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Article de revue

La programmation sociale (III)

Pages 1 à 26

Notes

  • [1]
    Une phrase de l’accord du 11 mai y est d’ailleurs consacrée.
  • [2]
    Les revenus plafonnés représentent environ 90 % des rémunérations totales.
  • [3]
    Notons que La Relève du 23 juin 1962 donne comme chiffres de programmation sociale : 1,25 % d’augmentation des charges patronales pour chacune des années 1960, 1961 et 1962 – et pour 1963 : 1,50 %.
  • [4]
    Cette estimation paraît dans le Bulletin hebdomadaire de la F.I.B. mais des récapitulations ont également été publiées par M. Magos dans INDUSTRIE.
  • [5]
    Pour le détail des chiffres, on s’en réfèrera aux documents de la F.I.B. Nous n’avons tenu compte ici que des charges patronales, ce qui est normal et nous nous en sommes tenus au secteur ouvrier.
  • [6]
    Deprimoz, Dupriez, Evalenko, Crespi, etc…
  • [7]
    Voir pour l’IRESP l’ouvrage "Définitions et Méthodes des Statistiques".
  • [8]
    M. De Staercke fera ce jour là la déclaration relative aux avantages réservés aux syndiqués publiée dans le Courrier Hebdomadaire n° 117 du 7 juillet 1961.

I – L’accord du 11 mai 1960 introduit-il une solution de continuité dans la politique sociale de notre pays ?

a – Position du problème

1Dans ce paragraphe, nous entendons politique sociale au sens restreint du mot : c’est-à-dire le total des sommes monétaires mises sous forme directe ou indirecte à la disposition des travailleurs.

2Replacer la programmation sociale dans cette optique soulève de très nombreux problèmes. On ne dispose guère en Belgique d’instruments permettant de mesurer l’aspect quantitatif de la politique sociale. Chacun doit à cet égard forger ses propres mesures. Et toute mesure est à certains égards critiquable.

3Le premier problème est évidemment de mesurer quantitativement l’accord de programmation sociale lui-même. En fonction du contenu de cet accord lui-même, on doit, dans une première hypothèse, considérer que la programmation sociale proprement dite se compose uniquement du double pécule de vacances et du relèvement de la cotisation patronale pour les allocations familiales. Le minimum salarial horaire à 25 frs a fait en effet l’objet d’une recommandation et non d’une décision. Ces deux points constituent les concessions supplémentaires que le patronat a accordées aux travailleurs en échange de la paix sociale. Nous les appellerons "Avantages de la programmation sociale".

4D’autres avantages ont cependant été octroyés. Ils l’auraient été presque certainement sans programmation sociale : il est dit en effet dans l’accord "Tenant compte des dispositions d’ordre social de caractère intervenus ou à intervenir en 1960 (majoration de la cotisation pour les pensions ouvrières, contribution du Fonds des Handicapés, relèvement du plafond de la sécurité sociale, salaire hebdomadaire garanti, fermeture d’entreprises). Nous appellerons ces avantages : "Avantages sociaux intervenus en 1960".

5Enfin, il faut prendre en considération la situation au niveau des différents secteurs.

6Le deuxième problème auquel nous avons à faire face est celui-ci : à quoi faut-il comparer ces différentes catégories d’avantages pour voir s’il y a solution de continuité ou non avec la politique menée précédemment. En fait, la complexité de la vie sociale oblige à prendre plusieurs optiques. Seule, la convergence des résultats sous les diverses optiques permettrait éventuellement une conclusion.

7Les avantages négociés par l’accord du 11 mai 1960 sont des avantages interprofessionnels qui se traduisent dans beaucoup de cas par des pourcentages de charges patronales appliques aux rémunérations. Cette pratique correspond à un aspect de la réalité : les débours du patronat ou les sommes perçues par le salarié sont souvent proportionnels aux salaires. Il n’en va pas nécessairement ainsi dans tous les cas d’avantages indirects : les allocations familiales par exemple.

8D’autre part, l’évolution de ce qu’il est convenu d’appeler les charges patronales ne se fait pas nécessairement proportionnellement à l’évolution des salaires. Par exemple, les charges patronales peuvent passer d’une année à l’autre de 5 % à 6 %, les rémunérations restant fixes ou inversement. Le coût pour le patronat demeure, que le paiement se fasse sous forme de salaires directs ou de charges sociales. Seulement, il n’est pas indifférent pour le patronat ou le syndicat que le revenu progresse de l’une ou l’autre manière. La charge patronale exprimée en % croît lorsque les rémunérations viennent à croître ultérieurement et les lieux où se négocient charges sociales ou salaires directs ne sont pas les mêmes. Les rapports de force qui vont s’établir entre fédérations patronales et F.I.B., centrales professionnelles et confédérations syndicales doivent être replacés dans une perspective sociologique.

9En définitive, on serait forcé de tenir compte et de l’évolution en pourcentages des charges patronales et des sommes brutes qu’elles représentent et de l’évolution des salaires directs. Ces trois éléments devraient être envisagés non seulement isolément mais dans leurs rapports réciproques (part des salaires directs et indirects, etc…) [1]. Ils devraient l’être sous l’optique patronale (coût) et salarial (revenu) ; ils devraient enfin être interprétés en fonction d’un environnement sociologique ou de ce que François Sellier a appelé la stratégie de la lutte sociale.

10Encore une fois, insistons sur le fait qu’il s’agit de l’aspect purement quantitatif de l’évolution des revenus et salaires – coûts – qu’il ne s’agit donc pas de l’aspect qualitatif ni des aspects autres que les revenus, de la politique sociale. L’objet de ce Courrier Hebdomadaire n’est pas de procéder à une analyse exhaustive de la politique sociale en Belgique. Aussi l’examen ci-après a-t-il pour seul objet de fixer quelques points de repères.

b – Possibilités d’évaluation du coût de la programmation sociale

11Au sens restreint de l’expression "Programmation sociale", les avantages découlant de l’accord du 11 mai 1960 sont :

  • le double pécule de vacances ;
  • l’augmentation de la cotisation pour allocations familiales.

