Notes
-
[1]
Il cumule alors cette fonction avec celle de Premier ministre du 15 mai 1938 au 22 janvier 1939 et du 20 mars 1949 au 27 juin 1949.
-
[2]
Les archives diplomatiques françaises conservées à Paris sont mentionnées en notes de bas de page sous l’abréviation suivante : ADP (Archives diplomatiques Paris). Celles conservées à Nantes sont mentionnées sous l’abréviation CADN (Centre des archives diplomatiques de Nantes).
-
[3]
Sur le statut de petite puissance de la Belgique, cf. P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », Revue d’histoire diplomatique, n° 4,2003, pp. 317-344. Master Recherche en Histoire des relations internationales et du monde atlantique à l'Université de Nantes.
-
[4]
P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », op. cit.
-
[5]
CADN, 23, n° 1903, Bousquet à Pineau, Généralités sur la Belgique, Bruxelles, 29 juillet 1957.
-
[6]
CADN, 23, télégramme n°°215, Rivière à Laniel, Rappels de la carrière de Monsieur Van Acker, Bruxelles, 22 avril 1954.
-
[7]
L’habileté politique et la grande prudence d’Achille Van Acker ont beaucoup impressionné les diplomates français à Bruxelles, comme en atteste à de nombreuses reprises leur correspondance.
-
[8]
CADN, 23, dépêche n° 231, Rivière à Laniel, Déclaration de Van Acker à la Chambre des représentants, Bruxelles, 4 mai 1954.
-
[9]
M. DUMOULIN, Spaak, Bruxelles, Editions Racine, 1999, p. 699.
-
[10]
ADP, n° 56, télégramme n° 1137, Bousquet à Pinay, Mouvement diplomatique, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[11]
P. GERBET, La Construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1999, p. 127.
-
[12]
Le Traité de Bruxelles, signé en mars 1948 est une alliance défensive signée entre la Grande-Bretagne, la France et la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
-
[13]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, De Boeck et Larcier, 2002, pp. 117-118.
-
[14]
« agonizing reappraisal ».
-
[15]
F. DAVID, « JF. Dulles et l’Alliance atlantique », Revue d’histoire diplomatique, n° 2,2003, pp. 171-189.
-
[16]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 469.
-
[17]
Les Cinq : RFA, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas.
-
[18]
CADN, 15, télégramme n° 627-632, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 25 octobre 1954.
-
[19]
CADN, 15, dépêche n° 1028, Le colonel Dewatre à Mendès France, Le Benelux et les événements d’Indochine, 10 mai 1954.
-
[20]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 473.
-
[21]
CADN, 68, télégramme n° 322-327, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 23 juin 1954.
-
[22]
Ibidem.
-
[23]
Sur la conférence de Bruxelles et ses suites, cf. E. ROUSSEL, Pierre-Mendès France, Gallimard, 2007, pp. 300-314.
-
[24]
Sur l’opposition de Henri Rolin au Traité de la CED, cf. R. DEVLEESHOUWER, Henri Rolin, 1891-1973, Institut de sociologie, Université de Bruxelles, 1994, réd. 2002, pp. 475-485.
-
[25]
CADN, 68, télégramme n° 296, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 13 juillet 1954.
-
[26]
CADN, 68, télégramme n° 377-384, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 13 juillet 1954.
-
[27]
De 1951 à 1955, Winston Churchill est Premier ministre, Anthony Eden ministre des Affaires étrangères.
-
[28]
CADN, 68, télégramme n° 509, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 27 août 1954.
-
[29]
Idem, 68, télégramme n°°527, Vaucelles à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 3 septembre 1954.
-
[30]
Jean Monnet devient, de 1952 à 1955, le premier président de la Haute autorité de la CECA.
-
[31]
Idem, 68, télégramme n° 367, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 6 juillet 1954.
-
[32]
Idem, 68, Compte rendu des réunions franco-anglaises des 15 et 16 septembre 1954 à Paris.
-
[33]
Idem, télégramme n° 588, Rivière à Mendès France, Déclarations de Spaak à son départ de Londres, Bruxelles, 4 octobre 1954.
-
[34]
Toutefois l’adhésion de la RFA à l’OTAN reste subordonnée au recouvrement de sa souveraineté, ce qui suppose la reprise et la modification des accords de Bonn de mai 1952, sous réserve de la ratification des accords de Paris par le Parlement allemand.
-
[35]
Georges-Henri SOUTOU, L’Alliance incertaine, Paris, Fayard, 1996, pp. 25-29.
-
[36]
CADN, 15, dépêche n° 1869, Rivière à Mendès France, Le Sénat belge et l’accord franco-allemand du 23 octobre 1954, Bruxelles 13 décembre 1954.
-
[37]
Idem, 86, dépêche n° 189, Rivière à Mendès France, Larock fait le bilan de son département pour le trimestre écoulé, Bruxelles, 29 octobre 1954.
-
[38]
ADP, 86, note relative aux problèmes de canaux dans les pays du Benelux et dans leurs relations avec leurs voisins, Paris, 1er mars 1955.
-
[39]
CADN, 68, télégramme n° 2280 à 2301, Circulaire n° 92 sur la conférence de Paris, 27 octobre 1954.
-
[40]
Idem, 75, dépêche n° 1870, Rivière à Mendès France, Rapport de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Bruxelles, 14 décembre 1954.
-
[41]
Ibidem.
-
[42]
Idem, 15, télégramme n° 625, Spaak cité par Rivière, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 25 octobre 1954.
-
[43]
M.-T. BITSCH, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Ed. Complexe, 2001, Réd. 2007, p. 101.
-
[44]
CADN, 75, télégramme n° 160, Rivière à Pinay, Réunion diplomatique belge, Bruxelles, 12 mars 1955.
-
[45]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 452.
-
[46]
Les rivalités entre Belges et Néerlandais se concentrent essentiellement dans le secteur agricole et dans celui des voies d’eau. ADP, 86, télégramme n° 152, Lefebvre à Faure, non-titré, La Haye, 22 mars 1955.
-
[47]
M.-T. BITSCH, Histoire de la Construction européenne, op.cit., pp. 104-106.
-
[48]
ADP, 119, Note sur les relations franco-belges, établie par le comité franco-belge, Paris, juillet 1956.
-
[49]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 170.
-
[50]
M.-T. BITSCH, Histoire de la Construction européenne, op. cit., p. 107.
-
[51]
Les experts désignés par Spaak sont : l’allemand von der Groeben, le français Uri, le belge Hupperts et l’italien Guarruli-Marini.
-
[52]
CADN, 77, télégramme n° 35-44, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 29 janvier 1957.
-
[53]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 181.
-
[54]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 183.
-
[55]
OECE : Organisation européenne de coopération économique (future OCDE) dont font notamment partie les Six et aussi la Grande-Bretagne.
-
[56]
P.-H. SPAAK, Combats, II, Paris, Fayard, 1969, pp. 81-82.
-
[57]
Le baron Snoy et d’Oppuers, après avoir été secrétaire général du Ministère des Affaires économiques, deviendra administrateur délégué de la compagnie Lambert. Il continuera à jouer un rôle dans le secteur privé, puis deviendra ministre.
-
[58]
Rue Ducale : siège de l’Ambassade de France à Bruxelles.
-
[59]
CADN, télégramme n° 184, Bousquet à Pineau, Territoires d’Outre-Mer, Bruxelles, 25 janvier 1957.
-
[60]
ADP, 71, note n°398, Rivière à Mendès France, Sur les territoires d’Outre-Mer, Bruxelles, 22 septembre 1954.
-
[61]
G.-H. SOUTOU, « La politique nucléaire de Pierre Mendès France », Relations internationales, n° 59, automne 1989.
-
[62]
Sur ces accords, cf. notamment P. BUCH, J. VANDERLINDEN, L’Uranium, la Belgique et les Puissances, De Boeck, 1995 ; Courrier hebdomadaire, CRISP, n°°781-782,9 décembre 1977.
-
[63]
ADP, 118, note n° 291, Dufournier à Pineau, Relations avec les États-Unis, Bruxelles, 16 juin 1956.
-
[64]
CADN, n° 54-57, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 30 janvier 1957.
-
[65]
Idem, 72, Dufournier à Pinay, Exposé de Spaak, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[66]
Idem, 70, note n° 508, Rivière à Pinay, non-titré, Bruxelles, 5 août 1955.
-
[67]
Idem, Dufournier à Pinay, Exposé de Spaak, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[68]
Ibidem.
-
[69]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 139.
-
[70]
CADN, 73, dépêche n° 59, Bousquet à Pineau, Siège du Marché commun et de l’Euratom. Conversation avec Larock, Snoy et Rothschild, Bruxelles, 11 janvier 1958.
-
[71]
ADP, 119, note n° 1447, Entrevue avec Scheyven, Bruxelles, 28 août 1957.
-
[72]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 141.
-
[73]
CADN, 66, dépêche n° 1187, Bousquet à Pineau, Position belge sur les grands problèmes internationaux, Bruxelles, 2 juillet 1957.
-
[74]
En référence notamment à l’article 2 du Traité de Washington.
-
[75]
CADN, 56, télégramme n° 598, Dufournier à Pinay, Spaak fait un large tour d’horizon de la situation internationale, Bruxelles, 24 novembre 1955.
-
[76]
ADP, 61, télégramme n° 2007, Dufournier à Pinay, L’opinion belge et le dernier Conseil de l’OTAN, Bruxelles, 19 décembre 1955.
-
[77]
P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », op. cit.
-
[78]
CADN, 56, Note de Spaak, Bruxelles, 24 avril 1956.
-
[79]
ADP, 61, télégramme n° 2007, Dufournier à Pinay, L’opinion belge et le dernier Conseil de l’OTAN, Bruxelles, 19 décembre 1955.
-
[80]
R. COOLSEAT, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 95.
-
[81]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 541.
-
[82]
F. DAVID, « J.-F. Dulles et l’Alliance atlantique », op. cit., pp. 171-189.
-
[83]
ADP, 402, Relations économiques entre la Belgique et les États-Unis, Washington, 23 janvier 1959.
-
[84]
Idem, 402, télégramme n° 491, Bidault, Suggestions de monsieur Kronacker, Washington, 31 mars 1954.
-
[85]
CADN, 2, dépêche n° 1095, Rivière à Pineau, Rapport de fin de mission, Bruxelles, 1er août 1956.
-
[86]
CADN, 23, télégramme n°287-288, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 15 juin 1955.
-
[87]
L’entrée de la Belgique dans la guerre froide s’est faite à regret, elle n’a pas intérêt à une confrontation avec l’URSS. Par contre, les nouveaux avantages, qu’elle peut retirer d’une Alliance avec les États-Unis, notamment sur le plan économique, conduisent le gouvernement belge à faire le choix de l’atlantisme.
-
[88]
ADP, 116, télégramme n° 4375, Dejean à Pineau, non-titré, Moscou, 3 novembre 1956.
-
[89]
P.-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., p. 326.
-
[90]
ADP, 116, Bousquet à Pineau, Entretien avec Spaak sur sa visite en URSS, Bruxelles, 5 novembre 1956.
-
[91]
CADN, 23, dépêche n° 1599, Bousquet à Pineau, Séance de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Bruxelles, 8 novembre 1956.
-
[92]
Idem, 56, Note de Spaak, 24 avril 1956.
-
[93]
Le Rapport Wilgress : du nom du représentant du Canada auprès de l’OTAN.
-
[94]
CADN, 77, télégramme n° 355, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 30 juillet 1956.
-
[95]
P.-H. SPAAK, Lettre à Selwyn Lloyd, 21 août 56, in Combats, I, op. cit., p. 228.
-
[96]
Aide Mémoire du gouvernement belge à destination des ambassades étrangères, 5 août 1956.
-
[97]
La Belgique occupe un siège de membre non permanent.
-
[98]
CADN, 77, n° 1271, Bousquet à Pineau, Déclaration de Spaak au sujet de l’affaire de Suez, 19 septembre 1956.
-
[99]
Idem, 77, n° 1458, Bousquet à Pineau, Entrevue avec Rothschild, Bruxelles, 16 octobre 1956.
-
[100]
Idem, 77, télégramme n° 487-488, Bousquet à Pineau, Vote d’abstention de la Belgique au Conseil de sécurité, Bruxelles, 6 novembre 1956.
-
[101]
Idem, 23, télégramme n°1636, Bousquet à Pineau, Rentrée parlementaire. Points essentiels du discours de Van Acker, Bruxelles, 14 octobre 1956.
-
[102]
Idem, 23, télégramme n° 1636, Bousquet à Pineau, op. cit.
-
[103]
Idem, 77, télégramme n° 1470, Bousquet à Pineau, La Belgique et la crise de Suez, Bruxelles, 25 novembre 1956.
-
[104]
Idem, 77, télégramme n° 1470, Bousquet à Pineau, La Belgique et la crise de Suez, Bruxelles, 25 novembre 1956.
-
[105]
Idem, 77, Bousquet à Pineau, Les effets de la crise de Suez sur l’économie belge, Bruxelles, 17 décembre 1956.
-
[106]
ADP, 115, n° 1187, Bousquet à Pineau, Position belge sur les grands problèmes internationaux, Bruxelles, 2 juillet 1957.
-
[107]
P.-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., p. 109.
-
[108]
En 1952, Spaak aurait pu être élu, mais la France, et notamment le Quai d’Orsay, était réticente à sa nomination en raison de ses positions supranationales et de ses relations privilégiées avec les Américains.
-
[109]
P-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., pp. 110-111.
-
[110]
CADN, 56, n° 544-46, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 18 décembre 1956.
-
[111]
Les Quinze : les 15 pays membres de l’OTAN.
-
[112]
Idem, 56, n° 544-46, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 18 décembre 1956.
-
[113]
Idem,, 56, Bousquet à Pineau, Spaak sera-t-il secrétaire général de l’OTAN ?, Bruxelles, 10 décembre 1956.
-
[114]
Idem, 23, n°403, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 27 avril 1957.
-
[115]
Ibidem.
-
[116]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 557.
-
[117]
P. H. SPAAK, Combats inachevés, II, op. cit., p. 171.
-
[118]
Spaak et de Gaulle n’entretiennent pas de rapports harmonieux. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors en exil à Londres, ils étaient en concurrence pour obtenir les bonnes grâces de Churchill. V. DUJARDIN, M. DUMOULIN, P.LPLASMAN, Jean-Charles Snoy/Paul-Henri Spaak, Signataires des Traités de Rome, Le Cri édition, 2007, p. 40.
INTRODUCTION
1Au printemps 1954 Paul-Henri Spaak retrouve le portefeuille des Affaires étrangères. Il avait été à ce poste du 13 juin 1936 au 22 janvier 1939 et du 3 septembre 1939 au 27 juin 1949 [1]. Son influence sur la conduite des affaires extérieures de son pays sera particulièrement décisive et sa marge de manœuvre très grande dans le nouveau gouvernement. D’ailleurs, la correspondance des diplomates français relate que « la politique étrangère de la Belgique, c’est avant tout Monsieur Spaak » (écrit par l’ambassadeur de France en Belgique).
2L’étude des archives du Ministère français des Affaires étrangères, relatives à la politique étrangère belge dans les années 1950, s’avère particulièrement instructive à ce sujet. Les archives conservées à Paris au Quai d’Orsay (archives de l’administration centrale) et à Nantes (archives des ambassades et consulats français) [2] permettent d’envisager une approche originale de la politique étrangère belge, grâce à la correspondance des diplomates français. Ces derniers, en poste à Bruxelles, tout en rendant compte à leur ministre de l’état de la situation politique en Belgique, font part de leurs observations et se permettent à l’occasion quelques suggestions.
3De 1950 jusqu’à 1954, des gouvernements homogènes sociaux-chrétiens sont au pouvoir et la question de la guerre scolaire se trouve au centre du débat politique. Celle-ci ne s’achèvera que sous la législature suivante de 1954 à 1958 durant le gouvernement de coalition socialiste – libérale d’Achille Van Acker. En France, ces années coïncident avec la campagne pour la CED (Communauté européenne de défense) et s’achèvent avec le retour au pouvoir du général de Gaulle au printemps 1958. À l’échelle internationale, il s’agit d’années essentielles, sinon cruciales, de transition entre la période de l’après-guerre essentiellement axée sur la question allemande et la période du début des années 1960, moment de paroxysme dans la guerre froide et étape-clé dans le processus de décolonisation.
4Les années 1954-1958 sont celles de la relance européenne, du renforcement politique de l’Alliance atlantique, mais aussi des moments de tension extrême : insurrection de Budapest, crise de Suez, troubles politiques en Afrique du Nord, etc. Pendant cette période, grâce à l’action de Spaak, la Belgique, malgré son statut de « petite puissance [3] » joue pourtant un rôle essentiel.
5La perception de la politique étrangère belge par les diplomates français permet de mieux comprendre dans quelle mesure la Belgique joue, de 1954 à 1958, un rôle plus important que son poids de « petite puissance » ne le laisserait supposer.
6Pendant ces années, la dimension européenne est d’abord indissociable de la dimension transatlantique d’avril 1954 à mars 1955. Les deux, par la suite, apparaissent de façon plus distincte, mais toujours intimement liées. Aussi, nous aborderons d’abord la campagne pour la CED et les accords de Paris (avril 1954-mars 1955), puis la relance européenne (mars 1955-juin 1958) et enfin le renforcement de la politique atlantique (mars 1955-juin 1958).
1. LA BELGIQUE DE LA CAMPAGNE DE LA CED AUX ACCORDS DE PARIS (AVRIL 1954-MARS 1955)
7La ratification par la France du traité instituant la Communauté européenne de défense (CED) domine l’actualité politique européenne du moment. P.-H. Spaak, au sein du nouveau gouvernement, entend contribuer activement à la résolution de cette question. Il cherche donc à convaincre la France de ratifier ce traité qu’elle a signé, mais qui est de plus en plus controversé.
