spatiale menée dans un cadre international, les établissements scientifiques fédéraux, ainsi que diverses autres actions nécessitant une mise en œuvre coordonnée au niveau national ou international (Institutions et politiques de science, technologie et innovation en Belgique, document de la Politique scientifique fédérale).
  • [27]
    Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 1994 que la Belgique est un État fédéral et que l’on peut parler de l’Autorité fédérale et des entités fédérées.
  • [28]
    Il a été mis en place par un arrêté royal du 8 août 1997.
  • [29]
    Décret du 9 janvier 2003 relatif aux organes d’avis en matière de politique scientifique et universitaire et à la concertation entre les différents organes consultatifs de l’enseignement supérieur.
  • [30]
    C’était en tout cas vrai jusque 2009, car depuis lors le budget recherche de la Région wallonne est supérieur à celui de la Communauté française. « Pour la Communauté française, le soutien en faveur de la recherche fondamentale est passé en quatre ans de 234,7 millions d’euros à 295,5 millions d’euros, soit un accroissement de 26 %. C’est la première fois, depuis 1999, que le taux d’accroissement du budget consacré à la recherche dépasse de manière sensible celui de l’indice santé. Pour la Région wallonne, le gouvernement a voulu envoyer un signal fort en faisant le choix d’une augmentation historique par rapport à l’année précédente des crédits recherche de 43 %, en moyens d’action. Au total, le budget consacré à la recherche en 2009 (budget ordinaire et Plan Marshall) s’élève à près de 310 millions d’euro » (gouvernement wallon, Séance spéciale « Recherche » du 12 décembre 2008, Objectif Prix Nobel 2020).
  • [31]
    Le CPS précise dans l’introduction que « le conseil a décidé d’étendre l’analyse à la politique de recherche de la Communauté française, compte tenu du souci de transversalité exprimé dans la Déclaration de politique régionale et la Déclaration de politique communautaire et réaffirmé dans les plans stratégiques transversaux », D. GRAITSON, État des lieux et perspectives de la R&D en Wallonie, Conseil de la politique scientifique, juin 2006, p. 7.
  • [32]
    Politique scientifique fédérale, « Institutions et politiques de science, technologie et innovation en Belgique », Bruxelles, 2006, p. 106.
  • [33]
    Composé de fonctionnaires de la DGTRE, des universités, des centres de recherche, des partenaires sociaux et d’experts internationaux.
  • [34]
    Moniteur belge, 9 février 2007.
  • [35]
    Cette simplification sémantique n’est pas anodine car elle facilitera les échanges avec les autres pays, qui se basent le plus souvent sur la littérature anglo-saxonne désignant les pôles de compétitivité par le vocable cluster. Jusqu’à présent, la terminologie wallonne prêtait à confusion.
  • [36]
    Conseil d’État, Avis 46.401/2 du 6 mai 2009 de la section de législation du Conseil d’État, sur un avant-projet de décret « relatif à la politique de clustering ».
  • [37]
    B. BAYENET, M. WUNDERLE, « Les pôles de compétitivité wallons », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2030, 2009.
  • [38]
    Nous l’avons fait par ailleurs, et nous renvoyons le lecteur à la publication suivante : C. FALLON et P. DELVENNE, « Les transformations actuelles du régime de l’innovation en Wallonie : une analyse des pôles de compétitivité », Innovation : the European Journal for Social Science Research, 2009, à paraître.
  • [39]
    Ce constat est à nuancer : des partenariats public/privé comme l’Institution d’immunologie médicale datent d’avant les pôles (ce partenariat a d’ailleurs particulièrement influencé et structuré le pôle Biowin) et les programmes mobilisateurs ont progressivement insisté sur l’importance des partenariats. Mais les pôles de compétitivité ont considérablement renforcé et multiplié cette logique partenariale.
  • [40]
    Programmes mobilisateurs pour les universités, appels à projets ouverts pour l’industrie, pôles de compétitivité pour le couple universités-industries, financements directs aux universités par la Région wallonne (programmes d’excellence) et par la Communauté française (accords de recherche concertés).
  • [41]
    Le SPIRAL est un centre de recherche interdisciplinaire de l’Université de Liège. Il a été créé en 1995 et articule ses domaines de compétences autour de quatre pôles de recherche : science, technologie et sociétés ; risques et planification d’urgence ; administration publique et évaluation des politiques publiques ; démocratie participative.
  • [42]
    Sur 51 experts wallons de l’innovation préalablement rencontrés individuellement lors d’entretiens semi-directifs et invités à répondre au questionnaire, 36 ont activement participé. De manière générale, la recherche prévoyait trois phases : la réalisation d’entretiens semi-directifs avec des acteurs wallons de l’innovation, la participation de ces derniers au questionnaire Delphi que nous abordons dans ce Courrier hebdomadaire et, enfin, la présentation des résultats lors d’un forum de discussion qui devait rassembler ces acteurs de l’innovation pour discuter du thème « Gouvernance et TA en Wallonie ».
  • [43]
    Cf. le site de Mesydel : <www. mesydel. com>.
  • [44]
    G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, op. cit.
  • [45]
    Même lorsque nos questions n’étaient pas tout à fait ouvertes et contenaient un choix multiple, les experts gardaient la possibilité de sortir des alternatives mises en avant. Ces dernières avaient plus pour rôle de préciser la signification de la question plutôt que d’orienter le choix des répondants.
  • [46]
    C. FALLON, « Les réformes des politiques scientifiques en Belgique et leur inscription dans un référentiel européen reflètent-elles l’émergence de processus politiques plus centriques ? », Thèse de doctorat, Université de Liège, 2009.
  • [47]
    Toutes les informations relatives à cette journée de réflexion se trouvent sur le site <http:// www. spiral. ulg. ac. be/ gouvernance_et_technology_assessment_08/ >.
  • [48]
    Il s’agit de M. de Lamotte (CDH), F. Daerden (PS), M. Bayenet (PS) et B. Langendries (CDH).
  • [49]
    Parlement wallon, Doc. parl. 846, 4 novembre 2008, n° 1 et 2.
  • [50]
    Des contacts visant à établir un dialogue avec le CESRW ont été tardivement initiés, mais ils n’ont pas encore réellement abouti à des discussions impliquant le Conseil économique et social et le Conseil de la politique scientifique dans les structures de réflexion à propos de cette nouvelle mission de TA.
  • [51]
    Déclaration de politique régionale wallonne, « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », Parlement wallon, Doc. parl. 8-1, 16 juillet 2009, p. 51.
  • [52]
    Par exemple, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), le Conseil wallon de l’environnement pour le développement durable (CWEDD), l’Agence de stimulation technologique ou encore l’éventuelle Agence wallonne de la recherche.

INTRODUCTION

1 Un précédent Courrier hebdomadaire analyse de manière comparative cinq offices parlementaires de Technology Assessment (TA) : aux États-Unis, en France, au Danemark, au Parlement européen et en Flandre  [1]. Cette étude décrit les différentes pratiques qui existent sous le label « TA », tout en mettant en évidence les synergies qui existent entre elles. Pour rappel, un office de Technology Assessment peut être défini comme un outil dont l’objectif est l’identification précoce des changements technologiques et de leurs impacts éventuels, qui constitue un service à la prise de décision politique. Il s’agit de la combinaison d’un élément d’anticipation des développements futurs (de la technologie, et de sa relation avec les marchés et la société) et d’un élément de retour de ces actions d’anticipation vers des arènes décisionnelles pertinentes. Dans certains cas, l’office de TA se charge principalement de produire des rapports mettant en évidence les options politiques envisageables autour d’un choix technologique particulier. Dans d’autres cas, l’office insiste davantage sur le processus scientifique, interactif et communicationnel afin de contribuer à la formation d’une opinion publique et politique sur les aspects sociétaux liés à la science et la technologie  [2]. Des configurations hybrides entre ces deux approches existent également. L’office de TA flamand, l’Instituut Samenleving & Technologie (IST, anciennement viWTA), en constitue un très bon exemple. Pour résumer, on peut dire que les missions des offices de TA sont multiples, qu’il s’agisse de produire de la connaissance scientifique objective et directement utilisable par les décideurs politiques, de réduire les controverses sociales liées à la science et la technologie ou de stimuler le débat public relatif aux questions science-société.

2 Le Courrier hebdomadaire de 2006 soulignait qu’à la différence de la Flandre, qui s’est dotée d’une performante institution de TA en 2000 (l’IST), la situation wallonne était paradoxale : « Alors que l’expertise s’est accumulée dans plusieurs centres de recherche, les initiatives institutionnelles régionales sont plutôt au point mort  [3]. » Une autre observation déjà mise en évidence en 2006 est toujours valable aujourd’hui : « Les réalisations wallonnes sont encore fort minces, même si un débat a bel et bien lieu dans certaines sphères restreintes de la société wallonne (certaines cellules universitaires par exemple). L’aide parlementaire à l’évaluation des technologies nous apparaît comme indispensable, et nous pensons que le monde politique wallon est appelé tôt ou tard à se doter lui aussi de son propre office de TA, car il serait maladroit de continuer à fonctionner comme si des réalisations concrètes en matière d’évaluation des technologies n’étaient souhaitables, réalisables et utiles que d’un seul côté de la frontière linguistique  [4]. »

3 C’est sur cette base que nos recherches ont évolué. Nous proposons de repartir du constat de l’inexistence d’un TA en Wallonie et de rendre compte de cette situation. Ce Courrier hebdomadaire s’inscrit par conséquent dans le sillage de notre analyse de 2006, et il vise à éclairer les processus historiques, politiques et institutionnels wallons. Nous entendons en effet montrer leur influence sur l’émergence (ou la non-émergence) d’une institution de TA au Sud du pays.

4 Dans la littérature scientifique, il n’a pas été question d’une vraie contextualisation du Technology Assessment en Wallonie. Ce Courrier hebdomadaire tente de reconstituer le chemin qu’ont suivi les acteurs de l’innovation (tant du monde politique que scientifique ou industriel) depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, et de mettre en avant les éléments qui constituent des obstacles ou des atouts pour une réflexion concrète et efficace sur le rôle d’un Technology Assessment dans la gouvernance wallonne des choix scientifiques et technologiques.

5 Nous commencerons par retracer l’historique du TA en Wallonie, et nous décrirons les éléments qui ont mené à son institutionnalisation temporaire, en 1994, bien avant la création de l’IST flamand. Nous explorerons les raisons qui ont mené à un échec avant de nous livrer à un rappel historique et analytique du régime wallon de recherche et d’innovation, depuis les grandes réformes institutionnelles de 1988-1989. Nous tenterons ensuite de comprendre comment des pratiques et des institutions se stabilisent et créent un cadre commun pour l’action, mais aussi des obstacles au changement. Tant la réflexion entamée par le programme Prométhée (1998) que les initiatives de « réseaux d’entreprises » (grappes technologiques et clusters) ou encore les pôles de compétitivité (2005) ont profondément transformé le régime wallon de recherche et d’innovation. Ces évolutions sont intéressantes à suivre et à relier au Technology Assessment car, en tant qu’instrument politique, il est en charge de la gestion de l’interface entre le système politique et le système de recherche et d’innovation.

6 En parallèle des transformations qui touchent au système wallon de recherche et d’innovation, nous pensons que les initiatives qui voient actuellement le jour au niveau politique reflètent peut-être une certaine évolution des mentalités, notamment pour ce qui touche au TA. Pour illustrer ce propos, il sera question à la fin de cet article d’une récente proposition de résolution, votée à l’unanimité en commission du Parlement wallon, et qui vise à doter le Conseil wallon de la politique scientifique d’une mission de Technology Assessment. Nous nous attacherons à mettre en perspective la construction d’un cadre d’analyse qui a récemment permis un alignement des acteurs autour de ce projet concret et nous conclurons en analysant cette initiative wallonne, dont le futur sera intimement lié aux développements consécutifs aux élections régionales de juin 2009.

1. HISTORIQUE DU TECHNOLOGY ASSESSMENT EN WALLONIE

7 Dans cette première partie, nous tâcherons de recomposer l’historique du Technology Assessment en Wallonie. Nous reviendrons d’abord sur la première réflexion wallonne sur l’institutionnalisation du TA, qui eut lieu en 1988 et était déjà étroitement liée aux réalisations flamandes. Pour des raisons que nous détaillerons plus loin, cette réflexion n’aboutit à rien de concret dans l’immédiat mais elle constitua les prémisses de la seule et unique institutionnalisation du TA, en 1994, qui fera l’objet de la seconde partie.

1.1. LA PREMIÈRE RÉFLEXION WALLONNE SUR L’INSTITUTIONNALISATION DU TA (1988)

8 En 1984, le ministre-président de l’exécutif wallon chargé notamment des Technologies nouvelles, Melchior Wathelet (PSC), est interpellé par la campagne flamande « Derde industriele revolutie in Vlaanderen » (DIRV) et la création de la Stichting Technologie Vlaanderen (STV)  [5] par l’exécutif flamand. Il est appelé à positionner la Région wallonne par rapport aux réalisations flamandes.

9 À l’époque, même si l’heure n’est pas à l’engouement, certains responsables socialistes et les partenaires sociaux présents au CESRW ne semblent pas hermétiques à la création d’une STV en Région wallonne, mais les milieux parlementaires, en particulier le PSC et le PRL s’opposent à cette formule, notamment parce qu’elle renforcerait le poids des instances de concertation sociale. Cette opposition du Parti social chrétien wallon survient alors que l’on voit se dessiner en Flandre un vrai « projet de société », axé sur le développement technologique et l’innovation avec des investissements majeurs dans la recherche et dans l’enseignement universitaire. De 1981 à 1987, le PSC est au gouvernement national avec les libéraux, de même que de décembre 1985 à février 1988 à la Région wallonne et à la Communauté française. Il connaît une période de « glissement vers la droite » (avec notamment diverses tentatives de la « démocratie chrétienne » de se séparer du PSC). Les institutions politiques francophones sont en train de naître dans une certaine confusion (entre Régions et Communauté, retard des institutions bruxelloises) et un alignement sur la Flandre est relativement mal perçu en Wallonie. Pour sa part, le ministre Wathelet représente une certaine orthodoxie au sein du PSC. Il décide au début 1988, c’est-à-dire tout à la fin de son mandat, de confier la réalisation d’une étude sur l’opportunité et la faisabilité d’une institutionnalisation parlementaire du Technology Assessment en Wallonie au Centre de recherche informatique et droit (CRID) des Facultés Notre-Dame de la Paix (FUNDP) de Namur  [6].

