Notes
-
[1]
B. Rihoux, S. Walgrave, L’année blanche. Un million de citoyens blancs. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?, Coll. Petite bibliothèque de la citoyenneté, EVO, Bruxelles, 1997, 159 pages. Cet ouvrage analyse particulièrement l’évolution des mobilisations collectives d’août 1996 à juin 1997, mais aussi la genèse et le développement des “comités blancs”.
-
[2]
Apparenté, par certaines de ses caractéristiques, aux « nouveaux mouvements sociaux ». Ce terme est souvent utilisé dans la littérature sociologique pour désigner une grande diversité de mouvements ayant vu le jour ou s’étant réactivés à partir des années 1960-1970 sur des thèmes comme l’environnement, le féminisme, l’énergie nucléaire, la consommation, le tiers-monde, le pacifisme, etc. Pour quelques orientations bibliographiques, cf. B. Rihoux, « Mobilisations de parents de victimes, marche blanche et comités blancs : à la recherche d’un “nouveau mouvement social” » in N. Burnay, P. Lannoy, L. Panafit, (eds), La société indicible. La Belgique entre émotions, silences et paroles, Luc Pire, Bruxelles, 1997, pp. 65-80.
-
[3]
B. Rihoux, op. cit., 1997.
-
[4]
S. Walgrave, « De “Connerotte-volkswoede”. De geboorte van een nieuwe sociale beweging ? », Samenleving en Politiek, vol. 3, n°9, 1996, pp. 4-14 ; B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[5]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[6]
Ce qui ne signifie bien sûr pas que ces acteurs ne reçoivent aucun écho en Flandre ou ne s’y soient pas impliqués.
-
[7]
259.445 plus précisément (Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.4.)
-
[8]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[9]
Ibidem.
-
[10]
Ibidem.
-
[11]
Il s’agit déjà de J.-L. Dehaene (gouvernement Dehaene I). Marc et Corine magazine, n° spécial, avril 1997, p.1.
-
[12]
Annexe au Moniteur Belge, 4 février 1993, p. 698.
-
[13]
Ibidem.
-
[14]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[15]
Ibidem.
-
[16]
Ibidem.
-
[17]
Ibidem.
-
[18]
Et dont le père deviendra une cheville ouvrière de l’asbl (cf. infra).
-
[19]
En association avec Marie-Noëlle Bouzet, la mère d’Elisabeth Brichet, disparue en décembre 1989.
-
[20]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[21]
Annexe au Moniteur Belge, 1er mars 1995, p. 1925.
-
[22]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[23]
Marc et Corine Magazine, n° spécial, avril 1997, p.2.
-
[24]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[25]
Annexe au Moniteur Belge, 1er mars 1995, p. 1925.
-
[26]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[27]
Ibidem.
-
[28]
Chiffre cité par Jean-Pierre Malmendier, interview par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[29]
Ibidem.
-
[30]
Ibidem.
-
[31]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, pp.10-11.
-
[32]
Chiffre fin 1997.
-
[33]
Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.3.
-
[34]
Plus de 100.000 avis de recherche ont été distribués dans ce cadre, en Belgique comme à l’étranger.
-
[35]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[36]
Les informations ci-dessous sont actualisées au début 1998.
-
[37]
200 FB de soutien pour les membres ayant des enfants.
-
[38]
214 FB de soutien pour les membres ayant des enfants.
-
[39]
Chiffres exacts au 17 novembre 1997 : 3.146 membres adhérents et 1.274 membres volontaires, soit un total de 4.420 membres (données du secrétariat central de l’asbl).
-
[40]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[41]
L’abolition de la peine de mort a été récemment supprimée du texte de la charte, cette clause soulevant des difficultés dans la collaboration avec des associations-sœurs étrangères.
-
[42]
Marc et Corine Magazine, n°4, septembre 1996, p.2.
-
[43]
Marc et Corine Magazine, n° spécial, avril 1997, p.2.
-
[44]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, p.1, p.6. Ce chiffre inclut les campagnes locales (affiches ou affichettes).
-
[45]
Chiffre fourni par le secrétariat de l’asbl.
-
[46]
Les résolutions heureuses de cas de fugues sont le plus souvent moins médiatisées, pour d’évidentes raisons de protection de la vie privée et afin de faciliter la réinsertion du fugueur ou de la fugueuse.
-
[47]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[48]
Ibidem.
-
[49]
Pour un rappel des faits moins centré sur les parents Russo et Lejeune, et également pour une analyse détaillée des mobilisations « blanches », cfr. B. Rihoux, S. Walgrave., op. cit., 1997.
-
[50]
Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.3.
-
[51]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[52]
Futur initiateur du Comité de soutien des parents de Julie et Mélissa et cheville ouvrière des comités blancs (cf. infra.)
-
[53]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[54]
Ibidem.
-
[55]
Ibidem.
-
[56]
Ibidem.
-
[57]
Deux jours plus tard, un second slogan s’en prenant également à l’ancien ministre de la Justice est affiché sur un pont surplombant l’autoroute à proximité de leur domicile.
-
[58]
Sans compter les messages parvenus sur le site Internet créé pour soutenir les recherches des parents.
-
[59]
Ibidem. Ce chiffre constitue une estimation, la quantité étant telle qu’aucun comptage précis n’a été effectué. Il ne représente en outre qu’une portion du total du courrier reçu par les Russo et les Lejeune sur l’ensemble de la période (ils en ont reçu en grande quantité dès le mois de juin 1995).
-
[60]
Futur initiateur d’un comité blanc à La Panne. Son initiative sera prolongée par les parents eux-mêmes.
-
[61]
Émission lors de laquelle le procureur du roi, Bourlet lance son “si on me laisse faire?.
-
[62]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[63]
De par sa participation à un souper-spaghetti à Bertrix le 21 septembre, en présence de Laetitia Delhez et de Sabine Dardenne.
-
[64]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[65]
Pour une analyse de cette semaine, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 71-76.
-
[66]
Pour une analyse de cette vague de mobilisation, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 17-40.
-
[67]
Cf. également B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 81-83.
-
[68]
Le détail de la genèse et du développement des comités blancs a été largement documenté dans B. Rihoux, op. cit., 1997 ; B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 25-36, 43-47, 50-54.
-
[69]
Pour une analyse quantitative du développement des comités blancs, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 40-47.
-
[70]
Le « contre-feu » des institutions et des acteurs établis face à la menace posée par de nouveaux acteurs.
-
[71]
Le terme « acteur » étant pris ici au sens d’« individu ».
-
[72]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[73]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[74]
Ibidem.
-
[75]
La Wallonie, 18 juillet 1996.
-
[76]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[77]
Ibidem.
-
[78]
Ibidem.
-
[79]
Marc et Corine Magazine, n°2, janvier 1996, p.2.
-
[80]
Ibidem.
-
[81]
Ibidem.
-
[82]
Termes recueillis lors d’entretiens.
-
[83]
Pour quelques précisions méthodologiques concernant cette enquête, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 155-157.
-
[84]
Le taux de réponse est de l’ordre de 30 % pour les militants des comités blancs et de 20 % pour les membres de l’asbl. Dans les deux cas, nous avons uniquement ciblé le noyau restreint des membres les plus actifs, et avons obtenu des réponses bien réparties sur l’ensemble de la zone géographique concernée, dans la même période (entre mai et août 1997).
-
[85]
Dans ce tableau ainsi que dans les suivants, les pourcentages sont arrondis à l’unité. Il en résulte que le total des pourcentages en colonne n’est pas nécessairement égal à 100 %.
-
[86]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp.55-69.
-
[87]
En clair : une proportion de membres des comités blancs (la tranche 18-25 ans essentiellement) est encore, dans la plupart des cas trop jeune pour avoir un ou des enfant(s).
-
[88]
Pour davantage de précisions sur cet aspect, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp.55-69.
-
[89]
L’enquête a été menée avant l’annonce de la création du PNP par Paul Marchal.
-
[90]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 105-109.
-
[91]
Ibidem, pp. 117-119.
-
[92]
Marc et Corine Magazine, n°9, avril 1996, p.9.
-
[93]
Extrait de la charte de l’asbl Marc et Corine (cf. annexe 1).
-
[94]
Les ministres De Clerck et Ylieff.
-
[95]
Marc et Corine Magazine, n°5, février 1997, p.3.
-
[96]
Pour plus de détails sur la nature des comités blancs, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[97]
Ibidem, pp. 25-26.
-
[98]
Charte des comités blancs et du réseau d’attention et de solidarité, décembre 1996, p.1.
-
[99]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 135-138.
-
[100]
Jusqu’à ce jour, les comités blancs n’ont pas pris de forme juridique particulière, même si une asbl « technique » a été constituée fin 1997.
-
[101]
Dans ces deux derniers paragraphes, nous faisons référence à une typologie des mouvements sociaux élaborée par H. Kriesi et al., New social movements in Western Europe. A comparative analysis, UCL Press, London, 1995, pp. 83-87.
-
[102]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[103]
Extrait du texte de la conférence de presse du 13 septembre 1996.
-
[104]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[105]
Notre traduction.
-
[106]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[107]
Pour une discussion plus détaillée de cet aspect, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 140-141.
-
[108]
Ce qui constitue d’ailleurs une caractéristique importante de la militance dans les “nouveaux mouvements sociaux? : B. Rihoux, M. Molitor, « Les nouveaux mouvements sociaux en Belgique francophone : l’unité dans la diversité ? », Recherches Sociologiques, vol. 8, n°1, 1997, pp. 59-78. Pour une analyse des résultats de notre enquête sur ce point, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 96-103.
-
[109]
Par exemple, ce dernier s’engage pleinement dans un Centre dont l’initiative première revient au gouvernement, mais n’hésite pas à réclamer la démission du gouvernement suite au dépôt du second rapport de la commission parlementaire d’enquête Dutroux, Nihoul et consorts en février 1998.
-
[110]
S. Walgrave, B. Rihoux, « De witte golf. Enkele witte en enkele sociologische lessen » (titre provisoire), Sociologische Gids, 1998 (à paraître).
-
[111]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[112]
D’après le texte de la charte (document non publié, 24 mai 1997, 21 pp.), pp. 1-2. Toutes les citations des paragraphes qui suivent sont issues de ce même document.
-
[113]
Le NCMEC a été créé en 1984. Il a traité près de 60.000 cas de disparitions d’enfants depuis lors. Des missions d’information ont d’ailleurs été menées aux États-Unis, en priorité, à la grande irritation des responsables de l’asbl Marc et Corine.
-
[114]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, p.6.
-
[115]
Et par ailleurs président d’honneur de la BBL.
-
[116]
Le Soir, 11 décembre 1997.
-
[117]
À cet égard, il n’est pas anodin de relever que l’asbl Marc et Corine n’a finalement pas pu bénéficier d’un subside européen qu’elle escomptait pourtant
-
[118]
Pour une discussion plus approfondie de ce point, cf. S. Walgrave, B. Rihoux, op. cit., 1998.
-
[119]
Influence « mesurable », sur des décisions concrètes.
-
[120]
Cf. par exemple, au sujet du cas flamand : S. Walgrave, Tussen loyauteit en selectiviteit. Over de ambivalente verhouding tussen sociale bewegingen en groene partij in Vlaanderen, Garant, Leuven, 1995, pp. 241-257.
-
[121]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 135-137.
Introduction
1Depuis le mois d’août 1996, avec le déclenchement de l’affaire Dutroux et consorts, la Belgique est le théâtre de mobilisations d’une ampleur et d’un nombre jamais vus. Une crise de confiance nettement plus profonde que durant les années précédentes s’est développée entre les citoyens et de nombreuses institutions. Depuis l’été 1996, l’on a également assisté à des rebondissements multiples en relation avec des affaires d’enlèvements d’enfants, de pédophilie ou de maltraitance. Il s’est passé peu de semaines se sont passées sans qu’un développement ou une hypothèse ne fasse la une des médias. Développements et hypothèses qui sont depuis des mois au cœur des conversations quotidiennes, dans un contexte marqué par l’émotion, certes légitime, vu la nature des affaires en question.
2Au moment, donc, où les affaires de disparition d’enfants et de pédophilie continuent de défrayer la chronique dans le pays, comment s’engager dans une démarche de recherche politologique ou sociologique de ces phénomènes ? Malgré le temps écoulé depuis les événements d’août 1996 et des mois qui ont suivi, la difficulté de maintenir le recul nécessaire demeure grande à cause de la charge émotive qui leur reste attachée. De plus, les dossiers et les enjeux soulevés restent d’actualité, notamment parce que les procès n’ont pas encore eu lieu et que différentes investigations (instruction judiciaire, mais aussi commission parlementaire) sont encore en cours.
3L’objet du présent Courrier hebdomadaire est l’analyse des nouveaux acteurs qui ont émergé sur la scène publique à l’occasion de ces affaires.
4C’est donc au niveau de ces acteurs individuels ou collectifs que l’on se placera, dans le prolongement d’une publication précédente [1]. Non pas que l’analyse des réformes du système judiciaire ou des enquêtes en cours soient inintéressantes, mais parce que ces réformes et enquêtes n’auraient pas été possibles sans l’émergence de nouveaux acteurs défiant le système politico-institutionnel. D’autre part, pour mieux comprendre les enjeux qui traversent le pays depuis près de deux années, il importe de mieux identifier les logiques de construction et d’évolution de ces différents acteurs.
5Ces acteurs sont nombreux et se sont affirmés avec plus ou moins de vigueur. La plupart sont apparus au cours des années 1990, voire plus récemment dans le fil des événements de 1995-1996. Parmi les acteurs collectifs, l’on peut citer :
- les associations flamandes Ouders van een vermoord kind – OVK, créée en 1993 par les parents de Joris Viville, et Hulpfonds voor Vermiste en Ontvoerde Kinderen – HOVK, créée dès 1991 à l’initiative de Eric Gijsbregts, le père de Nathalie Gijsbregts ;
- l’asbl Marc et Corine, créée par Jean-Pierre Malmendier (le père de Corine Malmendier) et François Kistemann (le père de Marc Kistemann) en 1992 ;
- l’asbl Opérations Marie-France Botte créée en 1995 ;
- les « comités blancs » lancés en décembre 1996.
6Au fil des événements, des acteurs individuels se sont également affirmés, et, en premier lieu, des parents d’enfants disparus et/ou assassinés, plus médiatisés comme les Russo et les Lejeune, Marie-Noëlle Bouzet (la mère d’Elisabeth Brichet), Paul Marchal, les Benaïssa, Tiny Mast (la mère de Kim et de Ken Heyrman) ou moins médiatisés dans de nombreux autres cas. Dans la très grande majorité des cas, des groupements de fait se sont formés autour de chaque parent ou famille. Parfois, ces groupements ont pris la forme d’asbl, telle l’asbl Julie et Mélissa N’oubliez pas ! autour des parents Russo-Lejeune, mais également autour de Marie-Noëlle Bouzet, des Marchal (Het Huis van An), …
7Outre ces nouveaux acteurs ayant acquis une visibilité plus importante, il existe également dans le pays de nombreuses associations plus ou moins développées, à caractère national ou plus local, et qui se centrent sur les problèmes de l’enfance, de la maltraitance et de la pédophilie : les associations Parents-Secours, SOS Enfants, Écoute Enfants, Missing Children International Network, SOS Inceste Belgique, SOS Enfants-Parents, Fondation Nathalie, Ajade, Enfance Maltraitée, Enfance en Danger, etc. S’y ajoutent d’autres acteurs préexistants mais qui, de par leurs préoccupations, se sont particulièrement préoccupés de ces enjeux : la Ligue des Familles, la Ligue des Droits de l’Homme, le CRASC, etc. À un autre niveau, il faut également citer différents acteurs de la sphère publique qui sont intervenus également de manière active et qui, le cas échéant, sont également porteurs de revendications : l’ONE, les Services d’Aide à la Jeunesse, la Délégation générale aux droits de l’enfant et de la jeunesse, …
8Nous pensons qu’il commence à être possible de dresser un premier bilan du développement, souvent difficile, de ces nouveaux acteurs, et ce d’autant plus que beaucoup d’entre eux semblent se situer au terme d’un cycle de développement, où différentes voies s’ouvrent à eux dans un climat marqué à la fois par la déception et l’incertitude : en témoigne la récente création du Partij voor Nieuwe Politiek – PNP par Paul Marchal.
9Dès le début de l’année 1997, nous nous sommes interrogés sur la nature même des mobilisations nombreuses et massives qui ont débuté à partir de la mi-août 1996. Nous avons formulé l’« hypothèse temporairement et partiellement vérifiée » qu’un mouvement social original [2], dont les contours n’apparaissaient pas encore clairement, était en train de voir le jour [3].
10D’autre part, nous nous sommes interrogés sur les ressorts de ces mobilisations. Dans ce contexte, nous avons lancé des pistes d’analyse relatives à la « politisation de l’émotion » : comment un enjeu situé au départ dans la sphère privée est-il progressivement devenu un enjeu social, puis politique : enjeu de débat politique, de modifications substantielles de politiques publiques, de conflits politiques ? Nous avons identifié deux éléments explicatifs centraux : les caractéristiques des parents de victimes et le contenu qu’ils ont donné à leurs revendications, et la manière particulièrement active dont les médias se sont positionnés par rapport aux événements [4].
11D’une recherche empirique plus approfondie, il ressort que les mobilisations « blanches », bien au-delà de la marche blanche du 20 octobre 1996, constituent la vague de mobilisation la plus massive qu’ait connu le pays depuis 1945. Du portrait des participants aux marches blanches locales et des militants des comités blancs, il ressort que les comités blancs constituent un mouvement social original à plusieurs point de vue, tant en termes de composition sociologique (par exemple l’importance de la composante féminine) qu’en termes d’attitudes et d’opinion (par exemple la grande diversité des motivations individuelles). Tout en constatant l’originalité des comités blancs et en infirmant plusieurs stéréotypes négatifs émis à leur encontre, nous nous sommes néanmoins interrogés sur le devenir de ce mouvement social émergent. Celui-ci ne semblait en mesure ni de se structurer davantage ni de clarifier ses objectifs à court terme, dans un contexte marqué par le caractère démesuré et empressé des attentes de la population et par l’absence de canaux de communication structurés entre les décideurs politiques et le mouvement social émergent [5].
12Pour tenter de comprendre comment des enjeux tels la pédophilie ou la maltraitance d’enfants ont pu si rapidement devenir un enjeu social et franchir le seuil de la politisation, il convient d’élargir l’analyse au-delà des comités blancs. D’autre part, le recul temporel semble aujourd’hui suffisant pour tenter de clarifier l’interaction, l’évolution des relations entre les différents acteurs d’apparition plus récente. Car la situation actuelle et les développements futurs seront également fort conditionnés par la manière dont ces différents acteurs ont interagi, sur le mode de la coopération ou du conflit.
13Nous nous centrerons sur trois acteurs qui, de facto mais aussi aux yeux de l’opinion et des médias, constituent trois pôles clairement identifiables et ont en outre joué un rôle particulièrement en vue dans le sillage de l’affaire Dutroux et consorts : l’asbl Marc et Corine, les comités blancs, les parents Russo et Lejeune.
14Le choix a donc été d’identifier quelques acteurs qui apparaissent comme particulièrement importants dans la mesure où ils ont joué un rôle moteur, de retracer leur trajectoire en tentant de mettre en évidence les moments-clés de leur évolution et de leur transformation. Un accent tout particulier sera placé sur les conditions de la genèse de ces acteurs. On mettra également en lumière les circonstances dans lesquelles les acteurs individuels ou collectifs sont apparus et se sont développés, les problèmes qu’ils ont rencontrés, les facteurs favorables ou défavorables de leur développement, les soutiens dont ils ont bénéficié, les relations de conflits ou de collaboration qu’ils ont entretenues, l’évolution de ces relations, etc.
15L’analyse sera surtout centrée sur la partie francophone du pays. De fait, le « centre de gravité » des trois acteurs concernés est situé dans le Sud du pays [6]. Elle sera basée sur trois types de données : la presse (écrite, pour l’essentiel) ; des interviews et des rencontres que nous avons personnellement suscitées avec plusieurs acteurs et témoins privilégiés ; et enfin une enquête menée auprès des militants des comités blancs et des membres de l’asbl Marc et Corine.
Les trajectoires de développement des acteurs
L’asbl « Marc et Corine »
16En Belgique francophone, la première association de parents à s’être organisée dans la durée est l’asbl Marc et Corine. Du côté néerlandophone, un groupe se constitue dès novembre 1989 à l’initiative des parents de Joris Viville, Jos et Magda Viville. Ce groupe se constitue en asbl (Ouders van een vermoord kind – OVK) en 1993. Il s’agit pour l’essentiel d’un groupe d’entraide (self-help group), d’un rassemblement de parents dont les enfants ont été assassinés et qui se soutiennent mutuellement. Cette association est peu porteuse de revendications politiques. L’asbl Marc et Corine – et Jean-Pierre Malmendier en particulier – conservera toujours de bons rapports avec cette association, dont elle relayera et étoffera d’ailleurs la réflexion en matière de droit des victimes. Par ailleurs, l’association Hulpfonds voor vermiste en ontvoerde kinderen – HOVK est également créée dès 1991 à l’initiative de Éric Gijsbregts, le père de Nathalie Gijsbregts, disparue depuis février 1991. Cette association est, en termes d’objectifs, d’activités et de revendications, plus comparable à l’asbl Marc et Corine, mais elle n’a pas connu un développement matériel et logistique aussi rapide.
La création de l’asbl
17L’événement initial qui mènera à la création d’une asbl est l’enlèvement et l’assassinat de Corine Malmendier et de Marc Kistemann par deux malfrats en congé pénitentiaire (Thierry Bourgard) et en liberté conditionnelle (Thierry Muselle) à la mi-juillet 1992. Lors des funérailles des deux jeunes gens, le 25 juillet 1992, les parents Kistemann et Malmendier prononcent un discours dans lequel, outre leur révolte, ils expriment leur insatisfaction devant le fonctionnement des institutions politiques et judiciaires : « (…) Nos institutions ne vont-elles pas (…) à la dérive à cause de notre indifférence ? Ne sommes-nous pas aussi impliqués dans la responsabilité que nous devions assumer avec nos responsables sociaux ? (…) N’avons-nous pas élu nos [représentants] pour qu’ils nous garantissent, entre autres, notre sécurité et celle de nos enfants ? » Ils annoncent également leur volonté d’entamer une action dans la durée afin de modifier structurellement la manière dont les enlèvements et disparitions d’enfants et d’adolescents sont gérés dans le pays : « (…) Seule une solidarité commune parviendra à modifier favorablement les règles de notre démocratie (…). Pour assumer cette démocratie, notre société devra incontestablement se doter d’un système performant, devant pouvoir éviter à tout prix ce genre de drame qui nous réunit aujourd’hui. (…) Notre vœu le plus cher est d’entamer une action de longue durée. »
18Le même jour, également, les deux pères lancent une pétition réclamant la modification de la législation en matière de remise en liberté de condamnés dangereux, ainsi qu’un appel aux idées et initiatives qui rejoindraient leur démarche. En quelques mois, malgré des moyens logistiques fort limités, la pétition recueille un vif succès : 260.000 signatures [7]. De l’aveu même de Jean-Pierre Malmendier, « (…) Nous avons été surpris nous-mêmes par le succès de la pétition (…). Cela a évidemment éveillé un grand espoir. On s’est dit “bon, le public appuie notre revendication?, qui était loin d’être extrémiste, qui était simplement de dire : changeons les lois pour qu’on ne prenne plus le risque de remettre des individus dangereux dans le public, dans la société. » [8]
19François Kistemann et Jean-Pierre Malmendier constituent rapidement un comité autour d’eux, composé essentiellement de proches. Ils prennent également différents contacts. À la suite d’une rencontre avec le ministre Lebrun (qui, à l’époque, exerce les compétences de l’aide aux victimes en Communauté française de Belgique), ils décident de créer une asbl. Ce contact se produit par l’intermédiaire de Joëlle Milquet, alors attachée au cabinet du ministre. En substance, le ministre leur suggère de se constituer en asbl : « (…) [le ministre Lebrun] voyait en nous une possibilité d’aide aux victimes dans le cadre du soutien aux parents et dans le cadre de l’aide à la jeunesse par les recherches d’enfants, où (…) il n’y avait encore rien de vraiment concret. Le projet de créer une organisation [via les services publics] existait, mais il n’y avait encore rien de vraiment concret » [9]. La création d’une asbl est donc encouragée à titre de projet pilote.