1.1. RELATIONS FRANCO - BELGES ET VISION FRANÇAISE DE LA POLITIQUE BELGE
1.1.1. Relations franco-belges : perspectives croisées
8Au début des années 1950, les deux pays entretiennent des liens anciens, nombreux et étroits, dans les domaines économique, politique, ou encore culturel. Il ne faut cependant jamais perdre de vue le fort déséquilibre de puissance et les comportements qu’il induit de part et d’autre : la France, avant-guerre grande puissance fait désormais figure de puissance moyenne, tandis que la Belgique, elle, demeure une petite puissance. En 1954, l’attitude de la France semble se caractériser par l’absence de politique bien élaborée et structurée à l’égard de la Belgique. Cette attitude résulte essentiellement du traitement ponctuel de différents dossiers en fonction des intérêts de la France. L’instabilité des gouvernements de la IVe République nuit à l’élaboration d’une politique étrangère française plus constante. De plus, les problèmes relatifs à la Belgique revêtent alors une importance quelque peu secondaire pour la France, avant tout préoccupée par la question allemande. Paris n’a pas renoncé à exercer une influence en Belgique, pays qui peut constituer « une force d’appoint [4] » très appréciable lorsque les intérêts français divergent de ceux des Anglo-saxons, notamment sur la question allemande, enjeu politique essentiel pour la France.
9Sur le plan économique, la France est consciente du fort potentiel de son petit voisin et jalouse les exceptionnelles richesses du Congo belge. La France a cependant intérêt à apporter son soutien à la Belgique pour équilibrer les influences anglo-saxonnes en Afrique et plus particulièrement au Congo belge.
10L’influence de la France sur l’espace territorial belge remonte à plusieurs siècles, aussi, la représentation diplomatique française se caractérise par un dense réseau de consulats répartis dans le pays. Le poste d’ambassadeur de France en Belgique reste un poste important dans la diplomatie française ; il est confié à des diplomates expérimentés ayant exercé de nombreuses fonctions, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Allemagne. L’expérience acquise dans ces pays s’avère souvent bien utile aux diplomates français pour apprécier la situation politique belge. Raymond Bousquet, ambassadeur de France en Belgique, rappelle d’ailleurs à ce sujet : « L’Histoire de la Belgique doit être analysée à la lumière des pays qui l’entourent [5] ».
11Au début des années 1950, l’importance du poste d’ambassadeur de France à Bruxelles parait quelque peu disproportionnée par rapport au poids relativement faible de la Belgique à l’échelle internationale. Ce poste n’est cependant pas à comparer, en importance, à ceux de Washington, Londres, Bonn ou Moscou. Pour des raisons budgétaires, la France se trouve contrainte de réduire sa représentation diplomatique et plusieurs postes en Belgique sont concernés. Pourtant, depuis la fin de la guerre, la France sent son influence diminuer et s’accroître l’influence anglo-saxonne. L’équilibre traditionnel entre influence française d’une part et influence britannique d’autre part, tend à se modifier en faveur de la Grande-Bretagne, mais aussi des États-Unis, dont les effectifs diplomatiques sont en constante augmentation. Parallèlement, la République fédérale d’Allemagne développe également sa représentation diplomatique en Belgique, ce qui préoccupe les Français.
12La Belgique, pour sa part, élabore une politique plus structurée à l’égard de la France. La France, au même titre que la Grande-Bretagne, a constitué un point de référence pour la Belgique, jusqu’au revirement diplomatique belge en faveur des États-Unis qui s’effectue progressivement de 1947 à 1948 et qu’il convient d’ailleurs de nuancer. Déjà, durant la Seconde Guerre mondiale, la France étant vaincue, la Belgique décide de jouer la carte anglo-saxonne. Dès 1942, la politique du gouvernement belge exilé à Londres est orientée de plus en plus vers les États-Unis. Cependant, malgré ce revirement progressif, les influences française et anglaise restent déterminantes sur la conduite de la politique étrangère belge ; le pays ne souhaite d’ailleurs s’éloigner ni de la Grande-Bretagne, ni de la France.
13Les inquiétudes sont vives en Belgique face à l’incapacité française à résoudre ses difficultés sur la scène intérieure et surtout dans ses colonies. La IVe République se caractérise par une instabilité gouvernementale.
1.1.2. Les acteurs de la politique étrangère belge vus par les diplomates français
14Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Belgique cherche son équilibre politique. Après une succession de gouvernements sociaux-chrétiens depuis 1949, les élections du 11 avril 1954 consacrent la victoire des socialistes et, dans une moindre mesure, des libéraux. Le Parti socialiste n’ayant pas obtenu la majorité absolue, doit s’allier à l’un des deux autres grands partis. Les socialistes, ne parvenant pas à s’entendre avec les sociaux-chrétiens, décident de négocier avec les libéraux. C’est donc une alliance laïque qui succède à un gouvernement social-chrétien homogène. Les divergences fondamentales entre les deux formations, notamment en matière économique et sociale, n’échappent à personne. Jean Rivière, ambassadeur de France en Belgique depuis 1952, compte alors parmi les plus sceptiques quant aux chances de réussite de la nouvelle coalition. Le 22 avril, le roi Baudouin charge le socialiste Achille Van Acker de former le nouveau gouvernement, Max Buset, le secrétaire général du PSB, s’étant finalement désisté. La nouvelle équipe compte seize ministres, dont neuf socialistes et sept libéraux. L’équilibre entre Flamands et Wallons a été, en théorie, respecté : le nouveau gouvernement comprend en effet sept ministres wallons, sept flamands et deux bruxellois, dont Paul-Henri Spaak mais les Français pensent que l’influence flamande sera nettement moins forte que dans les précédents gouvernements.
15Le nouveau Premier ministre Achille Van Acker, flamand originaire de Bruges, a déjà exercé cette fonction de 1945 à 1946. Il reste cependant peu connu à l’étranger, notamment en France, où il suscite chez les diplomates une certaine défiance et un a priori négatif, à l’instar de plusieurs autres politiciens flamands. D’après l’ambassadeur Jean Rivière, Van Acker, spécialiste des questions sociales, s’intéresse assez peu à la politique internationale et européenne. De plus, pour Rivière, « comme beaucoup de ses collègues flamands, dont l’horizon est assez limité, M. Van Acker est sans doute un européen assez tiède [6] ». Les diplomates français perçoivent toutefois Van Acker comme un homme doué d’une grande finesse, réaliste et surtout très prudent politiquement [7].
16Pour les Français, la forte personnalité du nouveau gouvernement est assurément Paul-Henri Spaak, qui revient à la tête des Affaires étrangères. P.-H. Spaak a déjà occupé ce poste de 1939 à 1949, fonction qu’il a cumulée avec celle de Premier ministre de 1947 à 1949. Sa notoriété dépasse largement les frontières de son pays et il dispose d’un grand prestige international. P.-H. Spaak est convaincu de la nécessité pour son pays d’une Europe forte et unie et demeure partisan d’une collaboration transatlantique renforcée. D’après les Français, il devrait suivre globalement la même ligne que son prédécesseur social-chrétien Paul Van Zeeland, avec des méthodes sensiblement différentes. Le Quai d’Orsay se réjouit du retour de P.-H. Spaak, estimé pour ses nombreuses qualités, mais dont la grande indépendance, l’anglophilie et l’atlantisme suscitent la méfiance des diplomates français.
17Le député socialiste Victor Larock reçoit le portefeuille du Commerce extérieur, un des principaux ministères en Belgique. Larock, très apprécié de Spaak, mais aussi des représentants de la France à Bruxelles, est, d’après ces derniers, l’un des rares hommes politiques belges à s’intéresser aux questions internationales, au même titre que le libéral Jean Rey, nouveau ministre des Affaires économiques.
18Le programme du nouveau gouvernement sera difficile à établir car il devra concilier deux tendances assez contradictoires : une politique sociale plus engagée, voulue par les socialistes, et un régime d’économie financière voulu par les libéraux. La déclaration ministérielle fixant la politique du gouvernement ne consacre que deux phrases à la politique étrangère. Le Premier ministre Van Acker se contente de réaffirmer la fidélité de la Belgique à l’Alliance atlantique et à l’idée de Communauté européenne [8]. Jean Rivière y voit la preuve que l’orientation atlantique et européenne impulsée notamment par Paul Van Zeeland, sera maintenue. La grande sobriété de la déclaration ministérielle concernant la politique étrangère n’étonne pas les diplomates français car les grandes questions comme celles de la CED ou de la Communauté politique européenne n’ont jamais été évoquées au cours de la campagne électorale, les principaux chefs des trois grands partis y étant favorables.
19La réussite de la politique étrangère de la Belgique, impulsée par Spaak, dépend également de ses exécutants directs : les diplomates. En considération de la taille du pays, la Belgique possède, de l’avis des français, un corps diplomatique important et compétent. Très soucieuse de son image hors de ses frontières, elle attache toujours une grande importance à la qualité de sa représentation à l’étranger.
20Les enjeux de la question linguistique dans la diplomatie belge intéressent particulièrement les Français. En effet, ces derniers suivent attentivement l’évolution de l’emploi de la langue française, au moment où celle-ci se trouve de plus en plus concurrencée par l’anglais à l’échelle internationale. Le réseau diplomatique belge constitue, pour les Français, une force d’appoint très appréciable pour la défense des intérêts de Paris, notamment dans le domaine culturel.
21Paul-Henri Spaak peut compter sur des collaborateurs dévoués pour appliquer sa politique : parmi les « spaakistes [9] » Robert Rothschild, sera le chef de cabinet du ministre de 1954 à 1957. Rothschild est un interlocuteur privilégié des diplomates français, notamment en l’absence de Spaak. Il est apprécié des Français car perçu comme très francophile. Walter Loridan, un des fidèles collaborateurs de Spaak, sera nommé ambassadeur à Moscou, poste-clé pour la diplomatie belge, d’autant que le dialogue avec Moscou demeure essentiel aux yeux de Spaak [10]. De l’avis du ministre, le poste de représentant à l’OTAN est la plus importante des fonctions diplomatiques belges car l’OTAN est la meilleure des plate-formes politiques dans laquelle la Belgique peut faire entendre sa voix : c’est André De Staercke, un proche de Spaak, qui dirige depuis 1952, la délégation belge auprès de cette organisation. Le baron Guillaume représente, depuis 1943, son pays à Paris. Il est apprécié des Français, de même que ses collègues en poste à La Haye, à Luxembourg et à Rome. Les Français voient dans le baron de Grüben, ambassadeur de Belgique à Bonn, le seul diplomate belge de première importance à ne pas leur être très favorable.
1.2. TOUT FAIRE POUR SAUVER LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE DE DÉFENSE
1.2.1. La Belgique cherche à convaincre la France de ratifier le Traité CED
22L’offensive des forces communistes en Corée du Sud le 25 juin 1950 fait craindre la possibilité d’une attaque communiste en Europe occidentale. Pour les Américains, il est urgent de procéder au renforcement de l’appareil de défense occidental et celui-ci passe par un réarmement de l’Allemagne de l’Ouest. En septembre 1950, le secrétaire d’État américain Dean Acheson, déclare à ses homologues britanniques et français : « Je veux des Allemands en uniforme pour 1951 [11]. » Pour encadrer le réarmement allemand, il propose d’élargir le Traité de Bruxelles [12] à l’échelle atlantique. Seuls deux pays de l’OTAN refusent de se rallier à la proposition américaine : la France, et, dans une moindre mesure, la Belgique. Toutes deux, redoutent une nouvelle hégémonie allemande.
23En octobre de la même année, une contre-proposition française, présentée par René Pleven, alors président du Conseil, voit le jour. Il s’agit de créer une armée européenne qui comprendrait des troupes de chacun des pays membres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) y compris des unités allemandes, étroitement encadrées, sous commandement supranational européen. Ce projet débouche sur un accord et le Traité de la Communauté européenne de défense (CED) est signé à Paris le 27 mai 1952 entre la France, la RFA, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cependant, une crise politique ne tarde pas à se développer en France autour de ce nouveau traité. La Belgique connaît également un vif débat à propos de la CED, qui divise l’opinion [13]. Pour certains, le projet présente l’avantage d’encadrer étroitement le réarmement allemand et de tendre vers l’unité européenne. D’autres, surtout en Flandre, dénoncent l’absence de la Grande-Bretagne et craignent une domination de la France et de la langue française. Le gouvernement belge social-chrétien de l’époque, pour sa part, entend intégrer au maximum le projet français dans le cadre de l’Alliance atlantique.
La situation au printemps 1954
24En avril 1954, tous les signataires du traité l’ont ratifié, à l’exception de la France. Étant donné la fragilité des différents gouvernements de la période, aucun d’entre eux ne veut engager sa responsabilité sur la question de la CED devant l’Assemblée nationale. L’opposition au traité se fait grandissante, notamment de la part des gaullistes et des communistes. Aussi, les gouvernements qui se succèdent tentent d’apporter le maximum d’amendements au traité afin d’en diminuer le caractère supranational. Les Américains, à l’origine plutôt sceptiques à l’égard du traité, vont ensuite le soutenir énergiquement. Foster Dulles, secrétaire d’État, menace même la France de « révision déchirante [14] » de la politique étatsunienne en cas de vote négatif à l’Assemblée [15]. Début 1954, les inquiétudes des Belges au sujet de la situation politique française restent très vives, malgré les garanties britanniques et américaines apportées aux signataires du traité.
25Spaak, à peine revenu à la tête de la diplomatie belge, entend se consacrer prioritairement au règlement de la question de la CED à laquelle il est favorable, contrairement à son prédécesseur Paul Van Zeeland, très réservé sur le projet. Pour Spaak, la CED permet d’encadrer étroitement le réarmement allemand. Partisan d’une Europe supranationale, Spaak est également favorable à l’article 38 du traité CED, relatif à la possibilité de créer une Communauté politique européenne. En fait, deux raisons essentielles incitent Spaak à prendre l’initiative : au sein du PSB, son action est critiquée par Henri Rolin et les « neutralistes », hostiles à l’engagement de Spaak dans le camp occidental. En outre, Spaak est soumis aux attaques d’une partie de la droite qui l’accuse de brader la souveraineté nationale [16].
26Plus généralement, tous les partenaires s’impatientent face aux tergiversations françaises. Spaak s’inquiète de l’exaspération américaine envers la France. En effet, la France a proposé et signé un traité qu’elle refuse de ratifier. La situation bloquée amène les Américains à rechercher un homme politique européen d’envergure internationale, susceptible d’encourager la ratification du traité. Les Américains choisissent finalement Spaak car il est le seul homme politique pro-européen et pro-CED en place, à l’exception du chancelier Adenauer, à disposer d’une renommée internationale. Les intérêts américains convergent avec les objectifs de Spaak. En effet, Spaak pense que le principe de supranationalité tel qu’il est défini dans le traité et l’encadrement étroit des forces de la RFA défendent au mieux les intérêts belges. Mais Spaak tient à éviter de donner l’impression qu’il agit à la demande des Américains. Si les diplomates français saisissent bien les motivations de Spaak, en revanche ils ne mesurent pas complètement à quel point sont fortes les réticences de Spaak à la reconstitution d’une armée allemande.
27Spaak reçoit l’appui des Américains pour mener à bien sa mission. Aussi, les Belges, décident d’abord du gel des négociations sur la Communauté politique européenne, qui, en France, effraye les opposants au traité. Spaak reprend ensuite l’initiative sur la CED et, en accord avec les Américains, décide d’agir lors de la prochaine réunion des partenaires de la CECA : ces derniers mettront la France devant ses responsabilités. Si aucune date n’était fixée pour la ratification française, les Cinq [17] adresseraient à Paris un premier avertissement. De son côté le président Eisenhower écrit au président Coty tandis que Foster Dulles convoque les ambassadeurs des Six à Washington.
28Si l’entreprise échouait, il faudrait d’urgence réunir une conférence sans la France mais avec la Grande-Bretagne et les États-Unis et les pays ayant déjà ratifié le traité. De l’avis belge, cette action pourrait avoir de graves conséquences et ne doit être envisagée qu’en ultime recours. En outre, Spaak est tout à fait opposé à l’intention américaine et britannique de lever le statut d’occupation de la RFA. La France, mais aussi la Belgique, qui dispose de troupes d’occupation en RFA, se retrouveraient alors comme en 1919, seules puissances occupantes. La Belgique redoute de devoir choisir et d’être écartelée entre la position de la France et celle de la Grande-Bretagne et des États-Unis [18]. Spaak rappelle aux Américains que les opinions publiques en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas réagiraient très mal à une levée trop rapide de l’occupation de la RFA. La chute du gouvernement français Laniel en juin 1954, suite au désastre de Diên Biên Phu, oblige Belges et Américains à reconsidérer la situation.
Spaak face à Mendès France (juin-juillet 1954)
29Le 18 juin 1954, Pierre Mendès France devient le nouveau président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Sa nomination annonce un changement dans la politique française. Il n’est ni un défenseur de l’héritage colonial, ni un militant pro-européen. Il entend résoudre la question indochinoise et celle de la CED, qui accablent la France et inquiètent ses partenaires, au premier rang desquels les Belges qui accusent Paris d’être « l’homme malade de l’Europe [19] ».
