Couverture de CRIS_1533

Article de revue

La Justice dans le tourmente

Des pouvoirs et des faits

Pages 1 à 40

Notes

  • [1]
    Antoine Garapon, Le gardien des promesses, Ed. O. Jacob, 1996, pp.21-22.
  • [2]
    Voir E. Lentzen et X. Mabille, "Rythmes et changements dans la vie politique belge", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1500, 1995, dont ce chapitre intègre des extraits.
  • [3]
    Une tendance longue à l’accroissement du rôle de l’Etat s’observe depuis le milieu du siècle dernier. La part des dépenses du pouvoir central dans le revenu national a progressé jusqu’en 1982 où elle se situait à 52,5 %. Depuis lors, des plans d’assainissement et des cessions d’actifs ont fait descendre cette part en-dessous des 50 %. Toutefois si l’on tient compte des dépenses des sociétés dont l’Etat est actionnaire et des dépenses des pouvoirs régionaux - qui se sont accrues depuis 1980 - cette part reste nettement au-dessus des 50 %. (Source : Ministère des Finances, Note de conjoncture, Services d’études et de documentation).
  • [4]
    Le principe de l’immunité parlementaire est inscrit dans l’article 59 de la Constitution : "Aucun membre de l’une ou l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu’avec l’autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de l’une ou l’autre Chambre durant la session, qu’avec la même autorisation. La détention ou la poursuite d’un membre de l’une ou l’autre Chambre est suspendue pendant la session et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert". Lors des récentes demandes de levée d’immunité parlementaire concernant G. Goëme, G. Spitaels et G. Mathot, la question s’est posée de modifier cet article constitutionnel afin d’éviter qu’une demande de levée d’immunité parlementaire ne soit comprise par l’opinion publique comme une présomption de culpabilité. La Chambre a voté le 20 juin 1996 une révision de cet article qui prévoit que le ministère public ou le juge d’instruction pourront procéder à l’interrogatoire d’un parlementaire et à la confrontation avec des témoins sans l’accord préalable de l’assemblée parlementaire pour autant que ces actes n’entravent pas l’exercice du mandat parlementaire.
  • [5]
    Référence est faite, dans ce texte, au niveau fédéral, compétent pour les matières relatives à l’administration de la Justice (organisation, compétences, procédures judiciaires, polices,…).
  • [6]
    Les cas de responsabilités, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux doivent être déterminés par la loi. Une loi à portée limitée a été adoptée en 1865. La question s’est reposée de manière aigüe depuis 1993 suite aux demandes de levée d’immunité parlementaire de G. Coëme, G. Spitaels et G. Mathot et à la procédure ouverte devant la Cour de cassation pour G. Coëme. Une loi, également à portée limitée, a été votée le 3 avril 1995. Des propositions et projets de loi sont déposés sans avoir encore abouti. Un projet de loi visant à accélérer la procédure devant la Cour de cassation a été adopté en séance plénière le 23 novembre 1995 et est actuellement examiné en commission à la Chambre.
  • [7]
    Ainsi, par exemple pour la session parlementaire 1993-1994, 96 projets de loi ont été déposés ou transmis et 104 ont été adoptés (ce chiffre comprend des projets déposés au cours de la session précédente) tandis que 108 propositions de loi étaient déposées ou transmises et 39 adoptées.
  • [8]
    La professionnalisation accrue de la politique se présente aussi sous d’autres aspects ayant trait notamment à la gestion des institutions et a l’effort permanent d’adaptation des structures et des modes d’organisation qu’elles requièrent. Nous vivons dans une société de normes ou l’institutionnalisation apparaît comme un mode privilégié de décision et comme un mode de résolution des conflits. L’effet "boule de neige" institutionnel est entretenu par la technicité des matières qui, elle-même, entraîne une intervention accrue de personnes spécialisées, également à la marge des lieux de la politique qui, ainsi, s’elargissent. En résultent à la fois des formes de technocratie et de commensalisme.
  • [9]
    Le clientélisme - défini comme pratique politique de relations personnelles intéressées - est un phénomène, très ancien, qui trouve sa source dans les contraintes qui pèsent sur les hommes politiques. Ceux-ci se trouvent devant la difficulté de décider, rapidement, de beaucoup de choses en même temps, d’essayer de maintenir une cohérence et une vision d’avenir tout en s’inscrivant dans les pratiques de délibération et en essayant de rencontrer les revendications de tous ceux qui interviennent dans le processus de décision. Une telle situation entraîne une tendance à chercher d’abord à répondre aux besoins matériels immédiats de personnes qui s’adressent personnellement à eux, souvent suite à des dysfonctionnements ou à des défaillances de l’administration. Cette "inclination" rencontre à la fois la fonction de l’homme politique de "représenter" et les besoins d’électeurs d’être écoutés, rassurés et secourus. Ce faisant, cette pratique entre en contradiction avec les objectifs poursuivis par l’action politique collective. Quand clientélisme et bureaucratie deviennent des modes conjoints de gestion et d’organisation, une perception d’extériorité au politique s’installe.
  • [10]
    La loi sur le pacte culturel prévoit et organise des équilibres qui doivent être sauvegardés, dans la composition des organes de gestion d’un certain nombre d’organismes culturels, entre partis politiques en fonction de leur représentation parlementaire. Sur le pluralisme tel que l’institue le pacte culturel, voir Hugues Dumont, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, 2 vol., Bruxelles, Bruylant, 1996, 1.214 pages.
  • [11]
    Les vice-Premiers ministres sont aujourd’hui au nombre d’un par parti en coalition ; jusqu’en 1988, le parti qui avait le poste de Premier ministre ne disposait pas d’un vice-Premier.
  • [12]
    Ce qui permet d’inclure les instances qui, sans être intégrées au pouvoir judiciaire senso stricto (les cours et tribunaux siégeant dans les palais de Justice), n’en exercent pas moins, dans des domaines spécifiques, une fonction de jugement, c’est-à-dire d’arbitrage de conflits selon une procédure réglée par le droit et en appliquant au litige ou à la question qui leur sont soumis, les règles du droit. Tel est le cas des juridictions militaires mais aussi des juridictions administratives (dont la plus haute est le Conseil d’Etat) et de la juridiction constitutionnelle qu’est la Cour d’arbitrage.
  • [13]
    Selon l’expression de François Rigaux, Introduction à la science de droit, EVO, 1974, p.349.
  • [14]
    Le code civil de 1804 posait déjà le principe repris aujourd’hui dans le code judiciaire : "Il y a déni de justice lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce soit, même du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi”.
  • [15]
    Jean-Denis Bredin, "Un gouvernement des juges", Pouvoirs, n°68,1994, pp.80-81.
  • [16]
    Au point que l’on peut parler d’entropie de la production normative et de véritable fiction de la connaissance du droit par les citoyens-destinataires comme par les responsables politiques-auteurs des lois : "Les législations se multiplient de façon délirante. Un des problèmes sociaux majeurs est la méconnaissance des lois. Plus personne ne peut prétendre satisfaire à l’adage : Nul n’est censé ignorer la loi" (R. Lallemand, Le Soir, 8 octobre 1996).
  • [17]
    Voir Yves Delvaux, "Statut matériel du Parlement fédéral et de ses membres", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1514, 1996.
  • [18]
    Pour l’énoncé des problèmes traités par les enquêtes parlementaires à la Chambre et au Sénat jusqu’en 1995, voir E. Lentzen et X. Mabille, op. cit., pp.21-22.
  • [19]
    L’article premier deuxième alinéa de la loi coordonnée sur les enquêtes parlementaires précise que : "Les enquêtes menées par les Chambres ne se substituent pas à celles du pouvoir judiciaire, avec lesquelles elles peuvent entrer en concours, sans toutefois en entraver le déroulement".
  • [20]
    Réglementation élaborée et imposée dans et par un ensemble de structures et d’organisations privées : de la famille et du groupe d’amis aux entreprises, écoles, hôpitaux ou associations professionnelles.
  • [21]
    L. Huyse, L. Petré, S. Parmentier, "La politique européenne des consommateurs", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1357,1992, p.17.
  • [22]
    Antoine Garapon, op. cit., p.99.
  • [23]
    Deux exemples de ce processus : la publicité affichée, il y a quelques mois, pour prévenir d’actes incestueux ou des traitements violents à l’égard des enfants (les sévices que subissent les enfants sont le plus souvent commis par un des parents, des collatéraux ou des proches de la famille) faisait appel à la réaction des voisins "qui doivent se mêler de ce qui ne les regarde pas”; une affichette collée sur les vitres arrière des voitures aux lendemains de la découverte des corps de Julie Lejeune et de Mélissa Russo rappelle une phrase d’Albert Einstein : "Le monde est dangeureux à vivre non à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire".
  • [24]
    Et d’appréciation de la seule règle de droit "convenable", voir Jean-Denis Bredin, "Le mépris du droit", Le Monde, 21-22 août 1994. Il ne faut bien sûr pas déduire de ces considérations une volonté de minimiser le rôle, l’action et le soutien moral qu’offre le monde associatif.
  • [25]
    L’institut de sondages Field Research a, pour Het Laatste Nieuws (26 septembre 1996), essayé de mesurer la confiance de l’opinion publique à l’égard de certaines personnes incarnant différentes "images" de la Justice (le procureur de Neufchâteau Michel Bourlet, la Juge d’instruction de Liège Véronique Ancia, l’actuel ministre de la Justice Stefaan De Clerck et l’ancien ministre de la Justice Melchior Wathelet) et à l’égard de corps institués (la Justice, la gendarmerie, la police générale et communale).
  • [26]
    Leur "interventionnisme" va jusqu’à divulguer prématurément des rapports ou des parties de rapports, voire l’identité de suspects recherchés, court-circuitant ainsi les procédures, compromettant le fonctionnement normal des institutions (voir notamment les réactions de parlementaires), induisant une lecture des documents divulgués, attisant les différends et y puisant tout à la fois les raisons de leurs critiques à l’égard des autorités publiques. Certains médias vont même jusqu’à interroger des témoins - sérieux ou non - avant la police. Ils en viennent ainsi à bafouer de plus en plus souvent le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. La méthode de l’information "en vrac" peut être bien trompeuse ; contrairement à son attente, elle n’aboutit ni à la clarté ni à la vérité mais à la confusion générale.
  • [27]
    L’on traverse une époque où l’intérêt est plus marqué pour l’homme ou la femme que pour les fonctions qu’il ou elle exerce. La situation de famille, les traits de caractère et les occupations personnelles de tel ou tel attirent plus que la manière de concevoir leurs métiers et contraintes. Prime est donnée à celui ou à celle qui "passe" bien dans les médias.
  • [28]
    "La représentation s’oppose à la médiatisation. Dans la médiatisation, le pouvoir est accaparé par celui qui, se présentant comme médium, offre une image fixe du corps social. Au contraire dans la représentation, le politique est actif et n’admet pas le statisme de la société. Le media se présente comme légitime - il exprime la réalité de la société, fût-elle (…) divisée -, tandis que le représentant doit toujours être relégitimé. La contradiction entre médiatisation et représentation résulte d’un double paradoxe. D’une part, le pouvoir politique est d’autant plus démocratique qu’il repose moins sur la médiatisation de la pensée commune. D’autre part, ce même pouvoir est d’autant plus confisqué et ouvert qu’il prend les apparences de la proximité avec le peuple", Nicolas Tenzer, "La politique", Presses universitaires de France, Que sais-je ?, n°2583, 1991, pp.88-89.
  • [29]
    Voir Pierre-André Taguieff, "Le populisme", Universalia, 1996, pp.118-125.
  • [30]
    La problématique des rapports entre le monde politique et ce que l’on appelle la "société civile" a pris de l’ampleur aux lendemains des élections législatives du 24 novembre 1991 et de la mort du roi Baudouin. À ces moments-là, certains avaient cherché à décoder ou avaient cru entendre le "message" adressé par la population. Interprétant les résultats des élections de 1991 comme autant de rejets du politique ou de votes protestataires, ils ont contribué à dramatiser le débat sur les rapports "citoyen/politique" et ont interprété l’élection comme étant un moment où l’électeur exprimerait une opinion, alors qu’en réalité il émet un vote qui sert à élire des représentants dans des assemblées. La vague d’émotions exprimées lors du décès du roi Baudouin recouvrait un paradoxe. En effet, on assistait alors à une survalorisation de la fonction politique du roi et a une dévalorisation de la fonction politique exercée par les mandataires élus par la population. Cette survalorisation a abouti à faire d’une certaine conception de l’unité nationale un modèle paraissant unanimement partagé alors que le roi avait accompagné l’évolution institutionnelle du pays. Les revendications d’une plus grande autonomie des entités fédérées n’ont pourtant pas cessé de s’exprimer aux lendemains de ce décès.
  • [31]
    Pour les journaux étrangers, l’émotion exprimée symboliserait l’inquiétude de la population face au processus de fédéralisation du pays. L’ancien correspondant en Belgique du quotidien français Le Monde, Jean de La Guérivière, dans un éditorial titré "Le désarroi des belges" publié le 10 septembre 1996, écrit - après avoir attiré l’attention sur le fait que "les affaires ne sont certes pas liées et elles sont suffisamment graves pour qu’on évite, là plus que jamais, de se livrer à des amalgames qui seraient, eux aussi, criminels" - : "Toutes deux ont toutefois un point commun, celui d’avoir mis en lumière les fonctionnements erratiques d’une Justice et d’une police minées par la corruption, le clientélisme et l’incompétence." Dans le même journal, un autre article est sous-titré : "L’arrestation d’un ancien ministre (…) et les découvertes de réseaux pédophiles traumatisent un pays toujours déchiré par ses querelles linguistiques". Dans L’Evénement du jeudi (12-18 septembre 1996), Albert du Roy rappelle qu’il avait pronostiqué en 1989 que "la Belgique est en voie de disparition" et ajoute "sept années plus tard, le processus de dissolution se poursuit implacablement (…). Cette crise de confiance est aussi une crise de régime et, je crois, une crise existentielle". "Flamands et Wallons ne peuvent-ils plus se réunir que sur une tombe ? ", demande Le Nouvel Observateur (19-25 septembre 1996). L’Express du 19 septembre titre : "La crise de la justice et du pouvoir fragilise un Etat travaillé par le séparatisme flamand" et sous-titre "La fin de la Belgique ? Et alors ?".
  • [32]
    Une des plus remarquées a été celle du président du CVP, Marc Van Peel, qui s’étonnait des "errements" wallons en matière de sécurité sociale en posant la question : "Comment admettre qu’un Dutroux et sa femme touchent 80.000 francs par mois grâce à l’assurance invalidité ?".
  • [33]
    Les traits paradoxaux des perceptions du politique par les citoyens et des capacités d’action des pouvoirs publics sont ensuite énoncés dans la déclaration gouvernementale de la manière suivante : "Leur confiance dans les autorités faiblit, précisément au moment où celles-ci ont étendu leur terrain d’action à quasi tous les domaines de la vie en société et ce, souvent à la demande expresse de ces mêmes citoyens. Nous sommes emportés dans un étrange tourbillon. La prospérité et les processus de production économique ont un impact profond sur le comportement individuel et collectif des citoyens, ce qui impose sans cesse de nouvelles tâches aux autorités. (…) Chacun de ces problèmes a trait au comportement humain et ne peut dès lors être uniquement résolu par de simples interventions techniques, règlements, lois ou moyens techniques. Ils relèvent en effet aussi de l’éducation, de l’éthique et de la mentalité. Les pouvoirs publics - dont le Gouvernement et le Parlement ne constituent qu’une partie, et au sein desquels la magistrature, l’appareil administratif et tous les responsables régionaux et locaux ont également leur place - se heurtent très souvent aujourd’hui aux limites de leurs capacités techniques et financières. (…) (L’influence des pouvoirs publics) dans de nombreux domaines de la société est devenue telle que l’ensemble devient difficile à gérer, d’autant plus que le consensus social dans bien des domaines est plus difficile à réaliser. En tant que représentants politiques démocratiquement élus, nous assumons une large responsabilité dans la société. Au travers des débats que nous menons et des choix que nous opérons, nous devons être parmi les initiateurs de la rénovation sociale. Mais nous ne pouvons pas assumer cette tâche seuls. Au cours des dernières années, nous avons eu la tentation, et nous avons parfois été contraints, d’assumer toujours plus de responsabilités dans de très nombreux domaines. La politique doit pourtant éviter de donner l’impression qu’elle peut tout résoudre à la fois. Elle doit prendre des engagements clairs, créer le cadre nécessaire au développement de la vie économique, sociale et intellectuelle et essayer de formuler une réponse précise aux besoins et aspirations du citoyen".
  • [34]
    Voir E. Lentzen, "Une législature de réformes institutionnelles", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1476-1477, 1995 ; Y. Delvaux, "Statut matériel du Parlement fédéral et de ses membres", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1514, 1996.
  • [35]
    Extraits d’une interview de Jean-Luc Dehaene, La Libre Belgique, 7 octobre 1996.
  • [36]
    Les interpellations provenant de tous les partis représentés portaient sur les rapts d’enfants, la pédophilie, la manière dont sont menées les enquêtes relatives aux disparitions de mineurs, le rééchelonnement des peines suite à l’abolition de la peine de mort, les mesures annoncées par le gouvernement en matière de politique carcérale, la spécialisation des services de police et leur coopération, etc. Rappelons que la loi du 10 juillet 1996 (Moniteur belge, 1er août 1996) a aboli la peine de mort, celle-ci n’était toutefois plus appliquée depuis près de 80 ans pour les crimes de droit commun. Le vote a eu lieu à la Chambre le 13 juin 1996 à une très large majorité, seuls le Vlaams Blok et le Front national ont émis un vote négatif.
  • [37]
    La Libre Belgique, 7 octobre 1996. Sur les limites de l’"imagination du juge", voir Pierre Drai, "Le délibéré et l’imagination du juge", Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Paris, Dalloz, 1996, pp.107-120.
  • [38]
    Pour le philosophe Jean Ladrière, "beaucoup ont le sentiment de se trouver devant un appareil juridique qui serait pris dans une contradiction qu’il a lui-même créée. (…) La contradiction, c’est qu’il y a, d’une part, des règles abstraites, des formes qui régissent des procédures et donc un certain formalisme. Et d’autre part, il y a une intuition morale. Ce n’est pas un sentiment mais la perception d’une valeur. La population est choquée par la mise sur le même pied des criminels et des victimes, quelles que soient les mesures envisagées pour traiter les criminels humainement. Et il y a aussi la crainte pour l’appareil judiciaire que de paraître faire marche arrière en cas de dessaisissement voire de la mise au point d’un compromis. On est vraiment face à une situation critique où l’on voit la différence entre la loi et la morale" (Le Soir, 14 octobre 1996).
  • [39]
    Philippe Toussaint commente cette situation de la manière suivante : "(…) M. Connerotte s’est mis dans une situation catastrophique, soit par ignorance des dispositions du code judiciaire, ce qui n’est guère pensable, soit qu’il ait été entraîné par le sentiment exaltant - mais combien dangeureux ! - d’être un juge populaire et de pouvoir en appeler, le cas échéant, au-delà des règles de droit, à la nation, en se conduisant comme un juge élu. Ce ne serait qu’absurde si les circonstances ne donnaient un immense crédit populaire à ce dont on ne sait s’il s’agit de désinvolture ou d’une faute délibérée. (…) Combien, si j’étais juge, j’en voudrais à M. Connerotte d’obliger la Cour de cassation à attiser encore la crise en examinant la requête en suspicion légitime du conseil de Marc Dutroux ! Car, enfin, où un homme réputé assez intelligent, comme M. Connerotte, veut-il en venir ? A ce que la justice elle-même dise que certains justiciables n’ont pas de droits de défense, que l’une ou l’autre partie à un procès a raison et l’autre tort par définition ? Et, qu’en un mot comme en cent, on devrait lyncher Dutroux dans sa cellule et que tout soit dit ? " (Le Vif/L’Express, 4 octobre 1996). Voir aussi le Journal des procès, éditoriaux des 4 et 18 octobre 1996.
  • [40]
    Les principaux attendus de cet arrêt sont les suivants : "(…) Attendu que l’impartialité des juges est une règle fondamentale de l’organisation judiciaire, qu’elle constitue avec le principe d’indépendance des juges à l’égard des autres pouvoirs, le fondement même non seulement des dispositions constitutionnelles qui règlent l’existence du pouvoir judiciaire mais de tout Etat démocratique ; que les justiciables y trouvent la garantie que les juges appliqueront la loi de manière égale ; Attendu que la condition essentielle de l’impartialité du juge d’instruction est son indépendance totale à l’égard des parties en manière telle qu’il ne puisse s’exposer au soupçon de partialité dans l’instruction des faits, que ce soit à charge ou à décharge ; que le juge d’instruction ne cesse à aucun moment d’être un juge ne pouvant susciter dans l’esprit des parties ou dans l’opinion générale une apparence de partialité ; qu’aucune circonstance, fût-elle exceptionnelle, ne le dispense de ce devoir, (…) que le juge d’instruction qui a été reçu par une partie à ses frais ou qui a agréé d’elle des présents, et a manifesté de la sorte sa sympathie à l’égard de cette partie, se met dans l’impossibilité d’instruire la cause de celle-ci, sans susciter chez les autres parties, notamment les inculpés et les tiers, une suspicion quant à son aptitude à remplir sa mission d’une manière objective et impartiale ; Attendu qu’il ressort des pièces auxquelles la cour peut avoir égard (…) que les faits ci-dessus énoncés sont avérés et pertinents et que de surcroît, le juge Connerotte avait reçu en ses mains une constitution de partie de l’asbl Marc et Corinne contre le requérant ; Attendu qu’il y a lieu de dessaisir sur-le-champ ce juge d’instruction des dossiers concernant ledit requérant ; Attendu que, par ailleurs, la nécessité de poursuivre sans désemparer ainsi que l’ampleur des moyens déployés sur place par les enquêteurs commandent le renvoi de la cause à un juge d’instruction du même arrondissement (…)".