12Le double pécule de vacances représente pour chacune des trois années de la programmation sociale (et pour l’année 1963 au surplus) une augmentation de 0,5 %. Quant aux allocations familiales, l’augmentation de la cotisation d’un demi pourcent joue sur les revenus plafonnés [2] à partir de 1961.

13On peut donc considérer que la programmation sociale au sens strict représente comme augmentation des charges patronales les charges suivantes :

tableau im1
Double pécule. Allocations familiales. 1960 0,50 % 1961 0,50 % + 0,50 % 0,45 % 1962 0,50 % + 0,50 % + 0,50 % 0,45 %

14Les autres charges prévues dans l’accord du 11 mai, qui auraient été mises de toute façon au compte du patronat sont les suivantes :

  • Majoration de la cotisation patronale pour les pensions ouvrières : 0,25 %.
  • Fonds des Handicapés (27,5 millions d’après rapport O.N.S.S. 1960) : + 0,02 %.
  • Salaire Hebdomadaire garanti, estimé d’après la F.I.B. à 0,75 %.
  • Fermetures d’entreprises, estimé d’après l’inventaire initial + 35 millions : 0,02 %.
  • Relèvement du plafond de la sécurité sociale, estimé d’après O.N.S.S. 1960 ± 1,1 milliard : ± 1 %.

15La plupart de ces dernières estimations sont très arbitraires ; pour les pensions ouvrières, le pourcentage est évidemment connu ; pour le Fonds des Handicapés comme pour les fermetures d’entreprises, le débours du patronat est connu pour l’année 1960 mais ces charges n’ont été d’application qu’une partie de l’année ; le coût du relèvement du plafond de la Sécurité Sociale a été estimé par l’O.N.S.S, dans son rapport de 1960 mais ce relèvement du plafond incorpore le relèvement par le jeu de l’index de début 1960 et le rapport de l’O.N.S.S. 1960 ne permet pas toutes les ventilations nécessaires. Enfin, les estimations du coût du salaire hebdomadaire garanti sont très arbitraires et elles apparaissent surestimées.

16* * *

17Cette première tentative de chiffrer le coût de la programmation sociale proprement dite est très sommaire [3]. On sait que les organisations patronales et syndicales ont décidé à cet égard de procéder à un bilan pour mieux étayer les discussions relatives à la prochaine programmation sociale. Nul doute que nous aurons alors des chiffres précis. Pour l’objet de notre travail, une telle précision n’est pas nécessaire. En effet, l’essentiel de notre examen consiste à présenter une comparaison avec l’évolution antérieure de la politique sociale. Or, il est bien évident que, pour le passé, on ne possède pas d’inventaire aussi détaillé. Aussi, notre tentative de quantification doit-elle nous servir surtout comme point de repère pour les regards sur le passé que nous allons maintenant jeter.

c – Evaluation dans le temps des charges patronales

18Il n’existe pas en Belgique d’estimations officielles régulièrement publiées de l’évolution des charges patronales. La seule publication systématique dans ce domaine est celle de la F.I.B. [4]

19La F.I.B. publie au moins chaque année et lorsqu’il y a modification, plusieurs fois par an, un document intitulé "L’incidence des charges sociales sur les rémunérations" ; cette incidence est calculée au premier janvier de l’année en cours. L’incidence pour 1962 est celle valable au 1er janvier 1962.

20La F.I.B. précise que ces calculs "tendent à chiffrer la charge moyenne des assurances sociales et des indemnités pour journées non prestées par rapport à la rémunération des prestations effectives au cours d’une année". Si d’un point de vue purement formel, la définition de la F.I.B. est évidemment exacte, notons que d’un point de vue strictement économique, un certain nombre de problèmes se posent : en effet, certaines dépenses du patronat ont comme base de calculs les rémunérations, mais il s’agit souvent là d’une base commode d’appréciation et d’un pays à l’autre, les systèmes de financement diffèrent. C’est ainsi qu’on sait qu’en Grande-Bretagne, la Sécurité sociale est entièrement fiscalisée. Inversement en France, il existe un impôt proportionnel aux salaires. Nous n’avons pas cependant à effectuer ici une analyse économique. Ce qui importe en l’occurrence, c’est que nous ayons une série continue d’estimations comparables dans le temps.

21L’évolution des charges patronales sur les salaires bruts des ouvriers est la suivante d’après la F.I.B. [5]

tableau im2
Charges sociales patronales sur salaires bruts ouvriers (au 1er janvier de l’année.) Années. Pourcentages. Pourcentage d’augmentation d’une année à l’autre. 1945 16,34 1946 22,– – + 5,66 1947 21,23 ? 0,67 1948 25,02 + 3,79
tableau im3
1949 24, – – ? 1,02 1950 24,11 + 0,11 1951 25,38 + 1,27 1952 27,78 + 2,40 1953 26,45 + 0,67 1954 28,84 + 0,39 1955 29,80 + 0,96 1956 29,96 + 0,16 1957 30,90 + 0,94 1958 31,28 + 0,38 1959 31,28 0 1960 31,60 + 0,32 1961 33,80 + 2,20 1962 34,95 + 1,15

22Les chiffres relatifs aux trois dernières années doivent être interprétés. Ceux de 1960 ne tiennent pratiquement pas compte de la programmation sociale. Par contre, les chiffres de 1961 et 1962 tiennent compte d’autres choses que de la programmation sociale en particulier le relèvement du plafond de la sécurité sociale dû à l’index.

23D’autres chiffres auraient cependant dû intervenir : fermetures d’entreprises par exemple que la F.I.B. ne semble pas avoir incorporés.

24Quoi qu’il en soit et à condition de ne s’attacher qu’aux ordres de grandeur, il apparaît bien que la programmation sociale constitue par rapport aux années immédiatement antérieures (1957 à 1960) un très net redressement. Sur une plus longue période cependant, comme la chose se voit mieux sur le graphique qui se trouve à la page suivante, le relèvement est moins sensible et apparaît plus comme une reprise de la tendance à la hausse des charges, telle qu’elle se présente depuis la Libération.

d – Evolution des salaires coûts

25On a dit plus haut qu’il était à certains égards difficile de ne prendre en considération que les pourcentages de charges patronales. Ces charges peuvent en effet demeurer stables en pourcentages et les salaires augmenter ou l’inverse.