30Spaak et les Américains n’attendent aucun changement dans l’attitude de la France. Spaak décide en outre de prendre l’initiative de consultations préalables avec ses homologues luxembourgeois et néerlandais, Joseph Bech et Johan Willem Beyen. En effet, les Belges comme les Néerlandais, redoutent un coup de force des Anglais et des Américains, aussi insistent-ils sur la nécessité de consultations préalables pour ne pas être mis devant le fait accompli. Spaak semble craindre réellement que l’évolution du scénario qu’il a élaboré avec les Américains ne lui échappe [20]. Mais il utilise également l’argument du risque d’une initiative anglo-saxonne pour presser les Français à ratifier le traité. « M. Spaak ne voudrait pas être pris de court par quelque intervention anglo-saxonne en matière de solution de rechange pour la CED [21]. » Spaak voudrait freiner les Anglais et les Américains et faire en sorte que le vote français se fasse plutôt à l’initiative des partenaires de la CECA : « J’ai fait demander aux Anglais et aux Américains de s’abstenir, car j’estime que nous devons jouer nos cartes entre nous [22] » rappelle Spaak à l’ambassadeur français.
31Belges, Néerlandais et Luxembourgeois se rencontrent le 22 juin et Spaak reprend sa proposition d’une réunion à Six. Spaak, fort du soutien de Bech et de Beyen, propose à ses partenaires français, allemand et italien une réunion à Bruxelles dans les meilleurs délais. Mendès France, accaparé par la question indochinoise, propose à Spaak de venir le rencontrer. Le 30 juin, Spaak se rend à Paris. Il y apprend que Mendès France ne veut pas de réunion immédiate des Six, sa priorité étant l’Indochine. Pour Spaak, renseigné par les Américains, le temps presse car la menace d’une solution de rechange anglo-américaine se précise. Mendès France reconnaît la nécessité d’une conférence mais veut qu’elle ait lieu le plus tard possible, une fois réglée la question indochinoise. Les deux hommes s’accordent finalement sur la tenue d’une conférence dans la première quinzaine d’août.
1.2.2. La conférence de Bruxelles (19-22 août 1954)
32Le délai obtenu par Mendès France lui a permis de solder la question indochinoise le 20 juillet à la conférence de Genève. Désormais il peut se consacrer à la CED. La conférence aura lieu le 19 août à Bruxelles [23] et les propositions françaises doivent être communiquées à Spaak le 14 août. Mendès France doit composer avec deux tendances pour élaborer ses propositions : d’un côté, celle des gaullistes, très hostiles au traité ; de l’autre, celle de Maurice Bourgès-Maunoury, favorable à des aménagements. Mendès France tranche en faveur du projet Bourgès-Maunoury, auquel il ajoute diverses dispositions pour en atténuer le caractère supranational. Les ministres gaullistes démissionnent du gouvernement les 12 et 13 août. Spaak juge la proposition française « décevante et inacceptable » et décide de préparer une contre-proposition.
33Mais de nouvelles difficultés s’annoncent : Spaak doit affronter de fortes oppositions à l’extérieur et à l’intérieur de son parti. Henri Rolin, socialiste et chef de file du courant « neutraliste et internationaliste » est opposé au traité [24] et annonce à Spaak qu’il encouragera Mendès France à ne pas se lier à la CED. De plus, les retards apportés à la ratification du traité en France provoquent une montée du sentiment de « neutralisme » en Belgique qui place les politiciens belges les plus francophiles dans une position difficile, dont les représentants de la France à Bruxelles ont pleinement conscience contrairement à leurs collègues de Paris [25]. En outre, le roi Baudouin qui entend rester en dehors de ce projet très controversé, annonce son intention de partir en vacances. Avant de quitter ses fonctions, Paul Van Zeeland a mis en garde le souverain contre la création d’institutions européennes susceptibles de porter atteinte à sa souveraineté.
34La veille de la conférence, l’équipe de Spaak redoute les positions de Mendès France, mais aussi celles de Beyen. Spaak est prêt à aller le plus loin possible pour donner satisfaction à Mendès France ; Jean Rivière ne cesse d’ailleurs de rappeler à ses supérieurs, souvent en vain, l’attitude très francophile de Spaak. L’ambassadeur insiste sur la nécessité, pour les Français, de conserver de très bonnes relations avec le ministre belge : l’aide de Spaak pourrait s’avérer très utile à la France en cas d’échec de la conférence [26].
35La conférence débute positivement : Spaak propose de substituer une déclaration commune au protocole élaboré par les Français. L’idée est acceptée et les questions sont traitées les unes après les autres, sans difficulté majeure. La conférence progresse vite. Le 20, lorsque Spaak soumet à ses collègues son projet de déclaration, Mendès France réagit vivement et juge les termes du préambule inadmissibles. Spaak propose alors la suppression du préambule. Les participants l’acceptent, mais la situation se détériore. Foster Dulles fait parvenir un message pour faire pression sur Mendès France, qui éprouve alors le sentiment d’une coalition dirigée contre lui. L’après-midi et la soirée sont consacrés à l’examen du projet de déclaration de Spaak et du protocole français.
36La journée du 21 est réservée aux travaux des experts. Spaak reste en contact avec les Américains. Dans la soirée, la conférence reprend sur la base d’un nouveau projet de préambule à la déclaration de Spaak. Mendès France en discute tous les points. Spaak modifie son texte une nouvelle fois. L’atmosphère se dégrade : Beyen s’impatiente de l’attitude de Mendès France. C’est l’impasse. Les partenaires de la France sont persuadés, à l’exception notable de Spaak, que le texte du traité peut être accepté par l’Assemblée française sans de nouveaux remaniements. Cela explique l’attitude plus souple de Spaak, lors de la conférence, envers les propositions françaises. La conférence se solde par un échec.
37Spaak est extrêmement déçu. Il est aussi agacé par la pression exercée par les Américains durant la conférence, via l’envoi d’un télégramme. Le contenu de ce message suggère de proposer aux ministres des Cinq la réunion rapide d’une conférence pour envisager le réarmement de la RFA. Spaak voudrait au contraire laisser toutes ses chances à la ratification française.
38Avant de partir pour Bruxelles, Mendès France a convenu qu’il se rendrait à Londres quel que soit le résultat de la conférence. Le 23 août, Mendès France s’envole pour la capitale anglaise afin de rencontrer Churchill et Eden [27].
39Spaak, qui aurait tant aimé apparaître comme le sauveur de la CED, est déçu de l’échec de « sa » conférence, qui constituait la dernière chance de compromis avant le vote français. Du 22 au 30 août, ont lieu en France des manœuvres dilatoires en vue d’une reprise de négociations. Spaak décide alors de préparer une nouvelle formule de compromis pour Mendès France. Spaak croit, à tort, que les Britanniques sont prêts à soutenir toute nouvelle tentative pro-CED. Il prépare un nouveau plan, qui vise à donner des garanties supplémentaires à tous les États signataires du traité. Le baron Guillaume remet la dernière proposition belge à Mendès France. Cette ultime tentative n’apporte rien de nouveau et Spaak, déçu de l’accueil négatif réservé à cette ultime proposition, commence à réfléchir aux alternatives envisageables en cas de vote négatif [28]. Le 30 août, l’Assemblée nationale française refuse de se prononcer sur le traité en rejetant la question préalable : la CED est « morte », sans débats.
1.3. LA CONFÉRENCE DE LONDRES ET LES ACCORDS DE PARIS
1.3.1. Réactions belges au vote du 30 août
40Le rejet de la CED par la France provoque un sérieux contrecoup chez ses partenaires européens, notamment en Belgique, et affecte également les rapports avec les États-Unis. La majorité de l’opinion belge, favorable au traité, reproche à Mendès France son attitude négative lors de la conférence de Bruxelles et son refus de défendre le traité avant le vote. L’opinion belge critique aussi Beyen, dont l’attitude trop « rigide » à la conférence aurait eu des répercussions préjudiciables au vote du Palais Bourbon. Enfin, la crainte de voir la RFA devenir l’alliée privilégiée des États-Unis se répand dans l’opinion belge. C’est assurément une mauvaise opération pour le Premier ministre Van Acker, qui, malgré ses réticences sur le texte, avait accordé sa confiance à Spaak. Mais c’est sans doute pour ce dernier que l’échec est le plus patent. Au sein du PSB, certains lui reprochent même d’avoir fait preuve d’intransigeance envers les propositions françaises [29].
41En apprenant le résultat du vote au Palais Bourbon, Spaak est furieux à l’encontre de Mendès France, responsable, selon lui, du résultat négatif du vote. Mendès France, pour sa part, craint l’isolement de son pays. En Europe, les partisans du courant fédéraliste perdent leurs illusions et on assiste au retour des thèses dites « fonctionnalistes », plus pragmatiques. Le refus français risque en outre de déclencher une crise avec les Américains. En effet, la qualité des relations franco-américaines se détériore dès le 31 août : Foster Dulles réagit durement et met en avant l’idée d’une entrée rapide de la RFA dans l’OTAN.
42Dans ce contexte, une intense activité diplomatique se déploie pour résoudre la question de la participation de l’Allemagne à la défense occidentale. Le 1er septembre, Spaak rencontre le français Jean Monnet [30], l’inspirateur du projet de la CECA et ardent promoteur d’une Europe supranationale intégrée. L’influence des idées de Monnet, conjuguée à l’échec de la CED, amène Spaak à envisager progressivement l’idée européenne indépendamment du réarmement allemand. Si les réalisations concrètes en vue d’une relance de l’idée européenne peuvent attendre, la question du réarmement allemand ne le peut pas. Spaak entrevoit deux possibilités pour intégrer des unités allemandes à la défense occidentale : la première serait l’entrée de la RFA dans l’OTAN ; la seconde serait une révision profonde du Traité de la CED, nettement plus conforme aux intérêts belges. Il faudrait choisir entre une alliance militaire et une communauté de défense. Spaak s’accroche malgré tout encore à son désir de CED. Il propose la tenue d’une nouvelle conférence des partenaires CECA (moins la France), de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada.
43Le gouvernement belge n’est pas le seul à chercher une solution de rechange. Le gouvernement britannique entend reprendre place dans le « grand jeu » européen dont il s’était en partie auto-exclu. Il peut désormais présenter une alternative à la CED pour encadrer le réarmement allemand.
1.3.2. Une initiative britannique… et française ?
44Le 1er septembre, Eden formule une nouvelle proposition. Il suggère d’utiliser le Traité de Bruxelles, signé en 1948 par la Grande-Bretagne, la France et les trois pays du Benelux pour encadrer le réarmement de la RFA. Dix jours plus tard, le Britannique se rend dans la capitale belge pour y rencontrer ses trois homologues du Benelux. Il leur expose la proposition suivante : la RFA, mais aussi l’Italie, deviendraient membres du Traité de Bruxelles qui serait réaménagé. Le réarmement de la RFA serait effectué par un Conseil qui encadrerait la reprise de l’activité militaire allemande. Spaak et Beyen sont intéressés : la proposition présente l’avantage d’associer concrètement la Grande-Bretagne à la défense de l’Europe continentale en échange de quoi la Belgique admettrait que la RFA « entre dans le jeu ouest-européen [31] ». Eden continue sa tournée diplomatique et rencontre Mendès France. Eden et Mendès France conviennent que la meilleure solution est de faire entrer la RFA simultanément dans l’OTAN et dans le Traité de Bruxelles [32].
45Certains diplomates belges pensent que les Français veulent inciter les Britanniques à faire davantage encore en faveur de la défense européenne. Mendès France soutient la proposition britannique. Le voyage de Eden sur le continent lui a permis de faire beaucoup progresser son projet. Les Britanniques préparent la tenue d’une réunion à Londres. Tous s’accordent finalement pour une prochaine réunion à Neuf (les Six de la CECA, la Grande Bretagne, les États-Unis et le Canada) dans la capitale britannique.
1.3.3. La conférence de Londres (28 septembre-3 octobre 1954)
46La conférence de Londres s’ouvre le 28 septembre. La proposition britannique de faire entrer l’Allemagne et l’Italie dans le Traité de Bruxelles est acceptée, ainsi que la création d’une agence de contrôle des armements pour le continent européen. En échange, la France obtient des garanties pour sa sécurité : la Grande-Bretagne s’engage à maintenir en permanence des troupes sur le continent. De son côté, le chancelier Adenauer renonce à la fabrication par son pays d’armes automatiques, chimiques et bactériologiques. Il accepte aussi d’autres clauses limitatives au réarmement allemand. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France décident de mettre fin dès que possible au régime d’occupation en RFA pour que celle-ci retrouve au plus vite sa souveraineté. À l’issue de la conférence, Spaak est optimiste : la situation catastrophique de début septembre est passée et les nouvelles dispositions permettent de contenir le réarmement allemand mais aussi de réaliser une meilleure défense de l’Europe occidentale [33].
1.4. LES ACCORDS DE PARIS
47La mise en forme et la signature des accords arrêtés lors de la réunion de Londres se fait à Paris et réunit les mêmes participants. La RFA entre dans l’OTAN et c’est dans ce cadre qu’elle effectue son réarmement [34]. La nature et la compétence du Traité de Bruxelles de 1948, élargi à la RFA et à l’Italie, sont précisées : il devient l’Union de l’Europe Occidentale (UEO).
48En marge des accords de Paris, Mendès France et le chancelier Adenauer ont conclu plusieurs accords dont le plus important concerne le statut de la Sarre [35], qui, depuis la fin de la guerre, constitue un obstacle essentiel à tout rapprochement franco-allemand. La Belgique s’intéresse de près à ce dossier car les intérêts économiques belges sont très importants dans cette région : canalisation de la Moselle, choix de la ville qui accueillera les institutions de la CECA, etc. [36] Les diplomates français croient déceler au sein de la classe politique et des milieux d’affaires et industriels belges une certaine appréhension de voir la Sarre revenir un jour à la RFA. De façon plus générale, c’est la peur d’un axe franco-allemand qui pourrait s’épanouir aux dépens des petites puissances, qui refait surface chez les Belges. Le gouvernement belge aurait souhaité que tous les pays intéressés soient concernés et pas seulement le couple franco-allemand, et que la négociation se fasse dans le cadre de la CECA [37]. Spaak, opposé au bilatéralisme systématique entre grands pays, craint en effet que le bilatéralisme franco-allemand s’avère néfaste pour les petits États européens. En conséquence, pour Victor Larock, les Belges doivent être extrêmement attentifs à l’évolution des accords de Paris, surtout en ce qui concerne leurs conséquences économiques [38].
49Cependant, pour la Belgique, les accords de Paris ont l’avantage de régler de manière claire le réarmement de la RFA [39] bien qu’ils représentent un pas en arrière par rapport au projet initial de la CED, l’Allemagne étant désormais dotée d’une armée autonome. Les Belges continuent à faire part de leurs regrets tenaces concernant l’échec de la CED [40]. Les Français croient déceler une certaine rancœur dans ce comportement à l’égard de la France, qui a constitué le principal obstacle à une grande avancée pour l’Europe [41]. Pour Spaak, les accords de Paris ont surtout permis de faire franchir une nouvelle étape à la politique atlantique. Cependant, Spaak rappelle : « Je ne puis m’empêcher de déplorer en tant qu’européen, le recul enregistré dans le domaine de l’intégration européenne depuis l’abandon de la CED [42] ». Les forts regrets du ministre sont tout à fait logiques mais Spaak semble aussi exploiter sa déception à des fins politiques. Pour lui, il est essentiel de rappeler à la classe politique et à l’opinion belges tous les efforts auxquels il a consenti lors de sa tentative de médiation en faveur de la CED. Il soigne ainsi son image politique avant de se consacrer à la poursuite de son entreprise : l’unité politique et économique de l’Europe sur une base supranationale ainsi que l’intégration de l’Allemagne au sein d’un ensemble européen.
50En effet, d’après lui, c’est dans le cadre d’une organisation supranationale que la Belgique pourra le mieux assurer la défense de ses intérêts économiques et politiques. Les positions belges dans la relance de la construction européenne sont à interpréter dans cette perspective.
2. BELGES ET FRANÇAIS DANS LA RELANCE EUROPÉENNE (MARS 1955-MAI 1958)
51L’intégration militaire de la RFA dans le bloc occidental effectuée, Spaak et ses collaborateurs entendent désormais poursuivre et approfondir l’unification européenne. Au printemps 1955, plusieurs facteurs permettent d’envisager une relance du processus d’unification européenne qui aboutira en 1957 à la signature des traités instituant le Marché commun et l’Euratom.
2.1. L’ÉLABORATION DU MÉMORANDUM DE SPAAK ET DE BEYEN ( OCTOBRE 1954 - MAI 1955)
2.1.1. Spaak et la relance de l’Europe
Le temps de la réflexion (octobre 1954-mai 1955)
52Un consensus s’établit dans les pays de la CECA pour tenter une relance européenne sur le terrain économique, où les succès paraissent plus accessibles et moins sensibles que sur le terrain militaire [43]. En outre, le vote négatif du 30 août empêche la réalisation d’une Communauté politique européenne (CPE), projet qui avait pourtant été adopté par l’assemblée parlementaire de la CECA. Spaak, pour sa part, préconise d’en revenir à une méthode d’intégration fonctionnelle, qui privilégierait la dimension économique. Chez Spaak, cette évolution résulte des échanges qu’il a régulièrement avec Jean Monnet, dont le gouvernement français, après l’échec de la CED, refuse d’adopter les idées. Monnet se tourne alors vers Spaak qui lui apparaît bien placé pour susciter une relance du processus européen. Spaak est plutôt favorable aux thèses de Monnet et notamment au principe de supranationalité qui assure, selon lui, une meilleure défense des intérêts belges : les petits pays renonceraient à une part moindre de leur souveraineté nationale que les grands. De plus, Spaak sait que la majorité des Belges est favorable à une relance de l’Europe et que celle-ci est conforme aux intérêts des industriels, qui influencent la conduite de la politique étrangère.