  • [41]
    La Libre Belgique, 15 octobre 1996. Voir également la position de la Ligue des familles : "Contrairement à ce que certains hommes politiques ont voulu faire croire, ce n’était pas à la Cour de cassation à faire preuve d’imagination pour créer le droit, car cela aurait été se substituer à eux dans un rôle qui leur revient de droit dans un régime démocratique qui garantit la séparation des pouvoirs", Le Ligueur, 23 octobre 1996.
  • [42]
    La Libre Belgique, 15 octobre 1996.
  • [43]
    La Fédération des entreprises de Belgique a réagi aux débrayages par la voix de son administrateur-délégué Tony Vandeputte : "Comme citoyen, je comprends la douleur des gens. Néanmoins il faut s’interroger sur les moyens utilisés pour exprimer ses émotions. Désorganiser le travail n’apparaît pas comme le moyen approprié. L’entreprise n’est pas concernée par ce problème et n’a aucune prise sur les événements (…) elle n’a pas à être pénalisée" (La Dernière Heure, 16 octobre 1996).
  • [44]
    Le roi avait une première fois reçu les parents des victimes début septembre en présence du ministre de la Justice et avait demandé à ce dernier que toute la clarté soit faite sur l’affaire et sur l’enquête, s’engageant de plus à maintenir un dialogue avec les familles. Le communiqué publié par le palais à l’issue de la rencontre annonçait la table ronde d’octobre.
  • [45]
    Le Soir, 19-20 octobre 1996.
  • [46]
    Des partis extrémistes ont cherché à intervenir directement ; une mise en demeure a été adressée par les familles Russo et Lejeune du Parti au travail de Belgique-PTB de cesser de diffuser des affiches avec son sigle pour appeler à participer à la marche. Le président du Tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en référé (procédure d’urgence) a accueilli une demande d’interdiction de distribution de ce matériel.
  • [47]
    Voir Jacques Sojcher, "Dutroux est-il un monstre ?", Espace de libertés, n°244, octobre 1996.
  • [48]
    Mony Elkaïm, Le Soir, 22 octobre 1996.
  • [49]
    Jean Puissant, professeur à l’ULB, récuse qu’il y ait une Justice de classe dont la preuve aurait été le dessaisissement par la Cour de cassation du juge d’instruction en charge du dossier : "Au contraire c’est un principe démocratique pour lequel quelques milliers de personnes sont mortes pour abolir l’arbitraire de la Justice de l’Ancien Régime. Le problème est que la Justice apparaissait comme une institution qui n’était pas en crise (…). Mais, maintenant la population a l’impression que la Justice mettrait des bâtons dans les roues dans une enquête. (…) C’est une affaire difficile. En raisonnant on a l’impression de ne pas partager l’émotion et de justifier, ce qui n’est pas le cas (…)". (La Wallonie, 16 octobre 1996).
  • [50]
    L’attente est particulièrement forte à l’égard du pouvoir politique vis-à-vis duquel aussi le plus grand nombre de reproches est adressé - en ce compris de ne pas être capable de résoudre des problèmes dans des domaines où il ne dispose pas ou plus du pouvoir de décision, d’injonction ou de contrôle (par exemple, l’économie et la finance), ce qui tend à faire croître encore le sentiment d’insécurité.
  • [51]
    Arrêt du 5 novembre 1920, Pasicrisie, 1920, I, p.193. C’est un fait divers qui est au départ de cette affaire : "la chute d’un arbre croissant sur le domaine public de la ville de Bruges endommage les plantations d’un agriculteur" (C. Cambier, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968, pp.570-571) qui perdra cependant son procès en responsabilité, le tribunal estimant que la puissance publique ne peut engager sa responsabilité. La Cour de cassation affirmera le principe contraire.
  • [52]
    Dans la Constitution de 1831, le pouvoir judiciaire - historiquement une nouveauté dans les démocraties européennes, en tant qu’il est d’emblée établi comme pouvoir à part entière et indépendant - est investi de la mission de censurer, dans des cas individuels, l’illégalité de l’action de l’exécutif (article 159 de la Constitution).
  • [53]
    Moyen d’incitation au respect de la décision du juge, par la menace d’avoir à payer une somme forfaitaire en cas d’inexécution de la décision ; cet "incitant" a été introduit par une loi en 1980 pour le pouvoir judiciaire.
  • [54]
    Voir par exemple Michel van de Kerchove, "Accélération de la justice pénale et traitement en « temps réel »", Journal des procès, n°311-312, 4 et 18 octobre 1996. Au "snelrecht" en matière pénale ou répressive, fait écho en matière civile l’essor considérable - sur le double mode de l’évolution et de l’explosion - de la juridiction des référés : il s’agit en ce cas de procéder à la régulation provisoire et dans l’urgence de situations problématiques, par le truchement d’un juge qui, sans "dire le droit", prend des "mesures" qui relèvent davantage d’une fonction de "police" que d’une démarche classique de Justice, ce qui n’est pas sans risque de confusion des rôles et des genres ("(…) que les juges laissent la police aux policiers", J. Linsmeau, "Le référé. Fragments d’un discours critique", Revue de droit de l’ULB, 1993-1, p.35). Ces dernières années, se sont également multipliées les législations permettant de trancher des conflits ou litiges "au fond" - en disant donc le droit - mais selon des procédures "comme en référé", c’est-à-dire accélérées et simplifiées, plus proches du temps réel.
  • [55]
    C’est ce qui se manifeste à travers les revendications d’une Justice à la fois "plus humaine", "plus accueillante", "plus chaleureuse", "plus à l’écoute des souffrances et des émotions". Il y a, dans cette demande, une part légitime d’attente de restauration - ou d’instauration - au stade judiciaire d’un espace de convivialité ; s’y manifeste aussi, à travers le souhait d’une justice "déformalisée" ou "en accès direct", la tendance à une occultation de sa fonction de pouvoir et de sa réalité institutionnelle. Cette tendance pourrait, si l’on ne prend garde à maintenir la spécificité des fonctions de poursuivre et de juger, comporter un risque de confusion des rôles.
  • [56]
    "Justice et barbarie 1940-1944", Juger, n°6-7, 1994.
  • [57]
    Qui ne s’est collectivement mobilisé, après guerre, qu’à deux reprises : à la fin des années 1970, pour la défense du régime favorable des pensions, lié à l’éméritat - qui fut néanmoins supprimé - et, en mai 1991, pour un accroissement des moyens budgétaires, humains et matériels.
  • [58]
    Même s’il y a, depuis l’origine, un Ministère et un ministre de la Justice, cette référence explicite à une vertu n’est pas employée par la Constitution et ne l’est pratiquement jamais par la loi. Le judiciaire est le seul des trois pouvoirs constitutionnels à être ainsi généralement désigné par allusion à un idéal, ce qui contribue à occulter sa nature profonde de pouvoir au sens le plus politique du terme.
  • [59]
    La loi du 18 juillet 1991 instaure un système de "filtrage objectif", préalable à l’accès à la carrière de magistrat. Deux voies s’ouvrent au candidat à une fonction "de base" dans la magistrature (juge ou substitut) : soit, après une année de barreau (avocat), un concours qui donne accès, dans l’ordre du classement, à un stage judiciaire de 18 (substitut au parquet) ou 36 mois (juge au tribunal), éventuellement prolongeable avant nomination ; soit après une dizaine d’années d’expérience professionnelle dans une fonction juridique (essentiellement le barreau), un examen au terme duquel est constituée une "réserve de recrutement". A l’issue du stage ou en cas de succès à l’examen, la nomination est et reste le fait du ministre, ce qui maintient la possibilité d’appréciations de type politique. Il s’agit donc d’un système d’objectivation plutôt que de dépolitisation. Seule la généralisation du recrutement par concours et celle de la carrière plane seraient de nature à entraîner une réelle dépolitisation des nominations et des promotions (tel est partiellement le cas pour de hautes fonctions comme celles de l’auditorat du Conseil d’Etat, des référendaires à la Cour d’arbitrage ou des inspecteurs des Finances).
  • [60]
    Les femmes n’ont eu accès à la magistrature qu’à partir de 1948, soit en même temps que leur accès au suffrage universel pour les élections législatives. Sur la féminisation de la magistrature, voir le Bulletin de l’Union internationale des magistrats (section belge), octobre 1988.
  • [61]
    Renforcement des fonctions du juge et du tribunal de la jeunesse (1965) ; en 1967 (entrée en vigueur en 1970), création des tribunaux et cours du travail, rénovation des tribunaux de commerce, institution d’un juge des saisies (chargé de veiller à la régularité des mesures conservatoires et d’exécution forcée sur les biens, alors qu’il n’existe toujours pas de juge de l’exécution "sur les corps" ou juge d’application des peines).
  • [62]
    Il reste que la représentation socialiste est encore nettement inférieure au poids électoral de cette famille politique, venue relativement tardivement aux affaires de Justice, soit seulement après que le suffrage universel ait sorti tous ses effets.
  • [63]
    Sans préjudice de l’affiliation de magistrats aux organisations syndicales représentatives de la fonction publique (CGSP, CCSP, SLFF), les associations regroupant spécialement des magistrats - principalement des associations de fait n’ayant pas opté pour un statut juridique déterminé (par exemple, asbl) - se sont surtout structurées sur une base corporative soit en fonction du niveau de juridiction (Union nationale des magistrats de 1ère instance (1970), Union des magistrats des cours d’appel (1971),…), soit en fonction de la spécialisation des magistrats concernés (Union royale des juges de paix et de police (asbl depuis 1922), Fédération nationale de magistrats de la jeunesse (initiée en 1913 et consacrée en 1982), Union des juges des tribunaux de commerce (dès 1937), Association belge des juges d’instruction (1996). Il existe, depuis 1969, une Commission nationale de la magistrature qui prétend à la représentation de l’ensemble de la magistrature - et non du pouvoir judiciaire - mais ne dispose ni d’un statut juridique précis, ni d’une reconnaissance légale, tout en étant à l’occasion considérée comme un interlocuteur (de fait) privilégié. Il existe enfin dans chacune des deux Communautés une association à vocation plus prospective que strictement corporative ou syndicale : il s’agit, en Communauté française, de l’Association syndicale des magistrats et en Communauté flamande de Magistratuur en Maastschappij. Pour un descriptif exhaustif de ces organisations, voir la dernière mercuriale - discours de rentrée - du procureur général, aujourd’hui émérite, près la Cour de cassation, Jacques Velu, "Représentation et pouvoir judiciaire", Journal des tribunaux, n°5814 et 5815, 12 et 19 octobre 1996, sp.pp.655-666.
  • [64]
    Antoine Garapon, La République pénalisée, Paris, Hachette, 1996, et interview au Nouvel Observateur, n°1666, 10 octobre 1996.
  • [65]
    La Constitution leur consacre un seul article (art. 153) : "Le roi nomme et révoque les officiers du ministère public près les cours et tribunaux". Si cette disposition se trouve sous le chapitre "Du pouvoir judiciaire", elle n’en indique pas moins le lien entre le parquet et le gouvernement.
  • [66]
    Il s’agit de la réunion "de fait", autour du ministre de la Justice, des procureurs généraux près les cours d’appel (Bruxelles, Liège, Gand, Anvers, Mons). Ces cinq "hauts magistrats" exercent des responsabilités importantes et disposent de pouvoirs considérables dans l’administration de la Justice, ce qui rend leurs fonctions politiquement sensibles. Depuis la dernière déclaration gouvernementale, il est envisagé d’institutionnaliser ce collège en lui donnant une existence légale, ce qu’a récemment confirmé le Premier ministre (un projet de texte législatif a été rédigé).
  • [67]
    Il ne serait matériellement pas possible - ni nécessairement souhaitable - de poursuivre devant le tribunal toutes les infractions constatées. Il y a donc lieu de sélectionner les dossiers qui donneront lieu à procès et ceux qui feront l’objet d’un "classement sans suite" ou d’une proposition de transaction et ce, sur la base de critères qui, idéalement, doivent être les plus objectifs possibles, pour limiter le risque d’arbitraire. La définition de ces critères relève de ce que l’on appelle la "politique criminelle", indispensable dans le système dit "d’opportunité des poursuites", par opposition au système dit de "légalité des poursuites", concrètement impraticable en raison de la "surpénalisation" des relations sociales (multiplication des cas de non-respect de la loi, dans lesquels celle-ci prévoit une sanction pénale qui dénote une préférence pour le recours à une approche judiciaire moins fine, moins subtile, moins "civile" (civilisée ?) des manquements et des responsabilités (A. Garapon, op. cit.).
  • [68]
    Sur le statut du ministère public, voir "Le ministère public" et "Le ministère public en question", Bulletin de l’UIM, mai 1986 et octobre 1987 ; François Perin, "Du ministère public", Les pouvoirs du judiciaire, sous la direction de Ch. Panier et Foulek Ringelheim, Bruxelles, Editions Labor, 1987, pp.87-100 ; Un ministère public pour son temps, Actes du colloque organisé à la Cour de cassation par le Ministère de la Justice et les procureurs généraux les 7 et 8 octobre 1994, Ed. du Moniteur belge, 1994.
  • [69]
    De plus en plus d’associations - de type asbl - réclament et, dans certains cas, se voient reconnaître un droit d’action en matière pénale pour la représentation et la défense d’intérêts collectifs partiels (ainsi, en matière d’environnement, de répression du racisme, …). En ces cas, l’on peut s’interroger sur la subsistance du pouvoir exclusif du parquet de représenter l’intérêt général (Paul Martens, "Conclusions", Racisme, égalité. Que peuvent les juristes ?, Actes de la journée d’études du 27 avril 1996, publiés par l’Association pour le droit des étrangers, 1996, pp.97-98).
  • [70]
    Voir Lode Van Outrive, "Les services de police belges : spécialisation, répartition des tâches et coopération ne sont pas synonymes", Journal des procès, n°311-312, 4 et 18 octobre 1996 ; voir aussi "Dérives sécuritaires", Cahiers marxistes, n°200, novembre-décembre 1995.
  • [71]
    La crise du Juge, édité par Jacques Lenoble, Bruxelles, Story Scientia, et Paris, L.G.DJ., 1990.
  • [72]
    Ainsi en va-t-il, singulièrement, de la délinquance financière et fiscale à dimension transnationale, dont l’élucidation par des systèmes judiciaires confinés aux territoires des Etats nationaux, constitue un défi majeur pour ces systèmes et pour la survie des démocraties. Est significatif à cet égard "l’appel de Genève" lancé par sept hauts magistrats européens, dont le procureur du Roi de Bruxelles, Benoît Dejemeppe, en vue d’un renforcement et d’une réelle coordination des moyens de lutte contre cette forme de criminalité (voir Denis Robert, La Justice ou le chaos, Paris, Stock, 1996).
  • [73]
    Ainsi, peuvent cœxister, pour une même situation litigieuse, les référés judiciaire et administratif ; la procédure "au fond" et "comme un référé", la voie pénale et la voie civile, … En matière de protection de la jeunesse, devenue aide à la jeunesse, la communautarisation ne s’est assurément pas réalisée dans l’harmonie souhaitable entre pouvoir (judiciaire) fédéral et pouvoir (administratif) communautaire, alors que planent de sérieuses menaces de "repénalisation" de la protection de la jeunesse (voir Journal du droit des jeunes, n°153, mars 1996).
  • [74]
    Telle la "civilisation" du procès pénal dans le contexte des multiples actions en cessation et, inversement, la "pénalisation" du contentieux de la vie privée.
  • [75]
    Cette attente a toutefois reçu un début de concrétisation à l’occasion du colloque "Justice et médias", organisé au Sénat par la commission de la Justice les 7, 8 et 9 décembre 1995, dont les actes ont été publiés par les Ed. du Moniteur belge.
  • [76]
    "Justice et médias. Les mirages de la Justice virtuelle", Juger, n°8-9-10, 1995.
  • [77]
    Voir Guy Cumps, président de l’Union nationale des magistrats de première instance, "Le manque de moyens et le découragement des magistrats", Vers l’Avenir, 30 septembre 1996.
  • [78]
    Ceux de la Justice ont notablement augmenté en valeur nominale, ces huit dernières années ; en valeur relative, la progression est moins flatteuse (voir Christine Matray, "Le budget de la Justice : une peau de chagrin", Journal des procès, n°310, 20 septembre 1996).
  • [79]
    Arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1991, Journal des tribunaux, 1992, p.499.
  • [80]
    En 1985 et 1992, des lois d’organisation et de procédure ont été modifiées à des fins de résorption de l’arriéré judiciaire et dans le sens d’une diminution des cas dans lesquels les affaires doivent obligatoirement être jugées par trois magistrats ayant entre eux un débat (délibéré) secret sur la solution. Pratiquement, au sein des tribunaux de première instance, seuls restent obligatoirement et d’office soumis à des "chambres à trois juges" les appels de décisions des juges de paix et de police, ainsi que les affaires pénales de mœurs, de non-paiement de pensions alimentaires ou de non-représentation d’enfants. Certes, la personne convoquée devant le tribunal peut-elle, dans certaines conditions, demander une "chambre collégiale", mais cette possibilité est rarement utilisée en raison de la crainte d’un traitement plus lent du dossier. Si la collégialité - obligatoire à la Cour de cassation (5 magistrats), dans les cours et tribunaux du travail ainsi que dans les tribunaux de commerce (avec des juges-assesseurs issus des milieux professionnels concernes) - reste encore de réglé dans les cours d’appel, elle tend néanmoins à s’y atténuer. La "culture du débat sur le débat", de la réflexion commune et de l’échange de vues, susceptibles de conforter la légitimité de l’institution, s’estompe en conséquence (voir A. Kebers, "De quelques paradoxes et perpectives", "Le juge unique", Bulletin de l’UIM, décembre 1985).
  • [81]
    Le juge qui est nommé, photographié, interviewé,… dans le cadre d’un dossier précis, est vite transfigure en un héros ou en un anti-héros selon les circonstances. Sur sa personne, et surtout sur son image, bien plus que sur son travail ou sur son exacte fonction, se focalisent toutes les attentes ou tous les griefs vis-à-vis de l’institution judiciaire, ainsi réduite à une figure emblématique, occultant les différences de responsabilité selon qu’il s’agit d’un juge ou d’un procureur, gommant ou gonflant l’exacte distinction entre Justice et polices, entre pouvoir judiciaire et polique. Et accentuant l’individualisme mis en spectacle au détriment de la symbolique fondamentale de la "triangulation" dans le procès : le juge, pour pouvoir "arbitrer", doit incarner (et n’incarner que) l’extériorité institutionnelle du pouvoir qu’il sert par rapport aux personnes, aux intérêts, aux droits ou aux enjeux en cause dans le conflit qu’il s’agit, par son intervention, de résoudre en dépassant les logiques purement individualistes des protagonistes. La Justice n’est pas délocalisable dans les médias (voir "Justice et Médias. Les mirages de la justice virtuelle", Juger, n°8-9-10,1995).
  • [82]
    Il pourrait ainsi être fait partiellement suite à la demande de procédures de "contrôle externe", sans qu’il soit porté atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à l’indépendance des juges.
  • [83]
    A l’instar de l’Institut des hautes études sur la Justice, qui a été récemment créé en France.
  • [84]
    Instauration de la fonction de porte-parole du pouvoir judiciaire (conciliable avec la création d’une fonction semblable au sein même des différentes juridictions).
  • [85]
    Sur le modèle du médiateur.
  • [86]
    Plusieurs responsables politiques ont insisté sur sa composition "pluraliste", seule susceptible d’éviter le corporatisme. Ce conseil pourrait également être amené à jouer un rôle à tout le moins consultatif, voire même délibératif, dans les nominations et promotions des magistrats, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il faut créer une "école de la magistrature" (comme en France depuis 1958) ou s’il suffit d’étendre et de renforcer le système de sélection préalable par concours ou examen, mis en place en 1991.
  • [87]
    Rapports de la Commission pour le droit de la procédure pénale, Ed. Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège et Ed. Maklu, 1994 et 1995.
  • [88]
    Cette réforme est revendiquée depuis de nombreuses années ; elle fut notamment proposée par le professeur Robert Legros, nommé Commissaire royal à la réforme du code pénal, et dont le rapport datant de 1985 (Avant-projet de code pénal, Ed. du Moniteur belge) fut pratiquement "classé sans suite” par le ministre de la Justice Jean Gol (voir également les Actes des Assises de la politique pénitentaire, tenues à Namur le 6 novembre 1982 par diverses associations de juristes).
  • [89]
    Juge à part entière, puisqu’appartenant au tribunal de première instance, mais ayant aussi la qualité d’officier de police judiciaire, par quoi il est soumis au contrôle du parquet ; ce qui a fait dire qu’il était un "magistrat accroupi" (Guy Coméliau, "Vouloir être juge d’instruction", La Libre Belgique, 12-13 octobre 1996 ; voir aussi "Les désarrois du juge d’instruction", sous la direction de Christian Panier, Revue de droit pénal et de criminologie, 1990, pp.809 à 932).
  • [90]
    "Il faut moins de lois, mais les garantir par plus de sanctions, quitte à réduire des deux tiers les délits et à refaire un code pénal mieux formulé", en vue de "rendre à la norme sa visibilité" et à l’interdit, sa "lisibilité" (Antoine Garapon, Esprit, n°216, novembre 1995, p.169).