26Généralement, on s’efforce donc de déterminer un salaire moyen type, auquel on applique l’indice des charges patronales. C’est ce qu’ont fait de nombreux auteurs [6] et c’est ce que fait encore chaque mois l’institut de Recherches Économiques, Sociales et Politiques de Louvain.

Graphique de l’évolution des charges patronales

figure im4

Graphique de l’évolution des charges patronales

27Avec toutes les réserves d’usage, relatives aux calculs des charges patronales et aux statistiques des salaires, nous avons les données suivantes :

tableau im5
Indice des Salaires coûts. (1953 = 100) 1946 (2ème semestre) 63 1947 70 1948 78 1949 81 1950 84 1951 92 1952 98 1953 100 1954 103 1955 106 1956 114 1957 125 1958 132 1959 135 1960 141 1961 147 1962 (1er trimestre) 151
figure im6

28Sous forme de graphique, l’évolution apparaît aussi assez similaire mais plus régulière que celle enregistrée pour les charges sociales patronales. On prendra garde cependant à ne pas considérer les deux séries retenues comme complémentaires ; le mode de calcul en est assez différent [7].

29Par ailleurs, il s’agit toujours de calculs en termes nominaux et d’une approche assez partielle de la réalité des revenus et des coûts.

30En attendant cependant des estimations plus précises qui ne sauraient être qu’officielles, il apparaît que l’accroissement des coûts salariaux est une constante plus ou moins régulière que n’a pas modifié la programmation sociale. Il n’était d’ailleurs pas dans les intentions des parties de faire autre chose qu’introduire la régularité dans le progrès social.

II – Les conversations paritaires au sommet dans le cadre de la programmation

31Dans le texte même de l’accord du 11 mai 1960, il est prévu que des rencontres régulières auront lieu entre les parties en vue d’étudier et de rechercher en commun la ou les solutions à apporter ou à proposer aux problèmes économiques et sociaux de caractère général et national. Ce principe est d’ailleurs immédiatement appliqué dans l’accord : non seulement des réunions sont prévues pour les modalités d’application de la programmation sociale mais le problème général du régime de la sécurité sociale devra être étudié.

32Les conversations au sommet (selon l’expression devenue usuelle) ont effectivement en lieu à de très nombreuses reprises. Après un examen descriptif des points discutés au cours de ces rencontres, nous confronterons le bilan de ces réunions avec les intentions initiales.

a – Examen des rencontres paritaires nationales

33On peut dans la série de ces rencontres distinguer quatre périodes suivant le thème prédominant des conversations :

  • la première période va pratiquement du 11 mai 1960 à la grève générale de fin décembre 1960 ;
  • la seconde période comporte la grève et les remous qu’elle provoque ;
  • la troisième période qui commence vers le milieu de 1961 est tout entière dominée par la question de la programmation sociale gouvernementale ;
  • Enfin, depuis trois mois, a débuté la phase préliminaire des discussions de la nouvelle programmation sociale.

1ère période : 11 mai 1960 – fin 1960

34Dès le 1er juillet 1960, les "conversations paritaires au sommet" suivant la formule consacrée reprennent.

35L’échange de mises au point aboutit à certaines précisions relatives au double pécule de vacances, à la création d’un groupe de travail pour les allocations familiales et à la fixation d’un ordre du jour des travaux ultérieur.

36Le 24 octobre a lieu une importante réunion plénière.

37Les problèmes abordés sont caractéristiques de cette période de la programmation sociale. Il y est procédé à un tour d’horizon de l’application, au niveau des secteurs, de l’accord du 11 mai 1960, ce qui provoque entre autre la création d’un groupe de travail pour la question du double pécule de vacances. Il y est également abordé l’examen général du régime de la sécurité sociale : la question de la réglementation du chômage est soulevée ; enfin, dans un troisième volet, les partenaires sociaux abordent deux problèmes qui, au cours des négociations préliminaires à l’accord du 11 mai 1960, avaient été soulevés, mais laissés de côte : la question des avantages réservés aux seuls syndiqués et la question de l’égalité des salaires masculins et féminins.

38Le 12 décembre, ce seront les mêmes problèmes qui seront abordés : les rapports des groupes de travail sont remis et les deux problèmes (avantages réservés et égalité des salaires) à nouveau abordés [8].

39Au moment où les grèves de décembre 1960 – janvier 1961 vont éclater, la programmation sociale semble avoir passé un premier stade : certains problèmes sont définitivement résolus (double pécule), d’autres semblent en voie de l’être (allocations familiales), enfin les positions respectives sont clairement établies sur la question des "avantages réservés" et les discussions vont débuter sur la Sécurité sociale.

2ème période : Premier semestre de 1961

40Cette période de la programmation sociale est toute entière dominée par la grève de la loi unique et ses séquelles : après plusieurs déclarations de plus en plus dures, la F.I.B. décide de suspendre l’accord de programmation sociale, c’est-à-dire très concrètement le paiement du double pécule de vacances. Des contacts officieux sont évidemment maintenus ; ils deviendront progressivement connus jusqu’au moment où, officiellement, l’accord se fait sur la reprise de la programmation sociale. Le communiqué publié à l’issue des conversations paritaires du 12 avril 1961 prend acte de cette reprise : le patronat demande des garanties qui seront étudiées lors de séances de travail qui auront lieu au cours des trois mois qui suivent.

3ème période : Deuxième semestre 1961 et début 1962

41L’examen des garanties réclamées par le patronat va faire place à un autre problème : la mise en application par le gouvernement de son programme social. La décision de relever les pensions pose le problème du financement. Au cours d’une série de réunions soit entre partenaires sociaux, soit à trois, c’est-à-dire avec le gouvernement en plus, le problème du financement des pensions, celui des allocations familiales comme le problème des abonnements-ouvriers vont être successivement abordés. Des divergences multiples vont se faire jour entre les différents partenaires mais ce serait dépasser le cadre de ce Courrier que d’en examiner le détail : en matière de financement des pensions, on peut estimer que c’est finalement un compromis entre toutes les parties intéressées qui a prévalu ; par contre, pour les allocations familiales (où les organisations patronales et chaque syndicat avaient des opinions divergentes) comme pour les abonnements ouvriers, c’est la solution gouvernementale qui a prévalu.