20À partir d’août 1992, le comité actif autour de François Kistemann et Jean-Pierre Malmendier a pour point de ralliement le domicile de ce dernier à Liège. Les deux pères conviennent d’une répartition des tâches. François Kistemann conservant une activité professionnelle fort prenante, Jean-Pierre Malmendier constituera la « cheville ouvrière » de leurs projets, en concertation constante avec François Kistemann. C’est ainsi qu’ils conviennent d’un mode de travail qui sera mis en pratique dès lors que l’asbl sera constituée : « (…) M. Kistemann et moi, on se voyait régulièrement, et il était convenu entre nous que lui aurait la présidence de l’asbl et que je serais plutôt la cheville ouvrière, avec un titre de vice-président, pour quand même marquer la place que j’avais (…) dans l’asbl. C’était donc moi qui allais agir, et, du fait que lui était président, on avait trouvé un moyen d’avancer ensemble : moi je ne pouvais rien faire sans son accord, et vice-versa. Lorsqu’un de nous est en désaccord sur ce qu’on va faire, on ne le fait pas (…), on ne dépasse pas la volonté de l’autre. » [10]
21Dès le 4 octobre 1992, en compagnie d’autres parents et de l’association OVK, ils organisent ensemble une marche pour « une justice plus ferme » à Bruxelles. Bien qu’elle rassemble un millier de participants, elle est peu répercutée dans les médias. En parallèle, ils envoient un courrier individuel à l’ensemble des sénateurs et députés nationaux en leur demandant de prendre position par rapport aux revendications de la pétition. Environ un tiers des parlementaires leur répondront, tandis qu’ils ne recevront aucun écho du Premier ministre [11].
22L’asbl Marc et Corine est formellement constituée le 14 décembre 1992, dans la foulée du dépôt de la pétition lancée en juillet, par Jean-Pierre Malmendier et François Kistemann auxquels se joignent quelques proches et connaissances.
23Elle se fixe trois objectifs : tout d’abord « d’œuvrer afin qu’aboutisse une meilleure prise en charge de la délinquance ainsi qu’un aboutissement de proposition de loi modifiant les dispositions législatives permettant à certains condamnés dangereux de bénéficier de congés pénitentiaires ou d’une mise en liberté conditionnelle », ensuite « de collaborer avec les pouvoirs publics à la recherche d’enfants disparus », et enfin « de fournir aide et assistance, dans le respect de leurs opinions religieuses, philosophiques et politiques : 1. aux parents d’enfants disparus et assassinés ; 2. aux enfants de parents assassinés » [12].
24On retrouve donc déjà énoncées les principales préoccupations de l’asbl, dont la deuxième – la recherche d’enfants disparus – acquerra la plus grande visibilité par la suite. Cette recherche d’enfants disparus a particulièrement sensibilisé les fondateurs de l’asbl, qui réprouvaient l’attitude adoptée par les autorités en cas de disparitions de mineurs, et en particulier d’adolescents : dans ces cas, il était de pratique courante de rester en position d’attente durant un ou deux jours, dans la mesure où il s’agissait le plus souvent de fugues. Cette pratique avait particulièrement choqué Jean-Pierre Malmendier et François Kistemann, dans le cadre de la disparition et du meurtre de leurs enfants. On note également le souci de collaboration avec les autorités et les forces de l’ordre, présent dès la création de l’asbl.
25Dès le départ, l’association se dote d’une structure assez élaborée et pyramidale, empreinte à la fois de pragmatisme et de prudence stratégique. Un conseil d’administration est composé de quatre personnes : François Kistemann (président), Jean-Pierre Malmendier (vice-président), ainsi qu’un secrétaire et un trésorier. Deux catégories de membres sont définies : les « membres effectifs », dont les huit premiers sont les fondateurs de l’asbl, et les « membres adhérents », qui doivent être acceptés en cette qualité « par décision du conseil d’administration avec préférence pour les personnes qui, par leur assistance morale, psychologique ou matérielle, peuvent contribuer au bien-être de l’association » [13]. À sa naissance, l’association ne se donne donc pas pour vocation de rassembler rapidement un grand nombre de personnes autour d’elle ; durant de longs mois, l’asbl reste de taille très modeste.
1993-1994 : la mise en place de l’asbl
26Dès 1993, l’asbl conclut une convention bisannuelle avec la Communauté française, en vertu de laquelle l’association reçoit des fonds permettant de couvrir des frais de fonctionnement (de 500.000 FB par an) ainsi qu’un emploi à mi-temps, l’autre mi-temps devant être couvert par un contrat ACS de la Région wallonne. En pratique, les paiements tardent, et en définitive une collaboratrice extérieure est engagée à mi-temps afin de remplir différentes tâches de soutien en compagnie de Jean-Pierre Malmendier. Bien que sa structure formelle soit déjà assez élaborée, il n’existe encore que très peu de spécialisation, de division des tâches au sein de l’asbl, peu de spécialisation fonctionnelle : « (…) Lorsqu’on se lance dans un travail de ce type, tout le monde est un petit peu polyvalent, on exploite un pu les aptitudes de chacun. » [14] Par ailleurs, en 1993-1994, Jean-Pierre Malmendier est au chômage tout en s’impliquant très activement dans le développement de l’association. Durant cette période, donc, l’association dispose de moyens forts limités : « (…) on mangeait de la vache enragée. On n’avait pratiquement pas les moyens de fonctionner » [15].
27Dans ces conditions matérielles encore précaires, la première activité concrète de l’asbl s’enclenche dès fin décembre 1992 suite à la disparition de Valérie-Anne Gillot le 25 décembre à Tilff, dont le corps sera retrouvé près de Visé le 12 janvier 1993. Cette affaire marque le début du développement effectif de l’association : « (…) avec la disparition de Valérie-Anne, (…) on est sorti du cadre initial des amis de la première heure, (…) des proches, et (…) d’autres personnes sont venues nous rejoindre. (…) On a commencé à faire les premières affiches, d’autres personnes se sont intéressées à notre activité, notamment dans la région de la disparition. (…) Cela a pris une forme – je ne vais pas dire professionnelle –, mais il y avait déjà une certaine logistique. (…) On a pris alors des contacts avec les Chemins de Fer, la Poste, etc…, pour créer un réseau d’affichage, (…) et on a eu un accueil assez favorable, les gens ont été preneurs de ce projet, qu’on s’est efforcé alors de faire fonctionner » [16].
28Dans les premiers mois également, des accords sont passés avec un imprimeur de Herstal afin que les avis de disparition reçoivent un traitement prioritaire : en quatre heures, il lui est possible d’imprimer 25.000 affiches, qui s’ajoutent aux affiches qui ont déjà été produites par l’asbl elle-même afin de « couvrir » dans l’immédiat le site de la disparition et les alentours immédiats de celui-ci. De la même manière, un accord passé avec Touring Assistance permet aux responsables de l’asbl d’être contactés 24 heures sur 24 via la centrale téléphonique de cette organisation. La logique du mode de travail de l’asbl en matière de recherche d’enfants disparus est donc lancée ; ses concepteurs ont mis en œuvre un réseau d’alerte qui peut s’activer en quelques heures.
29Très vite, l’association est confrontée à la problématique des fugues, qu’elle décide de ne pas éluder : « (…) Plutôt que de dire “ça ne nous concerne pas”, on a cherché à trouver quand même des moyens pour répondre à l’inquiétude des parents, et de moyens de recherche. Et c’est alors qu’est venue l’idée des petites affichettes pour un public bien ciblé, qu’on faisait circuler pour des fugueuses, des fugueurs. Et ces actions – tant l’affichage public que les petites affichettes – ont eu pas mal de succès, c’est-à-dire qu’on a retrouvé pas mal de gosses, qu’on aurait peut-être retrouvés de toute façon, mais on les a récupérés plus rapidement. Donc, on peut se dire qu’on a, quelque part, évité quelques disparitions définitives. » [17]
30En tout état de cause, les campagnes d’affichage et de distribution d’affichettes contribuent à renforcer la visibilité et la notoriété de l’association. À cet égard, la campagne pour retrouver une jeune bruxelloise prénommée Sophie, disparue le 21 avril 1994 (réintégrant finalement sa famille après une disparition assimilable à une fugue), constitue une étape importante dans l’établissement de cette notoriété de l’association : la campagne est reconnue comme un succès par les médias. Il en est de même pour le cas de la disparition de la jeune Sabine à Anvers quelque mois plus tôt (le 15 novembre 1993), qui illustre l’aptitude de l’asbl à orchestrer des campagnes d’affichage sur l’ensemble du pays. Cependant, l’association continue de vivre avec des moyens matériels et humains très limités.
31Par ailleurs, les initiateurs de l’asbl multiplient les initiatives, comme une réunion de parents d’enfants disparus ou assassinés (29 mai 1993), des actions de soutien envers des victimes d’agression, une campagne de récolte de renseignements concernant la disparition de Laurence Mathuës (disparue le 1er août 1992, et dont le corps est identifié le 11 septembre de la même année) [18], ou encore un projet de collecte de fonds [19] à l’aide de vente de pin’s (qui est un échec), etc.
32En parallèle à ces développements, les parents Kistemann et Malmendier font l’expérience du long parcours de l’instruction du procès Bourgard-Muselle, parcours qui suscite chez eux un malaise croissant : « (…) au fil du temps, par rapport à l’expérience de l’instruction, de la façon dont on nous traitait, on a élaboré ([Jean-Pierre Malmendier], M. Kistemann, et les gens qui étaient proches de nous et qui partageaient ce sentiment d’être ignorés, brimés par les intervenants judiciaires et politiques) les principes du droit des victimes, principes que nous défendons encore aujourd’hui » [20].
33Les revendications en matière de droits des victimes deviennent alors un axe prioritaire de l’association, au même titre que la recherche d’enfants disparus, et ce dès l’été 1994. Les trois grands principes défendus par l’asbl en la matière sont adjoints dans les objectifs présentés dans les statuts modifiés de l’association, suite à son assemblée générale extraordinaire du 10 novembre 1994 [21] :
- « (…) contribuer au développement du droit des victimes d’actes intentionnels de violence, notamment :
- toute victime reçoit immédiatement des soins gratuits en rapport avec le traumatisme physique et psychologique qu’elle a subi ;
- dès le dépôt de sa plainte, toute victime bénéficie de droits équivalents à ceux de l’auteur présumé de l’agression ;
- lorsque son agresseur a été jugé et qu’il est détenu ou interné, toute victime a le droit de participer à la délibération qui détermine les mesures de libération ou de congé. »
34C’est dans cette logique que, le 15 juillet 1994, soit deux années après la découverte des corps de Marc et de Corine –, l’asbl entreprend une marche de Lierneux (lieu de cette découverte) à Bruxelles. « On avait fait un travail d’information des médias assez valable, et d’ailleurs les médias ont relayé cette marche, mais on a eu très peu de répondant de la part du public. On s’attendait à voir des gens marcher avec nous, et grosso modo on s’est retrouvés une vingtaine, dont deux qui ont fait la marche en entier (un des bénévoles et moi-même), et d’autres qui faisaient certaines étapes (…). Malgré tout, vu que les médias étaient là, faisaient le reportage de ce qu’on faisait, on s’attendait à retrouver un nombre assez important de personnes à Bruxelles, et on s’est retrouvés une petite centaine. Ça, c’était une grosse déception. » [22] À l’occasion de cette marche, qui dure cinq jours, l’asbl consolide cependant ses liens avec de nouveaux sympathisants, ainsi qu’avec certaines associations comme OVK, qui soutient cette initiative.
35Par ailleurs, l’asbl lance une action de bulletins d’adhésion aux principes des droits des victimes, mais son écho reste limité (environ 3.000 bulletins sont collectés). Le modeste écho de cette initiative constitue également une déception pour les animateurs de l’association : « Nous ne pouvions à l’époque, que constater le peu d’intérêt de nos concitoyens pour cette action. » [23]
36Il n’en reste pas moins que les deux axes d’action de l’association, les campagnes d’affichage et les revendications en matière de droits des victimes, se renforcent mutuellement pour lui donner une assise et une visibilité, ainsi qu’une base de membres qui commence à s’étoffer. « (…) Les deux allant de pair – le message “droit des victimes”, la mise en cause des institutions, etc…., ET les campagnes d’affichage –, faisaient un amalgame assez “rentable” l’un par rapport à l’autre. Il y avait un côté très “pragmatique” (rechercher m enfant disparu) qui rassemblait des personnes qui se fixaient le même objectif, et il y avait la circulation parmi ces personnes du restant du message de l’asbl. Étant donné qu’on n’était pas des techniciens de la communication, cela a été assez laborieux de faire passer les messages sur ce plan là. » [24]
37Cette même année, François Kistemann et Jean-Pierre Malmendier sont nommés à vie aux postes de président et de vice-président de l’asbl [25].
Juin-décembre 1995 : le choc de la disparition de Julie Lejeune et de Mélissa Russo
38Au début de l’année 1995, la situation financière et matérielle de l’association est préoccupante. La réponse à la demande de reconduction de la convention avec la Communauté française tarde, ce qui inquiète le noyau actif de l’asbl « (…) Il faut dire que, déjà en 1993, on avait eu des difficultés à obtenir le versement des subsides et, n’ayant aucune expérience [en la matière], on a été extrêmement révoltés par cette attitude-là, et on s’est dit “voilà une manœuvre politique pour neutraliser un mouvement” ». [26] De fait, dans le courant de l’année 1993, l’asbl avait déjà été à l’extrême limite de la cessation de paiement.
39La situation est telle que Jean-Pierre Malmendier entame une grève de la faim qui durera vingt-trois jours, du 8 mars au 1er avril 1995, « (…) pour obtenir une réponse, qu’elle soit positive ou négative, mais (…) on devait savoir où on allait, parce qu’on était en train de s’endetter, on avait obtenu un crédit de caisse, mais on commençait à s’approcher dangereusement de son plafond, et on n’avait pas de quoi fonctionner. Conjointement à cette revendication d’obtenir une réponse de la part de la Communauté française, il y avait une autre revendication, vu que [J.-L. Dehaene] avait démissionné son gouvernement prématurément : une des promesses qui nous avait été faites, c’est que le prononcé de la peine de mort serait aboli et que, parallèlement, il y aurait un système de peines incompressibles, dans le sens où on voulait empêcher que des cas comme le nôtre ne se reproduisent, que des individus très dangereux puissent être relâchés » [27].
40En fin de compte, c’est une initiative de collecte de fonds auprès de connaissances, de commerçants et d’entreprises, lancée par Philippe Deleuze (le père de Laurence Mathuës), qui permet de sauver la trésorerie de l’asbl. Peu après, elle bénéficie enfin de moyens financiers plus stables, mais doit néanmoins licencier la collaboratrice qui était employée à mi-temps depuis 1993. Par ailleurs, l’asbl obtient un contrat Prime de la Région wallonne, ce qui permet à Jean-Pierre Malmendier de clarifier sa situation professionnelle.
41En relation avec la campagne électorale des élections législatives de mai 1995, l’asbl lance une campagne sur le thème « Je vote pour le droit des victimes ». En définitive, lors de la constitution du gouvernement Dehaene II, l’asbl reçoit l’assurance que le dossier des peines incompressibles sera examiné, la dissolution du Parlement ayant interrompu les travaux de la commission de la Justice sur ce sujet.
42Au printemps 1995, tous les éléments de l’asbl tels qu’ils seront développés jusqu’à ce jour sont en place : les objectifs, la structure (à tout le moins au centre de l’association). L’asbl reste néanmoins essentiellement animée par des bénévoles, et compte environ 1.000 membres, toutes catégories confondues [28].
43La campagne liée à la disparition de Éric Smal, jeune homme handicapé de la région liégeoise, le 10 avril 1995 (et retrouvé décédé le 5 mai), se traduit par un premier renforcement du développement de l’association. Son père, Louis Smal, président de la régionale des syndicats chrétiens de Liège-Huy-Waremme, reconnaît publiquement la valeur du travail de l’asbl : « [Louis Smal] était en position de pouvoir s’exprimer à travers les médias, ce que les autres parents que nous avions aidés auparavant avaient eu très peu la possibilité de faire, par manque de ressources, d’expérience. » Louis Smal rejoint le conseil d’administration de l’association.
44C’est à l’occasion de cette disparition que naissent deux projets : la création d’une cellule nationale de recherche d’enfants, qui se matérialisera quelques mois plus tard la même année, et l’essaimage de l’asbl par le biais d’antennes locales.
45Mais cette affaire n’est rien à côté de la mobilisation phénoménale que suscitera l’affaire de la disparition de Julie Lejeune et de Mélissa Russo, deux mois plus tard, le 24 juin 1995, qui se traduira par une très forte croissance des activités de l’association. Cette mobilisation soulèvera également de nombreuses difficultés, générera d’âpres conflits et conduira à la rupture entre les initiateurs de l’asbl (en particulier Jean-Pierre Malmendier) et les parents des deux fillettes disparues ainsi que Marie-Noëlle Bouzet.
46« (…) Ça a été une vraie aventure ! Au départ, on savait très bien ce qu’on voulait faire, lancer la machine (…) Deux petites filles (…) disparaissent, on réagit au plus vite, dans l’espoir de trouver des témoignages qui permettent de démarrer une enquête et de les retrouver le plus vite possible » [29]. L’asbl applique à cette occasion le modus operandi habituel qu’elle a éprouvé et affiné à maintes reprises depuis plus de deux années : mettre l’accent sur la rapidité de réaction, activer un réseau d’affichage. D’emblée, l’écho et l’émotion liés à cette disparition sont considérables, même au-delà de la région liégeoise, si bien que cette campagne mobilise rapidement l’ensemble des ressources de l’association. Les initiatives menées parallèlement par les parents Russo et Lejeune y sont également pour beaucoup.
47Quelques semaines après la disparition, « (…) les choses ont commencé à nous dépasser. D’abord, il y a eu tout ce mouvement émotionnel, qui a provoqué un intérêt assez phénoménal pour l’action que nous menions » [30]. De fait, les médias relayent également plusieurs initiatives liées à la recherche de Julie et de Mélissa.
48Les locaux de l’asbl sont mis sous pression sans discontinuer. Les bénévoles affluent, de manière spontanée. Durant trois mois, ils se succèdent 24 heures sur 24, dès le lendemain de la disparition, tant la masse des appels et témoignages divers est importante, de même que les propositions de soutien, à la fois en termes de dons financiers et de service bénévole. La quantité d’appels est telle que le central téléphonique de Belgacom saute plusieurs fois. Pour gérer le flux grandissant d’informations et de sollicitations et coordonner les efforts de recherche, des réunions sont organisées toutes les semaines avec les parents des deux fillettes disparues. Durant plusieurs semaines, les initiateurs de l’asbl – et Jean-Pierre Malmendier au premier chef – s’investissent jour et nuit dans cette affaire.
49De leur côté, les parents Russo et Lejeune lancent de nombreuses autres initiatives. La tension croît rapidement entre ceux-ci et les responsables de l’asbl. Elle se focalise principalement sur la gestion des dons importants parvenant à l’asbl en liaison directe ou indirecte avec la disparition de Julie et de Mélissa, et également sur la gestion des relations avec les forces de l’ordre (la gendarmerie en particulier).
1996-1997 : la forte croissance de l’asbl
50La mobilisation suscitée par la disparition des deux fillettes confère en quelques mois une dimension nettement plus importante à l’asbl. Le mouvement sera prolongé suite aux événements de l’été 1996 et aux très nombreuses mobilisations qui se sont développées dans le sillage de l’affaire Dutroux. Le développement de l’association est perceptible sur plusieurs dimensions : l’augmentation des moyens financiers et logistiques, la professionnalisation, la spécialisation fonctionnelle, la production de publications, le développement d’antennes locales, l’accroissement du nombre des membres et de leur encadrement, l’augmentation du nombre d’affaires traitées, la stabilisation des rapports avec les forces de l’ordre, et le développement de contacts avec l’étranger.
L’augmentation des moyens financiers et logistiques, la professionnalisation et la spécialisation fonctionnelle
51L’asbl acquiert tout d’abord une autre dimension organisationnelle. Le développement de son secrétariat et de son siège central suit un double mouvement : une professionnalisation relative et une spécialisation fonctionnelle. Au départ d’une situation où seul un emploi à mi-temps était rémunéré, la situation à la fin de l’année 1997 est nettement différente ; le « saut qualitatif » le plus important a été franchi durant l’année 1996. De fait, entre 1995 et 1996, les recettes annuelles de l’association ont plus que triplé : de près de 4 millions de FB à plus de 12 millions de FB, dont une part substantielle de dons divers [31].
52Fin 1997, outre Jean-Pierre Malmendier, qui est employé dans le cadre d’un contrat Prime avec un léger supplément à charge de l’asbl, l’association emploie quatre personnes rémunérées (une à plein-temps, une à trois quarts temps et deux à mi-temps), principalement sur fonds propres. Ces personnes assurent les tâches de secrétariat et de gestion, le traitement des alertes, l’archivage, la vente et la diffusion des différentes publications de l’asbl. D’octobre 1995 à mai 1996, une psychologue stagiaire a œuvré au service de l’association, mais les moyens financiers ont été insuffisants pour l’engager. Un comptable extérieur rémunéré a également pris en charge la gestion de la comptabilité.
53Par ailleurs, les bénévoles continuent à occuper une place importante au siège de l’association à Liège : une petite vingtaine d’entre eux assurent la permanence en tournante, suivant un horaire prédéterminé ; en cas d’alerte, le secrétariat peut rapidement mobiliser de nombreux volontaires, sans compter les membres de l’association actifs dans les différentes « antennes ».
54Enfin, en quelques mois, l’asbl s’équipe de matériel informatique performant et un site Internet est créé fin 1996.
Production et diffusion de publications
55C’est également dans la foulée de la disparition de Julie et de Mélissa qu’est publié le premier numéro du Marc et Corine Magazine. Ce trimestriel est prioritairement adressé aux membres. Édité à 6.000 exemplaires [32], il est également diffusé de la main à la main par certaines antennes, ainsi que les Agence et Messageries de la Presse pour une part limitée. Ce magazine permet d’informer les différentes catégories de membres, d’assurer la visibilité et la promotion de l’association, et de récolter des fonds.
56En parallèle, l’asbl produit également un nombre croissant de brochures et s’associe à des projets éditoriaux visibilisant l’association.