Introduction

1Face aux événements plus ou moins médiatisés et aux péripéties graves ou anecdotiques qui ne cessent d’émailler la vie judiciaire de ces dernières années et compte tenu des insuffisances d’une lecture purement événementielle, il convient de se garder de confondre les symptômes avec les causes du malaise.

2Si l’on peut s’autoriser une métaphore empruntée à la géophysique, il est souhaitable qu’au-delà de l’émoi que suscitent légitimement les conséquences souvent dramatiques d’une secousse tellurique, et des interventions urgentes et de première nécessité qu’elle justifie, les observateurs et les responsables puissent reprendre et intensifier la recherche et la compréhension des mouvements profonds du globe, l’étude et l’analyse de la tectonique des plaques et des lignes sismales, des transformations plus ou moins lentes de l’écorce sous l’influence et la pression du magma. Seule cette démarche d’observation rigoureuse et approfondie, appliquée à la problématique judiciaire, permettra de mesurer l’exacte ampleur des phénomènes en cours et de mettre en œuvre les meilleures mesures, tant préventives que réparatrices, tout en améliorant les prévisions à plus ou moins long terme et en construisant mieux et plus solidement pour l’avenir. L’on se propose ici d’esquisser une réflexion de ce type.

3Le fil conducteur de cette réflexion s’articule autour des interrogations suivantes : la juridisation et la judiciarisation croissantes de la vie publique et privée prennent-elles le pas sur les modes d’exercice "traditionnels" du politique (compris dans le sens de l’organisation de la société) ? Transforment-elles radicalement les domaines d’intervention des pouvoirs, en affaiblissant le pôle politique (compris dans un sens restreint) ? Reflètent-elles un transfert de légitimité du politique vers le judiciaire ?

4Pourrons-nous conclure, avec Antoine Garapon, que la montée en puissance de la justice "cache deux phénomènes en apparence très différents, voire contradictoires, dont les effets se conjugent et se renforcent : l’affaiblissement de l’État sous la pression du marché d’une part, l’effondrement symbolique de l’homme et de la société démocratique d’autre part" [1] ? Ou l’actuelle référence à une crise de confiance à l’égard du politique affecte-t-elle aussi désormais le pôle judiciaire ?

5Ces dernières semaines, avec l’expression publique des rapports de force qui se jouent en son sein, le pôle judiciaire est nettement apparu comme un pouvoir qui, à l’instar des autres, reste fragile, eu égard notamment aux relations complexes qui se nouent entre lui et les autres instances qui participent, en amont ou en aval, à l’exercice de la fonction de juger, et ce en particulier dans les cas d’enquêtes judiciaires récentes et très médiatisées.

6Se proposant d’offrir une grille de lecture de cette complexité, le présent Courrier hebdomadaire est structuré en trois grandes parties. Dans la première, l’évolution des domaines d’intervention des pouvoirs est abordée en explicitant les mouvements de grande amplitude qui les affectent et les prééminences qui s’y exercent. La deuxième partie décrit l’actuelle "crise de confiance" en isolant certains de ses traits principaux et en s’appuyant pour ce faire sur les événements qui ont marqué l’actualité de ces dernières semaines. La troisième partie est consacrée au destin du pôle judiciaire, dont on précise d’abord les limites et les caractéristiques, pour esquisser ensuite les principales évolutions internes, avant de faire référence aux débats actuels et aux différents projets ou revendications de réformes qui l’animent.

Champs d’intervention et mouvements de redistribution des pouvoirs

7Ces derniers temps, sont simultanément mis en cause la capacité du pouvoir politique de prendre des décisions, le bien-fondé de ses actions, mais aussi les compétences des juges, l’inadéquation des procédures face à l’importance des enjeux et à la nécessaire rapidité de réaction exigée par la survenance de situations dramatiques, l’inadaptation de méthodes d’expertise, les relations entre la gendarmerie et la police judiciaire, entre la justice et les polices,… Nous traversons une période où les demandes portent sur un surcroît de sécurité et de surveillance et sur une transparence des procédures et des décisions, parce que l’environnement dans lequel nous évoluons est ressenti comme dangereux. La cristallisation du sentiment du malaise social se porte dès lors inévitablement sur le fonctionnement des institutions [2].

8Plusieurs facteurs interfèrent dans la saisie des mécanismes de formalisation des décisions et des modalités de leur application : la complexité croissante des situations vécues par les individus et les institutions, la tendance accrue à une institutionnalisation des différences, les revendications d’individualisation plus prononcée, l’interdépendance et la perméabilité des matières traitées par les institutions de même que celles de leurs niveaux de décision, l’étendue des domaines n’ayant pas (encore) franchi le seuil de politisation mais qui constituent toutefois des aspects essentiels de la vie en société, et, en même temps, l’extension de la gestion publique et des demandes d’intervention publique dans des domaines de plus en plus vastes [3].

9Nous vivons dans une société plurielle. La pluralité de notre société est aujourd’hui très visible (la télévision et l’internationalisation des communications amplifient cette "visibilité") ; elle est aussi active (elle s’exprime et s’organise) et participe de ce fait à la construction de l’espace public. Des formes d’organisation sociale universalisantes qui transcenderaient la diversité des personnes, des intérêts, des croyances, des opinions et des situations, n’existent pas. La gestion de cette diversité, qui est de la responsabilité du politique et de ses institutions, se réalise par une succession de choix. Cette liberté ou cette capacité reconnue de choisir est au fondement du et de la politique, telle que nous les concevons dans un régime démocratique. Mais l’hétérogénéité inhérente à la pluralité porte en elle - et là réside un des enjeux permanents de la pérennité du régime démocratique - le risque d’être niée par une partie de ses composantes et dès lors de tendre vers des systèmes d’organisation politique, économique et sociale forts, hiérarchisés et absolus.

10C’est la reconnaissance de la pluralité qui permet le débat et génère des formes institutionnelles de représentation. Et pourtant, chacun de nous se définit plus aisément ou se situe plus spontanément dans un système binaire qui met en opposition tel ou tel aspect de notre réalité quotidienne d’une part et les préoccupations des tiers d’autre part.

11Les argumentations et les revendications entendues ces dernières semaines s’inscrivent dans l’une ou l’autre de ces deux logiques. Les comportements et les discours ambivalents sont légion : ainsi, des rejets du politique sont exprimés en même temps qu’une demande expresse d’intervention est adressée à ceux qui en font le métier. La séparation des pouvoirs, comme élément fondamental de la démocratie, est invoquée à la fois pour se protéger des intrusions du pouvoir politique (au sens étroit) et pour enjoindre ce dernier à intervenir.

Une articulation organisée des pouvoirs

12Historiquement, choix a été fait de n’opter ni pour une stricte séparation ni au contraire pour une confusion des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais bien d’organiser leur articulation, c’est-à-dire l’agencement de collaborations, de contrepoids et de contrôles mutuels.

13La séparation des pouvoirs se manifeste par des régimes d’incompatibilité de fonctions (par exemple, l’article 155 de la Constitution précise qu’"aucun juge ne peut accepter d’un gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi"), des régimes d’immunités (par exemple, la nomination à vie des juges ou les immunités parlementaires [4]), par l’exercice de la fonction juridictionnelle réservée à certains organes, nécessairement créés par la loi, etc.

14L’articulation des pouvoirs s’observe dans beaucoup de dispositions constitutionnelles. Le pouvoir législatif [5] s’exerce collectivement par le roi (c’est-à-dire le gouvernement) et la Chambre des représentants et le Sénat. Le pouvoir exécutif relève de la compétence du gouvernement. La Chambre des représentants contrôle le gouvernement. Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux, les arrêts et jugements étant "exécutés au nom du roi" (article 40 de la Constitution). La Chambre et le Sénat sont compétents pour l’organisation des cours et tribunaux (en ce compris la fixation de leurs budgets et cadres) et ont le droit d’enquête (y compris à l’égard du pouvoir judiciaire). Les juges de paix, les juges des tribunaux, les conseillers des cours d’appel, les présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance, les conseillers de la Cour de cassation et les officiers du ministère public (procureurs) près des cours et tribunaux sont nommés directement ou sur présentation par le gouvernement. Toutefois, si ce dernier peut révoquer les officiers du ministère public (article 153 de la Constitution), les juges sont eux nommés à vie et ne peuvent être privés de leur place ou être suspendus de leurs fonctions que par une décision de la Cour de cassation ou de la Cour d’appel (article 152 de la Constitution et articles 409-410 du code judiciaire).

15La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires à une exception près : elle seule a le droit de juger des ministres et des membres des gouvernements de communauté et de région (article 147 de la Constitution), la Chambre des représentants ayant, quant à elle, le droit d’accuser les ministres et de les traduire devant la Cour de cassation (article 103 de la Constitution) [6].

La prééminence du pouvoir exécutif

16Des facteurs de domination ont exercé leurs effets sur l’ensemble du système politique. Ainsi, ces dernières années, le rôle prééminent du pouvoir exécutif s’est trouvé confirmé. Différentes pratiques en attestent dont la plus souvent invoquée est la faible quantité de lois d’origine parlementaire [7].

17Le pouvoir exécutif a renforcé sa maîtrise sur l’organisation du travail politique et l’a imposée aux assemblées parlementaires. Les gouvernements et le personnel politique ont une compétence "technique" de gestion, que les parlementaires - dans les assemblées qui sont des lieux de débats d’idées et de conflits d’intérêts - n’ont guère les moyens d’acquérir aussi largement. Cette compétence de gestion prend d’autant plus le pas sur d’autres logiques que l’on atteint un degré très élevé de formalisation, lors de la constitution des gouvernements. Par ailleurs, la pratique des pouvoirs spéciaux ou des lois programme fonctionne comme un mécanisme de consolidation de la cohésion des majorités gouvernementales, tout en réduisant le rôle du Parlement. Cette prééminence se marque aussi dans la position renforcée et dans la capacité d’arbitrage du gouvernement dans les matières qui relèvent de la concertation sociale et ce, pour une série de raisons qui tiennent au rôle et à l’étendue de l’intervention de l’Etat, aux problèmes d’emploi et de finances publiques, à l’intégration européenne et aux relations difficiles avec et entre les interlocuteurs sociaux.

18L’extension des interventions publiques et l’accentuation de la complexité du champ de la décision politique sont allés de pair avec une spécialisation et une professionnalisation accrues de certaines fonctions politiques [8], ce qui a par ailleurs engendré des problèmes en matière de financement des activités et des formations politiques.

19La capacité d’influence des partis associés dans les coalitions gouvernementales, telle qu’elle transparaît dans ces évolutions, s’observe aussi dans la répartition des postes ministériels, des responsabilités dans la fonction publique au sens large, en ce compris pour les fonctions qui relèvent des pouvoirs législatif, judiciaire et juridictionnel. Une liaison est ainsi établie entre professionnalisation de la politique et politisation de la fonction publique au sens large. Les partis politiques sont au centre des critiques à cet égard. Il faut toutefois distinguer, d’une part les situations de partage partisan de l’exercice du pouvoir que des règles ou des pratiques ont fait évoluer vers des formes de "pluralisme représenté" (qui assurent une certaine continuité et une certaine cohérence dans la mise en œuvre de la décision politique) et, d’autre part les situations de clientélisme [9]. Il faut aussi rappeler que certaines pondérations entre partis échappent aux décisions conjoncturelles que sont les accords gouvernementaux ; elles sont inscrites dans des textes de loi, tel le pacte culturel [10].

20La fonction ministérielle est exercée collégialement au sein du Conseil des ministres. Toutefois, le rôle arbitral du Premier ministre et la pratique confirmée de la place particulière des vice-Premiers ministres [11] indiquent l’existence d’évolutions internes au pouvoir exécutif, lieu où s’exercent aussi des rapports de forces. Ceux-ci prennent parfois des formes inattendues, comme celles qui peuvent découler de connaissances linguistiques plus ou moins bien maîtrisées. L’affirmation du rôle prééminent du Premier ministre est un trait caractéristique des quinze dernières années. La focalisation autour des personnalités de W. Martens et de J.-L. Dehaene donne un accent quasi présidentiel à leur fonction. Ce rôle a été renforcé par celui que le chef du gouvernement joue dans les conseils européens et, de façon plus générale, dans les sommets de chefs d’Etat et de gouvernement.

Justice et droit : un poids nouveau

21Parallèlement, le domaine d’intervention du pouvoir judiciaire et, plus largement, du pouvoir juridictionnel [12] s’est étendu. Le renforcement de la place du droit et des juristes participe d’une même logique.

22L’Etat est source de droit. L’espace politique démocratique est un espace où règne le droit, "langage du pouvoir" [13]. Les grandes transformations sociales nées d’accords entre acteurs - comme la sécurité sociale - ont été mises en œuvre par décision politique de les transcrire en textes législatifs et réglementaires.

23La complexité et la technicité des matières, tout comme la multiplication des décisions faisant l’objet de textes de droit, ont souvent déplacé l’accent vers la seule mise en forme juridique des décisions politiques. La prise en compte prioritaire de cette dimension "technique" dans l’explication et l’interprétation des décisions occulte les rapports de force politiques dont elles sont issues et leur substitue l’idée que, face à la complexité de la société et aux "désordres" politiques, le droit serait un ensemble cohérent et complet, alors que son mode de production n’est pas univoque et que, par conséquent le "produit" est de qualité variable. L’autonomisation de la norme juridique à l’égard des conditions et contraintes politiques qui l’ont motivée et structurée place l’Etat dans une situation paradoxale qui affecte la notion de pouvoir politique dans sa relation aux destinataires - fussent-ils potentiels - et aux utilisateurs de la norme. N’assiste-t-on pas à des formes de "juridisation" des rapports de forces politiques (on définit moins le contenu de l’accord que les formes et les méthodes pour y parvenir) ? On parle aussi de "procéduralisation" des relations de la vie publique.

24Au judiciaire, demande sera dès lors, de plus en plus souvent, adressée de trancher entre des interprétations divergentes ou contrastées d’instruments juridiques hétéroclites et même de combler leurs lacunes ou de pallier les incertitudes qu’ils laissent subsister [14]. Les juridictions sont aussi de plus en plus souvent appelées à intervenir dans des conflits qui ne relèvent pas au premier chef de l’intervention classique du droit : ainsi notamment sera-t-il fait appel à des principes individualistes du droit civil pour tenter de résoudre des conflits qui relèvent des relations collectives du travail.

25Par ailleurs, les instances juridictionnelles, plus nombreuses qu’auparavant, sont sans cesse davantage sollicitées et la nature des problèmes qui leur sont soumis se diversifie. "Le déclin des anciennes régulations - la religion, la loi morale, l’idéologie - n’incline-t-il pas à davantage de Droits et de droits, et à davantage de Justice pour les faire respecter ?" les citoyens "mieux informés de leurs droits, plus exigeants, plus revendiquants, ne vont-ils pas attendre de la Justice plus de services et un meilleur service ?" [15].

26Dans la foulée, le pouvoir judiciaire s’est en outre investi de la charge de mettre en œuvre les valeurs démocratiques liées au développement des "principes généraux du droit" que dégage la jurisprudence au départ d’un corpus normatif de plus en plus abondant et touffu [16], ainsi qu’aux règles hiérarchiquement supérieures, issues des engagements internationaux de la Belgique dans le cadre des droits de l’homme (Convention européenne de sauvegarde et Cour de Strasbourg) ou dans le projet de construction européenne (traités européens et Cour de Justice de Luxembourg).

27La propulsion de quelques juges à l’avant-plan de l’actualité, en Belgique comme dans d’autres pays européens, relance le débat sur la place de la Justice, entre les dérives possibles d’un "justicialisme" avivé par les médias et la remise au juge du soin de dénoncer l’injustice, entre le contrôle qu’exercent les juges sur le politique et sur la société et le contrôle des autres pouvoirs sur l’exercice de la fonction judiciaire.

Le législatif en retrait ?

28Face à cette double évolution - prééminence de l’exécutif et extension des domaines d’intervention du pouvoir judiciaire et juridictionnel -, les assemblées sont quelque peu en retrait. Elles constituent des lieux de débats qui, le plus souvent, restent clivés, majorité contre opposition. L’action des représentants des partis associés au gouvernement est souvent limitée par les contraintes de la coalition gouvernementale et les mécanismes des pouvoirs spéciaux, les pratiques des lois programme, des lois "mammouth", des lois "fourre-tout" ou les "consignes" de vote. L’action des partis de l’opposition, très éclatée, cherche pour sa part à exploiter toutes les ressources d’expression que fournit l’ensemble du travail parlementaire, le plus souvent sans aboutir, sinon en termes de retentissement médiatique. Un malaise s’exprime ainsi dans les assemblées également. Les réformes récemment engagées à ce propos portent principalement sur des mesures internes et externes de valorisation du travail des assemblées [17] et sur l’utilisation accrue de leur pouvoir d’enquête.

29Ces quinze dernières années, on observe en effet un recours plus fréquent que dans le passé à la procédure de l’enquête parlementaire. Les problèmes abordés dans les commissions mises en place ont trait le plus souvent à des enjeux financiers importants, ou à divers aspects du fonctionnement de la Justice et de la police [18]. Des difficultés dans les relations entre pouvoir législatif et pouvoir judiciaire se sont fait jour lorsqu’il s’est agi, pour certaines commissions, de procéder à l’audition de magistrats chargés de l’instruction de dossiers en cours, ces magistrats se trouvant tenus par des obligations qu’il leur était difficile de concilier : satisfaire aux demandes de la commission et respecter le secret qui s’attache à leur mission. C’est dans l’optique de pallier ces problèmes qu’une modification à la loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires a été introduite par une loi du 30 juin 1996. Les finalités des enquêtes parlementaires sont définies comme suit :

  • fournir au Parlement l’information nécessaire, en fonction aussi bien de sa mission législative que de sa mission de contrôle, pour autant que les moyens parlementaires ordinaires ne s’avèrent pas suffisants ;
  • permettre au Parlement de déterminer des responsabilités politiques ;
  • consécutivement, communiquer au Parquet certains faits qui peuvent être qualifiés d’infractions.

30La référence aux pouvoirs du juge d’instruction ou à une instruction judiciaire a été supprimée pour éviter la confusion des rôles. Le principe selon lequel le Parlement a le droit de prendre connaissance des dossiers d’une instruction judiciaire en cours est réaffirmé, moyennant des garanties pour ne pas entraver le cours normal de l’instruction judiciaire et ne pas nuire à la situation des parties en présence [19]. Une formule d’arbitrage a été élaborée. Enfin, référence est faite à l’article 458 du code pénal sur le secret professionnel, qui doit couvrir les informations recueillies à huis clos, les réunions des commissions d’enquête étant publiques.

31Certaines enquêtes ont eu des suites en termes de décision : ce fut le cas en ce qui concerne le statut de la gendarmerie et des services de renseignements, ainsi que la création des comités de contrôle des services de police (comité P) d’une part, des services de renseignements (comité R) d’autre part. Ces deux comités présentent la particularité de relever du seul pouvoir législatif à l’instar de la Cour des comptes, organe collatéral du Parlement. Par contre, la réforme de la procédure pénale (code d’instruction criminelle) et l’élaboration d’une réelle politique criminelle - nécessités mises elles aussi en évidence par les commissions d’enquêtes parlementaires des années 1980 - ne se sont toujours pas concrétisées à ce jour.