4ème période : Deuxième trimestre de 1962

42Les conversations paritaires qui eurent lieu au cours de cette période sont consacrées à la nouvelle programmation : les discussions portent sur le fond (durée, programmation à deux ou trois) et sur le contenu (bilan de la programmation sociale, inventaire des charges déjà certaines, estimation des revendications). Ces discussions sont toujours en cours.

b – Confrontation avec les intentions initiales

43Un des thèmes essentiels de l’accord du 11 mai 1960 était l’établissement de "conversations" régulières au sommet.

44De nombreux passages de l’accord du 11 mai 1960 y sont consacrés. Lorsqu’on examine la description fort rapide que nous venons de faire des conversations au sommet, il apparaît qu’en gros, l’objectif poursuivi a été atteint : au niveau national interprofessionnel, des contacts réguliers ont lieu qui permettent un examen des problèmes pendants entre les organisations professionnelles patronales et syndicales.

45Cet examen se fait d’une manière fort différente de ce qui se passait antérieurement. En effet, les partenaires sociaux fixent de commun accord et d’une manière fort informelle d’ailleurs les sujets de discussion, ils prennent le temps nécessaire pour les étudier sans qu’il y eut contrainte autre que celle résultant de la nature des problèmes.

46Ce qu’on pourrait appeler la normalisation des relations paritaires au sommet est incontestablement une nouveauté : certes, des rencontres plus ou moins officielles ont toujours existe et au niveau des secteurs, cette normalisation est déjà de date fort ancienne.

47À l’époque déjà du 11 mai 1960, la décision relative à ces conversations régulières avait soulevé chez les commentateurs un certain nombre de questions : le Conseil National du Travail et le Conseil Central de l’Économie n’avaient-ils pas été conçus partiellement dans ce sens et, en ce qui concerne le C.N.T., en tout cas, n’avaient-ils pas effectivement fonctionné dans cette optique ?

48D’autant plus que, sur le plan économique, un Comité National d’Expansion Économique qui avait, il est vrai, comme but partiel en tout cas, d’associer directement le gouvernement aux négociations, avait également été créé.

49Ce problème de dédoublement des institutions n’a en fait jamais été tiré au clair : pour certains problèmes plus techniques comme le salaire hebdomadaire garanti, il a été effectivement fait appel au C.N.T., mais c’est à peu près là que se sont arrêtées les choses. Bien plus, certains problèmes, comme la réglementation du chômage, qui avaient été introduits au Comité de gestion de l’O.N.P.C. en ont été retirés pour faire l’objet des délibérations de conversations paritaires au sommet. Si on peut tenter d’esquisser une typologie en ce domaine, il semble qu’on pourrait dire que l’institution des conversations paritaires au sommet répond au désir d’aborder d’une manière non formelle et sur un plan très global, des problèmes dont la portée de "politique" sociale est importante. Le C.N.T. dans cette optique aborderait les problèmes politiquement moins importants où la technicité juridique est plus considérable et où le lien avec le gouvernement est plus immédiat (dans beaucoup de cas d’ailleurs, le C.N.T. répond à une demande d’avis du gouvernement).

50Le troisième problème qu’il faut aborder dans cette optique est la comparaison entre les points soulevés au cours des réunions et ceux qui devaient, d’après l’accord du 11 mai 1960, faire l’objet de délibérations. Furent effectivement abordés les problèmes d’application relatifs au double pécule de vacances, aux allocations familiales et au salaire minimum de 25 frs l’heure. Sur ce dernier point, liberté avait été laissée aux secteurs mais un vœu avait été émis : les parties signataires examinèrent la situation dans les secteurs sans plus. En ce qui concerne les allocations familiales, aucun accord ne put se faire au niveau des conversations paritaires. Pour le double pécule de vacances, les modalités furent déterminées et approuvées au niveau des conversations paritaires.

51L’accord du 11 mai 1960 prévoyait une discussion sur le régime de la Sécurité sociale. Si la question fut à plusieurs reprises abordée, aucune solution sérieuse n’aboutit sauf sur la question de la réglementation du chômage et encore par des voies indirectes et après un délai fort long.

52L’accord prévoyait une procédure de conciliation ; dans certains cas, cette procédure fut parfois appliquée (Mines par exemple).

53D’une manière plus générale, l’accord prévoyait que les problèmes économiques et sociaux généraux pouvaient être abordés. Si aucune discussion ne porta sur les problèmes économiques, nous avons déjà signalé que le problème des avantagés réservés aux syndiqués et de l’égalité des rémunérations masculines et féminines firent l’objet de plusieurs discussions.

54* * *

55Le résultat des conversations au sommet sur une période de deux ans apparaît évidemment peu considérable si l’étalon de la mesure devait être des décisions coulées en bonne et due forme. En fait, il est évident qu’il s’est agi dans la plupart des cas de déblayer le terrain et de préciser les positions des uns et des autres.

56Et puis surtout, il faut bien dire que les remous provoqués par la grève de la loi unique tout comme l’intervention gouvernementale dans la programmation sociale suffirent à remplir de nombreuses séances. Le problème de la programmation à deux ou à trois a trouvé une première solution pour les problèmes de pension, d’allocations familiales et d’abonnement ouvrier. Théoriquement aussi, une sorte de modus-vivendi fait d’informations mutuelles et préalables a été esquissé. On ne voit pas très bien cependant comment on pourrait empêcher les partis politiques d’établir des programmes sociaux et de les réaliser une fois au gouvernement.

III – Constatations finales

57La science socio-politique, particulièrement en ce qui concerne les relations paritaires de notre pays, en est encore à ses débuts. Il est évident que des concepts nous font défaut pour analyser des situations données.

58Il apparaît cependant à l’examen de la première étape de la programmation sociale qu’un certain nombre de points ressortent.

59La tentative d’isoler les relations entre responsables nationaux interprofessionnels patronaux et syndicaux, des autres relations collectives apparaît comme un succès si on considère le seul fait des nombreuses réunions au sommet, la facilité relative avec laquelle les contacts se sont renoues après la grève et le front unique à certains égards en tous cas qui se noua face au gouvernement à propos des pensions. À d’autres égards, cet "isolement" n’a pas résisté ni à la loi unique, ni sur d’autres problèmes de programmation sociale à trois.