10 Pour les besoins de cette étude d’opportunité et de faisabilité, l’équipe du CRID se rend dans plusieurs institutions de TA, notamment au Danemark et aux États-Unis afin de prendre connaissance des pratiques de TA utilisées par plusieurs offices. Le rapport remis au gouvernement wallon constituait une étude de faisabilité poussée, principalement du point de vue juridique, dont les recommandations ressemblaient en beaucoup de points à la création d’un office parlementaire fortement intégré au Parlement wallon et calqué sur le modèle de l’Office of Technology Assessment américain, à la différence notable qu’il prônait la création d’un organisme indépendant par rapport aux décideurs. Certains acteurs, comme le Conseil économique et social wallon (CESRW), eurent à se prononcer sur l’adéquation de cette proposition au contexte wallon. La plupart ne se montrèrent pas très favorables. Ils pensaient que ce projet n’était pas adéquat au contexte wallon, qu’il était trop juridique ou encore trop déconnecté des évolutions européennes du moment. Ces dernières étaient de plus en plus axées sur des modèles régionaux de concertation sociale ou sur des modèles participatifs (comme c’était le cas au Danemark) ou de TA constructif (inspiré de l’expérience du TA des Pays-Bas).

11 Pour sa part, le CESRW craignait une dilution de la fonction consultative en matière de recherche, déjà partagée entre lui-même et le défunt Conseil supérieur des technologies nouvelles. Il reprochait en outre au CRID de se focaliser sur les technologies émergentes et de ne pas assez tenir compte de la nécessité de promouvoir l’amélioration et la valorisation des outils existants  [7].

12 En d’autres termes, le projet était largement perçu comme étant très formaliste, s’appuyant trop peu sur les organes qui existaient déjà et négligeant les considérations sociétales. Il s’agissait d’un instrument politique de soutien à la décision parlementaire, qui restait toutefois extérieur et indépendant du Parlement. Il ne faut toutefois pas discréditer l’option d’un TA fortement intégré ou rattaché au Parlement wallon, servant les parlementaires, de manière exclusive ou non. On retrouve plusieurs configurations à l’intérieur desquelles les offices de TA sont plus ou moins rattachés à l’institution parlementaire. Aucune de ces configurations ne permet a priori de prendre plus ou moins en compte les considérations sociétales. Certains TA se trouvent à l’intérieur du Parlement qu’ils servent (c’est le cas de la France, du Parlement européen, du Royaume-Uni ou de la Flandre), d’autres sont des institutions indépendantes (c’est le cas du Danemark), alors que d’autres encore sont rattachés à l’Académie des arts et des sciences (c’est le cas de la Suisse et des Pays-Bas). Ce qui était reproché au projet du CRID était, par exemple, qu’il atteignait un niveau extrême de précision juridique, se focalisant sur les différents modes de saisine de l’office sans avoir préalablement intégré les considérations contextuelles wallonnes ni les logiques et les besoins des destinataires potentiels. Par ailleurs, le modèle de l’OTA américain était certes en vogue à l’époque, mais sa transposition dans d’autres contextes politiques fut maintes fois pensée mais jamais réussie, pas seulement en Wallonie. Ceci est explicable à la fois par des raisons politiques  [8], historiques  [9] ou budgétaires  [10]. Par ailleurs, il semblait aussi que le ministre Wathelet, sensible à la question de TA, ait évalué trop favorablement la motivation qu’il pouvait y avoir parmi les parlementaires et les ministres à mettre en place un TA en Région wallonne.

13 Cependant, le contexte politique de réformes institutionnelles de l’époque eut pour effet d’éclipser le projet de TA parlementaire. Il faut se rappeler que le Parlement wallon, dénommé à l’époque Conseil régional wallon, était une entité politique très jeune ne disposant pas encore d’une grande capacité d’absorption. Il était composé des députés et des sénateurs wallons  [11]. Quant au gouvernement wallon, dénommé alors « exécutif wallon », il a été désigné en 1985 pour la première fois à la majorité absolue par le Conseil régional wallon. Par ailleurs, il fallut attendre les grandes réformes institutionnelles de 1988 pour que le gouvernement wallon bénéficie d’un accroissement substantiel de ses compétences, notamment en matière de recherche scientifique.

14 Ce premier projet qui visait à mettre le TA en place en Région wallonne passa à l’arrière plan des priorités politiques pour des raisons de transformations institutionnelles. Il semble qu’il était loin de faire l’unanimité parmi les acteurs concernés et qu’il ne correspondait pas particulièrement bien aux nécessités et aux contraintes du contexte wallon. Finalement, mises à part quelques personnalités politiques et du monde académique, l’idée du TA institutionnalisé avait à ce moment là parcouru peu de chemin en Wallonie. Nous verrons avec la seconde tentative, qui déboucha sur une réalisation concrète, combien le climat socio-politique a pu évoluer sur la question en quelques années.

1.2. LA PREMIÈRE INSTITUTIONNALISATION DU TA EN RÉGION WALLONNE (1994-2002)

15 Comme nous l’avons indiqué plus haut, le projet élaboré par le CRID n’a pas convaincu beaucoup d’acteurs wallons de l’innovation. Parmi les acteurs ayant eu à se prononcer sur la teneur du projet et son opportunité, nous avons cité le CESRW, qui avait remis un avis sur la base de ce qui avait été discuté au sein de sa commission recherche. Cette commission recherche deviendra le Conseil wallon de la politique scientifique (CPS) en 1990  [12], dont nous reparlerons plus loin. Au sein de cette dernière, un des représentants de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) était Gérard Valenduc, par ailleurs actif à la Fondation Travail-Université (FTU)  [13] et enseignait aux Facultés de Namur. Il était dès cette époque intéressé par les questions de science, technologie et société. Vers la fin des années 1980, il considéra qu’il préférait se retirer de la commission du CESRW afin de se consacrer à ses travaux scientifiques sur le Technology Assessment à la FTU et d’éviter tout conflit d’intérêt avec son mandat au CESRW. Par la suite, en 1991, il attira l’attention du ministre de la Recherche et de la Technologie de l’époque, Albert Liénard (PSC), sur l’opportunité de repenser un projet d’institutionnalisation du TA en Région wallonne. Ce dernier accepta de financer un nouveau projet exploratoire qui prit le nom d’EMERIT (Expériences de médiation et d’évaluation dans la recherche et l’innovation technologique).

16 L’idée générale de ce projet était de penser un TA wallon à l’image de ce qui avait progressivement émergé dans d’autres régions européennes, par exemple dans la région de Baden-Württemberg : un modèle de TA ancré dans la concertation sociale. Il s’agissait pour EMERIT de relier la médiation au sens large (entre demande sociale et recherche scientifique) et l’évaluation des technologies. La mission d’EMERIT comprenait un volet animation (séminaires sur des questions de TA et de société) qui avait pour objectif de tisser un réseau avec des groupes de la société civile et un volet recherche exploratoire sur le thème « TA et régions  [14] ». Ce dernier volet eut principalement pour objectif de mettre en évidence le lien entre la création d’une institution de TA et la structuration des politiques régionales d’innovation.

17 L’optique était donc très différente de l’aspect « aide à la décision parlementaire » favorisé par le projet de 1988 : ce nouveau projet s’orientait principalement vers les politiques socio-économiques. L’idée principale était que le TA était important pour créer un climat social favorable à l’innovation technologique et permettait d’organiser l’implication de la société civile, tout en discutant de manière anticipative de projets d’innovation ayant un impact sur l’organisation de la société. Il s’agissait, en d’autres termes, de l’organisation d’un débat public via la médiation de la société civile, d’une sorte de plateforme qui devait par ailleurs préparer la Région wallonne à une institutionnalisation plus forte du Technology Assessment.

18 En effet, ces premières recherches exploratoires avaient amené la FTU à favoriser le modèle de la concertation sociale pour un TA régional wallon, mais il était aussi question, dans une seconde phase, de passer à une institutionnalisation à proprement parler. L’institution qui fut prise comme exemple par la FTU fut l’Académie de Baden-Württemberg à Stuttgart  [15], qui a depuis lors fermé ses portes  [16]. L’idée était que la Belgique, comme d’autres pays, est caractérisée par un dialogue social formalisé et organisé, qu’il aurait été possible d’élargir à une mission de débat sur les questions de science, technologie et société. Il s’agissait à ce moment d’essayer de voir comment les acteurs du monde de la recherche, de l’entreprise et de la société civile allaient réagir à la formation d’une fonction de débat « technologie et société » en Région wallonne.

19 Fin 1994, dans le cadre du projet EMERIT, la FTU organisa une conférence sur le thème « évaluation des choix technologiques et régions ». Le ministre Liénard profita de cette occasion pour annoncer publiquement la proposition du gouvernement wallon d’attribuer au Conseil wallon de la politique scientifique (CPS)  [17] une mission d’évaluation des choix technologiques. Le CESRW accepta, mais resta prudent et ne montra pas un grand enthousiasme. Par voie de conséquence, le budget du CESRW fut augmenté afin de permettre au CPS d’élargir ses missions au Technology Assessment et un Comité de coordination de l’évaluation des choix technologiques fut créé  [18].

20 Pour expliquer la réussite de cette institutionnalisation, alors que le premier projet de 1988 était resté lettre morte, plusieurs éléments de réponse sont à épingler. Nous avons déjà cité les éléments de contexte politico-institutionnel, qui n’était plus du tout le même en 1994, dans le sens où les instances politiques régionales étaient plus stabilisées et que les réformes de l’État de 1988 et de 1993 avaient sérieusement renforcé les Régions (la première au niveau des transferts financiers et de compétences, la seconde au niveau de la constitutionnalisation des entités fédérées). Ensuite, le modèle mis en avant était différent : l’idée de doter le Parlement wallon d’un instrument de soutien à ses décisions était mise de côté pour favoriser le modèle régional basé sur la concertation sociale, qui bénéficiait d’une grande visibilité à l’époque au niveau européen  [19]. Après avoir pu consulter les documents du CPS de l’époque  [20], nous pouvons détailler les activités de TA qui furent organisées dans ce cadre  [21]. Par la suite, nous expliquerons les raisons qui ont poussé le CPS à arrêter de remplir cette mission d’évaluation des choix technologiques en 2002.

1.3. LES ACTIVITÉS DU CONSEIL WALLON DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE EN MATIÈRE DE TA DE 1995 À 2002

21 Fin 1994, à l’initiative du ministre Liénard en charge du Développement technologique et de l’Emploi, le gouvernement wallon confie donc au CPS une mission de réflexion et d’action en matière d’évaluation des choix technologiques (TA). Cette démarche a pour but de contribuer à une diffusion harmonieuse des technologies nouvelles au sein de la société, considérée dans son ensemble (pouvoirs publics, entreprises, travailleurs, citoyens). À cette fin, elle était appelée à répondre à quatre fonctions :

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  • la veille technologique, qui consiste à mettre en œuvre une capacité d’anticipation des tendances technologiques, de leurs potentialités et de leurs contraintes ;
  • l’analyse des incidences, qui vise à identifier les implications de l’innovation technologique en prenant en considération tant les aspects scientifiques, techniques, économiques et organisationnels que les changements possibles dans les domaines social, culturel ou institutionnel ;
  • la mise en évidence des alternatives, qui révèle l’existence d’une diversité d’options technologiques et permet de clarifier les controverses et d’étayer les choix ;
  • l’information et la vulgarisation, qui garantit l’accès du public aux données et aux analyses.

23 Très clairement, si l’on compare ces fonctions attribuées au comité de TA du CPS aux éléments de définition du TA donnés au début de ce Courrier hebdomadaire, on observe qu’elles correspondent davantage à une mission de production de connaissance scientifique objective et directement utilisable par les décideurs politiques, consignée dans des rapports, qu’à une mission de gestion des controverses sociales ou de stimulation du débat public autour des choix technologiques. Cela est d’autant plus compréhensible que la mise en œuvre de méthodes participatives s’avère très couteuse au regard des moyens supplémentaires qui ont été attribués au CESRW. Outre les demandes particulières émanant de ses destinataires principaux (le gouvernement, le Parlement et l’administration), le comité de TA du CPS est chargé de proposer des thèmes d’études compte tenu des préoccupations des divers milieux concernés. La réalisation de ces recherches est confiée aux centres de recherche compétents par voie d’appel d’offres ouvert. Le rôle du comité consiste donc à établir le cahier des charges, à lancer l’appel aux propositions, à sélectionner les projets, à accompagner les recherches, à évaluer et à diffuser les résultats.

24 Les travaux qui ont été fournis dans le cadre de cette mission de TA ont été décrits dans deux rapports d’activités, portant sur quatre ans chacun. Pour le premier, couvrant la période 1995-1998, le CPS a obtenu un subside de 17 millions de francs belges pour la réalisation d’une série d’actions. Parmi celles-ci, deux études furent réalisées :

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  • le programme « Transport urbain » : réalisée en 1995, cette étude visait à identifier les technologies susceptibles de résoudre les problèmes soulevés par la circulation dans les villes wallonnes (pollution, congestion, insécurité, utilisation du sol…). Il s’agissait également d’étudier dans quelle mesure ces technologies pouvaient être développées en Wallonie (analyse du potentiel scientifique, technique et industriel wallon dans les domaines visés) et d’évaluer les conséquences économiques, budgétaires et sociétales de leur mise en œuvre. Dans cette étude, il s’agissait principalement de travailler aux fonctions d’analyse des incidences des choix technologiques préalablement effectués dans le domaine du transport en Région wallonne et de mise en évidence d’alternatives technologiques ;
  • le programme « Nouveaux matériaux » : cette étude, réalisée en 1997, visait à accompagner le programme « Multimatériaux » de la Région wallonne (650 millions de francs répartis sur cinq ans) en analysant six projets jugés particulièrement prometteurs en termes de valorisation industrielle selon des critères répondants aux objectifs de l’évaluation des choix technologiques. Dans le prolongement de cette étude, et en réponse à l’une des fonctions essentielles de l’évaluation des choix technologiques, à savoir la diffusion et la vulgarisation des connaissances scientifiques et techniques auprès du grand public, le CPS, en collaboration avec les Jeunesses scientifique de Belgique, a mis sur pied une exposition présentant les utilisations des nouveaux matériaux dans la vie quotidienne.