32En 1996, cinq commissions d’enquête ont été instituées. Une commission d’enquête sur les pratiques illégales et les dangers des sectes a été organisée en mars 1996 à la Chambre ; elle a été suivie en juin 1996 de l’installation d’une commission "chargée de l’examen des adaptations nécessaires en matière d’organisation et de fonctionnement de l’appareil policier et judiciaire, en fonction des difficultés surgies lors de l’enquête sur « les tueurs du Brabant »" Une commission d’enquête sur le "crime organisé" est installée au Sénat le 2 octobre 1996, tandis que la décision de l’organisation à la Chambre d’une commission d’enquête chargée d’examiner "la manière dont l’enquête dans ses volets policiers et judiciaires a été menée dans « L’affaire Dutroux-Nihoul et consorts »" a été prise le 17 octobre 1996. La cinquième commission, chargée d’examiner "les adaptations nécessaires en matière d’organisation et de fonctionnement de l’appareil policier et judiciaire, en fonction des problèmes et des plaintes relatifs à la manière dont a été menée l’enquête sur l’assassinat d’André Cools et les dossiers qui y sont liés", créée le 23 octobre 1996, attendra, pour commencer ses travaux, l’achèvement de ceux de la commission d’enquête sur "les tueurs du Brabant" ou de celle sur l’affaire "Dutroux-Nihoul et consorts".

Dans l’ombre du droit

33Enfin, une autre évolution est à relever : celle désignée par les termes de "quasi-législation" ou de "normes para légales", qui recouvrent des règles au caractère hybride, se situant entre l’"ordre juridique public" (la loi) et l’"ordre juridique privé" (le contrat) [20]. "Les caractéristiques des normes para légales sont qu’elles naissent de l’initiative ou avec l’appui des pouvoirs publics et qu’elles sont appliquées et imposées par des acteurs semi-publics ou non-publics. C’est pourquoi on dit qu’elles opèrentdans l’ombre du droit. Les codes de conduite (codes of conduct) - contrats modèles,gentlemen’s agreementsentre producteurs et consommateurs appartiennent souvent à cette catégorie de normes" [21].

34L’introduction de normes para légales, relevant de la catégorie du "droit négocié", dans le paysage politique et juridique est liée à l’appel à la déréglementation. La production de telles normes est particulièrement observée dans les matières internationales et européennes. La portée juridique de celles-ci, et plus encore d’instruments comme les "positions communes" ou les "actions communes" européennes, demeure incertaine, tout en révélant la part de plus en plus relative que prend le législateur public dans l’élaboration du droit.

Une crise de confiance

35La mise à jour publique, dans des circonstances dramatiques, de l’action de cercles pédophiles en Belgique, ainsi que les rebondissements de l’enquête sur l’assassinat du ministre d’Etat, André Cools, ont provoqué une recrudescence de l’expression d’un malaise au sein de la population. De graves lacunes et d’importants dysfonctionnements institutionnels sont mis à jour. Des interrogations et des revendications se sont multipliées à l’égard du monde politique et des institutions publiques en général. Se posent les questions de la prise en compte et de l’articulation de l’ensemble des aspects d’une problématique, telle celle qui découle d’actes de pédophilie ou du financement de l’activité politique. Des émotions, des sentiments d’impuissance ou de révolte se manifestent. Des accusations sont formulées. Se propagent rumeurs et esprit de délation.

36Nous sommes confrontés à une situation qui présente tous les traits d’une crise, appelée à entraîner des réorientations politiques, même si elle ne devrait pas déboucher sur une crise politique ouverte.

37Dans l’élucidation de quelques traits dominants de cette crise, des choix ont inévitablement dû être opérés, des processus ont dû être isolés les uns des autres, pour pouvoir en décrire plus clairement les moteurs. Ils se réfèrent à plusieurs enquêtes récentes. Leur présentation suit une progression chronologique.

L’émotion collective

38Si l’assassinat du ministre d’Etat, ancien président du parti socialiste, André Cools, a impressionné l’opinion (les meurtres d’hommes politiques sont très rares en Belgique), si "les tueries du Brabant wallon", ont quelque temps auparavant terrifié la population, ces événements n’ont toutefois pas entraîné de grandes réactions d’émotion collective.

39La découverte des corps de Julie Lejeune, Mélissa Russo, An Marchal et Eefje Lambrecks, au lendemain de la découverte et de la libération de Sabine Dardenne et Laetitia Delhez retrouvées vivantes après leur enlèvement, a suscité, au cours de l’été 1996, des manifestations spontanées de chagrin et de soutien aux parents. Ce qui était un fait divers dramatique et odieux prenait ainsi la forme d’un désespoir partagé et d’une identification collective aux victimes.

40Les raisons individuelles de participation à des manifestations, mêmes spontanées, ne sont pas univoques. Les lieux de ces rassemblements (maisons des parents des victimes, églises lors des funérailles, mais aussi lieux de la détention des fillettes) traduisent des sensibilités complexes : une compassion, une attraction pour le malheur, une curiosité malsaine qui peut découler de sentiments diffus de culpabilité, de crainte, voire de fascination. "Les crimes d’enfants deviennent des événements nationaux pour une opinion publique fascinée par la mort et la transgression. Leur exaspération par les médias finirait par faire croire au citoyen non averti que ce genre de crimes est fréquent, ce qui n’est pas le cas. L’opinion publique se captive également pour les crimes commis par les enfants (…). Comment expliquer ce phénomène (…) ? Notre société interroge désormais son destin collectif à partir d’histoires singulières. Le fait divers n’est plus cet événement qui transcende le politique par sa quotidienneté, mais, au contraire, l’expression d’une nouvelle demande politique" [22].

41Un consensus se réalise autour de la souffrance des enfants et de leurs parents sans qu’il soit possible de préjuger son caractère passager ou durable. Cette image du malheur sature l’usage de la raison face à la criminalité organisée et aux "magouilles", face aussi aux dysfonctionnements d’institutions publiques. Cette "juridiction des émotions" submerge presqu’inévitablement toute logique de citoyenneté. Elle laisse place à un nouveau mode de contrôle social, principalement dévolu aux individus atomisés [23]. Elle se structure sur l’action d’associations dont les ressorts sont comparables à ceux qui sous-tendent les réactions individuelles, tant en termes de défiance (ou de présomption de culpabilité) à l’égard des institutions, qu’en termes de substitution de la victimisation à la citoyenneté [24].

42La confiance des proches et celle de l’"opinion" sont réservées à quelques personnes tandis que toute procédure qui ne correspondrait pas à leur attente est comprise comme dilatoire et non plus comme faisant partie intégrante des garde-fous du régime démocratique. L’identification de suspects a un effet d’embolie sur les procédures habituelles de la Justice. Il devient, pour l’opinion publique, presque inconvenant de critiquer des magistrats qui symbolisent l’intégrité face à un dysfonctionnement jugé général du système. Ce mythe des "chevaliers blancs" jouait, dans les dossiers liés au financement des partis, surtout à l’encontre du monde politique, même si, à l’époque déjà, des questions pouvaient, avec raison, être formulées à l’endroit du monde judiciaire. Aujourd’hui, ce mythe fonctionne au moins autant à l’égard de ce dernier. Le caractère jugé "désincarné" du droit et des personnes qui font le métier de juger est mal accepté. Dans le processus d’humanisation des rapports du citoyen à la Justice - qui est à nouveau en question -, ce sont aujourd’hui les aspects liés à l’information et à l’accompagnement des victimes et de leurs familles qui priment, par rapport aux recherches de mécanismes de réinsertion sociale des délinquants et des condamnés.

43Tant qu’une approche événementielle et émotionnelle n’est pas sollicitée par des personnes ou des groupes qui en font une dimension centrale de leur action ou de leur discours politique, les ressorts de la démocratie peuvent être actionnés. La perception de type émotionnel force alors une prise de conscience collective d’un problème de société jusque-là peu "reconnu" - y compris par cette même "opinion publique" qui s’exprime aujourd’hui - et elle stigmatise les hésitations, les erreurs ou les fautes dans l’exercice des fonctions publiques. Médiatisée, elle acquiert une autre dimension.

L’intervention médiatique

44Nous avons pratiquement tout vu, tout entendu, tout lu sur le drame des enfants assassinées. Les médias ont traqué les visages et les lieux ; ils ont investi les histoires personnelles, nous ont montré dix fois, cent fois les mêmes images.

45Leurs commentaires mettent en scène "l’opinion publique" [25] et épinglent des événements tout en se référant abondamment à une "attente des citoyens", qui, selon les circonstances, recouvre des conceptions différentes de ce qui est juste et appelle des attitudes contrastées des pouvoirs publics au sens large. Ils usent de mots percutants ou d’expressions délibérément fortes (par exemple : la guerre des polices, des juges ou des ministres, le deuil de tout un peuple,…) ; ils ont recours au vocabulaire inquisitoire ("nous avons mené l’enquête", le suspect a été "mis sous pression",…). Ils s’instituent enquêteurs, juges d’instruction ou procureurs. Ils doublent ainsi le fonctionnement normal des institutions et des procédures [26], voire même cherchent à montrer leur supériorité à leur égard. Ils apprécient leur travail et provoquent dans un même élan interrogations fondées et suspicions plus proches du sensationnalisme que de l’information. On peut comprendre que face à un tel déferlement d’annonces et de contre-annonces, il y ait quelque difficulté à se forger une opinion.

46Les médias ont par ailleurs octroyé une fonction tribunitienne à certaines personnes (suivant les moments et les affaires, au procureur du roi Michel Bourlet ou à la juge d’instruction Véronique Ancia, aux parents des victimes et des disparus, à la consultante Marie-France Botte, à Claude Lelièvre, délégué général aux droits de l’enfant de la Communauté française de Belgique, …), dénotant un intérêt partagé pour la publicité. En outre, certains juges n’auraient sans doute pas exercé un tel pouvoir sans les médias qui ont relayé leurs actions et déclarations, soit en raison de leurs qualités intrinsèques, soit en raison des personnes qu’ils ont mises ou mettent en examen. Et dans le chef de certaines personnalités publiques ou privées, une volonté de déplacement des responsabilités a aussi motivé des interventions, notamment auprès des médias.

47La personnalisation [27] des acteurs entretient l’illusion de l’accès direct à la vérité. Les médias adoptent le plus souvent le point de vue d’une des parties, quitte à ce que ce ne soit pas toujours la même au fil du temps (ceci s’observe particulièrement dans l’affaire "Cools"), sans jamais faire apparaître clairement ces prédilections variables, puisqu’ils affirment s’exprimer au nom de la liberté d’informer.

48Dans les cas les plus récents comme dans d’autres auparavant, en portant leur attention prioritaire aux phénomènes conjoncturels dont les facteurs déclenchants et les dénouements se réalisent dans des normes temporelles qui correspondent aux rythmes de leurs éditions, les médias donnent de la société une image et une compréhension événementielles. En valorisant l’immédiateté contre la médiation, en personnalisant, en critiquant ou dénonçant les "élites de fait" - tout en les utilisant en même temps comme "vedettes" - pour affirmer une confiance de et dans "l’ensemble des citoyens ordinaires", tout en se légitimant par une exigence réitérée de plus de démocratie (en mettant spectaculairement l’Etat en demeure d’agir), les médias - et surtout la télévision - jouent un rôle majeur dans le processus d’individualisation de la société et de généralisation de valeurs qui écartent du politique [28]. Certains n’hésitent pas à parler d’un "télépopulisme" [29], exacerbant la sensibilité individuelle à l’événement personnel ou privé, au détriment du sens collectif de la chose et de la vie publiques.

L’éloignement du politique

49Quand l’activisme des juges, des médias et des associations se conjugue avec une recrudescence des rumeurs - voire une stratégie ? -, seule une dévalorisation du politique peut en résulter.

50Le discours sur l’éloignement du politique, la croyance en l’illégitimité du pouvoir politique et en l’inefficacité de la politique dans sa fonction d’organisation sociale sont certes des phénomènes récurrents. Des interrogations, entendues depuis longtemps, portent en même temps sur la finalité assignée à l’action politique, sur le mode de désignation de ceux qui sont chargés de la conduire ou de l’exécuter et sur la capacité à représenter et à décider adéquatement. Même si ce ne sont pas les seuls rouages qui connaissent des frictions et qui portent une responsabilité sociale, même si le "grippage" de ces rouages a aussi des causes indépendantes de l’action des groupes politiques, ce sont les partis et les mandataires publics qui cristallisent les malaises et canalisent les aspirations non rencontrées du corps social et son sentiment d’impuissance. Les problèmes quotidiens qu’ils sont amenés à résoudre n’apparaissent plus dans leur dimension politique.

51Parmi les causes de cet éloignement, la perception d’une extériorité de la politique - à laquelle participent par exemple les langages et jargons utilisés dans les professions politiques mais aussi par les juges, les avocats et beaucoup d’autres - par rapport à l’ensemble du corps social ne joue sans doute pas davantage que les mécanismes d’exclusion, ou l’individualisme largement revendiqué depuis le début des années 1980. Ce dernier prône schématiquement une diminution de l’intervention étatique pour promouvoir la concurrence et la rentabilité et valoriser des schémas de pensée individuelle basée sur la réussite et la consommation et aboutit à une homogénéisation des discours accordant le primat aux "valeurs économiques".

52Parler de "décalage" entre les citoyens et le monde politique [30] est certainement une manière d’exprimer des malaises. La situation dans laquelle se trouvent des personnes ou des groupes est perçue comme insécurisante et l’avenir comme incertain. Ce double sentiment d’insécurité et d’incertitude est ressenti particulièrement en période de crise, lorsque des processus de précarité et d’exclusion liés aux transformations socio-techniques et à la fragilisation des liens sociaux, sont largement engagés. Et, paradoxe apparent, en même temps que s’énonce cette mise en cause, s’articulent des revendications de sauvegarde de situations passées. Les résistances aux changements sont aussi tenaces que les déclarations d’illégitimité du politique. Produite par elle, cette tension tend à occulter la complexité de la vie politique et centre l’attention sur deux groupes d’acteurs dont, implicitement, on uniformise les conceptions et les comportements, tout en les opposant, et en "oubliant" d’autres forces dont les actions sont au moins aussi déterminantes, telle la puissance de l’argent. En "oubliant" aussi que le monde politique est en quelque sorte le produit de la société "civile".

53Le diagnostic du hiatus à combler entre le citoyen et le politique a trouvé des échos dans beaucoup de milieux. De nouvelles pratiques de débat et de nouvelles implications des acteurs sont au centre des revendications en faveur d’une "démocratie participative" que certains opposent à la démocratie "représentative", ou en faveur d’une procéduralisation des rapports sociaux. L’objet des demandes et des attentes à cet égard est cependant différent selon les groupes et les enjeux, tandis qu’est maintenu l’écart entre motivations individuelles et normes collectives, entre désir de changement ou d’ouverture et volonté de conserver des situations connues et de sauvegarder des acquis. L’élargissement des bases de la participation est un mouvement long et lent qui traverse l’histoire de Belgique et est suivi par l’institutionnalisation d’acteurs nouveaux, tout en continuant à laisser des personnes en marge du système institutionnel.

54Aujourd’hui, la distance entre une population qui s’accorderait sur des conceptions de bon sens, et des pouvoirs institutionnalisés qui s’en écarteraient, volontairement ou non, est à nouveau ressentie avec acuité comme un facteur de fragilisation de notre régime démocratique.

Des ambiguïtés et des amalgames

55Les attitudes publiquement exprimées et relayées par les médias ne sont pas toujours exemptes d’ambiguïté et de paradoxes.

56C’est souvent au moment où les institutions fonctionnent mieux - et dès lors que des erreurs ou des fautes peuvent être publiquement dénoncées et des solutions recherchées - que les accusations à leur endroit sont les plus vives. C’est dans un contexte de rénovation de l’activité des autorités publiques que se multiplient les accusations de corruption, d’inaptitude ou de légèreté. Les reproches adressés au politique de négliger les enjeux importants s’accompagnent parfois d’un appel à la mise en place d’un Etat plus fort, qui ne saurait précisément avoir les propriétés d’ouverture et de délibération revendiquées par ailleurs. Les commentaires autour des interventions estimées tardives du roi et du Premier ministre se réfèrent plus à un rôle symbolique qu’à celui d’acteurs politiques. L’opinion publique appelle à plus de transparence et au respect de la séparation des pouvoirs (voir les commentaires sur les nominations politiques des juges, notamment) mais elle confond procureur et juge (d’instruction), l’avocat et son client, et sollicite des modifications qui viendraient inévitablement alourdir des procédures qu’elle estime déjà trop pesantes, tout en demandant au juge de s’affranchir au besoin du respect de la loi.

57Les amalgames entre plusieurs enquêtes en cours sont difficilement évitables, mais les liens entre elles sont probablement fortuits. De même, n’y a-t-il sans doute pas de proximité autre que chronologique entre ces affaires judiciaires et des déclarations ayant trait à la structure fédérale ou confédérale de l’Etat, les négociations gouvernementales pour le budget 1997, et les discussions avec les interlocuteurs sociaux sur la modernisation de la sécurité sociale et l’application des lois-programme votées fin juillet 1996 sur l’emploi. Pourtant, des journaux, surtout étrangers, n’ont pas manqué d’additionner ces processus et d’en tirer des commentaires qui ont surpris par leur condescendance et leur caractère catégorique [31], tandis qu’en Belgique, reproche était fait au gouvernement de privilégier les logiques budgétaires et institutionnelles plutôt que de centrer l’attention sur les problèmes de société.

58Quant aux tentatives de "récupération" des affaires à des fins communautaires [32], elles n’ont cette fois guère été suivies d’effet, pas plus que les affirmations de certains relative à une aspiration unitaire qu’aurait manifestée la foule rassemblée aux obsèques des jeunes victimes.

Les réactions du politique

59Déjà lors de la déclaration gouvernementale lue à la Chambre et au Sénat le 9 mars 1992, le Premier ministre Jean-Luc Dehaene faisait écho au "mécontentement face au manque d’efficacité de notre système politique (…) (que) le niveau de vie élevé que nous connaissons en Europe et l’existence d’institutions élues et d’organes de concertation n’ont pas pu empêcher" [33].

60Des initiatives ont été prises depuis lors par des partis et des hommes politiques pour rencontrer les demandes de participation et de transparence du système de décision. Des processus internes de rénovation ont été engagés dans les principaux partis politiques. Des mécanismes de participation, comme la consultation populaire communale, ou de recours, comme l’instauration de services de médiation, ont été mis en place. Des changements sont intervenus en matière de financement des partis politiques, en matière de travail parlementaire, en matière d’accès aux documents administratifs, etc. [34]. Des réformes annoncées dans les derniers accords gouvernementaux, notamment en matière de sécurité, ont été engagées.

61Dans un climat de méfiance, toute tentative d’explication paraît a priori suspecte et toute déclaration de réforme douteuse ou, au mieux, trop tardive. Elles le sont particulièrement quand il s’agit de rénover l’action politique ou de moderniser la Justice, l’articulation de ces pouvoirs et leur pondération respective faisant souvent obstacle à une juste perception des contraintes, des limites et des difficultés d’y parvenir.

62Aucun homme politique, aucun parlementaire ne minimise l’ampleur des questions qui se posent aujourd’hui. Au centre de l’émotion, quelques hommes politiques se sont exprimés "à chaud", d’autres ont été plus discrets.

63Le Premier ministre a choisi la seconde attitude, car il voulait "éviter à tout prix de donner l’impression d’une récupération, alors que la politique devait observer une certaine retenue tout en sachant qu’elle devrait s’attaquer à un certain nombre de problèmes qui allaient avoir une beaucoup plus grande visibilité. (…) Nous avons eu un discours trop unidimensionnel, trop axé sur les finances publiques et traduit en trois pour-cent. C’était partiellement une nécessité parce qu’il n’y a pas beaucoup de citoyens que la dette empêche de dormir. Mais le budget sous-tend toutes sortes de problèmes et on ne s’en rend pas compte au niveau du citoyen. Et si on veut s’attaquer aux problèmes qui préoccupent le citoyen, il faut disposer d’une base solide. Je suis conscient qu’il a pu y avoir un malentendu. Mais c’est justement parce que le citoyen n’y voyait pas son problème qu’il fallait en parler davantage. A présent, il faut corriger le tir et vous verrez, dans les mois qui viennent, qu’il y aura un accent nouveau, sans tomber dans l’autre travers. (…) Il faut être attentif aux émotions. Mais il faut aussi les canaliser. Les mots ont leur importance mais ils n’ont encore jamais résolu un problème. (…) Il faut éviter deux écueils : la récupération politique partisane et la simplification des problèmes en termes de solution. Et il faut expliquer que ce n’est pas le pouvoir politique seul qui va donner une réponse et que cette réponse aura une certaine complexité’ [35].

64Quelques semaines plus tôt, il rappelait qu’un gouvernement ne peut seul faire changer des comportements sociaux délictueux et qu’il ne peut que donner des impulsions.