Le développement des antennes
57Parallèlement au renforcement des moyens du siège central de l’asbl, les responsables de l’association lancent dès l’automne 1995 la création d’antennes en vue de couvrir l’ensemble de la partie francophone du pays. Chacune d’elles serait constituée de membres « auxquels nous pourrions faire appel de jour comme de nuit pour leur demander de se procurer des affiches (…) et de les afficher aux points stratégiques de la région. (…) Nous espérons trouver des personnes suffisamment disponibles et compétentes pour constituer l’antenne régionale dont nous avons besoin et qui déclenchera immédiatement l’alerte » [33]. Chaque antenne devra être dirigée par un coordinateur.
58Début 1996, les premières antennes voient le jour à Bruxelles, Mons, Arlon, Tournai, Namur, Mouscron. Certaines se sont particulièrement mobilisées dans des disparitions liées à l’affaire Dutroux et consorts. Ainsi l’antenne de Tournai s’est-elle particulièrement impliquée dans la recherche de Sabine Dardenne (retrouvée vivante avec Laetitia Delhez le 15 août 1996) [34].
59Le 3 novembre 1996 se tient une réunion plénière rassemblant 700 à 800 personnes, qui met comme point principal à son ordre du jour la réorganisation des antennes en fonction du découpage des arrondissements judiciaires, afin de faciliter le contact et la collaboration avec les différentes autorités. Dans certaines régions mieux couvertes par l’asbl, le découpage est plus fin et des « sous-antennes », correspondant à une ou plusieurs communes, voient également le jour. L’objectif déclaré de l’association est de se doter d’un maillage d’antennes aussi dense et aussi fin que possible.
60En novembre 1997, l’asbl compte quatorze antennes pleinement constituées disposant d’un coordinateur confirmé, quatre antennes dont le coordinateur est en stage, et une quinzaine de « sous-antennes ».
« Cercles concentriques » de l’association : dirigeants et membres
61Le noyau dirigeant de l’association a peu varié dans sa composition. Le principal changement a été l’affirmation de la position formelle de Philippe Deleuze. Celui-ci « (…) s’est fort impliqué dans le recrutement de membres adhérents, dans la vente des pin’s, … Il a réellement essayé de maintenir l’asbl sur pied sur un plan financier (…). On a commencé à faire des conférences pour recruter des gens, pour former des antennes, et il faisait un petit bouquin publicitaire dans les patelins où on allait faire les conférences, essayait de récolter des fonds. Il s’est énormément impliqué là-dedans également. Lorsque nous avons connu le premier procès, au mois de novembre 1995, c’est lui qui a assuré la permanence des alertes pour les disparitions (…), en grande partie » [35]. Il est devenu trésorier de l’asbl, et également deuxième vice-président aux côtés de Jean-Pierre Malmendier, depuis avril 1996. Il n’est toutefois pas rémunéré par l’asbl, conservant par ailleurs une activité professionnelle.
62Au début 1998, on compte une trentaine de coordinateurs. Leur degré d’activité est important, mais dépend très fortement des dossiers à traiter ; c’est également le cas pour les bénévoles actifs au siège de l’association à Liège.
63En ce qui concerne les membres, au fur et à mesure de son développement, l’asbl a été amenée à créer et à définir différentes catégories. Trois formules sont proposées [36]. La première, minimale, est celle de l’abonné : l’abonnement au journal Marc et Corine Magazine pour un montant de 200 FB par an, auxquels s’ajoutent 50 FB de soutien. La deuxième catégorie est celle des membres adhérents, qui acquittent une cotisation annuelle de 500 FB (abonnement au journal + 300 FB de soutien [37]). Enfin, les membres volontaires sont impliqués plus activement dans l’association à titre de bénévoles. Ils acquittent une cotisation de 700 FB (abonnement au journal + 314 FB de soutien [38] + 186 FB d’assurance groupe, une couverture contre les risques liés aux activités menées dans le cadre de l’asbl).
64Depuis le mois de février 1997, sur base d’un partenariat avec une société d’assurances, les membres adhérents et volontaires sont de facto couverts, pour autant qu’ils versent une somme annuelle supplémentaire de 100 FB, par une protection financière (à concurrence d’un montant de 500.000 FB) afin de les aider dans l’éventualité d’une disparition inquiétante de leurs propres enfants âgés de moins de 21 ans.
65À la fin de l’année 1997, le nombre de membres adhérents de l’asbl est de l’ordre de 3.100, tandis que les membres volontaires sont environ 1.300, soit un total d’environ 4.400 [39]. Cela signifie que la taille de l’association a presque quintuplé en deux ans.
66Par ailleurs, les fondateurs de l’asbl ont toujours voulu contrôler l’affiliation des membres, et particulièrement des personnes appelées à assumer des responsabilités. Dans cet esprit, dès le début 1996, les futurs responsables d’antennes, ainsi que toute personne souhaitant s’investir dans un poste à responsabilité dans l’asbl, sont invités à suivre des séances d’information et de coordination. Ce n’est d’ailleurs qu’après un an de stage que les coordinateurs d’antenne sont intégrés à l’assemblée générale de l’association. C’est dans ce même esprit que les coordinateurs d’antenne sont nommés par le conseil d’administration de l’asbl.
67Au printemps 1996, l’asbl se dote également d’une charte, que chaque membre se devra de respecter. Dans l’esprit des responsables de l’asbl, cette charte vise à « éviter tout “dérapage? », et plus particulièrement à « (…) écarter les extrémistes, les radicalistes, du type retour à une manière forte, faire la justice soi-même, ou encore, vraiment les mouvements d’extrême-droite (Agir, FN), pour rester dans un cadre démocratique », et à « (…) se garantir d’initiatives personnelles de personnalités locales, de personnages locaux qui essayent de devenir de petits tribuns dans leur coin, et qui finalement se [serviraient] de l’asbl pour établir leur club » [40].
68En substance, cette charte affirme le pluralisme de l’asbl ainsi que son caractère démocratique. Elle insiste également sur le respect de la structure et de l’organisation de l’asbl (et en particulier de ses trois administrateurs, F. Kistemann, J.-P. Malmendier et Ph. Deleuze), réaffirme les objectifs prioritaires de celle-ci ainsi que « le principe de tolérance à l’égard des accusés et l’abolition de la peine de mort » (cf. le texte de la charte, annexe 1). [41]
Augmentation du nombre d’affaires traitées
69L’asbl est intervenue dans un nombre non négligeable de disparitions : respectivement 8 en 1993, 54 en 1994 et 63 en 1995, soit plus d’une affaire par semaine en moyenne à partir de début 1995. La majorité des cas se situent en Wallonie, mais d’autres également à Bruxelles et en Flandre [42]. Toutefois, chaque cas ne nécessite pas de campagne d’affichage au-delà de l’échelon local : ainsi, seules douze campagnes d’affichage majeures ont été organisées en 1995.
70À partir de l’été 1995, la cadence des alertes s’est considérablement accélérée. C’est ainsi que, par exemple, entre la disparition de Julie et de Mélissa en juin 1995 et le mois d’avril 1997, 290 cas de disparition ont été traités [43]. Cela signifie que le nombre de cas traités a presque triplé de 1995 à 1996 : 161 cas pour la seule année 1996. Parmi ces 161 cas, 48 ont requis une campagne d’affichage [44]. Depuis la disparition de Marie-Anne Gillot en décembre 1992 jusqu’au 31 décembre 1997, l’asbl a traité un total de 469 cas [45].
71L’asbl continue donc, d’une manière directe ou indirecte (via la présence des affiches) à conserver une forte visibilité dans le grand public. Cette visibilité est accrue, en particulier via le jeu des médias, à l’occasion de dénouements heureux de disparitions [46]. C’est tout particulièrement le cas du rapt du petit Nicolas Moureau, nouveau-né âgé d’un jour, dans un hôpital liégeois le 14 janvier 1996, qui sera retrouvé le 22 janvier sur base d’un portrait-robot de la ravisseuse diffusé par l’asbl, et suite à un témoignage anonyme parvenu à l’association. La visibilité de l’association et son développement en terme d’adhésions sont également renforcées à l’occasion des nombreuses conférences, soirées, débats, etc., auxquels les responsables de l’asbl prennent régulièrement part.
Intensification et stabilisation des rapports avec les forces de l’ordre
72Dès les années 1992-1993, c’est-à-dire dans les premiers mois de l’existence de l’asbl, et même avant que celle-ci ne soit officiellement fondée, des contacts avaient été noués avec l’état-major de la gendarmerie. Au fil du temps, différents échanges se sont produits, tandis que des liens privilégiés se sont établis.
« On a expliqué ce qu’on voulait faire (…). Cela a été favorablement accueilli par l’état-major, en gardant quand même assez bien de recul par rapport à nos propositions. (…) Ensuite, sur le terrain, nous avons commencé à faire les campagnes, et à avoir les expériences de réactions de gendarmes, de brigades de gendarmerie, de districts. Nous avons fait des conférences dans des districts de gendarmerie, pour les gendarmes (à Mouscron, Charleroi, Liège, Seraing). On demandait à pouvoir présenter notre Asbl chez eux. Et il y a également eu des demandes de leur part.
De cette manière, ils ont eu une perception plus précise de ce que nous voulions faire : nous ne voulions pas casser du gendarme, systématiquement les mettre en cause ; on voulait, de manière indépendante (…), collaborer à ce qu’ils aient un meilleur matériel d’enquête (avec les témoignages, des informations), à accélérer les réactions en cas de disparition (qu’ils s’en occupent d’urgence, indices, …), et exercer une certaine pression – qui se voulait positive – pour libérer des moyens, pour conscientiser les personnes [47] ».
74C’est à la suite de la disparition d’Éric Smal en avril 1995, et en particulier sur base de la réflexion de son père Louis Smal, que l’idée de créer une cellule de disparitions auprès des services de gendarmerie est arrivée à maturité. Ce projet est présenté à Stefaan De Clerck, ministre de la Justice, lorsque celui-ci rend visite aux parents Russo et Lejeune en juillet 1995, un mois après la disparition des fillettes. Le ministre crée alors la Cellule nationale de disparitions centralisée à Bruxelles le 11 septembre 1995. Cette cellule est devenue au fil du temps un interlocuteur privilégié des responsables de l’asbl : « (…) on les interroge pour savoir ce qu’est devenue telle ou telle affaire qu’on leur a passée (ils nous informent). (…) Il y a tout un travail qui n’est pas vraiment réglementé, qui n’est pas dans un cadre bien strict, mais qui repose surtout sur une mentalité qu’on a su installer, et des rapports de personnes constructifs » [48].
75Mais ces rapports privilégiés avec les forces de l’ordre n’empêchent pas les responsables de l’asbl de lancer des actions plus revendicatives. C’est ainsi que, en prévision du débat sur la suppression du prononcé de la peine de mort au Parlement, est lancée en avril 1996 une nouvelle pétition revendiquant l’instauration de peines incompressibles. Cette pétition recueillera un succès sans précédent (2.700.000 signatures) entre les mois d’août et octobre 1996. Elle fut déposée à la Chambre le 9 octobre.
Développement de contacts/relations avec étranger
76Par ailleurs, les responsables de l’asbl se sont efforcés de nouer des contacts et des collaborations avec d’autres associations similaires dans des pays limitrophes. Cela s’est traduit de différentes manières.
77Ainsi, le 16 avril 1996, F. Kistemann et J.-P. Malmendier se rendent à Strasbourg à l’invitation de parlementaires européens. Ils y plaident en faveur de la mise sur pied d’un réseau européen fonctionnant selon les mêmes principes que l’asbl Marc et Corine.
78C’est dans cette même logique que, le week-end du 15 juin 1997 à Liège, l’association met sur pied un premier « mini-congrès européen » en compagnie de La Mouette (France), HOVK, Funcoe (Espagne), Hansel e Gretel et Rompere il Silencio (Italie), ainsi qu’avec l’association Marc et Corine – Luxembourg. Les contacts et les collaborations vont dans le sens d’une harmonisation des modes d’action et de recherche. C’est dans cette même logique que J.-P. Malmendier établit des contacts dans d’autres pays (Suisse, Allemagne,…).
Le présent et l’avenir : les incertitudes et la question du Centre européen pour enfants disparus et exploités
79À la fin 1997 et au début 1998, la dimension et le mode d’organisation de l’asbl se sont stabilisés. Deux enjeux particulièrement cruciaux se présentent à elle : le transfert et l’installation dans des locaux plus fonctionnels et les relations avec le futur Centre européen pour enfants disparus et exploités. Ces deux enjeux ne sont sans doute pas les seuls, mais ils conditionneront très fortement le développement futur de l’asbl.
80Depuis avril 1997 déjà, les initiateurs de l’asbl ont nourri des projets en vue de l’installation du siège de l’association dans des locaux plus fonctionnels. Les moyens financiers de l’association lui ont permis d’obtenir un prêt hypothécaire à cet effet. Le choix s’est porté sur un immeuble situé à Jauche (entre Hannut et Jodoigne) en un lieu assez central permettant de rayonner rapidement vers l’ensemble de la Wallonie et de Bruxelles. Outre la restauration et l’aménagement du bâtiment, un effort particulier est fourni en matière d’équipement informatique.
81Quant au Centre européen pour enfants disparus et exploités, qui devrait être opérationnel dès le 1er avril 1998, sa constitution même représente un enjeu majeur, susceptible de remettre en cause la pérennité de l’asbl Marc et Corine.
Les parents Russo et Lejeune
82La présente section porte spécifiquement sur les parents Russo et Lejeune. Elle porte également sur l’entourage de ces derniers, qui a pris la forme d’un comité de soutien et d’une asbl. Toutefois, les contours de cet entourage apparaissent nettement moins clairement que ceux de J.-P. Malmendier et F. Kistemann et leur asbl Marc et Corine.
83Pour comprendre pleinement le cheminement de Gino et Carine Russo ainsi que de Jean-Denis et Louisa Lejeune de 1995 à ce jour, il faudrait également faire état du cheminement d’autres parents qui ont entretenu, et entretiennent toujours dans la plupart des cas, des relations suivies avec eux, et au premier titre Marie-Noëlle Bouzet, les parents Marchal ou encore la famille Benaïssa. Cet aspect pourtant important sera peu traité ici. Pourtant, ces autres parents ont souvent également créé une dynamique collective autour de leur propre cas, voire des associations spécifiques.
84De fait, l’action des parents d’enfants disparus et/ou assassinés susmentionnés n’ont pu avoir d’impact, durant certaines étapes-clés (notamment en septembre-octobre 1996), que parce qu’ils ont été capables de créer une dynamique collective. Certes, il est un fait que les parents Russo et Lejeune ont souvent été au centre de l’attention médiatique et populaire, et que le cas de Julie et de Mélissa a été particulièrement déterminant dans le déclenchement des mobilisations massives des années 1996-1997. Les Russo et les Lejeune se sont, du reste, souvent retrouvés de facto au centre de différentes initiatives [49].
85Nous mettrons particulièrement l’accent sur ce que les parents Russo et Lejeune ont vécu et entrepris avant les découvertes du mois d’août 1996. Focalisés sur les développements plus récents de l’affaire Dutroux ou sur la seule marche blanche, les observateurs ont souvent eu tendance à négliger ce qui a précédé le mois d’août 1996. Or, cette période préalable est cruciale pour comprendre le cheminement et le positionnement actuel des Russo et des Lejeune.
Juin 1995 – novembre 1995 : la disparition et la mobilisation
86L’engagement et la visibilité des parents Russo et Lejeune débute bien évidemment avec la disparition, le 24 juin 1995 de leurs deux filles respectives, Mélissa et Julie, âgées de 8 ans. Dès les premières heures et les premiers jours, ils feront appel à toutes leurs ressources et connaissances pour que l’affichage soit le plus massif possible. Dès le lendemain matin, l’ensemble de la région liégeoise est couvert en quadrillage systématique par un grand nombre de bénévoles, coordonnés depuis le domicile des parents. Dès le lendemain soir, toute la partie francophone du pays est également couverte, ainsi que la côte belge. Les parents ont pu mobiliser d’urgence leurs proches, voisins, connaissances, et également l’asbl Marc et Corine, ainsi que des collègues de travail de Gino Russo.
87Dans les semaines qui suivent, les initiatives se prolongent et se multiplient rapidement dans la région liégeoise et au-delà : « un imposant dispositif (…) s’est mis en place. Des battues (…), des avis de recherche diffusés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, des actions de sensibilisation auprès des “ravisseurs” (…), des appels à l’encontre d’éventuels témoins. (…) La plupart des administrations belges (Poste, Chemin de fer, transports en commun…), toutes les gendarmeries et polices du royaume, tous les médias, des centaines (…) de bénévoles et d’entreprises commerciales ou industrielles, se sont mobilisées autour de cette double disparition » [50]. Dès le mois de juillet également, des avis de recherche sont mis en circulation via Internet.
88En conséquence, dès les premières semaines, l’attention médiatique est intense. Elle dépasse même parfois le cadre de la Belgique et suscite un écho tout particulier en Italie. Ainsi, la première équipe complète de télévision à se déplacer expressément pour couvrir cette affaire est issue de la RAI3 (troisième chaîne de la télévision italienne).
89Le 26 juillet, répondant à l’invitation des parents Russo et Lejeune, le nouveau ministre de la Justice, Stefaan De Clerck, leur rend visite en toute discrétion. J.-P. Malmendier est également présent. Les parents des deux fillettes lui présentent déjà une liste de revendications : la création d’une cellule nationale de disparitions, la constitution d’une banque de données de personnes ayant commis des actes de pédophilie, la réalisation d’une émission télévisée permettant de lancer des appels à témoins, et la nomination d’un magistrat national qui pourrait intervenir directement sur l’ensemble du territoire dans le cadre de l’enquête. Ils interpellent également le ministre sur le déroulement de l’enquête relative à la disparition de leurs deux filles. Les parents disposent déjà d’un certain appui logistique autour d’eux. Ils informent la presse de cette entrevue (avec l’accord du ministre). C’est également dans ces toutes premières semaines, dans le courant du mois de juillet, que Marie-Noëlle Bouzet prend contact avec eux. Dès lors, ils resteront régulièrement en contact.
90Dans le courant du mois de juillet 1995 également, les parents Russo et Lejeune tiennent deux conférences de presse. La première consiste en un appel (notamment par la télévision) aux ravisseurs présumés, les parents étant convaincus qu’il s’agit d’un enlèvement. La seconde, qui est tenue dans les locaux de l’asbl Marc et Corine à Liège le 31 juillet, est plus revendicative : les parents interpellent la Justice et les forces de l’ordre, mais également le monde politique. Ils considèrent que leur cas n’est pas suffisamment pris en charge. L’intervention des parents est présentée « (…) sous forme d’un cri du cœur : on ne peut pas accepter, le politique doit tenir compte de ce qui ne va pas dans la Justice au niveau de choses aussi graves que des enlèvement d’enfants. Parce que pour nous ce n’est pas disparition : c’est enlèvement. Le mot “disparition”, c’est un mot contre lequel on a toujours essayé de lutter » [51]. Les médias se font également l’écho de ce discours plus revendicatif.
91En des termes pratiques, les parents s’organisent pour dégager le temps nécessaire à leurs recherches. C’est ainsi que, rapidement, Gino Russo est soutenu financièrement par son entourage professionnel chez Ferblatil (Cockerill-Sambre) et qu’il trouve un modus vivendi avec la direction de l’entreprise. Par contre, la taille de l’entreprise (un petit atelier de carrosserie) dans laquelle travaille Jean-Denis Lejeune ne lui permet pas de dégager de telles ressources. Ce dernier épuise tout d’abord ses congés payés avant de reprendre le travail, mais en pouvant s’absenter selon les besoins des recherches. Carine Russo, quant à elle, continue son activité professionnelle d’employée ; elle sera néanmoins contrainte, vu le temps nécessaire aux recherches et différentes démarches, de cesser toute activité professionnelle dès le mois de novembre. Louisa Lejeune, après avoir interrompu son activité professionnelle d’infirmière, reprendra son activité à mi-temps dès décembre 1995.
92Début août 1995, désireux de maintenir l’intérêt autour de la disparition, Gino Russo saisit l’occasion du passage de l’AC Milan au Standard de Liège. Ses contacts sont bien évidemment facilités par le fait qu’il est d’origine italienne, mais également parce que la disparition a été fort médiatisée en Italie. Sa demande est assez limitée : obtenir une photographie en compagnie de Roberto Baggio, star de l’équipe. En fin de compte, le staff de l’équipe italienne prend l’initiative de convoquer une conférence de presse spécifique, où Gino Russo et Jean-Denis Lejeune apparaissent aux côtés de Roberto Baggio, ce dernier s’exprimant également sur l’affaire. La presse écrite et télévisuelle y est conviée et répercute abondamment l’événement.
93Durant tout l’été 1995, l’implication des parents est quotidienne et totale. Elle ne se démentira pas jusqu’à la découverte des corps en août de l’année suivante. Ils multiplient les initiatives. Dès le mois de juillet, ils s’adressent par écrit au roi et à la reine. Par la suite, durant le mois d’août, ils adressent un courrier personnalisé aux parlementaires belges, comprenant des revendications précises et des griefs basés sur des constats liés à leur expérience. La très grande majorité des mandataires leur répond, parfois de manière substantielle. De ce courrier naissent également de nombreuses interpellations parlementaires en direction du ministre de la Justice.
94C’est de la conférence de presse de Liège que, par personnes interposées, naît à la RTBF-Liège le projet de réaliser une émission « Faits Divers » consacrée à l’affaire Julie et Mélissa. Celle-ci, réalisée par José Dessart [52] et diffusée le 13 septembre, ne se limite pas à relater les événements liés à la disparition, mais laisse une large part au débat et au discours critique des parents. L’émission suscite un écho important dans la population ; les parents reçoivent peu après une grande quantité de lettres de soutien. Une semaine auparavant, ils avaient également participé à l’émission « Perdu de vue » sur TF1, suscitant également un large intérêt ainsi que des témoignages.
95Entretemps, durant tout l’été et au-delà, la campagne d’affichage continue à se développer, y compris à l’étranger : des vacanciers et des routiers emportent des affiches qui sont diffusées aux stations d’essence, postes frontières et péages français, ainsi qu’aux lieux de villégiature. Des affiches en plusieurs langues sont réalisées à cet effet, tandis que l’asbl Marc et Corine reste également très active en rapport avec cette affaire. La mobilisation est telle que différents médias dans plusieurs pays européens relayent les avis de recherche, en particulier via des émissions télévisées spécifiques en France, aux Pays-Bas, en Italie, en Grande Bretagne et en Espagne, émissions auxquelles les parents participent.
96À l’automne, les parents des deux fillettes lancent également une opération de distribution de cartes postales dans les écoles. Dans chaque école participante, chaque enfant est appelé à envoyer une ou des carte(s) à des amis, personnes-ressources, connaissances à l’étranger, etc., afin de diffuser plus largement encore l’avis de recherche. Ils lancent également une opération de diffusion de dizaines de milliers de cartes-avis de recherche via les magasins hors-taxe des aéroports, dans le monde entier. Ils mettent également sur pied une campagne basée sur de grandes affiches destinées au mobilier urbain (abri bus,…) : 2.500 affiches couvrent l’ensemble du pays en septembre.