53Jean Monnet préconise, pour la relance européenne, de recourir à une approche sectorielle de l’intégration (c’est-à-dire dans des domaines limités mais décisifs : énergie, transports, etc.). Dans la perspective de résoudre la question de l’approvisionnement énergétique de l’Europe, Monnet souhaite le développement d’un programme nucléaire à usage civil.
54Belges et Néerlandais étudient dès septembre 1954 les possibilités d’élargissement de la CECA à d’autres domaines que ceux du charbon et de l’acier.
55Pour mener à bien leur objectif, Monnet et Spaak doivent tenir compte de deux contraintes majeures :
- attendre la ratification des accords de Paris par la France car toute nouvelle initiative risquerait d’influencer le vote de façon négative ;
- attendre que soit réglée la succession de Jean Monnet à la tête de la Haute autorité de la CECA. Le 9 novembre, Monnet, dont le mandat arrivera à échéance en février 1955, annonce qu’il ne se représentera pas car il veut retrouver une pleine liberté d’action pour promouvoir la relance européenne.
56Début 1955, l’idée d’un marché commun se propage progressivement, notamment en Belgique. Mais la chute du cabinet Mendès France en février reporte la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la CECA qui devaient désigner le nouveau président de la Haute autorité.
Premières démarches de Spaak
57Avant de passer à l’action, Spaak cherche à obtenir la vision la plus complète possible de la situation internationale. Aussi, il multiplie les contacts et les déplacements : il s’entretient régulièrement avec le chancelier Konrad Adenauer, qui cherche à ancrer son pays à l’Occident, et avec ses homologues Johan Willem Beyen et Joseph Bech, avec lesquels il envisage les possibilités de relance. Spaak se rend également au Canada pour discuter avec le Premier ministre Lester Pearson de la consultation politique entre les partenaires de l’Alliance atlantique et de l’avenir de l’Europe. Spaak profite d’ailleurs de ce voyage pour « soigner son image politique » et faire entendre d’autres positions que celles de la France, y compris au Québec, ce qui est très mal perçu par la diplomatie française.
58À la mi-mars 1955, Spaak réunit lors d’une conférence une dizaine de diplomates belges dont les ambassadeurs auprès de l’OTAN, de l’ONU et des principales capitales. Cette réunion lui permet de faire un tour complet de la situation internationale : rapports Est-Ouest, relations avec l’OTAN et l’ONU, etc. [44] Spaak peut ensuite se livrer à une analyse plus détaillée. Le ministre est particulièrement préoccupé par les rapports Est-Ouest. Il doute de la possibilité d’arriver à un accord avec les soviétiques sur la question de la réunification allemande. Fidèle à sa politique de consultation et de multilatéralisme, il condamne les actions bilatérales des Occidentaux avec les soviétiques, qu’il juge même dangereuses, tant ces derniers savent exploiter les divergences occidentales. Finalement, l’impossibilité de s’accorder avec les soviétiques, constitue une raison supplémentaire en faveur du processus de relance de l’unification européenne.
59Au plan européen, Spaak entretient de bonnes relations avec ses partenaires, notamment avec Konrad Adenauer, européen convaincu. Mais le chancelier est âgé et attendre encore ferait courir le risque de passer à côté d’une belle opportunité. Enfin, une relance du processus européen aurait en outre l’avantage pour Spaak d’endiguer les tendances « internationalistes » favorables à une politique de neutralité pour la Belgique. Spaak pourrait ainsi renforcer sa position au PSB.
Qui prendrait l’initiative de la relance ?
60Il faut un leader pour la relance. Londres a franchi un pas important en direction de l’Europe lors de la conférence de Londres à l’automne 1954, et ne s’engagera pas davantage vis-à-vis de l’Europe. Spaak en a conscience. Après l’échec de la CED, la France ne peut plus se permettre de reprendre l’initiative. Elle s’est déconsidérée aux yeux de Spaak et n’est plus en mesure de jouer un rôle de leader, c’est inquiétant car l’Europe a besoin de la France pour se reconstruire de façon solide [45]. La RFA, quelques années après la fin de la guerre, ne peut pas non plus prendre l’initiative. Les trois pays du Benelux, forts de l’expérience acquise dans cette organisation et des avantages économiques qu’ils en ont retirés, semblent les mieux placés pour amorcer la relance. Leurs relations sont très étroites et assez bonnes dans l’ensemble, malgré des rivalités héritées du passé [46].
2.1.2. Spaak et Beyen passent à l’action
61Au printemps 1955, Belges et Néerlandais réfléchissent aux possibilités en faveur de la relance de l’Europe. Deux options se précisent : celle de Beyen en faveur d’une union économique globale et celle de Monnet, reprise par Spaak, qui propose une approche sectorielle.
62Le 27 mars, le Conseil de la République française ratifie les accords de Paris. Spaak qui appréhendait le résultat du vote peut désormais aller de l’avant. Le 2 avril, les collaborateurs de Spaak (Robert Rothschild, le Baron Snoy et d’Oppuers, secrétaire général du Ministère des Affaires économiques, se rendent à La Haye pour discuter avec les Néerlandais et étudier les deux options pour la relance. Deux jours plus tard, Beyen fait remettre à Spaak son mémorandum. Le Néerlandais plaide pour une union douanière devant déboucher à terme sur une union économique et rejette l’idée d’une intégration sectorielle. Spaak éprouve certaines réticences au sujet du Marché commun : il craint que le gouvernement français, d’emblée, n’en rejette l’idée. Prudent, Spaak décide d’écrire au chancelier Adenauer auquel il propose de relancer l’Europe, en étendant les compétences de la CECA aux transports et à l’énergie. Une copie de la lettre est envoyée à Antoine Pinay, nouveau ministre français des Affaires étrangères depuis février 1955.
63Le 22 avril, Jean Monnet vient rencontrer Spaak à Bruxelles. Il apporte un projet de mémorandum qui fixe comme objectif aux Six l’établissement des États-Unis d’Europe fondés sur le développement d’institutions communes. Monnet sait que le Belge doit rencontrer le lendemain Beyen et il veut éviter l’adhésion de Spaak aux seules thèses du Néerlandais.
Nécessaire compromis belgo-néerlandais
64Le lendemain de la rencontre entre Monnet et Spaak, les ministres belges et néerlandais se mettent d’accord pour prendre en compte les deux approches. Ils élaborent un compromis entre la proposition Beyen et la proposition Monnet, défendue par Spaak. Grâce à celui-ci, ils veulent présenter un mémorandum commun à leurs partenaires CECA. Cette synthèse ne choisit pas entre les deux approches, elle va servir de base aux négociations ultérieures [47]. Les trois petits pays entendent ainsi se prémunir d’une éventuelle action bilatérale franco-allemande. Les Belges étudient les propositions relatives aux transports [48] et se penchent aussi sur les possibilités d’application industrielle de l’énergie atomique sous le contrôle d’une autorité européenne spéciale. Les Néerlandais envisagent les modalités pour la constitution d’une union douanière européenne. Dès le 5 mai, le mémorandum est prêt et Spaak l’envoie à Monnet accompagné de ces quelques mots : « Ci-joint votre enfant [49]. »
Stratégie de la relance
65Après la lecture du mémorandum, Monnet affirme le 9 mai à l’assemblée de la CECA que les deux méthodes de relance européenne peuvent être poursuivies parallèlement. Le 14 mai 1955, l’assemblée de la CECA vote une résolution appelant les Six ministres des Affaires étrangères à organiser une conférence inter-gouvernementale. La conférence aura pour mission de rédiger, avec l’aide des institutions de la CECA, les traités nécessaires permettant de poursuivre l’intégration européenne. Le mémorandum de Spaak et de Beyen est envoyé aux gouvernements des Six, qui vont l’étudier avant la conférence des ministres des Affaires étrangères, prévue le 1er juin.
66Les réponses à la proposition d’intégration économique du gouvernement allemand et du gouvernement italien sont positives mais peu enthousiastes. Enfin, la RFA comme l’Italie élabore aussi un mémorandum [50]. Ces réponses positives convergent avec les intérêts belges. La France s’intéresse davantage à l’énergie atomique, aux transports et à l’aéronautique. Elle redoute la perspective d’un Marché commun en raison du caractère de son économie qu’elle juge moins compétitive. La grande incertitude demeure à propos de la position qu’adoptera la France à la conférence. Les diplomates français sont conscients que les regards sont tournés vers eux. Les Six s’entendent finalement sur le choix de Messine, comme lieu de réunion pour leur prochaine conférence.
2.2. DE LA CONFÉRENCE DE MESSINE AUX NÉGOCIATIONS DE VAL DUCHESSE ( JUIN 1955- SEPTEMBRE 1956)
2.2.1. La Conférence de Messine (1er -3 juin 1955)
67Un certain climat de tension règne peu avant la conférence : tous se demandent quelle sera la position des Français. Spaak et ses collaborateurs (Rothschild, Snoy et Albert Hupperts) partent pour la Sicile. André De Staercke, les rejoindra. Le matin du 1er juin, Belges, Néerlandais et Luxembourgeois s’attendent à une négociation difficile. Aussi, ils se concertent tous trois afin d’adopter des positions cohérentes lors de la conférence générale. Tous souhaitent, au minimum, la création d’un comité chargé d’examiner les différents plans et de définir les problèmes devant être étudiés par des groupes d’experts. Ils ne veulent pas susciter trop d’attentes de la part de leurs opinions publiques respectives. Ils peuvent ainsi travailler dans de meilleures conditions avec une pression moindre. Les opinions publiques, récemment déçues par le rejet de la CED, leur pardonneraient difficilement un nouvel échec. De son côté, Spaak sait pertinemment que ses adversaires politiques, y compris au PSB, sont à l’affût du moindre faux pas de sa part.
68Les participants abordent en premier lieu la question de la présidence de la CECA. Les diplomates français se félicitent de la médiation de Spaak, qui permet à René Mayer de succéder à Jean Monnet. Les ministres s’expriment ensuite tour à tour sur le thème de la relance européenne, sur la base du mémorandum de Spaak et de Beyen. Spaak, au cours de son intervention, s’abstient de prendre parti pour un système d’intégration ou un autre. Il rappelle que la Belgique n’a pas de conditions préalables à poser sauf en ce qui concerne la coopération européenne en matière d’énergie atomique (la marge de manœuvre de la Belgique étant limitée par les accords qu’elle a passés en 1944 avec les États-Unis et la Grande-Bretagne sur la fourniture de minerais d’uranium). Spaak réclame par ailleurs la tenue d’une nouvelle conférence entre les Six, une fois que les experts des différents pays auront reçu des directives claires de la part de leurs gouvernements. Enfin, Spaak veut associer la Grande-Bretagne aux discussions, celles- ci pourraient éventuellement se faire dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), dont est membre la Grande-Bretagne.
69Finalement, tous conviennent de la nécessité d’une étude préliminaire avant toute nouvelle réunion. Les Belges vont prendre une part active à cette étude : Le baron Snoy et d’Oppuers, secrétaire général du Ministère des Affaires économiques, se voit confier la direction des travaux. La France et la RFA demandent l’examen de toute une série de questions préalables. Spaak s’y oppose car il juge cette méthode trop longue et il veut progresser rapidement. Français et Allemands refusent de céder. Le soir du 2 juin, les débats semblent bloqués. Mais les négociations reprennent le lendemain et deux tendances émergent :
- l’une favorable à une approche sectorielle graduelle, représentée par la France ;
- une autre en faveur d’une intégration horizontale globale prônée par la RFA et les Pays-Bas.
70Spaak tente d’amener ses collègues à composer avec ces deux tendances avant la résolution finale. De celle-ci, nous pouvons retenir :
- sur le plan sectoriel, on peut envisager le développement en commun de grandes voies de communications, le développement de l’énergie atomique à des fins pacifiques et la mise à disposition des Européens d’une énergie plus abondante et à meilleur marché. Toutes ces dispositions impliquent, bien entendu, la création d’une organisation commune et la mise en œuvre de moyens spécifiques ;
- sur le plan horizontal : l’institution d’un marché commun est l’objectif à réaliser par étapes au moyen de la réduction progressive des limitations quantitatives des produits et de l’unification des régimes douaniers.
71Toutefois, avant d’envisager cette action de grande envergure, de nombreuses questions doivent être étudiées et résolues. Les Belges accordent une place importante à la création d’un comité de délégués gouvernementaux, assistés d’experts, placés sous la direction d’une personnalité politique. Ce comité assumera la préparation des prochaines conférences durant lesquelles seront élaborés les arrangements conclus à Messine. Le rapport de ce nouveau comité doit être prêt au plus tard pour le 1er octobre 1955. La Grande-Bretagne sera invitée à participer aux travaux.
72Le résultat global de la conférence est plutôt positif car la conférence ne laissait pas présager de telles avancées. Cependant, les résolutions de ce sommet ne sont que de simples déclarations d’intentions à replacer dans le cadre de l’approche fonctionnaliste qui prévaut à ce moment. Le résultat de la conférence laisse entrevoir au ministre belge la possibilité de parvenir à ses fins. En effet, le choix de la personnalité politique chargée de coordonner les différents travaux n’a pas été arrêté lors de la conférence. Plusieurs noms sont avancés : Monnet, Spaak, Van Zeeland, etc. Spaak est soutenu par les Néerlandais, les Luxembourgeois mais aussi par les Français.
Le comité Spaak
73Le 15 juin 1955, Paul-Henri Spaak se voit proposer la fonction de chef des délégués. Il l’accepte le 18 juin et, pour des raisons d’efficacité, impose Bruxelles comme siège des travaux du comité. Les Français sont déçus. Ils espéraient, Pinay notamment, que Paris serait choisie.
74À partir du 9 juillet, encadrés par Spaak et par le baron Snoy et d’Oppuers, les délégués effectuent un travail énorme en un temps record. Les Britanniques participent aux débats, aux côtés des six chefs de délégation. Les travaux se poursuivent et, début novembre, les études techniques sont pratiquement achevées. Au plan sectoriel, l’énergie atomique fait l’objet de travaux de plus en plus détaillés. Spaak, pour sa part, redoute surtout les difficultés provenant du Marché commun : en effet, la France, dont l’économie est restée plus traditionnelle, craint la concurrence étrangère et les réactions de son opinion publique. Les Britanniques voudraient substituer une vaste zone de libre échange à cette union douanière, qui risque de perturber leur économie. Enfin, la RFA hésite. Prudemment, Spaak décide de freiner les travaux, qui ne reprendront réellement qu’en février 1956.
75Les travaux des Six doivent être synthétisés. Spaak, en tant que chef du comité, décide de confier la rédaction du rapport général à un groupe restreint d’experts [51]. Il veut dépasser les vives critiques concernant le Marché commun, exprimées surtout par les Britanniques, depuis octobre 1955. Courant novembre, le délégué britannique est rappelé à Londres et les Anglais se retirent de la négociation. Spaak s’appuie dès lors sur le soutien américain aux travaux de Bruxelles. Cependant, le désir de ne pas se couper de la Grande-Bretagne refait surface chez lui et surtout chez le baron Snoy, très anglophile. Convaincu du rôle indispensable de la Grande-Bretagne en Europe, Spaak rencontre le Premier ministre Eden en février 1956 et les deux hommes précisent leurs positions respectives. Ce temps est utilisé pour achever la rédaction du rapport.
76La synthèse des travaux des Six est rendue publique le 23 avril. Le texte comporte deux sections, la première concerne le Marché commun, puissante unité de production devant permettre des relations harmonieuses entre les États. La seconde section porte sur la Communauté européenne de l’énergie atomique, appelée aussi Euratom et doit permettre la formation et le développement rapide d’une industrie nucléaire européenne. C’est ce texte qui sera discuté à la conférence de Venise, prévue pour la fin mai 1956.
2.2.2. Les négociations de Val Duchesse
La conférence de Venise (29-30 mai 1956) et la naissance du second comité Spaak
77Le rapport des experts, supervisé par Spaak oblige les différents gouvernements à préciser leurs positions respectives à l’égard du Marché commun et de l’Euratom. Le gouvernement fédéral allemand accepte le rapport comme base de négociation mais tient à établir un lien entre Euratom et le Marché commun car Bonn n’est pas favorable au projet Euratom, tandis que la France est réservée sur le projet du Marché commun. Les Belges, comme les autres, spéculent sur l’attitude de la France à la réunion, même si le socialiste Guy Mollet, nouveau président du Conseil depuis les législatives de janvier 1956, comme Christian Pineau, son ministre des Affaires étrangères, sont convaincus de la nécessité de l’Europe pour la France.
78Lors de la conférence de Venise les 29 et 30 mai 1956, Christian Pineau déclare que la France est prête à prendre part aux négociations sur le futur traité. Cependant, il exprime certaines réserves, il demande notamment l’association des territoires d’Outre-Mer dans le futur traité. À ce moment, la France est préoccupée par les difficultés qui apparaissent en Afrique du Nord. Cette importante question n’a pas été traitée dans le rapport pour ne pas retarder le processus général.
79À la conférence de Venise, on décide de laisser la porte ouverte à la Grande-Bretagne. De plus on confie à Spaak la responsabilité de la coordination finale des travaux du comité. On parlera alors du « second comité Spaak ». Ces travaux doivent déboucher sur l’élaboration de deux traités distincts. Malgré les doutes, les difficultés récurrentes, aucun gouvernement ne veut prendre le risque et porter la responsabilité d’un retour en arrière comme l’analysent Spaak et les diplomates français. Spaak voit dans la conférence de Venise la volonté d’un nouvel engagement de la part des dirigeants politiques européens.