60Il est bien évident par ailleurs que la volonté manifestée par le gouvernement de maintenir sa programmation sociale pose aux partenaires sociaux de sérieux problèmes. D’autant plus qu’au sein des différentes organisations patronales et syndicales, de solides oppositions se font jour.

61Enfin, si les accords passés entre partenaires sociaux risquent d’être remis en question par de nouvelles promesses électorales, un dernier problème se pose : l’accroissement des charges sociales patronales semble s’approcher progressivement d’un plafond qu’on ne dépassera sans doute que lentement. Or, on ne sait pas très bien ce que le patronat pourrait accorder en dehors de telles charges pour "s’assurer de la paix sociale". Il est bien évident, en effet, que les syndicats n’accepteront de ne plus poser de nouvelles revendications que s’ils reçoivent certains avantages en échange. Certes, il est d’autres avantages sociaux possibles que ceux consistant en ce qu’on appelle des charges sociales patronales. Mais les dirigeants d’associations professionnelles patronales comme les dirigeants de centrales syndicales s’efforcent de plus en plus de se réserver la marge la plus considérable de négociation salariale. Tout ce qui serait obtenu au niveau interprofessionnel risque d’être considéré comme une "charge sociale patronale".

62Un dernier élément viendrait confirmer cette réflexion : c’est le fait que, pour 1963, les charges déjà prévisibles par le patronat semblent dépasser ce qui a été accordé au cours des années 1960 à 1962.

63Il apparaît vraisemblable que les relations paritaires au sommet se maintiendront comme elles se sont instaurées depuis deux ans. Car de telles rencontres correspondent à un besoin objectif. Mais à moins d’en arriver à une fiscalisation d’une partie de la Sécurité sociale ou de voir le patronat s’engager dans la voie des avantages réservés aux syndiqués ou de réalisations comme une réduction généralisée de la durée du travail, il est vraisemblable que la programmation sociale passera par une période de professionnalisation.

64Pour examiner cette hypothèse, il importe de considérer à présent les divers secteurs. Ce sera l’objet d’un prochain Courrier Hebdomadaire.


Annexe 1

Calendrier des réunions au sommet

tableau im7
1er juillet 1960 : Application de l’accord du 11 mai 1960 et création du groupe de travail "Allocations familiales." 24 octobre 1960 : Application de l’accord du 11 mai 1960 et création du groupe de travail "Double pécule". Réforme de la Sécurité sociale. Question des avantages réservés aux syndiqués. Égalité des rémunérations masculines et féminines. 12 décembre 1960 : Application de l’accord du 11 mai 1960 et rapports des deux groupes de travail. Question des avantages réservés. Égalité des rémunérations. 12 avril 1961 : Accord sur reprise de la programmation sociale. 17 mai 1961 : Garanties à accorder. 12 juillet 1961 : idem. 27 septembre 1961 : Concile social avec Ministre Leburton. 16 octobre 1961 : Problème du financement des pensions. 13 novembre 1961 : idem. 24 novembre 1961 : Démarche auprès du Gouvernement. 15 décembre 1961 : Propositions gouvernementales. 21 décembre 1961 : – – 29 décembre 1961 : – – 4 janvier 1962 : Réunions avec le Gouvernement. 12 janvier 1962 : – – – – 12 janvier 1962 : – – – –
Annexe 2

Communique publié à l’issue des conversations entre représentants patronaux et syndicaux le 12 avril 1961

65

"Les représentants des organisations interprofessionnelles, d’employeurs et de travailleurs, signataires de l’accord de programmation sociale du 11 mai 1960, ayant pris acte de la décision de la F.I.B., intervenue après les grèves de décembre-janvier derniers, de suspendre l’application de cet accord, notamment en ce qui concerne le paiement de l’allocation complémentaire de vacances ;
"Après avoir, à la demande des représentants des organisations syndicales, confronté leurs positions respectives ;
"Sont convenus de reprendre leurs contacts antérieurs aux conditions suivantes :
  1. Les organisations patronales décident de lever pour l’année 1961 la suspension de l’accord de la programmation sociale du 11 mai 1960. En conséquence, elles recommandent le paiement de l’allocation complémentaire de vacances afférente à l’année 1961.
  2. Les organisations syndicales acceptent de rechercher avec les organisations patronales signataires de l’accord les moyens à mettre en œuvre afin d’assurer le respect des conventions conclues entre elles".

Annexe 3

La duperie du dialogue social

(Éditorial de L’Écho de la Bourse, le 11 juin 1961)