97Cette succession d’initiatives et de campagnes d’affichage contribue à rendre public le combat des parents Russo et Lejeune dans tout le pays et à ancrer les photos des deux fillettes dans les mémoires de la population, au Nord comme au Sud du pays. Les parents sont également souvent contactés ou sollicités depuis la Flandre. En novembre, ils recueillent en douze jours 120.000 signatures pour une pétition réclamant l’accès au dossier. Dans le même mois, les parents des deux fillettes attaquent également l’État belge en référé, avec le même objectif. Néanmoins, les semaines et les mois passant, l’intérêt médiatique tend à s’essouffler.
Décembre 1995 – juillet 1996 : la création du comité de soutien et la poursuite des démarches
98À la mi-décembre 1995 est diffusée une seconde émission « Faits Divers », dans le prolongement de la première, toujours réalisée par J. Dessart. Durant la période de tournage, des liens de proximité s’établissent entre les parents et l’équipe de tournage présente à leurs côtés dans le quotidien de leur lutte. L’émission se positionne très clairement en faveur des parents, et relate en particulier leurs démarches, infructueuses, visant à obtenir l’accès au dossier d’enquête. Dès la diffusion, les parents sont à nouveau fort sollicités par les médias, d’autant plus que la période est propice aux bilans de fin d’année.
99Néanmoins, l’évolution de la situation à la fin de l’année 1995 n’apparaît guère favorable aux yeux des Russo et des Lejeune. Différentes décisions défavorables sont prises par les autorités judiciaires, dont celle de diminuer les effectifs affectés à l’enquête. Les parents des deux fillettes s’en ouvrent à quelques proches ainsi qu’à J. Dessart. Ils expriment également explicitement leurs craintes dans l’émission « Faits Divers ».
100C’est de ces craintes et de ce malaise croissant que naît, début janvier 1996, le projet de constituer un comité de soutien des parents, à l’initiative de J. Dessart. Jusqu’alors, le noyau des personnes les plus impliquées au quotidien autour des parents se limitait à deux membres de chaque famille et à leur avocat, maître Hissel.
101Les parents Russo et Lejeune répertorient avec J. Dessart quelque 150 personnalités très diversifiées, dans différents types d’institutions, organisations, dont des mandataires politiques, mais aussi des professeurs d’université, personnalités sportives, culturelles, journalistes, etc. À chacune de ces personnalités, ils adressent un texte résumant l’esprit de leurs démarches (cf. annexe 2), et leur proposent d’adhérer à ce comité de soutien, selon deux formules possibles. Dans la première formule, « (…) on donnait la possibilité aux personnalités (…) d’adhérer à un comité de soutien élargi, et qui ne devaient pas nécessairement être actifs autour de nous, participer à des réunions, etc., mais qui acceptaient d’être cités et qui signaient le texte » [53]. La plupart des personnalités contactées (environ 140 d’entre elles) signent le texte et se limitent à cette première formule. La seconde formule consiste en une participation à un « comité restreint », impliquant une participation plus active, dont la participation à des réunions régulières (mensuelles, à tout le moins). Une trentaine de personnalités y adhèrent, dont au moins une par parti politique (PS, PSC, PRL, Écolo), à titre de démarche individuelle, mais également des psychologues, journalistes, etc., ou encore des proches tels Marie-Noëlle Bouzet. Entretemps, fin décembre 1995, les parents Russo et Lejeune ont également établi le contact avec Paul et Betty Marchal dont la fille An a disparu depuis le 23 août 1995 en compagnie de Eefje Lambrecks.
102Le comité restreint débute ses activités le 28 janvier 1996. D’emblée, par le nombre et la qualité des participants et le contenu de ses réflexions stratégiques, le comité de soutien donne satisfaction aux parents et revigorise leur combat. Il permet, entre autres, de contrer la baisse d’intérêt suscité par leurs démarches. La conférence de presse de présentation du comité de soutien suscite un écho médiatique considérable : plusieurs personnalités s’y expriment dans un sens favorable aux efforts des parents.
103Durant les mois suivants, les membres du comité restreint se rencontrent régulièrement autour des parents pour débattre de l’élaboration de stratégies : « (…) c’était donc des brainstorming, puis on [les parents] retenait une idée, une solution qui pourrait encore nous apporter quelque chose, qui pourrait nous faire aller plus loin, du moment que nous restions actifs » [54]. Les discussions y sont parfois vives, mais se déroulent généralement dans de bonnes conditions, y compris avec les quelques parlementaires membres du comité restreint : « (…) on discutait en comité de soutien, et puis les députés ou les sénateurs qui se trouvaient là interpellaient le ministre, et on pouvait lire les comptes rendus (questions/réponses). Ils jouaient le jeu. » [55]
104Les activités et réflexions du comité de soutien restent pour l’essentiel limitées à ce petit cercle et ne sont pas relayées directement vers les médias. Par ailleurs, l’affaire Julie et Mélissa continue à susciter l’intérêt des médias. D’une part, à intervalles réguliers, des pistes sont évoquées par des journalistes. D’autre part – et surtout –, les parents participent à des émissions télévisées à l’étranger. En particulier, une seconde apparition sur la chaîne française TF1 en avril 1996 est largement relayée par les médias belges.
105Avant l’été 1996, les efforts de recherche et d’affichage se poursuivent. Les parents Russo et Lejeune maintiennent des contacts épisodiques avec d’autres parents d’enfants disparus. Ils nouent également contact avec les parents de Sabine Dardenne, disparue le 28 mai, et s’interrogent sur des liens possibles entre les deux disparitions.
106À l’approche de la date-anniversaire de la disparition, les parents des deux fillettes sont à nouveau pressés par les médias. Ils saisissent cette occasion et organisent une conférence de presse le 23 juin, sous forme d’une liste de cinquante-huit questions posées à la justice. Elles portent à la fois sur différents manquements dans la manière dont la disparition des deux fillettes a été traitée dans la durée par les services judiciaires, et sur la « mise à l’écart » des parents par rapport à l’enquête et au dossier par la juge Doutrèwe.
107Durant l’été 1996, les parents élargissent encore le champ de leurs initiatives : Gino Russo et Jean-Denis Lejeune entreprennent en particulier un périple à travers l’Amérique latine. Ce voyage suscite encore un fois un regain d’intérêt médiatique, qui dépasse très largement le cadre belge. Parallèlement, ils relancent la diffusion mondiale d’avis de recherche via les magasins hors-taxe des aéroports, comme en 1995.
Août 1996 – 20 octobre 1996 : de la découverte des corps à la marche blanche
108Le mois d’août 1996 est marqué par une suite d’événements qui secouent profondément la société belge et qui seront à l’origine d’une vague de mobilisations et de protestations sans précédent dans le pays : la disparition de Laetitia Delhez (le 9 août), l’arrestation de Marc Dutroux, Michèle Martin et Michel Lelièvre (le 13 août), la libération de Sabine Dardenne et Laetitia Delhez (le 15 août), l’arrestation de Michel Nihoul (le 16 août) et la découverte des corps de Julie Lejeune et de Mélissa Russo (le 17 août). Deux semaines plus tard (le 3 septembre), les corps de An Marchal et de Eefje Lambrecks sont également retrouvés.
109Avant la découverte des corps, les disparitions, notamment celle de Sabine puis de Laetitia, avaient suscité un relatif regain d’intérêt pour l’affaire Julie et Mélissa : à ces occasions, les parents Russo et Lejeune avaient à nouveau été sollicités, notamment par des demandes d’affiches. Cela avait été encore davantage le cas dès le jour de la libération de Sabine et de Laetitia « (…) Ça a été extraordinaire comme les gens se sont à nouveau mobilisés : ça n’arrêtait pas, le téléphone sonnait tout le temps, les gens voulait à nouveau des affiches pour les petites (…). On avait même fait retirer toute une série d’affiches (…). » [56]
110La découverte des corps de Julie et de Mélissa suscite à la fois une profonde émotion dans la population, ainsi qu’un sentiment de révolte, qui sont à la mesure des espoirs que la libération de Sabine et de Laetitia avaient suscités. Cela se traduit par de nombreux rassemblements de foule en différents endroits du pays. Le jour même, les Russo illustrent leur dégoût en affichant sur leur porte d’entrée un slogan mettant directement en cause l’ex-ministre de la Justice Melchior Wathelet [57]. Dès le lendemain, lors d’une longue conférence de presse donnée dans leur jardin devant un parterre de journalistes et une foule nombreuse, les parents Russo et Lejeune dénoncent en des termes très durs par la voix de leur avocat les carences de la Justice et des différents services de police et de gendarmerie.
111Les parents des deux fillettes sont rapidement submergés par l’afflux de bouquets et couronnes déposés par milliers à leur domicile. Ils reçoivent également une très grande quantité de lettres de condoléances et de courriers divers [58], qui s’amasseront durant de longues semaines. Au total, de la mi-août à la fin septembre, les parents reçoivent environ 150.000 lettres et envois postaux divers [59].
112Les funérailles des deux fillettes, le 22 août, ont des allures de funérailles nationales. La couverture médiatique est importante. Les 510.000 affichettes-souvenirs, imprimées à l’initiative d’un proche des parents [60] en toute urgence et disponibles en particulier dans soixante-six bureaux de poste, sont épuisées le jour même. Le lendemain de l’enterrement, lors d’une émission à la RTBF-TV [61], Gino Russo lance à l’attention du public : « On fera appel à vous. »
113Dans les semaines qui suivent, les parents Russo et Lejeune sont constamment contactés, sollicités, encouragés, jour et nuit. La pression est telle que, pour gérer ce flux constant, ils décident rapidement de créer une asbl. Sa création devient également indispensable tant les dons divers continuent à affluer.
114Ils s’interrogent également sur la suite à donner à leur engagement. En pratique, la pression et les espoirs placés en eux sont tels qu’ils se retrouvent contraints de prolonger leur action : « (…) On se sentait en quelque sorte responsables de la dynamique qu’on avait mis en route. (…) On y avait mis tellement d’énergie, d’espoir… et puis on a reçu des caisses de courrier de gens qui nous encourageaient à continuer. » [62] En effet, parmi les courriers et appels dont ils ont le temps de prendre connaissance, ils trouvent à la fois des propositions d’aide, d’initiatives, mais également des demandes d’aide et de soutien liées à la maltraitance et à la pédophilie. En outre, ils souhaitent continuer le combat sur le plan juridique avec leur avocat. Enfin, leurs proches continuent à les soutenir dans ce sens.
115Ils prennent donc l’initiative d’organiser le 13 septembre une conférence de presse à Liège, largement relayée par les médias, où sont conviés un grand nombre d’autres parents. Ils s’en prennent une nouvelle fois à l’appareil judiciaire et réclament entre autres une nouvelle fois l’accès au dossier. C’est ce jour que les Russo et les Lejeune font la connaissance de la famille Benaïssa, et en particulier de Nabela. Auparavant, ils avaient déjà eu l’occasion d’entrer en contact, ponctuel ou plus prolongé, avec la plupart des autres familles. C’est également le même jour qu’ils annoncent publiquement l’intention de créer leur propre asbl. Par ailleurs, le comité de soutien et ses deux types de membres continue d’exister.
116Le 26 septembre, maître Julien Pierre, avocat de Marc Dutroux, annonce l’introduction d’une demande de dessaisissement du juge d’instruction Connerotte pour cause de partialité dans le traitement de l’affaire à l’instruction [63]. Ceci alerte rapidement au premier chef les Russo et les Lejeune, alors que la pression dans le sens d’une initiative de leur part se poursuit sans discontinuer autour d’eux.
117Le jour même de l’annonce de maître Pierre, dans une interview à La Libre Belgique, Marie-Noëlle Bouzet évoque l’idée d’organiser « une marche » à Bruxelles, sans grande précision de date ni de contenu.
118Cette idée avait été simplement évoquée la veille dans une conversation privée entre Marie-Noëlle Bouzet et Carine Russo, alors qu’elles s’interrogeaient sur une manière de répondre aux multiples sollicitations de la population : « (…) on voit que tout le monde remue partout (…). Et on reçoit aussi des tas de gens qui nous téléphonent et qui nous disent « mais enfin, qu’est-ce qu’on peut faire, pour vous, on veut bouger, …”. (…) À tous ces gens qui proposent de faire quelque chose, on se dit : « pourquoi on ne leur proposerait pas une marche ?”. Une promenade tranquille. D’ailleurs, dans notre tête, on ne l’imaginait pas du tout comme ça (…), mais on imaginait vraiment la marche, la promenade du dimanche. Quelque chose de très symbolique. » [64]
119Le quotidien fait de cette future marche son titre principal, le 27 septembre. Dès lors, les Russo et les Lejeune ainsi que leurs proches se retrouveront au centre de la préparation de la future marche blanche, en compagnie de Marie-Noëlle Bouzet. C’est au domicile des Russo qu’est installé le « quartier général » où sont coordonnés les préparatifs : contacts avec les autorités politiques et les forces de l’ordre, stratégie de contact avec les médias, logistique, etc. Les parents Lejeune et Russo assument eux-mêmes différentes taches pratiques et de coordination, et tirent parti de leurs ressources et contacts divers.
120Durant la semaine de mobilisation et de protestation [65] qui suit l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre (décaissement du juge Connerotte), les parents – les Russo et les Lejeune au premier chef – sont sollicités en permanence par les médias, ce qui leur permet de lancer de nombreux appels au calme et à la dignité dans la perspective de la marche. Le jour de la marche blanche, les parents des deux fillettes assassinées se retrouvent bien évidemment sur le podium réservé aux parents, et ils accompagnent les autres parents afin de rencontrer le Premier ministre.
De la marche blanche au « retrait » d’avril 1997
121Les semaines et mois qui suivent la marche blanche sont loin d’apporter un ralentissement du rythme des activités des parents Russo et Lejeune. D’une part, ils suivent de près la mise sur pied des futurs « comités blancs ». Ces derniers étant lancés, ils seront constamment sollicités, à de multiples occasions : soirées-débats, inauguration de monuments, marches blanches locales, demandes de soutien diverses, etc. D’autre part, ils suivent également de près les travaux de la commission d’enquête parlementaire Dutroux, Nihoul et consorts, dont ils seront amenés à commenter les résultats et le cheminement. C’est à la suggestion du comité de soutien des parents Russo et Lejeune que les travaux de la commission sont retransmis par voie télévisuelle.
122Enfin, l’asbl Julie et Mélissa N’oubliez pas !, créée le 20 novembre 1996, se structure progressivement et leur apporte un soutien logistique non négligeable. Dotée d’un local et d’une ligne téléphonique distincte, et animée par des bénévoles, elle permet aux parents Russo et Lejeune de traiter et de filtrer les nombreux appels et sollicitations qui continuent à affluer. Les objectifs de l’asbl sont fort larges ; ils touchent non seulement à la lutte contre la pédophilie et la maltraitance à l’égard des enfants, mais aussi à la pression envers toutes les composantes du pouvoir judiciaire et au soutien aux parents et aux familles. Les moyens d’action évoqués dans les statuts de l’asbl sont également fort divers (cf. extrait des statuts de l’asbl en annexe 3).
123Par ailleurs, ils continuent à être régulièrement sollicités par les médias, belges comme étrangers, alors que la découverte du corps de Loubna Benaïssa le 5 mars 1997 relance un cycle de mobilisations [66], de sollicitations et de contraintes pour les parents. En outre, ils doivent compter avec leur conflit, latent depuis longtemps, mais ouvert dès le début avril 1997, avec J.-P. Malmendier et l’asbl Marc et Corine, mais également avec les difficultés et les conflits interpersonnels que connaissent les comités blancs.
124Durant six mois, presque quotidiennement, les parents Russo et Lejeune ont donc multiplié les apparitions, déclarations à la presse, apparitions télévisées, répondu aux sollicitations qui leur parviennent régulièrement. Mais l’accumulation de ces sollicitations et tensions génère une telle fatigue physique et psychologique qu’ils annoncent le 30 avril (via l’hebdomadaire Télémoustique) qu’ils se retirent.
Du « retrait » à la poursuite de l’engagement
125Toutefois, leur retrait n’est que partiel. Ils continuent à agir discrètement et conservent de nombreux contacts. Ils continuent à suivre les travaux de la commission parlementaire. Ils suivent également les travaux d’élaboration du Centre européen pour enfants disparus et exploités, même si des tensions se développent entre eux – les Russo particulièrement – et le médiateur chargé de préparer le terrain pour ce futur centre. C’est dans ce cadre que Gino Russo et Jean-Denis Lejeune participent à plusieurs réunions de travail. Toutefois, le 24 mai, lors de la réunion qui établit la charte du futur centre, seul Jean-Denis Lejeune est partie prenante.
126Ils continuent par ailleurs à se tenir informés, mais de manière plus distante, du développement des comités blancs, au Forum duquel ils participent le 15 juin. Néanmoins, ils sont fort peu présents à l’occasion des différentes actions et initiatives qui marquent le deuxième anniversaire de la disparition de Julie et Mélissa.
127À la mi-août 1997, un an après la découverte du corps de leurs filles, les Russo et les Lejeune sont à nouveau plus présents, participant à plusieurs émissions. D’une manière générale, leur discours est désabusé.
128Dès le mois de mai 1997, Jean-Denis Lejeune fait clairement savoir qu’il souhaiterait pleinement s’investir dans le développement du futur Centre européen pour enfants disparus et exploités, tache qui l’occupe à plein-temps depuis fin 1997.
129Dans le courant du mois d’octobre, les parents Russo et Lejeune sont à nouveau fort sollicités pour s’exprimer à l’occasion de la date-anniversaire de la marche blanche. Ils participent entre autres au rassemblement « blanc » de Neufchâteau, le 19 octobre 1997 ainsi qu’à différentes émissions. Pour l’essentiel, ils réitèrent leurs réserves et leur déception devant les réactions du monde politique et les réformes de la Justice.
130Au début de 1998, alors que Jean-Denis Lejeune s’implique pleinement dans le développement du futur Centre européen pour enfants disparus et exploités, son épouse a choisi de rester plus en retrait et a repris son emploi d’infirmière depuis décembre 1995 déjà. Carine Russo n’a pas repris d’activité professionnelle, à l’inverse de Gino Russo depuis le mois de septembre 1997. Les parents Russo continuent à s’investir sur le terrain de la revendication et de la mobilisation sociales, en participant par exemple à une conférence organisée par les comités blancs le 8 février, puis en étant au centre de la préparation et de l’animation de la « marche pour la vérité et contre la loi du silence » qui rassemble entre 25.000 et 30.000 participants à Bruxelles le 15 février. Par ailleurs, ils se voient sollicités en vue de se positionner par rapport aux futures échéances électorales, et ce d’autant plus que, le 14 janvier 1998, Paul Marchal présente officiellement le lancement du Partij voor Nieuwe Politiek – PNP.
131Parmi les nombreux enseignements qui pourraient être tirés de ce compte rendu de la « trajectoire » des Russo et des Lejeune durant près de deux ans et demi, nous nous limiterons à en évoquer trois.
132En premier lieu, leur discours « politique » – au sens de la critique des institutions et de l’expression de revendications – n’a pas débuté soudainement au lendemain de la découverte des corps de leurs filles. Dans ses grands axes, ce discours était déjà présent dès le mois d’août 1995, soit un an plus tôt.
133Deuxièmement, lorsque l’on mesure l’énergie déployée par les parents Russo et Lejeune à partir de juin 1995 ainsi que la vigueur de leurs revendications dès août 1995, les nombreuses initiatives et positions prises par les parents depuis août 1996 se situent en continuité avec le combat entamé dès 1995. On décèle donc dans leur parcours une certaine continuité.
134Enfin, les médias ont joué un rôle crucial dans l’activation, puis les réactivations successives, de l’intérêt de la population [67]. D’une certaine manière, tout au long de cette période, et surtout de juin 1995 à juillet 1996, les Russo et les Lejeune se sont vus littéralement contraints de « créer l’événement » à plusieurs reprises afin de réveiller ou de maintenir l’intérêt médiatique autour de leurs démarches. Via ce jeu des médias, les Russo et les Lejeune étaient déjà des personnages largement connus du grand public avant les découvertes d’août 1996.
Les comités blancs
135L’idée de créer des comités locaux germe très tôt dans un petit groupes d’intellectuels « progressistes » évoluant en dehors des grandes structures partisanes ou syndicales, peu de temps après les découvertes du mois d’août 1996. L’animateur de ce petit groupe informel est Patrick Van Alphen, médecin, ayant milité dans différentes causes auparavant [68]. Dès le début du mois de septembre, l’idée est lancée. Les Russo et les Lejeune en sont informés et soutiennent – accompagnent même – le lancement de cette initiative. Au terme de plusieurs réunions, une charte est établie, qui doit permettre de constituer un « réseau d’attention et de solidarité » constitué de « comités blancs » (cf. texte de la charte en annexe 4).
136Ceux-ci sont lancés officiellement le 12 décembre 1996, en présence de plusieurs parents dont les Russo et les Lejeune en première ligne. En quelques mois, leur nombre se multiplie ; ils sont déjà plus de 120 au mois d’avril 1997 [69]. Leur développement ne se fait néanmoins pas sans mal : aux difficultés pratiques (coordination, logistique) s’ajoutent de nombreux conflits et tensions, à l’échelon national, régional et local. Les modalités de structuration et d’organisation constituent un problème récurrent.
137Leur nombre se stabilise néanmoins. Ils organisent un Forum le 15 juin 1997 à Leuven. Celui-ci marque le début d’une réflexion plus pointue sur les objectifs et les structures. Durant l’été, les conflits internes reprennent de plus belle, tandis que le Bureau de liaison (le secrétariat central) est en attente de locaux plus permanents.
138Durant l’automne 1997, de nombreux comités (environ 130, dont une centaine effectivement en activité) continuent à exister, voire à se développer, avec des fortunes diverses et se limitant souvent à la sphère locale. S’ils subsistent, leurs actions sont moins relayées par les médias.
139Alors qu’une assemblée avait décidé dès le 4 août 1997 de constituer un groupe de travail « structures », il faut attendre l’assemblée du 16 janvier 1998 pour que soit proposé un premier document de synthèse. La question de la forme organisationnelle n’est à ce moment pas encore clarifiée.
140Entretemps, la situation financière à l’échelon national (Bureau de liaison) reste préoccupante, malgré la constitution d’une asbl « technique » dénommée Réseau des comités blancs de vigilance et de solidarité le 8 septembre 1997, afin d’assurer la gestion financière et administrative de l’ensemble. Dans le même temps, le leadership reste informel à tous les échelons, tandis que la communication entre comités blancs locaux ainsi qu’entre de nombreux comités blancs et le « centre » reste malaisée. Par ailleurs, la prédominance francophone, présente dès le lancement des comités, persiste, tandis que la réflexion en termes d’objectifs a peu progressé, à l’échelon national tout au moins.
141Malgré ces difficultés, le réseau informel des comités blancs continue à exister. Il démontre sa capacité de mobilisation à l’occasion du rassemblement « blanc » à Neufchâteau le 19 octobre 1997, mais aussi à l’occasion d’une conférence le 8 février à Louvain-en-Woluwe, sur le thème du « backlash » [70], qui rassemble plus de cinq cents participants. Il est également au centre de l’organisation de la « marche contre la loi du silence » lancée à l’origine par l’association Pour la vérité qui s’était constituée à l’occasion du premier anniversaire de la marche blanche du 12 octobre 1996. Cette manifestation réunit près de trente mille participants à Bruxelles le 15 février 1998. À ces différentes occasions, toute l’énergie du réseau des comités blancs est mobilisée, ce qui reporte d’autant la consolidation et la formalisation organisationnelles de l’ensemble.
142Par ailleurs, au début de 1998, les comités blancs se trouvent confrontés – et se trouveront confrontés de manière croissante dans les prochains mois – à plusieurs défis. Ils auront notamment à se positionner par rapport au PNP de Paul Marchal, tout en conservant le « plus petit commun dénominateur » qui les unit dans leurs pratiques quotidiennes : la défense des droits de l’enfance, ou encore l’affirmation des individus-citoyens face aux institutions.
L’évolution des relations entre les acteurs : coopération et conflits
143Après avoir identifié trois acteurs et décrit leurs trajectoires respectives, nous nous pencherons sur la nature des relations qu’entretiennent l’asbl Marc et Corine et les parents Russo et Lejeune, les comités blancs et l’asbl Marc et Corine, les parents Russo et Lejeune et les comités blancs.
144L’intérêt de l’analyse de ces relations est triple : elles ont parfois fortement influencé la trajectoire des acteurs respectifs, elles ont très souvent été médiatisées – les conflits, en particulier –, et elles permettent de mettre à jour les spécificités de chaque acteur, les traits qui les différencient.
145L’ambition de cette analyse est à la fois descriptive (comment ont évolué les relations entre les différents acteurs, et quelles en ont été les principales étapes, les événements-charnières ?) et explicative (comment rendre compte de la nature de ces relations, des changements intervenus dans celles-ci ? Quels en sont les principaux facteurs explicatifs ?).
146Les facteurs explicatifs potentiels dans l’évolution des relations entre ces acteurs peuvent être regroupés en quatre catégories principales :
- des facteurs liés à la psychologie et au « vécu » personnel des acteurs [71], mais aussi à leurs sensibilités personnelles. Tous ces facteurs doivent être reliés au contexte (souvent changeant) dans lequel évolue l’acteur. Ce type de facteur peut jouer un rôle important, a fortiori dans des situations marquées par une très forte émotion et par le dénouement de drames personnels. Dans ce contexte, l’interaction entre individus comporte une dimension « affective » non négligeable. Si l’on ajoute à cela que beaucoup des personnes plus directement concernées (parents de victimes, initiateurs d’associations, etc.) ont été « projetés » dans la sphère publique suite à un drame personnel, on mesure à quel point cela peut être potentiellement générateur de conflits plus âpres, plus « passionnés ». Des conflits matériels objectivables, telles des disputes financières, matérielles,…
- une situation de concurrence objective : le fait que deux individus ou deux organisations entrent en concurrence pour la conquête d’un « territoire ». Celui-ci peut-être la prise en charge d’une problématique particulière, ou encore la prestation de certains « services » à la population, etc. Cette concurrence peut également soulever des conflits matériels.
- des conflits ou tensions de type idéologiques : ils trouvent leur source dans des visions divergentes de l’ordre social « souhaitable » et de ses institutions. Ces visions divergentes peuvent elles-mêmes découler de différences de composition sociologique et/ou d’attitudes ou opinions dans les « publics » qui soutiennent respectivement telle ou telle association, tel ou tel acteur. Il en résulte une non-congruence des objectifs et/ou des stratégies nécessaires pour atteindre des objectifs.
147Le volet descriptif de l’analyse sera limité aux grandes étapes et événements marquants dans cette interaction. Il sera basé sur des éléments « vérifiables ». L’accent sera plus mis sur les grandes logiques à l’œuvre que sur l’exposé des détails factuels.
148L’explication devrait également intégrer les interactions avec les mondes politique, judiciaire, associatif, etc. ainsi que le rôle essentiel des médias : dans quelle mesure ces autres acteurs ont-ils tenté d’influencer, de contrer, de contrôler, voire d’instrumentaliser les trois nouveaux acteurs analysés ? Cette dimension sera moins développée dans le cadre de la présente analyse. Il est néanmoins indubitable que ces interactions ont souvent constitué un enjeu de coopération ou de conflit entre les trois acteurs considérés.
L’asbl Marc et Corine face aux parents Russo et Lejeune
Évolution des relations
149L’asbl Marc et Corine, ainsi que nous l’avons exposé plus haut, a eu pour principale cheville ouvrière Jean-Pierre Malmendier. De facto, dans la présente section, il sera donc souvent question de la relation entre ce dernier et les parents Russo et Lejeune.
150Les parents des deux fillettes nouent des contacts avec l’asbl le jour même de la disparition, d’une manière indirecte : des proches se rendent aux locaux de l’asbl afin de prendre conseil. Ces proches avaient été favorablement marqués par la campagne d’affichage dans le cadre de la disparition d’Éric Smal un peu plus de deux mois auparavant. Auprès de l’asbl, ils reçoivent des conseils utiles en matière d’initiatives urgentes : « Il faut contacter toutes les personnes que vous connaissez et il faut noyer la région d’affiches. » [72]
151C’est sur base de ces conseils que les parents lancent leurs premières initiatives dans les heures qui suivent, en bénéficiant en particulier d’un soutien très rapide dans l’entourage professionnel de G. Russo à Cockerill (photocopies en grande quantité, dans un premier temps). L’asbl prend également rapidement en charge ce cas. D’emblée est mis en place le scénario qui se prolongera longuement, avec des variations : l’asbl traite le cas de la disparition de Julie et de Mélissa en fonction de ses moyens et sur base de son modèle d’action, tandis que les parents Russo et Lejeune décident d’emblée de prendre également eux-mêmes des initiatives.
152Dans les premières semaines, l’asbl et les parents travaillent de concert. Les relations entre ces derniers et J.-P. Malmendier sont cordiales. C’est ainsi que, par exemple, lors de la visite du ministre De Clerck aux Russo le 26 juillet, Jean-Pierre Malmendier est également présent, à l’invitation des parents des deux fillettes.
153Toutefois, dès le mois d’août, des tensions, des difficultés se font jour. Elles se focalisent tout d’abord sur l’utilisation et l’affectation des ressources financières, qui commencent à affluer sous forme de dons suite à la forte médiatisation et à la vague d’émotion que suscite la disparition de Julie et de Mélissa. Parmi les problèmes qui se posent d’une manière récurrente, il y a tout d’abord l’affectation des dons adressés à l’asbl afin de soutenir la recherche des fillettes : dons individuels (de plus en plus nombreux), mais également bénéfices d’actions de soutien (entreprises, associations diverses). Or, après quelques semaines, les parents Russo et Lejeune décident de prendre encore davantage d’initiatives, ce qui nécessite des moyens accrus. En définitive, ils prendront en charge eux-mêmes les frais d’affichage à partir de novembre 1995, sur base des recettes de la vente de pin’s. D’autre part, ils nourrissent des réserves croissantes quant à la qualité des opérateurs téléphoniques de l’asbl.
154Les relations, déjà tendues, se dégradent également en septembre 1995 lorsque les membres du conseil d’administration de l’asbl refusent d’intégrer un représentant des parents Russo et Lejeune en leur sein, alors que la proposition en avait été faite par Jean-Pierre Malmendier. Les motivations, explicites et implicites, sont multiples. D’une part, le travail de l’asbl est presque entièrement absorbé par la disparition de Julie et de Mélissa, ce qui fait craindre à certains que l’asbl ne s’en trouve déstabilisée : « Il faut qu’on soit capables de réagir si d’autres disparitions se produisent, et donc on ne doit pas laisser mettre toute notre structure à disposition des parents [Russo-Lejeune]. » [73] D’autre part, les rapports entre l’asbl et les parents des fillettes sont déjà tendus, non seulement en termes financiers, mais également dans la mesure où ces derniers décident d’entreprendre eux-mêmes des investigations et démarches diverses selon une logique différente de celle de l’asbl Marc et Corine.
155Malgré ces difficultés, durant quelques mois, les deux acteurs définissent, bon an, mal an, des arrangements qui leur permettent de poursuivre leurs démarches chacun de leur côté. Assez rapidement, les différends d’ordre financier ne figurent plus parmi les préoccupations centrales des parents des deux fillettes. Ils continuent donc à entretenir des relations de collaboration. C’est ainsi que J.-P. Malmendier, F. Kistemann et L. Smal rejoignent le comité de soutien des parents de Julie et de Mélissa à sa création en janvier 1996, et même le comité restreint. Ils s’en distancient toutefois rapidement, se retrouvant en porte-à-faux avec la démarche et la réflexion stratégique de ce comité.
156La rupture entre l’asbl Marc et Corine et les parents Russo et Lejeune se produit lorsque, en juin 1996, ces derniers découvrent que J.-P. Malmendier ne leur transmet pas les témoignages qui parviennent à l’asbl. Ces témoignages étant nombreux et de qualité très variable, J.-P. Malmendier se refuse de les leur transmettre : « (…) sur un plan humain, il y avait des choses qui n’étaient pas à transmettre : des accusations qui les concernaient eux en personne, ou encore des (…) demandes de rançon, des accusations directes vis-à-vis d’autres personnes, (…) C’était aux enquêteurs à vérifier tous ces éléments-là et c’était courir au dérapage en les leur transmettant directement » [74]. C’est le traitement d’un témoignage particulier (en juin 1996) qui déclenche la rupture complète. Du point de vue des parents des deux fillettes disparues, c’est à la fois ce cas particulier et la pratique générale de l’asbl, dont ce cas particulier est pour eux le révélateur, qu’ils jugent inacceptables. En tout état de cause, la rupture entraîne la fin de toute collaboration entre les parents Russo et Lejeune et l’asbl.
157Depuis les premières semaines jusqu’au mois de mars 1997, les différents conflits et tensions restent confinés à l’interne. La rupture complète restera également longuement cachée. Le distanciement sera néanmoins rendu public à la mi-juillet 1996, lorsque Carine Russo lance, par médias interposés, que « (…) il n’y a entre nous et l’asbl Marc et Corine plus de commune mesure. Les contacts étant désormais rompus, il faut comprendre que ce n’est pas à l’asbl qu’il faut s’adresser pour quoi que ce soit concernant Julie et Mélissa ». Tout en reconnaissant le rôle actif de l’asbl en ce qui concerne les premières mesures en cas de disparition, elle réfute le soutien que l’asbl leur aurait apporté : « [l’asbl] n’est ni un soutien financier, ni psychologique, ni une aide juridique, ni une aide sociale, ni un service de renseignement et encore moins de recherche » [75], et critique l’asbl sur le plan de la gestion financière et du traitement des témoignages. La rupture sera également perceptible lorsque, après les découvertes des corps des deux fillettes en août 1996, les parents Russo et Lejeune se désolidariseront de la pétition en faveur des peines incompressibles lancée par l’asbl Marc et Corine.
158Mais c’est l’année suivante que la rupture sera plus fortement médiatisée encore, dès lors que les responsables de l’asbl – et J.-P. Malmendier au premier chef – prennent l’initiative de diffuser un numéro spécial du Marc et Corine Magazine, début avril 1997, alors que se déroulent les négociations visant à élaborer la charte du futur Centre européen pour enfants disparus et exploités. Dans une longue « mise au point », J.-P. Malmendier formule une longue liste de reproches à rencontre des Russo et des Lejeune, mais également des comités blancs.
159Les parents Russo et Lejeune étant à l’étranger au moment de la sortie de cette « mise au point », ils n’y répondront pas directement. À leur retour, ils renoncent d’y répondre point par point. Mais il est d’ores et déjà clair, aux yeux du grand public également, désormais, que la rupture est consommée.
160Au moment où elle est rendue publique, cette rupture a déjà eu des incidences concrètes ; elle en aura encore durant les mois suivants. C’est ainsi que, par exemple, maître Hissel, qui était initialement l’avocat des parents Kistemann et Malmendier dans l’affaire du meurtre de Marc et Corine, quittera ceux-ci le 20 juillet 1997 pour s’engager pleinement aux côtés des parents des deux fillettes, après avoir vainement tenté de concilier les positions des uns et des autres.
161D’autre part, la médiatisation de ce conflit occasionne beaucoup de torts aux comités blancs, qui traversent alors une période difficile de leur structuration. Dans l’enquête que nous avons menée auprès des militants des comités blancs entre mai et août 1997, il ressort que beaucoup d’entre eux considèrent qu’il s’agit d’un enjeu pouvant mettre en danger l’avenir même des comités blancs.
162Par la suite, les divergences dans le discours de l’asbl Marc et Corine et des parents Russo et Lejeune apparaîtront régulièrement : par exemple dans l’évaluation des réformes de la Justice ou dans le positionnement par rapport au projet de Centre européen pour enfants disparus.
Facteurs explicatifs
163Durant la période considérée, les relations entre les parents Russo et Lejeune, d’une part, et l’asbl Marc et Corine (et J.-P. Malmendier en particulier), d’autre part, n’ont donc cessé de se dégrader progressivement. Ce n’est que longtemps après que le point de rupture ait été atteint que ce conflit a été fortement médiatisé. Comment rendre compte de ces tensions croissantes ? À l’analyse, il semble que trois principaux types d’explications doivent être retenues.
164En premier lieu, le contexte dans lequel se meuvent les protagonistes n’est pas du tout identique. D’un côté, J.-P. Malmendier se situe dans un contexte de consolidation, de pérennisation de l’association qu’il a créée et bâtie durant plus de deux années. De l’autre côté, les parents Russo et Lejeune se sont fixé pour unique objectif de retrouver leurs enfants, aussi rapidement que possible et par tous les moyens possibles. Ces deux démarches ne sont que partiellement compatibles. C’est ainsi que Carine Russo soutient : « Sa logique [à Jean-Pierre Malmendier], c’était de faire grandir son asbl, et notre logique, c’était de retrouver nos filles. » [76] Ce qui est sans doute vrai, en dernière analyse, même si J.-P. Malmendier s’est pleinement investi durant des mois dans l’affaire de la disparition de Julie et de Mélissa.
165Deuxièmement, le contexte émotionnel, affectif de l’interaction entre les parents Russo et Lejeune et J.-P. Malmendier a joué un rôle non négligeable. Après la disparition de leurs deux fillettes, les parents Russo-Lejeune vivent naturellement une épreuve psychologique de tous les instants. D’une part, ils se heurtent d’une manière croissante, et douloureuse personnellement, à l’appareil judiciaire (magistrature, police judiciaire, gendarmerie). Ils espèrent que, malgré ses limites, l’asbl Marc et Corine se situe à leurs côtés dans leur combat. Lorsqu’ils mesureront, en mai-juin 1996 seulement, la distance qui les sépare de la stratégie de Jean-Pierre Malmendier, ce sera vécu par eux comme une véritable « trahison » [77]. D’autre part, dès l’automne 1995, J.-P. Malmendier – comme beaucoup d’autres d’ailleurs – sera de ceux qui conseilleront aux parents des deux fillettes d’envisager également sérieusement la possibilité d’une issue fatale. Or, cette perspective a été rejetée avec la dernière énergie par les parents, jusqu’à la découverte d’août 1996. En combinant ces deux aspects, on comprend mieux le sentiment de révolte qui animera les Russo et les Lejeune, ainsi que l’intensité du conflit personnel qui en découlera (jusqu’à en arriver aux mains).
166Enfin, on perçoit des différences sensibles dans la manière dont les Russo et les Lejeune et J.-P. Malmendier appréhendent le « rapport aux institutions », sans aller jusqu’à prétendre que tout les oppose à cet égard. Ces différences ne s’expliquent pas seulement par des options ou préférences idéologiques divergentes, mais aussi, et peut-être surtout, par les contextes différents dans lesquels se trouvent les uns et les autres. Une des critiques majeures des parents Russo et Lejeune à l’égard d’asbl telles Marc et Corine ou HOVK est que « (…) ce sont des associations qui marchent complètement avec l’institutionnel [78] ». Comme Marie-Noëlle Bouzet, ils leur reprochent d’entretenir des relations trop étroites avec l’« establishment » politique (afin d’obtenir des subsides) et avec les forces de l’ordre (la gendarmerie en particulier), d’une manière « opportuniste ». Par exemple, ils ne peuvent accepter que l’asbl Marc et Corine soit la seule habilitée à participer à des réunions avec la Cellule nationale de disparitions créée au sein du BCR, réunions dont les parents ne sont pas informés.
167Il est un fait que J.-P. Malmendier n’a cessé de chercher à établir des liens privilégiés avec la gendarmerie, et également à nouer des relations avec le monde politique, ce qui ne l’a pas empêché, par moments, de le défier par ailleurs. Il faut rappeler que, dès 1992, l’option de l’asbl a été de collaborer avec les forces de l’ordre, dans une optique d’efficacité et de respect du partage des tâches entre le monde associatif et les institutions. Quelques citations de J.-P. Malmendier illustrent bien cette perspective : « Nous avons regretté de ne pas pouvoir faire le tien entre les autorités et les parents de Julie et Mélissa » [79]. Ou encore : « Les gens qui s’engageraient à animer une antenne de notre asbl, tout en se maintenant à la ligne de conduite de celle-ci (…), devront être de « bonne conduite et de bonnes mœurs” et ne se substitueront pas aux autorités. Nous ne sommes pas des enquêteurs ! » [80] Et enfin : « Je suis quand même heureux que notre asbl soit reconnue auprès de différentes autorités ; auprès de la Cellule nationale de disparitions, par exemple. Ces autorités doivent comprendre que nous avons besoin d’une base plus sûre. Nous estimons que c’est à la société à nous la fournir par le truchement de subsides officiels. » [81] Il y a donc manifestement une recherche de reconnaissance de la part des « autorités », ce qui tranche d’ailleurs complètement avec la perspective des parents Russo et Lejeune (mais aussi celle des comités blancs, cf. infra).
168Ce qui est perçu par les parents Russo comme opportuniste de la part de J.-P. Malmendier, correspond à l’objectif qu’il s’est fixé : l’objectif majeur que s’est fixé J.-P. Malmendier est de viabiliser, d’installer son asbl dans la durée, afin d’œuvrer à la recherche d’enfants disparus. À l’inverse, jusqu’aux tragiques découvertes du mois d’août 1996, les Russo et les Lejeune ne plaçaient pas leur combat dans le long terme : ce qu’ils voulaient, c’était retrouver leurs fillettes, dès que possible, quoi qu’il leur en coûte.
169En définitive, si l’on analyse l’évolution des relations entre les parents des fillettes et J.-P. Malmendier, on observe des acteurs dont le contexte et la logique d’action sont fondamentalement différents. Ces logiques d’action divergentes n’ont pu que les mener au conflit, irrémédiablement. D’une certaine manière, chacun de ces deux acteurs peut, dans sa propre perspective, clamer que sa démarche est « légitime » ou « juste ». Par exemple : Gino et Carine Russo peuvent, de leur point de vue, légitimement nourrir des reproches envers le pouvoir judiciaire et se sentir trahis par J.-P. Malmendier et son asbl. Mais, à l’inverse, dans sa logique d’action personnelle, ce dernier peut légitimement considérer que la manière dont les parents des fillettes envisagent leurs démarches est incompatible avec le dispositif qu’il a mis en œuvre dans le cadre de son asbl. Cela étant, il ne fait aucun doute que l’asbl n’aurait pas connu un tel développement sans la mobilisation engendrée par la disparition de Julie et de Mélissa.
L’asbl Marc et Corine face aux comités blancs
Évolution des relations
170Les relations directes entretenues par ces deux acteurs sont ténues. D’une part, la création de l’asbl Marc et Corine précède de quatre années celle des comités blancs. Lorsque ces derniers sont lancés en décembre 1996 avec le soutien, rappelons-le, de différents parents dont les Russo et les Lejeune, les responsables de l’asbl ne s’y impliquent aucunement. Tout au plus quelques personnes actives dans l’asbl à l’échelon local s’investissent-elles dans tel ou tel comité blanc, mais de tels exemples sont rares.
171Sur le terrain, à l’échelon local, nous avons décelé une distance, presque une indifférence, entre les deux acteurs, parfois teintée d’une ironie réciproque. Au niveau des responsables de l’asbl et des initiateurs des comités blancs, par contre, nous avons perçu des critiques croisées plus vigoureuses. D’une part, d’aucuns chez les comités blancs considèrent que l’asbl Marc et Corine est porteuse d’un projet « réactionnaire » ou « sécuritaire » [82]. D’autre part, les responsables de l’asbl Marc et Corine considèrent généralement que les comités blancs constituent un ensemble peuplé d’utopistes, peu sérieux et aux objectifs peu clairs, une initiative vouée à l’échec.
172On observe donc, entre les comités blancs et l’asbl Marc et Corine, une relation qui est distante et froide, voire critique. Mais quelle perception les membres de l’asbl se font-ils des comités blancs… et, inversement, comment les militants des comités blancs considèrent-ils l’asbl Marc et Corine ?
173Pour répondre à cette question, nous disposons des données d’une enquête originale, que nous avons menée aussi bien auprès des militants des comités blancs que des membres les plus actifs de l’asbl Marc et Corine, avec des questions formulées exactement de la même manière dans les deux cas. Cette enquête, effectuée par voie postale, nous a permis de recueillir 164 questionnaires auprès des comités blancs, et 36 questionnaires auprès de l’asbl [83]. Le nombre de questionnaires disponibles est donc limité en ce qui concerne les membres de l’asbl ; il ne sera en conséquence pas possible d’effectuer des analyses statistiques élaborées. Moyennant certaines précautions, la comparaison est néanmoins possible entre les deux types de publics [84].
174Nous avons proposé une question à six catégories, de « ils font du très bon travail » à « ils font du très mauvais travail ». L’analyse des perceptions croisées amène quelques surprises, mais aussi des confirmations en liaison avec les difficultés entre les deux acteurs.
Perceptions croisées des membres des comités blancs et des membres de l’asbl Marc et Corine [85]
Perceptions croisées des membres des comités blancs et des membres de l’asbl Marc et Corine [85]
175Dans l’ensemble, les perceptions croisées ne sont pas très tranchées ; de part et d’autre, un certain mérite est reconnu. Il semble donc que les tensions potentielles à la « base » des comités blancs et de l’asbl Marc et Corine soient moins fortes qu’au « sommet » de ces organisations (par exemple entre J.-P. Malmendier et des membres du Bureau hebdomadaire de la coordination nationale des comités blancs). Cela ne signifie pas pour autant que les divergences de fond en termes de perceptions, d’objectifs, de sensibilité politique, etc., entre les membres des deux groupes soient négligeables.
Éléments d’explication
176Pour la majeure partie de cette section, nous nous baserons également sur un premier dépouillement de l’enquête que nous avons menée auprès des militants des comités blancs et des membres de l’asbl Marc et Corine.
La composition des membres de l’asbl Marc et Corine et des comités blancs
177Une première manière de rendre compte des divergences entre les deux acteurs considérés est de se pencher sur leurs adhérents, membres et militants respectifs : leur profil socio-démographique et leur « vécu » présentent-ils des différences notables ?
178Dans le cas des membres des comités blancs, le profil socio-démographique est original à plusieurs égards [86]. L’asbl compte beaucoup de femmes en son sein (légèrement plus de 50 %), mais c’est cependant moins que les comités blancs (60 %). Du point de vue de l’âge, l’asbl compte peu de membres très jeunes ; les catégories les plus représentées sont les 30-34 ans, les 40-44 ans, et surtout les 55-59 ans (près de 20 % à eux seuls), qui sont nettement plus présents que dans les comités blancs (6 %). En moyenne, donc, les membres de l’asbl sont plus âgés, ce qui a certainement des implications en termes d’opinions, de motivations et d’attitudes.
179La très grande majorité (94 %) des membres de l’asbl ont au moins un enfant ; près de 40 % d’entre eux sont pères ou mères de familles nombreuses (trois enfants et plus). Ceci est nettement supérieur encore aux chiffres observés auprès des membres des comités blancs, même si une partie – mais une partie seulement – de la différence s’explique par la différence d’âge [87]. Mais l’attachement à l’enfant via l’expérience familiale représente un point commun aux deux publics.
180En termes de statut socioprofessionnel, environ deux tiers des membres de l’asbl sont actifs, ce qui est comparable à la composition des comités blancs. Comme pour les comités blancs également, la catégorie de loin la plus nombreuse est celle des employés. Parmi les inactifs, les femmes au foyer et les (pré)pensionné(e)s sont également nombreux, comme dans les comités blancs. Quant au niveau d’éducation, l’asbl rassemble des publics fort diversifiés : du primaire à l’universitaire. En conclusion, on peut dire que le profil socioprofessionnel et éducationnel des membres de l’asbl et des comités blancs est assez semblable ; les strates intermédiaires de la société y sont surreprésentées par rapport à l’ensemble de la population [88].
181L’expérience de la participation à des manifestations apparaît, à quelques exceptions près, nettement moins développée chez les membres de l’asbl que celle des militants des comités blancs. Seuls 64 % d’entre eux ont déjà manifesté au moins une fois dans leur vie (contre 87 % pour les membres des comités blancs). Seuls 50 % d’entre eux (contre 73 %) ont pris part à une marche blanche locale. Par contre, ils sont également 50 % (contre 53 %) à avoir pris part à la marche blanche du 20 octobre 1996, 25 % (contre 20 %) à s’être déplacés à Bruxelles à l’occasion du décès du roi Baudouin, et 30 % (contre 18 %) à avoir pris part à une manifestation syndicale. Néanmoins, aucun d’entre eux n’a participé à la marche pour l’emploi du 17 mars 1997, à des manifestations antimissiles de 1979 à 1987, ou encore à des manifestations antiracistes entre 1992 et 1994.
182À la différence des comités blancs, le public de l’asbl ne recouvre donc pas celui des « nouveaux mouvements sociaux », mouvements généralement plus critiques par rapport à l’autorité, aux institutions et aux acteurs « traditionnels ». Le public de l’asbl apparaît à la fois moins habitué aux manifestations, moins contestataire sans doute également, plus « classique », mais fort présent lors de grands rassemblements porteurs d’une émotion collective (mort du Roi Baudouin, marche(s) blanche(s)).
183En ce qui concerne les autres initiatives liées aux disparitions d’enfants et en particulier à l’affaire Dutroux et consorts, deux tiers des membres de l’asbl déclarent avoir pris part à d’autres initiatives (contre 96 % des militants des comités blancs). Parmi eux, 88 % (contre 89 %) ont signé des pétitions, et 76 % (contre 79 %) ont affiché des photos d’enfants sur leur véhicule ou leur maison. Dans les deux cas, ce n’est pas étonnant, car ces deux types d’initiatives sont fortement pratiquées par l’asbl Marc et Corine.
184Par contre, seuls 24 % des membres de l’asbl (contre 43 %) sont allés fleurir des endroits liés aux disparitions des victimes, et seuls 12 % d’entre eux (contre 29 %) ont participé à des actions directes (occupations, sit-ins, etc.) dans le cadre de ces affaires. En définitive, les membres de l’asbl se sont en moyenne moins fortement impliqués que les militants des comités blancs, en dehors des modes d’action « classiques » de l’asbl. Il est à noter, enfin, qu’aucun des 36 répondants de l’asbl n’a participé à une réunion de comité blanc.
185Les membres de l’asbl sont encore moins syndiqués en moyenne (25 %) que les militants des comités blancs (34 %). À l’inverse, ils sont davantage affiliés à un parti politique (17 % contre 14 %). Il semble que le PRL soit plus représenté que la moyenne dans l’asbl (pour les comités blancs, c’est le PS).
186Une proportion de 56 % des membres de l’asbl (contre 49 % des militants des comités blancs) déclarent une participation active à des associations, quelles qu’elles soient. C’est en tout état de cause nettement supérieur aux chiffres dans la population. On observe par ailleurs la même logique que chez les militants des comités blancs : ce sont en grande majorité dans des associations pluralistes ou neutres, c’est-à-dire n’appartenant pas à l’un des « mondes » traditionnels (chrétien, socialiste, libéral), qu’ils s’engagent prioritairement. Le monde associatif chrétien est moins présent que chez les membres des comités blancs, tandis que les domaines de l’aide aux personnes, et tout particulièrement de l’aide à l’enfance, sont clairement prédominants dans le public de l’asbl.
Les attitudes et les opinions des membres de l’asbl Marc et Corine et des comités blancs
187En termes de comportement électoral, les tendances des membres de l’asbl sont très différentes de celles des militants des comités blancs (pour lesquels Écolo était le premier parti, suivi du PRL). Pour le vote déclaré en 1995 (à la Chambre), le PRL est clairement prédominant (36 %), suivi du PSC et du PS (21 % et 18 %) et enfin d’Écolo (11 %). Même si la signification de ces chiffres est limitée (vu la faible taille de l’échantillon), l’on peut en conclure que la sensibilité partisane est considérablement différente au sein de l’asbl Marc et Corine.
188En ce qui concerne les intentions de vote des membres de l’asbl, la position du PRL est encore renforcée (43 %, contre 14 % pour les membres des comités blancs), tandis qu’Ecolo se maintient (12 %, contre 39 % pour les membres des comités blancs). Tout comme c’était le cas dans le public des comités blancs, le PS et le PSC ne bénéficieraient chacun que de 8 % d’intentions de vote. Il est à noter qu’à l’inverse de ce qui est le cas parmi les militants « blancs », aucun membre de l’asbl ne déclare désirer voter spontanément pour un « parti blanc » [89]. D’ailleurs, aucun répondant de l’asbl ne considère qu’il faille créer un tel parti, tandis que seuls 20 % des membres des comités blancs envisageaient cette perspective.
189Les membres de l’asbl donnent le plus souvent des explications très ciblées à leur engagement : l’aide aux personnes, la protection de l’enfance pour l’essentiel. C’est très différent des militants des comités blancs, dont les motivations sont nettement plus diverses et diffuses.
190En ce qui concerne la confiance envers les institutions, des différences marquantes apparaissent entre les deux publics. Comme dans une précédente publication [90], nous avons construit un classement des institutions sur une échelle de confiance-méfiance, en calculant la différence entre, d’une part, les pourcentages de « très confiants » et de « confiants » et, d’autre part, les pourcentages de « très méfiants » et de « méfiants ». Plus le chiffre est positif, plus l’institution bénéficie de la confiance ; à l’inverse, plus le chiffre est négatif, plus les répondants témoignent de la méfiance à l’encontre de cette institution. La figure ci-dessous met clairement en évidence les différences entre les deux publics.
Confiance et méfiance envers les institutions
Confiance et méfiance envers les institutions
191On se situe ici au cœur des différences entre l’asbl Marc et Corine et les comités blancs, différences qui ont trait aux attitudes et opinions à l’égard du fonctionnement de la société et de ses institutions. Le profil des deux publics est fondamentalement différent au moins à trois égards.
- Les membres de l’asbl expriment, d’une manière générale, une méfiance moins forte et moins généralisée à l’égard des institutions. C’est ainsi que, si l’on additionne les scores, pour chaque répondant, de 1 (très confiant) à 5 (très méfiant) pour chacune des quatorze institutions, on peut construire un score global de confiance/méfiance, de la « confiance absolue » (14 points) à la méfiance absolue (70 points). Si on découpe cet intervalle en quatre parts égales, on obtient les catégories reprises ci-dessous ; la différence entre le profil des membres de l’asbl et des militants des comités. blancs y est manifeste.
- Aucun membre de l’asbl n’est en rupture totale avec les institutions, alors que plus d’un tiers des militants des comités blancs sont dans ce cas. Les membres de l’asbl adoptent une position plus modérée, qui n’est certes pas exempte de critique envers telle ou telle institution.
- L’ordre de classement (confiance-méfiance) des différentes institutions est notablement différent. Si l’on excepte les cas extrêmes du roi et de l’enseignement, d’une part (positif), et à l’autre extrême le cas des partis politiques (négatif), les autres institutions sont classées dans un ordre différent selon les deux publics.
- Certains acteurs qui sont fortement rejetés par les membres des comités blancs ne le sont pas du tout par les membres de l’asbl ; les cas les plus marquants à cet égard sont la police, la gendarmerie et le Parlement. L’attitude des membres de l’asbl à l’égard des « forces de l’ordre » (police, gendarmerie) est donc radicalement différente de celle adoptée par les militants des comités blancs.
Score général de confiance envers les institutions
Score général de confiance envers les institutions
192En définitive, si l’on combine ces différentes informations, l’on peut rendre compte de nombreuses tensions entre les comités blancs et l’asbl Marc et Corine : le rapport aux institutions de leurs publics respectifs est fortement divergent.
193Toutefois, lorsque l’on examine l’opinion des membres de l’asbl à l’égard de deux enjeux éthiques liés à la sexualité et au corps – l’avortement et l’homosexualité –, peu de différences sensibles apparaissent avec les militants des comités blancs. Dans les deux cas, l’on a affaire à un public assez tolérant. Pas plus que chez les comités blancs, on ne retrouve de trace significative de partisans d’un retour à un ordre moral plus traditionnel. Cependant, tout comme c’est le cas parmi les membres des comités blancs, la question de l’homosexualité, enjeu qui se révèle sensible en relation avec les affaires de pédophilie, soulève plus d’avis contrastés : si 33 % des membres de l’asbl la trouvent acceptable, 39 % émettent de fortes objections.
194Enfin, les proportions de ce que nous appelons les « libertaires » (qui tolèrent à la fois l’avortement et l’homosexualité) et, à l’autre extrême les « traditionalistes » (qui rejettent à la fois l’avortement et l’homosexualité) parmi les membres de l’asbl (respectivement 25 % et 11 %) ne sont pas fondamentalement différentes de ce qui est observé parmi les membres des comités blancs. Les comités blancs comptent toutefois plus de « libertaires » (37 %) [91].
195Au sujet des attitudes et des motivations, nous avons posé la question de la priorité de différents objectifs, du particulier au général. Nous avons en particulier proposé quatre objectifs, à classer par ordre de priorité : exprimer sa solidarité avec les parents de victimes, lutter contre la pédophilie, réformer la Justice, changer le système politique. Des différences sensibles entre les deux publics apparaissent encore une fois.
Objectifs placés en première priorité
Objectifs placés en première priorité
196On note l’accent nettement plus fortement placé par les membres de l’asbl sur la lutte contre la pédophilie. Cette préoccupation se retrouve d’ailleurs très clairement dans la manière dont les membres de l’asbl envisagent l’avenir de leur association.
197De fait, comment les membres de l’asbl envisagent-ils l’avenir ? Dans l’ensemble, les deux maîtres-mots sont : optimisme et pragmatisme, ce qui tranche singulièrement avec les membres des comités blancs.
198L’optimisme d’abord : nous avons classé les répondants en quatre catégories, de l’optimisme complet au pessimisme complet. Les membres de l’asbl comptent 14 % d’optimistes complets (contre 3 % parmi les membres des comités blancs), 77 % d’optimistes tempérés (contre 62 %), 9 % de pessimistes tempérés (contre 25 %) et aucun pessimiste complet (contre 10 %). Dans l’ensemble, les membres de l’asbl sont donc nettement plus optimistes que les membres des comités blancs.
199Cet optimisme est fortement teinté de pragmatisme : quand on leur demande comment ils envisagent l’avenir de leur « antenne », leurs réponses sont convergentes et axées sur des préoccupations concrètes : augmenter la taille de l’antenne, poursuivre sa structuration, apporter un meilleur service aux individus faisant appel à l’antenne, etc. En ce qui concerne l’avenir de l’asbl dans son ensemble, on note le même pragmatisme et les mêmes convergences : l’importance cruciale du Centre européen pour enfants disparus et exploités, le développement de contacts internationaux, l’amélioration de l’aide concrète dispensée en cas de disparitions. Manifestement, le discours porté par les responsables de l’asbl (et par J.-P. Malmendier en particulier) trouve un écho, suscite une adhésion auprès des membres actifs de l’asbl. Or, précisément, dans le cas des comités blancs, c’est le contraire que l’on observe : beaucoup de doutes, d’interrogations, et surtout une grande pluralité d’enjeux, de priorités, souvent contradictoires, pour l’avenir des comités blancs.
200S’il existe plusieurs similitudes (ou parallélismes) entre les deux publics en termes de profil sociologique, on décèle aisément des différences manifestes dès lors que l’on s’intéresse aux attitudes et aux opinions. Ces divergences ont trait au fond, à la nature même des objectifs à poursuivre, à des enjeux aussi centraux (dans le contexte actuel) que le rapport aux institutions, etc.
Les modes d’organisation et les finalités
201Lorsque l’on analyse la manière dont l’asbl Marc et Corine, d’une part, et les comités blancs, d’autre part, se sont structurés, on est frappé par les profondes différences, voire l’opposition, entre deux « styles » organisationnels. Ces styles sont eux-mêmes liés à la nature même du projet dont les deux organisations sont porteuses. Le seul point commun est la volonté déclarée de pluralisme et d’autonomie par rapport aux partis politiques.
202Du côté de l’asbl, c’est le pragmatisme qui domine. L’association a été construite par un noyau fort et cohérent, a suscité et encadré la mise sur pied d’antennes, a créé des catégories différenciées de membres. C’est une organisation qui possède un cadre formel et hiérarchique, qui vise l’efficacité et qui recherche une certaine professionnalisation. C’est pourquoi l’ordre et la rigueur y sont valorisés : « Une structure et une certaine discipline sont indispensables pour évoluer. Il faut que tout le monde marche au même rythme et en serrant les rangs. » [92] Les membres sont également tenus de respecter des consignes précises, ainsi que le stipule la charte de l’asbl : « (…) Je respecte la structure et l’organisation de l’asbl et me réfère en premier lieu à l’un de ses trois administrateurs (…) pour toute initiative personnelle que je voudrais prendre dans le cadre d’une action au sein de l’asbl (…) » [93]. Cette logique de pragmatisme est poussée assez loin, dans la mesure où les responsables de l’asbl ont été jusqu’à concevoir une forme d’avantage matériel lié à l’adhésion à l’asbl : la police d’assurances spécifique « Marc et Corine ».
203On y retrouve également une recherche de reconnaissance, d’écho auprès de la sphère politique. Cela se traduit par la recherche de contacts privilégiés, par la réalisation d’interviews de responsables politiques de haut niveau dans le magazine de l’asbl [94], ou encore par l’invitation de personnalités politiques à des assemblées de l’association, par une recherche de parrainage de l’asbl de leur part. Cette reconnaissance est aussi recherchée auprès des forces de l’ordre, et en particulier de la gendarmerie. C’est ainsi que, par exemple, parmi les orateurs d’une réunion plénière de l’asbl le 3 novembre 1996, l’on retrouve un officier de la Cellule nationale de disparitions, qui déclare entre autres : « À côté de nos partenaires policiers, nous avons quatre autres associations “privilégiées” : Marc et Corine, HOVK, Missing Children et OVK. Ce qui est important pour nous, c’est de veiller à ce que les bénévoles de ces associations puissent œuvrer dans des conditions plus professionnelles » [95] De même, les responsables de l’asbl ont souvent insisté sur le fait que, dans le cas du rapt (au dénouement heureux) du petit Nicolas Moureau en janvier 1996, les services de l’association ont été contactés par les autorités judiciaires.
204Du côté des comités blancs, l’image est presque systématiquement inversée, point par point [96]. La mouvance des comités blancs n’a pas été construite, conçue méthodiquement par un noyau fort et uni : c’est plutôt une tentative de coordination, de canalisation d’initiatives locales surgissant en ordre dispersé. Il faut en outre rappeler que différents comités avaient déjà vu le jour dès les mois d’octobre-novembre, de manière spontanée, bien avant le lancement officiel des comités blancs [97]. Il n’est pas non plus question de recherche d’efficacité de l’ensemble : c’est le respect des spécificités des différents comités qui prime. Il est encore moins question de professionnalisation : c’est le règne de l’engagement militant. La circulation de l’information n’est pas rapide, et il n’est pas question que la coordination nationale ou le bureau de liaison soit consulté avant qu’un comité ou un membre ne s’engage dans une direction. Cela serait d’ailleurs impossible, le Bureau de liaison ne disposant pas de liste de membres. D’une manière générale, c’est plutôt la défiance à l’égard d’une centralisation qui prime. En outre, contrairement à l’asbl Marc et Corine, le leadership des comités blancs est resté, jusqu’à ce jour, informel. Dans ces conditions, il n’est évidemment pas question d’une éventuelle rétribution indirecte de l’adhésion aux comités blancs.
205Le rapport aux institutions est lui aussi complètement divergent : les comités blancs se sont érigés en réaction aux institutions, afin de les défier et non prioritairement afin de coopérer avec elles ou d’y trouver une quelconque légitimation. Ce sont donc très clairement la prise de distance, la critique, la méfiance et la défiance qui priment, dans une optique radicalement différente de celle de l’asbl Marc et Corine. Ainsi, le réseau des comités blancs se définit comme une forme de « résistance collective », un moyen de « (…) combattre toutes les citadelles où le pouvoir s’exerce pour lui-même. (…) Plus jamais nous ne nous sentirons coupables d’émettre des exigences face à toutes les formes de pouvoir (…) » [98].
206Quant aux objectifs des comités blancs, ils étaient, et sont toujours à ce jour, pluriels, contradictoires, peu clarifiés [99]. Dans l’enquête que nous avons menée auprès des militants des comités blancs, il ressort qu’il n’y a pas d’accord sur des principes directeurs d’organisation : par exemple 43 % estiment que la coordination nationale doit davantage assurer un rôle d’impulsion, mais 27 % adoptent une position diamétralement opposée.
Deux logiques non concordantes
207Les comités blancs et l’asbl Marc et Corine se distinguent sur presque tous les plans. Il n’est dès lors pas étonnant que peu de terrains d’entente et/ou de collaboration aient vu le jour. Fondamentalement, on a affaire à deux formes d’organisation [100] de nature différente. L’asbl Marc et Corine ne constitue pas un « mouvement social » dans l’acception classique du terme, mais plutôt une association spécialisée, dont la logique d’action est instrumentale : l’objectif premier est d’améliorer le dispositif permettant de répondre aux disparitions ou enlèvements d’enfants.
208À l’inverse, les comités blancs apparaissent plutôt comme un mouvement social diffus et protéiforme, très partiellement instrumental (c’est-à-dire, à quelques exceptions près, peu axé sur des objectifs concrets) et agissant surtout suivant une logique contre-culturelle ou sub-culturelle. L’engagement dans les comités blancs comporte également, pour beaucoup de membres, une dimension culturelle, expressive [101].
209Entre une association spécialisée cherchant à se professionnaliser et un réseau inachevé oscillant entre la voie politique et le changement culturel, peu de convergences sont imaginables à court terme, et même à moyen terme.
Les patents Russo et Lejeune et les comités blancs
210Pour analyser l’évolution de cette relation, quelques précisions liminaires s’imposent. En premier lieu, rappelons qu’il est très difficile de considérer les comités blancs comme un ensemble bien défini. Ces derniers sont en effet fort diversifiés ; en outre, il importe de distinguer le centre, c’est-à-dire les personnes qui sont impliquées au niveau national, et la périphérie, c’est-à-dire le foisonnement des comités locaux. Deuxièmement, les Russo et les Lejeune n’ont pas entretenu, au fil du temps, une relation d’une même intensité avec les comités blancs ; les Russo y ont été associés de plus près. C’est donc davantage de la relation entre les Russo et les comités blancs dont il sera question ici. Enfin, s’il n’est pas question de conflits âpres et médiatisés (comme cela a été le cas entre les Russo et Lejeune et l’asbl Marc et Corine), cela ne signifie pas pour autant que les relations aient été aisées, bien au contraire.
Évolution des relations
Des parents partie prenante
211Du mois de septembre 1996 à avril 1997, les Russo et les Lejeune seront très proches des comités blancs. De fait, dès que l’idée de créer un réseau de comités locaux se développe à peine trois semaines après la découverte des corps de Julie et de Mélissa, et environ six semaines avant la future marche blanche (dont il n’est pas encore question), les parents Russo et Lejeune sont partie prenante. Ils sont submergés par les sollicitations, les marques de soutien, les propositions d’action : » (…) à cette époque-là, des tas de gens (…) nous demandent : “comment peut-on vous aider ?”, jour et nuit (…). On n’avait même pas le temps de changer de numéro de téléphone. (…) On recevait à la fois énormément de propositions d’aide et de demandes d’aide. On se dit : – c’est extraordinaire, on n’est pas les seuls à devoir être aidés, à avoir besoin d’aide (…), il y a énormément de gens qui ont besoin d’aide, donc il doit y avoir moyen de trouver, dans toutes ces propositions d’aide, le moyen de concilier tout ça » [102]. Étant submergés, il n’est pas question pour eux, matériellement, de prendre en charge une quelconque initiative durable.
212L’idée est pour la première fois évoquée par Patrick Van Alphen et un membre fondateur du Comité de soutien aux parents Russo et Lejeune – une de ses connaissances – alors qu’un tel comité informel avait déjà été constitué à Tubize dans le cadre d’une récente affaire de pédophilie fort médiatisée. C’est donc par ce biais que, dès septembre 1996, le contact est noué avec les Russo et les Lejeune. Pour leur part, ils sont sensibilisés par la notion de « réseau ». Le jour même de la conférence de presse du 13 septembre, il leur vient à l’idée d’encourager la création de nombreux comités de soutien, autour d’autres parents, sur le modèle du leur : « Notre vœu est que chaque parent de victime soit entouré par un Comité de soutien qui agisse autour de lui comme notre Comité de soutien a agi et continue d’agir (…) Que ce Comité aide les parents sans les récupérer, qu’il amplifie leur voix sans prendre la parole à leur place, (…) et fasse aboutir les plaintes et les revendications (…). Pour créer ces Comités de soutien, il faut des avocats, des psychologues, des médecins, des enseignants, des journalistes et, pourquoi pas, des policiers, des magistrats intègres, etc. Des gens honnêtes, désintéressés, des gens qui ont du savoir-faire et des gens qui ont des disponibilités. » [103] Cette idée se combine tout naturellement avec les projets encore peu précis agités par le petit groupe autour de Patrick Van Alphen. À partir de cette date, les Russo et les Lejeune soutiennent explicitement l’initiative, qui n’est pas encore connue des médias.
213En parallèle, durant les semaines qui suivent, un petit groupe de personnes continuera à réfléchir de manière informelle, sans solliciter directement la participation des Russo et des Lejeune. L’effet d’annonce de la marche blanche, fin septembre, interrompt provisoirement le processus. Jusqu’au 20 octobre, les parents et leur entourage sont pleinement absorbés par la préparation de l’événement et par les retombées du dessaisissement du juge d’instruction Jean-Marc Connerotte. Durant cette période, l’idée de constituer des comités locaux reste en l’état. Dans la semaine qui suit l’arrêt de dessaisissement (le 14 octobre), c’est dans la hâte et en dehors de toute coordination que se constituent quelques comités informels. Ce sera également le cas fin octobre et dans le courant du mois de novembre, dans la foulée de la marche blanche, toujours de manière spontanée et dispersée. Ces comités formeront par la suite les premiers « comités blancs ».
214Le 4 novembre 1996 se tient une première réunion discrète, à laquelle sont conviées différentes personnes actives dans différents secteurs de la société, tant en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles : médias, ONG, organisations syndicales, mouvement étudiant, « monde associatif », ainsi que les Russo, les Lejeune et plusieurs membres actifs de leur comité de soutien. Cette date marque le lancement effectif du processus de création des comités blancs.
215Durant les cinq semaines suivantes, Gino et Carine Russo participent à la plupart des réunions préparatoires. L’élaboration de la future charte des comités blancs est prise en charge par un comité de rédaction restreint composé de quelques personnes issues du comité de soutien aux parents Russo et Lejeune ; ces derniers y apportent leurs propres suggestions et amendements. Dans leur esprit, les comités devront être des « comités de vigilance ». Ils soutiennent également l’initiative dans la mesure où elle devrait permettre, du moins l’espèrent-ils, de se décharger quelque peu, tant ils sont mis sous pression. Ils espèrent également, par ce biais, canaliser les énergies, qui sont encore vives après le rassemblement historique du 20 octobre.
216Lors de la conférence de presse organisée le 12 décembre, laquelle lance publiquement l’initiative des comités blancs et du « réseau d’attention et de solidarité » constitué par l’ensemble de ces comités, les parents Russo et Lejeune sont donc logiquement en première ligne. Ils resteront très présents jusqu’en avril 1997. Ils participent entre autres à la deuxième conférence de presse du 24 janvier, mais également à la coordination nationale qui se réunit à partir du 1er février et qui tente de fixer les grandes options stratégiques et les arbitrages importants. Jusqu’en février, ils répondent favorablement à la plupart des très nombreuses sollicitations émanant des comités blancs en voie de constitution : présence à des marches blanches locales, conférences-débats, etc. En mars 1997, les Russo sont également présents, et partie prenante pour le lancement du journal La marche blanche.
La prise de distance forcée
217Plus l’année 1997 avance, plus Gino et Carine Russo sont épuisés par des conflits de personnes dont l’intensité croît à l’échelon national des comités blancs, d’autant plus qu’il leur est demandé d’arbitrer ces conflits. Ce qu’ils refusent catégoriquement : « Le problème, c’est qu’ils sont tous de bonne foi ; ce sont des personnes qui, à un moment donné, se croisent, ils vivent tous leur projet d’une manière fort affective, personnelle. Moi, je me suis épuisé pendant plusieurs mois, pour essayer de leur faire trouver un moyen de trouver un plus petit commun dénominateur… mais impossible. » [104]
218Fin avril, ils décident de ne plus s’impliquer ouvertement dans les comités blancs et de se situer en retrait. Leur motivation principale est l’intensification des conflits de personnes à la tête des comités blancs, mais également leur saturation face aux innombrables demandes qui continuent à leur être adressées. Ils ne participent en tout cas plus aux réunions, mais continuent à être consultés.
219Le 15 juin, après avoir hésité, les Russo et les Lejeune se rendent néanmoins au Forum des comités blancs à Leuven, qui est globalement un succès, à la surprise des parents.
220Les conflits de personnes au sein des comités blancs, à la fois entre les différentes « générations » d’initiateurs et de coordinateurs des comités et entre les membres du bureau hebdomadaire de la coordination nationale et certains coordinateurs régionaux, culminent durant l’été 1997. Ces tensions sont telles que les Russo songent même un instant à se désolidariser des comités blancs. Dans le même temps, Jean-Denis Lejeune, qui s’en était déjà davantage distancié, choisit de s’investir pleinement dans le projet de Centre européen pour enfants disparus et exploités.
221L’exaspération des Russo face aux conflits de personnes s’exprime dans le quotidien De Morgen qui fait dire à Gino Russo que les comités blancs « se noient dans leur incompétence » [105]. Cette petite phrase, dont l’authenticité n’est pas certaine, suscite une vive émotion au sein des comités blancs. Une réunion d’urgence est convoquée le soir même, ce qui donne l’occasion aux Russo de faire explicitement part de leur malaise auprès des responsables et du « noyau militant » des comités blancs, de clarifier leur position. Dans les jours qui suivent, Gino et Carine Russo nuancent quelque peu leurs propos dans d’autres titres de presse.
222Depuis lors, et jusqu’à présent, les Russo continuent à soutenir, avec une certaine distance et avec une « sympathie critique » le développement des comités blancs. Ils collaboreront particulièrement étroitement à l’occasion de l’organisation du rassemblement de Neufchâteau du 19 octobre 1997, ainsi que de la « marche contre la loi du silence » rassemblant entre 25.000 et 30.000 personnes à Bruxelles le 15 février 1998.
223Il est indubitable qu’il existe une sorte de « communauté d’esprit », une forme de proximité intellectuelle entre les parents Russo et les personnes qui sont à l’initiative des comités blancs et qui en sont aujourd’hui encore les chevilles ouvrières. Mais la distance qui s’est établie peut s’expliquer.
224D’une part, pour Gino et Carine Russo, les comités blancs ont été la source d’une triple pression qui a mené à un épuisement et à un malaise. D’abord un épuisement face aux sollicitations des comités blancs naissants. Or, les comités avaient justement été créés afin de décharger les parents. En outre, les parents n’ont jamais souhaité être les leaders de ce mouvement, tout en soutenant sa philosophie : « Nous, on ne veut absolument pas, on n’a jamais voulu être les leaders des comités blancs. Par contre, ce qu’on a proposé depuis le mois de septembre 1997, ce qu’on a décidé, c’est d’être avec eux : donc, d’être considérés comme un comité à côté d’eux, que l’asbl “Julie et Métissa”, par exemple, soit considérés comme un comité parmi les autres. Mais ce n’est pas évident… » [106] Ensuite une lassitude, un épuisement croissant face aux conflits interpersonnels au sein des comités blancs, d’autant plus pénibles que porteurs d’une forte charge affective. Il est également difficile pour les parents d’assumer l’intense investissement affectif dont ils font l’objet : des personnes se confient à eux et s’engagent à leur côté pour les aider, tout en donnant, à travers ce soutien, un sens à leur propre vie. Enfin un malaise plus général par rapport à ce que sont devenus les comités blancs. Si les Russo et les Lejeune soutenaient au départ le concept de comités de vigilance, ils n’adhèrent pas nécessairement à l’ensemble des objectifs, au demeurant divers et dispersés que les comités blancs se sont choisis au fil du temps.
225D’autre part, beaucoup de militants de comités blancs vivent leur engagement d’une manière très affective, dans la mesure où il s’ancre souvent dans une souffrance personnelle plus ancienne, dans l’émotion de l’été 1996 et dans l’espoir de l’automne 1996. Dans ces conditions, beaucoup d’entre eux n’ont pas compris le refus des parents de répondre à toutes leurs sollicitations et ont interprété ce refus de manière négative dans certains cas.
226Chez les fondateurs et les responsables des comités blancs, on observe également cet investissement très affectif. Il l’est d’autant plus que plusieurs d’entre eux ont noué des rapports personnels étroits avec Gino et Carine Russo et qu’ils tirent l’essentiel de leur légitimité de ce rapport personnel qu’ils entretiennent avec « les parents ».
227Enfin, la question du statut, du rôle que devraient jouer les parents de victimes (les Russo et les Lejeune au premier chef) constitue un enjeu polarisant au sein des comités blancs. Dans notre enquête auprès des militants des comités blancs (menée de mai à juillet 1997), nous avons en effet constaté que la question du statut plus ou moins central et plus ou moins visible des parents de victimes dans les comités blancs est un thème qui suscite des avis contrastés. D’une part, 35 % des membres étaient clairement demandeurs d’une plus grande visibilité, d’un plus grand leadership des parents dans les comités blancs. Toutefois, 27 % d’entre eux avaient une position tout à fait opposée.
228Les relations entre les parents Russo et Lejeune et les comités blancs sont donc passées d’une très grande proximité à un éloignement relatif, presqu’à la rupture, et enfin à la recherche actuelle de la « juste distance » (ou de la juste proximité). La dialectique de proximité-distance n’est pas aisée à gérer, par chacun des deux acteurs. D’une part, pour assurer la pérennité et le succès de leurs initiatives respectives, ils peuvent trouver en l’autre une ressource intéressante. Mais, d’autre part, une certaine distance est vitale pour les deux acteurs [107]. À l’avenir, la gestion de ce rapport de proximité/distance ne sera pas facilitée, bien au contraire, à l’approche d’échéances telles l’ouverture du procès Dutroux et consorts ou la période pré-électorale.
Conclusion : les nouveaux acteurs face aux échéances de 1998 et 1999
Les atouts et les faiblesses des nouveaux acteurs
229La force des différents acteurs dont nous avons fait état réside dans leur spontanéité, leur volonté de ne pas se faire récupérer ou phagocyter par une organisation établie ou par les institutions, un idéalisme non dénué de sens pratique et un enracinement manifeste dans différentes strates et milieux sociaux. Certes, le dosage de ce pragmatisme et de cet idéalisme varie très fortement selon les cas. Il n’empêche que la richesse des nouvelles formes d’engagement constitue assurément une ressource précieuse pour les nouveaux acteurs. En particulier, nous avons montré ailleurs que l’immédiateté (la lutte contre la pédophilie) rejoint des préoccupations globales comme la refondation démocratique de la société [108].
230La très grande majorité des leaders et des membres de l’asbl Marc et Corine, des comités blancs, ainsi que les parents Russo et Lejeune, ont évité de tomber dans un discours anti-systémique négatif, de type poujadiste ou populiste. Ceci peut être considéré comme un gage de vigueur et de vigilance démocratique et comme allant dans le sens d’un renouvellement des rapports entre le citoyen et ses institutions.
231Les acteurs vont continuer à se trouver face à beaucoup de dilemmes. Par exemple, comment les comités blancs parviendront-ils à clarifier leurs objectifs tout en conservant leur diversité première ? Comment l’asbl Marc et Corine pourra-t-elle entretenir la participation active de ses membres alors qu’elle devient une association moins revendicative et plus axée sur le service ? Comment les parents Russo résoudront-ils la difficile question de leur rapport au politique ?
232Sur deux axes particuliers, les acteurs analysés ont choisi des voies différentes. Sur l’axe collaboration/protestation, l’asbl Marc et Corine a clairement opté pour la première voie, tandis que les comités blancs et les Russo penchent plutôt vers la seconde et que la voie suivie par Jean-Denis Lejeune semble médiane [109]. Il en est de même sur l’axe efficacité/spontanéité. Pour s’inscrire dans la durée, pour autant qu’ils le souhaitent, les parents Russo et les comités blancs devront faire preuve d’efficacité s’ils souhaitent avoir un impact structurel sur les institutions [110]. Cela se fera au détriment d’une certaine spontanéité, celle-là même qui les rend sympathiques aux yeux de larges couches de l’opinion publique.
233Mais ces questions de stratégie et les enjeux idéologiques qui les sous-tendent ne doivent pas faire oublier la dimension humaine et psychologique, qui permet souvent de comprendre les choix posés par les acteurs ainsi que leurs choix futurs. Cette dimension renvoie au vécu personnel des acteurs individuels. Les individus dont nous avons analysé la trajectoire ont vu le cours de leur vie bouleversée par un événement extraordinaire. Pour chacun d’entre eux, il y a un « avant » et un « après », sans retour possible (à moyen terme, du moins) à la situation qui était la leur avant le drame. Ils sont devenus des personnages publics et doivent assumer ce statut dans la durée, selon leurs propres modalités. Chacune de ces voies a sa spécificité et sa légitimité propres. Elles permettent aux individus de vivre avec leur deuil et leur révolte intérieure, chacun à sa manière. Rares sont ceux et celles qui ont choisi le retour à la sphère privée, à l’instar de Nabela Benaïssa ou de Louisa Lejeune.
234On retrouve également cette forte charge affective, également porteuse de conflits, parmi les personnes qui s’engagent au sein des comités blancs ou de l’asbl Marc et Corine.
235Mais le problème majeur des nouveaux acteurs analysés est la difficulté, voire l’impossibilité pratique, de trouver une solution négociée à plusieurs conflits. Cet état de fait résulte d’au moins trois phénomènes. En premier lieu, ces conflits sont portés par une forte charge affective, qui ne permet pas la conclusion de compromis. Ensuite, chaque nouvel acteur a évolué dans un contexte différent : chacun d’entre eux a vécu différemment les vicissitudes des enquêtes judiciaires, les travaux de la commission parlementaire Dutroux, Nihoul et consorts, ou encore l’évolution des projets gouvernementaux. Enfin, le fait que différents médias et journalistes « choisissent leur camp » s’est traduit par une amplification des conflits, voire la création artificielle de conflits. À titre d’exemple, les lignes suivies respectivement par les chaînes de télévision RTL-TVI et RTBF, ou encore par les hebdomadaires Le Soir Illustré et Télémoustique, ont souvent été très divergentes et ont parfois contribué à exacerber les conflits entre les nouveaux acteurs.
236Ces conflits à issue non négociable posent une grande difficulté à l’ensemble des nouveaux acteurs. En effet, leur impact durable sur le système politique et institutionnel du pays sera grandement fonction du rapport de forces qu’ils seront parvenus à établir face aux acteurs plus établis qui détiennent les clés de la prise de décision. Or, les conflits et les tensions n’ont pu que les déforcer face aux institutions et aux acteurs établis, se traduisant par une neutralisation mutuelle des nouveaux acteurs. C’est ainsi que Gino Russo peut déclarer : « Les gros problèmes, les énormes problèmes qu’on a eus [depuis 1995], ça n’a pas été le rapport avec la Justice, avec la politique : non, ça a été l’asbl Marc et Corine et les comités blancs. C’est paradoxal, mais ça a été ceux qui étaient vraiment là pour nous aider, qui nous ont épuisé. » [111]. En outre, ces conflits contribuent à dégrader l’image des nouveaux acteurs dans l’opinion publique, qui constitue pourtant sans doute leur « ressource » la plus importante.
La création du Centre européen pour enfants disparus et exploités
237La création d’un tel centre figure parmi les quatre promesses exprimées par le Premier ministre le jour même de la marche blanche, le 20 octobre 1996. Lors du conclave ministériel du 6 décembre 1996, qui met au point les réformes du système judiciaire, il est donc déjà question de la création d’un organisme spécialisé dans les disparitions d’enfants. Quatre mois plus tard, dans son rapport final, la Commission d’enquête parlementaire Dutroux, Nihoul et consorts met également l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre des techniques adéquates de recherche.
238Entretemps, à la demande du Premier ministre, Pierre-Martin Neirinckx est mandaté par la Fondation Roi Baudouin pour mener à bien le lancement d’un projet dans ce sens, avec pour objectif de céder le relais à une équipe opérationnelle.
239Le 24 mai 1997, à Genval, la charte du Centre européen pour enfants disparus et exploités – CEEDE est mise au point lors d’une journée à laquelle sont invités un grand nombre de parents d’enfants disparus et/ou assassinés (dont les Russo et les Lejeune) ainsi que différentes associations (dont l’asbl Marc et Corine). Elle est proposée à la signature de tous les participants.
240En vertu de cette charte, le CEEDE « (…) veut non seulement en tant qu’initiative privée – et donc dans un esprit d’autonomie et d’indépendance – aider à livrer l’apport indispensable afin que des enfants disparus soient plus rapidement et plus efficacement recherchés ; il ne veut pas seulement être garant d’un accueil plus humain et adéquat de tous les parents-victimes ; il ne veut pas seulement contribuer à l’information, la prévention et la sensibilisation concernant la problématique d’enfants disparus et sexuellement exploités – le Centre veut également et explicitement être un pilier de changement des mentalités policières et judiciaires ». [112] Les objectifs sont donc vastes, même si la dimension la plus visible et la plus prioritaire concerne la recherche d’enfants disparus : installation d’un service téléphonique permanent, accompagnement par des « case managers », diffusion des signalements d’enfants disparus, traitement des images, etc.
241Dans sa philosophie, le CEEDE s’inspire explicitement du National Center for Missing and Exploited Children – NCMEC aux États-Unis [113], dont un des pans de l’activité consiste à faire pression sur les mondes politique et judiciaire. Comme son homologue américain, le CEEDE intègre également un souci de prévention et de lutte « contre toutes formes de trafic d’enfants, de pédosexualité et de pédopornographie », ce qui se traduira non seulement par des contacts et initiatives vers la sphère politique, mais également par la production de publications à l’attention du grand public et la création d’un centre de documentation.
242Parmi les principes généraux du CEEDE, on note qu’il « agira de manière indépendante des pouvoirs publics », qu’il sera néanmoins « subventionné par [les] autorités fédérales » (à hauteur d’environ un tiers de son budget) qui le reconnaîtront comme « partenaire privilégié ».
243Sa structure associera les parents et les associations signataires de la charte : les parents cofondateurs peuvent siéger au sein d’un conseil de vigilance. Parmi ces parents, deux siégeront dans le conseil d’administration, de même que deux délégués représentant les associations.
244La charte reconnaît également le rôle actif joué par quatre associations spécifiques : les asbl Marc et Corine, HOVK, OVK et MCIN. In fine, dix-neuf parents sur les trente-six ayant participé à la table de ronde organisée par le Palais le 18 octobre 1996 signent la charte du CEEDE, de même que les présidents des quatre associations susmentionnées.
245Au mois de janvier 1997, le directeur général du CEEDE, Christian Wiener (choisi en septembre 1997), annonce le lancement effectif du Centre pour le 1er avril 1998. Employant dans un avenir proche une vingtaine de salariés, son budget annuel total avoisinera les 100 millions FB. Au début de 1998, il poursuit son installation dans ses locaux bruxellois et mène des négociations avec de grands organismes publics et privés afin de récolter un soutien financier ; avec les instances judiciaires et policières compétentes afin de conclure avec elles des protocoles de coopération ; et avec différentes associations, dont l’asbl Marc et Corine, au premier chef, également afin de conclure des protocoles de collaboration.
246Il ressort de l’évolution décente ci-dessus que le CEEDE vise à rencontrer la plupart des objectifs que s’étaient fixés les initiateurs de l’asbl Marc et Corine dès 1992, en ce compris les projets nourris par l’asbl à l’échelon européen depuis mars 1996. Les fondateurs de l’asbl ont bien saisi un enjeu permettant d’assurer la pérennité de leur initiative : garantir la stabilité d’un soutien financier afin d’assurer une certaine professionnalisation : « seule la professionnalisation de [notre] action peut nous mettre à l’abri de déconvenues éventuelles » [114].
247Si l’on en croit la charte du CEEDE : « Le fonctionnement du Centre ne doit pas donner lieu à des conflits de compétence avec les services publics et les associations qui sont actives dans ce secteur et dont les activités ne seront pas intégrées dans le Centre. » Le Centre pourrait donc, selon l’interprétation que l’on fait de cette clause, absorber différents pans d’activité qui sont actuellement pris en charge par des associations (telles l’asbl Marc et Corine) et certains services publics. Il est également question de la création d’un « réseau d’antennes locales », en particulier pour la diffusion de photographies. Le CEEDE devra également jouer un rôle de pilotage dans la création d’un réseau européen de centres nationaux comparables, et s’inscrire dans le réseau européen des associations d’aide aux victimes. Dans toutes ces dimensions, des recoupements ou des doubles emplois avec le terrain d’activité actuellement occupé par l’asbl Marc et Corine apparaissent.
248Certes, Daniel Cardon de Lichtbuer (président du Centre [115]) et C. Wiener multiplient les déclarations rassurantes à l’égard des asbl (et de celle de Marc et Corine au premier chef) : « Le Centre ne veut pas tout faire. Ce qui peut être fait localement par les associations doit continuer à l’être (…) en appliquant le principe de la subsidiarité. (…) Nous ne serons pas concurrents. » [116] C’est en particulier la question de l’octroi de subsides qui se pose ici, subsides dont l’asbl a besoin afin de pérenniser sa structure actuelle [117].
249Ces questions concernent donc directement l’avenir de l’asbl Marc et Corine. Leur issue sera très certainement largement conditionnée par le contenu et les modalités pratiques d’application des protocoles qui seront passés entre cette association et le CEEDE. Au début mars 1998, il semble que des modalités de collaboration satisfaisant les deux parties pourront être dégagées, l’asbl conservant son identité et son indépendance tout en faisant bénéficier le CEEDE de son savoir-faire et de ses ressources, en particulier son réseau d’antennes animées par des bénévoles.
250En outre, deux autres questions méritent d’être formulées à l’égard du CEEDE. D’une part, la création de ce Centre permettra-t-elle de répondre de manière pertinente aux demandes des citoyens qui se sont mobilisés depuis l’été 1996 ? Sans nier l’importance et l’intérêt du CEEDE, et sans nier les réformes et initiatives entreprises dans le domaine de la Justice, on mesure que le malaise dans la population est nettement plus vaste et sera difficilement contrecarré, même à moyen terme. À l’extrême, pour d’aucuns, le CEEDE pourra être considéré comme une réponse technique voire technocratique à un problème beaucoup plus diffus, remettant profondément en cause l’ensemble des institutions. La seconde question sera de voir dans quelle mesure le CEEDE sera véritablement indépendant du monde politique, lorsque l’on connaît l’importance des partis politiques dans la société belge.
L’enjeu d’un « parti blanc » et la création du PNP
251Le 14 janvier 1998, Paul Marchal annonce la création du Partij voor Nieuwe Politiek – PNP. Déjà en décembre 1996, il avait laissé entendre qu’il prendrait une initiative de ce type si les partis existants n’apportaient pas de réponses suffisantes aux interpellations des parents de victimes.
252La création d’un nouveau parti peut avoir un certain impact sur les partis existants. Paul Marchal, sans être aussi populaire qu’un Gino Russo (par exemple), bénéficie d’un capital de sympathie significatif dans la population. L’effet d’annonce de cette création pourrait se traduire par des adaptations d’autres partis en termes de programme, voire de politiques publiques dans la perspective de la période électorale qui se profile. Deuxièmement, la création du PNP accélère ou encourage des velléités de « recomposition » dans le paysage partisan, ce qui semble être le cas en Flandre. Le PNP pourrait aussi capter une certaine proportion (difficilement quantifiable) des votes de protestation, et donc en particulier au détriment du Vlaams Blok en Flandre et à Bruxelles. Enfin, et pour autant que son score électoral soit suffisant et lui permette d’accéder à la représentation parlementaire, ce parti aurait accès à des ressources nettement plus importantes (financement public, tribune privilégiée vers les médias, etc.).
253Néanmoins, le PNP est susceptible de se heurter à plusieurs problèmes et de rencontrer plusieurs limites. Tout d’abord, beaucoup dépendra de la qualité (intrinsèque et en termes médiatiques) des personnes qui rejoindront effectivement ce parti. S’il apparaît qu’aucun autre parent de victime « médiatisé » ne rejoint clairement cette initiative, son potentiel s’en retrouvera très fortement réduit. Ce serait d’autant plus le cas que le PNP reposera, pour une bonne part, sur le charisme personnel de Paul Marchal. Ici se situe une deuxième faiblesse : le charisme dont bénéficient les parents de victimes est précisément lié au fait qu’ils ont eux-mêmes été des victimes, à leur vécu, et non principalement à leurs qualités intrinsèques. Or, il n’est pas acquis que ce type de charisme puisse se maintenir à long terme et offrir une assise et une légitimité durable à Paul Marchal, d’autant plus que, le temps passant, son image véhiculée par les médias sera plus celle d’un politicien que d’un père de victime [118]. Le troisième problème réside dans le fait que des « aventuriers » ou des opportunistes pourraient s’insérer dans ce parti, au détriment de sa viabilité à plus long terme.