Les négociations de Val Duchesse et le second comité Spaak
80Les futurs traités vont être élaborés à Val Duchesse, dans la périphérie bruxelloise. Le comité de Val Duchesse est le second comité intergouvernemental, après le premier comité Spaak, issu de la conférence de Messine. D’ailleurs la structure de ce second comité est calquée sur celle du premier comité Spaak. Les experts sont déjà rodés à ce type de négociation. Les hommes se connaissent car ils collaborent ensemble depuis l’été 1955 et certains depuis beaucoup plus longtemps dans le cadre du Benelux. De nouveau, les experts vont accomplir un énorme travail en un temps très court. Le comité des chefs de délégation, sous la présidence de Spaak, oriente les travaux des deux autres comités qui vont élaborer deux traités distincts : l’un sur le Marché commun, l’autre sur une Communauté européenne de l’énergie atomique. Spaak joue un rôle d’arbitrage politique au sein des deux comités. Les travaux débutent à partir de septembre 1956. De difficiles tractations ont lieu entre les délégués, pratiquement reclus à Val Duchesse. Les diplomates français apprécient le rôle de Spaak et de Snoy qui, d’après eux, jouent pleinement leur rôle. Ces derniers facilitent les compromis et rapprochent les différentes positions [52]. C’est à ce moment qu’un esprit collectif européen se développe, tandis que dans certains milieux belges, on rêve déjà de voir un jour Bruxelles devenir le siège des institutions européennes.
81Tous les dirigeants politiques européens sont résolus à parvenir à un accord dans les meilleurs délais, notamment en France, où le front républicain, vainqueur des élections législatives du 2 janvier 1956 dispose d’une majorité suffisante pour appuyer la relance. Ce succès électoral est d’ailleurs renforcé par un relatif échec des gaullistes, alors divisés et du reste hostiles à l’idée d’intégration européenne. Guy Mollet, Christian Pineau et Maurice Faure, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, sont décidés à donner une solide impulsion à la relance. De plus, celle-ci bénéficie « de l’appui discret des États-Unis, fidèles à leur politique constante de soutien à l’intégration européenne continentale [53] ». Le président Eisenhower et son secrétaire d’État John Foster Dulles sont persuadés qu’une Allemagne intégrée à une Europe forte constituerait un front solide, face au bloc soviétique. Les intérêts belges semblent converger avec les intérêts américains en ce qui concerne la RFA.
82Mais de nouvelles tensions internationales surviennent à l’automne 1956 en Égypte et en Hongrie. Elles amènent les gouvernements des Six à mesurer la nécessité de renforcer leur solidarité et de faire aboutir rapidement les négociations entamées. En effet, les deux crises révèlent la vulnérabilité des puissances européennes (France et Grande-Bretagne) dans le monde et la fragilité de l’Alliance avec les États-Unis. La crise de Suez montre la précarité de l’approvisionnement énergétique européen. Les milieux d’affaires belges sont désormais plus favorables à l’idée d’une Communauté européenne de l’énergie atomique. Enfin, l’intervention soviétique à Budapest le 4 novembre 1956 renforce l’inquiétude des Occidentaux face à la menace soviétique et augmente leur volonté politique de faire aboutir au plus tôt la relance du processus européen [54].
2.3. LE CHEMIN VERS LES TRAITÉS DU MARCHÉ COMMUN ET DE L’EURATOM
2.3.1. Surmonter les derniers obstacles
Menaces britanniques
83Dès la fin 1955, les Britanniques sont passés de l’indifférence à l’hostilité envers les négociations de Val Duchesse, car ils récusent le paiement de droits de douane pour leurs produits à destination du Marché commun. En janvier 1957, à l’OECE [55], le groupe de travail dirigé par les Britanniques chargé d’étudier les possibilités d’association entre le projet de l’Union douanière des Six et d’autres pays de l’OECE remet son rapport. Ce dernier conclut à la possibilité technique de créer une vaste zone de libre-échange. Dès lors, pourquoi établir un Marché commun entre les Six alors que l’on peut créer une vaste zone de libre-échange ? Les Britanniques détiennent là un argument de poids contre le Marché commun [56]. Ils représentent alors l’obstacle majeur au développement du Marché commun. La position belge a progressivement évolué : Bruxelles craint désormais la dilution de l’esprit européen si les Anglais rentraient dans l’entreprise des Six. Devant la montée des oppositions en Grande-Bretagne, mais aussi au sein des pays négociateurs, les experts, sous l’impulsion de Spaak, doivent aller de plus en plus vite et se livrent à une véritable course contre la montre.
84Le baron Jean-Charles Snoy et d’Oppuers, suppléant de Spaak aux négociations de Val Duchesse, joue un rôle important dans la négociation des traités [57]. Il est également président d’un groupe de travail de l’OCDE et favorable au libéralisme économique. Anglophile, il entretient de nombreux contacts en Grande-Bretagne. Spaak craint à un moment que ce haut fonctionnaire ne soit tenté de privilégier un rapprochement du Marché commun et de l’OECE. Cependant, les fonctions exercées par Snoy à l’OECE permettent à Spaak d’être tenu au courant de la situation au sein des deux structures. Snoy, grand commis de l’État, en dépit de ses attirances pour le système proposé par les Britanniques au sein de l’OECE, agit loyalement et Spaak peut compter sur sa transparence. Les menaces britanniques sont un exemple des nombreuses difficultés auxquelles se confronte l’équipe Spaak durant cette période. Elles révèlent par ailleurs que la perspective de s’éloigner de la Grande-Bretagne suscite toujours et encore de fortes appréhensions dans certains milieux d’affaires belges, notamment en Flandre.
La Belgique et le Marché commun
85Le gouvernement et les diplomates belges s’inquiètent des divergences franco-allemandes au sujet du Marché commun tandis que les négociateurs français critiquent les dispositions en matière coloniale, agricole et sociale du Marché commun. La réunion des Six à Paris, les 20 et 21 octobre 1956, révèle la profondeur des divergences d’opinion. Ludwig Erhardt, ministre allemand de l’Économie, menace d’interrompre les négociations de Val Duchesse en réaction à l’attitude des Français qui freinent l’avancée des négociations concernant le Marché commun. Cette situation risquerait de compromettre le projet de relance européenne, qui constitue l’un des buts essentiels de la politique de Spaak dans le gouvernement Van Acker. Il est urgent pour les Belges de dénouer la crise franco-allemande. Comme par le passé, la Belgique redoute toute opposition majeure entre la France et l’Allemagne, comme elle appréhende inversement des relations franco-allemandes trop étroites, risquant de la marginaliser.
86Les diplomates français de la rue Ducale [58] sont irrités du fait que les Belges ne partagent pas la position française d’associer les territoires d’Outre-mer au Marché commun [59]. Guy Mollet défend le concept d’Eurafrique et voudrait que le marché commun fournisse des débouchés aux produits coloniaux et permette d’investir dans le développement africain. Seule la Belgique, avec le Congo, serait concernée par les projets français. La RFA, comme l’Italie et les Pays-Bas ne veulent ni financer la mise en valeur des territoires français d’Afrique, ni affronter les difficultés dues à l’évolution probable vers la décolonisation. Les Belges rejettent le concept d’Eurafrique et redoutent l’ingérence de la France, et dans une moindre mesure de la RFA, dans leur riche colonie. Les diplomates français connaissent les fortes réticences des sociétés belges en situation de monopole au Congo, qui craignent des investissements étrangers trop massifs, notamment de la part de la RFA. Ces sociétés demandent au gouvernement belge de tenir le Congo en dehors du processus d’intégration européenne [60].
La question de l’uranium congolais et ses répercussions sur la politique belge dans le cadre d’Euratom
87La question de l’uranium congolais est étroitement liée à la politique européenne et atlantique de la Belgique, dans le contexte plus général des relations Est-Ouest.
88Spaak se heurte aux difficultés de créer une communauté européenne de l’énergie nucléaire. En fait, seule la France s’intéresse au développement d’un programme nucléaire à des fins militaires. Les Belges sont réticents face au projet Euratom, susceptible d’évoluer vers des applications militaires [61]. De plus, la Belgique occupe une position particulière en raison des importants gisements d’uranium dont elle dispose au Congo. Mais l’uranium congolais est vendu quasi exclusivement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, par une société belge privée : l’Union minière du Haut Katanga, qui traite pour le compte du gouvernement belge en vertu d’accords signés en 1944 [62].
89Dans le contexte de la relance européenne, Spaak, sachant que la France s’intéresse à l’uranium congolais, dont elle a besoin pour développer son programme nucléaire, s’est prononcé dès 1955 en faveur d’une mise à disposition d’une partie de l’uranium belge, dans le cadre d’un programme énergétique nucléaire européen à usage civil [63]. Mais la Belgique ne peut utiliser cet uranium comme bon lui semble, étant toujours liée par les accords de 1944, renouvelés en 1955.
90En février 1957, Spaak se rend à Washington pour s’entretenir avec les dirigeants Américains à propos des accords relatifs à l’Uranium du Congo. Il tente d’obtenir la possibilité pour la Belgique de participer au projet Euratom et d’utiliser une partie de son uranium [64]. Les Américains se disent prêts à reconsidérer l’accord signé en 1955, à condition qu’il crée une liaison étroite avec le projet Euratom. Dulles souhaite toutefois que le projet européen reste encadré dans certaines limites. En mars 1957, Dulles autorise Spaak à participer au projet Euratom. La Belgique peut désormais disposer d’une partie de l’uranium congolais et a la possibilité d’en vendre aux pays signataires de l’Euratom.
91Dans cette affaire, la France comprend mal l’attitude du gouvernement belge, comme en attestent les réactions à l’Ambassade française. Les Français émettent de sérieux doutes quant à la volonté du gouvernement belge de collaborer avec eux : « On verra s’il est possible de faire fond sur une collaboration franche et active de la part de la Belgique pour la réalisation de notre programme concernant le nucléaire [65]. » En fait, à cette période, les Français ignorent que l’information du gouvernement belge sur ce sujet est très insuffisante et très mauvaise. Dans cette affaire, les sociétés belges, en négociant directement avec les Anglo-Américains, ont réduit le gouvernement au rôle de sous-traitant. Les Français savent aussi qu’il y a un autre « pouvoir [66] » : celui de la compagnie de l’Union minière du Haut Katanga. Dans ce contexte, les Français croient que la Belgique joue un double-jeu. Paris ne peut pas croire que le gouvernement belge soit aussi peu informé qu’il le dit [67] : « Il ne faut pas croire entièrement Spaak lorsqu’il dit qu’il ignore le prix de vente des minerais du Congo… [68] »
2.3.2. Les Traités de Rome
92D’autres difficultés se présentent à Spaak et à la diplomatie belge avant la signature des traités. Au cours de la négociation et de l’élaboration des traités, Spaak n’a pas suffisamment tenu informés le Roi, le Premier ministre et les membres du gouvernement. Le Roi refuse de donner les pleins pouvoirs à Spaak pour la signature des futurs traités. Baudouin s’inquiète des répercussions des traités pour l’avenir politique et économique de la Belgique. Le baron Snoy, apprécié de la famille royale, rencontre le souverain qui lui pose de nombreuses questions sur les risques d’atteinte à la souveraineté nationale qui seraient contenus dans les traités. Finalement, Snoy parvient à persuader le roi de la convergence des traités avec l’intérêt national. Pour sa part, le Premier ministre, non spécialiste des questions de politique étrangère [69], est resté à l’écart des discussions sur l’élaboration des traités. Il s’oppose à leur signature, invoquant l’attitude des Français dans les relations économiques franco-belges. Van Acker dénonce en fait l’instauration par la France de droits de douanes élevés sur certains produits belges. Les diplomates français en poste à Bruxelles sont tout à fait conscients de la marge de manœuvre réduite de Spaak, qui, pour s’extraire de cette situation délicate, menace de démissionner, imité par Jean Rey, ministre des Affaires économiques. Un passage à l’acte aurait sûrement provoqué une grave crise politique en Belgique, mais aurait aussi amené des difficultés politiques chez ses partenaires, un mois avant la date prévue pour la signature des nouveaux traités. Devant la menace, Van Acker finit par se rallier à l’acceptation et à la signature des traités, tandis que, deux jours avant la signature des traités, les Français se rendent à Bruxelles pour renégocier les accords sur le contentieux commercial franco-belge.
93Les traités sont finalement signés à Rome, sur la colline du Capitole, le 25 mars 1957. Pour Spaak c’est une première étape essentielle qui s’achève pour l’Europe et pour son pays. Elle appelle à en franchir de nouvelles. À l’issue de cette première grande réalisation, Spaak entend désormais œuvrer au renforcement politique de l’Alliance atlantique.
94Les derniers pays à procéder à la ratification des traités sont les trois du Benelux. En Belgique, le 19 novembre, la Chambre, à la quasi-unanimité, approuve les traités et seuls quelques communistes votent contre. Dix jours plus tard, le Sénat imite la Chambre par un vote également très favorable. Ainsi, fin 1957, la ratification des traités est acquise dans chaque pays signataire.
95Les institutions commencent à fonctionner dès le 1er janvier 1958 et la mise en place de l’Union douanière s’effectue en plusieurs étapes à partir du 1er janvier 1959. Après une « âpre compétition franco-belge [70] », Paris étant également candidate pour accueillir les nouvelles communautés [71], c’est Bruxelles qui est choisie comme siège provisoire des nouvelles communautés de la CEE et de l’Euratom. Cette décision est une victoire pour Spaak et pour le gouvernement belge, pour lesquels il aurait été inconcevable que le siège des nouvelles communautés soit installé dans un grand pays. De nombreux facteurs plaident en faveur du choix de la capitale belge : entre autres sa position géographique centrale au cœur de la « petite Europe », le déroulement des travaux des comités a eu lieu à Bruxelles. De plus, l’extension de la CEE à la zone économique de libre-échange (ALE) conférerait à Bruxelles une position géographique encore plus centrale. Enfin, la ville dispose de nombreux bâtiments vacants susceptibles d’accueillir les futures communautés. Les avantages économiques de la CEE pour l’économie belge s’affirment très rapidement [72]. Le Marché commun renforce les orientations traditionnelles de l’économie belge, tournée vers ses voisins directs. Pour la première fois depuis la création de l’État belge, la défense des intérêts commerciaux du royaume, objectif primordial de la politique étrangère belge, se trouve désormais facilitée et simplifiée grâce à la zone de libre-échange des Six. L’harmonisation des politiques économiques par un système commercial assure la stabilité sociale du pays en lui garantissant des débouchés commerciaux sûrs. La construction européenne, en favorisant l’intégration économique, renforce également la collaboration politique entre partenaires européens. Elle est conforme aux intérêts belges.
96Ainsi, la relance européenne à laquelle la Belgique, Paul-Henri Spaak, en tête, a largement contribué, aboutit au printemps 1957 avec la signature des Traités de Rome. Bruxelles devient alors le siège provisoire des nouvelles communautés. Ces résultats sont le fruit d’un énorme travail de concertation mais aussi d’une capacité à saisir les opportunités et qui témoigne de la volonté d’aboutir à des résultats concrets. Mais le retour au pouvoir du général de Gaulle, le 1er juin 1958, suscite dans certains milieux politiques belges des appréhensions quant à l’avenir des nouvelles communautés européennes et aux orientations que prendra le général en matière de politique atlantique.
3. VERS UN RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE ATLANTIQUE BELGE (MARS 1955-MAI 1958)
97La politique atlantique et la politique de construction européenne constituent les deux piliers essentiels de l’action diplomatique belge dans la seconde moitié des années 1950. Cette période se caractérise par un contexte international dominé par la confrontation Est-Ouest, qui génère des crises ponctuelles majeures. La Belgique, par l’intermédiaire de Spaak, va jouer un rôle déterminant dans l’évolution de la politique atlantique.
3.1. LA POLITIQUE ATLANTIQUE DE LA BELGIQUE
3.1.1. Les relations de la Belgique avec ses partenaires de l’OTAN
98La Belgique est l’un des douze membres fondateurs de l’Alliance atlantique en avril 1949. Elle attache un grand prix à sa participation au sein de cette organisation. L’adhésion à l’OTAN permet surtout à la Belgique d’entretenir une relation directe avec les États-Unis, dans un cadre multilatéral intégré. Il faut rappeler que depuis le tournant des années 1947-1948, les États-Unis remplacent progressivement la Grande-Bretagne comme point de référence de la politique étrangère belge. Pour bien cerner l’importance que revêt la politique atlantique pour la Belgique, il ne faut pas la restreindre à une simple alliance militaire. Pour Spaak, l’alliance militaire n’est qu’une étape nécessaire et préalable à la réalisation d’une organisation politique au sein de l’Alliance atlantique [73]. Celle-ci devrait permettre une coordination aussi précise que possible des politiques étrangères respectives des États membres. Enfin, la coopération entre partenaires de l’Alliance, outre les questions militaires et politiques, devrait aussi s’étendre à d’autres domaines tels que la coopération économique [74].
99L’adoption de cette ligne atlantiste en politique étrangère répond à l’opinion de la majorité des Belges, tant socialistes, libéraux que sociaux-chrétiens. C’est pourquoi, une fois le processus de construction européenne lancé, Spaak s’intéresse de plus en plus aux questions internationales. Il réfléchit aux perspectives de la communauté atlantique. « L’Organisation atlantique est un élément de plus en plus essentiel de notre politique. Elle doit être le centre politique de l’Occident [75]. » La tribune de l’OTAN donne à Spaak, grand orateur et « Premier européen [76] », la possibilité de se faire entendre sur les grands problèmes internationaux. L’homme d’État belge peut ainsi exercer une influence sur la politique internationale que sa situation de représentant d’une petite puissance ne lui permettrait pas autrement [77].