65Des communications gouvernementales ont été réservées à cette question, notamment le 30 août et le 19 septembre. Mais c’est le ministre de la Justice qui est à l’avant-plan des réactions et décisions gouvernementales qui ont suivi la découverte des corps de Julie Lejeune et Mélissa Russo et par la suite ceux d’An Marchal et d’Eefje Lambrecks, en communiquant périodiquement à la presse ou aux assemblées parlementaires l’état d’avancement des enquêtes, en demandant à des procureurs généraux de réaliser des enquêtes sur l’enquête, en déposant au Conseil des ministres des projets de réforme (la note déposée par Stefaan De Clerck au Conseil des ministres du 30 août 1996 a été suivie de la fixation par le Conseil des ministres d’un certain nombre de mesures et par des initiatives prises par d’autres ministres dans leurs domaines de compétence) et en prenant contact avec de nombreuses personnes concernées par le drame.

66L’ensemble des partis représentés au Parlement se sont exprimés lors de séances d’interpellation [36] à la commission de la Justice de la Chambre les 22 août et 10 septembre 1996, lors d’une réunion des commissions de la Justice de la Chambre et du Sénat le 25 septembre, et lors des séances plénières de la Chambre et du Sénat (une séance plénière a été convoquée anticipativement à la Chambre le 19 septembre 1996) pour entendre notamment une communication du Premier ministre et en discuter.

67Un accord sur la répartition des dossiers est conclu entre la Chambre et le Sénat : le contrôle politique de l’enquête sur l’enquête aura lieu à la Chambre ; l’essentiel du travail législatif concernant l’organisation judiciaire qui en résultera reviendra au Sénat.

68La commission d’enquête parlementaire chargée de l’examen des adaptations nécessaires en matière d’organisation et de fonctionnement de l’appareil policier et judiciaire, en fonction des difficultés surgies lors de l’enquête sur les "tueurs du Brabant", se concentrera sur ce dossier, tandis qu’une nouvelle commission d’enquête sur le "crime organisé" est installée au Sénat le 2 octobre 1996.

69Au cours de tous ces débats, dans de multiples déclarations, la question de la séparation des pouvoirs n’a pas manqué d’être abordée, notamment à propos de l’arrêt que la Cour de cassation devait prendre dans le cadre de la procédure en suspicion légitime intentée par les avocats de prévenus à l’encontre du juge d’instruction de Neufchâteau en charge des "affaires" de pédophilie. Jean-Luc Dehaene rappela lui aussi la séparation des pouvoirs : "c’est à la Cour de cassation de se prononcer sans interférence sur ce qui est probablement une maladresse " du juge d’instruction Jean-Marc Connerotte, mais il insiste en même temps sur le fait que la cour devrait faire preuve "d’une certaine créativité" [37].

70Devant l’ampleur des manifestations de soutien que le juge a reçues de la population [38], des autres hommes politiques ont manifesté leur souhait que la cour ne dessaisisse pas le juge d’instruction du dossier, pour ne pas laisser croire à une volonté politique d’"étouffement" ou de retardement de l’instruction [39].

L’action collective

71L’arrêt de la Cour de cassation a été rendu le 14 octobre 1996 ; il dessaisit le juge d’instruction Jean-Marc Connerote des dossiers "Dutroux-Nihoul et consorts" et de dossiers connexes tout en les confiant à un autre juge d’instruction du tribunal de première instance de Neufchâteau [40].

72Cet arrêt a suscité des réactions contrastées. Pour Christine Matray, présidente de l’Association syndicale des magistrats, "tout le monde peut trouver des motifs d’apaisement dans cet arrêt. Aussi bien les citoyens qui étaient inquiets des suites de l’enquête que les juristes qui étaient tout aussi inquiets des suites de la procédure mais pour d’autres motifs. Le dessaisissement du juge est complet (…). Mais aucun des actes du juge n’est annulé et la qualité de l’instruction qu’il a menée n’est pas en cause (…). Le dessaisissement n’est pas une mesure qui a une quelconque connotation disciplinaire mais est destinée à assurer, dans l’intérêt de tous, la régularité de la procédure passée et à venir (…)" [41]. Cette opinion n’est pas unanimement partagée ; Silvio Marcus Helmons, professeur à l’université catholique de Louvain, résume ainsi d’autres réactions à l’arrêt émanant notamment de responsables politiques : "On a donc accordé à l’impartialité du juge une valeur plus importante qu’à la confiance qu’un citoyen peut avoir dans la Justice" [42].

73Des arrêts de travail dans différentes entreprises privées et publiques, suivies de manifestations de rue et de rassemblements devant les palais de Justice de plusieurs villes du pays ont émaillé le cours des journées qui ont suivi l’arrêt de la Cour de cassation, tandis que le transfert des dossiers entre juges d’instruction s’organisa très vite à Neufchâteau et que décision était prise d’adjoindre un juge d’instruction supplémentaire pour étoffer l’équipe (près de 350 personnes sont en charge de l’enquête à Neufchâteau et ailleurs).

74Le mouvement prit peu à peu de l’ampleur, le dessaisissement du juge d’instruction Jean-Marc Connerotte ou le soutien aux familles des victimes n’apparaissant plus au fil de la semaine comme les uniques motifs de la mobilisation de la population. Des inquiétudes sont exprimées par des travailleurs et leurs délégués syndicaux d’entreprise [43] sur l’avenir de leur travail et sur la place de l’argent dans le système économique capitaliste dans lequel nous vivons. Le sentiment d’un "trop plein" porte sur le budget, l’affaiblissement de la couverture sociale et se cristallise sur une cause "incontestable" (la protection de l’enfance) où l’engagement n’est pas partial ou partisan. L’indignation est nourrie par un relais permanent des médias et par une mauvaise connaissance du fonctionnement de l’Etat, de la Justice et, d’une manière générale, des institutions, convertie en phrases qui ont l’apparence de la vérité et qui vont jusqu’à l’amalgame de "tous pourris". La revendication d’une Justice "à visage humain" qui ne serait toutefois pas sans règle est aussi exprimée tandis qu’un souffle de "grande récréation" émane des manifestations d’écoliers et d’étudiants.

75La commission de la Justice de la Chambre s’est réunie mercredi 16 et jeudi 17 octobre 1996, d’abord pour entendre le rapport du président du "comité P", le comité de contrôle des services de police, sur le fonctionnement des différents corps de police à la suite des rapports des procureurs généraux, ensuite pour instituer une commission d’enquête chargée de l’examen de l’enquête sur l’enquête "Dutroux-Nihoul et consorts". Cette dernière est installée pour trois mois. La première réunion de la commission d’enquête "Dutroux-Nihoul et consorts" a lieu le lundi 21 octobre. Trois jours plus tard, la commission de la Justice de la Chambre approuve à l’unanimité la proposition de loi visant à instituer une commission d’enquête chargée d’examiner l’enquête sur l’assassinat d’André Cools ; cette dernière, également d’une durée de trois mois, commencera ses travaux dès qu’une des deux autres commissions d’enquête aura terminé les siens.

76Le vendredi 18 octobre, une table ronde sur les disparitions et la maltraitance réunissait au Palais royal [44] toutes les familles d’enfants disparus, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck, le magistrat national André Vandoren, le délégué général aux droits de l’enfant de la Communauté française, Claude Lelièvre, et d’autres personnes concernées professionnellement par les disparitions et la maltraitance d’enfants. Dans son discours, le roi réitère la volonté que la clarté soit faite "dans un délai raisonnable" sur cette "tragédie nationale" qui doit "(…) être l’occasion d’un sursaut moral et d’un changement profond dans notre pays. Cela suppose d’abord de la part de chaque autorité une attitude d’humilité et de remise en question. Une des tâches essentielles de l’Etat est d’assurer la sécurité de tous les citoyens, et en particulier des plus vulnérables : nos enfants. Il faut reconnaître que dans ce cas ce fut un échec, de nombreuses erreurs ont été commises et dans les contacts avec les familles des victimes, il y a eu un manque d’humanité (…) Le changement est aussi l’affaire de chaque citoyen. Il suppose l’engagement de tous. (…) Le changement sera une œuvre de longue haleine, mais il se fera, j’en suis convaincu. Il faudra persévérer, tenir bon, car changer les mentalités et les règles de la société ne s’accomplit pas du jour au lendemain (…)".

77L’appel lancé à la population par les familles d’enfants disparus ou de victimes afin qu’elle participe à une marche silencieuse et pacifique "pour l’avenir des enfants", a été soutenu par le roi qui a invité les participants à s’exprimer "dans un esprit constructif et de respect de nos institutions démocratiques". Le Premier ministre a déclaré y voir "un encouragement de plus tant pour le gouvernement et le Parlement que pour le pouvoir judiciaire, pour traiter ces problèmes dans le respect des missions et des décisions de chacun. La marche sera alors le signal d’une volonté renouvelée pour une société plus juste et plus humaine" [45].

78Les hommes politiques - membres du gouvernement, parlementaires ou présidents de partis [46] - ont exprimé leur volonté d’éviter toute "récupération" partisane, en s’abstenant de participer à cette marche, autrement qu’à titre strictement personnel.

79Quelque 300.000 personnes se sont retrouvées à Bruxelles le dimanche 20 octobre ; elles ont répondu au souhait des parents des victimes ou d’enfants disparus d’être présents sans revendications ni calicots, sans différences linguistiques ou culturelles, réunis dans l’émotion et la symbolique du blanc.

80L’infrastructure mise à la disposition des organisateurs par la police, la gendarmerie ainsi que les facilités d’accès par transports publics (SNCB, STIB, bus, …) ont été autant de contributions publiques organisées dans une certaine discrétion, en vue d’un déroulement optimal de la "marche blanche".

81Le Premier ministre a reçu les familles au milieu de l’après-midi dans sa résidence privée, et a pris devant elles un quadruple engagement, approuvé par le Conseil des ministres du 22 octobre 1996 :

82

"La marche blanche était prioritairement axée sur le respect des droits de l’enfant. Le suivi de l’application de la convention de 1989 relative aux droits de l’enfant constitue donc une priorité.
1. L’enquête judiciaire à Neufchâteau sera poursuivie jusqu’au bout. Tous les moyens humains et matériels sont et seront mis à disposition des enquêteurs. L’enquête sur les enfants toujours recherchés doit être activée. Dans le cadre légal actuel, le dossier sera rendu plus accessible aux parties civiles. Le Premier ministre a donné aux parents l’assurance qu’aucune personne auteur d’infractions ne sera protégée ;
2. L’enquête sur l’enquête est maintenant poursuivie par la Commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner la manière dont l’enquête sur le plan policier et judiciaire a été menée dans l’affaire Dutroux- Nihoul et consorts. Le Premier ministre appuiera la demande des parents d’être entendus par la Commission d’enquête. Aussitôt que possible, le Gouvernement prendra par rapport aux fautes constatées, les sanctions disciplinaires qui s’imposent, dans le cadre et dans le respect des procédures légales et réglementaires en vigueur ;
3. Le Centre européen pour enfants disparus : il sera pris contact avec le National Center for Missing and Exploited Children à Arlington (EU) pour étudier avec lui la création d’un centre européen. (…) D’ici la fin de l’année, et après concertation avec les parents, les conclusions seront tirées en Conseil des ministres. Il s’agira d’un centre indépendant, mais soutenu et subventionné, par les pouvoirs publics. (…) ;
4. Pour ce qui concerne les modifications légales, devant aboutir à des réformes structurelles, le Premier ministre a pris les engagements suivants :
  1. le Parlement sera invité à adopter dans les plus brefs délais les projets suivants, qui ont déjà été déposés : Fonds d’aide aux victimes ; Collège des procureurs généraux et magistrats nationaux ;
  2. si possible, une proposition de révision de l’article 151 de la Constitution sera encore déposée dans le courant de cette semaine. Ce nouvel article de la Constitution doit permettre de mettre au point une nouvelle procédure pour les promotions dans la magistrature en vue d’une objectivation de celles-ci ;
  3. fin novembre, début décembre au plus tard, un conclave ministériel spécial prendra des décisions concernant :
    • la procédure pénale (projet Franchimont), avec une attention particulière pour un meilleur équilibre entre les positions respectives de la victime et de l’accusé ;
    • l’exécution des peines : projet de loi visant à instaurer les tribunaux d’application des peines et adaptation de la loi relative à la libération conditionnelle.
Déplus, le Premier ministre a souligné l’importance d’une formation permanente pour les magistrats et la nécessité de revaloriser la formation du juge d’instruction e.a. par une formation spécifique.
5. Le Premier ministre rencontrera les parents à nouveau pour faire le point sur l’exécution de ces engagements".

83Certaines de ces mesures peuvent être réalisées relativement rapidement, d’autres exigeront plus de temps car elles nécessitent délibérations, médiations et un certain formalisme. Elles ne se situent donc pas, par définition, dans une même séquence temporelle que la revendication.

84Le malaise social risque de perdurer, d’autant plus qu’il a de multiples facettes : la protection de l’enfance, l’élan pour une "Justice plus juste", mais aussi la précarité et l’insécurité sociale qui dominent au terme de plus de quinze années de plans drastiques d’assainissement budgétaire privant les services publics des moyens nécessaires, tandis que l’idéologie économique libérale ancrait dans la société le primat des valeurs économiques, la puissance de l’argent [47] et opposait l’individu au système social. Le contexte économique a influé sur la mobilisation. Les mécontentements s’accumulent, les incompréhensions se multiplient. Une même demande de considération, de respect et d’écoute est exprimée ces dernières semaines par des personnes très différentes. "Les gens se sont identifiés à la disqualification qu’ont subie ces parents, qu’une bureaucratie vétuste n’a considérés que comme des dossiers, et non comme des êtres humains" [48].

85Certains voient dans ce mouvement populaire l’émergence d’un nouveau type de citoyens, d’autres y perçoivent l’éclosion d’un nouveau mouvement social qui ferait la jonction entre perception d’une Justice de classe [49], méfiance à l’égard des institutions et revendications économiques et sociales. Sans doute n’y a-t-il pas un seul type de citoyen dans cette mobilisation. Même si des associations et des parents des victimes et des enfants disparus se sont accordés sur le choix de moyens d’action qui sont restés dans la légalité et dans le respect des libertés constitutionnellement établies, des différences sont perceptibles entre eux et ont été exprimées. Par exemple, la famille Russo a déclaré n’avoir jamais soutenu - et même n’avoir jamais été contactée par l’asbl Marc et Corinne dans ce but - la pétition que cette association a fait circuler, demandant des peines incompressibles, et qui a recueilli plus de 2,5 millions de signatures en mémoire des victimes et non en faveur d’une mesure juridique pour laquelle une pression sociale aurait été organisée. En l’espace de trois mois, une émotion collective s’est muée en un mouvement populaire ; pour qu’il devienne un mouvement social, il faudrait qu’il alimente ses demandes diversifiées de profondes alternatives.

86L’attente est grande à l’égard des institutions et des pouvoirs. La confiance n’est pas totalement rompue. Faire que les réponses des pouvoirs et des institutions - eux aussi déstabilisés [50] - soient à la mesure des revendications de clarté et de concret est une gageure. Pour éviter les contradictions entre les discours et les actes, il leur faudra du courage et de la détermination afin de quitter les réflexes de "management de crise", d’affronter les inévitables replis sur soi de professions qui préfèrent régler en leur sein les problèmes de déontologie et de responsabiliser tous les niveaux de l’administration publique et de la société ; il leur faudra enfin éviter que l’édiction de règles qui viendront s’ajouter à une pléthore d’autres normes juridiques, rende peu visibles, peu compréhensibles et donc peu acceptés et mal délibérés, des choix politiques généraux qui traceraient les jalons d’un projet de société.

Le destin du pôle judiciaire

87Dans le contexte que l’on vient de décrire, est-il envisageable que le "pôle judiciaire" de la société demeure insensible aux évolutions en cours ? La réponse à cette question suppose que l’on précise les principales caractéristiques et limites de l’intervention du "judiciaire", ou plus largement du "pouvoir juridictionnel", avant de souligner les évolutions internes qui s’y produisent et les contrastes qui s’y manifestent selon les fonctions exercées, pour analyser ensuite les défis rencontrés ainsi que les débats, revendications et projets qui s’y expriment. Si "le judiciaire" est le seul des trois pouvoirs politiques originels à être resté exclusivement fédéral, il n’en est pas pour autant demeuré confiné au rôle discret et limité qu’il paraissait exercer au 19ème siècle et au début du 20ème siècle.

L’extension des pouvoirs et des missions

88Depuis le célèbre arrêt "Flandria" de la Cour de cassation du 5 novembre 1920 [51], le pouvoir judiciaire n’a cessé d’affirmer et d’approfondir [52] son contrôle de l’action administrative, allant jusqu’à donner aux gouvernements et aux administrations des injonctions éventuellement assorties d’astreintes [53], afin de restaurer la légalité dans des situations individuelles où elle a été bafouée (par exemple, une expropriation irrégulière). Depuis la création, en 1946, d’un Conseil d’État (assez largement inspiré du modèle français), c’est la légalité objective de l’action des exécutifs qui peut être discutée devant des juges de l’"ordre administratif", avec pouvoir de sanction à l’égard de tous et moyennant la possibilité, de création récente (1991), d’imposer sous astreinte à l’administration des mesures de sauvegarde ou le respect de la décision finale. En outre, depuis une loi du 30 juin 1994, le patrimoine de la "puissance publique" peut être saisi par un particulier, créancier de l’Etat ou de l’une quelconque de ses composantes, pourvu que la "continuité" du service public ne soit pas entravée.

89Par ailleurs, la mise en place, en juin 1983, d’une Cour d’arbitrage a tracé la voie d’un véritable contrôle juridictionnel de la conformité des lois, décrets et ordonnances à la Constitution, sur le modèle - partiellement importé - des cours constitutionnelles des autres régimes fédéraux. Actuellement limité à la vérification de la conformité des lois, décrets et ordonnances aux règles de répartition des compétences entre Etat fédéral, régions et communautés, ainsi qu’aux seuls principes d’égalité, de non-discrimination et de liberté de l’enseignement (articles 10, 11 et 24 de la Constitution), ce contrôle des pouvoirs législatifs pourrait s’étendre à l’avenir à la conformité aux autres règles constitutionnelles, sans que se résolve pour autant la question de son efficacité politique : il est significatif que les législateurs sanctionnés n’aient pratiquement jamais adapté les textes censurés, sauf en matière fiscale. Ainsi, à mesure que les pouvoirs législatif et exécutif se rapprochaient, avec une tendance à la prééminence de l’exécutif, le pouvoir juridictionnel, se donnait ou recevait une force et un poids accrus.

90Mais on assistait également - on l’a déjà relevé - à l’extension et à la multiplication des interventions "de justice" dans des domaines nouveaux, relevant aussi bien de la sphère publique que des relations individuelles. L’économie, la finance, le social, l’environnement, la communication de masse, les technologies nouvelles, … et la vie privée - qui tend, elle aussi, à se "procéduraliser" et à se "pénaliser" à mesure que s’étiolent les médiations traditionnelles liées aux solidarités anciennes - sont désormais largement appréhendés par les juges, pratiquement toujours sur le mode du conflit interpersonnel (ce qui fait du judiciaire le pouvoir le plus directement perceptible - et accessible ? - pour l’individu) et au rythme d’une accélération qui reflète l’attente d’"un traitement en temps réel" [54] et d’interventions davantage préventives que curatives. Traditionnellement regardé - et se vivant encore largement - comme un pouvoir de réaction se tenant à distance, le judiciaire est aujourd’hui sollicité sur le mode de l’action et de la proximité [55], sans y être préparé ni adapté.

91Ce hiatus, révélé d’une manière patente à l’occasion des événements les plus récents, s’explique sans doute largement par la remarquable stabilité de l’institution tout au long de l’histoire politique, économique et sociale du pays. Pratiquement inchangé dans ses structures, reposant sur des textes constitutionnels et fonctionnant selon des normes légales assez largement identiques à ce qu’ils étaient aux origines de l’Etat indépendant, le pouvoir judiciaire n’a connu, à la différence du législatif et de l’exécutif, ni transformations organiques profondes, ni sollicitations extérieures ou remises en cause majeures sous l’effet des circonstances historiques. Outre que la Justice n’a guère fait l’objet de critiques du fait de son comportement pendant les deux conflits mondiaux [56], la permanence des structures démocratiques de l’Etat lui a évité les bouleversements qu’ont connus les systèmes judiciaires de nombreux pays européens proches. Ainsi, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la France ont dû, au sortir de régimes autoritaires, voire totalitaires, procéder à la "refondation" de leurs institutions, en ce compris l’institution juridictionnelle, ce qui fut presque toujours l’occasion de véritables "aggiornamenti". Tel n’a pas été le cas de la Belgique, dont le pouvoir judiciaire [57] donne, presque inévitablement, une image assez traditionnaliste et conservatrice, certains n’hésitant pas à parler de profonds décalages avec la réalité, voire d’archaïsmes, et en appelant à un passage du 19ème au 21ème siècle.