66

"Dans le rapport de 125 pages que la Fédération des Industries belges vient de consacrer aux grands problèmes de l’industrie belge" – c’est le titre de ce document –, un bon quart est consacré au "dialogue social" que nos chefs d’entreprise ont institué et entendent poursuivre avec les syndicats ouvriers.
"Ce que nous avons essayé de souligner avec force dans ce chapitre, écrit la F.I.B., c’est la volonté de dialogue, de dialogue constant, de dialogue loyal, de dialogue créateur qui anime le patronat belge dans ses débats avec les organisations syndicales. Cette volonté subsiste au-delà d’une amère déception. Nous avons foi qu’elle triomphera, dans la droite ligne de nos plus belles traditions morales, sur l’animosité la démagogie, le nihilisme".
"L’affirmation de cette volonté de dialogue loyal dans les rangs du patronat belge remonte à vingt ans. La doctrine sociale où elle s’inscrit a pris corps pendant la deuxième guerre mondiale. La F.I.B. le rappelle dans des termes extrêmement chaleureux :
"On ne saurait assez louer la clairvoyance de ceux qui, dans la clandestinité, ont eu la volonté de nouer des relations directes avec des hommes représentatifs du monde du travail pour préparer l’après-guerre sur le plan des rapports sociaux, de la politique salariale, de l’instauration de la sécurité sociale, et de rédiger ce qu’ils appelèrent le Pacte de Solidarité Sociale, dont sont issues les multiples dispositions législatives et réglementaires prises à la libération, notamment l’arrêté-loi de décembre 1944 instituant la sécurité sociale."
"S’orientant dans cette voie, partageant cet état d’esprit, nos chefs d’entreprise ne souscrivaient nullement à une politique de bouleversement économique. Ils gardaient leur adhésion à notre régime d’économie de marché. Ils continuaient de réclamer comme un droit et un devoir la direction de l’effort quotidien de la nation sur le plan industriel et n’en rejetaient aucune responsabilité. Ils avouent et gardent toujours la persuasion qu’ils contribuent de la sorte à la construction d’une société humaine plus riche, plus souple, plus libre, plus humaine en un mot, que celles qui se sont édifiées sur le modèle de la tribu primitive ou de la termitière, sous le couvert d’un égalitarisme trompeur, avec un État-patron tyrannique, avec cet aboutissement tragique : une pseudo-égalité dans une misère quasi générale.
"Le dialogue social est un des instruments indispensables de cette évolution. Comme l’a écrit Roger De Staercke, la compréhension mutuelle vaut mieux que la lutte des classes. Dialogue étendu, par conséquent, dialogue continu, dialogue incessant à tous les degrés parce qu’il faut faire prévaloir partout la doctrine de l’autorité indispensable dans la solidarité de tous les éléments qui créent la Communauté du travail. De là, l’inévitable et sincère reconnaissance du fait syndical. De là, tout le système des assurances sociales. De là, une politique de l’emploi, à peine ébauchée, on le doit regretter. De là aussi, le fameux accord du 11 mai 1960.
"Unique en son genre dans notre pays, et véritablement révolutionnaire, cet accord était issu de contrats directs et privés entre les dirigeants nationaux des organisations patronales et syndicales. Il écartait toute revendication sociale jusqu’au 31 décembre 1961, prévoyait la recherche des solutions à apporter à toute complication nouvelle ; et par conséquent devait assurer jusqu’à cette date la paix sociale.
"On sait ce qui en est advenu. La F.I.B. ne se fait pas d’illusion sur les mobiles dont les promoteurs de la grève de décembre dernier étaient animés :
""En réalité – et personne ne s’en cache d’ailleurs plus – ce ne sont pas les dispositions particulières du projet de la Loi unique qui étaient en cause. Diverses motivations ont certes déterminé l’attitude des leaders qui ont déclenché le mouvement. Mais fondamentalement, n’est-ce pas l’assainissement du régime d’économie d’entreprise qu’ils ont craint et voulu combattre à tout prix ? Ce régime auquel, en dépit du prodigieux progrès humain qu’il a permis en Europe depuis 150 ans, en dépit des améliorations qu’ils s’efforcent eux-mêmes d’y introduire, certains ont voué une haine sans justification intellectuelle ou sans fondement moral mais dogmatique et passionnelle.""
"Quels que soient d’ailleurs ces mobiles, un fait reste évident : cela fait trente pages pour montrer que si l’accord du 11 mai 1960 a été volatilisé, c’est à cause du manque de parole de certains syndicats. Le remède ? Il est nettement proposé dans ces lignes conclusives :
""Le dialogue social saurait-il se dérouler normalement s’il doit se fonder sur l’intuition qu’on peut avoir du tempérament de ses partenaires ? Poser la question, c’est y répondre.
"C’est une des raisons pour lesquelles le rôle et la responsabilité des associations professionnelles dans la vie publique doivent être mieux définis. En particulier, ceux des syndicats. Interlocuteurs de plus en plus consultés et importants des pouvoirs publics, au même titre que les associations de chefs d’entreprise, il conviendrait qu’ils se veuillent davantage des conseiller éclairés, sachant s’élever au-dessus des situations particulières, subordonnant leurs préoccupations à l’intérêt général. Ils devraient donc s’interdire d’étouffer, à fortiori de saboter, l’autorité et l’action du pouvoir légitime.
"Leur rôle n’est pas moins important dans la représentation de ceux qui, a juste titre, recherchent par les voies conventionnelles l’élévation de leur niveau de vie et l’amélioration générale de leurs conditions d’existence. Cela implique, aussi, des responsabilités.
"Responsabilité juridique ensuite : tout accord social digne de ce nom ne peut souffrir d’être exposé aux passions d’agitateurs défiant ceux qui respectent les règles du jeu.
"On a parlé d’imposer la personnalité civile aux syndicats. À tort si c’est dans l’intention d’assurer une sorte d’asphyxie progressive des "adversaires". Mais c’est à tort aussi que les syndicats affichent une peur panique devant les risques patrimoniaux. Une gestion rationnelle permet d’éviter des risques. Il suffit de jeter un coup d’œil par-delà les frontières ; dans de nombreux pays, les organisations syndicales et patronales jouissent en effet de la personnalité civile.
"Mais plutôt que de brandir des slogans ou de manipuler des idées très générales dont on n’a pas toujours examiné toutes les répercussions, mieux vaut sans doute se pencher sereinement sur le problème de la responsabilité des organisations signataires d’accords collectifs.
"Car, au fond, c’est sur le point de l’acceptation du principe de la responsabilité effective, en d’autres mots de la responsabilité juridiquement sanctionnée, qu’il faut se mettre d’accord.""
"On y reviendra toujours. Rien à faire en dehors de la personnalité civile des syndicats, qui entraîne leur responsabilité juridiquement sanctionnée. Tant que ce ne sera pas fait, tout dialogue social risque de n’être jamais qu’une parlote, et tout nouveau contrat de ce genre fera toujours un dupe."

Annexe 4

Communiqué publié à l’issue des Conversations paritaires le 16 octobre 1961

67

"Les conversations paritaires entre les organisations inter-professionnelles des chefs d’entreprises et des travailleurs signataires de l’accord national de programmation sociale du 11 mai 1960, ont repris ce lundi 16 octobre.
"Les représentants de ces organisations ont décidé de continuer l’application intégrale de l’accord de programmation jusqu’à l’expiration de celui-ci, c’est-à-dire jusqu’à fin 1962.
"Ils sont convenus de poursuivre en commun leurs recherches des moyens à mettre en œuvre afin d’assurer le respect des contentions conclues.
"Conformément à la disposition de l’accord national précité qui prévoit que "les parties se reverront dans l’hypothèse où de nouvelles charges de caractère social leur seraient imposées", ils ont eu un échange de vues au sujet de l’incidence des projets sociaux du gouvernement sur l’application de cet accord et ont décidé de se revoir le 13 novembre prochain, après une étude plus approfondie."