100Dès le printemps 1956, Spaak évoque la nécessité d’« une sorte de relance du Pacte atlantique. L’idée est dans l’air, il faut en préparer la réalisation [78]. » Aussi, le ministre prépare le Sommet de l’OTAN des 4 et 5 mai 1956. Spaak souhaite que ses propositions sur l’élargissement de la consultation politique entre partenaires soient étudiées et qu’elles soient reprises dans le communiqué final. À l’issue du sommet, Spaak est chargé avec son homologue allemand Von Brentano, de rédiger le communiqué final. Ce choix constitue pour la France une preuve supplémentaire du rôle prépondérant joué par Spaak à l’OTAN [79].
101Il est primordial, pour le gouvernement belge de tisser des liens toujours plus étroits avec les États-Unis, membre principal de l’Alliance atlantique. Les relations entre les deux pays sont en effet nombreuses aux plans politique et économique, deux domaines qui interfèrent fortement entre eux. Les relations belgo-américaines se caractérisent également par un profond déséquilibre en raison de l’énorme différence entre les deux pays, le rapport de forces étant complètement disproportionné entre la superpuissance et la petite puissance. Ce déséquilibre explique en grande partie la marge de manœuvre réduite de la Belgique dans ses rapports bilatéraux avec l’allié étatsunien. À ce sujet, les diplomates français déplorent souvent l’attitude de la Belgique, qui n’oserait pas adopter des attitudes en opposition trop apparentes avec les États-Unis. Cependant, lorsque ses intérêts économiques sont en jeu, le gouvernement belge se trouve pris entre ses intérêts politiques qui le poussent à suivre Washington et ses intérêts économiques qui l’incitent à commercer avec le plus grand nombre de pays. On ressent là toute l’ambivalence de la relation belgo-américaine. D’ailleurs, en matière économique, sans doute plus que dans chaque autre domaine, la politique intérieure influence et conditionne constamment les décisions de Spaak et de Larock. Les intérêts des responsables politiques belges et américains convergent sur deux points essentiels : l’intégration européenne sur la base d’un marché commun et l’ancrage de la RFA à l’Europe de l’Ouest [80].
102Ainsi, dans l’ensemble, et malgré leur caractère profondément déséquilibré, les relations belgo-américaines sont plutôt bonnes et contrastent, aux yeux des diplomates français, avec les relations franco-américaines. Ceci contribue largement à expliquer l’avis négatif des diplomates français à Bruxelles quant aux bonnes relations belgo-américaines, notamment en matière économique. Les Français ont tendance à considérer que Spaak est trop proche des Américains, auquel il serait même, pour certains, inféodé. Ce reproche est aussi formulé par les soviétiques à l’égard du ministre belge [81]. Spaak, nettement anticommuniste, entretient de bons rapports avec le président Eisenhower qu’il connaît depuis la Seconde Guerre mondiale et avec Foster Dulles, qui veut redonner confiance aux Européens et resserrer les liens avec eux car favorable à une Europe forte face au bloc soviétique [82].
3.1.2. L’influence des enjeux économiques sur la politique atlantique de la Belgique
103Durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont intéressés très tôt aux produits belges de la métropole (textile, produits chimiques, etc.) et à ceux de la colonie (uranium, cobalt, caoutchouc, etc.). Par ses exportations, la Belgique occupe « la place enviable de troisième fournisseur européen [83] », grâce notamment aux richesses naturelles du Congo, loin derrière la Grande-Bretagne et la RFA, mais devant la France. D’après les diplomates français, cette place s’explique en grande partie par la solidité et la stabilité du franc belge. Elle est jalousée par la France. D’après Paris, la politique très pragmatique de soutien aux exportations nationales pratiquée par le gouvernement belge est aussi un facteur indéniable de cette réussite. L’avenir économique de la Belgique reste étroitement lié à l’évolution de la conjoncture économique mondiale. Dans une large mesure, les exportations congolaises sont constituées de produits bruts ou semi-finis particulièrement sensibles aux évolutions du marché. Les ambassades françaises de Bruxelles et de Washington ainsi que le consulat général de Léopoldville invitent implicitement le gouvernement français à s’inspirer des orientations économiques et commerciales adoptées par la Belgique dans sa colonie [84]. Depuis 1955, les Belges voient avec une certaine angoisse des investisseurs renoncer à leurs projets au Congo en raison de son instabilité politique due à l’émergence du nationalisme et de la volonté d’indépendance en Afrique. Les Français, alors concernés par les événements d’Algérie, se demandent en effet : « Combien de temps encore la Belgique pourra-t-elle maintenir son absolu contrôle sur cette colonie, source principale de ses richesses ? [85] »
3.2. LA BELGIQUE DANS LES RELATIONS EST-OUEST
3.2.1. Quelle attitude adopter face à Moscou ?
104Après la Seconde Guerre mondiale , le gouvernement belge a tenté de maintenir de bons contacts avec l’Union soviétique jusqu’en 1947, date du revirement diplomatique belge en faveur des États-Unis et de l’éviction des communistes du gouvernement. À partir de ce moment, il s’est résolu à entrer dans la guerre froide à la suite des États-Unis et à adopter des positions plus dures envers l’URSS, comme l’illustre le « discours de la peur » prononcé par Spaak à la tribune de l’Assemblée de l’ONU en 1948. Spaak est l’un des dirigeants occidentaux qui a le plus réfléchi aux rapports Est-Ouest. Mais le faible poids de la Belgique l’empêche de jouer un rôle de premier plan dans la négociation entre les blocs. La politique agressive de Staline a amené les Européens à s’unir entre eux au sein du Traité de Bruxelles en 1948 et avec les Américains dans l’Alliance atlantique en 1949. Le début de la détente entre l’Est et l’Ouest, survenue après la mort de Staline (mars 1953) et jusqu’aux crises de l’automne 1956 (Suez et Budapest) coïncide en Belgique avec les deux premières années du gouvernement Van Acker. Pour Spaak, les grandes puissances portent l’essentiel des responsabilités dans la gestion de l’équilibre des relations Est-Ouest. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les petits États n’ont pas leur mot à dire. Ce n’est pas aux petites puissances, comme la Belgique, qu’il incombe de prendre part aux décisions finales, mais une petite puissance peut contribuer à débloquer la situation dans une négociation et plus généralement favoriser le dialogue entre les blocs. Ainsi la Belgique pourrait retrouver son rôle habituel de médiation.
105Au XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) le 1er février 1956, les dirigeants ont proclamé la doctrine de coexistence pacifique, dans le cadre du climat de « détente » qui s’est progressivement instauré dans les relations Est-Ouest. Après ce congrès, Spaak est l’un des premiers dirigeants politiques occidentaux à chercher à établir de nouvelles relations avec les pays de l’Est. D’ailleurs, pour qu’une détente s’opère entre les blocs, plusieurs conditions sont indispensables selon Spaak : l’Alliance atlantique doit évoluer et ne pas rester une alliance purement militaire ; une armée n’étant, d’après lui, qu’un outil politique. Il faut aussi instaurer une consultation politique permanente entre les membres de l’Alliance atlantique afin d’assurer une réelle coordination et d’être en mesure de faire face aux initiatives de l’Est. Le dossier le plus lourd à négocier demeure celui de la réunification allemande. Spaak veut profiter de la relative détente pour esquisser un rapprochement avec les soviétiques. Il sait que pour négocier avec eux, il faut un programme précis et éviter toute entrevue sans concertation préalable entre partenaires de l’OTAN, car les soviétiques savent exploiter les divisions occidentales.
3.2.2. L’émergence d’une nouvelle ligne politique face à Moscou à l’automne 1956
106Début 1956, Spaak reçoit une invitation du gouvernement soviétique pour une visite à Moscou. Il hésite : un refus pourrait être interprété par les soviétiques comme le fait qu’il est inféodé aux Américains. D’un autre côté, il ne veut pas montrer trop d’amitié à l’égard de l’URSS, ni se démarquer trop de ses partenaires atlantiques. Cependant, la perspective d’un voyage à Moscou entre bien dans le cadre de la politique de détente et de concertation que la Belgique, par l’intermédiaire de Spaak, entend favoriser par son rôle de médiation. Il accepte finalement l’invitation [86]. Le 22 octobre, Spaak et Van Acker s’envolent pour Moscou. Le lendemain, les Hongrois se révoltent à Budapest. Ce même jour, Van Acker et Spaak qui ignorent tout des événements de Budapest, s’entretiennent avec les dirigeants soviétiques. Le 25 octobre, a lieu la conversation importante avec Khrouchtchev. Celui-ci voit dans Spaak un intermédiaire entre l’URSS et les grandes puissances de l’OTAN et propose un pacte de non-agression entre l’Alliance atlantique et le Pacte de Varsovie. Spaak trouve l’idée intéressante et conforme aux intérêts belges [87] mais pas réalisable en raison de la division des deux Allemagnes. Khrouchtchev propose alors aux Belges de signer immédiatement un pacte d’alliance belgo-soviétique. Spaak refuse car ce pacte est destiné à diviser les Occidentaux. En effet, la grande puissance qu’est l’Union soviétique ne s’intéresse pas à une collaboration avec la Belgique en tant que telle, mais veut l’instrumentaliser pour diviser les Occidentaux.
107Dans le communiqué final qui établit la conclusion des pourparlers soviéto-belges, l’accent est mis sur le désir réciproque de paix [88]. Un accord culturel est également conclu. Le 2 novembre, le Premier ministre rentre à Bruxelles, tandis que Spaak consacre quelques jours au tourisme. Sans liaisons avec Bruxelles, au milieu de l’Asie centrale, il ignore tout des événements de Hongrie.
L’insurrection hongroise
108La révolte hongroise constitue un retour aux plus mauvais jours de la politique stalinienne. Le 4 novembre, l’armée rouge entre à Budapest. À l’instar des autres pays du bloc occidental, la Belgique, par l’intermédiaire de Victor Larock qui assure l’intérim aux Affaires étrangères, réagit extrêmement vivement et fait part de toute sa réprobation. L’impact de la crise est fort en Belgique comme en attestent les nombreuses manifestations devant l’ambassade soviétique à Bruxelles. Lorsque Spaak, de retour à Bruxelles, apprend les événements, il est furieux et blessé d’avoir été manipulé et ridiculisé par les soviétiques. Politicien d’envergure internationale, il regrette amèrement d’avoir été absent de la scène politique lors de la révolte hongroise et du déclenchement de la crise de Suez. L’espoir de meilleures relations Est-Ouest s’éteint et « les très modestes résultats de ce voyage furent immédiatement détruits [89] ». À l’issue de son voyage en URSS et des événements de Budapest et Suez, Spaak retient l’urgente nécessité d’œuvrer encore davantage au renforcement de la construction européenne [90], alors que les traités sont en pleine négociation. L’opposition sociale-chrétienne en profite pour attaquer très vivement Van Acker, Spaak et l’ensemble du gouvernement [91]. Spaak ne peut qu’annuler l’accord culturel conclu à Moscou et exprimer aux Russes son vif mécontentement. Dans le cadre de la crise de Suez et de ses répercussions en Belgique, les représentants de la France à Bruxelles sont désormais plus confiants en la capacité du gouvernement belge à réagir aux attaques de l’opposition. L’habileté politique de Van Acker au plan intérieur les a progressivement convaincus.
3.3. DU RAPPORT DES « TROIS SAGES » AU RETOUR DU GÉNÉRAL DE GAULLE
3.3.1. L’influence de la crise de Suez sur le rapport des « trois sages »
La nécessité d’un renforcement politique de l’OTAN
109La situation internationale d’abord tendue, puis troublée, tant au Maghreb qu’en Extrême-Orient, a mis en évidence les divergences de vues entre les partenaires de l’Alliance atlantique. À une époque où la politique internationale a tendance à former un tout, il est difficile aux membres de l’Alliance atlantique d’être alliés dans une ère géographique et en désaccord flagrant dans une autre.
110La nouvelle politique soviétique de détente amorcée depuis début 1956 jette le trouble dans le bloc atlantique. Cette politique est généralement bien accueillie par l’opinion publique des différents pays occidentaux, dont une partie de l’opinion remet quelquefois en doute la nécessité de l’Alliance atlantique. Spaak qui préconise une relance du Pacte atlantique et le renforcement de la consultation politique au sein de I’OTAN voit dans la conjoncture du moment la possibilité de faire triompher ses thèses [92].
111Le Conseil atlantique de mai 1956 se réunit à Paris pour faire le point sur la situation internationale. Certains, tels Adenauer et Spaak, voudraient conférer à l’Alliance une plus grande cohésion politique. Les travaux des différents participants vont s’appuyer sur le rapport Wilgress [93], qui pose les questions essentielles et notamment la nécessité d’élargir la consultation politique, même en dehors du cadre géographique de l’Alliance. Les ministres des Affaires étrangères des différents pays débattent pendant deux jours. Finalement la discussion aboutit à la publication d’un important communiqué faisant le point sur la situation internationale. La nécessité de l’Alliance, dont l’effort militaire ne peut pas être diminué, est réaffirmée ; les modifications apparues dans la politique soviétique doivent être prises en compte et une amélioration des relations Est-Ouest devient envisageable. La force de l’Alliance réside aussi dans la solidarité politique de ses partenaires. Afin de mieux préciser les conditions dans lesquelles celle-ci doit s’appliquer, le Conseil atlantique charge un comité d’examiner les fonctions non militaires de l’Alliance et de proposer les modalités de leur développement futur. Le Comité est formé de trois ministres des Affaires étrangères : le Canadien Lester Pearson, le Norvégien Halvard Lange et enfin l’Italien Gaetano Martino. Les trois hommes vont avoir des entretiens réguliers avec les représentants des différents pays. À l’issue de ces entretiens, ils réalisent la difficile synthèse des opinions recueillies. Dans leur rapport final, ils formulent différentes propositions qu’ils soumettront au Conseil atlantique de décembre 1956. Ce rapport final est, bien sûr, très influencé par la crise de Suez.
La crise de Suez vue depuis Bruxelles
112Le Moyen-Orient, et plus particulièrement le canal de Suez, constitue un espace géostratégique de première importance pour les Européens. Les Britanniques, et dans une moindre mesure les Français, y exercent une influence. Le contexte de guerre froide accroît encore l’instabilité de la région. Le 26 juillet 1956, le président égyptien Nasser annonce sa décision de nationaliser la compagnie du canal de Suez, ce qui porterait atteinte aux intérêts français et britanniques. La Belgique a aussi des intérêts économiques importants dans le pays. Aussi, les Belges espèrent que Français et Britanniques feront preuve de fermeté. Pour Spaak, il faut forcer Nasser à capituler, tandis que Français et Britanniques envisagent une riposte militaire contre l’Égypte.
113Victor Larock, rappelle la position du gouvernement : « La Belgique n’est pas directement intéressée à la gestion du canal de Suez, mais elle se préoccupe de la prospérité de l’Égypte et du Moyen-Orient. Les investissements belges sont importants en Égypte. D’un autre côté, nul n’ignore que le pétrole raffiné à Anvers passe par la Mer Rouge [94]. » Au début de la crise, Larock, tout en réitérant son « appui moral » au gouvernement français, fait part à Rivière du vif regret belge de n’avoir pas été invité à la conférence internationale de médiation prévue à Londres. Spaak aurait souhaité une discussion dans le cadre de l’Alliance atlantique où il aurait pu tenter une médiation pour régler le différend entre Français, Anglais et Américains. « Je regrette que personne n’ait songé à réunir au niveau ministériel le Conseil du NATO. Trois sages sont en train de rechercher les moyens de donner plus de vitalité à notre alliance. N’est-il pas curieux et même un peu décevant qu’au moment où éclate une crise politique grave, rien n’ait été tenté pour affirmer au sein de l’Alliance une unité de vues occidentale pourtant bien nécessaire ? [95] » Les conséquences économiques et politiques de la nationalisation du canal inquiètent les Belges, conscients de son importance comme voie d’acheminement de leurs produits et de leurs importations. La France et la Grande-Bretagne bloquent les avoirs égyptiens et prennent différentes mesures contre l’Égypte et ses ressortissants. Jean Rivière et l’ambassadeur britannique à Bruxelles incitent le gouvernement belge à faire de même. Tiraillé entre les Américains d’une part, les Français et les Anglais de l’autre, Larock, qui assure l’intérim en Affaires étrangères en l’absence de Spaak, suit les conseils de Van Acker et adopte une position d’équidistance entre les Franco-Anglais et les Américains [96].
114Le 9 septembre, Nasser refuse le plan Dulles élaboré à la conférence de Londres. La tension monte. Une seconde conférence des usagers du canal ne règle rien. Le Conseil de Sécurité de l’ONU se décide à intervenir, Spaak, enfin revenu d’URSS, annonce alors son désir d’occuper personnellement le siège de la Belgique au Conseil de sécurité [97]. Il entend ainsi rassurer parlementaires et hommes d’affaires qui craignent des répercussions d’ordre économique et politique sur le Monde arabe et l’Afrique, en particulier au Congo [98]. Spaak, par son action médiatrice, espère renforcer le prestige de son pays et le sien. Il développe toute une argumentation « légaliste », basée sur le texte du traité, qui, d’après lui, a été violé. Mais la réunion à l’ONU ne modifie pas la position égyptienne. C’est l’impasse.