Les évolutions internes

92Néanmoins, l’institution judiciaire - communément mais abusivement appelée "la Justice" [58] - donne peu à peu une image moins lisse et monolithique d’elle-même que par le passé. Si le pouvoir judiciaire demeure, à bien des égards, à la remorque des évolutions, il n’est toutefois pas resté socialement, politiquement et idéologiquement homogène. Depuis l’avènement du suffrage universel, le recrutement des magistrats s’est sensiblement diversifié et relativement démocratisé ; il s’est, en outre, tout récemment "dépolitisé" dans une mesure appréciable quoi qu’encore insuffisante pour d’aucuns [59].

93L’évolution des mœurs s’est par ailleurs accompagnée d’une très nette féminisation du personnel de justice [60], en ce compris, progressivement, aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie, et la spécialisation des fonctions, qui fait suite notamment à celle des juridictions lors de la réforme judiciaire des années 1960 et 1970 [61], a, elle aussi, entraîné l’affaiblissement progressif d’un consensus jadis très large au sein d’une magistrature masculine et "ordinaire". Celle-ci qui, au début du siècle, était encore majoritairement composée de membres de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, d’opinions catholique ou libérale mais s’identifiant globalement à un ensemble de valeurs conservatrices, se présente aujourd’hui comme un corps en voie de diversification notamment politique [62], au sein duquel se reflètent - au travers, entre autres de la vie associative qui s’y développe [63] - des approches et des perceptions différentes des réalités sociales et humaines qui doivent être quotidiennement appréhendées par les magistrats.

94Désormais, c’est probablement moins en termes de clivages politiques que se marquent les diverses sensibilités qui ont cours à l’intérieur de la magistrature, que sous la forme d’approches philosophiques et idéologiques contrastées de la fonction et du rôle du magistrat face aux conflits à arbitrer : conflits entre les individus ou les groupes et les pouvoirs politiques ou administratifs, conflits entre institutions publiques ou privées, conflits à connotations éthiques ou à implications politiques plus ou moins immédiates, délinquance individuelle, conjoncturelle ou de situation et délinquance plus collective, sophistiquée, organisée, liée aux évolutions structurelles d’une société marquée par l’"économocentrisme" et la place prépondérante de l’argent, manifestations de l’omnipotence des lois du marché (l’appréhension sociale et judiciaire de la délinquance sexuelle est de ce point de vue instructive).

95À toutes ces problématiques, il y a de moins en moins de réponses stéréotypées, collectivement acquises ou généralement répandues au sein de la magistrature et susceptibles de s’expliquer par le seul clivage des générations ou par celui des appartenances politiques.

96Il s’ensuit que dans un contexte d’affaiblissement du contenu normatif des règles et de procéduralisation corrélative des relations humaines, l’interrogation pertinente n’est sans doute plus désormais, pour le juge, de savoir s’il doit être répressif ou "tolérant", conservateur ou progressiste, mais de se demander ce qu’il y a raisonnablement lieu de sanctionner ou non sur le plan pénal (problématique de la "sur-" ou de la "dépénalisation" [64], de stigmatiser ou d’admettre dans les relations civiles ("régulation" - "dérégulation") et, une fois ce choix opéré, de déterminer comment punir le plus adéquatement ou le moins inopportunément (et aussi le plus efficacement du point de vue social), comment accompagner ou encadrer l’exercice du droit reconnu ou de la liberté consacrée et, partant, jusqu’à quel point s’impliquer, en tant que juge, dans la solution du conflit. Il y a, pour les juges, un champ ouvert au questionnement "existentiel".

97Il convient en outre de se demander si les quelques observations qui précèdent valent seulement pour les juges qui forment le pouvoir judiciaire au sens strict, ou si elles trouvent également à s’appliquer aux membres du ministère public qui relèvent du pouvoir exécutif [65], tout en étant fonctionnellement associés à l’exercice du pouvoir judiciaire ?

Les contrastes des statuts et des rôles

98La question est d’importance, car elle nous ramène au cœur de la tension entre pôles politique et juridictionnel. Ces dernières années, les élus et les gouvernants n’ont cessé d’appeler à l’élaboration d’une "politique criminelle" cohérente, tout en déplorant qu’elle n’existe même pas à l’état embryonnaire, notamment en raison des pesanteurs des parquets et, plus particulièrement, des parquets généraux. L’informel "collège des procureurs généraux" [66] n’a, jusqu’ici, pu ou voulu élaborer une telle politique, sous l’égide du ministre de la Justice, c’est-à-dire d’un responsable gouvernemental.

99Dans pareille situation, il n’est pas caricatural d’avancer - comme l’ont fait certains - qu’il y a, à l’égard d’un même comportement délictueux, autant de réactions "judiciaires" qu’il y a de parquets ou, à tout le moins, de parquets généraux, et que, en application du principe de "l’opportunité des poursuites" appréciée par le ministre public [67], l’on sera sanctionné selon le hasard de l’endroit où l’on faute et au gré de l’appréciation de tel ou tel substitut de service. Le membre du ministère public, investi de pouvoirs considérables, se trouve en fait contraint de les exercer dans un cadre relativement flou et est ainsi confronté à des interrogations comparables à celles du juge qu’il précède dans l’appréciation des faits.

100Forcément différentes selon les individus, les réactions le seront aussi selon la position institutionnelle du magistrat, selon qu’il appartient au parquet - corps ayant partie liée avec l’exécutif, un, indivisible et fortement hiérarchisé, en contact permanent et de première ligne avec les forces de l’ordre -, ou qu’il relève du siège - corps exclusivement judiciaire, composé d’individus indépendants dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, nommés à vie, inamovibles et en général forcément plus distants de la matière même du conflit qu’ils sont amenés à trancher.

101À défaut d’être dictées par des normes générales et par des directives claires et visibles, les logiques individuelles se trouvent, dans une mesure relativement importante mais éminemment variable, surdéterminées par des logiques de corps, d’autant plus virtuellement conflictuelles que le statut constitutionnel et légal du ministère public - dont les missions ne cessent de s’étendre et de se diversifier (aide aux victimes, médiation pénale, travaux d’intéret général, …) - est empreint d’ambiguïté : mélange d’autonomie - sinon d’indépendance - sans cesse revendiquée et auto-proclammée à l’égard du "port d’attache" naturel qu’est le pouvoir exécutif, et d’une volonté d’extériorité entretenue vis-à-vis des "eaux territoriales" strictement judiciaires, où l’on aime néanmoins à naviguer aux fins de surveillance et de contrôle [68]. Il n’est pas sans intérêt de souligner que des membres du parquet sont fréquemment détachés de leur corps pour exercer des fonctions importantes dans les cabinets ministériels, d’où ils repartent souvent sous le bénéfice d’une promotion qui passe inéluctablement pour la contrepartie politique de services rendus. Ainsi, tel un pan de l’édifice judiciaire qui affecterait sans cesse de vouloir s’en détacher sans trop s’en éloigner toutefois, le ministère public - la magistrature debout - et son action échappent pratiquement à la maîtrise du pôle politique, cependant que le pôle juridictionnel - la magistrature assise - ne semble pouvoir assurer vraiment le contrepoids en toutes circonstances.

102Au terme de ces constats, il serait vain de se dissimuler l’existence d’une tension interne au judiciaire, au point que le parquet peut faire figure de lieu géométrique de ces tensions, à l’image d’un parallélogramme des forces, et dans le moment où il connaît, par ailleurs, une crise de représentativité de l’intérêt général de la société au nom de laquelle il poursuit et requiert [69].

103Ces observations ne sont pas sans rapport avec celles que suscite la politique menée par l’exécutif en matière de sécurité et de "restructuration" des grands corps de police : l’argumentaire présenté relève essentiellement de l’ingéniérie sociale (police de proximité, contrat de sécurité et de société, zones interpolices, répression du grand banditisme,…), mais dissimule mal un projet de centralisation et de reprise en mains par le politique des appareils répressifs, de surveillance et de contrôle que les "autorités judiciaires" - et plus précisément les parquets - sont censées ne pas utiliser adéquatement ou contrôler trop lâchement [70]. Sont particulièrement exemplaires de cette tendance les remous suscités par une récente "note de consensus" entre corps de police, établie sous les auspices des ministres de la Justice et de l’Intérieur et signée le 3 juillet 1996, qui tend à réduire le rôle de la police judiciaire et à renforcer la prééminence de la gendarmerie. De même, la remise en cause des pouvoirs et moyens du Comité supérieur de contrôle, "police des administrations", pourrait traduire un projet de limitation des investigations relatives aux pratiques politiques et financières et, par voie de conséquence, une tentative de restriction des possibilités réelles du judiciaire de mener à bien des enquêtes en ces domaines.

Les défis externes

104Sur un plan plus général, le juge comme le procureur sont de plus en plus régulièrement confrontés, au travers des cas qui leur sont soumis, à des enjeux qui se situent au-delà du respect ou non d’une légalité stricte dont ils seraient les traducteurs ou les serviteurs, pour confiner à des choix qui sont, en réalité, d’ordre éminemment politiques, non seulement dans leurs conséquences mais aussi dans leurs ressorts.

105Il faut désormais se mouvoir en permanence sur sol instable, dans la mesure où le cadre normatif fourni au pouvoir juridictionnel par le pouvoir politique se présente - on l’a déjà souligné - de moins en moins sous la forme de prescriptions précises, contraignantes et exhaustives - "la loi" -, pour se composer sans cesse davantage de "directives" ou de "grandes options", qui laissent ou délèguent aux juges le soin de confectionner, dans chaque cas d’espèce et au départ de ce "droit soft", une "loi sur mesure". De plus en plus souvent aussi, cette démarche empirique n’aboutira qu’après que le juge ait cherché ce que l’auteur de la norme a voulu exprimer, en des termes parfois équivoques, dans des textes souvent adoptés à la hâte, consacrant des compromis quelquefois inachevés et contenant des dispositions dont l’apparente clarté est de temps à autre contredite par les intentions exprimées à l’occasion des travaux parlementaires. Dans un corpus normatif en croissance exponentielle - au point qu’on a pu parler d’entropie de la production normative - et organisé en un réseau de plus en plus complexe, le travail de recherche de la règle applicable se complique ainsi de celui de son interprétation, désormais pratiquement indispensable à tout coup, et, partant, préalable obligé de toute application au cas d’espèce.

106Ces difficultés contemporaines qui confèrent à l’exercice de la fonction de juger une dimension nouvelle - certains s’interrogent même sur la "crise du juge" [71] - se trouvent aggravées par l’effet du poids considérable des contraintes du travail quotidien (notamment la formation initiale et continuée et l’outillage insuffisants, les effectifs inadaptés, les locaux inappropriés). Et sur ce terrain très concret, l’on retrouve à nouveau la tension des relations entre pôle politique et pôle judiciaire. Le premier confie au second des responsabilités de plus en plus lourdes, sans cesse plus diversifiées et de moins en moins clairement définies ; les réalités de la vie quotidienne - très conflictuelle et "procéduralisée" -, et celles de son évolution caractérisée par l’urgence liée à la crise économique, à la mondialisation, au chômage, à l’exclusion sociale, multiplient les occasions de conflits et d’affrontements, faisant apparaître de nouvelles formes de litiges ou de délinquance, donc une criminalité d’une ampleur naguère insoupçonnée, de type organisé, voire mafieux, pouvant avoir des implications jusque dans le processus de décision politique [72]. Tous ces phénomènes font exploser quantitativement et qualitativement les contentieux de tous types et confèrent aux juges des pouvoirs accrus et des responsabilités nouvelles dont ils retirent en même temps un surplus de puissance.

107Pour faire face, les magistrats disposent d’outils législatifs d’origines multiples (internationaux, fédéraux, régionaux, …), en nombre pléthorique, souvent imparfaits, parfois non compatibles ou concurrents [73], se chevauchant à l’occasion et prêtant la plupart du temps à des interprétations contradictoires quand ce n’est pas à la confusion des genres [74]. Cet "état du droit" alimente une ingénierie juridique quasiment sans limites, dont un nombre considérable d’avocats (l’effectif du barreau a triplé en vingt ans cependant que celui des magistrats - tous corps confondus - n’était pas multiplié par deux) font, notamment au sein de multiples cabinets d’affaires, la matière de leur travail, dans un contexte de concurrence exacerbée. Cette situation peut engendrer des effets en termes de surconsommation et de mésutilisation du contentieux.

108L’état critique engendré par ces nouveaux défis se complique encore du fait que l’institution judiciaire n’a pas pris à temps la mesure de l’impact considérable que la presse - et surtout les médias audiovisuels - allait avoir sur son activité quotidienne, sa relation à l’opinion et le contrôle "non institutionnel" de son travail. Des réflexes partagés de type "tour d’ivoire" ont incontestablement nourri une tension croissante entre Justice et médias, aggravant des méfiances parfois justifiées mais rarement mises à plat en commun, faute d’une volonté et d’un lieu de rencontre [75]. Et ce que la presse eût pu faire en termes de réelle pédagogie critique de l’institution judiciaire, n’a pas eu lieu, à défaut sans doute pour la Justice d’avoir perçu la nécessité de s’extérioriser et de réfléchir aux moyens adéquats de réaliser sa "sortie au monde", laissant ainsi le champ au traitement purement événementiel et émotionnel du "fait divers" ou du "procès-spectacle", forcément déformants. C’est que les logiques du travail médiatique ne sont pas celles de la démarche juridictionnelle, même si leurs terrains d’action sont très largement les mêmes ; faute de se parler, de préciser et d’expliquer les déontologies respectives tout en se dotant d’organes régulateurs représentatifs et pluralistes (non corporatistes), juges et journalistes ne se comprennent pas et se marchent à l’occasion sur les pieds. Les dégâts qui peuvent en résulter se produisent souvent de part et d’autre [76].

Les débats actuels et les revendications

109Confronté à ces réalités en interaction complexe et à ces nouveaux défis, ainsi qu’à l’attente démesurée - mais bien compréhensible - des citoyens envers une "Justice" qu’ils idéalisent peut-être encore (comme en contrepoint de leur dédain à l’égard du politique), le judiciaire - en situation de tension non seulement à l’égard du pôle politique mais aussi désormais avec la société - ne reçoit plus ni la reconnaissance ni, surtout, les moyens humains et matériels ainsi que les outils normatifs destinés à lui permettre d’assumer son rôle et ses responsabilités nouvelles. Non aiguillé par la pression politique du scrutin et non stimulé par une vraie pratique de la démocratie interne, il vit ce manque sur le mode de l’habitude, de la résignation, voire du découragement [77].

110Les moyens dont la Justice a besoin ne relèvent pas, en l’état actuel, du pouvoir judiciaire lui-même : les budgets [78] et les cadres sont votés par le Parlement et mis en œuvre par le gouvernement (notamment par le biais des nominations de la plupart des magistrats), sans qu’il existe, outre la hiérarchie traditionnelle, une instance officielle, reconnue, visible et transparente de concertation et de représentation du judiciaire. Nombre de magistrats, depuis plusieurs années, réclament la création d’une telle structure, y voyant l’occasion d’une responsabilisation collective de la magistrature, d’autant plus urgente que, depuis peu, le principe a été posé de la responsabilité civile de l’Etat qui peut être tenu de réparer, sous forme de dommages et intérêts, le préjudice causé à un justiciable ou à un citoyen par un acte fautif d’un organe - et donc aussi d’un magistrat - du pouvoir judiciaire, dans le cadre de l’accomplissement du service public de la Justice [79]. Allant de pair avec une plus grande autonomie "managériale" des chefs de corps (présidents, procureurs, … qui devraient n’exercer que des mandats limités dans le temps), ainsi qu’avec une redynamisation du débat interne aux juridictions et aux corps au travers de leurs assemblées générales, cette responsabilisation devrait permettre au pouvoir juridictionnel de dialoguer en toute clarté et sur pied d’égalité avec le pouvoir politique. Ces réformes contribueraient par ailleurs à atténuer l’isolement du magistrat, déjà naturellement enclin par le statut et le rôle qui sont les siens - surtout dans la magistrature assise - à l’individualisme qu’exacerbent encore la généralisation des sièges à juge unique - entraînant un recul de la collégialité des délibérations [80]- et la personnalisation croissante des fonctions par l’effet du mode de traitement médiatique de l’"actualité judiciaire" [81]. En outre, la création d’un organe de concertation entre pouvoirs, de représentation et de gestion du judiciaire (incluant les juridictions militaires et administratives, y compris le Conseil d’Etat) pourrait également être l’occasion de l’instauration, en son sein ou à ses côtés, de structures d’audit [82], de recherche prospective [83], de relations publiques [84] et de contact avec la société [85]. C’est dans cet esprit que, relayant des propositions et des revendications déjà anciennes et pour partie inspirées par des expériences étrangères (notamment le modèle italien du Conseil supérieur de la magistrature et de l’"autogoverno della magistratura"), le gouvernement a récemment annoncé la mise en chantier d’un "Conseil supérieur de la Justice" [86]. Ces réformes constituent une pièce importante du dispositif de rénovation, mais elles ne sont ni la panacée ni peut-être même la priorité. D’autres tranformations, sans doute plus plus complexes et plus onéreuses, devraient être envisagées ; nombre d’entre elles sont du reste proposées et débattues depuis plusieurs années sans avoir trouvé leur aboutissement politique. L’on songe ainsi notamment :

  • à la refonte du droit de la procédure pénale, dans la foulée des travaux de la Commission dite Franchimont [87] ; pourraient ainsi être concrétisées les demandes d’un statut plus équitable des parties préjudiciées (victimes) de modernisation des règles applicables à la phase d’instruction et d’instauration d’un tribunal d’application des peines [88], plus apte à éviter les libérations conditionnelles inopportunes que l’actuel système qui confie cette responsabilité à l’administration et au pouvoir politique ;
  • à la clarification du statut du ministère public et de celui du juge d’instruction [89], ainsi que des pouvoirs et des champs d’intervention respectifs des corps de police ;
  • à la simplification et à la coordination des procédures civiles : un important travail d élagage s’impose, suite à la multiplication récente de procédures nouvelles, non-uniformisées par référence au code judiciaire élaboré en 1967 et censé constituer le "droit commun" ;
  • au remaniement systématique et contraignant du langage juridique et judiciaire, dans la mesure où il est possible de réduire le recours au jargon inutile ;
  • à l’instauration d’un véritable système d’aide légale, susceptible de permettre à tous un réel accès égalitaire au service public de la Justice : les efforts consentis en vue du financement du "pro deo" devraient être amplifiés et la réduction des coûts des services (exemples : délivrance des copies, frais d’huissiers,…) devrait être sérieusement envisagée ;
  • à la modernisation de législations très anciennes, régissant des aspects pratiques et quotidiens de la vie civile, économique ou sociale ; l’on songe au droit et à la procédure de la faillite ainsi qu’à l’approche du phénomène du surendettement ;
  • à la refonte et au "dégraissage" du droit pénal [90].

111À défaut d’évolutions de ce type et en cas de continuation d’une politique se limitant à endiguer au coup par coup la détérioration des conditions d’une bonne administration de la Justice, il ne faudrait pas s’étonner que la tension et la pression croissent, donnant lieu, à l’intérieur comme à l’extérieur du pôle judiciaire, à de sérieuses secousses, à l’occasion de telle ou telle mise en cause en Justice de l’action politique ou des pratiques de l’un ou l’autre responsable public, de même qu’en présence des "ratés" de la machine judiciaire dans des affaires sensibles.