Annexe 5

Ordre du Jour du Comité de la C.S.C. le 19 décembre 1961

68

"Le Comité de la Confédération des Syndicats Chrétiens s’est réuni à Bruxelles le 19 décembre 1961, sous la présidence de M. A. Cool.
"Il a pris connaissance des décisions gouvernementales et des propositions concernant :
  1. "L’augmentation des pensions ouvrières à 40.000 frs pour les ménages, 28.000 frs pour les isolés et 24.000 frs pour les veuves et le financement des dépenses supplémentaires qui en résultent, financement que le Gouvernement compte assurer par un relèvement des cotisations de 2 % des salaires au 1.1.1963 et de 1,5 % au 1.1.1964.
  2. "La possibilité d’appliquer à partir du 1.1.1963 une grande politique familiale et démographique par :
    1. la suppression ou le relèvement du plafond en matière de cotisations patronales pour les allocations familiales ;
    2. l’augmentation, dans une mesure appréciable, du montant des subventions budgétaires.
"Le Comité se réjouit de cette augmentation des pensions de vieillesse mais déclare ne pouvoir accepter comme telles les propositions gouvernementales de financement.
"Il considère, en effet, que si la programmation sociale du 11.5.1960 n’est pas mise en danger en 1962, l’augmentation massive et rapide des cotisations pension au 1.1.1963 et au 1.1.1964, soit 3,5 % en un délai de 12 mois, constitue une hypothèque trop lourde qui pèsera sur la prochaine programmation sociale tant interprofessionnelle que professionnelle.
"En outre, cette opération accroîtrait encore le déséquilibre entre l’effort financier consenti dans le domaine des pensions et dans celui du secteur familial.
"Sur base de ces considérations, le Comité donne mandat au bureau de la C.S.C. de poursuivre les pourparlers avec les partenaires sociaux et le Gouvernement.
"Le Comité de la C.S.C. a également entendu rapport des discussions qui eurent lieu au sein du Comité de Gestion de l’Office National de l’Emploi en ce qui concerne les propositions du Ministre de l’Emploi touchant la réforme de la réglementation du chômage et particulièrement l’augmentation dus taux des allocations de chômage à partir du 7 janvier 1962.
"Le Comité rappelle les décisions du Congrès de la C.S.C. de 1960 et rejette la discrimination entre les chômeurs selon la commune où ils habitent.
"Le Comité estime que, comme les bénéficiaires des autres régimes sociaux, les chômeurs involontaires doivent pouvoir prétendre à la même indemnité, quel que soit leur domicile.
Le Comité se réunira à nouveau en janvier 1962."

Annexe 6

Programmation sociale

(Éditorial du Bulletin de la F.I.B. du 10 juin 1962)