115À Bruxelles, le nouvel ambassadeur de France Raymond Bousquet et ses collaborateurs, relèvent l’étonnement des diplomates belges devant l’apparente réconciliation intervenue à l’ONU entre Français et Britanniques d’une part, et Américains d’autre part [99]. Les Belges ignorent en effet tout de la décision d’intervention militaire des Français, des Britanniques et des Israéliens. Il est prévu que l’armée israélienne déclenche le 29 novembre une offensive contre l’Égypte dans le Sinaï. Le lendemain, Paris et Londres lanceront un appel aux belligérants, leur enjoignant d’arrêter les combats. Le 1er novembre, débute l’intervention aérienne franco-britannique ; le 5 novembre a lieu le débarquement et le largage de troupes. Mais dans la nuit du 5 au 6 novembre, les soviétiques lancent un ultimatum à Paris et à Londres, brandissant la menace d’utiliser l’arme nucléaire, si ceux-ci poursuivent leur intervention militaire. Eisenhower convainc alors Eden de cesser les opérations ; la France, désormais seule, est contrainte de faire de même. L’opération militaire franco-britannique se solde donc par un échec.
116« La solidarité de la Belgique à l’égard de la France va se manifester de façon imminente [100] » assure Robert Rothschild, le chef de cabinet de Spaak à l’intention des diplomates français, tandis que Spaak se rend aux Nations unies à New York. Le Conseil de sécurité des Nations unies décide l’envoi d’une force de police internationale en Égypte. La Belgique propose immédiatement à la France et à la Grande-Bretagne d’y participer, manifestant ainsi sa solidarité envers Paris et Londres.
Influence de la crise de Suez sur le verdict des « trois sages »
117Les diplomates français sont quelque peu surpris par l’attitude du gouvernement Van Acker pendant la crise : ils constatent et regrettent l’attitude « médiane » observée par la Belgique, notamment à l’occasion de certains votes au Conseil de sécurité de l’ONU, où l’ambassadeur belge aurait agi sur recommandation de Van Acker et non de Spaak, alors en URSS. La France admet mal que ce pays qu’elle considère comme si proche d’elle et sur lequel elle exerce une influence ancienne ne l’ait pas toujours soutenue. La Belgique n’a pas voulu trancher entre la position franco-britannique et la position américaine. Cette position « légaliste » est définie par Van Acker comme suit : « Notre première préoccupation a été de ne donner la voix de la Belgique qu’à cause de la paix et du droit, sans considération des intérêts purement nationaux qui se trouvaient aux prises [101]. » Victor Larock affirme pour sa part, que l’opération française est contraire au droit. La seconde préoccupation du gouvernement a été de vouloir raffermir l’autorité des Nations Unies, gravement compromise. Par dessus tout, le gouvernement belge tient à sauvegarder la solidarité occidentale et atlantique, soumise, selon Van Acker, à rude épreuve : « Nous nous sommes gardés de nous laisser entraîner, mais nous devions contribuer, autant que nous le pouvions, à la restauration d’une entente qui venait d’être déplorablement ébranlée [102]. »
118Maintenir l’équilibre entre les puissances reste un principe récurrent de la politique étrangère belge. Dans le cas de Suez, il s’agit de « maintenir la balance égale entre les États-Unis d’une part, et les franco-britanniques d’autre part [103] ». Le gouvernement a également eu le souci de protéger les ressortissants belges et les biens des entreprises belges en Égypte. La situation intérieure tendue entre les communautés flamande et wallonne a constitué un frein important à une collaboration plus directe du gouvernement. La majorité de l’opinion wallonne, francophile, était favorable à l’intervention, tandis que les Flamands restent plus réticents aux interventions militaires. Van Acker, prudent, a adopté une attitude modérée afin d’éviter tout risque au sein de sa majorité. Mais pour les Français, c’est surtout l’absence de Spaak, parti en URSS à un très mauvais moment, qui s’est fait cruellement ressentir : « Au début de la crise, le guide de la politique extérieure belge était loin, quelque part en Asie centrale, privé de toute nouvelle, sans moyen de faire entendre sa voix. Même Larock, malgré tout son talent n’a pu exposer le “ cas belge ” comme l’aurait fait Spaak s’il avait été là [104]. » D’après Raymond Bousquet, outre l’absence de Spaak, la ligne médiane suivie par le Premier ministre s’explique aussi par le fait que la Belgique n’ait pas été avertie des intentions françaises, ce qui a « blessé le sentiment d’infériorité d’un pays, certes petit, mais économiquement puissant ». Bousquet rappelle d’ailleurs à son ministre qu’il est toujours imprudent de vexer un allié, lorsqu’il joue un rôle utile dans la construction européenne, surtout dans les dernières phases de négociation des traités européens. Enfin, par ses votes au Conseil de sécurité, la Belgique n’a pas voulu trop s’écarter de la position du gouvernement néerlandais.
119Ainsi, la position belge résulte de l’ensemble de ces facteurs, dont la plupart ont pesé contre le gouvernement français. Malgré tout, le bilan est beaucoup moins négatif qu’il ne pourrait l’être : en effet, l’application de la politique d’équilibre a pu être nuancée en l’absence de Spaak par Larock. Spaak, pendant son bref retour à Bruxelles a encouragé officieusement l’action de la France et de la Grande-Bretagne. Le gouvernement français devrait, selon Bousquet, remercier Spaak et Larock car même « si celui-ci et son collègue nous ont déçus, il leur a fallu du courage pour faire ce que d’autres à leur place n’eussent sans doute pas accompli [105] ».
120La crise de Suez a montré le manque de coordination et de consultation entre les alliés de l’OTAN et son exploitation par les soviétiques. Cette crise a des répercussions notables sur le sommet de l’Alliance atlantique de décembre 1956 à Paris. Cette crise a accéléré la décision d’une coordination politique au sein de l’Alliance atlantique [106]. Le rapport des trois sages qui propose des solutions concrètes aux graves problèmes de l’Alliance est présenté et soumis à l’examen de l’ensemble des partenaires atlantiques. Les conditions de l’adoption d’une réforme sont particulièrement favorables, en décembre 1956, « les ministres des pays membres de l’Alliance étaient dès lors plus atlantiques qu’ils ne l’avaient jamais été [107]. Le rapport des trois sages est adopté à l’unanimité.
121Le Conseil doit aussi régler la succession de lord Ismay, secrétaire général de l’Alliance atlantique, qui avait été préféré à Spaak au sommet de 1952 [108]. Le canadien Lester Pearson, pourtant favori pour l’élection du secrétaire général de l’OTAN, renonce à briguer la fonction. D’après André De Staercke, ambassadeur de la Belgique à l’OTAN, la voie serait donc désormais libre pour Spaak.
3.3.2. Les difficultés de la politique d’interdépendance
Spaak devient secrétaire général de l’OTAN
122Le 14 décembre, Spaak est élu secrétaire général de l’OTAN. Il insiste d’emblée sur la complémentarité entre sa nouvelle et son ancienne fonction « […] je n’ai pas le sentiment que j’abandonne l’Europe. J’ai le sentiment que je complète dans un autre domaine et sur un autre plan, ce que j’ai essayé de faire. Je suis persuadé que l’Europe intégrée a, pour vivre et pour subsister, besoin d’un bouclier et […] que ce bouclier ne peut être autre que l’Alliance atlantique [109]. » Ainsi dans la droite ligne du rapport des trois sages, Spaak rappelle la nécessité de l’Alliance pour l’Europe, conviction renforcée depuis son voyage à Moscou à l’automne 1956.
123Depuis Bruxelles, les diplomates français se réjouissent de cette nomination et des décisions prises durant le sommet [110]. Le Traité de l’OTAN devient ainsi une « véritable alliance » entre les Quinze [111], ce qui n’avait pas été le cas jusqu’ici, d’après Raymond Bousquet [112]. D’après les diplomates français, les nouvelles attributions prévues pour le secrétaire général permettront à un homme aussi dynamique que Spaak de prendre l’initiative en saisissant les ministres sur des questions importantes au plan européen.
124Le nouveau secrétaire général veut instaurer une diplomatie collective : il espère pouvoir mener une politique vraiment multilatérale fondée sur la consultation générale. Il désire dépasser « l’addition des souverainetés », au profit de l’intégration, pour donner plus de cohésion à l’alliance. Il pense également avoir quitté toute fonction politique en Belgique, dont le statut de petite puissance et le cadre territorial trop étroit freinait ses ambitions. En tant que secrétaire général, il doit dégager des positions consensuelles et acceptables par l’ensemble des membres de l’Alliance. Mais Spaak, fort de sa longue expérience, est habitué à agir avec beaucoup d’indépendance dans ses précédentes fonctions. Il ne tarde pas à se heurter à une lourde bureaucratie. Spaak a été nommé dans la perspective d’une relance politique de l’OTAN, mais la situation a beaucoup évolué depuis les espoirs de relance atlantique qu’il espérait au printemps 1955. En effet, la crise de Suez, amplifiée par la crise hongroise, a laissé des stigmates profonds dans la cohésion entre membres de l’Alliance. Par ailleurs, Spaak doit prendre en compte l’évolution des rapports Est-Ouest, notamment autour de la question allemande. Il ne tarde pas à se rendre compte que malgré les velléités de changement et de réforme de l’organisation, son rôle essentiel reste de garantir la sécurité collective. Les aspects politiques et économiques n’occupent en définitive qu’un rôle assez secondaire.
125Ainsi, plusieurs facteurs freinent Spaak dans la poursuite de la politique qu’il envisageait de mener pour le compte de l’OTAN, – et en arrière-plan – pour la Belgique. Spaak se trouve d’abord confronté à la décision unilatérale de la Grande- Bretagne de réduire ses effectifs militaires (ce qui revient aussi à réduire sa participation militaire à l’OTAN) et ne tarde pas à avoir des difficultés de même ordre avec la Belgique. C’est une déconvenue personnelle pour Spaak qui n’imaginait pas connaître ses premières difficultés avec son propre pays et son ancien gouvernement.
Victor Larock, nouveau ministre des Affaires étrangères
126En raison de la personnalité de Spaak, de son expérience et de ses compétences, sa succession au 16, rue de la Loi constitue un « problème lourd et délicat [113] » pour le gouvernement. Dans l’expectative, les diplomates français redoutent le choix d’un candidat pas suffisamment francophile qui ne répondrait pas assez aux attentes et intérêts français, si nombreux en Belgique.
127Les préférences des diplomates français vont clairement à Victor Larock : francophone né à Anvers, il a fait toute sa carrière politique à Bruxelles. Ancien élève de l’École normale supérieure, il a vécu plusieurs années en France. Aussi, l’annonce de la nomination de Larock, effective le 15 mai 1957, rassure la diplomatie française : « Aucun choix ne pouvait être plus souhaitable à la France que celui-là » écrit Raymond Bousquet à son ministre Christian Pineau [114]. Les Français trouvent le tempérament du nouveau ministre très différent de celui de Spaak. Larock est perçu comme plus pondéré, moins intuitif, plus précis, moins enthousiaste et plus réaliste que son prédécesseur. Sa grande éloquence lors de ses discours séduit particulièrement les diplomates français. Larock dispose donc, d’après les Français, de toutes les qualités requises pour la fonction qu’il va exercer. Fort d’une solide expérience de gouvernement, il a toujours su dominer les difficultés de son département ministériel depuis son entrée dans l’équipe Van Acker. D’ailleurs, ses anciennes fonctions l’ont bien préparé à celles de ministre des Affaires étrangères, poste qu’il a déjà occupé à diverses reprises dans ce même gouvernement. Larock est remplacé au Ministère du Commerce extérieur par Henri Fayat, connu des Français pour ses tendances flamingantes [115].
128Larock est aussi perçu par les Français comme plus francophile que le Bruxellois Paul-Henri Spaak. Les diplomates français espèrent qu’il sera plus facile de faire entendre la voix de la France auprès de Larock, moins rompu aux Affaires internationales que ne l’était Spaak, aux première places de la politique internationale depuis vingt ans ! De plus, les Français sont comme libérés d’un fardeau, il faut dire qu’ils ont eu plusieurs fois des difficultés à contrôler les initiatives et à réagir face à l’indépendance de Spaak.
Spaak et le retour au pouvoir du général de Gaulle
129Spaak, une fois à l’OTAN, doit tenir compte de trois facteurs essentiels en matière de politique atlantique : l’évolution des rapports Est-Ouest, la question allemande, mais aussi le retour au pouvoir du général de Gaulle au printemps 1958.
130En France, la crise politique de la IVe République agonisante, qui ne parvient pas à régler la question algérienne, préoccupe les gouvernements occidentaux. Spaak, en tant que secrétaire général de l’Alliance atlantique, suit de très près les événements de mai-juin 1958 en France et notamment en Algérie. À ce moment, il est convaincu que le retour du général de Gaulle serait une chance de « grandeur nouvelle » pour la France [116].
131La guerre d’Algérie et la situation troublée qui s’ensuit provoquent le retour du général de Gaulle au pouvoir le 1er juin, alors que Spaak est en voyage au Canada. De retour à Paris, Spaak veut rencontrer de Gaulle afin de connaître ses projets et savoir ce qu’il est en mesure de faire. Le secrétaire général de l’OTAN voudrait surtout connaître la position française dans les rapports Est-Ouest et dans les relations entre les membres de l’Alliance. Le 23 juin, Spaak rencontre le nouveau président du Conseil. Il perçoit le général comme « un homme nouveau [117] », qui ne connaît pas les dirigeants au pouvoir en raison d’une longue absence de 12 ans de la scène internationale [118]. De son côté, de Gaulle estime que la France doit avoir toute sa place dans l’OTAN, au plan diplomatique et surtout au plan militaire. À l’issue de la discussion, les deux hommes conviennent que Spaak rédigera quelques notes sur les rapports France-OTAN.
132Le 3 juillet, Spaak remet au général le document qu’il a élaboré. Dans ce document, il précise certaines perspectives évoquées lors de leur dernière rencontre. Spaak veut encourager la France à jouer un rôle plus marqué au sein de l’Alliance, dans le cadre de la diplomatie collective. Durant l’été 1958, un grand nombre de questions demeurent quant aux positions du général de Gaulle. Les vues du général sont exprimées dans le « mémorandum du 17 septembre » élaboré par de Gaulle lui-même. Mais les vues du général en matière de politique étrangère ne rencontreront pas les aspirations de Paul-Henri Spaak, ni celles de la diplomatie belge, comme la période à venir ne tarderait pas à le révéler.
CONCLUSION
133D’avril 1954 à juin 1958, date des élections, les diplomates français ont été les témoins des avancées majeures de la politique étrangère belge conduite par Spaak, puis par Larock, dans un contexte international en pleine évolution.
134Au printemps 1954, Paul-Henri Spaak fait son retour à la tête de la diplomatie belge dans un gouvernement de coalition auquel les diplomates français donnent peu de chances de durer. Le maintien au pouvoir du gouvernement, grâce notamment à l’habileté du Premier ministre Van Acker, offre à Spaak l’opportunité de donner toute la mesure de son talent comme ministre des Affaires étrangères, jusqu’à son élection comme secrétaire général de l’OTAN. Spaak parvient à faire franchir une étape décisive à la politique étrangère de son pays dans les domaines de la construction européenne et des relations transatlantiques, malgré le faible poids de la Belgique à l’échelle mondiale. Le contexte international impose la nécessité de la relance européenne, ainsi que le renforcement de la consultation politique au sein de l’OTAN. La politique étrangère du cabinet Van Acker est à replacer dans le cadre de la politique d’interdépendance amorcée par la Belgique dès 1941. Cette politique s’appuie essentiellement sur trois piliers : l’OTAN, l’Europe et l’ONU. Cependant, très rapidement, le fonctionnement des Nations unies se trouve paralysé par le droit de veto utilisé par les grandes puissances lors de la guerre de Corée. Aussi, l’ONU joue désormais un rôle moindre dans l’élaboration de la politique étrangère belge pour la période 1954-1958. Le « triptyque traditionnel » de la politique étrangère belge d’après-guerre tend donc à se transformer en « diptyque » pour cette période.
135Les diplomates français ont recensé les différentes opportunités qui ont permis à la Belgique de jouer un rôle plus important que son poids géopolitique ne le laissait prévoir. La Belgique a joué un rôle moteur dans la relance européenne et a contribué activement au renforcement politique de l’Alliance atlantique.
136Tout d’abord, l’action personnelle de Paul-Henri Spaak est essentielle. L’homme d’État dispose d’atouts déterminants : une longue expérience du pouvoir, une très bonne connaissance et une très bonne compréhension des questions internationales, une capacité d’influence qui transcende largement les frontières de son pays, mais aussi une vision pragmatique de la politique et enfin la capacité d’utiliser au mieux les compétences de ses proches collaborateurs. La grande personnalité de Spaak a même quelque peu éclipsé, du moins dans l’esprit des diplomates français, l’image des autres hommes politiques belges, pourtant très actifs durant ces années-là. Comme l’exprime Raymond Bousquet, du point de vue français : « La politique extérieure de la Belgique, c’est avant tout Monsieur Spaak. »
137Spaak a conscience que c’est par sa participation à des alliances (OTAN) ou des institutions multilatérales (ONU), supranationales (CECA), que la Belgique peut espérer étendre son influence. Au sein d’une structure supranationale, l’abandon d’une part de souveraineté auquel elle doit consentir est moindre que celui consenti par les grandes puissances.
138D’après les diplomates français, la conjoncture internationale a évolué plutôt favorablement pour les intérêts belges : la poursuite du processus de construction européenne a permis d’associer étroitement la RFA au sein d’une union économique. À l’échelle des relations transatlantiques, le développement de la consultation politique entre partenaires de l’Alliance atlantique, tant prôné par Spaak, a pu voir le jour, notamment après la crise de Suez.
139Les puissances anglo-saxonnes continuent d’exercer un pouvoir d’attraction sur la Belgique. Les intérêts politico-économiques de la Belgique et des États-Unis concernant la RFA convergent. Tous deux ont fait le choix d’ancrer l’Allemagne dans un ensemble politique et économique ouest-européen. Les diplomates français s’étonnent des positions défendues par Bruxelles à propos de la question allemande. En effet, la France, restée jusqu’aux accords de Paris obsédée par le danger allemand, accepte difficilement l’attitude plus souple et plus pragmatique des dirigeants belges. Les positions américaines constituant un point de référence pour la politique étrangère belge, les Français constatent et semblent parfois regretter l’attitude embarrassée de la Belgique pour définir une attitude en opposition trop visible avec celle des États-Unis.