254La viabilité d’un tel parti à plus long terme ne semble pas assurée, dans la mesure où il devra définir des terrains d’accord sur un grand nombre d’enjeux éloignés de la motivation qui a poussé à sa création. Ce sera d’autant plus le cas que le PNP se présente comme un parti généraliste. Ses leaders devront en outre faire en sorte que ces positions soient portées par l’ensemble des membres du parti. Par ailleurs, la question du potentiel électoral de ce parti reste ouverte, dans un contexte de compétition partisane accrue. En janvier 1997, il apparaissait que 56 % des francophones se disaient prêts à envisager de voter pour un parti blanc (« sûrement » ou « peut-être »). Néanmoins, dans notre enquête menée auprès des marcheurs blancs et des militants des comités blancs de mai à août 1997 – et sans susciter la réponse –, les chiffres étaient nettement plus bas, voire négligeables. Un sondage mené début 1998 attribuerait à un parti blanc un potentiel électoral de l’ordre de 10 % maximum, alors que son programme est resté très général.
255Par ailleurs, en prenant une telle initiative, Paul Marchal (et ceux ou celles parmi les parents qui le suivraient) vont contribuer à modifier leur image auprès du public. Cela n’est pas sans risques lorsqu’on mesure la profondeur de la crise de confiance envers les partis politiques en général. Le public « blanc », en particulier, est caractérisé par un profond rejet des partis politiques. Dans ce contexte, la question du positionnement des comités blancs par rapport au PNP est posée. Étant donné la grande diversité des comités blancs, il est difficilement imaginable que ces derniers cautionnent ou s’engagent massivement dans l’initiative de Paul Marchal, d’autant plus qu’ils ont un ancrage francophone nettement plus marqué et que le PNP a été lancé initialement en Flandre.
256Enfin, comment le PNP pourra-t-il constituer une base structurée, sur laquelle il pourrait s’appuyer ? La voie partisane sera-t-elle plus efficace que la voie de la pression sur le monde politique via des mouvements sociaux ? L’expérience récente a démontré que certains « nouveaux mouvements sociaux » ont acquis plus de capacité d’influence [119] par la voie « néo-corporatiste », c’est-à-dire par l’insertion dans des mécanismes, des organes de concertation (conseils consultatifs, organes d’avis, …), que par la voie partisane [120].
257***
258Début 1998, peu de temps après l’annonce de la création du PNP, les nouveaux acteurs analysés ici aussi bien que les acteurs plus établis doivent évoluer dans un environnement caractérisé par une incertitude. Celle-ci se nourrit de l’imprécision des échéances pour les prochaines élections législatives, de l’inconnue des futurs choix notamment électoraux qui seront posés par exemple par Gino et Carine Russo ou par Marie-Noëlle Bouzet, de la possibilité de nouveaux développements en rapport avec les affaires de pédophilie et de meurtres d’enfants et d’adolescentes, et de l’évolution des enquêtes menées entre autres à Neufchâteau. Il peut y avoir un impact politique – et même électoral – du mouvement indépendamment de la création d’un (ou de) parti(s).
259Tout ceci se produit également dans un climat caractérisé, depuis l’été 1996, par une inadéquation entre la rapidité et l’ampleur des changements demandés par la population et par ceux qui s’expriment au nom du mouvement « blanc », d’une part, et les possibilités pratiques de réponse et de réformes de la part du monde politique [121]. Cette inadéquation persistante pourrait être porteuse d’une frustration grandissante, qui pourrait se traduire par un nouveau cycle de mobilisation de masse. L’ampleur de la marche du 15 février 1998 semble en effet démontrer qu’un important potentiel de mobilisation persiste. À l’inverse, la frustration pourrait se traduire par des comportements de repli, par un fort accroissement de l’apathie envers la chose publique, c’est-à-dire précisément par l’inverse de ce dont se veulent porteurs les nouveaux acteurs.
1 – La Charte de l’asbl Marc et Corine
260Le conseil d’administration de l’asbl « Marc et Corine » a décidé de soumettre à chaque membre de l’association une charte dont voici le contenu :
« – Je déclare adhérer en toute connaissance de cause à la Charte de l’asbl « Marc et Corine » et m’y conformer de plein gré.
– Je soutiens la mission de l’asbl en dehors de toute doctrine politique, religieuse ou philosophique, si ce n’est dans le respect de la déclaration universelle des Droits de l’Homme et conformément aux valeurs démocratiques que je valorise dans la société.
– Je respecte la structure et l’organisation de l’asbl et me réfère en premier lieu au Conseil d’Administration ou à l’un de ses délégués, pour toute initiative personnelle que je voudrais prendre dans le cadre d’une action au sein de l’asbl « Marc et Corine ».
– Je m’engage à œuvrer, bénévolement, sans esprit de lucre, dans le seul esprit de l’asbl dont les buts sont précis et incontournables : recherche d’enfants disparus, aide à leurs parents, collaboration avec les forces de l’ordre pour favoriser les recherches (mais, en aucun cas, je ne veux me substituer aux autorités), défense des victimes.
– J’adhère au rôle humanitaire rempli par l’asbl et ne veux, en aucune façon, déroger à celui-ci.
– Je suis entièrement d’accord d’œuvrer pour une meilleure Justice dans le respect des lois, des Droits de l’Homme par rapport aux victimes et aux accusés. De par mon adhésion à l’asbl « Marc et Corine », j’admets aussi le principe de tolérance.
– Si je suis membre actif de l’asbl, j’agis au mieux des intérêts de ma mission en priorité : solidarité avec les victimes et leurs familles. »
2 – Texte signé par les membres du Comité de soutien des parents de Julie et Mélissa (janvier 1996)
262« Sept mois après la disparition de Julie et Mélissa, les enquêteurs n’ont pu à ce jour mettre en évidence aucun indice susceptible d’étayer l’hypothèse du décès des deux petites amies. Une autre hypothèse anime le combat acharné des quatre parents contre la fatalité et la routine de l’institution judiciaire : c’est qu’elles sont toujours vivantes.
263Je soutiens que cette hypothèse est fondée et qu’elle réclame qu’aucun effort ne soit négligé de la part des autorités judiciaires pour envisager toutes les pistes possibles, même celles qui pourraient conduire à la découverte de réseaux de pédophilie.
264Ce que notre société ne peut accepter, c’est que l’impuissance devant une telle double disparition soit considérée comme normale, et le non-aboutissement de l’enquête comme une de nos habitudes institutionnelles. Rien n’est inéluctable si la volonté et la ténacité sont présentes.
265Les parents de Mélissa et de Julie se battent pour elles et pour tous les enfants afin que soit reconnue l’importance primordiale de la place de l’enfant dans notre société. Pour que toute disparition d’enfant soit considérée comme prioritaire. Je soutiens personnellement ce combat légitime.
266J’autorise Monsieur et Madame Russo, parents de Mélissa, et Monsieur et Madame Lejeune, parents de Julie, à faire publiquement état de la signature de ce texte. »
3 – Objet social de l’asbl Julie et Mélissa N’oubliez Pas ! (décembre 1996)
267« Art. 3. L’association a pour objet :
268* d’honorer, d’entretenir et de défendre la mémoire ainsi que de protéger le symbole de Julie Lejeune et de Mélissa Russo, jeunes enfants enlevées en juin 1995, séquestrées, victimes de violences et retrouvées décédées en août 1996.
269* d’exercer une influence déterminante et efficace sur tous les pouvoirs et à tous les niveaux de pouvoir (tant en Belgique et dans la Communauté européenne qu’ailleurs dans le monde, notamment auprès de l’Organisation des Nations Unies et des organismes qui en dépendent) en vue d’obtenir protection et justice pour les enfants et les jeunes victimes de violences, en particulier de nature sexuelle ; l’Association accordera une attention particulière à toute forme d’information, de formation et de prévention.
270* d’être vigilante pour que toutes les composantes du pouvoir judiciaire accordent aux disparitions d’enfants et de jeunes une attention immédiate, prioritaire et diligente et à ce que ces autorités tiennent compte des familles concernées tant en matière d’organisation des recherches que du suivi des informations recueillies.
271* d’étudier et de proposer aux autorités concernées toutes modifications législatives ou réglementaires pouvant assurer une meilleure prévention en la matière, une protection plus efficace des enfants et des jeunes, des interventions plus diligentes et coordonnées en matière de recherche des disparus mineurs ainsi qu’en matière de prise en compte des abus sexuels sur mineurs, d’enquêtes judiciaires, de poursuites et de procès devant les cours et tribunaux, des mesures de sauvegarde sans failles et à long terme pour empêcher les agresseurs sexuels de nuire et notamment de récidiver.
272* de soutenir dans la mesure du possible, à long terme l’action des familles en cas de disparition, d’aider les enfants et les familles en cas de violences, d’apporter un soutien lors des procès et du suivi de l’exécution des peines.
273* d’aider par tous les moyens qu’elle juge adéquats les personnes et les organismes qui, en Belgique ou dans d’autres pays, poursuivent valablement des buts similaires ou complémentaires aux siens. Elle pourra notamment accorder son label de reconnaissance à des publications, éditions, opérations ou autres dont elle approuve les objectifs et les moyens.
274* de prendre publiquement position, d’éditer des publications, d’organiser des manifestations scientifiques, culturelles ou revendicatives pour faire connaître son action et ses objectifs, ainsi que pour soutenir les personnes et les familles dans les circonstances évoquées ci-avant.
275Elle peut poser tous les actes se rapportant directement ou indirectement à son objet. Elle peut notamment prêter son concours et s’intéresser à toute activité similaire ou complémentaire à son objet. »
4 – Charte des comités blancs
276« Les membres des Comités Blanc et du Réseau d’Attention et de Solidarité s’engagent à :
- Collaborer dans l’esprit pluraliste et non violent de la « marche blanche ».
- Mettre la protection et la défense des enfants au-dessus de tout autre intérêt.
- Travailler à modifier les mentalités et les structures dans tous les domaines concernés pour que priorité soit donnée à l’enfance.
- Organiser la pression et le contrôle autour des pouvoirs et institutions existants sans se substituer à eux, afin qu’à tous les niveaux puisse s’installer un dialogue de citoyen à citoyen.
- Se former, apprendre, se documenter, faire l’inventaire des ressources, analyser, communiquer, innover.
- Aider à l’expression des besoins véritables vécus par les citoyens et les victimes, de telle façon que les pouvoirs en place et les décideurs soient amenés à faire leur travail en trouvant des solutions.
- Accueillir, écouter et orienter les victimes et les soutenir dans leur besoin d’être reconnues comme citoyens ; les aider à faire entendre leur voix sans jamais parier en leur nom.
- Rechercher la vérité et la faire connaître, sans susciter des propos non fondés, démagogiques ou calomnieux ; ne rien affirmer sans preuve.
- Participer au travail du Réseau à titre individuel et sans volonté de récupération au profit d’un part, d’un mouvement politique ou religieux, ou autre.
- Porter aide et soutien à tout membre du Réseau inquiété par ceux que son action aurait mis à mal.
- Agir en leur nom propre sans utiliser ni le nom des enfants enlevés ou assassinés, ni celui de leurs parents.
- Ne procéder à aucune collecte de fonds sur la voie publique ni à domicile au nom des Comités Blancs.
277Le respect de la Déclaration des Droits de l’Homme (Nations Unies, 1948), de la Convention des Droits de l’enfant ainsi que le respect de la Déclaration des Nations Unies de 1985 sur les principes fondamentaux de justice pour les victimes de la criminalité sont les bases incontournables de l’adhésion de tout citoyen aux Comités Blancs et au Réseau d’Attention et de Solidarité. »
Notes
-
[1]
B. Rihoux, S. Walgrave, L’année blanche. Un million de citoyens blancs. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?, Coll. Petite bibliothèque de la citoyenneté, EVO, Bruxelles, 1997, 159 pages. Cet ouvrage analyse particulièrement l’évolution des mobilisations collectives d’août 1996 à juin 1997, mais aussi la genèse et le développement des “comités blancs”.
-
[2]
Apparenté, par certaines de ses caractéristiques, aux « nouveaux mouvements sociaux ». Ce terme est souvent utilisé dans la littérature sociologique pour désigner une grande diversité de mouvements ayant vu le jour ou s’étant réactivés à partir des années 1960-1970 sur des thèmes comme l’environnement, le féminisme, l’énergie nucléaire, la consommation, le tiers-monde, le pacifisme, etc. Pour quelques orientations bibliographiques, cf. B. Rihoux, « Mobilisations de parents de victimes, marche blanche et comités blancs : à la recherche d’un “nouveau mouvement social” » in N. Burnay, P. Lannoy, L. Panafit, (eds), La société indicible. La Belgique entre émotions, silences et paroles, Luc Pire, Bruxelles, 1997, pp. 65-80.
-
[3]
B. Rihoux, op. cit., 1997.
-
[4]
S. Walgrave, « De “Connerotte-volkswoede”. De geboorte van een nieuwe sociale beweging ? », Samenleving en Politiek, vol. 3, n°9, 1996, pp. 4-14 ; B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[5]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[6]
Ce qui ne signifie bien sûr pas que ces acteurs ne reçoivent aucun écho en Flandre ou ne s’y soient pas impliqués.
-
[7]
259.445 plus précisément (Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.4.)
-
[8]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[9]
Ibidem.
-
[10]
Ibidem.
-
[11]
Il s’agit déjà de J.-L. Dehaene (gouvernement Dehaene I). Marc et Corine magazine, n° spécial, avril 1997, p.1.
-
[12]
Annexe au Moniteur Belge, 4 février 1993, p. 698.
-
[13]
Ibidem.
-
[14]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[15]
Ibidem.
-
[16]
Ibidem.
-
[17]
Ibidem.
-
[18]
Et dont le père deviendra une cheville ouvrière de l’asbl (cf. infra).
-
[19]
En association avec Marie-Noëlle Bouzet, la mère d’Elisabeth Brichet, disparue en décembre 1989.
-
[20]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[21]
Annexe au Moniteur Belge, 1er mars 1995, p. 1925.
-
[22]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[23]
Marc et Corine Magazine, n° spécial, avril 1997, p.2.
-
[24]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[25]
Annexe au Moniteur Belge, 1er mars 1995, p. 1925.
-
[26]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[27]
Ibidem.
-
[28]
Chiffre cité par Jean-Pierre Malmendier, interview par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[29]
Ibidem.
-
[30]
Ibidem.
-
[31]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, pp.10-11.
-
[32]
Chiffre fin 1997.
-
[33]
Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.3.
-
[34]
Plus de 100.000 avis de recherche ont été distribués dans ce cadre, en Belgique comme à l’étranger.
-
[35]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[36]
Les informations ci-dessous sont actualisées au début 1998.
-
[37]
200 FB de soutien pour les membres ayant des enfants.
-
[38]
214 FB de soutien pour les membres ayant des enfants.
-
[39]
Chiffres exacts au 17 novembre 1997 : 3.146 membres adhérents et 1.274 membres volontaires, soit un total de 4.420 membres (données du secrétariat central de l’asbl).
-
[40]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[41]
L’abolition de la peine de mort a été récemment supprimée du texte de la charte, cette clause soulevant des difficultés dans la collaboration avec des associations-sœurs étrangères.
-
[42]
Marc et Corine Magazine, n°4, septembre 1996, p.2.
-
[43]
Marc et Corine Magazine, n° spécial, avril 1997, p.2.
-
[44]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, p.1, p.6. Ce chiffre inclut les campagnes locales (affiches ou affichettes).
-
[45]
Chiffre fourni par le secrétariat de l’asbl.
-
[46]
Les résolutions heureuses de cas de fugues sont le plus souvent moins médiatisées, pour d’évidentes raisons de protection de la vie privée et afin de faciliter la réinsertion du fugueur ou de la fugueuse.
-
[47]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[48]
Ibidem.
-
[49]
Pour un rappel des faits moins centré sur les parents Russo et Lejeune, et également pour une analyse détaillée des mobilisations « blanches », cfr. B. Rihoux, S. Walgrave., op. cit., 1997.
-
[50]
Marc et Corine Magazine, n°1, septembre 1995, p.3.
-
[51]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[52]
Futur initiateur du Comité de soutien des parents de Julie et Mélissa et cheville ouvrière des comités blancs (cf. infra.)
-
[53]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[54]
Ibidem.
-
[55]
Ibidem.
-
[56]
Ibidem.
-
[57]
Deux jours plus tard, un second slogan s’en prenant également à l’ancien ministre de la Justice est affiché sur un pont surplombant l’autoroute à proximité de leur domicile.
-
[58]
Sans compter les messages parvenus sur le site Internet créé pour soutenir les recherches des parents.
-
[59]
Ibidem. Ce chiffre constitue une estimation, la quantité étant telle qu’aucun comptage précis n’a été effectué. Il ne représente en outre qu’une portion du total du courrier reçu par les Russo et les Lejeune sur l’ensemble de la période (ils en ont reçu en grande quantité dès le mois de juin 1995).
-
[60]
Futur initiateur d’un comité blanc à La Panne. Son initiative sera prolongée par les parents eux-mêmes.
-
[61]
Émission lors de laquelle le procureur du roi, Bourlet lance son “si on me laisse faire?.
-
[62]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[63]
De par sa participation à un souper-spaghetti à Bertrix le 21 septembre, en présence de Laetitia Delhez et de Sabine Dardenne.
-
[64]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[65]
Pour une analyse de cette semaine, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 71-76.
-
[66]
Pour une analyse de cette vague de mobilisation, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 17-40.
-
[67]
Cf. également B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 81-83.
-
[68]
Le détail de la genèse et du développement des comités blancs a été largement documenté dans B. Rihoux, op. cit., 1997 ; B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 25-36, 43-47, 50-54.
-
[69]
Pour une analyse quantitative du développement des comités blancs, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 40-47.
-
[70]
Le « contre-feu » des institutions et des acteurs établis face à la menace posée par de nouveaux acteurs.
-
[71]
Le terme « acteur » étant pris ici au sens d’« individu ».
-
[72]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[73]
Interview de Jean-Pierre Malmendier par B. Rihoux, 17 novembre 1997.
-
[74]
Ibidem.
-
[75]
La Wallonie, 18 juillet 1996.
-
[76]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[77]
Ibidem.
-
[78]
Ibidem.
-
[79]
Marc et Corine Magazine, n°2, janvier 1996, p.2.
-
[80]
Ibidem.
-
[81]
Ibidem.
-
[82]
Termes recueillis lors d’entretiens.
-
[83]
Pour quelques précisions méthodologiques concernant cette enquête, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 155-157.
-
[84]
Le taux de réponse est de l’ordre de 30 % pour les militants des comités blancs et de 20 % pour les membres de l’asbl. Dans les deux cas, nous avons uniquement ciblé le noyau restreint des membres les plus actifs, et avons obtenu des réponses bien réparties sur l’ensemble de la zone géographique concernée, dans la même période (entre mai et août 1997).
-
[85]
Dans ce tableau ainsi que dans les suivants, les pourcentages sont arrondis à l’unité. Il en résulte que le total des pourcentages en colonne n’est pas nécessairement égal à 100 %.
-
[86]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp.55-69.
-
[87]
En clair : une proportion de membres des comités blancs (la tranche 18-25 ans essentiellement) est encore, dans la plupart des cas trop jeune pour avoir un ou des enfant(s).
-
[88]
Pour davantage de précisions sur cet aspect, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp.55-69.
-
[89]
L’enquête a été menée avant l’annonce de la création du PNP par Paul Marchal.
-
[90]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 105-109.
-
[91]
Ibidem, pp. 117-119.
-
[92]
Marc et Corine Magazine, n°9, avril 1996, p.9.
-
[93]
Extrait de la charte de l’asbl Marc et Corine (cf. annexe 1).
-
[94]
Les ministres De Clerck et Ylieff.
-
[95]
Marc et Corine Magazine, n°5, février 1997, p.3.
-
[96]
Pour plus de détails sur la nature des comités blancs, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997.
-
[97]
Ibidem, pp. 25-26.
-
[98]
Charte des comités blancs et du réseau d’attention et de solidarité, décembre 1996, p.1.
-
[99]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 135-138.
-
[100]
Jusqu’à ce jour, les comités blancs n’ont pas pris de forme juridique particulière, même si une asbl « technique » a été constituée fin 1997.
-
[101]
Dans ces deux derniers paragraphes, nous faisons référence à une typologie des mouvements sociaux élaborée par H. Kriesi et al., New social movements in Western Europe. A comparative analysis, UCL Press, London, 1995, pp. 83-87.
-
[102]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[103]
Extrait du texte de la conférence de presse du 13 septembre 1996.
-
[104]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[105]
Notre traduction.
-
[106]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[107]
Pour une discussion plus détaillée de cet aspect, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 140-141.
-
[108]
Ce qui constitue d’ailleurs une caractéristique importante de la militance dans les “nouveaux mouvements sociaux? : B. Rihoux, M. Molitor, « Les nouveaux mouvements sociaux en Belgique francophone : l’unité dans la diversité ? », Recherches Sociologiques, vol. 8, n°1, 1997, pp. 59-78. Pour une analyse des résultats de notre enquête sur ce point, cf. B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 96-103.
-
[109]
Par exemple, ce dernier s’engage pleinement dans un Centre dont l’initiative première revient au gouvernement, mais n’hésite pas à réclamer la démission du gouvernement suite au dépôt du second rapport de la commission parlementaire d’enquête Dutroux, Nihoul et consorts en février 1998.
-
[110]
S. Walgrave, B. Rihoux, « De witte golf. Enkele witte en enkele sociologische lessen » (titre provisoire), Sociologische Gids, 1998 (à paraître).
-
[111]
Interview de Gino et Carine Russo par les auteurs, 9 décembre 1997.
-
[112]
D’après le texte de la charte (document non publié, 24 mai 1997, 21 pp.), pp. 1-2. Toutes les citations des paragraphes qui suivent sont issues de ce même document.
-
[113]
Le NCMEC a été créé en 1984. Il a traité près de 60.000 cas de disparitions d’enfants depuis lors. Des missions d’information ont d’ailleurs été menées aux États-Unis, en priorité, à la grande irritation des responsables de l’asbl Marc et Corine.
-
[114]
Marc et Corine Magazine, n°6, juin 1997, p.6.
-
[115]
Et par ailleurs président d’honneur de la BBL.
-
[116]
Le Soir, 11 décembre 1997.
-
[117]
À cet égard, il n’est pas anodin de relever que l’asbl Marc et Corine n’a finalement pas pu bénéficier d’un subside européen qu’elle escomptait pourtant
-
[118]
Pour une discussion plus approfondie de ce point, cf. S. Walgrave, B. Rihoux, op. cit., 1998.
-
[119]
Influence « mesurable », sur des décisions concrètes.
-
[120]
Cf. par exemple, au sujet du cas flamand : S. Walgrave, Tussen loyauteit en selectiviteit. Over de ambivalente verhouding tussen sociale bewegingen en groene partij in Vlaanderen, Garant, Leuven, 1995, pp. 241-257.
-
[121]
B. Rihoux, S. Walgrave, op. cit., 1997, pp. 135-137.