69

"S’il est une expression dont on aura abusé, c’est bien celle de "programmation sociale". Elle désigne une tentative faite de très bonne foi par les parties contractantes – en l’occurrence les organisations syndicales et patronales – pour réaliser le progrès social au niveau interprofessionnel et national, dans l’ordre et dans une mesure compatible avec l’évolution économique. Or, depuis un an, cette programmation est devenue une sorte de slogan au nom duquel on justifie tous les aménagements sociaux que l’on entend réaliser successivement sans les inscrire dans un programme délimité.
"Ce qu’on attendait de cet accord sur le plan national, c’était une consolidation de la paix sociale et la création de conditions susceptibles de favoriser les accords collectifs au niveau de la profession en raison de la suppression de l’élément d’incertitude que constituaient les charges nationales.
"Ces résultats devaient être la contrepartie de la reconnaissance par les employeurs de la continuité du progrès social réalisé dans la sérénité et en synchronisme avec le progrès de notre économie, les avantages accordés ayant été calculés en fonction de chiffres et de données économiques fournis par l’expérience et dans une optique prévisionnelle.
* * *
"L’expérience tentée en mai 1960 est-elle concluante et peut-on envisager de la poursuivre ?
"Ceux qui savent que l’auteur de ces lignes a été un des promoteurs de la programmation sociale s’étonneront sans doute de le voir poser cette question.
"Certes, nous nous plaisons à reconnaître que les engagements pris ont été tenus et que les partenaires sociaux ont joué le jeu : les avantages accordés ont été appliqués et traduits dans les faits, tant en ce qui concerne le double pécule de vacances que l’augmentation des allocations familiales ; du côte syndical, il n’a pas été formulé de revendication nouvelle de caractère général pendant la période de programmation.
"Quels sont donc les éléments nouveaux qui nous laissent sceptiques quant à la continuation d’une programmation sociale interprofessionnelle ?
"Notamment qu’un tiers est intervenu. Le gouvernement, soucieux d’exécuter des promesses faites au cours de la campagne électorale et dans la déclaration gouvernementale, a fait voter par le parlement une loi augmentant les pensions ; il se prépare à relever le plafond des rémunérations en matière d’allocations familiales et à réaliser une tape nouvelle et pleine d’aléas dans la voie du salaire garanti. Ces mesures représentent déjà une charge supplémentaire de près de 2 % des salaires pour 1963, et même davantage dans les entreprises occupant de la main-d’œuvre féminine.
"Il y a lieu d’y ajouter encore l’augmentation du prix des abonnements de chemin de fer.
"Si l’on tient compte du fait que l’accord de mai 1960, conclu jusqu’à fin 1962, anticipait sur la période suivante et mettait à charge de 1963 la dernière tranche du double pécule, soit 0,50 % il est clair que la frange qui pouvait être programmée pour 1963/64 en avantages sociaux de caractère général est dépassée.
"Mais en dehors de la question de la charge, il nous heurte qu’une reforme comme celle du salaire hebdomadaire garanti n’ait pu faire l’objet d’une réelle négociation, qui eût permis de serrer de plus près les divers aspects du problème, notamment celui du contrôle nécessaire. Pareille négociation, nous étions prêts à l’aborder avec un esprit ouvert et constructif.
"Ce qui nous heurte aussi et en même temps nous désarme, c’est que les successives initiatives sociales gouvernementales sont baptisées "programmation", alors que la façon dont on a agi est la négation même d’un planning ordonné, réfléchi. Programmer signifie qu’on établisse un ordre et un terme de réalisation. On dit "programmation" mais on continue encore trop le système des paquets successifs au gré des circonstances et des exigences politiques.
"On déclare attacher à cet instrument de paix sociale que constitue l’accord à moyen terme, négocié paritairement, une importance capitale, mais dans les faits, on le méconnaît et on le court-circuite.
"Appelés à coopérer avec les gouvernements successifs, nous savons que la politique a ses servitudes ; nous savons aussi que dans certains milieux, on supporte mal que des groupes d’intérêts, même constructifs, règlent entre eux certains problèmes, car pour ces mêmes milieux le parlement, le gouvernement, c’est-à-dire en pratique les partis, sont seuls habilités à tout régler. Le pouvoir de fait, disent-ils en théoriciens, ne peut empiéter sur le pouvoir de droit.
"On nous a volé notre programmation" me disait quelqu’un. Le mot est un peu fort, mais il dit bien ce qu’il veut dire. Le souci électoral a pris le pas sur le désir des premiers intéressés, travailleurs et employeurs, d’organiser le progrès social suivant des formules pratiques qui visent à éviter crises, heurts, conflits, mais qui n’entendent pas ignorer l’intérêt général.
"Pourtant, combien de fois n’avons-nous pas exprimé au gouvernement notre souci de réaliser la programmation sociale (autant qu’économique) avec son concours, avec sa sanction et, si possible, avec l’adhésion du parlement ? Bien sûr, verbalement et même par écrit des assurances nous ont été données : c’était dans cette voie qu’on entendait s’engager mais les faits sont là, qui montrent que politiquement la chose est loin d’être réalisée.
"Dès lors, comment peut-on imaginer que nous recommandions aux industriels de poursuivre dans la voie d’une programmation qui n’en est pas une, qui consiste en fin de compte a s’engager pour plusieurs années en prenant le risque d’une conjoncture défavorable, sans garanties valables, puisqu’aussi bien le gouvernement et le parlement peuvent à tout moment rompre l’équilibre ?
* * *
"Nous aurions mauvaise grâce à blâmer nos partenaires syndicaux. Comment pouvaient-ils refuser ce qui leur est offert en dehors de la programmation ? Nous devons même marquer notre appréciation pour la maturité dont ils ont fait preuve en acceptant de négocier le problème des pensions, ce qui a amené le gouvernement à étaler la charge, sans rien retrancher d’essentiel aux avantages promis et en assurant au maximum la stabilité du régime financier de ce secteur. Au prix, bien sûr, d’un pré-financement insolite et d’une orthodoxie douteuse. Il n’empêche qu’en l’occurrence, le gouvernement a fait un effort pour obtenir du parlement que les résultats des pourparlers – à trois, cette fois – soient acceptés, jusqu’à poser la question de confiance.
"Pour le salaire hebdomadaire garanti, aucune négociation sérieuse n’a été possible. Les dirigeants syndicaux ont bien déclaré en présence de quatre membres du gouvernement qu’ils acceptaient que l’on "tienne compte" de charges que comporte ce projet. Mais alors, à quoi bon une programmation, si elle ne sert qu’à "tenir compte" ?
"Un de nos partenaires syndicaux exprimait l’avis que les patrons étaient "fatigués" d’un régime de programmation. Ce n’est pas exact. L’avènement de ce régime avait éveillé des espoirs, plus particulièrement chez les plus progressistes d’entre eux. Mais ce qui est vrai, c’est que l’observateur le moins averti a pu constater que la programmation, sans l’adhésion, sans la sanction du gouvernement et même sans un certain engagement de la part des partis politiques est un leurre.
"Les industriels sont et doivent être réalistes. Le leur a-t-on assez dit ? Ils restent prêts à négocier, à participer à un accord qui doit contribuer à maintenir la paix sociale, mais ils ne s’engageront pas sans avoir reçu les garanties nécessaires quant au respect du planning établi.
"Ces garanties, nos partenaires syndicaux ne sont pas seuls à devoir nous les donner. Elles constituent aussi une obligation pour les autorités publiques.
* * *
"Nous avons pris en 1960, sous la conduite de Léon Bekaert, de grandes responsabilités dans la politique sociale menée dans ce pays au cours des dernières années. Nous ne pouvons partager celles que le gouvernement vient de prendre. Il nous faudra des assurances précises quant au contenu et au terme du planning social gouvernemental pour que nous acceptions de poursuivre dans une voie que nous persistons à considérer comme la plus constructive, la lus raisonnable et la plus efficace. Nous disons bien "gouvernemental". Cela veut dire le planning social du gouvernement tout entier, et non pas celui de tel ou tel ministre.
"Nous nous trouvons à la croisée des chemins… Il y a un choix précis et conscient à faire.
Roger DE STAERKE."

Notes

  • [1]
    Une phrase de l’accord du 11 mai y est d’ailleurs consacrée.
  • [2]
    Les revenus plafonnés représentent environ 90 % des rémunérations totales.
  • [3]
    Notons que La Relève du 23 juin 1962 donne comme chiffres de programmation sociale : 1,25 % d’augmentation des charges patronales pour chacune des années 1960, 1961 et 1962 – et pour 1963 : 1,50 %.
  • [4]
    Cette estimation paraît dans le Bulletin hebdomadaire de la F.I.B. mais des récapitulations ont également été publiées par M. Magos dans INDUSTRIE.
  • [5]
    Pour le détail des chiffres, on s’en réfèrera aux documents de la F.I.B. Nous n’avons tenu compte ici que des charges patronales, ce qui est normal et nous nous en sommes tenus au secteur ouvrier.
  • [6]
    Deprimoz, Dupriez, Evalenko, Crespi, etc…
  • [7]
    Voir pour l’IRESP l’ouvrage "Définitions et Méthodes des Statistiques".
  • [8]
    M. De Staercke fera ce jour là la déclaration relative aux avantages réservés aux syndiqués publiée dans le Courrier Hebdomadaire n° 117 du 7 juillet 1961.
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