140En revanche, du fait des divergences belgo-britanniques en matière européenne, Spaak a dû se résoudre à regret à une Europe sans la Grande-Bretagne. Les Français s’agacent de la relation d’équidistance observée par la Belgique entre la France et la Grande-Bretagne et supportent mal l’attraction qu’éprouve la Belgique pour ce pays.
141Quant au renouveau des fortes tensions entre l’Est et l’Ouest, il a constitué un accélérateur de l’unité européenne et a contribué au resserrement des liens au sein de l’Alliance atlantique, ce qui va dans le sens des intérêts belges.
142Ainsi, malgré des analyses pertinentes des grandes lignes de la politique étrangère belge qui attestent d’une bonne connaissance du pays, les diplomates français semblent parfois avoir nourri certains préjugés envers la Belgique. Une forme de condescendance envers la Belgique anime parfois certains diplomates français. Elle a pu freiner une collaboration plus étroite entre les deux États. Si la France avait accordé plus d’attention à la Belgique et à ses intérêts, elle aurait sans doute décelé d’autres points de convergence entre les deux pays. Davantage de considération envers la Belgique et ses intérêts aurait sans doute contribué à aider la France à se sentir moins isolée. Aussi, la France, affaiblie depuis la guerre, et dans une situation politique délicate du fait de l’instabilité gouvernementale et de la perte de l’Indochine, aurait sans doute pu trouver en la Belgique davantage qu’une alliée de circonstance.
143De plus, la proximité géopolitique et culturelle entre les deux pays a sans doute quelque peu masqué aux yeux des Français les spécificités propres à la Belgique. Il faut rappeler que la France, à l’époque, s’intéresse modérément à la Belgique, bien que le poste d’ambassadeur de France en Belgique soit réputé important. À cette période, comme nous l’avons vu, la France est encore essentiellement préoccupée par la question allemande et par la montée des tensions en Afrique. La tâche a été difficile pour les représentants de la France du fait des changements successifs de gouvernement, ils se sont retrouvés parfois gênés pour défendre les positions françaises.
144Enfin, en l’espace de quatre ans, la situation internationale et européenne a considérablement évolué, les années 1954 à 1958 constituent bien des années de transition. En Belgique, on passe progressivement d’un contexte d’après-guerre, centré sur la question allemande, à un contexte dominé par la question coloniale et les tensions intercommunautaires. Les bouleversements qui vont advenir au début des années 1960 seront significatifs et lourds de conséquences pour l’avenir du pays.
Notes
-
[1]
Il cumule alors cette fonction avec celle de Premier ministre du 15 mai 1938 au 22 janvier 1939 et du 20 mars 1949 au 27 juin 1949.
-
[2]
Les archives diplomatiques françaises conservées à Paris sont mentionnées en notes de bas de page sous l’abréviation suivante : ADP (Archives diplomatiques Paris). Celles conservées à Nantes sont mentionnées sous l’abréviation CADN (Centre des archives diplomatiques de Nantes).
-
[3]
Sur le statut de petite puissance de la Belgique, cf. P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », Revue d’histoire diplomatique, n° 4,2003, pp. 317-344. Master Recherche en Histoire des relations internationales et du monde atlantique à l'Université de Nantes.
-
[4]
P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », op. cit.
-
[5]
CADN, 23, n° 1903, Bousquet à Pineau, Généralités sur la Belgique, Bruxelles, 29 juillet 1957.
-
[6]
CADN, 23, télégramme n°°215, Rivière à Laniel, Rappels de la carrière de Monsieur Van Acker, Bruxelles, 22 avril 1954.
-
[7]
L’habileté politique et la grande prudence d’Achille Van Acker ont beaucoup impressionné les diplomates français à Bruxelles, comme en atteste à de nombreuses reprises leur correspondance.
-
[8]
CADN, 23, dépêche n° 231, Rivière à Laniel, Déclaration de Van Acker à la Chambre des représentants, Bruxelles, 4 mai 1954.
-
[9]
M. DUMOULIN, Spaak, Bruxelles, Editions Racine, 1999, p. 699.
-
[10]
ADP, n° 56, télégramme n° 1137, Bousquet à Pinay, Mouvement diplomatique, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[11]
P. GERBET, La Construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1999, p. 127.
-
[12]
Le Traité de Bruxelles, signé en mars 1948 est une alliance défensive signée entre la Grande-Bretagne, la France et la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
-
[13]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, De Boeck et Larcier, 2002, pp. 117-118.
-
[14]
« agonizing reappraisal ».
-
[15]
F. DAVID, « JF. Dulles et l’Alliance atlantique », Revue d’histoire diplomatique, n° 2,2003, pp. 171-189.
-
[16]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 469.
-
[17]
Les Cinq : RFA, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas.
-
[18]
CADN, 15, télégramme n° 627-632, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 25 octobre 1954.
-
[19]
CADN, 15, dépêche n° 1028, Le colonel Dewatre à Mendès France, Le Benelux et les événements d’Indochine, 10 mai 1954.
-
[20]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 473.
-
[21]
CADN, 68, télégramme n° 322-327, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 23 juin 1954.
-
[22]
Ibidem.
-
[23]
Sur la conférence de Bruxelles et ses suites, cf. E. ROUSSEL, Pierre-Mendès France, Gallimard, 2007, pp. 300-314.
-
[24]
Sur l’opposition de Henri Rolin au Traité de la CED, cf. R. DEVLEESHOUWER, Henri Rolin, 1891-1973, Institut de sociologie, Université de Bruxelles, 1994, réd. 2002, pp. 475-485.
-
[25]
CADN, 68, télégramme n° 296, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 13 juillet 1954.
-
[26]
CADN, 68, télégramme n° 377-384, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 13 juillet 1954.
-
[27]
De 1951 à 1955, Winston Churchill est Premier ministre, Anthony Eden ministre des Affaires étrangères.
-
[28]
CADN, 68, télégramme n° 509, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 27 août 1954.
-
[29]
Idem, 68, télégramme n°°527, Vaucelles à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 3 septembre 1954.
-
[30]
Jean Monnet devient, de 1952 à 1955, le premier président de la Haute autorité de la CECA.
-
[31]
Idem, 68, télégramme n° 367, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 6 juillet 1954.
-
[32]
Idem, 68, Compte rendu des réunions franco-anglaises des 15 et 16 septembre 1954 à Paris.
-
[33]
Idem, télégramme n° 588, Rivière à Mendès France, Déclarations de Spaak à son départ de Londres, Bruxelles, 4 octobre 1954.
-
[34]
Toutefois l’adhésion de la RFA à l’OTAN reste subordonnée au recouvrement de sa souveraineté, ce qui suppose la reprise et la modification des accords de Bonn de mai 1952, sous réserve de la ratification des accords de Paris par le Parlement allemand.
-
[35]
Georges-Henri SOUTOU, L’Alliance incertaine, Paris, Fayard, 1996, pp. 25-29.
-
[36]
CADN, 15, dépêche n° 1869, Rivière à Mendès France, Le Sénat belge et l’accord franco-allemand du 23 octobre 1954, Bruxelles 13 décembre 1954.
-
[37]
Idem, 86, dépêche n° 189, Rivière à Mendès France, Larock fait le bilan de son département pour le trimestre écoulé, Bruxelles, 29 octobre 1954.
-
[38]
ADP, 86, note relative aux problèmes de canaux dans les pays du Benelux et dans leurs relations avec leurs voisins, Paris, 1er mars 1955.
-
[39]
CADN, 68, télégramme n° 2280 à 2301, Circulaire n° 92 sur la conférence de Paris, 27 octobre 1954.
-
[40]
Idem, 75, dépêche n° 1870, Rivière à Mendès France, Rapport de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Bruxelles, 14 décembre 1954.
-
[41]
Ibidem.
-
[42]
Idem, 15, télégramme n° 625, Spaak cité par Rivière, Rivière à Mendès France, non-titré, Bruxelles, 25 octobre 1954.
-
[43]
M.-T. BITSCH, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Ed. Complexe, 2001, Réd. 2007, p. 101.
-
[44]
CADN, 75, télégramme n° 160, Rivière à Pinay, Réunion diplomatique belge, Bruxelles, 12 mars 1955.
-
[45]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 452.
-
[46]
Les rivalités entre Belges et Néerlandais se concentrent essentiellement dans le secteur agricole et dans celui des voies d’eau. ADP, 86, télégramme n° 152, Lefebvre à Faure, non-titré, La Haye, 22 mars 1955.
-
[47]
M.-T. BITSCH, Histoire de la Construction européenne, op.cit., pp. 104-106.
-
[48]
ADP, 119, Note sur les relations franco-belges, établie par le comité franco-belge, Paris, juillet 1956.
-
[49]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 170.
-
[50]
M.-T. BITSCH, Histoire de la Construction européenne, op. cit., p. 107.
-
[51]
Les experts désignés par Spaak sont : l’allemand von der Groeben, le français Uri, le belge Hupperts et l’italien Guarruli-Marini.
-
[52]
CADN, 77, télégramme n° 35-44, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 29 janvier 1957.
-
[53]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 181.
-
[54]
P. GERBET, La construction de l’Europe, op. cit., p. 183.
-
[55]
OECE : Organisation européenne de coopération économique (future OCDE) dont font notamment partie les Six et aussi la Grande-Bretagne.
-
[56]
P.-H. SPAAK, Combats, II, Paris, Fayard, 1969, pp. 81-82.
-
[57]
Le baron Snoy et d’Oppuers, après avoir été secrétaire général du Ministère des Affaires économiques, deviendra administrateur délégué de la compagnie Lambert. Il continuera à jouer un rôle dans le secteur privé, puis deviendra ministre.
-
[58]
Rue Ducale : siège de l’Ambassade de France à Bruxelles.
-
[59]
CADN, télégramme n° 184, Bousquet à Pineau, Territoires d’Outre-Mer, Bruxelles, 25 janvier 1957.
-
[60]
ADP, 71, note n°398, Rivière à Mendès France, Sur les territoires d’Outre-Mer, Bruxelles, 22 septembre 1954.
-
[61]
G.-H. SOUTOU, « La politique nucléaire de Pierre Mendès France », Relations internationales, n° 59, automne 1989.
-
[62]
Sur ces accords, cf. notamment P. BUCH, J. VANDERLINDEN, L’Uranium, la Belgique et les Puissances, De Boeck, 1995 ; Courrier hebdomadaire, CRISP, n°°781-782,9 décembre 1977.
-
[63]
ADP, 118, note n° 291, Dufournier à Pineau, Relations avec les États-Unis, Bruxelles, 16 juin 1956.
-
[64]
CADN, n° 54-57, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 30 janvier 1957.
-
[65]
Idem, 72, Dufournier à Pinay, Exposé de Spaak, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[66]
Idem, 70, note n° 508, Rivière à Pinay, non-titré, Bruxelles, 5 août 1955.
-
[67]
Idem, Dufournier à Pinay, Exposé de Spaak, Bruxelles, 4 juillet 1955.
-
[68]
Ibidem.
-
[69]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 139.
-
[70]
CADN, 73, dépêche n° 59, Bousquet à Pineau, Siège du Marché commun et de l’Euratom. Conversation avec Larock, Snoy et Rothschild, Bruxelles, 11 janvier 1958.
-
[71]
ADP, 119, note n° 1447, Entrevue avec Scheyven, Bruxelles, 28 août 1957.
-
[72]
R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 141.
-
[73]
CADN, 66, dépêche n° 1187, Bousquet à Pineau, Position belge sur les grands problèmes internationaux, Bruxelles, 2 juillet 1957.
-
[74]
En référence notamment à l’article 2 du Traité de Washington.
-
[75]
CADN, 56, télégramme n° 598, Dufournier à Pinay, Spaak fait un large tour d’horizon de la situation internationale, Bruxelles, 24 novembre 1955.
-
[76]
ADP, 61, télégramme n° 2007, Dufournier à Pinay, L’opinion belge et le dernier Conseil de l’OTAN, Bruxelles, 19 décembre 1955.
-
[77]
P. DELOGE, « Quelques clés de la politique belge de sécurité et de défense depuis 1945 », op. cit.
-
[78]
CADN, 56, Note de Spaak, Bruxelles, 24 avril 1956.
-
[79]
ADP, 61, télégramme n° 2007, Dufournier à Pinay, L’opinion belge et le dernier Conseil de l’OTAN, Bruxelles, 19 décembre 1955.
-
[80]
R. COOLSEAT, La politique extérieure de la Belgique, op. cit., p. 95.
-
[81]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 541.
-
[82]
F. DAVID, « J.-F. Dulles et l’Alliance atlantique », op. cit., pp. 171-189.
-
[83]
ADP, 402, Relations économiques entre la Belgique et les États-Unis, Washington, 23 janvier 1959.
-
[84]
Idem, 402, télégramme n° 491, Bidault, Suggestions de monsieur Kronacker, Washington, 31 mars 1954.
-
[85]
CADN, 2, dépêche n° 1095, Rivière à Pineau, Rapport de fin de mission, Bruxelles, 1er août 1956.
-
[86]
CADN, 23, télégramme n°287-288, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 15 juin 1955.
-
[87]
L’entrée de la Belgique dans la guerre froide s’est faite à regret, elle n’a pas intérêt à une confrontation avec l’URSS. Par contre, les nouveaux avantages, qu’elle peut retirer d’une Alliance avec les États-Unis, notamment sur le plan économique, conduisent le gouvernement belge à faire le choix de l’atlantisme.
-
[88]
ADP, 116, télégramme n° 4375, Dejean à Pineau, non-titré, Moscou, 3 novembre 1956.
-
[89]
P.-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., p. 326.
-
[90]
ADP, 116, Bousquet à Pineau, Entretien avec Spaak sur sa visite en URSS, Bruxelles, 5 novembre 1956.
-
[91]
CADN, 23, dépêche n° 1599, Bousquet à Pineau, Séance de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Bruxelles, 8 novembre 1956.
-
[92]
Idem, 56, Note de Spaak, 24 avril 1956.
-
[93]
Le Rapport Wilgress : du nom du représentant du Canada auprès de l’OTAN.
-
[94]
CADN, 77, télégramme n° 355, Rivière à Pineau, non-titré, Bruxelles, 30 juillet 1956.
-
[95]
P.-H. SPAAK, Lettre à Selwyn Lloyd, 21 août 56, in Combats, I, op. cit., p. 228.
-
[96]
Aide Mémoire du gouvernement belge à destination des ambassades étrangères, 5 août 1956.
-
[97]
La Belgique occupe un siège de membre non permanent.
-
[98]
CADN, 77, n° 1271, Bousquet à Pineau, Déclaration de Spaak au sujet de l’affaire de Suez, 19 septembre 1956.
-
[99]
Idem, 77, n° 1458, Bousquet à Pineau, Entrevue avec Rothschild, Bruxelles, 16 octobre 1956.
-
[100]
Idem, 77, télégramme n° 487-488, Bousquet à Pineau, Vote d’abstention de la Belgique au Conseil de sécurité, Bruxelles, 6 novembre 1956.
-
[101]
Idem, 23, télégramme n°1636, Bousquet à Pineau, Rentrée parlementaire. Points essentiels du discours de Van Acker, Bruxelles, 14 octobre 1956.
-
[102]
Idem, 23, télégramme n° 1636, Bousquet à Pineau, op. cit.
-
[103]
Idem, 77, télégramme n° 1470, Bousquet à Pineau, La Belgique et la crise de Suez, Bruxelles, 25 novembre 1956.
-
[104]
Idem, 77, télégramme n° 1470, Bousquet à Pineau, La Belgique et la crise de Suez, Bruxelles, 25 novembre 1956.
-
[105]
Idem, 77, Bousquet à Pineau, Les effets de la crise de Suez sur l’économie belge, Bruxelles, 17 décembre 1956.
-
[106]
ADP, 115, n° 1187, Bousquet à Pineau, Position belge sur les grands problèmes internationaux, Bruxelles, 2 juillet 1957.
-
[107]
P.-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., p. 109.
-
[108]
En 1952, Spaak aurait pu être élu, mais la France, et notamment le Quai d’Orsay, était réticente à sa nomination en raison de ses positions supranationales et de ses relations privilégiées avec les Américains.
-
[109]
P-H. SPAAK, Combats, II, op. cit., pp. 110-111.
-
[110]
CADN, 56, n° 544-46, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 18 décembre 1956.
-
[111]
Les Quinze : les 15 pays membres de l’OTAN.
-
[112]
Idem, 56, n° 544-46, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 18 décembre 1956.
-
[113]
Idem,, 56, Bousquet à Pineau, Spaak sera-t-il secrétaire général de l’OTAN ?, Bruxelles, 10 décembre 1956.
-
[114]
Idem, 23, n°403, Bousquet à Pineau, non-titré, Bruxelles, 27 avril 1957.
-
[115]
Ibidem.
-
[116]
M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 557.
-
[117]
P. H. SPAAK, Combats inachevés, II, op. cit., p. 171.
-
[118]
Spaak et de Gaulle n’entretiennent pas de rapports harmonieux. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors en exil à Londres, ils étaient en concurrence pour obtenir les bonnes grâces de Churchill. V. DUJARDIN, M. DUMOULIN, P.LPLASMAN, Jean-Charles Snoy/Paul-Henri Spaak, Signataires des Traités de Rome, Le Cri édition, 2007, p. 40.