26 Pour la période 1999-2002, le CPS a obtenu un subside de 8,7 millions de francs pour effectuer deux études. Quatre millions ont été consacrés aux études elles-mêmes et 4 millions aux actions de vulgarisation et de diffusion des résultats  [22]. Au cours de cette période, deux thèmes ont été étudiés :

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  • « Les relations entre les technologies de l’information et de la communication et les nouvelles formes de travail dans le secteur de la presse et de l’édition ». L’objectif de cette démarche était d’identifier, à partir d’une étude de cas, les mutations du travail induites ou favorisées par les technologies de l’information et de la communication et d’en tirer un certain nombre de conclusions sur les mesures à prendre pour répondre aux besoins qui en découlent dans différents domaines. Il s’agissait ici de croiser les fonctions de veille technologique dans un domaine particulier avec la mise en évidence d’alternatives technologiques possibles. Une valorisation des résultats de l’étude eut lieu à travers la création d’un site internet à destination des jeunes et contenant des informations sur les métiers dans le secteur visé et sur les formations y menant ;
  • « Les technologies en matière de gestion et de prévention des déchets : tri des ordures ménagères et utilisation des fractions séparées ». Cette étude avait comme but premier d’identifier des domaines dans lesquels des recherches ultérieures et plus approfondies pourraient être lancées afin de résoudre les problèmes relatifs aux déchets ménagers, à leur réduction à la source, leur collecte, leur séparation à la source et leur recyclage dans le circuit économique. Il s’agissait aussi de réduire les pertes de matières premières et, enfin, de développer de nouveaux procédés de gestion des déchets. La valorisation des résultats de cette étude s’est faite au travers de la réalisation d’un outil pédagogique (CD-ROM) à destination des enseignants du secondaire inférieur. Cet instrument a été conçu pour pouvoir être utilisé dans le cadre du nouveau programme d’éducation par la technologie. L’objectif de cet outil était de montrer aux jeunes les applications possibles de la technologie pour améliorer l’environnement en prenant le cas concret de la gestion des déchets.

28 Dans les deux derniers cas, une conférence présentant les résultats des études a été organisée.

29 Après avoir passé en revue les activités qui ont été réalisées dans le cadre de ces huit années de mission d’évaluation des choix technologiques au CPS, nous souhaitons maintenant nous pencher sur les raisons qui ont mené à l’arrêt de la mission d’évaluation des choix technologiques au CPS. Cela nous permettra d’analyser la manière dont la commission mixte s’est emparée de la mission de TA, et le contexte dans lequel elle a évolué jusqu’à sa disparition, en 2002.

1.4. LA FIN DE LA MISSION DE TA AU CPS

30 En 2002, le CPS décide de réorienter sa mission de TA, car il considère qu’elle fonctionnait en vase clos : le CPS définissait les thèmes à examiner et n’a jamais eu aucune demande de la part du Parlement et du gouvernement, ses principaux destinataires. Les deux initiatives qui fonctionnèrent relativement bien furent celles de vulgarisation tournées vers les jeunes (l’exposition « Nouveaux matériaux » et le CD-ROM sur le traitement des déchets). La mission souffrait d’un manque de visibilité. Les sujets traités étaient choisis en interne par un comité composé de membres du CPS, à qui on avait ajouté une mission supplémentaire qui ne se justifiait pas à leurs yeux, au vu de l’absence d’intérêt de la part des interlocuteurs institutionnels de l’organisation. Cependant, le programme de réorientation proposé par le CPS au gouvernement ne fut pas accepté par le ministre Kubla, en charge depuis le 15 juillet 1999 de l’Économie, des PME, de la Recherche et des Technologies nouvelles, lequel décida de ne pas renouveler la convention avec le CESRW, ce qui entraina l’arrêt des activités de TA.

31 De manière générale, un certain nombre d’éléments supplémentaires peuvent être donnés pour justifier la demande du CPS – rejetée par le gouvernement – de réorienter sa mission de TA. D’abord, les ressources supplémentaires qui furent allouées au CPS n’étaient pas suffisantes pour permettre au staff de gérer cette « sous-commission » en plus de la mission traditionnelle d’avis et de consultation dans le domaine de la politique scientifique. Ensuite, l’absence de capacité analytique interne  [23] rendait nécessaires les appels d’offre pour sous-traiter les études à des consultants privés, mais surtout à des universités dont peu avaient de l’expertise dans ce domaine. Le comité TA du CPS accompagnait le travail et en définissait les modes de valorisation, qu’il confiait la plupart du temps à un nouveau contractant. Comme dans le cas du CPS dans sa mission « classique » de formulation d’avis et de recommandations de politique scientifique, trois types d’acteurs participaient à la dynamique du comité TA : des représentants des syndicats, des représentants du patronat et des représentants du monde de la recherche. Le secrétariat était assuré par le personnel du CESRW qui, comme c’est le cas du CPS, constituaient en quelque sorte la mémoire de l’office de TA et assuraient la continuité entre les comités de coordination de la mission. Dans le mode de fonctionnement de celui-ci, la participation était surtout « élitiste  [24] », car elle se concrétisait principalement au travers de la dissémination des informations qui provenaient essentiellement des institutions scientifiques (détenant ce qui apparaît comme la seule et unique « Vérité ») à destination à la fois du monde politique et du grand public  [25]. Les moyens n’étaient pas suffisants pour permettre une participation directe du public (une participation démocratique au sens de Bechmann) et les acteurs de terrain considéraient que les méthodes participatives comme la conférence de consensus ou le jury de citoyens (pratiquées dans les pays nordiques mais aussi aux Pays-Bas) étaient inadaptées au contexte wallon. Plutôt que d’être défendue par principe, cette orientation d’un TA vers une configuration plus participative n’est pas souhaitable dans toute circonstance, mais il est important que la possibilité de recourir à des professionnels de la participation publique soit ouverte. En effet, une capacité plurielle à déployer des activités de TA est extrêmement précieuse, car des variables telles que la problématique en jeu, les données disponibles, la pression du temps, le niveau de consensus social, la dynamique du choix technologique, les options politiques déjà disponibles ou encore le niveau potentiellement existant de controverse sociale justifient plus ou moins le recours à des choix d’ouverture, d’intégration, de comparaison systématique et de véritable participation.

32 Mais en l’occurrence, le comité TA du CPS n’eut pas d’autre choix que celui de tenter d’être proactif et de définir un programme dont il supputait qu’il pourrait servir les besoins de certains acteurs politiques. Il faut cependant reconnaître que l’institution qui abritait la mission d’évaluation technologique travaille essentiellement de manière réactive et consultative. De plus, elle est traversée par des rapports de force politique indirects qui ont certainement empêché la mission de TA de développer sa propre dynamique. On a pu observer un phénomène de capture de cette mission de TA à l’intérieur d’une institution dont le dynamisme est inégal d’une commission à l’autre, et au sein de laquelle les partenaires sociaux ont un important potentiel d’action. La mission de TA attribuée au CPS a produit de la connaissance, répondant à d’assez bons critères scientifiques, mais ne correspondant pas à une approche intégrée et rationnelle des besoins du Parlement et du gouvernement, et ne reflétant pas les grandes tendances sociétales du moment. Alors qu’il aurait pu susciter un débat sociétal autour des sciences et des technologies en s’appuyant sur un modèle de concertation sociale élargi à la société civile (le modèle favorisé par l’équipe de la FTU dans le contexte de l’époque), le CPS s’est borné – faute de moyens suffisants – à diffuser des informations compilées et vulgarisées en espérant avoir un impact socio-politique positif. Pourtant, le climat socio-politique favorable de l’époque aurait pu permettre de stabiliser l’activité de TA en-dehors d’une relation de dépendance vis-à-vis du CESRW et d’un immobilisme traduisant un manque d’intérêt pour la question.

33 La bonne volonté et la compétence du staff technique du CPS n’ont pas suffi à tisser les liens nécessaires pour s’adapter au contexte wallon et à ses besoins. La mission de TA est restée déconnectée du monde politique (vu l’absence de demande de sa part), éloignée de la société et apparemment méconnue même des membres du CPS. À côté des raisons qui touchent à l’inadaptation au contexte politique wallon, on peut apporter un diagnostic supplémentaire qui concerne plus précisément le système wallon de recherche et d’innovation et son niveau de développement. Ce sera le thème de notre deuxième partie.

34 Les échecs des tentatives précédentes d’institutionnaliser le TA en Wallonie peuvent en effet être expliqués autrement que par une inadéquation au contexte politique wallon, soit par un système régional de recherche et d’innovation qui n’était pas encore assez développé à l’époque pour absorber un TA institutionnalisé. Une décision politique, si elle est indispensable, n’est pas suffisante pour institutionnaliser un TA avec succès. Il importe que le système de recherche et d’innovation soit lui aussi transformé. Or, ces changements systémiques ne s’effectuent pas automatiquement. Il existe des dynamiques et des tentatives de modulation du système qui seront plus ou moins efficaces selon les types de connaissance mobilisée et de diagnostic posé.

35 Au vu du jeune âge et des traits caractéristiques du système wallon de recherche et d’innovation de la fin des années 1980, puis des années 1990, il n’est pas incompréhensible qu’une mission de TA n’ait pu être pérennisée. Pour illustrer et expliquer cela, nous proposons de revenir sur le système wallon de recherche et d’innovation à partir des grandes réformes institutionnelles de 1988-1989, qui avaient eu pour effet indirect de mettre de côté la première réflexion wallonne en matière de TA. C’est effectivement cette époque qu’il faudra attendre pour que les politiques « primaires » de science, technologie et innovation (STI) soient entièrement placées sous la responsabilité des Communautés et des Régions  [26].

2. L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME WALLON DE RECHERCHE ET D’INNOVATION

36 Pour retracer l’évolution du système wallon de recherche et d’innovation, nous proposons une reconstruction historique à partir des réformes institutionnelles de 1988-1989. En matière de transferts de compétences, ces dernières furent très importantes en termes de politiques scientifique, technologique et d’innovation. Dans une seconde section, nous nous pencherons sur la répartition des compétences consultatives pour ces mêmes politiques, avant de nous centrer sur les étapes qui ont marqué la transformation stratégique du système wallon de recherche et d’innovation : les programmes Prométhée I (1998-2000) et II (2004-2005) et la mise en place de cinq pôles de compétitivité (2005).

2.1. LES POLITIQUES SCIENTIFIQUE, TECHNOLOGIQUE ET D’INNOVATION APRÈS LES RÉFORMES INSTITUTIONNELLES DE 1988-1989

37 La complexité de la Belgique décentralisée implique la coexistence de plusieurs politiques de STI se rapportant à des champs de compétence différents. Suite à la réforme institutionnelle de 1988, la Conférence interministérielle de la politique scientifique (CIMPS), composée des ministres compétents pour la politique scientifique, fut installée en 1989. Il fallut attendre deux années pour que soient signés, le 1er février 1991, deux accords de coopération entre l’État, les Communautés et les Régions, le premier, relatif à la création des commissions Coopération internationale et Coopération fédérale de la CIMPS et le second relatif à l’association des différentes autorités aux activités des Communautés européennes en matière de politique scientifique.

38 D’autre part, suite à ces accords, le partage des compétences exécutives est effectué comme suit : l’État central  [27] est responsable des activités scientifiques liées à ses propres compétences et élabore des activités de STI d’intérêt national et international en accord avec les Communautés et les Régions. Les Communautés sont les principales responsables de la recherche fondamentale dans les universités. Les Régions sont les principales responsables de la recherche axée sur l’économie, le développement technologique et la promotion de l’innovation.

39 Les réformes institutionnelles de 1988-1989 impliquent également une répartition des compétences administratives et consultatives entre autorité fédérale et entités fédérées. À la fois pour le rôle de plus en plus important qu’elles ont joué après ces réformes, mais également pour les liens étroits qu’elles ont entretenus avec l’histoire du TA en Wallonie, nous proposons de nous pencher sur l’évolution de la répartition des compétences consultatives dans la partie suivante. Pour réduire la complexité, et parce que cela n’est pas l’objet de ce travail, nous nous contenterons de partir des transformations du niveau fédéral avant d’entrer dans l’évolution et les spécificités du système wallon de recherche et d’innovation.

2.2. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES CONSULTATIVES POUR LES POLITIQUES DE SCIENCE, TECHNOLOGIE ET INNOVATION

40 Suite aux réformes de 1988-1989, le Conseil national de la politique scientifique (CNPS) est devenu le Conseil fédéral de politique scientifique (CFPS)  [28], organe consultatif qui ne joue plus aucun rôle dans l’enseignement supérieur et qui est chargé de la position de la Belgique dans l’Espace européen de la recherche (en collaboration avec les entités fédérées) et des grandes orientations de politique scientifique fédérale. Dans les faits, il est très affaibli par rapport à l’ancien CNPS. Pour ce qui est du niveau wallon, le Conseil de la politique scientifique a été mis en place en novembre 1990, par un arrêté de l’exécutif régional wallon du 15 novembre 1990. Le CPS est compétent pour rendre des avis sur toute question relative à la politique scientifique régionale. Toutefois, il s’est en réalité focalisé sur les recherches à finalité technologique, d’une part parce que ce poste représente le budget le plus important et d’autre part parce qu’il est le seul à faire l’objet d’imputations clairement identifiables dans le budget de la Région wallonne. Par ailleurs, jusqu’à présent, seul le ministre en charge de la Recherche et des Technologies nouvelles l’a régulièrement consulté, les autres ministres n’ayant jamais souhaité s’adresser à lui. Les avis que remet le CPS, de sa propre initiative ou lorsqu’il est consulté, ne concernent par conséquent qu’une partie spécifique des dépenses publiques régionales en matières de STI. Des matières comme l’environnement, l’agriculture ou l’énergie échappent donc a priori à ses domaines de compétence car chaque ministre gère la recherche scientifique dans les matières de sa compétence et il n’existe pas de véritable coordination. Dans les faits, certains autres organes consultatifs indépendants du CESRW (mais dont ce dernier assure le secrétariat) devant remplir la même mission que le CPS dans d’autres domaines sont parfois fort peu actives. Par exemple, le Comité énergie ne se réunit plus sur décision du gouvernement de la législature précédente, tout comme c’est actuellement le cas de la Commission scientifique pour les produits agro-alimentaires et du Conseil supérieur wallon pour l’agriculture, l’agro-alimentaire et l’alimentation.

41 Ensuite, alors que la question ne s’est pas posée du côté flamand où ce sont les institutions de la Communauté flamande qui exercent les compétences de la Région flamande depuis 1981, la régionalisation prévoyait également la création d’un Conseil de la politique scientifique de la Communauté française en plus du CPS wallon  [29]. Dans les faits, alors que la quote-part de recherche « entités fédérées » la plus importante financièrement a été longtemps gérée par la Communauté française (enseignement supérieur et recherche fondamentale), celle-ci n’a pas de CPS propre. En pratique, le CPS wallon, qui s’occupe de la partie de la recherche moins budgétairement lourde  [30] (mais évidemment très importante pour l’industrie, donc également pour les partenaires sociaux et pour le CESRW) a progressivement couvert le champ des compétences de la Communauté française  [31] dans les avis qu’il remet.