Date de mise en ligne : 05/06/2014

https://doi.org/10.3917/cris.1533.0001

Notes

  • [1]
    Antoine Garapon, Le gardien des promesses, Ed. O. Jacob, 1996, pp.21-22.
  • [2]
    Voir E. Lentzen et X. Mabille, "Rythmes et changements dans la vie politique belge", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1500, 1995, dont ce chapitre intègre des extraits.
  • [3]
    Une tendance longue à l’accroissement du rôle de l’Etat s’observe depuis le milieu du siècle dernier. La part des dépenses du pouvoir central dans le revenu national a progressé jusqu’en 1982 où elle se situait à 52,5 %. Depuis lors, des plans d’assainissement et des cessions d’actifs ont fait descendre cette part en-dessous des 50 %. Toutefois si l’on tient compte des dépenses des sociétés dont l’Etat est actionnaire et des dépenses des pouvoirs régionaux - qui se sont accrues depuis 1980 - cette part reste nettement au-dessus des 50 %. (Source : Ministère des Finances, Note de conjoncture, Services d’études et de documentation).
  • [4]
    Le principe de l’immunité parlementaire est inscrit dans l’article 59 de la Constitution : "Aucun membre de l’une ou l’autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu’avec l’autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de l’une ou l’autre Chambre durant la session, qu’avec la même autorisation. La détention ou la poursuite d’un membre de l’une ou l’autre Chambre est suspendue pendant la session et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert". Lors des récentes demandes de levée d’immunité parlementaire concernant G. Goëme, G. Spitaels et G. Mathot, la question s’est posée de modifier cet article constitutionnel afin d’éviter qu’une demande de levée d’immunité parlementaire ne soit comprise par l’opinion publique comme une présomption de culpabilité. La Chambre a voté le 20 juin 1996 une révision de cet article qui prévoit que le ministère public ou le juge d’instruction pourront procéder à l’interrogatoire d’un parlementaire et à la confrontation avec des témoins sans l’accord préalable de l’assemblée parlementaire pour autant que ces actes n’entravent pas l’exercice du mandat parlementaire.
  • [5]
    Référence est faite, dans ce texte, au niveau fédéral, compétent pour les matières relatives à l’administration de la Justice (organisation, compétences, procédures judiciaires, polices,…).
  • [6]
    Les cas de responsabilités, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux doivent être déterminés par la loi. Une loi à portée limitée a été adoptée en 1865. La question s’est reposée de manière aigüe depuis 1993 suite aux demandes de levée d’immunité parlementaire de G. Coëme, G. Spitaels et G. Mathot et à la procédure ouverte devant la Cour de cassation pour G. Coëme. Une loi, également à portée limitée, a été votée le 3 avril 1995. Des propositions et projets de loi sont déposés sans avoir encore abouti. Un projet de loi visant à accélérer la procédure devant la Cour de cassation a été adopté en séance plénière le 23 novembre 1995 et est actuellement examiné en commission à la Chambre.
  • [7]
    Ainsi, par exemple pour la session parlementaire 1993-1994, 96 projets de loi ont été déposés ou transmis et 104 ont été adoptés (ce chiffre comprend des projets déposés au cours de la session précédente) tandis que 108 propositions de loi étaient déposées ou transmises et 39 adoptées.
  • [8]
    La professionnalisation accrue de la politique se présente aussi sous d’autres aspects ayant trait notamment à la gestion des institutions et a l’effort permanent d’adaptation des structures et des modes d’organisation qu’elles requièrent. Nous vivons dans une société de normes ou l’institutionnalisation apparaît comme un mode privilégié de décision et comme un mode de résolution des conflits. L’effet "boule de neige" institutionnel est entretenu par la technicité des matières qui, elle-même, entraîne une intervention accrue de personnes spécialisées, également à la marge des lieux de la politique qui, ainsi, s’elargissent. En résultent à la fois des formes de technocratie et de commensalisme.
  • [9]
    Le clientélisme - défini comme pratique politique de relations personnelles intéressées - est un phénomène, très ancien, qui trouve sa source dans les contraintes qui pèsent sur les hommes politiques. Ceux-ci se trouvent devant la difficulté de décider, rapidement, de beaucoup de choses en même temps, d’essayer de maintenir une cohérence et une vision d’avenir tout en s’inscrivant dans les pratiques de délibération et en essayant de rencontrer les revendications de tous ceux qui interviennent dans le processus de décision. Une telle situation entraîne une tendance à chercher d’abord à répondre aux besoins matériels immédiats de personnes qui s’adressent personnellement à eux, souvent suite à des dysfonctionnements ou à des défaillances de l’administration. Cette "inclination" rencontre à la fois la fonction de l’homme politique de "représenter" et les besoins d’électeurs d’être écoutés, rassurés et secourus. Ce faisant, cette pratique entre en contradiction avec les objectifs poursuivis par l’action politique collective. Quand clientélisme et bureaucratie deviennent des modes conjoints de gestion et d’organisation, une perception d’extériorité au politique s’installe.
  • [10]
    La loi sur le pacte culturel prévoit et organise des équilibres qui doivent être sauvegardés, dans la composition des organes de gestion d’un certain nombre d’organismes culturels, entre partis politiques en fonction de leur représentation parlementaire. Sur le pluralisme tel que l’institue le pacte culturel, voir Hugues Dumont, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, 2 vol., Bruxelles, Bruylant, 1996, 1.214 pages.
  • [11]
    Les vice-Premiers ministres sont aujourd’hui au nombre d’un par parti en coalition ; jusqu’en 1988, le parti qui avait le poste de Premier ministre ne disposait pas d’un vice-Premier.
  • [12]
    Ce qui permet d’inclure les instances qui, sans être intégrées au pouvoir judiciaire senso stricto (les cours et tribunaux siégeant dans les palais de Justice), n’en exercent pas moins, dans des domaines spécifiques, une fonction de jugement, c’est-à-dire d’arbitrage de conflits selon une procédure réglée par le droit et en appliquant au litige ou à la question qui leur sont soumis, les règles du droit. Tel est le cas des juridictions militaires mais aussi des juridictions administratives (dont la plus haute est le Conseil d’Etat) et de la juridiction constitutionnelle qu’est la Cour d’arbitrage.
  • [13]
    Selon l’expression de François Rigaux, Introduction à la science de droit, EVO, 1974, p.349.
  • [14]
    Le code civil de 1804 posait déjà le principe repris aujourd’hui dans le code judiciaire : "Il y a déni de justice lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce soit, même du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi”.
  • [15]
    Jean-Denis Bredin, "Un gouvernement des juges", Pouvoirs, n°68,1994, pp.80-81.
  • [16]
    Au point que l’on peut parler d’entropie de la production normative et de véritable fiction de la connaissance du droit par les citoyens-destinataires comme par les responsables politiques-auteurs des lois : "Les législations se multiplient de façon délirante. Un des problèmes sociaux majeurs est la méconnaissance des lois. Plus personne ne peut prétendre satisfaire à l’adage : Nul n’est censé ignorer la loi" (R. Lallemand, Le Soir, 8 octobre 1996).
  • [17]
    Voir Yves Delvaux, "Statut matériel du Parlement fédéral et de ses membres", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1514, 1996.
  • [18]
    Pour l’énoncé des problèmes traités par les enquêtes parlementaires à la Chambre et au Sénat jusqu’en 1995, voir E. Lentzen et X. Mabille, op. cit., pp.21-22.
  • [19]
    L’article premier deuxième alinéa de la loi coordonnée sur les enquêtes parlementaires précise que : "Les enquêtes menées par les Chambres ne se substituent pas à celles du pouvoir judiciaire, avec lesquelles elles peuvent entrer en concours, sans toutefois en entraver le déroulement".
  • [20]
    Réglementation élaborée et imposée dans et par un ensemble de structures et d’organisations privées : de la famille et du groupe d’amis aux entreprises, écoles, hôpitaux ou associations professionnelles.
  • [21]
    L. Huyse, L. Petré, S. Parmentier, "La politique européenne des consommateurs", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1357,1992, p.17.
  • [22]
    Antoine Garapon, op. cit., p.99.
  • [23]
    Deux exemples de ce processus : la publicité affichée, il y a quelques mois, pour prévenir d’actes incestueux ou des traitements violents à l’égard des enfants (les sévices que subissent les enfants sont le plus souvent commis par un des parents, des collatéraux ou des proches de la famille) faisait appel à la réaction des voisins "qui doivent se mêler de ce qui ne les regarde pas”; une affichette collée sur les vitres arrière des voitures aux lendemains de la découverte des corps de Julie Lejeune et de Mélissa Russo rappelle une phrase d’Albert Einstein : "Le monde est dangeureux à vivre non à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire".
  • [24]
    Et d’appréciation de la seule règle de droit "convenable", voir Jean-Denis Bredin, "Le mépris du droit", Le Monde, 21-22 août 1994. Il ne faut bien sûr pas déduire de ces considérations une volonté de minimiser le rôle, l’action et le soutien moral qu’offre le monde associatif.
  • [25]
    L’institut de sondages Field Research a, pour Het Laatste Nieuws (26 septembre 1996), essayé de mesurer la confiance de l’opinion publique à l’égard de certaines personnes incarnant différentes "images" de la Justice (le procureur de Neufchâteau Michel Bourlet, la Juge d’instruction de Liège Véronique Ancia, l’actuel ministre de la Justice Stefaan De Clerck et l’ancien ministre de la Justice Melchior Wathelet) et à l’égard de corps institués (la Justice, la gendarmerie, la police générale et communale).
  • [26]
    Leur "interventionnisme" va jusqu’à divulguer prématurément des rapports ou des parties de rapports, voire l’identité de suspects recherchés, court-circuitant ainsi les procédures, compromettant le fonctionnement normal des institutions (voir notamment les réactions de parlementaires), induisant une lecture des documents divulgués, attisant les différends et y puisant tout à la fois les raisons de leurs critiques à l’égard des autorités publiques. Certains médias vont même jusqu’à interroger des témoins - sérieux ou non - avant la police. Ils en viennent ainsi à bafouer de plus en plus souvent le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. La méthode de l’information "en vrac" peut être bien trompeuse ; contrairement à son attente, elle n’aboutit ni à la clarté ni à la vérité mais à la confusion générale.
  • [27]
    L’on traverse une époque où l’intérêt est plus marqué pour l’homme ou la femme que pour les fonctions qu’il ou elle exerce. La situation de famille, les traits de caractère et les occupations personnelles de tel ou tel attirent plus que la manière de concevoir leurs métiers et contraintes. Prime est donnée à celui ou à celle qui "passe" bien dans les médias.
  • [28]
    "La représentation s’oppose à la médiatisation. Dans la médiatisation, le pouvoir est accaparé par celui qui, se présentant comme médium, offre une image fixe du corps social. Au contraire dans la représentation, le politique est actif et n’admet pas le statisme de la société. Le media se présente comme légitime - il exprime la réalité de la société, fût-elle (…) divisée -, tandis que le représentant doit toujours être relégitimé. La contradiction entre médiatisation et représentation résulte d’un double paradoxe. D’une part, le pouvoir politique est d’autant plus démocratique qu’il repose moins sur la médiatisation de la pensée commune. D’autre part, ce même pouvoir est d’autant plus confisqué et ouvert qu’il prend les apparences de la proximité avec le peuple", Nicolas Tenzer, "La politique", Presses universitaires de France, Que sais-je ?, n°2583, 1991, pp.88-89.
  • [29]
    Voir Pierre-André Taguieff, "Le populisme", Universalia, 1996, pp.118-125.
  • [30]
    La problématique des rapports entre le monde politique et ce que l’on appelle la "société civile" a pris de l’ampleur aux lendemains des élections législatives du 24 novembre 1991 et de la mort du roi Baudouin. À ces moments-là, certains avaient cherché à décoder ou avaient cru entendre le "message" adressé par la population. Interprétant les résultats des élections de 1991 comme autant de rejets du politique ou de votes protestataires, ils ont contribué à dramatiser le débat sur les rapports "citoyen/politique" et ont interprété l’élection comme étant un moment où l’électeur exprimerait une opinion, alors qu’en réalité il émet un vote qui sert à élire des représentants dans des assemblées. La vague d’émotions exprimées lors du décès du roi Baudouin recouvrait un paradoxe. En effet, on assistait alors à une survalorisation de la fonction politique du roi et a une dévalorisation de la fonction politique exercée par les mandataires élus par la population. Cette survalorisation a abouti à faire d’une certaine conception de l’unité nationale un modèle paraissant unanimement partagé alors que le roi avait accompagné l’évolution institutionnelle du pays. Les revendications d’une plus grande autonomie des entités fédérées n’ont pourtant pas cessé de s’exprimer aux lendemains de ce décès.
  • [31]
    Pour les journaux étrangers, l’émotion exprimée symboliserait l’inquiétude de la population face au processus de fédéralisation du pays. L’ancien correspondant en Belgique du quotidien français Le Monde, Jean de La Guérivière, dans un éditorial titré "Le désarroi des belges" publié le 10 septembre 1996, écrit - après avoir attiré l’attention sur le fait que "les affaires ne sont certes pas liées et elles sont suffisamment graves pour qu’on évite, là plus que jamais, de se livrer à des amalgames qui seraient, eux aussi, criminels" - : "Toutes deux ont toutefois un point commun, celui d’avoir mis en lumière les fonctionnements erratiques d’une Justice et d’une police minées par la corruption, le clientélisme et l’incompétence." Dans le même journal, un autre article est sous-titré : "L’arrestation d’un ancien ministre (…) et les découvertes de réseaux pédophiles traumatisent un pays toujours déchiré par ses querelles linguistiques". Dans L’Evénement du jeudi (12-18 septembre 1996), Albert du Roy rappelle qu’il avait pronostiqué en 1989 que "la Belgique est en voie de disparition" et ajoute "sept années plus tard, le processus de dissolution se poursuit implacablement (…). Cette crise de confiance est aussi une crise de régime et, je crois, une crise existentielle". "Flamands et Wallons ne peuvent-ils plus se réunir que sur une tombe ? ", demande Le Nouvel Observateur (19-25 septembre 1996). L’Express du 19 septembre titre : "La crise de la justice et du pouvoir fragilise un Etat travaillé par le séparatisme flamand" et sous-titre "La fin de la Belgique ? Et alors ?".
  • [32]
    Une des plus remarquées a été celle du président du CVP, Marc Van Peel, qui s’étonnait des "errements" wallons en matière de sécurité sociale en posant la question : "Comment admettre qu’un Dutroux et sa femme touchent 80.000 francs par mois grâce à l’assurance invalidité ?".
  • [33]
    Les traits paradoxaux des perceptions du politique par les citoyens et des capacités d’action des pouvoirs publics sont ensuite énoncés dans la déclaration gouvernementale de la manière suivante : "Leur confiance dans les autorités faiblit, précisément au moment où celles-ci ont étendu leur terrain d’action à quasi tous les domaines de la vie en société et ce, souvent à la demande expresse de ces mêmes citoyens. Nous sommes emportés dans un étrange tourbillon. La prospérité et les processus de production économique ont un impact profond sur le comportement individuel et collectif des citoyens, ce qui impose sans cesse de nouvelles tâches aux autorités. (…) Chacun de ces problèmes a trait au comportement humain et ne peut dès lors être uniquement résolu par de simples interventions techniques, règlements, lois ou moyens techniques. Ils relèvent en effet aussi de l’éducation, de l’éthique et de la mentalité. Les pouvoirs publics - dont le Gouvernement et le Parlement ne constituent qu’une partie, et au sein desquels la magistrature, l’appareil administratif et tous les responsables régionaux et locaux ont également leur place - se heurtent très souvent aujourd’hui aux limites de leurs capacités techniques et financières. (…) (L’influence des pouvoirs publics) dans de nombreux domaines de la société est devenue telle que l’ensemble devient difficile à gérer, d’autant plus que le consensus social dans bien des domaines est plus difficile à réaliser. En tant que représentants politiques démocratiquement élus, nous assumons une large responsabilité dans la société. Au travers des débats que nous menons et des choix que nous opérons, nous devons être parmi les initiateurs de la rénovation sociale. Mais nous ne pouvons pas assumer cette tâche seuls. Au cours des dernières années, nous avons eu la tentation, et nous avons parfois été contraints, d’assumer toujours plus de responsabilités dans de très nombreux domaines. La politique doit pourtant éviter de donner l’impression qu’elle peut tout résoudre à la fois. Elle doit prendre des engagements clairs, créer le cadre nécessaire au développement de la vie économique, sociale et intellectuelle et essayer de formuler une réponse précise aux besoins et aspirations du citoyen".
  • [34]
    Voir E. Lentzen, "Une législature de réformes institutionnelles", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1476-1477, 1995 ; Y. Delvaux, "Statut matériel du Parlement fédéral et de ses membres", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1514, 1996.
  • [35]
    Extraits d’une interview de Jean-Luc Dehaene, La Libre Belgique, 7 octobre 1996.
  • [36]
    Les interpellations provenant de tous les partis représentés portaient sur les rapts d’enfants, la pédophilie, la manière dont sont menées les enquêtes relatives aux disparitions de mineurs, le rééchelonnement des peines suite à l’abolition de la peine de mort, les mesures annoncées par le gouvernement en matière de politique carcérale, la spécialisation des services de police et leur coopération, etc. Rappelons que la loi du 10 juillet 1996 (Moniteur belge, 1er août 1996) a aboli la peine de mort, celle-ci n’était toutefois plus appliquée depuis près de 80 ans pour les crimes de droit commun. Le vote a eu lieu à la Chambre le 13 juin 1996 à une très large majorité, seuls le Vlaams Blok et le Front national ont émis un vote négatif.
  • [37]
    La Libre Belgique, 7 octobre 1996. Sur les limites de l’"imagination du juge", voir Pierre Drai, "Le délibéré et l’imagination du juge", Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Paris, Dalloz, 1996, pp.107-120.
  • [38]
    Pour le philosophe Jean Ladrière, "beaucoup ont le sentiment de se trouver devant un appareil juridique qui serait pris dans une contradiction qu’il a lui-même créée. (…) La contradiction, c’est qu’il y a, d’une part, des règles abstraites, des formes qui régissent des procédures et donc un certain formalisme. Et d’autre part, il y a une intuition morale. Ce n’est pas un sentiment mais la perception d’une valeur. La population est choquée par la mise sur le même pied des criminels et des victimes, quelles que soient les mesures envisagées pour traiter les criminels humainement. Et il y a aussi la crainte pour l’appareil judiciaire que de paraître faire marche arrière en cas de dessaisissement voire de la mise au point d’un compromis. On est vraiment face à une situation critique où l’on voit la différence entre la loi et la morale" (Le Soir, 14 octobre 1996).
  • [39]
    Philippe Toussaint commente cette situation de la manière suivante : "(…) M. Connerotte s’est mis dans une situation catastrophique, soit par ignorance des dispositions du code judiciaire, ce qui n’est guère pensable, soit qu’il ait été entraîné par le sentiment exaltant - mais combien dangeureux ! - d’être un juge populaire et de pouvoir en appeler, le cas échéant, au-delà des règles de droit, à la nation, en se conduisant comme un juge élu. Ce ne serait qu’absurde si les circonstances ne donnaient un immense crédit populaire à ce dont on ne sait s’il s’agit de désinvolture ou d’une faute délibérée. (…) Combien, si j’étais juge, j’en voudrais à M. Connerotte d’obliger la Cour de cassation à attiser encore la crise en examinant la requête en suspicion légitime du conseil de Marc Dutroux ! Car, enfin, où un homme réputé assez intelligent, comme M. Connerotte, veut-il en venir ? A ce que la justice elle-même dise que certains justiciables n’ont pas de droits de défense, que l’une ou l’autre partie à un procès a raison et l’autre tort par définition ? Et, qu’en un mot comme en cent, on devrait lyncher Dutroux dans sa cellule et que tout soit dit ? " (Le Vif/L’Express, 4 octobre 1996). Voir aussi le Journal des procès, éditoriaux des 4 et 18 octobre 1996.
  • [40]
    Les principaux attendus de cet arrêt sont les suivants : "(…) Attendu que l’impartialité des juges est une règle fondamentale de l’organisation judiciaire, qu’elle constitue avec le principe d’indépendance des juges à l’égard des autres pouvoirs, le fondement même non seulement des dispositions constitutionnelles qui règlent l’existence du pouvoir judiciaire mais de tout Etat démocratique ; que les justiciables y trouvent la garantie que les juges appliqueront la loi de manière égale ; Attendu que la condition essentielle de l’impartialité du juge d’instruction est son indépendance totale à l’égard des parties en manière telle qu’il ne puisse s’exposer au soupçon de partialité dans l’instruction des faits, que ce soit à charge ou à décharge ; que le juge d’instruction ne cesse à aucun moment d’être un juge ne pouvant susciter dans l’esprit des parties ou dans l’opinion générale une apparence de partialité ; qu’aucune circonstance, fût-elle exceptionnelle, ne le dispense de ce devoir, (…) que le juge d’instruction qui a été reçu par une partie à ses frais ou qui a agréé d’elle des présents, et a manifesté de la sorte sa sympathie à l’égard de cette partie, se met dans l’impossibilité d’instruire la cause de celle-ci, sans susciter chez les autres parties, notamment les inculpés et les tiers, une suspicion quant à son aptitude à remplir sa mission d’une manière objective et impartiale ; Attendu qu’il ressort des pièces auxquelles la cour peut avoir égard (…) que les faits ci-dessus énoncés sont avérés et pertinents et que de surcroît, le juge Connerotte avait reçu en ses mains une constitution de partie de l’asbl Marc et Corinne contre le requérant ; Attendu qu’il y a lieu de dessaisir sur-le-champ ce juge d’instruction des dossiers concernant ledit requérant ; Attendu que, par ailleurs, la nécessité de poursuivre sans désemparer ainsi que l’ampleur des moyens déployés sur place par les enquêteurs commandent le renvoi de la cause à un juge d’instruction du même arrondissement (…)".