42 Récemment, le mémorandum réalisé par le CPS en mai 2009 dans la perspective des élections régionales propose la création d’une Agence francophone de la recherche, associant la Communauté française, la Région wallonne et la COCOF, qui serait chargée de la gestion des crédits de recherche (fondamentale « libre », fondamentale « orientée » et appliquée) de la Région wallonne et de la Communauté française. Cette Agence « serait encadrée par un Comité interministériel de la recherche réunissant tous les ministres ayant des compétences en matière de recherche au niveau de la Région wallonne et de la Communauté française ainsi qu’un représentant de la COCOF (…). Ce Comité s’appuierait sur un Conseil de la politique scientifique résultant de la fusion entre le Conseil wallon de la Politique scientifique et le Conseil de la Politique scientifique de la Communauté française, encore à l’état virtuel à l’heure présente. » Notons encore que le paysage des organes consultatifs a été récemment modifié par la création, par un décret du 24 octobre 2008, d’un Conseil économique et social de la Communauté française, installé en mai 2009. Ces évolutions seront incontestablement intéressantes à suivre et à observer, car elles modifieront le paysage des « politiques de science, technologie et innovation » (STI).

43 Si nous revenons au Conseil économique et social de la Région wallonne, qui joue un rôle de premier plan dans la formation de la décision politique wallonne, on remarque que le CPS a acquis une légitimité importante et les avis qu’il remet sont la plupart du temps pris en considération. Outre ses évaluations de la politique scientifique, le CPS a pris une part très active dans les réflexions régionales stratégiques, par exemple celles suscitées par le programme Prométhée, qui signa les débuts d’une véritable révision de la politique régionale de STI et de l’émergence d’une vision plus globale à l’intérieur de la Région.

2.3. LE PROGRAMME PROMÉTHÉE

44 Avec le programme Prométhée lancé en 1998, la Wallonie a pour la première fois entrepris une révision stratégique de sa politique de STI et de sa structure de soutien à l’innovation, en mobilisant tous les acteurs qui interviennent dans ce domaine.

45 Il s’agissait de la mise en œuvre wallonne de l’initiative européenne RIS (Regional Innovation Strategies) orientée vers le développement de réflexions stratégiques et d’actions pilotes en faveur de la politique d’innovation dans les régions d’Europe. Ce projet wallon a été co-financé par la Commission européenne dans le cadre des fonds structurels européens et de la création d’un Espace européen de la recherche.

46 Le programme a été placé sous l’égide de la Direction générale Technologies, Recherche et Énergie (DGTRE) et s’est développé en deux phases : la première phase, Prométhée I (1998-2000) et Prométhée II (2004-2005). La première phase a mis l’accent sur trois objectifs principaux : améliorer la connaissance du potentiel d’innovation existant en Wallonie, favoriser la concrétisation de partenariats et de synergies dans les domaines prioritaires et restructurer et améliorer le rôle des acteurs qui composent la structure d’aide à l’innovation.

47 La poursuite du premier objectif a favorisé la mise en œuvre d’une étude destinée à identifier « 40 technologies clés » pour la Wallonie. Ces technologies clés ont été détectées en faisant le bilan des tendances de la demande du marché, du potentiel scientifique et de recherche disponible dans la région ainsi que des capacités d’exploitation industrielles existantes. Ce travail a été effectué par des consultants externes en association avec des experts wallons issus des universités, des centres de recherche et des entreprises. Les technologies clés identifiées apparaissent dans les cinq domaines suivants : produits chimiques, biens d’équipement, technologies de l’information, sciences de la vie et agroalimentaire, environnement/énergie/- transport/aménagement urbain.

48 Cette approche, conçue comme un exercice de prospective, visait à fournir des outils de décision aux autorités publiques régionales, entre autres pour la sélection d’appels à projets de recherche thématiques, et pour la définition de secteurs stratégiques pour les activités de recherche, technologie et développement (notamment pour le programme de grappes technologiques, qui constitue l’une des réponses au deuxième objectif, que nous détaillons dans le paragraphe suivant). Les technologies clés ont également été utiles aux acteurs de la recherche pour le développement de leurs propres stratégies de recherche.

49 La principale réponse apportée au deuxième objectif a été le lancement de plusieurs « grappes technologiques » (dix au total), au travers desquelles la Région soutient la création de consortiums d’entreprises, appuyés par des organisations de recherche, qui développent des projets de collaboration dans les domaines des « technologies clés wallonnes ». Les grappes sont définies comme des « regroupements d’entreprises de tailles diverses, unies par une communauté d’intérêts (besoins et contraintes communs, complémentarités, interdépendances) et développant volontairement des relations de coopération dans un ou plusieurs domaines. Les grappes peuvent également inclure les institutions de recherche et d’enseignement avec lesquelles les entreprises développent des collaborations. Les grappes doivent être portées par des acteurs privés (des entreprises) et être axées sur l’innovation et, en particulier, dans les domaines technologiques porteurs identifiés par le programme Prométhée  [32]. »

50 Ce programme de grappage visait à décloisonner l’innovation, à exploiter les complémentarités et à tirer profit des opportunités offertes par le partage d’informations et la mise en réseau. Il s’agissait de dépasser le découpage sectoriel traditionnel pour s’appuyer sur une démarche bottom up permettant de développer des partenariats durables et de bâtir des projets communs de recherche et développement et d’innovation. La Région wallonne a donc mis en place un jury  [33] qui était chargé d’évaluer puis de « labelliser » les grappes. La Région se chargeait également d’aider les acteurs à fonctionner en réseau à l’intérieur des grappes en fournissant un appui technique et méthodologique. Il faut signaler qu’à la différence des pôles de compétitivité, dont nous parlerons plus loin, où des fonds ont été débloqués pour financer des projets de recherche collaboratifs, l’une des principales difficultés rencontrées par le programme de grappage a été de convaincre les chercheurs et (surtout) les industriels de créer un réseau sans projets ni financements ultérieurs autres que les financements classiques de la Région wallonne.

51 Enfin, le troisième objectif était plus complexe et novateur pour la Région wallonne, car il visait la restructuration et l’amélioration du rôle des différents acteurs présents dans le champ de l’aide à l’innovation. À cette occasion, un grand exercice de participation a permis de clarifier les missions, d’évaluer les activités, d’identifier les caractéristiques complémentaires et les synergies entre tous les acteurs de l’innovation concernés. Il s’agissait d’un dialogue inédit en Région wallonne, qui était la première tentative de réunir l’ensemble des acteurs de l’innovation au niveau régional pour réfléchir ensemble au rôle des activités de recherche et d’innovation dans le développement économique. On commence à apercevoir ici l’idée que science, technologie et innovation constituent des leviers de la création de richesse et du développement économique et social.

52 Dans le cadre de ce troisième objectif du programme Prométhée I, deux résultats importants sont à souligner. Le premier est la décision d’organiser, à partir de 2000, un salon annuel du capital à risque. Le second est la mise en place d’une procédure d’agrément des centres de recherche afin de garantir la qualité des services octroyés par ces centres aux entreprises, et d’assurer ainsi une efficacité accrue des interventions publiques régionales. Cet agrément a été instauré dans un décret de novembre 2002. Il prévoit le type d’activités à déployer par les centres de recherche (surtout de la recherche industrielle de base) ainsi que leurs modalités de fonctionnement. L’agrément représente un exemple frappant des incitations de plus en plus répétées à associer l’excellence scientifique de la recherche de base (faite dans les centres de recherche) à la pertinence de la recherche appliquée (faite dans l’industrie) afin d’accélérer l’innovation et de l’orienter stratégiquement en fonction des politiques régionales. Ce désir de faire se rencontrer l’offre et la demande de connaissances scientifiques et de capacités technologiques a été davantage mis en évidence dans la deuxième phase du programme Prométhée.

53 Les acteurs wallons ont en effet décidé d’approfondir l’approche de Prométhée I dans une seconde phase, Prométhée II (2004-2005), selon le même système de co-financement avec la Commission européenne (Fonds structurels). Ici encore, trois grands types d’objectifs ont été poursuivis.

54 Le premier objectif était la valorisation des compétences de recherche de base en Wallonie. Les réponses apportées par Prométhée II à ce premier objectif ont été de favoriser les collaborations et les échanges entre unités de recherche et entre ces dernières et le tissu industriel wallon. Pour ce faire, Prométhée a œuvré à une clarification des missions des différents intermédiaires de science et technologie – les interfaces universitaires mais aussi les guideurs technologiques et les structures de soutien à l’innovation – et a proposé des mesures pour rendre le système plus cohérent.

55 Le deuxième objectif visait à développer des outils stratégiques pour la conduite des politiques régionales de STI. Pour répondre au second objectif, différents outils ont été créés, comme par exemple un tableau de bord de la recherche et de l’innovation, donnant accès aux principaux indicateurs statistiques disponibles et permettant d’établir une comparaison entre la Région wallonne et d’autres régions et pays européens. Prométhée II a aussi permis d’ancrer la Wallonie dans la société de l’information en facilitant l’appropriation des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les citoyens et les entreprises. Une cartographie des compétences wallonnes recherche de base a également été mise en place, dans l’esprit de la création d’un Espace européen de la recherche.

56 Le troisième objectif concerne l’approfondissement de la mise en réseau des acteurs de l’innovation. À ce sujet, Prométhée II a poursuivi la dynamique de grappage et, en lien avec le premier objectif de valorisation des compétences de recherche de base en Wallonie, il a réfléchi à la mise en réseau des acteurs via une structure d’intermédiation scientifique et technologique, qui donnera par la suite naissance à l’Agence de stimulation technologique (AST).

57 De manière générale, on peut dire que le projet Prométhée a été important car il a stimulé la démarche partenariale et la réflexion stratégique ainsi qu’un vrai dialogue régional sur le rôle des politiques de STI dans le développement économique de la Région wallonne. Cependant, même lorsque des dynamiques comme celle de Prométhée sont mises en œuvre, une phase de transition est toujours nécessaire et est parfois jalonnée d’actions politiques, parfois nombreuses, visant à provoquer des effets collectifs positifs. Pour illustrer cela, on peut faire référence à une initiative wallonne (sous l’égide de la Direction générale de l’Économie et de l’Emploi – DGEE, à présent également intégrée dans la sixième Direction générale opérationnelle du Service public de Wallonie) à partir de 2001 : la mise en place expérimentale de clusters dans certains domaines industriels et technologiques clés pour la région. Il s’agit de groupements d’intérêts économiques regroupant majoritairement des entreprises sectorielles (mais pouvant aussi s’étendre à des institutions scientifiques) pour lesquels la Région contribue, via un appui technique et financier, à la mise en réseau, au développement de synergies et à l’émergence d’une vision commune de développement. Ces clusters sont « labellisés » pour une période de temps limitée, après quoi leurs activités sont évaluées par un jury selon des critères objectifs qui permettront à la Région de décider ou non de continuer à les soutenir.

58 En d’autres termes, il s’agit d’une initiative qui recouvre partiellement celle des grappes technologiques, à propos de laquelle les réflexions ont été entamées exactement au même moment que le programme Prométhée, mais dans ce cas-ci sous l’égide d’une autre administration que la DGTRE. Ces deux initiatives ne sont pas incompatibles. Les grappes sont le plus souvent réduites autour d’une technologie particulière et elles s’appuient sur la complémentarité entre les entreprises, tandis que les clusters sont plus grands (ils peuvent être sectoriels ou transversaux) et orientés vers les marchés, voire vers les applications commerciales éventuelles. Cette double dynamique de création presque simultanée de grappes technologiques et de clusters traduit l’expérimentation par les pouvoirs publics de démarches exploratoires visant à stimuler les partenariats favorables à la Région wallonne. Néanmoins, dans le paysage institutionnel du régime de l’innovation ont coexisté deux types de structures qui répondaient en partie aux mêmes besoins, qui s’adressaient aux mêmes acteurs et qui ont jusqu’il y a peu été toutes deux financées par la Région wallonne (les grappes ont perdu tout soutien public lors de la dernière législature). Le tissu industriel wallon est par ailleurs dominé par les petites et moyennes entreprises (PME) qui, en plus d’être en concurrence, n’ont bien souvent pas le temps ni les capacités administratives de s’investir dans l’apprentissage des outils créés pour eux par les pouvoirs publics. Plus encore, en contact avec la complexité kafkaïenne du paysage institutionnel, les PME peuvent avoir pour réaction un détournement des outils mis en œuvre par la Région wallonne, déforçant ainsi l’effet des politiques publiques et leur propre capacité d’innovation.

59 À l’heure actuelle, les grappes technologiques sont privées de soutien public et continuent théoriquement à exister alors que les clusters ont été pérennisés par le décret du 18 janvier 2007 relatif au soutien et au développement des réseaux d’entreprises ou clusters  [34] et ont par la suite été positivement évalués. Par ailleurs, les décisions politiques stratégiques visant à transformer le paysage de l’innovation se poursuivent. Nous pensons par exemple au projet de décret que le gouvernement wallon s’apprête à soumettre au vote du Parlement wallon, et qui prévoit notamment de pérenniser la politique des pôles de compétitivité en lui donnant un cadre juridique ainsi qu’un changement d’appellation pour les clusters, qui seraient à l’avenir dénommés « réseaux d’entreprises  [35] ». Cependant, dans sa version actuelle, ce projet augmente la complexité existante du paysage wallon de l’innovation en distinguant deux catégories de « réseaux d’entreprises ». Le Conseil d’État a rendu récemment un avis assez défavorable au texte dans sa version actuelle. Il reproche au projet de négliger l’encadrement européen d’aide à la recherche, de pratiquer un certain chevauchement des concepts et de rester évasif quant aux arrêtés d’application du futur décret  [36].

60 Dans le but de continuer à décrire l’évolution et les transformations importantes du paysage wallon de recherche et d’innovation, la prochaine section sera consacrée aux pôles de compétitivité wallons. Elle nous donnera l’occasion de montrer que le régime de l’innovation reflète une multitude de positions dominantes, de règles du jeu formelles et tacites, d’acteurs aux rationalités opposées, au pouvoir limité et aux intérêts changeants. D’un pôle à l’autre, d’un projet à l’autre, les partenariats fonctionnent plus ou moins bien et les enjeux sont sans cesse redéfinis à l’intérieur d’un modèle de gouvernance pour lequel ont été fixés un cadre, un territoire et des moyens.

2.4. LES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ

61 Nous proposons donc de poursuivre l’évolution du système wallon de recherche et d’innovation en observant la mise en place à partir de 2005 de cinq pôles de compétitivité dans le cadre de la politique publique dite du Plan Marshall  [37].

62 Sur la base d’une étude universitaire, le gouvernement wallon a identifié cinq domaines dans lesquels des pôles de compétitivité ont pu émerger. Il s’agit des sciences du vivant, de l’agro-industrie, du génie mécanique, du transport-logistique et de l’aéronautique-spatial. Une seule proposition de pôle a été retenue dans chacun des cinq domaines identifiés par le gouvernement wallon. Dans chacun des cas, les groupements ont été créés soit à l’initiative de grandes entreprises (cela fut le cas pour les secteurs des sciences du vivant et aéronautique/spatial), ou sous l’impulsion de fédérations sectorielles (cela fut le cas du secteur agro-alimentaire ou de celui du génie mécanique). Dans deux cas, il est arrivé que la création soit facilitée par l’existence de réseaux d’entreprises déjà constitués sous forme de clusters. Mais la labellisation du pôle relève d’une décision gouvernementale, qui s’appuie sur le soutien d’un jury international commun aux cinq pôles, composé d’investisseurs, de financiers, de consultants, d’experts en formation, tous choisis par le gouvernement, ainsi que du délégué spécial du gouvernement pour le Plan Marshall.

63 Le pôle prend la forme juridique d’une association sans but lucratif, et il est souverain dans l’organisation de sa gestion quotidienne, confiée à une cellule opérationnelle. Il est libre de définir ses propres critères d’évaluation et de construire ses filtres (cellule opérationnelle, jury scientifique, conseil de gouvernance) selon ses propres règles.

64 Les pôles de compétitivité illustrent une démarche qui rompt pour la première fois avec l’approche linéaire de l’innovation et promeut une approche systémique, selon laquelle la frontière entre science et marché est reconnue comme fictive, la compétitivité doit structurer l’innovation, cette dernière étant le moteur du progrès. À la différence des programmes de grappage technologique ou de clustering, les pôles permettent une vision stratégique de l’innovation en débloquant des moyens importants pour stimuler les partenariats entreprises-universités.

65 Dans la perspective des pôles, les pouvoirs publics ont mis l’accent sur les interactions entre les institutions et les entreprises, en examinant les processus qui interviennent dans la création du savoir ainsi que dans sa diffusion et son application. Ils ont progressivement insisté sur l’importance des conditions générales du régime d’innovation et sur la contribution de l’innovation à la structuration de la recherche. Cependant, les pôles de compétitivité rompent aussi avec la logique de dialogue social qui avait présidé à toutes les initiatives antérieures de la Région : les syndicats ne sont pas invités à participer aux conseils de gouvernance des pôles, qui s’occupent pourtant d’innovation, champ dans lesquels les syndicats sont souvent présents en tant que représentants des travailleurs.

66 Notre ambition n’est pas ici de nous livrer à une analyse approfondie du régime des pôles de compétitivité  [38], mais il est important de mentionner le rôle de plus en plus important que ces partenariats entreprises-universités jouent dans le système wallon de recherche et d’innovation. Il nous apparaît qu’un véritable tournant stratégique de grande ampleur dans l’organisation de ce système n’était pas encore possible avant 2005, date à laquelle les pôles ont été mis en place  [39].

67 Les pôles de compétitivité constituent indéniablement un phénomène structurant les espaces politique et scientifique wallons actuels. Cette transformation est importante à plus d’un titre. D’abord, elle permet de poursuivre les réflexions entamées sur la complexité du régime de l’innovation en Wallonie. Les pôles s’ajoutent à plusieurs pratiques préexistantes et ils s’inspirent parfois (mais pas toujours) des réalisations passées. Ensuite, ces pôles constituent un véritable défi d’adaptation pour de nombreux acteurs : le gouvernement, l’administration, les universités, les centres de recherche, les industriels, les syndicats.

68 La complexité de la politique wallonne de science, technologie et innovation ne peut se comprendre qu’au regard des transformations institutionnelles à l’œuvre en Belgique et, dans le cas qui nous préoccupe, en Région wallonne. Tant les pratiques des acteurs de l’innovation que les instruments dont ils disposent sont le fruit de tortueux processus historiques, culturels et politiques.

69 Il est arrivé que certaines initiatives soient appréhendées de façon cohérente par rapport à des objectifs clairement poursuivis, même si leurs impacts eurent pour effet inattendu d’inhiber ou de réduire les succès engrangés par ailleurs et portés par des institutions concurrentes. La coexistence, à l’intérieur du régime wallon de recherche et d’innovation, de multiples mécanismes de financement de la recherche  [40], de grappes technologiques et de clusters, d’une Agence de stimulation économique et d’une Agence de stimulation technologique, reflètent des décisions enchevêtrées, des concessions négociées et des rapports de force temporairement cristallisés. Les effets de ces phénomènes sont au moins au nombre de deux. Le premier est la complexification croissante des instruments de politique d’innovation, ce qui nécessite un travail de réorientation si l’on poursuit une optique d’efficience. Le second effet puise dans cette complexité pour générer parmi les acteurs de l’innovation une certaine réticence à créer de nouvelles institutions. Cette réticence se matérialise tant dans le discours que dans l’action politique, mais elle ne s’accompagne toutefois pas toujours de démarches visant à optimiser, rationnaliser ou regrouper les institutions existantes, pourtant parfois nécessaires.

70 Tant la complexité du régime wallon de recherche et d’innovation que la réticence à créer de nouveaux instruments rendent malaisée la réflexion sans ambages sur l’opportunité et la (non-) nécessité de créer un TA en Wallonie. C’est toutefois sur ce thème que sera centrée la troisième partie de ce Courrier hebdomadaire. À partir de la contextualisation du TA en Wallonie et des transformations du système wallon de recherche et d’innovation que nous avons décrites dans les deux premières parties, nous posons à présent la question suivante : où en est le Technology Assessment en Wallonie, aujourd’hui ? Pour le savoir, il est nécessaire d’observer ce qu’en pensent les acteurs de l’innovation qui sont ou peuvent être concernés par cette problématique, et de relier cela aux développements qui précèdent.

71 Après la présentation de résultats de recherches menées à l’Université de Liège, nous en arriverons à la nouvelle proposition (parlementaire, cette fois) d’instituer une mission de TA à l’intérieur du CPS. Cette proposition et les suites qui lui ont été réservées semblent s’inscrire dans un référentiel régional d’efficience et d’innovation stratégique, qui paraît de plus en plus partagé par les acteurs politiques, industriels et scientifiques.

3. LES ACTEURS WALLONS DE L’INNOVATION ET LE TECHNOLOGY ASSESSMENT AUJOURD’HUI

72 Au cours des cinq dernières années, le centre de recherche SPIRAL  [41] de l’Université de Liège (ULg) a mené un certain nombre de recherches portant spécifiquement sur le thème « Gouvernance et Technology Assessment en Wallonie ». Parmi celles-ci, l’une d’elles a favorisé la participation d’une série d’experts wallons de l’innovation à un questionnaire en deux tours, qui obéissait aux exigences de la « méthode Delphi  [42] ». Cette méthode prospective permet d’obtenir une liste de positions – indiquant parfois un certain niveau de consensus ou de dissensus – en interrogeant un panel d’experts d’un domaine déterminé selon un processus en plusieurs tours. Entre chaque tour, le médiateur rédige des conclusions, puis lance un nouveau tour avec des questions inspirées de ces conclusions. À la fin du processus, un rapport est établi, détaillant les positions. Dans le cadre de la recherche à laquelle nous nous référons ici, le questionnaire Delphi a été implémenté via un logiciel accessible par internet développé par le laboratoire SPIRAL, Mesydel  [43].

73 Le questionnaire prévoyait deux tours de questions, qui ont eu lieu entre le 15 juillet et le 9 septembre 2008. Les principaux résultats ont été présentés pour la première fois lors d’un atelier consacré au thème de la gouvernance et du TA en Wallonie. Cet événement constituait la dernière étape de la méthodologie de cette recherche menée à l’ULg. Nous y reviendrons plus largement plus loin, car c’est à cette occasion que fut exprimée une nouvelle proposition visant à institutionnaliser le TA au sein du CPS.

74 Les acteurs participant à cette recherche ont été identifiés selon la fonction qu’ils occupaient dans la haute hiérarchie de l’administration, du gouvernement, des conseils consultatifs, des agences, des syndicats, du monde associatif, de l’industrie, des pôles de compétitivité, des universités et des centres de recherche. Ils étaient considérés comme détenteurs a priori d’un certain type d’expertise qui pouvait légitimer leur appartenance à la catégorie des « acteurs de l’innovation ». Sur la base de leur participation, nous avons regroupé les résultats du questionnaire autour de sept thématiques particulières : les missions principales qu’un TA wallon pourrait endosser, l’avis des experts concernant la participation citoyenne à la production de connaissances générées par un TA, le rôle du monde économique wallon comme client potentiel du TA, l’indépendance politique d’une éventuelle institution de TA wallonne, la place de Bruxelles, la comparaison Flandre-Wallonie et la localisation institutionnelle d’une structure de TA.

3.1. LES MISSIONS D’UN TA WALLON

75 Le label Technology Assessment couvre une multitude de pratiques et de modèles différents de production de connaissance sur les questions scientifico-technologiques et les interactions science-société. Il s’agit d’une plateforme de traduction qui se situe soit à l’interface entre le monde politique et le monde scientifique, soit à l’interface entre ce dernier et la société. Les missions que remplissent les institutions de TA sont par conséquent diverses et elles varient en fonction d’un certain nombre d’éléments contextuels.

76 L’une des questions visait à identifier les missions principales qu’un TA pourrait entreprendre afin de répondre aux nécessités du contexte wallon, selon l’avis des principaux acteurs de l’innovation que nous appelions à se prononcer.

77 Trois grandes catégories de missions ont été citées de manière plus ou moins équivalente :

78

  • des missions économiques : évaluer les structures mises en place pour développer économiquement la Wallonie ; identifier les secteurs porteurs de croissance et d’emplois pour la Wallonie ; constituer une veille juridique pour les industriels ; aider à stimuler l’économie wallonne et les investissements ; éviter les verrouillages technologiques ;
  • des missions de facilitation de la prise de décision politique : préparer des analyses scientifiques et technologiques en vue de la décision politique ; faire connaître aux décideurs politiques wallons les impacts des nouvelles technologies sur la structure économique et sociale de la région ; éclairer les décideurs sur les risques et les opportunités des développements scientifico-technologiques ; appuyer/justifier les décisions prises dans un contexte incertain ; fournir aux décideurs des études d’impacts et d’évaluation scientifiques et objectives pour faciliter leurs choix stratégiques ;
  • des missions de production de connaissance : organiser une veille documentaire et technologique ; organiser des activités de vulgarisation scientifique à destination du grand public ; être un observatoire de l’impact des mesures prises par le politique dans le domaine des S&T ; stimuler et supporter le débat sociétal autour des nouvelles technologies.

79 Ces missions se rapportent davantage aux premiers éléments de définition du TA et de ses missions tels qu’identifiés en début d’article même si, de manière moins prégrante, ont également été défendues des missions de stimulation de la participation publique et d’orientation de la recherche.

80 Ce qui semble frappant dans l’analyse de ces données, c’est la forte présence des missions économiques, qui contrastent avec le rôle endossé par l’ensemble des Technology Assessment européens. Cela prouve à quel point la logique économique est importante en Région wallonne, souvent au détriment des innovations sociales ou de l’ouverture des processus à d’autres logiques discursives et moins instrumentales. Dans ce cas de figure, le TA remplirait davantage une mission d’évaluation économico-sociale, dans une perspective d’instrumentalisation de l’innovation pour créer de la richesse, servir l’économie et enfin, la société. On retrouve ici un élément présent dans la logique des pôles de compétitivité. Les acteurs écartent le risque et la possibilité que l’innovation ne serve pas l’économie de manière adéquate ou que produits innovants ne riment pas avec progrès social. Prisonniers de cette équation, la plupart des acteurs de l’innovation n’envisagent pas une implication plus importante de la société civile, et encore moins des citoyens directement. C’est la raison pour laquelle, par curiosité et au vu des pratiques qui existent dans plusieurs autres offices de TA, nous avons également souhaité les inciter à s’exprimer sur la participation citoyenne.

3.2. LA PARTICIPATION CITOYENNE DANS LE PROCESSUS DE PRODUCTION DE CONNAISSANCE D’UN TA WALLON

81 Cette thématique de la participation citoyenne a été abordée à chacun des deux tours du questionnaire. La grille d’analyse utilisée était à nouveau celle élaborée par Bechmann, qui distingue trois types de participation : instrumentale, élitiste et démocratique  [44].

82 Lors du premier tour, des arguments justifiant l’un ou l’autre de ces trois types de participation ont été avancés. La participation élitiste était la plus souvent citée, suivie par la participation instrumentale puis par la participation démocratique.

83 Sur la base des enseignements du premier tour, il était intéressant, pour affiner l’analyse, d’approfondir le thème de la participation citoyenne en dévoilant les arguments qui avaient été avancés précédemment, lors d’une question très ouverte demandant aux experts wallons de l’innovation « s’ils se prononceraient en faveur de la participation citoyenne dans le processus de production de connaissance d’un TA ».

84 Dans un premier temps, deux positions contraires justifiées par de nombreux acteurs interrogés (la participation élististe et la participation démocratique) ont été stigmatisées.

85 Selon la première position, les citoyens ne doivent pas participer au processus car ils ne sont pas assez rationnels et ne possèdent aucune expertise particulière. Parmi les arguments avancés :

86

  • l’objectivité et l’expertise sont essentiellement du ressort des scientifiques ;
  • les citoyens sont trop influencés par les médias ;
  • tout au plus, les citoyens pourraient éventuellement être consultés après que les études de Technology Assessment aient été menées.

87 Selon la seconde position, la participation citoyenne est absolument nécessaire au processus de production de connaissance. Parmi les arguments avancés :

88

  • étant donné l’influence des technologies sur leur propre vie quotidienne, les citoyens doivent prendre une part active aux processus conduits et structurés par le Technology Assessment ;
  • c’est une condition nécessaire pour ouvrir le processus décisionnel et assurer l’efficacité des décisions politiques ;
  • les citoyens peuvent joueur le rôle de lanceurs d’alerte et révéler des résistances émergentes.

89 Ensuite, sur cette base et dans un second temps, il a été demandé à l’ensemble des répondants de se (re) positionner s’ils l’estimaient nécessaire.

90 Les principaux enseignements sont les suivants.

91 D’abord, certains experts ont considéré que cette diversité d’arguments reflétait davantage la non-connaissance du TA chez la plupart des participants qu’une véritable divergence d’opinion.

92 Nous considérons cette remarque tout à fait pertinente et elle nous renvoie également à la question traitée avant celle-ci qui reflète la diversité des missions qu’un TA peut entreprendre. Quoiqu’il en soit, les résultats montrent que lorsque l’on écarte la participation instrumentale et que l’on présente successivement les arguments en faveur de la participation élitiste et de la participation démocratique, cette dernière gagne du terrain même si certains experts insistent pour assortir ces mécanismes participatifs d’un solide volet d’information à destination du grand public (des exemples sont donnés, comme le référendum en France et aux Pays-Bas sur la base duquel les citoyens s’étaient prononcés contre le projet de traité constitutionnel européen, ou encore les tensions autour du débat public sur les OGM).

93 Le plus souvent, la participation citoyenne est reconnue comme souhaitable par les acteurs de l’innovation car ils reconnaissent au citoyen un rôle de lanceur d’alerte (la participation citoyenne peut servir de mécanisme d’alerte précoce et être le révélateur de résistances émergentes ; ce sont les citoyens qui doivent guider l’orientation des recherches et non l’inverse ; l’expérience des gens leur confère une expertise profane, un vécu d’usage qu’il faut prendre en considération via des mécanismes particuliers).

94 Cette question liée à la participation citoyenne a inévitablement constitué une source de tension indirecte autour de l’idée de démocratie. En effet, alors que certains experts considèrent que l’idée même de démocratie ne peut exclure les citoyens des choix scientifiques et technologiques qui influeront sur leurs conditions sociales d’existence, d’autres considèrent que le modèle de démocratie réprésentative ne peut être court-circuité par des canaux de participation directe des citoyens.

95 Deux autres éléments sont à épingler : premièrement, la quasi-totalité des acteurs en faveur de la participation citoyenne insistent pour que cette participation convoque des méthodes spécifiques et éprouvées, dont la mise en œuvre doit impérativement être le fruit du travail de professionnels du secteur. En résumé, la participation citoyenne est plus envisageable lorsqu’elle entre malgré tout dans une certaine logique instrumentale (les citoyens sont des lanceurs d’alerte et le TA peut identifier de manière précoce les zones de résistance afin de faciliter l’introduction de nouveaux produits) et il est important que cette participation citoyenne soit professionnalisée. Deuxièmement, pour le cas spécifique de la Région wallonne, le faible taux de participation dans les enquêtes publiques montre un faible taux d’implication des citoyens dans la vie politique, même quand celle-ci touche très concrètement à leur cadre de vie. Le TA devrait par conséquent prendre en considération la faible culture wallonne de participation citoyenne et pourrait par exemple mettre en place des initiatives visant à la stimuler, à moyen terme via des événements ponctuels et une stratégie de communication efficace, ou à long terme en sensibilant les milieux de l’enseignement.

3.3. LE MONDE ÉCONOMIQUE COMME CLIENT POTENTIEL DU TA WALLON

96 Lors du premier tour, il a été demandé aux répondants quels pourraient être les destinataires de la connaissance produite par un TA en Région wallonne. Quelques-uns étaient suggérés : le gouvernement, l’administration, le Parlement, les centres de recherche, le monde économique, la société civile, les citoyens individuels, les universités, autres  [45].

97 Les trois destinataires potentiels les plus souvent mentionnés étaient (dans l’ordre) le gouvernement, l’administration et le Parlement. Le choix du Parlement était souvent justifié par la constatation que ça lui serait utile dans son rôle de contrôle du gouvernement, mais pas comme aux États-Unis parce qu’il était important de rééquilibrer les pouvoirs exécutif et législatif en dotant ce dernier d’instruments de production de connaissances. Il est encore intéressant de préciser que jamais le Parlement n’a été mentionné sans le gouvernement. Cela montre la confusion des genres entre gouvernement et Parlement, ainsi que l’affirmation indirecte et décomplexée que le Parlement est une chambre d’entérinement des décisions gouvernementales qui ne nécessite pas vraiment d’être renforcée. Si un TA devait voir le jour en Région wallonne, il semblerait que le modèle strictement Parlementaire soit tout sauf privilégié par les acteurs concernés.

98 Par ailleurs, contrairement à la tendance constatée dans le premier thème (missions du TA) qui laissait penser que bon nombre d’acteurs de l’innovation considéraient le TA comme un service au monde économique, ce dernier n’arrivait qu’en cinquième position des destinataires potentiels de la connaissance générée par une structure wallonne de TA. Dans un second temps, il a donc été demandé aux acteurs de se prononcer sur le caractère profitable ou non d’une institution de TA pour le monde économique wallon.

99 Sans surprise, la grande majorité des experts ont considéré que le caractère des connaissances d’un TA était « profitable » pour le monde économique. Certains ont même considéré qu’il s’agissait là d’un élément « indispensable », à tel point qu’il était parfois présenté comme « la raison d’être du TA ». Cela confirmait notre intuition relative aux missions économiques d’un TA wallon, en y ajoutant certaines précisions. Le TA permettrait selon les experts d’augmenter la capacité réflexive et prospective de la région en infléchissant le conservatisme du patronat wallon. L’idée que le monde économique pourrait s’appuyer sur le TA pour mesurer le niveau de résistance citoyenne à certaines innovations devrait lui permettre d’ouvrir de nouveaux marché, de diminuer le niveau d’incertitude sociale et de poursuivre la relance économique de la Wallonie.

100 De manière plus nuancée, certains experts considèrent que le monde économique est le bénéficiaire indirect de la connaissance produite par le TA, mais qu’étant donné son rôle de moteur de l’innovation, il doit effectivement y être associé. Le TA est encore présenté comme un outil permettant de remédier au manque de temps et de moyens des PME wallonnes pour effectuer une véritable veille technologique et identifier les secteurs porteurs d’avenir dans lesquels elles pourraient investir.

101 Un élément innovant a été mentionné à plusieurs reprises dans les réponses à notre questionnaire : envisager le TA comme un outil de rapprochement entre la recherche et l’économie. Alors que les principaux modèles de TA des pays d’Europe de l’Ouest et du Nord peuvent être une double interface (entre science et politique et/ou entre science et société) réunissant un triangle d’acteurs (politiciens, scientifiques, citoyens), dans ce cas-ci, certains acteurs vont plus loin (ou plutôt ils prennent une autre direction). Ils considèrent que des éléments comme les pôles de compétitivité wallons constituent un creuset privilégié à l’intérieur duquel académiques et industriels ont tout intérêt à disposer d’études prospectives et d’études d’évaluation technologique afin de prendre en compte très tôt les risques et opportunités des développements technologiques.

3.4. L’INDÉPENDANCE POLITIQUE D’UN TA WALLON

102 Lors du premier tour, il été demandé aux participants de se prononcer sur les conditions minimales qui étaient nécessaires pour institutionnaliser un TA en Wallonie, tandis qu’une sous-question leur demandait de préciser si ces conditions étaient d’ores et déjà réunies. Parmi les conditions minimales pour institutionnaliser une structure de Technology Assessment en Wallonie, la nécessité qu’elle soit peu soumise aux pressions politiques a été fréquemment citée, assortie d’une réserve quant au caractère faisable de cette condition minimale.

103 Lors du second tour, il a été proposé aux experts la formule qui est d’application pour le TA flamand pour assurer l’indépendance politique nécessaire et suffisante pour la plupart des stakeholders. Il leur été précisé : « Le TA institutionnalisé au sein du Parlement flamand est chapeauté par un conseil d’administration composé de huit députés (représentatifs des forces politiques au sein du Parlement flamand) et huit scientifiques (proposés par quatre conseils consultatifs stratégiques – agriculture, santé, conseil économique et social, politique scientifique et désignés par le parlement).

104 Pensez-vous que cela serait une solution satisfaisante pour assurer l’indépendance politique du Technology Assessment en Wallonie ? »

105 Une grande majorité des acteurs de l’innovation a considéré que cette formule n’était pas suffisante pour garantir l’indépendance politique d’un TA wallon. Certains ont considéré que l’indépendance n’était pas garantie par le seul recrutement des membres de son conseil d’administration mais par un ensemble de facteurs (mode de saisine, modalités de travail scientifique, publicité des résultats) qu’il convenait de prendre en compte pour parler d’une véritable indépendance politique.

106 Par ailleurs, de nombreux intervenants ont associé indépendance politique à indépendance institutionnelle. Ils ont considéré cette dernière comme illusoire et nécessitant d’être complétée par une indépendance professionnelle (le personnel opère lui-même les choix méthodologiques et techniques sans interférence avec un commanditaire éventuel) et une indépendance éditoriale (l’institution de TA décide elle-même de ce qu’elle diffuse et quand elle diffuse). Certains d’entre eux ont suggéré des pistes pour aller plus loin que la formule à l’œuvre au Nord du pays. Plutôt que de parler d’indépendance, certains ont préféré utiliser le mot contre-pouvoir, et promouvoir une cogestion plus large que la parité scientifiques-politiques. Plusieurs acteurs ont été proposés pour intervenir dans la gestion de l’institution de TA, au rang desquels figure en première place le monde économique. Ce désir d’ouvrir le TA au monde économique renforce les résultats obtenus précédemment, qui soulignaient le désir de voir un TA wallon remplir prioritairement des missions économiques, et qui envisageaient le TA à l’intérieur du système politique, à l’interface avec la recherche et l’économie.

107 D’autres acteurs institutionnels ont été cités après le monde économique pour cogérer le TA avec le couple politiciens/scientifiques : la société civile, les conseils consultatifs ou les partenaires sociaux. En lien avec cela, nos résultats ont mis en avant la place importante détenue par le CESRW en Région wallonne, qui pourrait légitimer sa présence dans les organes de gestion d’un TA, directement ou via l’un ou plusieurs de ses conseils consultatifs.

108 Enfin, dans le but de permettre au TA d’être le plus adapté possible au contexte wallon, une tendance à revendiquer un certain équilibre entre pragmatisme et connexion au politique a été constatée. Être pragmatique signifie par exemple qu’il pourrait être souhaitable de ne pas nommer de politiciens dans la structure de gestion, pour éviter de perdre de précieux mois après des élections régionales ou pour la rendre moins dépendante des changements de majorité. Toutefois, il n’est pas rare que certains scientifiques aient une sensibilité politique, ou que certains scientifiques soient automatiquement étiquetés politiquement selon le contenu de leurs interventions, même si cela ne correspond pas à la réalité. Cependant, le pragmatisme peut également conduire à un risque de déconnexion du politique dans le sens où une structure de TA doit être utile à ses clients et ne peut par conséquent pas se permettre de prendre le risque d’évoluer en vase clos et en inadéquation par rapport aux réalités et aux besoins politiques. Pour revenir à la structure de TA des années 1990 au sein du CPS, il est clair que sa déconnexion du politique a constitué un élément clé dans son manque de visibilité à l’intérieur et à l’extérieur du CESRW.

3.5. LA PLACE DE BRUXELLES

109 Les spécificités du paysage institutionnel belge et de la répartition des compétences entre entités fédérées ont amené le laboratoire SPIRAL à centrer sa recherche sur la Région wallonne et non sur la Communauté française. Cependant, des données ont été récoltées à la fois en Communauté française et en Région wallonne, selon les matières ou en fonction de l’étendue de certaines activités. La localisation d’un TA servant la Région wallonne seule ou également la Communauté française est un problème qui mérite d’être abordé. Il s’agit d’une problématique complexe, qui se reflète dans un certain nombre de rôles joués ou supposément joués par certaines institutions en Belgique francophone. Par exemple, malgré ce qui était annoncé dans le décret du 9 janvier 2003, la Communauté française ne dispose pas de Conseil de la politique scientifique propre. Certains travaux montrent que la Communauté française est une instance fragile et sous-financée qui arrive difficilement à intéresser les autorités régionales et les groupes socio-économiques  [46].

110 Les acteurs de l’innovation ont donc été poussés, dans le cadre du questionnaire qui nous préoccupe, à considérer la question complexe de l’inclusion de Bruxelles dans une démarche de TA. Sans surprise, la quasi-totalité des participants s’est prononcée en faveur de l’inclusion de Bruxelles à la fois comme destinataire potentiel de la connaissance produite et comme zone d’investigation complémentaire à la Région wallonne.

111 Une analogie a été faite avec le Plan Marshall : « La Wallonie est trop petite : si l’on exclut Bruxelles, il est difficile d’atteindre une masse critique dans un domaine tout comme il est difficile de trouver des experts dans tous les domaines concernés. De plus, il est absurde d’imaginer développer une stratégie technologique qui nuirait à Bruxelles parce qu’on n’aurait pas concerté les acteurs bruxellois alors que, en concertation, on peut certainement faire évoluer une stratégie commune qui profiterait à tous (sur un si petit territoire, tout est lié). Pour ce qui est du plan Marshall par exemple, toutes les universités de la Communauté française peuvent y participer, qu’elles soient localisées à Bruxelles ou en Wallonie. Il est évident, que si l’on avait exclu les universités sur sol bruxellois, les projets recherche et développement du plan Marshall n’auraient pas trouvé les partenaires nécessaires pour cause de territoire trop restreint et de d’inexistence de masse critique dans un domaine donné. »

112 Cependant, presque tous ont clairement fait comprendre que l’efficience et le pragmatisme de l’inclusion de Bruxelles devait être précédée d’un choix éminemment politique. Ce choix politique revêt un caractère très complexe et est en lien direct avec les discussions actuelles relatives aux réformes institutionnelles ainsi qu’à une éventuelle fédération Wallonie-Bruxelles, qui pourrait voir le jour dans la Belgique de demain. Créer une structure de TA associant (et profitable à) la Région wallonne et à Bruxelles pourrait également sembler logique dans une optique de connexion des activités de TA aux positions politiques défendues par les dirigeants de la classe politique wallonne et bruxelloise.

3.6. COMPARAISON FLANDRE-WALLONIE

113 Ce sixième thème abordé dans le questionnaire concerne l’avis des acteurs sur la disparité en termes de réalisations institutionnelles au Nord et au Sud du pays. Sachant que les acteurs invités à s’exprimer ne disposaient pour la plupart que de peu d’informations sur le TA et son histoire en Wallonie, l’objectif était d’identifier un certain nombre de variables explicatives. À la question « À titre d’exemple, la Région flamande a décidé en 2000 de se doter d’une structure de Technology Assessment (le viWTA, aujourd’hui IST). Comment expliquez-vous qu’à l’époque et depuis lors la Wallonie n’ait pas jugé bon d’en faire autant ? », différents éléments de réponse ont été apportés.

114 Le manque d’intérêt du monde politique pour le TA semblait l’une des explications les plus plausibles, mais pas excusables pour la cause. Certains acteurs du privé n’ont pas hésité à préciser que la Flandre disposait d’instruments qui rendaient plus efficaces les interactions avec le monde de l’entreprise que la Wallonie, et qu’ils se réjouiraient d’une évolution dans le même sens côté wallon. L’absence d’une réelle vision à long terme en Wallonie a également été pointée du doigt, ceci expliquant le peu d’intérêt pour des organismes qui travaillent essentiellement à moyen et à long termes.

115 Par ailleurs, l’influence de la science et la technologie et de leur potentiel de transformation sociale et politique a longtemps été sous-estimé par les élites administratives et politiques. Mais l’argument le plus important et qui rejoint nos intuitions concerne le retard pris par le système régional wallon de recherche et d’innovation. Au début des années 2000, ce dernier possédait encore d’importantes faiblesses auxquelles il a fallu remédier. L’accent a dès lors été mis plutôt sur le développement de l’évaluation afin d’identifier les remèdes à ces faiblesses plutôt que sur la prospective et le Technology Assessment.

3.7. LOCALISATION INSTITUTIONNELLE D’UN ÉVENTUEL TA WALLON

116 Lors du premier tour, les participants étaient appelés à se prononcer (sur la base d’un choix multiple) sur les modalités d’intégration et la localisation d’un TA dans le paysage institutionnel wallon. Les préférences ont été données à deux propositions : l’élargissement des missions d’une structure wallonne existante à des missions de Technology Assessment et la création d’une nouvelle structure dédiée au Technology Assessment. Lors du second tour, il leur a été demandé de préciser leur choix sur la base de (leurs) propositions concrètes. Ces dernières étaient présentées comme suit :

117 Pour ce qui est de l’élargissement des missions d’une structure existante, étaient proposés :

118

  • la Direction générale des Technologies, de la Recherche et de l’Énergie (DGTRE) ;
  • le Conseil wallon de la politique scientifique (CPS), réunissant des représentants des partenaires sociaux, scientifiques et de la société civile qui fournissent au gouvernement wallon des avis et recommandations sur la politique scientifique ;
  • l’Agence de stimulation technologique (AST), une structure de coordination des opérateurs participant à l’intermédiation scientifique et technologique ;
  • l’Institut scientifique de service public (ISSeP), un centre scientifique travaillant sur la caractérisation de l’environnement, l’évaluation des risques environnementaux et accidentels et la veille et le développement technologique ;
  • l’Institut wallon de l’évaluation, la prospective et la statistique (IWEPS), œuvrant à la centralisation, la publication, le traitement et le développement des statistiques régionales ainsi qu’à certaines missions d’évaluation et de prospective ;
  • autre (précisez).

119 Pour ce qui est de la création d’une nouvelle structure, étaient suggérée une structure :

120

  • au sein du Parlement wallon ;
  • de type associative et fédérative ;
  • dans un parc scientifique et technologique wallon ;
  • autre (précisez).

121 Une écrasante majorité des participants a considéré qu’il fallait à tout prix éviter la création d’une nouvelle structure, afin d’éviter d’augmenter inutilement la complexité du paysage institutionnel wallon et de tomber dans les écueils du « saupoudrage des forces et des moyens ».

122 Parmi les structures proposées, le CPS a remporté le plus de suffrages pour son caractère paritaire (réunissant « les partenaires principaux de la politique scientifique en Wallonie »), sa relative neutralité et sa position extérieure aux instances de décision et d’entérinement. Par contre, il a été souligné qu’il était parallèlement nécessaire de mettre en place une commission ad hoc au Parlement wallon, ou à tout le moins une structure légère permettant d’amplifier les demandes des parlementaires vers la structure de TA et de donner plus de visibilité aux connaissances produites par le TA aux yeux de ses clients parlementaires. Pour ce faire, il serait nécessaire de confier cette tâche à des professionnels ayant les compétences nécessaires pour se livrer à une entreprise de traduction réciproque entre monde parlementaire et structure de TA.

123 Les résultats de cette recherche de l’Université de Liège est d’abord intéressante pour obtenir des éléments de réponse à la question que nous nous posions avant d’entamer cette troisième partie : que pensent aujourd’hui les acteurs wallons de l’innovation du Technology Assessment ? Mais ils trouvent également leur place dans ce Courrier hebdomadaire au regard l’imbrication de cette recherche avec l’émergence d’une nouvelle proposition visant à doter à nouveau le CPS d’une mission d’évaluation technologique. C’est en effet lors de la dernière étape de cette recherche, l’organisation d’un atelier thématique, qu’elle a pour la première fois été publiquement exprimée.

124 Toujours à l’heure actuelle, il est difficile de mesurer l’influence qu’ont pu avoir les recherches menées auparavant à l’Université de Liège sur l’émergence de cette proposition parlementaire concrète. Même si ces recherches ont certainement eu pour effet de stimuler les acteurs de l’innovation en les invitant à s’exprimer sur une thématique que, pour la plupart, ils connaissaient très imparfaitement, nous nous contenterons d’observer que deux processus – un processus scientifique et un processus politique – se sont croisés le 10 octobre 2008, à l’occasion d’une journée de réflexion consacrée au thème de ce Courrier hebdomadaire [47].

4. VERS UNE NOUVELLE INSTITUTIONNALISATION DU TA ?

4.1. L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE PROPOSITION VISANT À INSTITUTIONNALISER LE TA AU SEIN DU CPS

125 Nous l’écrivions plus haut : les résultats de la recherche menée par le SPIRAL ont pour la première fois été présentés publiquement le 10 octobre 2008. Cela constituait une opportunité pour les experts wallons de l’innovation de se trouver réunis en un même lieu pour discuter du Technology Assessment en Wallonie. Cette initiative a permis de les associer à des experts scientifiques nationaux et internationaux et à des décideurs publics. Des membres des quatre partis démocratiques étaient présents. Cet atelier a permis de constater la manière dont les principaux bénéficiaires potentiels d’un TA définissaient leurs besoins en termes d’expertise stratégique pour gérer l’innovation technologique. Il s’agissait aussi de mesurer la volonté d’action politique de s’engager dans une telle voie. Durant cette après-midi, il a été notamment question d’une initiative concrète visant à créer à nouveau une cellule d’évaluation des choix technologiques au sein du Conseil de la politique scientifique en Région wallonne. À la base du projet, la députée régionale Joëlle Kapompolé (PS) a en effet profité de l’occasion pour présenter publiquement une proposition de résolution qu’elle cosignait avec d’autres députés wallons  [48]. Également présents lors des débats, les députés wallons H. Jamar (MR) et G. Gilkinet (Écolo), mais également la ministre wallonne des Technologies nouvelles et de la Recherche M.-D. Simonet (CDH) ont déclaré soutenir cette résolution. Ils ont indiqué tout l’intérêt que représente l’évaluation des choix technologiques pour notre société.

126 Depuis lors, la proposition de résolution a été votée à l’unanimité en commission des Relations internationales, de la Coopération internationale, de la Recherche, des Technologies nouvelles et des Télécomunications le 4 novembre 2008 au Parlement wallon  [49]. Il s’agit à présent pour les porteurs de ce projet d’éviter de tomber dans les écueils du passé. Le succès ou l’échec de cette nouvelle initiative tiendra notamment dans l’indépendance politique, financière, éditoriale et institutionnelle de cette nouvelle structure en devenir. À l’image de ce qui a pu être réalisé dans le cadre du Plan Marshall, un financement indépendant des compétences des ministres pourrait être envisagé.

127 D’après la proposition de résolution, un TA wallon devrait cette fois pouvoir mobiliser des méthodes participatives, constituer un forum structuré d’échanges et de discussion afin de permettre une critique sociale constructive des choix technologiques, sans pour autant être perçue comme un frein au développement de la Wallonie. Alors que le modèle favorisé par la FTU au début des années 1990 se basait sur une concertation sociale élargie aux choix scientifiques et technologiques, il est aujourd’hui important de considérer les modèles de TA qui ont perduré et ont pu à la fois s’adapter à un contexte évolutif et saisir de nouvelles opportunités.

128 À ce sujet, l’expérience flamande montre qu’il est possible de fournir une aide appréciable aux décideurs politiques tout en stimulant le débat sociétal relatif à la science et la technologie et en développant des collaborations internationales de haut niveau. Le schéma imaginé dans la proposition de résolution de Joëlle Kapompolé et consorts s’écarte cependant du modèle flamand en plusieurs points. Tout d’abord, il s’éloigne d’un TA fortement intégré au Parlement et propose de refaire ce qui avait déjà été fait lors de la première expérience du TA en Région wallonne : confier la mission au CPS, à la seule différence que la proposition a d’ores et déjà intégré la nécessité de mobiliser des méthodologies participatives et de stimuler le débat public dans les matières de STI.

129 Cependant, il semble exclu à l’heure actuelle de munir le CPS de moyens supplémentaires pour assumer une nouvelle mission à laquelle il n’a pas encore été réellement associé  [50]. Dans ces conditions, sans nouveaux moyens financiers, il se pourrait que cette mission ne puisse pas être pleinement remplie. Par ailleurs, l’expérience temporaire du passé ne peut être oubliée. Néanmoins, comme nous l’avons rappelé dans la seconde partie, le système wallon de recherche et d’innovation s’est profondément transformé au cours des quinze dernières années. Ces transformations nous paraissent extrêmement importantes pour aborder le futur du TA en Wallonie. Si l’institutionnalisation du TA au CPS n’est pas la seule formule, c’est, à l’heure actuelle, la seule qui existe et qui est débattue au plus haut niveau politique. Cela ne signifie pas que d’autres options ne pourraient pas être retenues, ni que l’option du CPS a plus de chances de succès qu’une autre formule. Il serait erroné de croire que l’initiative est vouée à l’échec pour la simple raison qu’elle n’a pas fonctionné dans le passé, car les transformations à la fois du système de recherche et d’innovation et du système politique témoignent d’une redistribution des données avec lesquelles il fallut composer dans les années 1990. Ces transformations ne sont pas de nature à privilégier particulièrement la formule actuellement proposée plus qu’une autre, mais bien à faciliter le choix politique de la mise en place d’une institution de TA efficace ainsi que son intégration dans le système wallon de recherche et d’innovation. Cela serait de nature à renforcer les outils de gestion de l’interface entre le monde politique, le monde scientifique et la société.

130 Par rapport aux missions confiées en 1994 au comité de TA du CPS (reprise dans l’actuelle proposition), deux d’entre elles pourraient être prises en charge par d’autres instances et des collaborations pourraient utilement être mises en place. Premièrement, la nouvelle DG O6 (Direction générale opérationnelle 6) du Service public de Wallonie pourrait, via son propre budget, traiter des opérations de diffusion des sciences, ce qui n’empêcherait pas un office de TA de mettre en place des initiatives de type « festival technologique ». Deuxièmement, pour ce qui touche à la veille technologique, il pourrait être intéressant de s’appuyer sur des initiatives déjà financées par le secteur public, comme les « guideurs technologiques » financés par la Région wallonne dans les centres de recherche agréés, qui assurent déjà des missions de veille.

131 De cette manière, les possibilités qui s’offriraient à une nouvelle institution de TA restent ouvertes : elles vont de l’aide à la décision politique dans le domaine de la science et la technologie à l’analyse des impacts (économiques, sociaux, politiques, environnementaux, éthiques) des choix technologiques, sans oublier la stimulation d’un débat sociétal contructif et structuré sur les nouvelles technologies.

4.2. LES PERSPECTIVES DE LA NOUVELLE LÉGISLATURE

132 Le futur du TA wallon sera intimement lié aux développements consécutifs aux dernières élections régionales de juin 2009. Même si des acteurs politiques se sont exprimés en marquant leur accord de principe sur la proposition Kapompolé et consorts, cela n’est pas un gage de l’assurance du suivi effectif de la proposition. L’idée a d’ores et déjà été intégrée avant les dernières élections régionales par les partis socialiste et écologiste qui l’ont inscrite à leurs programmes électoraux. Il convient toutefois de préciser que si le PS demandait explicitement la création d’un TA à l’intérieur du CPS tel que cela a été voté en commission parlementaire, Écolo proposait un modèle de TA fédéral, en concertation avec les entités fédérées. Cela nous semble ne pas devoir être interprété comme des divergences d’opinion inconciliables, mais bien comme le reflet de la complexité institutionnelle avec laquelle il faut également composer dans ce cas-ci. En effet, la localisation d’un TA servant la Région wallonne seule ou également la Communauté française est un problème qu’il faudra pouvoir aborder politiquement.

133 Il convient d’indiquer que la proposition discutée plus haut vient de franchir un nouveau cap important sur la route de son éventuelle concrétisation. En effet, les négociations post-électorales de juin 2009 ont donné naissance à une majorité associant les socialistes, les humanistes et les écologistes. L’accord de gouvernement fixe parmi ses priorités celle d’organiser un Technology Assessment en matière de politiques publiques. La déclaration de politique gouvernementale wallonne justifie cette priorité de manière suivante : « Les nouvelles technologies progressent de plus en plus vite. Le travail législatif en devient plus complexe. Il faut donc donner aux pouvoirs législatif et exécutif la possibilité de demander une évaluation indépendante, une étude approfondie, pour déterminer les différentes options scientifiques ou technologiques qui éclaireront la décision politique. Un processus de “Technology Assesment” sera mis en oeuvre afin d’éclairer les décideurs politiques, dont les parlementaires, sur les enjeux technologiques et scientifiques. Cette mission permettra de stimuler le débat public et d’œuvrer à une meilleure appréhension de la science et des innovations technologiques. L’organisation de ce processus, sur la base d’un cahier des charges spécifique, sera confiée au Conseil de la politique scientifique Wallonie-Bruxelles  [51]. »

134 Cela signifie que les partis, même au plus haut niveau, ont à présent intégré l’idée que la Région wallonne gagnerait à bénéficier d’une mission de TA institutionnalisée. Alors que le risque que la proposition de résolution parlementaire, même votée à l’unanimité, était que le gouvernement n’en tienne pas compte, cette nouvelle étape montre – sans donner aucune garantie de concrétisation – que le nouveau gouvernement est sensibilisé à la problématique et souhaite donner de l’ampleur à la proposition parlementaire.

CONCLUSION

135 Concrètement, même si l’idée d’un TA en Région wallonne devient certes plus séduisante aux yeux de certains décideurs politiques, il s’agira dans un premier temps de mesurer l’intérêt qu’ont le CESRW et le CPS de tenter à nouveau d’endosser cette mission, d’observer les conditions émises par ces derniers et de composer avec des contraintes budgétaires strictes. D’autres options pourraient être envisagées, comme par exemple un TA plus fortement intégré au Parlement wallon, la mise en place d’une institution de TA indépendante ou son rattachement (à tout le moins administratif) à une autre institution, comme l’Académie royale de Belgique (à l’image de ce qui s’est fait en Suisse ou aux Pays-Bas). Des liens avec d’autres institutions pourraient également être pensés afin d’enchâsser le TA dans un réseau d’interactions avec d’autres institutions de conseil, d’évaluation ou de mise en réseau  [52] pour participer collectivement à l’évaluation des impacts des choix scientifiques et technologiques et veiller à ce que la recherche scientifique intègre des considérations éthiques, sociales, sanitaires et environnementales. Quoiqu’il en soit, un certain nombre de choix, principalement politiques, économiques et budgétaires influenceront la décision de créer ou pas une institution de TA en Wallonie et de lui confier des missions importantes on non.

136 Il faut terminer par souligner qu’en plus du Parlement, le gouvernement wallon pourrait lui aussi bénéficier de ce service d’information et d’aide à la prise de décision. Il sera certainement sensible aux arguments plaidant en faveur d’un instrument qui, s’il est doté de moyens raisonnables, permet de limiter les verrouillages technologiques, de structurer le débat public, de réduire les controverses sociales, d’anticiper les résistances sociétales, d’orienter la recherche et de renforcer l’acceptabilité des décisions pour l’ensemble des acteurs de l’innovation, en ce compris les citoyens. Autant d’objectifs qu’il convient de considérer pour élargir la dynamique d’innovation à la société et permettre une gouvernance de l’innovation dans une perspective de développement durable.

Notes

  • [1]
    P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1909-1910, 2006.
  • [2]
    A. RIP, « Technology Assessment », in N. J. SMELSER and P. B. BALTES eds., International Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, vol. 23, Oxford, Pergamon (Elsevier Science), 2001, pp. 15512- 15515 ; J. VAN EIJNDHOVEN, « Technology Assessment : Product or Process ? », Technological Forecasting and Social Change, 54-2, 1997 ; M. DECKER et M. LADIKAS, Bridges between Science, Society and Policy, Verlag Berlin Heidelberg, Springer, 2004.
  • [3]
    P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », op. cit., p. 71.
  • [4]
    Ibidem, p. 73.
  • [5]
    Le STV est une fondation, un centre d’étude dont le conseil d’administration est composé par de membres du Conseil économique et social flamand (SERV). Ce bureau d’études s’empare de thématiques liées à l’évaluation technologique et à l’innovation. Jusqu’en 1998, au moment où le SERV décida de recentrer sa mission sur le domaine « innovation et travail », le STV porta la sous-appellation de Flemish Foundation for Technology Assessment, bien qu’il s’agissait d’un modèle de débat axé sur la concertation sociale et non le TA parlementaire tel que nous l’avons abordé dans nos travaux antérieurs (cf. par exemple P. DELVENNE et S. BRUNET, « Le Technology Assessment en question : analyse comparative », op. cit.).
  • [6]
    Ce sera Albert Liénard (PSC) qui héritera des Technologies nouvelles dans l’exécutif wallon PS-PSC qui gouvernera la Région de février 1988 à janvier 1992.
  • [7]
    Cf. à ce sujet l’avis du CESRW A.318 du 27 juin 1988 concernant le rapport des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix sur l’évaluation des choix technologiques en Région wallonne.
  • [8]
    Alors que l’OTA américain est né suite à un « sursaut de fierté » des parlementaires américains qui voulaient renforcer leur expertise face à celle dont bénéficiait le pouvoir exécutif, la volonté politique de renforcer le Parlement ou de rééquilibrer les pouvoirs législatif et exécutif était souvent moins forte ailleurs.
  • [9]
    Presque dès le départ, certains pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suisse ont souhaité axer le développement de leur TA autour d’un modèle fortement participatif, s’appuyant sur des traditions historiques et culturelles de participation.
  • [10]
    Les TA européens restent le plus souvent des institutions fragiles au budget nettement moins lourd que le budget de l’ancien TA américain : à titre d’exemple, le budget annuel de l’OTA américain était de l’ordre de 20 millions de dollars alors que celui du STOA européen est de l’ordre d’un demi million d’euros.
  • [11]
    A l’exception des sénateurs wallons cooptés. Ce n’est qu’à partir de 1995 qu’il fut composé d’élus directs.
  • [12]
    Arrêté de l’exécutif régional wallon du 15 novembre 1990.
  • [13]
    Créée en 1966 pour instituer un lien entre le monde du travail et le monde de l’université, la FTU déploie aujourd’hui ses activités dans trois domaines : elle offre des services d’éducation permanente destinés au monde associatif, en particulier aux organisations de travailleurs. Elle mène des recherches sur des thèmes d’intérêt sociétal en privilégiant la recherche-action, en lien avec les thèmes « innovation, travail et société » et « évaluation des politiques publiques ». Elle entretient des liens institutionnels à l’interface entre le monde des organisations sociales et le monde académique. Cf. <http:// www. ftu. be/ >.
  • [14]
    Dans le cadre de ce projet de recherche, un livre a d’ailleurs été publié : G. VALENDUC et P VENDRAMIN, Évaluation des choix technologiques et régions, collection EMERIT, Fondation Travail-Université, Namur, 1993.
  • [15]
    Certains de ses membres participeront d’ailleurs au colloque de 1994 organisé par la FTU, dont nous reparlerons plus loin.
  • [16]
    L’académie de TA travaillait pour le parlement régional du Land et son conseil d’administration était composé des partenaires sociaux et des politiques. Elle a fermé suite à un changement de majorité politique dans le gouvernement du Land, malgré une évaluation positive et suite à un changement générationnel chez les politiciens.
  • [17]
    Le CPS est chargé de formuler des avis et des recommandations sur la politique scientifique à l’intention du gouvernement wallon. Il s’agit d’une commission mixte du CESRW, qui rassemble des représentants des interlocuteurs sociaux (patrons et syndicats) et des représentants du monde de la recherche (universités, enseignement supérieur non universitaire, centres de recherche) et des représentants du gouvernement wallon. Son rôle est essentiellement consultatif et réactif. Le secrétariat du CPS est assuré par le CESRW. Ce dernier, qui ne comprend que les partenaires sociaux, valide toujours les avis du CPS pour leur donner une force juridique.
  • [18]
    Cf. à ce sujet l’avis du CPS A.441 du 7 mars 1994 – Propositions du Conseil de la politique scientifique concernant la mise en œuvre d’un dispositif d’évaluation des choix technologiques en Région wallonne.
  • [19]
    Ce type de TA régional fut institutionnalisé en Europe occidentale dans les années 1980 et 1990, et un réseau européen de TA régional fut mis en place (le réseau EURETA). Toutefois, à présent, ce modèle a complètement disparu.
  • [20]
    Nous avons consulté les archives du CPS le 17 juin 2008.
  • [21]
    Les documents de l’époque ne mentionnent pas « TA » mais bien « ECT » pour « évaluation des choix technologiques ». Cependant, parce que l’acronyme TA est le plus répandu dans la littérature, y compris en langue française, nous préférons l’utiliser de manière élargie afin d’éviter les confusions.
  • [22]
    Le montant restant était consacré au frais de documentation et à la rémunération d’experts. On peut à première vue considérer que les activités de vulgarisation se situent en-dehors des missions classiques des institutions de TA, axées sur la mise en évidence d’opportunités technologiques et sur la facilitation de la décision politique. Cependant, pour atteindre ses objectifs et augmenter sa visibilité, en interne comme en externe, cette phase de diffusion des résultats et ces activités de vulgarisation sont primordiaux pour un TA. Notons au passage que certains offices de TA (au Pays-Bas et en Flandre) ont activement participé au cours des cinq dernières années au développement de « festivals technologiques », événements thématiques ponctuels qui permettent au TA de s’investir dans des interactions avec le grand public en combinant information/vulgarisation et amusement/apprentissage. Un exemple particulièrement éclairant dans le cas de l’IST flamand est le festival technologique dédié aux nanotechnologies, NanoNu, qu’ils ont organisé les 9 et 10 novembre 2007. Cf. <http:// www. nanonu. be/ >.
  • [23]
    Cela n’est pas pour autant une caractéristique différente de certains autres offices de TA : au niveau du Parlement européen, le STOA ne dispose pas non plus de capacité analytique interne et il confie la réalisation de ses études à un consortium d’institutions scientifiques, le European Technology Assessment Group (ETAG).
  • [24]
    G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, Frankfurt /New York, Campus, 1996 ; P. DELVENNE, G. JORIS et F. THOREAU, « Appréhender l’incertitude : le Technology Assessment au service du processus décisionnel », Pyramides, n° 15, 2008.
  • [25]
    En plus de la « participation élitiste », G. Bechmann donne deux significations à la participation : la « participation instrumentale » et la « participation démocratique » (G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, op. cit.). Selon lui, la signification de la « participation » est sujette à des variations significatives, en fonction du modèle sous-jacent retenu. Dans le modèle participatif instrumental, la participation joue essentiellement le rôle d’un instrument consultatif renforçant les mécanismes de la prise de décision propres au paradigme de la démocratie représentative. Dans le modèle participatif démocratique, la participation adopte une fonction-clé en donnant au public – au sens large – un rôle important dans l’évaluation des sciences et des technologies. On peut alors parler de véritables outils délibératifs fortement inclusifs, y compris pour le simple citoyen (P. DELVENNE, G. JORIS et F. THOREAU, « Appréhender l’incertitude : le Technology Assessment au service du processus décisionnel », op. cit., p. 10).
  • [26]
    L’État central ne conservant que la recherche spécifique liée à l’exercice de ses propres compétences, la politique spatiale menée dans un cadre international, les établissements scientifiques fédéraux, ainsi que diverses autres actions nécessitant une mise en œuvre coordonnée au niveau national ou international (Institutions et politiques de science, technologie et innovation en Belgique, document de la Politique scientifique fédérale).
  • [27]
    Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 1994 que la Belgique est un État fédéral et que l’on peut parler de l’Autorité fédérale et des entités fédérées.
  • [28]
    Il a été mis en place par un arrêté royal du 8 août 1997.
  • [29]
    Décret du 9 janvier 2003 relatif aux organes d’avis en matière de politique scientifique et universitaire et à la concertation entre les différents organes consultatifs de l’enseignement supérieur.
  • [30]
    C’était en tout cas vrai jusque 2009, car depuis lors le budget recherche de la Région wallonne est supérieur à celui de la Communauté française. « Pour la Communauté française, le soutien en faveur de la recherche fondamentale est passé en quatre ans de 234,7 millions d’euros à 295,5 millions d’euros, soit un accroissement de 26 %. C’est la première fois, depuis 1999, que le taux d’accroissement du budget consacré à la recherche dépasse de manière sensible celui de l’indice santé. Pour la Région wallonne, le gouvernement a voulu envoyer un signal fort en faisant le choix d’une augmentation historique par rapport à l’année précédente des crédits recherche de 43 %, en moyens d’action. Au total, le budget consacré à la recherche en 2009 (budget ordinaire et Plan Marshall) s’élève à près de 310 millions d’euro » (gouvernement wallon, Séance spéciale « Recherche » du 12 décembre 2008, Objectif Prix Nobel 2020).
  • [31]
    Le CPS précise dans l’introduction que « le conseil a décidé d’étendre l’analyse à la politique de recherche de la Communauté française, compte tenu du souci de transversalité exprimé dans la Déclaration de politique régionale et la Déclaration de politique communautaire et réaffirmé dans les plans stratégiques transversaux », D. GRAITSON, État des lieux et perspectives de la R&D en Wallonie, Conseil de la politique scientifique, juin 2006, p. 7.
  • [32]
    Politique scientifique fédérale, « Institutions et politiques de science, technologie et innovation en Belgique », Bruxelles, 2006, p. 106.
  • [33]
    Composé de fonctionnaires de la DGTRE, des universités, des centres de recherche, des partenaires sociaux et d’experts internationaux.
  • [34]
    Moniteur belge, 9 février 2007.
  • [35]
    Cette simplification sémantique n’est pas anodine car elle facilitera les échanges avec les autres pays, qui se basent le plus souvent sur la littérature anglo-saxonne désignant les pôles de compétitivité par le vocable cluster. Jusqu’à présent, la terminologie wallonne prêtait à confusion.
  • [36]
    Conseil d’État, Avis 46.401/2 du 6 mai 2009 de la section de législation du Conseil d’État, sur un avant-projet de décret « relatif à la politique de clustering ».
  • [37]
    B. BAYENET, M. WUNDERLE, « Les pôles de compétitivité wallons », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2030, 2009.
  • [38]
    Nous l’avons fait par ailleurs, et nous renvoyons le lecteur à la publication suivante : C. FALLON et P. DELVENNE, « Les transformations actuelles du régime de l’innovation en Wallonie : une analyse des pôles de compétitivité », Innovation : the European Journal for Social Science Research, 2009, à paraître.
  • [39]
    Ce constat est à nuancer : des partenariats public/privé comme l’Institution d’immunologie médicale datent d’avant les pôles (ce partenariat a d’ailleurs particulièrement influencé et structuré le pôle Biowin) et les programmes mobilisateurs ont progressivement insisté sur l’importance des partenariats. Mais les pôles de compétitivité ont considérablement renforcé et multiplié cette logique partenariale.
  • [40]
    Programmes mobilisateurs pour les universités, appels à projets ouverts pour l’industrie, pôles de compétitivité pour le couple universités-industries, financements directs aux universités par la Région wallonne (programmes d’excellence) et par la Communauté française (accords de recherche concertés).
  • [41]
    Le SPIRAL est un centre de recherche interdisciplinaire de l’Université de Liège. Il a été créé en 1995 et articule ses domaines de compétences autour de quatre pôles de recherche : science, technologie et sociétés ; risques et planification d’urgence ; administration publique et évaluation des politiques publiques ; démocratie participative.
  • [42]
    Sur 51 experts wallons de l’innovation préalablement rencontrés individuellement lors d’entretiens semi-directifs et invités à répondre au questionnaire, 36 ont activement participé. De manière générale, la recherche prévoyait trois phases : la réalisation d’entretiens semi-directifs avec des acteurs wallons de l’innovation, la participation de ces derniers au questionnaire Delphi que nous abordons dans ce Courrier hebdomadaire et, enfin, la présentation des résultats lors d’un forum de discussion qui devait rassembler ces acteurs de l’innovation pour discuter du thème « Gouvernance et TA en Wallonie ».
  • [43]
    Cf. le site de Mesydel : <www. mesydel. com>.
  • [44]
    G. BECHMANN, Praxisfelder Technikfolgenforschung, op. cit.
  • [45]
    Même lorsque nos questions n’étaient pas tout à fait ouvertes et contenaient un choix multiple, les experts gardaient la possibilité de sortir des alternatives mises en avant. Ces dernières avaient plus pour rôle de préciser la signification de la question plutôt que d’orienter le choix des répondants.
  • [46]
    C. FALLON, « Les réformes des politiques scientifiques en Belgique et leur inscription dans un référentiel européen reflètent-elles l’émergence de processus politiques plus centriques ? », Thèse de doctorat, Université de Liège, 2009.
  • [47]
    Toutes les informations relatives à cette journée de réflexion se trouvent sur le site <http:// www. spiral. ulg. ac. be/ gouvernance_et_technology_assessment_08/ >.
  • [48]
    Il s’agit de M. de Lamotte (CDH), F. Daerden (PS), M. Bayenet (PS) et B. Langendries (CDH).
  • [49]
    Parlement wallon, Doc. parl. 846, 4 novembre 2008, n° 1 et 2.
  • [50]
    Des contacts visant à établir un dialogue avec le CESRW ont été tardivement initiés, mais ils n’ont pas encore réellement abouti à des discussions impliquant le Conseil économique et social et le Conseil de la politique scientifique dans les structures de réflexion à propos de cette nouvelle mission de TA.
  • [51]
    Déclaration de politique régionale wallonne, « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », Parlement wallon, Doc. parl. 8-1, 16 juillet 2009, p. 51.
  • [52]
    Par exemple, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), le Conseil wallon de l’environnement pour le développement durable (CWEDD), l’Agence de stimulation technologique ou encore l’éventuelle Agence wallonne de la recherche.
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