  • [41]
    La Libre Belgique, 15 octobre 1996. Voir également la position de la Ligue des familles : "Contrairement à ce que certains hommes politiques ont voulu faire croire, ce n’était pas à la Cour de cassation à faire preuve d’imagination pour créer le droit, car cela aurait été se substituer à eux dans un rôle qui leur revient de droit dans un régime démocratique qui garantit la séparation des pouvoirs", Le Ligueur, 23 octobre 1996.
  • [42]
    La Libre Belgique, 15 octobre 1996.
  • [43]
    La Fédération des entreprises de Belgique a réagi aux débrayages par la voix de son administrateur-délégué Tony Vandeputte : "Comme citoyen, je comprends la douleur des gens. Néanmoins il faut s’interroger sur les moyens utilisés pour exprimer ses émotions. Désorganiser le travail n’apparaît pas comme le moyen approprié. L’entreprise n’est pas concernée par ce problème et n’a aucune prise sur les événements (…) elle n’a pas à être pénalisée" (La Dernière Heure, 16 octobre 1996).
  • [44]
    Le roi avait une première fois reçu les parents des victimes début septembre en présence du ministre de la Justice et avait demandé à ce dernier que toute la clarté soit faite sur l’affaire et sur l’enquête, s’engageant de plus à maintenir un dialogue avec les familles. Le communiqué publié par le palais à l’issue de la rencontre annonçait la table ronde d’octobre.
  • [45]
    Le Soir, 19-20 octobre 1996.
  • [46]
    Des partis extrémistes ont cherché à intervenir directement ; une mise en demeure a été adressée par les familles Russo et Lejeune du Parti au travail de Belgique-PTB de cesser de diffuser des affiches avec son sigle pour appeler à participer à la marche. Le président du Tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en référé (procédure d’urgence) a accueilli une demande d’interdiction de distribution de ce matériel.
  • [47]
    Voir Jacques Sojcher, "Dutroux est-il un monstre ?", Espace de libertés, n°244, octobre 1996.
  • [48]
    Mony Elkaïm, Le Soir, 22 octobre 1996.
  • [49]
    Jean Puissant, professeur à l’ULB, récuse qu’il y ait une Justice de classe dont la preuve aurait été le dessaisissement par la Cour de cassation du juge d’instruction en charge du dossier : "Au contraire c’est un principe démocratique pour lequel quelques milliers de personnes sont mortes pour abolir l’arbitraire de la Justice de l’Ancien Régime. Le problème est que la Justice apparaissait comme une institution qui n’était pas en crise (…). Mais, maintenant la population a l’impression que la Justice mettrait des bâtons dans les roues dans une enquête. (…) C’est une affaire difficile. En raisonnant on a l’impression de ne pas partager l’émotion et de justifier, ce qui n’est pas le cas (…)". (La Wallonie, 16 octobre 1996).
  • [50]
    L’attente est particulièrement forte à l’égard du pouvoir politique vis-à-vis duquel aussi le plus grand nombre de reproches est adressé - en ce compris de ne pas être capable de résoudre des problèmes dans des domaines où il ne dispose pas ou plus du pouvoir de décision, d’injonction ou de contrôle (par exemple, l’économie et la finance), ce qui tend à faire croître encore le sentiment d’insécurité.
  • [51]
    Arrêt du 5 novembre 1920, Pasicrisie, 1920, I, p.193. C’est un fait divers qui est au départ de cette affaire : "la chute d’un arbre croissant sur le domaine public de la ville de Bruges endommage les plantations d’un agriculteur" (C. Cambier, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968, pp.570-571) qui perdra cependant son procès en responsabilité, le tribunal estimant que la puissance publique ne peut engager sa responsabilité. La Cour de cassation affirmera le principe contraire.
  • [52]
    Dans la Constitution de 1831, le pouvoir judiciaire - historiquement une nouveauté dans les démocraties européennes, en tant qu’il est d’emblée établi comme pouvoir à part entière et indépendant - est investi de la mission de censurer, dans des cas individuels, l’illégalité de l’action de l’exécutif (article 159 de la Constitution).
  • [53]
    Moyen d’incitation au respect de la décision du juge, par la menace d’avoir à payer une somme forfaitaire en cas d’inexécution de la décision ; cet "incitant" a été introduit par une loi en 1980 pour le pouvoir judiciaire.
  • [54]
    Voir par exemple Michel van de Kerchove, "Accélération de la justice pénale et traitement en « temps réel »", Journal des procès, n°311-312, 4 et 18 octobre 1996. Au "snelrecht" en matière pénale ou répressive, fait écho en matière civile l’essor considérable - sur le double mode de l’évolution et de l’explosion - de la juridiction des référés : il s’agit en ce cas de procéder à la régulation provisoire et dans l’urgence de situations problématiques, par le truchement d’un juge qui, sans "dire le droit", prend des "mesures" qui relèvent davantage d’une fonction de "police" que d’une démarche classique de Justice, ce qui n’est pas sans risque de confusion des rôles et des genres ("(…) que les juges laissent la police aux policiers", J. Linsmeau, "Le référé. Fragments d’un discours critique", Revue de droit de l’ULB, 1993-1, p.35). Ces dernières années, se sont également multipliées les législations permettant de trancher des conflits ou litiges "au fond" - en disant donc le droit - mais selon des procédures "comme en référé", c’est-à-dire accélérées et simplifiées, plus proches du temps réel.
  • [55]
    C’est ce qui se manifeste à travers les revendications d’une Justice à la fois "plus humaine", "plus accueillante", "plus chaleureuse", "plus à l’écoute des souffrances et des émotions". Il y a, dans cette demande, une part légitime d’attente de restauration - ou d’instauration - au stade judiciaire d’un espace de convivialité ; s’y manifeste aussi, à travers le souhait d’une justice "déformalisée" ou "en accès direct", la tendance à une occultation de sa fonction de pouvoir et de sa réalité institutionnelle. Cette tendance pourrait, si l’on ne prend garde à maintenir la spécificité des fonctions de poursuivre et de juger, comporter un risque de confusion des rôles.
  • [56]
    "Justice et barbarie 1940-1944", Juger, n°6-7, 1994.
  • [57]
    Qui ne s’est collectivement mobilisé, après guerre, qu’à deux reprises : à la fin des années 1970, pour la défense du régime favorable des pensions, lié à l’éméritat - qui fut néanmoins supprimé - et, en mai 1991, pour un accroissement des moyens budgétaires, humains et matériels.
  • [58]
    Même s’il y a, depuis l’origine, un Ministère et un ministre de la Justice, cette référence explicite à une vertu n’est pas employée par la Constitution et ne l’est pratiquement jamais par la loi. Le judiciaire est le seul des trois pouvoirs constitutionnels à être ainsi généralement désigné par allusion à un idéal, ce qui contribue à occulter sa nature profonde de pouvoir au sens le plus politique du terme.
  • [59]
    La loi du 18 juillet 1991 instaure un système de "filtrage objectif", préalable à l’accès à la carrière de magistrat. Deux voies s’ouvrent au candidat à une fonction "de base" dans la magistrature (juge ou substitut) : soit, après une année de barreau (avocat), un concours qui donne accès, dans l’ordre du classement, à un stage judiciaire de 18 (substitut au parquet) ou 36 mois (juge au tribunal), éventuellement prolongeable avant nomination ; soit après une dizaine d’années d’expérience professionnelle dans une fonction juridique (essentiellement le barreau), un examen au terme duquel est constituée une "réserve de recrutement". A l’issue du stage ou en cas de succès à l’examen, la nomination est et reste le fait du ministre, ce qui maintient la possibilité d’appréciations de type politique. Il s’agit donc d’un système d’objectivation plutôt que de dépolitisation. Seule la généralisation du recrutement par concours et celle de la carrière plane seraient de nature à entraîner une réelle dépolitisation des nominations et des promotions (tel est partiellement le cas pour de hautes fonctions comme celles de l’auditorat du Conseil d’Etat, des référendaires à la Cour d’arbitrage ou des inspecteurs des Finances).
  • [60]
    Les femmes n’ont eu accès à la magistrature qu’à partir de 1948, soit en même temps que leur accès au suffrage universel pour les élections législatives. Sur la féminisation de la magistrature, voir le Bulletin de l’Union internationale des magistrats (section belge), octobre 1988.
  • [61]
    Renforcement des fonctions du juge et du tribunal de la jeunesse (1965) ; en 1967 (entrée en vigueur en 1970), création des tribunaux et cours du travail, rénovation des tribunaux de commerce, institution d’un juge des saisies (chargé de veiller à la régularité des mesures conservatoires et d’exécution forcée sur les biens, alors qu’il n’existe toujours pas de juge de l’exécution "sur les corps" ou juge d’application des peines).
  • [62]
    Il reste que la représentation socialiste est encore nettement inférieure au poids électoral de cette famille politique, venue relativement tardivement aux affaires de Justice, soit seulement après que le suffrage universel ait sorti tous ses effets.
  • [63]
    Sans préjudice de l’affiliation de magistrats aux organisations syndicales représentatives de la fonction publique (CGSP, CCSP, SLFF), les associations regroupant spécialement des magistrats - principalement des associations de fait n’ayant pas opté pour un statut juridique déterminé (par exemple, asbl) - se sont surtout structurées sur une base corporative soit en fonction du niveau de juridiction (Union nationale des magistrats de 1ère instance (1970), Union des magistrats des cours d’appel (1971),…), soit en fonction de la spécialisation des magistrats concernés (Union royale des juges de paix et de police (asbl depuis 1922), Fédération nationale de magistrats de la jeunesse (initiée en 1913 et consacrée en 1982), Union des juges des tribunaux de commerce (dès 1937), Association belge des juges d’instruction (1996). Il existe, depuis 1969, une Commission nationale de la magistrature qui prétend à la représentation de l’ensemble de la magistrature - et non du pouvoir judiciaire - mais ne dispose ni d’un statut juridique précis, ni d’une reconnaissance légale, tout en étant à l’occasion considérée comme un interlocuteur (de fait) privilégié. Il existe enfin dans chacune des deux Communautés une association à vocation plus prospective que strictement corporative ou syndicale : il s’agit, en Communauté française, de l’Association syndicale des magistrats et en Communauté flamande de Magistratuur en Maastschappij. Pour un descriptif exhaustif de ces organisations, voir la dernière mercuriale - discours de rentrée - du procureur général, aujourd’hui émérite, près la Cour de cassation, Jacques Velu, "Représentation et pouvoir judiciaire", Journal des tribunaux, n°5814 et 5815, 12 et 19 octobre 1996, sp.pp.655-666.
  • [64]
    Antoine Garapon, La République pénalisée, Paris, Hachette, 1996, et interview au Nouvel Observateur, n°1666, 10 octobre 1996.
  • [65]
    La Constitution leur consacre un seul article (art. 153) : "Le roi nomme et révoque les officiers du ministère public près les cours et tribunaux". Si cette disposition se trouve sous le chapitre "Du pouvoir judiciaire", elle n’en indique pas moins le lien entre le parquet et le gouvernement.
  • [66]
    Il s’agit de la réunion "de fait", autour du ministre de la Justice, des procureurs généraux près les cours d’appel (Bruxelles, Liège, Gand, Anvers, Mons). Ces cinq "hauts magistrats" exercent des responsabilités importantes et disposent de pouvoirs considérables dans l’administration de la Justice, ce qui rend leurs fonctions politiquement sensibles. Depuis la dernière déclaration gouvernementale, il est envisagé d’institutionnaliser ce collège en lui donnant une existence légale, ce qu’a récemment confirmé le Premier ministre (un projet de texte législatif a été rédigé).
  • [67]
    Il ne serait matériellement pas possible - ni nécessairement souhaitable - de poursuivre devant le tribunal toutes les infractions constatées. Il y a donc lieu de sélectionner les dossiers qui donneront lieu à procès et ceux qui feront l’objet d’un "classement sans suite" ou d’une proposition de transaction et ce, sur la base de critères qui, idéalement, doivent être les plus objectifs possibles, pour limiter le risque d’arbitraire. La définition de ces critères relève de ce que l’on appelle la "politique criminelle", indispensable dans le système dit "d’opportunité des poursuites", par opposition au système dit de "légalité des poursuites", concrètement impraticable en raison de la "surpénalisation" des relations sociales (multiplication des cas de non-respect de la loi, dans lesquels celle-ci prévoit une sanction pénale qui dénote une préférence pour le recours à une approche judiciaire moins fine, moins subtile, moins "civile" (civilisée ?) des manquements et des responsabilités (A. Garapon, op. cit.).
  • [68]
    Sur le statut du ministère public, voir "Le ministère public" et "Le ministère public en question", Bulletin de l’UIM, mai 1986 et octobre 1987 ; François Perin, "Du ministère public", Les pouvoirs du judiciaire, sous la direction de Ch. Panier et Foulek Ringelheim, Bruxelles, Editions Labor, 1987, pp.87-100 ; Un ministère public pour son temps, Actes du colloque organisé à la Cour de cassation par le Ministère de la Justice et les procureurs généraux les 7 et 8 octobre 1994, Ed. du Moniteur belge, 1994.
  • [69]
    De plus en plus d’associations - de type asbl - réclament et, dans certains cas, se voient reconnaître un droit d’action en matière pénale pour la représentation et la défense d’intérêts collectifs partiels (ainsi, en matière d’environnement, de répression du racisme, …). En ces cas, l’on peut s’interroger sur la subsistance du pouvoir exclusif du parquet de représenter l’intérêt général (Paul Martens, "Conclusions", Racisme, égalité. Que peuvent les juristes ?, Actes de la journée d’études du 27 avril 1996, publiés par l’Association pour le droit des étrangers, 1996, pp.97-98).
  • [70]
    Voir Lode Van Outrive, "Les services de police belges : spécialisation, répartition des tâches et coopération ne sont pas synonymes", Journal des procès, n°311-312, 4 et 18 octobre 1996 ; voir aussi "Dérives sécuritaires", Cahiers marxistes, n°200, novembre-décembre 1995.
  • [71]
    La crise du Juge, édité par Jacques Lenoble, Bruxelles, Story Scientia, et Paris, L.G.DJ., 1990.
  • [72]
    Ainsi en va-t-il, singulièrement, de la délinquance financière et fiscale à dimension transnationale, dont l’élucidation par des systèmes judiciaires confinés aux territoires des Etats nationaux, constitue un défi majeur pour ces systèmes et pour la survie des démocraties. Est significatif à cet égard "l’appel de Genève" lancé par sept hauts magistrats européens, dont le procureur du Roi de Bruxelles, Benoît Dejemeppe, en vue d’un renforcement et d’une réelle coordination des moyens de lutte contre cette forme de criminalité (voir Denis Robert, La Justice ou le chaos, Paris, Stock, 1996).
  • [73]
    Ainsi, peuvent cœxister, pour une même situation litigieuse, les référés judiciaire et administratif ; la procédure "au fond" et "comme un référé", la voie pénale et la voie civile, … En matière de protection de la jeunesse, devenue aide à la jeunesse, la communautarisation ne s’est assurément pas réalisée dans l’harmonie souhaitable entre pouvoir (judiciaire) fédéral et pouvoir (administratif) communautaire, alors que planent de sérieuses menaces de "repénalisation" de la protection de la jeunesse (voir Journal du droit des jeunes, n°153, mars 1996).
  • [74]
    Telle la "civilisation" du procès pénal dans le contexte des multiples actions en cessation et, inversement, la "pénalisation" du contentieux de la vie privée.
  • [75]
    Cette attente a toutefois reçu un début de concrétisation à l’occasion du colloque "Justice et médias", organisé au Sénat par la commission de la Justice les 7, 8 et 9 décembre 1995, dont les actes ont été publiés par les Ed. du Moniteur belge.
  • [76]
    "Justice et médias. Les mirages de la Justice virtuelle", Juger, n°8-9-10, 1995.
  • [77]
    Voir Guy Cumps, président de l’Union nationale des magistrats de première instance, "Le manque de moyens et le découragement des magistrats", Vers l’Avenir, 30 septembre 1996.
  • [78]
    Ceux de la Justice ont notablement augmenté en valeur nominale, ces huit dernières années ; en valeur relative, la progression est moins flatteuse (voir Christine Matray, "Le budget de la Justice : une peau de chagrin", Journal des procès, n°310, 20 septembre 1996).
  • [79]
    Arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1991, Journal des tribunaux, 1992, p.499.
  • [80]
    En 1985 et 1992, des lois d’organisation et de procédure ont été modifiées à des fins de résorption de l’arriéré judiciaire et dans le sens d’une diminution des cas dans lesquels les affaires doivent obligatoirement être jugées par trois magistrats ayant entre eux un débat (délibéré) secret sur la solution. Pratiquement, au sein des tribunaux de première instance, seuls restent obligatoirement et d’office soumis à des "chambres à trois juges" les appels de décisions des juges de paix et de police, ainsi que les affaires pénales de mœurs, de non-paiement de pensions alimentaires ou de non-représentation d’enfants. Certes, la personne convoquée devant le tribunal peut-elle, dans certaines conditions, demander une "chambre collégiale", mais cette possibilité est rarement utilisée en raison de la crainte d’un traitement plus lent du dossier. Si la collégialité - obligatoire à la Cour de cassation (5 magistrats), dans les cours et tribunaux du travail ainsi que dans les tribunaux de commerce (avec des juges-assesseurs issus des milieux professionnels concernes) - reste encore de réglé dans les cours d’appel, elle tend néanmoins à s’y atténuer. La "culture du débat sur le débat", de la réflexion commune et de l’échange de vues, susceptibles de conforter la légitimité de l’institution, s’estompe en conséquence (voir A. Kebers, "De quelques paradoxes et perpectives", "Le juge unique", Bulletin de l’UIM, décembre 1985).
  • [81]
    Le juge qui est nommé, photographié, interviewé,… dans le cadre d’un dossier précis, est vite transfigure en un héros ou en un anti-héros selon les circonstances. Sur sa personne, et surtout sur son image, bien plus que sur son travail ou sur son exacte fonction, se focalisent toutes les attentes ou tous les griefs vis-à-vis de l’institution judiciaire, ainsi réduite à une figure emblématique, occultant les différences de responsabilité selon qu’il s’agit d’un juge ou d’un procureur, gommant ou gonflant l’exacte distinction entre Justice et polices, entre pouvoir judiciaire et polique. Et accentuant l’individualisme mis en spectacle au détriment de la symbolique fondamentale de la "triangulation" dans le procès : le juge, pour pouvoir "arbitrer", doit incarner (et n’incarner que) l’extériorité institutionnelle du pouvoir qu’il sert par rapport aux personnes, aux intérêts, aux droits ou aux enjeux en cause dans le conflit qu’il s’agit, par son intervention, de résoudre en dépassant les logiques purement individualistes des protagonistes. La Justice n’est pas délocalisable dans les médias (voir "Justice et Médias. Les mirages de la justice virtuelle", Juger, n°8-9-10,1995).
  • [82]
    Il pourrait ainsi être fait partiellement suite à la demande de procédures de "contrôle externe", sans qu’il soit porté atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à l’indépendance des juges.
  • [83]
    A l’instar de l’Institut des hautes études sur la Justice, qui a été récemment créé en France.
  • [84]
    Instauration de la fonction de porte-parole du pouvoir judiciaire (conciliable avec la création d’une fonction semblable au sein même des différentes juridictions).
  • [85]
    Sur le modèle du médiateur.
  • [86]
    Plusieurs responsables politiques ont insisté sur sa composition "pluraliste", seule susceptible d’éviter le corporatisme. Ce conseil pourrait également être amené à jouer un rôle à tout le moins consultatif, voire même délibératif, dans les nominations et promotions des magistrats, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il faut créer une "école de la magistrature" (comme en France depuis 1958) ou s’il suffit d’étendre et de renforcer le système de sélection préalable par concours ou examen, mis en place en 1991.
  • [87]
    Rapports de la Commission pour le droit de la procédure pénale, Ed. Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège et Ed. Maklu, 1994 et 1995.
  • [88]
    Cette réforme est revendiquée depuis de nombreuses années ; elle fut notamment proposée par le professeur Robert Legros, nommé Commissaire royal à la réforme du code pénal, et dont le rapport datant de 1985 (Avant-projet de code pénal, Ed. du Moniteur belge) fut pratiquement "classé sans suite” par le ministre de la Justice Jean Gol (voir également les Actes des Assises de la politique pénitentaire, tenues à Namur le 6 novembre 1982 par diverses associations de juristes).
  • [89]
    Juge à part entière, puisqu’appartenant au tribunal de première instance, mais ayant aussi la qualité d’officier de police judiciaire, par quoi il est soumis au contrôle du parquet ; ce qui a fait dire qu’il était un "magistrat accroupi" (Guy Coméliau, "Vouloir être juge d’instruction", La Libre Belgique, 12-13 octobre 1996 ; voir aussi "Les désarrois du juge d’instruction", sous la direction de Christian Panier, Revue de droit pénal et de criminologie, 1990, pp.809 à 932).
  • [90]
    "Il faut moins de lois, mais les garantir par plus de sanctions, quitte à réduire des deux tiers les délits et à refaire un code pénal mieux formulé", en vue de "rendre à la norme sa visibilité" et à l’interdit, sa "lisibilité" (Antoine Garapon, Esprit, n°216, novembre 1995, p.169).

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.172

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions