Notes
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[1]
Voir Pierre Blaise, "L’accord interprofessionnel du 9 décembre 1992", Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 388-1389, 1993.
-
[2]
Idem.
-
[3]
Voir Pierre Biaise, Evelyne Lentzen, "La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. 2. La politique budgétaire", Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1405-1406, 1993, pp.25-26.
-
[4]
Appelée aussi Table ronde fédérale de l’emploi.
-
[5]
Entretien avec J.-L. Dehaene, Le Soir, 12 juillet 1993.
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[6]
Placé sous la présidence d’A. Verplaetse (CVP), gouverneur de la Banque nationale et le vice-présidence de R. Tolle (PS), président du Conseil central de l’économie, ce groupe est composé de M. Jadot (PS), président du Conseil général de l’INAMI et secrétaire du Conseil national du travail, H. Bogaert (PSC), commissaire au Plan, P. Van Rompuy (CVP), président de la section "Besoins de financement des pouvoirs publics" du Conseil supérieur des finances et H. Verwilst (SP), président du comité exécutif de la CGER-Holding.
-
[7]
Ce communiqué est signé par G. Jacobs (FEB), P. Thys (NCMV), R. Mené (UCM), R. Eeckloo (Boerenbond), W. Peirens (CSC), F. Janssens (FGTB) et W. Waldack (CGSLB).
-
[8]
Willy Peirens, Le Soir, 11-12 septembre 1993.
-
[9]
Le 9 février 1993, le Conseil général de la CSC avait décidé de lancer une réflexion sur la réduction du temps de travail. Le syndicat escomptait fixer sa position en novembre. En septembre la poursuite des discussions internes est reportée, aucune formule n’ayant pu faire l’unanimité au sein de l’organisation. Le débat sur le pacte social prend la priorité.
-
[10]
Telex, 21 septembre 1993, p.3.
-
[11]
Idem, p.6.
-
[12]
Idem, p.7.
-
[13]
Idem, p.12.
-
[14]
Idem, p.15.
-
[15]
Syndicats, 2 octobre 1993, p.3.
-
[16]
Idem.
-
[17]
Idem.
-
[18]
Malgré sa demande, la CGSLB est systématiquement exclue des discussions entre syndicats pour la définition des positions communes.
-
[19]
L’Echo, 24-26 juillet 1993.
-
[20]
Le Soir, 6 septembre 1993.
-
[21]
Le Soir, 2 septembre 1993.
-
[22]
Feb-infor, 15 octobre 1993.
-
[23]
L’Echo, 3 septembre 1993.
-
[24]
Voir Pierre Blaise, Evelyne Lentzen, "La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. 2. La politique budgétaire", Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1405-1406, 1993, pp.40-50.
-
[25]
Dix-neuf réunions, représentant une somme d’environ 80 à 90 heures de travail.
-
[26]
Une vue plus détaillée des mesures préconisées par le rapport des experts est donnée en annexe.
-
[27]
Le Soir, 22 octobre 1993.
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[28]
Idem.
-
[29]
Idem.
-
[30]
La Libre Belgique, 23-24 octobre 1993.
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[31]
Le Soir, 26 octobre.
-
[32]
Idem.
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[33]
M. Smet, ministre de l’Emploi et du Travail, Ph. Maystadt, ministre des Finances, A. Bourgeois, ministre des PME et de l’Agriculture, Fr. Willockx, ministre des Pensions et B. Anselme, ministre des Affaires sociales, de la Politique familiale et des Handicapés.
-
[34]
Le projet d’accord de solidarité sociale de 1944, négocié dans la clandestinité pendant la guerre entre des dirigeants patronaux et syndicaux avec la collaboration de hauts fonctionnaires, contenait des propositions à mettre en œuvre dès la cessation des hostilités. Il consacrait la reconnaissance des interlocuteurs sociaux déjà expérimentée avant la guerre, définissait les conditions de leur autonomie dans la négociation pour le partage des fruits de la croissance économique, les associait à tous les niveaux de la décision politique en matière économique et sociale et jetait les bases d’un système généralisé de sécurité sociale.
-
[35]
Ceci est constaté également pour la période conflictuelle qui a suivi l’accord gouvernemental sur le plan global.
Introduction
1La politique socio-économique a dans une large mesure été consacrée, de juillet à décembre 1993, aux négociations en vue d’un "pacte social" sur l’emploi, la compétitivité des entreprises et la sécurité sociale. L’échec des négociations tripartites a conduit le gouvernement à prendre lui-même les mesures qu’il proposait aux interlocuteurs sociaux. Ce processus illustre les difficultés que traverse le système des relations collectives du travail dans une période où une approche globale des problèmes socio-économiques impose des arbitrages parfois douloureux aux organisations représentatives.
2Le présent Courrier hebdomadaire traite d’un processus de décision en partie achevé et encore en cours pour une autre partie. Il couvre la période qui va de l’invitation à la négociation lancée aux interlocuteurs sociaux par le Premier ministre en juillet 1993 à la présentation par le gouvernement de son "plan global" le 17 novembre 1993. Dans une première partie sont évoqués les divers éléments qui ont amené le Premier ministre à lancer son invitation. Parmi ces éléments se trouvent notamment des revendications syndicales.
3Dans leurs réactions à l’invitation, les principaux acteurs affirment leurs priorités respectives en attendant les conclusions du groupe d’experts chargé de faire des propositions en vue des négociations. Celles-ci commencent en fait de manière informelle pendant la période des travaux du groupe d’experts. A un jour d’intervalle ont été rendus publics le rapport des experts et un avant-projet de pacte social élaboré par le Premier ministre. Les deux documents font l’objet de la deuxième partie. Les réactions des organisations syndicales conduisent rapidement à la rupture des négociations et à une radicalisation des positions en présence (quatrième partie). La cinquième partie est consacrée au plan global du gouvernement. Dans la dernière partie sont analysés l’ensemble du processus et le mode de fonctionnement du système des relations collectives pendant cette période. Des éléments d’observation permettent d’éclairer les raisons de l’échec d’un pacte social négocié et d’ébaucher des conclusions sur l’état actuel des relations sociales.
La préparation de la négociation
4L’organisation d’une négociation de l’ampleur de celle qu’a proposée le Premier ministre est le résultat d’une convergence de demandes parmi lesquelles on retiendra notamment celles des syndicats pour une "approche globale".
5Une telle approche est demandée par la CSC et la FGTB en front commun depuis 1991. Les deux organisations négocient un programme commun sous la forme d’un mémorandum au gouvernement qu’elles présentent à la presse le 1er décembre 1991. L’emploi y apparaît comme "la priorité des priorités". La solidarité sociale doit être renforcée notamment par un financement stable et transparent et une plus grande participation des organisations syndicales dans la gestion de la sécurité sociale. Les deux syndicats optent aussi pour des mesures d’amélioration qualitative de la société. Ils reconnaissent que ces objectifs doivent être réalisés dans un contexte d’assainissement des finances publiques, de maintien de la compétitivité et de poursuite de l’unification européenne, sans cependant ériger ces conditions en buts. Ce mémorandum a été confirmé et complété à plusieurs reprises.
6L’idée d’un ensemble "équilibré" de mesures est évoquée dans l’accord de gouvernement présenté au Parlement par le Premier ministre le 9 mars 1992 : "Aussi bien dans le cadre du programme d’urgence 1992 que dans le cadre du programme pluriannuel, un ensemble équilibré de mesures sera élaboré, répartissant équitablement les efforts à consentir tant en ce qui concerne les dépenses qu’en ce qui concerne les recettes. L’effort sera basé sur un examen critique de l’ensemble des activités publiques, sans faire a priori une exception pour un domaine quelconque". L’idée d’une telle approche avec une mention explicite de la fiscalité est évoquée par le PS lors de l’élaboration du budget 1993. Ph. Busquin, président du PS, lance l’idée d’un "pacte social et fiscal" lors du congrès de son parti à Libramont en février 1993.
"L’approche globale" demandée par les syndicats
7Les revendications syndicales sont actualisées à l’occasion des négociations de l’accord interprofessionnel pour 1993-1994. Cet accord a été l’aboutissement d’une longue période de contacts informels et de négociations [1]. Malgré son importance et l’attachement que les interlocuteurs sociaux lui portent, ce niveau de négociation paritaire n’aborde pas les questions qui engagent le gouvernement sur des matières comme la sécurité sociale, l’assainissement des finances publiques et la fiscalité. Dans un préambule, l’accord situait la liberté de négociation par rapport à la situation compétitive : "Précisément par souci de la compétitivité et de l’emploi, les représentants des employeurs et des travailleurs ont conclu un accord interprofessionnel qui tient compte [du] contexte économique particulièrement difficile. C’est pourquoi, les interlocuteurs interprofessionnels demandent expressément aux travailleurs et aux employeurs, à tous les échelons, de s’inspirer de cet exemple en intégrant dans leurs négociations la préoccupation quant aux répercussions du coût salarial sur la compétitivité et quant à l’emploi. Pour le gouvernement aussi le souci de la compétitivité et de l’emploi doit être une priorité". Dans sa réponse aux interlocuteurs sociaux, le gouvernement constatait qu’ils étaient "disposés à affecter une partie de la masse salariale au développement de l’emploi (…)". Il leur lançait un appel "pour collaborer de manière constructive à la conférence de l’emploi qui sera organisée par le gouvernement au printemps 1993 et qui a pour but d’examiner la manière dont les efforts dans le domaine de l’emploi peuvent être optimalisés, dans le respect des dispositions de l’accord interprofessionnel".
8Le 16 octobre, durant les négociations en vue de la conclusion de l’accord interprofessionnel, la CSC et la FGTB avaient organisé "une journée d’action pour la solidarité" également destinée à faire pression sur le gouvernement afin qu’il s’engage dans une approche globale et à long terme sur l’emploi, la compétitivité, les finances publiques, la fiscalité, la sécurité sociale et la démocratie. La CGSLB s’était associée à cette journée d’action [2].
9Les contacts pris par la CSC et la FGTB pendant les négociations de l’accord interprofessionnel aboutissent le 11 février 1993 à l’élaboration d’une nouvelle position commune sur l’ensemble de ces sujets.
Emploi, fiscalité, sécurité sociale
Objectifs
Nous voulons transformer la société pour qu’elle devienne plus juste, plus solidaire, plus démocratique et plus tolérante. Nous voulons, en nous basant sur le mémorandum commun, réaliser cet objectif par :
- la promotion de l’emploi ;
- une fiscalité équitable ;
- la préservation de la sécurité sociale ;
- des services publics performants.
Nous répétons qu’une politique gouvernementale ne peut se laisser aveugler par les seuls chiffres et normes, qu’elle doit avant tout se baser sur un projet social et œuvrer pour la réalisation de celui-ci.
Aussi, nous plaidons pour une approche globale :
- qui, à la fois, offre la perspective pour le long terme d’une amélioration sur le plan social et apporte une solution aux problèmes à court terme des finances publiques ;
- qui poursuit l’assainissement des finances publiques par la réalisation de nos objectifs.
1. La promotion de l’emploi
La croissance et l’emploi peuvent être stimulés par :
- une stratégie européenne de croissance : le renforcement des initiatives timides d’investissements (Edimbourg), la création de la marge financière nécessaire (baisse des taux d’intérêt, réformes fiscales, révision des critères de convergence) ;
- une politique de l’emploi intérieure active :
- le renforcement structurel et qualitatif de la compétitivité de l’économie : renforcement des structures industrielles, amélioration de l’infrastructure et de l’environnement économiques ;
- investissements publics sélectifs dans le logement social, la lutte contre la pauvreté, la sécurité, en assainissement des sites industriels, en embellissement du paysage, en environnement, en communications, …
- le développement du secteur quaternaire (privé et public) ;
- formes de réduction de la durée du travail créatrices d’emploi :
- réduction sélective et collective de la durée du travail (avec maintien du salaire) par CCT ;
- planning de la carrière : droit à l’interruption de carrière, emplois de début et de fin de carrière ;
- dispositions en matière de durée du travail pour le personnel de direction et le personnel de confiance ;
- lutte contre le travail au noir, la sous-traitance et les abus en matière de détachement international ;
- réduction des cotisations sociales à des conditions précises (voir-ci-après) ;
- mode de financement alternatif de la sécurité sociale : examen et expériences.
La politique fiscale doit mettre en œuvre les propositions de notre mémorandum commun s’appuyant sur les lignes de force suivantes :
- poursuite de la réforme de l’impôt des sociétés ;
- élimination des discriminations fiscales entre revenus du travail et revenus du capital (entre autres, globalisation des revenus) ;
- réforme de la procédure fiscale et de l’administration fiscale en vue d’une perception correcte de l’impôt et d’une lutte effective contre la fraude ;
- harmonisation fiscale européenne excluant le dumping fiscal et créant une marge pour une Europe sociale.
Le service au public et le bon fonctionnement des services publics et des entreprises publiques doivent être préservés :
- pas de vente d’actifs publics qui met en danger la gestion publique ainsi que le statut et l’emploi des agents concernés ;
- pas de filialisation d’activités prises en charge par le service public pour les privatiser par la suite, pas de démantèlement d’activités à la SNCB et à la Poste par le blocage des subsides ;
- restructuration des IPC (institutions publiques de crédit) avec au moins le maintien de 51 % de participations publiques, et sur la base d’une stratégie comme groupe public (participations croisées entre IPC).
4. La préservation de la sécurité sociale
Les allocations et les mécanismes de la sécurité sociale doivent être sauvegardés sans sélectivité, son caractère de solidarité nationale doit être préservé (avec application égale), et l’assiette financière de la Sécurité Sociale doit être renforcée par :
- des soins de santé de qualité, accessibles à tous mais mieux maîtrisés ;
- une augmentation de l’intervention de l’État, compte tenu de l’aggravation du chômage et des retombées des mesures d’économies (par ex. la suppression du service militaire) ;
- mise en œuvre effective de la réforme Moureaux ;
- mesures structurelles : sécurité des tarifs pour les patients, attention accrue pour la prévention et les soins de première ligne, revalorisation des actes intellectuels par rapport aux prestations techniques, dossier médical central, (…).
- emprunt de transition, en fonction de l’exécution des mesures structurelles et de la réforme Moureaux.
La prochaine concertation entre gouvernement, employeurs et syndicats doit porter aussi bien sur l’emploi et la fiscalité que sur la sécurité sociale. Ces trois thèmes doivent être abordés d’une manière globale et équivalente. Cette concertation doit pouvoir conduire à des orientations globales à court et à long termes.
Toutefois, de telles orientations communes ne prennent tout leur sens que si au préalable :
- toutes les parties sont prêtes à participer à une discussion sérieuse sur les problèmes placés dans cette perspective plus large ;
- la fraude fiscale, la fraude sociale et le travail noir sont effectivement combattus et que si les mesures structurelles en matière de soins de santé sont mises en œuvre.
1. Emploi dans et par les entreprises
- par un abaissement sélectif des cotisations patronales à la sécurité sociale, à la condition que :
- la réduction ne se fasse pas au détriment de la sécurité sociale ;
- la diminution des recettes pour la Sécurité Sociale soit compensée par une intervention accrue de l’État qui est financée par un produit accru de l’impôt des sociétés qui doit être garanti par l’instauration d’un impôt des sociétés minimum alternatif ;
- cette réduction soit affectée à la création ou au maintien de l’emploi (par exemple par le biais de la diminution du temps de travail), réglés par CCT.
(voir propositions ci-dessus), financée par des moyens nouveaux, par exemple une partie du produit d’un impôt accru sur les revenus de capitaux.
3. Sauvegarde structurelle de la sécurité sociale
- intervention accrue de l’État, à financer par des moyens nouveaux, par exemple une partie des recettes d’un impôt accru sur les revenus de capitaux et une partie du produit de nos autres propositions fiscales :
1. Assainissement progressif
Nous répétons que cet assainissement doit être progressif pour limiter les effets néfastes sur l’économie et l’emploi et pour éviter des mesures sociales drastiques.
Nous mettons aujourd’hui particulièrement l’accent sur le caractère progressif, vu :
- la très grande faiblesse de la conjoncture ;
- la détérioration de la situation budgétaire dans les autres pays de la Communauté européenne ;
- la révision d’un paramètre important (nouveau calcul du PNB).
- en étalant l’effort sur plusieurs années compte tenu de la conjoncture ;
- en tenant compte de la conjoncture économique au niveau du respect des critères de l’UEM.
L’assainissement doit se faire par :
- une perception correcte des impôts et une réelle volonté politique pour combattre la fraude fiscale ;
- la remise à niveau des recettes publiques qui accusent un retard ;
- un allégement tangible de la charge des intérêts : baisse attendue des taux d’intérêt, poursuite d’une gestion dynamique de la dette, ré-échelonnement de la dette en cas de baisse durable des taux d’intérêt ;
- la continuation de la maîtrise des dépenses publiques (qui en 1992 sont d’ailleurs restées en-deçà des prévisions) et ce tout en préservant l’emploi dans les services publics.
- un saut d’index ;
- une taxation unilatérale des carnets d’épargne ordinaires ;
- une limitation sélective des allocations et prestations sociales."
10Ensemble les deux organisations font pression sur le gouvernement réuni en conclave budgétaire à Val Duchesse les 18 et 19 mars 1993. Evaluant les décisions gouvernementales [3] les deux organisations syndicales estiment que leur campagne de sensibilisation et leurs actions ont produit des résultats mais "continuent d’insister sur la nécessité d’une approche globale à court et à long termes des finances publiques, de la compétitivité, de l’emploi, de la sécurité sociale et de la fiscalité."
11Les concertations suivantes ne sont cependant pas moins partielles que les précédentes. Ainsi en est-il de la concertation sur la compétitivité des entreprises. Dans son avis unanime du 12 mars 1993, le Conseil central de l’économie reconnaît que, selon les termes de la loi, la compétitivité des entreprises est menacée. Après l’échec de la négociation directe entre interlocuteurs sociaux et celui de la concertation tripartite du 18 mai, le gouvernement prend la décision d’abaisser les charges des entreprises dans les secteurs exposés à la concurrence internationale (l’ensemble des industries manufacturières) à concurrence de 9 milliards, montant compensé par une taxe sur l’énergie.
12La Conférence nationale de l’emploi [4] annoncée par le gouvernement lors de la conclusion de l’accord interprofessionnel est reportée plusieurs fois en raison de la situation politique. Elle se réunit pour la première fois le 12 mai 1993. Le Premier ministre y trace des pistes de solution au problème du chômage : l’investissement en capital humain (formation et recyclage), la redistribution du travail, allant de pair avec une redistribution des revenus et un allégement des charges du travail. Il définit deux objectifs pour la présidence belge de la Communauté européenne : une taxe européenne sur la consommation d’énergie et une harmonisation minimale des revenus de l’argent. La conférence débouche sur des mesures élaborées au Conseil national du travail (CCT sur la prépension à temps partiel et sur le droit à l’interruption de carrière) et sur une extension du plan d’embauché des jeunes. Une deuxième phase est prévue où seraient débattues les questions de flexibilité et de coût du travail.
L’invitation a négocier
13Les 21 et 22 juin 1993, lors du Sommet européen réuni à Copenhage, le président de la Commission, J. Delors dresse un constat alarmant de la situation économique de la Communauté européenne. Les grandes orientations pour combattre la crise devraient être définies dans un livre blanc à approuver lors du Sommet suivant qui doit avoir lieu en décembre, à la fin de la présidence belge.
14Au sommet du G7 tenu à Tokyo les 10 et 11 juillet 1993, les chefs d’État et de gouvernement reçoivent un rapport préparé par les ministres des Finances. Ce rapport reconnaît que la seule croissance est insuffisante pour résoudre les problèmes de la crise économique. Des réformes structurelles sont évoquées, notamment une réforme du marché de l’emploi (plus de souplesse en matière salariale, réexamen des systèmes de protection sociale qui découragent la création d’emploi, etc.). De retour de ce sommet où il représentait la Communauté européenne, J.-L. Dehaene se montre convaincu que des mesures radicales doivent être prises en matière d’emploi : "Il n’y a pas de solution toute faite à cela. Nous passons plus rapidement que nous ne le croyons d’une société industrielle vers une société post-industrielle où l’emploi va en diminuant dans le secteur industriel. Le phénomène est en cours depuis dix à vingt ans en Europe. Comme cela s’est fait dans le temps avec l’agriculture, il faudra créer de l’emploi dans d’autres secteurs : les services du travail, le soin des personnes, le temps libre, etc. Je suis persuadé que notre réglementation du travail, notre marché de l’emploi sont encore beaucoup trop déterminés par des règles qui datent de la période industrielle. Il faudra y introduire d’autres éléments, plus de flexibilité" [5].
15C’est au lendemain de son retour du G7 que J.-L. Dehaene évoque sur les ondes de la BRTN le principe d’un vaste débat sur l’emploi, la compétitivité et le financement de la sécurité sociale en vue de la conclusion d’un pacte semblable à celui conclu en 1944.
16Un groupe d’experts [6] est installé le 5 août par le Premier ministre. Sa mission est de "rédiger avant la fin septembre un rapport sur la problématique globale, esquissant les grandes lignes et formulant des recommandations", afin de "préparer les négociations relatives à ce nouveau et large pacte social sur l’emploi, la compétitivité et la sécurité sociale". Le Premier ministre trace lui-même le cadre des réflexions du groupe d’experts dans une note datée du 30 juillet.
17Le Premier ministre part d’une description de la crise économique actuelle, qui touche "l’ensemble du monde industrialisé, et l’Europe en particulier". Il se réfère au Sommet des sept grands pays industrialisés et de la Communauté européenne. Le problème de l’emploi est, reconnaît le Premier ministre, au centre de toutes les préoccupations. Il s’inscrit dans le cadre d’une "société post-industrielle", qui entend préserver la dimension sociale (et notamment la sécurité sociale) "qui caractérise le modèle européen d’économie de marché". Il s’inscrit également dans un cadre budgétaire peu favorable : "la marge budgétaire disponible pour le financement d’efforts de relance est particulièrement ténue dans notre pays".
18La première tâche qui attend les acteurs de la concertation sociale, selon le Premier ministre, est de sauvegarder la compétitivité des entreprises belges, en tenant compte de l"’impact des décisions en matière de modération de revenus qui ont été prises dans un certain nombre de pays et [des] récentes fluctuations de change". Concernant les coûts du travail, il convient, selon le chef du gouvernement, de réaliser "un juste équilibre entre le coût du travail d’une part, et celui des autres moyens de production, d’autre part". Les cotisations sociales "pèsent en effet uniquement sur le coût du facteur travail", ce qui engendrerait "la substitution du travail par le capital […], principalement dans le travail exigeant peu de qualifications". D’où la question d’un financement alternatif, dans le cadre fédéral, de la sécurité sociale.
19Quant à la politique de l’emploi, elle doit viser "à éliminer au maximum les obstacles à la création d’emplois", redistribution du travail disponible (en développant "un potentiel plus important en matière d’emploi à temps partiel") et à une amélioration du fonctionnement du marché de l’emploi par une plus grande flexibilité.
20Le Premier ministre termine sa note en évoquant la double contrainte de l’équilibre financier de la sécurité sociale et de l’assainissement structurel des finances publiques. Il résume ainsi les objectifs d’un pacte social : "Les objectifs définis […], à savoir la promotion de l’emploi, grâce à la sauvegarde de la compétitivité, une réduction du coût du travail, une politique spécifique en matière d’emploi et la réalisation de l’équilibre financier de la sécurité sociale, s’influencent mutuellement et nécessitent des réformes fondamentales. C’est pourquoi le gouvernement souhaite qu’un pacte social puisse être conclu sur cette problématique globale, afin que les interlocuteurs sociaux et les pouvoirs politiques puissent, ensemble, jeter les bases d’une nouvelle dynamique génératrice de croissance et d’emploi et ce, dans des conditions financières saines".
Les réactions des acteurs
21La réponse des interlocuteurs sociaux à l’invitation du Premier ministre est généralement favorable. Chacun marque cependant rapidement ses priorités, les limites ou l’extension à donner à la négociation annoncée. Le 9 août, le Roi Albert II prête serment devant les Chambres réunies. Dans son discours d’investiture, le nouveau souverain fait écho à l’appel du Premier ministre en parlant du "défi" de l’emploi :"Pour faire face à ce problème, il me paraît qu’une attention particulière doit être accordée à nos exportations. Le moment me paraît aussi venu de préparer un nouveau consensus économique et social. Nous y sommes parvenus au lendemain de la guerre et avons joué un rôle de pionnier. Faisons de même aujourd’hui. Ayons de l’ambition pour notre pays".
22Le Premier ministre a invité les interlocuteurs sociaux à répondre à cet appel en signant le communiqué suivant, publié le 11 août : "Conscients de la gravité de la situation économique et sociale en Europe et en Belgique et compte tenu du nouveau contexte monétaire européen, le gouvernement et les interlocuteurs sociaux s’engagent à entamer dès la rentrée des discussions avec la ferme volonté d’aboutir à l’élaboration d’un nouveau pacte social sur l’emploi, la compétitivité et la sécurité sociale. Ils veulent répondre ainsi positivement à l’appel du Roi dans son discours du trône" [7].
Les syndicats
23A l’appel du Premier ministre à négocier un pacte social, les organisations syndicales réagissent favorablement, bien que de manière dispersée. Loin d’avancer un cahier précis de revendications, elles s’attachent plutôt à baliser le champ du négociable et à évoquer les sujets à aborder. L’étendue des matières à aborder les pousse aussi à redire leurs priorités. Il s’agit moins, au début, de prises de position officielles que d’opinions données par diverses personnalités syndicales. Des différences s’observent d’emblée entre organisations. Elles s’accentuent en septembre à l’approche des négociations.
24La CSC accueille positivement la proposition du Premier ministre, se dit prête à la négociation si celle-ci, insiste le syndicat chrétien, porte sur l’ensemble des problèmes. Elle se dit prête à une négociation qui entraînera nécessairement des concessions, pourvu que la priorité soit donnée à l’emploi. Face aux priorités du patronat et du gouvernement, la CSC ne présente a priori aucun refus ; elle met l’accent sur les grands équilibres à trouver, la question étant de savoir "si un accord global peut se faire sur un projet de société" [8]. Elle organise un vaste débat interne sur les positions à prendre lors des futures négociations [9]. Un Conseil général est fixé pour le 26 octobre, étant entendu que si les négociations du pacte sont terminées, le conseil fera une évaluation de leurs résultats.
25Dans un document destiné à permettre la discussion interne sur les enjeux d’un pacte social, la CSC rappelle qu’elle a elle-même demandé un pacte "pour la première fois et de manière officielle après notre journée d’action du 16 octobre 1992. Pas par hasard, car en octobre le troisième dispositif d’assainissement 1992 était sur le tapis" [10]. Elle explique pourquoi un pacte social est nécessaire : "l’emploi dépérit", "la sécurité sociale se détériore", "les finances publiques ne sont pas au bout de leurs peines". Il s’agit, selon elle, d’une crise de l’État-providence aggravée par les problèmes monétaires, la détérioration de la compétitivité des entreprises, la paralysie de l’Europe sociale et la concurrence que se font les États-membres de la Communauté européenne par leurs mesures de redressement.
26La CSC se montre consciente des priorités du patronat. "Ce pacte n’étant pas le même que le pacte de l’après-guerre, toutes les parties concernées n’en tireront pas immédiatement avantage. Un accord global ne sera pas tant gagnant gagnant (tous des gagnants) que donnant donnant (donner et recevoir). Que va-t-on donner et recevoir ? Que mettra-t-on de chaque côté de la balance ? Autrement dit : qu’apporterons-nous et qu’apporteront les autres ?" [11].
27En matière de compétitivité, la CSC est d’avis qu’il faut "saisir l’occasion, non pas pour remettre le principe en question, mais pour infléchir la réglementation et pour préciser la signification de la compétitivité pour l’emploi" [12].
28La CSC propose de redéfinir la sécurité sociale. Elle évoque un nouveau mode d’organisation où une distinction serait faite entre :
- "les risques liés à la profession : revenus de remplacement en cas de maladie, d’accident, de chômage et de vieillesse (maintien des systèmes de Sécurité sociale respectifs pour salariés, fonctionnaires, indépendants)
- les risques généraux : prestations couvrant les frais en cas de maladie ou de charge d’enfants (un seul système général pour les soins de santé et un pour les allocations familiales)."
30Une modification du financement de la sécurité sociale doit être envisagée. Une diminution de charges sociales est justifiée :
- dans les secteurs d’exportation : pour préserver la compétitivité (mais il existe également d’autres moyens à cet effet) ;
- dans les secteurs à forte densité de main-d’œuvre, c’est-à-dire les secteurs à faible niveau technologique : pour étendre l’emploi ;
- pour maintenir les activités nécessitant peu de qualifications ;
- pour réduire les glissements vers le travail au noir et les autres statuts (indépendants).
31Mais la diminution des charges sociales ne doit pas se solder par une diminution des recettes de la sécurité sociale. Il doit y avoir glissement de charges vers d’autres sources : "Pour nous, un glissement des charges signifie :
- que dorénavant, les missions des pouvoirs publics doivent être cofinancées par un impôt correct sur les revenus autres que les revenus du travail ;
- la Sécurité sociale doit être financée moins par les cotisations sur le travail et plus par d’autres sources de revenus" [13].
32La CSC insiste pour que les efforts qu’il faudra consentir pour arriver à un accord soient répartis équitablement : "Il n’est pas question de mettre uniquement le groupe des travailleurs à contribution ; les autres revenus doivent également apporter leur part ; les profits devront en premier lieu être dirigés vers le groupe des travailleurs : créations d’emploi et sécurité sociale solide" [14]. La fiscalité doit faire partie du pacte (impôt des sociétés, impôt des personnes, revenus mobiliers) : "Nous voulons qu’un pacte social mette en place une concertation fiscale régulière entre autorités publiques et partenaires sociaux pour accompagner la politique fiscale et assurer le suivi des mesures décidées" La CSC insiste pour que les efforts qu’il faudra consentir pour arriver à un accord soient répartis équitablement : "Il n’est pas question de mettre uniquement le groupe des travailleurs à contribution ; les autres revenus doivent également apporter leur part ; les profits devront en premier lieu être dirigés vers le groupe des travailleurs : créations d’emploi et sécurité sociale solide" 14. La fiscalité doit faire partie du pacte (impôt des sociétés, impôt des personnes, revenus mobiliers) : "Nous voulons qu’un pacte social mette en place une concertation fiscale régulière entre autorités publiques et partenaires sociaux pour accompagner la politique fiscale et assurer le suivi des mesures décidées"..
33A la FGTB, l’attitude est plus réservée. Moins demandeuse d’un "pacte", l’organisation apparaît plus encline à affirmer d’emblée les conditions de sa participation à une négociation, notamment l’élargissement de la discussion à la fiscalité. "Un pacte, pourquoi pas ? mais « social » et fiscal", tel est le titre de l’éditorial que signe Fr. Janssens dans Syndicats du 4 septembre 1993. Les balises de la négociation sont posées : "Il existe des pays où la sécurité sociale coûte moins cher que chez nous, mais on y trouve davantage de vagabonds, de marginaux, de déclassés. Si nous avons accepté l’idée d’un nouveau « pacte social », c’est pour réduire le nombre des exclus, pas pour l’augmenter. Ce « pacte » devra donc garantir les prestations sociales et l’indexation des salaires, sans renforcer une flexibilité déjà outrancière". Le respect des conventions collectives est également mis en avant. La FGTB insiste aussi sur le respect du salaire minimum. Elle souhaite des engagements sur l’emploi : "Dire, comme le font trop d’employeurs « donnez-nous l’argent, si l’emploi doit suivre, il suivra et soyez déjà contents que nous n’allions pas installer nos usines ailleurs » est cynique et irresponsable. Nous ne croyons pas que l’emploi résulte automatiquement du fonctionnement du marché : il faut une politique volontariste" [15].
34Concernant le refinancement de la sécurité sociale, la FGTB souhaite "un rééquilibrage des charges entre les entreprises à forte intensité de capital et celles qui utilisent beaucoup de personnel : la négociation du pacte devrait impulser des expériences pour une nouvelle source de financement" [16].
35La fiscalité est l’un des points qui devraient être abordés selon la FGTB : "Nous avons toujours dit que l’impôt n’est pas le diable, et que sans lui il n’est pas de vie en commun harmonieuse possible. Encore faut-il que cet impôt soit justement réparti. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les prélèvements sont dérisoires sur les revenus de la propriété, nuls sur la fortune elle-même (…) Quant aux sociétés, les plus puissantes, qui ne sont pas celles qui occupent le plus de personnes, échappent à l’impôt grâce à de multiples trucs et ficelles mis au point par les lièvres de l’ingénierie fiscale (…)" [17].
36Enfin, la démocratie sociale doit être renforcée : abandon par les employeurs du recours aux juges pour s’opposer à la grève et installation de délégations partout où il y a des syndiqués.
37La CGSLB se montre favorable à l’approche globale des problèmes socio-économiques par un pacte social. Pour elle, "tout est négociable, à deux conditions : l’argent qui devra être prélevé pour financer la sécurité sociale devra effectivement aboutir dans les caisses de la sécurité sociale ; et un éventuel alignement du coût du travail devra s’accompagner d’embauchés compensatoires".
38Les différences entre les réactions syndicales recouvrent plus que des accents ou des "styles". Elles expliquent probablement la date relativement tardive à laquelle une nouvelle déclaration commune CSC-FGTB est élaborée [18]. Ce n’est en effet que le 6 octobre que cette déclaration est faite. Il s’agit d’une déclaration de principe assortie d’une brève liste de revendications. Les deux organisations déclarent ne pouvoir souscrire à un pacte social que :
- "si celui-ci s’inscrit dans un projet de société respectant les éléments fondamentaux de notre modèle social" : les principes de base de la sécurité sociale, la liberté de négociation et le respect des conventions collectives ;
- "si ce pacte comporte des accords équilibrés et globaux à long terme avec des engagements de toutes les parties" ;
- "s’il s’agit également et dès le début de rencontrer nos objectifs et les moyens de les réaliser : plus d’emploi, financement garanti de la sécurité sociale, fiscalité plus équitable et développement de la démocratie économique".
39Les deux organisations veulent "des engagements clairs" sur les points suivants :
- "la préservation et la création d’emplois tant dans les secteurs privés que publics. Une diminution des charges patronales ne peut être accordée à cette fin que dans le cadre de CCT d’emplois assorties d’un contrôle strict ;
- sauvegarde du financement de la sécurité sociale et des mécanismes d’octroi des prestations ;
- une fiscalité plus équitable par l’adoption de mesures telles que :
- l’impôt minimum alternatif ;
- l’augmentation du précompte mobilier ;
- l’obligation de déclarer les revenus mobiliers et la globalisation de l’ensemble des revenus ;
- une taxation supplémentaire des revenus immobiliers avec exonération de sa propre habitation ;
- la reconnaissance et le renforcement de la démocratie économique par :
- la représentation et le contrôle syndical dans les PME en vue de valoriser l’emploi ;
- le maintien des organes de représentation dans les entreprises filialisées ;
- le respect du droit de grève : pas d’immixtion des tribunaux dans les conflits collectifs".
41Diverses composantes syndicales ne trouvent pas le reflet de leur position dans cette déclaration commune. Des positions beaucoup plus radicales sont exprimées aussi bien au sein de la FGTB que de la CSC. C’est du côté francophone que la radicalisation semble la plus forte, comme en témoignent les positions de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, elle-même entraînée par les opinions de certaines régionales comme celle de Liège. Dès le début septembre, la régionale FGTB de Liège exige que le pacte soit à la fois social et fiscal. Il faut "frapper les rentiers, pas les travailleurs". Le secteur public doit être mis sur un pied d’égalité avec le secteur privé. Il est temps aussi, dit la régionale, "de lever les tabous des femmes au foyer, qui ne financent pas la Sécu mais en bénéficient". Elle demande aussi plus de sélectivité dans les prestations familiales : "quinze pour cent seulement des allocations familiales sont versés aux ménages à faibles revenus, 50 % aux revenus élevés." Enfin la régionale se prononce pour des exonérations de charges sociales plus importantes dans certaines sous-régions.
42Les composantes professionnelles, présentes aux différents niveaux de l’organisation s’expriment également. Des centrales comme la Centrale générale et la CGSP donnent des éclairages différents sur les futures négociations.
43A la CSC, la CNE, habituellement porteuse de revendications plus radicales que celle de la Confédération, prône la réduction du temps de travail à trente-deux heures par semaine sans perte de salaire. Son homologue flamande, la LBC, prône la même revendication. Cette revendication est également soutenue par l’Interrégionale flamande de la FGTB.
Le patronat
44Le thème majeur du discours des organisations patronales en 1993 concerne la position compétitive des entreprises. Et c’est dans la mesure où la compétitivité des entreprises était effectivement l’un des points mis sur la table par le Premier ministre que le patronat a accepté d’entrer dans le processus de négociation.
45Tony Vandeputte administrateur délégué de la FEB, déclare que son organisation participe à "la réflexion" sur base des propositions qui seront faites et pour autant que l’on s’en prenne aux "problèmes réels" [19]. G. Jacobs, président de la FEB, énonce quatre dossiers qui doivent selon lui faire partie de la négociation : la défense du franc, la modification du système d’indexation des salaires, l’allégement des charges sociales et l’assouplissement du système de salaire minimum garanti [20].
46Le 1er septembre, le VEV radicalise le débat en lui donnant une tonalité plus néo-libérale. Pour lui, les prestations sociales sont responsables du déficit public : "Si le gouvernement avait économisé sur les allocations sociales comme sur les autres dépenses, le déficit public aurait été de 3,7 % du PIB en 1992 et non de 6,8 %" [21]. La sécurité sociale n’est plus un filet de sécurité pour les plus faibles mais "un hamac pour les profiteurs". De plus le VEV insiste sur la dimension communautaire du débat en soulignant les différences entre le Nord et le Sud et en déclarant : "La Flandre ne peut plus donner de chèque en blanc à la Wallonie ; 1944 est passé depuis trop longtemps, la sécurité est devenue un autre concept". Le 5 septembre, René Defeyter, administrateur délégué du VEV, responsable de ces propos, est remplacée par Mieke Officiers, ministre du budget démissionnaire.
47La première réaction officielle du patronat est une déclaration commune de la FEB et des trois organisations patronales régionales constituées en "un large front patronal", le 14 septembre :
"Un large front patronal s’installe dans l’attente de la prochaine concertation sociale. Les organisations patronales s’accordent sur la nécessité d’un vaste débat social et économique débouchant sur la conclusion d’un pacte socio-économique.
G. Jacobs, président de la Fédération des entreprises de Belgique, Ph. Delaunois, président de l’Union wallonne des entreprises, J. De Muynck, président du Vlaams Ekonomisch Verbond et J. Ackermans, président de l’Union des entreprises de Bruxelles, ont eu récemment au sein du Comité de contact FEB/UWE-VEV-UEB présidé par G. Jacobs, un échange de vues approfondi sur la situation économique critique du pays et ses conséquences sociales.
L’emploi étant tributaire de l’activité économique et de l’intensité en main-d’œuvre de la croissance, l’idée fondamentale du pacte socio-économique doit être l’existence d’entreprises fortes et compétitives.
Les organisations d’employeurs estiment dès lors que le pacte socio-économique doit viser à une amélioration structurelle de leur position compétitive ce qui pose inévitablement le problème de l’évolution défavorable des coûts salariaux. Ceci implique notamment un débat sur le système d’indexation et sur les charges de sécurité sociale. Les organisations s’opposent à la recherche de bases de perception des cotisations sociales qui renchériraient le coût d’autres facteurs de production et ce au détriment des investissements, des exportations et de la croissance économique future. La maîtrise des dépenses de sécurité sociale doit être un maître-enjeu dans les débats.
Les employeurs sont disposés à participer à la réalisation d’un plan qui rétablirait la confiance et serait source de croissance".
49Reconnaissant la nécessité d’une concertation, la FEB entend également circonscrire le champ du négociable et mettre en valeur ses priorités et les équilibres souhaités. L’expression utilisée par elle de "pacte socio-économique" traduit cette préoccupation. L’organisation patronale réagit avec vigueur face aux revendications syndicales, notamment lors de la publication le 6 octobre des revendications communes de la FGTB et de la CSC : "Ce communiqué est inacceptable. La FGTB et la CSC n’ont manifestement pas compris la portée du pacte envisagé. Celui-ci doit traiter des mesures urgentes nécessaires au redressement économique et financier du pays et non faire l’objet de la satisfaction de revendications syndicales. A cette condition seulement l’emploi et notre modèle socio-économique pourront être sauvegardés" [22].
Les partis politiques
50Dès l’annonce de négociations pour un pacte social, l’opposition libérale, tant francophone que néerlandophone, critique la procédure de décision prévue par le Premier ministre. L’association des interlocuteurs sociaux au gouvernement dans une concertation tripartite est vue comme une ingérence des groupes de pression dans le fonctionnement normal de la démocratie parlementaire et comme une "recette passéiste" qui est à l’origine des difficultés budgétaires de l’État.
51G. Verhofstadt, président du VLD, plaide pour "une restauration de la confiance entre la politique et le citoyen pour qu’il ose à nouveau investir ses économies" et pour "une redéfinition des tâches par l’autorité pour une modification des grands mécanismes de dépenses susceptible de ramener le déficit du pouvoir central à 3 % du PNB". Parmi les mesures proposées, figurent le blocage des recrutements dans la fonction publique, une nouvelle réforme de l’armée ramenant le nombre de militaires à 32.000, une réforme de l’assurance maladie-invalidité (suppression de l’????? et transformation des mutuelles en institutions d’assurances à responsabilité financière), l’instauration d’un système de pension sur base de la capitalisation, une nouvelle réglementation du chômage où les chômeurs de longue durée sont pris en charge par l’aide sociale, la privatisation de toutes les entreprises publiques et l’exigence pour les autres niveaux de pouvoir de produire le même effort que le niveau fédéral.
52Pour lutter contre le chômage, le président du VLD préconise une adaptation annuelle des salaires selon le système allemand, le transfert des cotisations de pension vers des fonds de pension pour stimuler les investissements [23].
53Pour J. Gol, la proposition de négociation d’un pacte social est "un prétexte pour ne pas décider", un moyen utilisé par le gouvernement pour éviter de devoir faire les arbitrages lui-même.
54Ecolo et Agalev rejoignent les libéraux dans les critiques qu’ils font à la concertation tripartite au nom de la démocratie parlementaire. Le niveau et l’amplitude des problèmes à résoudre sont tels qu’il n’est pas tolérable selon eux de voir leur discussion confiée à un seul groupe d’experts et à une réunion de concertation entre les interlocuteurs sociaux.
55Mais pour les partis écologistes s’exprimant au cours d’une conférence de presse commune le 30 septembre 1993, un pacte social est "bel et bien nécessaire". Nous avons besoin "d’un contrat modernisé et équilibré de solidarité et de développement, modernisé par rapport aux multiples mutations vécues depuis l’accord de solidarité sociale de 1944, mutations dont le gouvernement persiste à ne pas vouloir tenir compte". Pour les Verts, le contenu d’un nouveau "contrat de société" devrait comprendre notamment :
- une redistribution de l’emploi marchand et non marchand et une réduction du temps de travail ;
- des adaptations de la sécurité sociale. En soins de santé, l’accent doit être mis sur une politique de prévention. Pour le financement de la sécurité sociale, il s’agit de rechercher des moyens complémentaires aux cotisations : prélèvements progressifs sur les revenus, cotisation sur la valeur ajoutée. Ecolo propose aussi de garantir aux individus des droits en matière de sécurité sociale ;
- une révision de la fiscalité dans le sens d’une plus grande redistribution et d’un meilleur équilibre entre la fiscalité du travail et celle qui pèse sur les revenus du capital ;
- la levée du tabou sur les intérêts payés sur la dette publique.
56Les partis de la coalition ont évité de mettre en avant leurs priorités et de faire des déclarations officielles sur le plan global. La période qui a suivi l’annonce des négociations pour un pacte social jusqu’à la publication du rapport du groupe d’experts a vu le PS et le CVP évoluer sur certains points, en écho de ce qui filtrait des travaux de ce groupe. Ces points sont ceux qui avaient provoqué des tensions au sein de la coalition lors du contrôle budgétaire de mars 1993 : l’indexation des salaires et les allocations familiales [24].
57Au congrès du PS du 2 octobre, le président du parti, Ph. Busquin, évoque la modération salariale nécessaire à l’amélioration de la compétitivité des entreprises. S’il soutient le maintien des mécanismes d’indexation, il estime que "toutes les adaptations et les flexibilités sont possibles si elles sont faites de manière responsable et contractuelle entre les patrons et les travailleurs". Pour le PS, si des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale sont envisageables, l’équilibre financier de la sécurité sociale devrait être assuré notamment par un "impôt sur le gros patrimoine et les revenus mobiliers".
58Peu après, le 12 octobre, le nouveau président du CVP, J. Van Hecke reconnaît qu’il serait illusoire de vouloir réduire les dépenses de la sécurité sociale sans toucher aux allocations familiales, la marge de manœuvre dans les autres régimes étant beaucoup plus réduite.
Le rapport Verplaetse et l’avant-projet de pacte social
59Durant la période des travaux du groupe d’experts, les débats sont nombreux dans l’opinion sur le contenu possible d’un pacte social. Ils sont alimentés par les déclarations de spécialistes universitaires de diverses disciplines, de dirigeants syndicaux et patronaux, d’autres groupes représentatifs d’intérêts comme la Ligue des familles, et d’hommes politiques de divers partis. Ils le sont aussi par le contexte de spéculation monétaire et par la situation économique.
60Le 1er août, dans le contexte de spéculation monétaire qui atteint plusieurs monnaies européennes dont le franc belge, le Conseil des ministres des Finances de la Communauté européenne décide d’élargir la parité entre les monnaies du système monétaire européen jusqu’à 15 %. En août et en septembre, la Banque nationale de Belgique relève à plusieurs reprises les taux d’intérêt. Les questions monétaires, mises au cours de la période au premier plan de l’actualité, entraînent un durcissement des positions sur des sujets connexes comme l’indexation des salaires.
61Le 25 août un groupe d’économistes de la KULeuven publie un manifeste mettant en question la politique actuelle du franc fort, généralement appuyée par les syndicats et les partis politiques à l’exception des écologistes, et plaide pour une dévaluation accompagnée d’une désindexation temporaire et d’un allégement des coûts du travail.
62Le 1er septembre a lieu une réunion informelle entre les interlocuteurs sociaux. Il s’agit d’un échange de vue où chacun énonce sa conception de la négociation à venir. Les priorités telles qu’elles apparaissent dans les premières réactions des acteurs, sont réaffirmées. Par la suite et jusqu’à la première réunion tripartite officielle du 20 octobre les interlocuteurs sociaux ne se réuniront plus.
63Le 30 septembre F. Verplaetse, gouverneur de la Banque nationale, prend position en faveur du cours de change stable et de la poursuite de la politique monétaire menée jusqu’ici.
64Le 27 septembre est publié le rapport intérimaire du Conseil central de l’économie sur la situation compétitive de la Belgique, dont les données principales avaient également paru dans la presse quelques jours plus tôt. Le rapport indique une nouvelle dégradation du critère "performances à l’exportation". Des discussions avaient eu lieu au sein du Conseil concernant la pertinence de certains critères. Les coûts salariaux provoquent une polémique entre le patronat et les syndicats. Les syndicats privilégient les données incluant l’Allemagne réunifiée, tandis que le patronat privilégie les données n’incluant que le territoire de l’Allemagne avant la réunification. Les secondes données indiquent une dégradation de la compétitivité moins importante que les premières. Les répercussions des fluctuations monétaires provoquent également des polémiques. La FEB est d’avis que les répercussions favorables de la dépréciation du franc belge sur l’évolution des coûts salariaux ne doivent pas être prises en considération pour l’évaluation de la situation compétitive. Les organisations syndicales sont d’un avis contraire et pensent que la perte de valeur du franc belge a amoindri l’écart salarial entre notre pays et ses principaux concurrents.
65Les "Perspectives économiques pour 1993-1997" du Bureau du plan, publiées officiellement le 30 septembre, prévoient de nouvelles pertes d’emploi d’ici 1997. Le nombre de chômeurs complets indemnisés passerait de 581.000 unités en 1993 à 635.000 unités en 1997. La dégradation de l’activité économique se répercuterait sur la situation des finances publiques. Les perspectives à moyen terme des finances de la sécurité sociale ne seraient pas moins alarmantes, avec un déficit prévu de 1,2 % du PIB pour 1997 alors que le plan de convergence a fixé l’objectif de 0,2 % de déficit.
66Le 12 octobre, alors que la publication du rapport du groupe d’experts est attendue pour le 16, le ministre des Finances Ph. Maystadt rend public un rapport du Fonds monétaire international-FMI. Il s’agit de conclusions préliminaires, le rapport définitif du FMI devant paraître plusieurs mois plus tard. Le FMI prend position vis-à-vis des enjeux de la négociation du pacte social. Ce pacte doit réussir non seulement parce qu’il convient d’entraver la croissance du ratio dette/produit intérieur brut mais également pour rétablir la crédibilité du franc belge et permettre une baisse des taux d’intérêt. En ce qui concerne l’équilibre financier de la sécurité sociale, le FMI préconise d’agir en priorité par la réduction des dépenses plutôt que par une augmentation des recettes, parce que le niveau de taxation est, selon les experts, "très élevé, même si on le compare au niveau européen moyen" et parce que la croissance des dépenses est encore plus élevée que la croissance de l’activité économique. Il conviendrait de repenser la sécurité sociale dans son ensemble notamment parce que son financement dépend trop des revenus du travail. Dans ce cadre le FMI préconise d’accroître les responsabilités individuelles via des systèmes d’assurances complémentaires.
67Pour réduire le chômage, le FMI préconise des mesures structurelles qui diminuent les charges sur les salaires. Mais le financement alternatif de la sécurité sociale par la voie fiscale n’est possible que dans des marges très restreintes. Une opération d’envergure est dès lors déconseillée pour le moment par le FMI, qui suggère plutôt "un programme plus modéré de réduction de charges visant les bas-revenus". L’organisme international déconseille toute création d’emplois par le secteur public et insiste plutôt sur les programmes de formation et sur des mesures telles que le plan d’accompagnement. Il propose de distinguer, dans le mécanisme des allocations de chômage, la fonction d’assurance à court terme (inciter à retrouver du travail) de la fonction d’assistance à long terme. Le FMI voit dans les hausses conventionnelles de salaires négociées dans le passé récent l’une des causes de la perte de compétitivité des entreprises. Il préconise une modération salariale ou une remise en cause des hausses négociées, mais ne remet pas en cause l’indexation des salaires. En matière de politique monétaire, il préconise le retour à la stabilité des taux de change. En conclusion, il affirme que la Belgique "souffre de l’ensemble des circonstances actuelles. La dépression cyclique a détérioré sa situation budgétaire et neutralisé l’impact des récentes mesures d’ajustement. La faiblesse du système monétaire européen a exposé le franc belge à des pressions spéculatives. Les circonstances rendent plus urgent un ajustement de la situation budgétaire".
68Les experts tiennent leurs réunions environ deux fois par semaine entre le début du mois d’août et la mi-octobre [25]. Ils s’astreignent à débattre sans produire de texte jusqu’à la mi-septembre. Le Premier ministre est tenu au courant de l’évolution des discussions par le président du groupe, F. Verplaetse. Chaque membre reste également en contact avec la direction de son parti. Le rapport qu’ils transmettent au Premier ministre le 16 octobre est le fruit d’un échange relativement important entre famille politique qui n’ont pas les mêmes priorités sur des aspects importants.
69Il contient un diagnostic de la situation actuelle de l’emploi, de la compétitivité et de la sécurité sociale, et une évaluation des évolutions à politique inchangée. Il propose ensuite des pistes de réflexion pour le moyen et le long terme. Il contient plus d’un point commun avec les conclusions préliminaires du FMI.
70Les experts posent plusieurs conditions pour la conclusion d’un pacte social. L’impossibilité de réaliser le plein emploi doit pousser les négociateurs à envisager d’autres formes d’emploi que l’emploi à temps plein. Le maintien de la compétitivité est une condition sine qua non pour une croissance économique suffisante et donc pour l’emploi. La perte de compétitivité peut être compensée par un blocage des salaires réels de 1994 à 1996 inclus. L’évolution démographique impose au gouvernement de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières pour les dépenses de sécurité sociale, qui devra être utilisée de manière plus sélective et mieux gérée. Le niveau de la dette de l’État impose - outre des dépenses d’intérêt les plus basses possibles et la réduction du déficit public à un niveau acceptable - que l’assainissement des finances de la sécurité sociale et les mesures de création d’emploi ne demandent pas de charges supplémentaires pour le budget fédéral.
71Les experts proposent de réformer la sécurité sociale en la structurant en un pôle d’assurance au sein du groupe des salariés et un pôle de solidarité générale au sein de la population. Pour son financement à long terme, outre les cotisations du travailleur et de l’employeur (que le rapport suggère de diminuer sans suggérer le montant de cette diminution), et l’intervention de l’État, le rapport propose des recettes alternatives provenant d’une taxe sur "le coût du capital dans un sens général" ou sur "une valeur ajoutée (brute), avec cotisation sur l’ensemble des facteurs de production et les importations". Pour le moyen terme, il préconise des recettes complémentaires provenant d’une hausse de taxes indirectes (non répercutées dans l’index), une taxe sur les émissions de CO2 (hors index), un impôt sur les biens immobiliers et une harmonisation à 15 % du précompte mobilier.
72Les dépenses de la sécurité sociale devraient se soumettre à une norme de croissance avant et après le rétablissement de l’équilibre financier. Diverses mesures sont proposées, dont une réduction sélective des allocations familiales sans discrimination entre familles avec ou sans enfants.
73Une réforme de la loi de sauvegarde de la compétitivité est proposée. La responsabilité des interlocuteurs sociaux devrait être renforcée.
74En tout état de cause, des hausses de salaire non accordées devraient être reconverties en création d’emploi par convention collective.
75En faveur de l’emploi, outre une extension du système déjà appliqué de diminution des cotisations patronales à la sécurité sociale, le rapport préconise une politique active, une plus grande flexibilité du marché du travail et une répartition du volume de travail existant [26].
76Parallèlement aux travaux du groupe d’experts, le Premier ministre élabore des propositions qu’il communique aux interlocuteurs sociaux et recueille leurs réactions. Ces rencontres bilatérales se multiplient pendant le mois de septembre et jusqu’à la mi-octobre. Cette méthode de travail, déjà utilisée par le Premier ministre, lors des négociations entre partis en vue de la dernière réforme des institutions, est relativement inhabituelle pour les interlocuteurs sociaux qui, plus que les dirigeants de parti, doivent en référer très précisément à leurs mandants. Pour eux les "véritables négociations" doivent commencer lorsque les propositions seront sur la table, autour de laquelle interlocuteurs sociaux et gouvernement seraient réunis. Les tentatives de rapprochement de points de vue du Premier ministre sont pour lui, au contraire, la négociation elle-même, et l’avant-projet de pacte relatif à l’emploi, la compétitivité et la sécurité sociale qui est l’aboutissement de ces contacts informels et qu’il présente aux interlocuteurs sociaux le 20 octobre, est pour lui un document sur lequel il demande une adhésion en vue d’une concrétisation.
77Cet avant-projet de pacte social, appelé aussi note Dehaene, était donc connu en substance des interlocuteurs sociaux, de même qu’étaient connues du Premier ministre les mises en garde syndicales. Il contient des éléments engrangés par le groupe d’experts, tranche certaines alternatives que celui-ci avait proposées et détaille davantage que ne le faisait le rapport Verplaetse les éléments d’une politique active de l’emploi.
78Le Premier ministre propose des concertations spécifiques par blocs de matières. Premièrement, il propose aux interlocuteurs sociaux d’engager sans tarder une négociation portant sur la concrétisation des décisions relatives aux efforts spécifiques en matière d’emploi. Ensuite, une concertation sera organisée avec les régions et les communautés en vue de concrétiser et de coordonner les efforts en faveur de la relance et de l’emploi. Enfin, il propose de prendre, simultanément et en concertation avec les interlocuteurs sociaux, les décisions relatives à la réalisation de l’équilibre financier de la sécurité sociale à savoir celles portant sur les moyens de financement de la réduction des coûts salariaux et celles portant sur la réduction des dépenses de la sécurité sociale. Le Premier ministre souhaite que l’ensemble des mesures soient prises au plus tard avant la fin de l’année. Il presse les interlocuteurs sociaux de donner leur réponse très rapidement.
79Le tableau en annexe permet la comparaison des mesures proposées par le rapport des experts (rapport Verplaetse) et par l’avant-projet de pacte social du Premier ministre (note Dehaene).
La rupture des négociations tripartites
80Le 21 octobre les organisations syndicales font connaître leurs réactions à la "note Dehaene", consacrée à l’avant-projet de pacte social.
81La FGTB, après une réunion du bureau exceptionnellement longue, fait connaître son refus "parce que", dit Fr. Janssen, "la note que nous a présentée le Premier ministre ne constituait pas une base de négociation mais une base d’accord. Mais également parce que les efforts demandés ne sont pas équilibrés" [27]. La CGSLB refuse également de donner son aval au texte du Premier ministre : "Toute négociation réelle ayant été présentée comme étant impossible, que ce soit en matière de délais ou de contenu, la CGSLB estime ne pouvoir apporter son aval à l’élaboration d’un tel pacte". Le bureau de la CSC se prononce par contre pour la poursuite du dialogue par 4 voix pour 4 voix contre et 4 réponses mitigées (oui aux négociations, non à la note Dehaene) [28] : "Nous discuterons pour atténuer les points négatifs et renforcer les points positifs. Sans nous, les mesures seront encore plus dures. Nous voulons éviter le pire" [29].
82Dès le 22 octobre trois centrales de la FGTB, la CGSP, la Centrale générale et la Centrale des métallurgistes de Belgique-CMB se disent prêtes à des actions dans un cadre interprofessionnel. A la CSC, la CNE, qui avait refusé de donner mandat à la direction interprofessionnelle pour négocier le 21 octobre, se déclare opposée à la poursuite des négociations et souhaite que la mobilisation des travailleurs et allocataires sociaux soit organisée.
83La réaction de la FEB se prononce sur l’avant-projet de pacte mais condamne l’attitude de la FGTB : "Nous n’acceptons pas le raisonnement du déséquilibre des propositions qui épargneraient les entreprises. Il n’y a pas de « cadeau aux patrons ». Le handicap de notre compétitivité existe et tout le monde, syndicats compris, l’a reconnu. Et si l’on veut sauvegarder l’emploi, ce ne sera que par une compétitivité restaurée" [30].
84Les 23 et 24 octobre, le Premier ministre rencontre séparément les responsables de la CSC, de la FGTB et de la FEB. La principale pierre d’achoppement vient du refus catégorique de la FGTB, sous la pression de ses centrales, d’accepter certaines mesures, dont la remise en cause des conventions collectives, en particulier celles qui portent sur l’année 1994.
85Le soir du 24 octobre, après un conseil de cabinet restreint aux vice-Premiers ministres, J.-L. Dehaene fait connaître par un communiqué son intention de ne pas poursuivre les tentatives de concertation et d’élaborer au sein du gouvernement un "plan global" : "Malgré de multiples essais, il a fallu constater qu’il est actuellement impossible de poursuivre la concertation avec tous les interlocuteurs sociaux. Cependant, l’ampleur de la crise économique internationale, qui se traduit en Belgique par une hausse dramatique du chômage, une perte de compétitivité et un déficit croissant de la sécurité sociale, nécessite des actions immédiates. Le gouvernement élaborera lui-même un plan global et entièrement élaboré pour l’emploi, le rétablissement de la compétitivité et la viabilité de la sécurité sociale. L’effort global nécessaire à cette fin sera réparti de manière équitable. En temps utile, le gouvernement organisera une concertation en la matière avec les interlocuteurs sociaux".
86La rupture des négociations radicalise les interlocuteurs sociaux. Au-delà des notes communes de la FGTB et de la CSC, les différences, déjà perceptibles depuis le début de l’annonce des négociations, s’accentuent. Les arbitrages à effectuer par le gouvernement occasionnent des tiraillements contre les partis de la majorité et les organisations syndicales qui leur sont apparentées. Le CVP considère que la note Dehaene constitue une bonne base de négociation pour un plan social global. Le PSC se montre prêt à participer à une décision gouvernementale sans les interlocuteurs sociaux. Le PS se montre décidé à "prendre ses responsabilités" pour rencontrer les objectifs d’un pacte social dans le cadre de la situation nouvelle créée par le communiqué gouvernemental du 24 octobre. Cependant il entend ne pas couper les liens avec la FGTB en déclarant que "l’équité, c’est avoir le courage de toucher tous ceux qui ne sont pas victimes de la crise ; les gros revenus doivent être les plus touchés" [31]. Il est possible de maintenir les principes de la concertation et en particulier les acquis des conventions collectives prévues pour 1994. Quant au SP, il rappelle également que toutes les catégories de revenus doivent contribuer et propose de "créer un nouveau cadre dans lequel les secteurs pourront renégocier les avantages salariaux, en les orientant vers l’emploi, à protéger dans certains secteurs, à créer dans d’autres secteurs" [32].
87Le 26 octobre, le gouvernement établit un calendrier pour la mise au point du plan global. Un groupe de travail interministériel préparera la discussion, qui ne commencerait qu’après la réunion extraordinaire du Sommet européen le 29 octobre. La FGTB annonce qu’elle organisera ce jour-là une manifestation nationale interprofessionnelle avec arrêt de travail. Le conseil général de la CSC se réunit et confirme "la volonté de la CSC de poursuivre la concertation sur son projet global et solidaire". Il décide d’organiser une campagne de sensibilisation et charge "le bureau national d’évaluer les mesures que proposera le gouvernement et, le cas échéant de préparer des actions susceptibles de faire aboutir les revendications de la CSC.
88Le 29 octobre, la FGTB manifeste dans les rues de Bruxelles. Les manifestants (au nombre de 30.000 selon la gendarmerie, de 75.000 selon les organisateurs) proviennent en grande partie des services publics (la CGSP ayant décrété un jour de grève), mais également du secteur privé. Les slogans sont dirigés vers le Premier ministre, dont la FGTB exige de nouvelles propositions plus "équitables", et vers le patronat, accusé de "jouer avec le feu". L’organisation exprime ses priorités : préserver la sécurité sociale ; pas d’avantages au patronat sans engagements clairs et précis en matière d’emploi ; répartir les charges selon le principe que les épaules les plus larges doivent supporter le plus gros de l’effort ; élargir la démocratie syndicale (présence syndicale dans les PME) et respecter le modèle social belge basé sur la liberté de négociation. De son côté, la CSC publie dans plusieurs journaux une pleine page appelant à la poursuite de négociation.
89Le même jour, la FEB communique à la presse la prise de position adoptée la veille par son conseil d’administration. L’organisation, sous la pression de ses composantes sectorielles, durcit sa position.
90Au moment où le gouvernement se donne pour tâche de prendre les décisions sans plus attendre, le front commun syndical se trouve dans une situation de rupture et les divergences entre les positions syndicales et patronales sont plus éloignées que jamais.
Position de la FEB du 29 octobre 1993
Les entreprises belges doivent non seulement faire face aux problèmes conjoncturels, mais sont également confrontées à un certain nombre de difficultés structurelles. La perte importante de parts de marché en constitue la preuve éloquente.
Cette évolution économique défavorable n’est pas seulement due au climat conjoncturel international - où l’Europe reste le parent pauvre - mais aussi à l’évolution de notre position concurrentielle. Ainsi, le rapport de septembre du Conseil central de l’économie (CCE) révèle que nous avons perdu 12 % de nos parts de marché et accumulé un handicap concurrentiel supplémentaire de 3,5 % entre 1987 et 1993.
En ce qui concerne la politique monétaire, il faut poursuivre l’objectif de l’alignement de nos cours de change sur ceux des pays qui nous entourent. Aussi, la dépréciation actuelle de notre monnaie ne peut être utilisée comme argument pour atténuer les efforts à consentir.
Compétitivité
Position de départ - Des mesures générales pour résorber le handicap concurrentiel de la SA Belgique
En application de la loi du 6 janvier 1989, la première tâche de notre gouvernement est de résorber le handicap salarial de 3,5 % accumulé depuis 1987 et constaté par le CCE. On ne soulignera pas assez qu’il s’agit ici d’une évolution plus rapide des coûts salariaux. Si l’on considère le niveau des coûts salariaux, la comparaison est plus défavorable encore et exige donc un effort plus important. Certains secteurs ont fait état à cet égard d’un écart très large. Sur la base de la loi, on a donc constaté un recul général de notre compétitivité quant à son évolution ; il faut y remédier par des mesures générales en faveur de l’ensemble des entreprises. Les propositions inscrites dans le document du Premier ministre Dehaene ne sont pas suffisantes pour résorber ce handicap et placer l’économie belge dans une position favorable en vue de la reprise. L’effet de ces mesures s’élèvera à 2 % maximum. En effet, on ne peut considérer la hausse restreinte du coût salarial en 1995 et 1996 (l’étalement des avantages prévus par les CCT pour 1994) comme un gain de compétitivité, puisque nos concurrents limiteront aussi les augmentations salariales pratiquement au niveau de l’inflation.
Le renvoi des CCT 1994 aux commissions paritaires et aux entreprises ne s’inscrit pas dans ce cadre. Ce serait nier la nécessité d’une mesure générale.
Le renvoi ne peut aboutir qu’à des résultats insuffisants et incontrôlables. De plus, il ne peut créer que des tensions entre les interlocuteurs sociaux et perturber la paix sociale, ce qui dans les circonstances économiques actuelles doit être évité à tout prix.
En outre, on ne peut se limiter à résorber le handicap concurrentiel existant ; il faut aussi prendre des mesures pour éviter de nouveaux dérapages. Pour réaliser cet objectif, la FEB propose un certain nombre de mesures structurelles.
Propositions
1. Épuration de l’indice des prix à la consommation
La Belgique est (outre le Luxembourg) le seul pays au monde à être doté d’un système d’indexation complète et automatique. Pour éviter les conséquences néfastes de ce système, il faut à tout le moins y apporter un certain nombre de modifications structurelles.
C’est pourquoi, en plus des mesures du Premier ministre Dehaene, la FEB propose d’épurer l’indice des prix à la consommation (à partir de sa réforme de 1988) tant des produits et services dont le prix est fixé par les pouvoirs publics que des augmentations des impôts indirects.
Dans les deux cas, les augmentations (des prix ou des impôts indirects) décidées par les pouvoirs publics sont destinées principalement à faire participer le consommateur à l’assainissement des finances publiques. Cette charge ne peut donc être supportée par les entreprises.
L’effet de cette mesure peut être estimé à près de 2 %. Ajouté à l’effet de celles proposées par le Premier ministre, cela correspond environ au handicap constaté par le CCE dans l’évolution des coûts salariaux ; ce dernier pourra ainsi être résorbé.
2. Suspension de l’indexation dans certaines circonstances
Toutefois, il importe non seulement de résorber le handicap concurrentiel actuel, mais aussi de prendre d’autres mesures structurelles (en plus de l’épuration de l’index) pour éviter de nouveaux dérapages à l’avenir.
Sur la base du rapport sur « les avantages et les inconvénients des différentes techniques d’indexation » (1988) rédigé par plusieurs professeurs à la demande des partenaires sociaux, la FEB propose de suspendre le mécanisme d’indexation :
- en cas de détérioration de la position concurrentielle,
- en cas de dépréciation ou de dévaluation monétaire,
- en cas d’appauvrissement de l’économie (croissance négative),
- en cas de détérioration des termes de l’échange.
3. Blocage des salaires en 1995 et 1996
Pour 1995 et 1996, l’augmentation salariale chez nos concurrents devrait à peine dépasser le rythme de l’inflation. On ne peut donc envisager chez nous d’augmentations salariales en termes réels.
4. Pas d’aggravations des charges fiscales et parafiscales
Le rapport du CCE sur la compétitivité constate que, pour la première fois depuis que la loi sur la compétitivité a été adoptée par le Parlement, la Belgique enregistre un handicap en matière de coûts énergétiques. Dans de telles circonstances, il serait totalement injustifiable d’instaurer dans notre pays de nouvelles taxes sur la consommation d’énergie des entreprises.
Plus en général, toute augmentation des charges fiscales ou parafiscales des entreprises fera croître le handicap concurrentiel et réduira à néant l’effet favorable d’autres mesures. Les cotisations patronales devraient au contraire diminuer sensiblement afin de soutenir la compétitivité.
Emploi
Position de départ - pas de remèdes artificiels
On n’encourage pas l’emploi en assignant des objectifs artificiels aux entreprises. Imposer des contraintes en la matière peut uniquement compromettre les emplois existants. L’emploi dépend de l’activité économique et de l’intensité en main-d’œuvre de la croissance. En ce qui concerne ce dernier aspect, force est de constater qu’un pays voisin tel que les Pays-Bas obtient de bien meilleurs résultats. Parmi les éléments y ayant contribué, on peut citer une modération salariale soutenue, la flexibilité du marché du travail, une politique de l’emploi plus active.
Des propositions réalistes
La FEB confirme les positions communes qu’elle a élaborées avec l’UCM, le NCMV et le Front vert des organisations agricoles en vue de la Conférence fédérale de l’emploi.
A cette occasion, l’accent a surtout été mis sur :
- un environnement favorable aux entreprises et, dès lors, une politique de l’emploi ayant un impact sur nos handicaps structurels ;
- une réduction structurelle du coût du travail par une diminution généralisée des cotisations patronales, non limitée aux salaires les plus bas ;
- des mesures spécifiques pouvant atténuer le coût de l’embauche des jeunes, notamment par le renforcement du Plan d’embauché ;
- la flexibilité, entre autres par l’encouragement du travail à temps partiel, du travail temporaire, du travail intérimaire ;
- l’encouragement de la création d’entreprises et la promotion de la succession dans les PME, notamment par la promotion de l’embauche d’un premier travailleur, également dans le domaine des emplois de proximité ;
- les initiatives des Régions et des Communautés visant à une politique active en matière d’emploi.
Position de départ - A déficits structurels réponses structurelles
Plus de dérobade possible en sécurité sociale. Tous les chiffres aboutissent à la même conclusion : le régime est en déficit structurel. Les mesures marginales ne suffisent plus. Il faudra assainir et restructurer en profondeur.
Plus de transparence et de responsabilisation
La restructuration doit entraîner une transparence et une responsabilisation plus poussées de tous les secteurs concernés :
- la distinction opérée entre les risques liés au travail et ceux liés aux personnes est logique, mais est insuffisante. Dans chaque secteur, il faut préciser :
- ce qui relève de la responsabilité individuelle (les petits risques médicaux doivent-ils tous relever de l’assurance maladie ?) ;
- ce qui relève de l’assurance privée (les soins non médicaux dispensés aux personnes âgées ne relèvent pas des tâches de l’assurance maladie) ;
- ce qui relève de l’assurance sociale (à cet égard, il faut faire une distinction entre ce qui doit être financé par des cotisations et ce qui doit l’être par les pouvoirs publics) ;
- ce qui relève des tâches générales des pouvoirs publics et non de la sécurité sociale (les tâches sociales remplies par des volontaires sont subventionnées par l’ONEM par le biais d’allocations de chômage) ;
- la globalisation de la gestion de la sécurité sociale n’a de sens que si elle n’aboutit pas à la déresponsabilisation au niveau des sous-secteurs de la sécurité sociale.
Le redressement de l’équilibre de la sécurité sociale doit être basé sur un certain nombre de principes directeurs :
- il doit être réalisé par une réduction des dépenses ; à ce sujet, la FEB a mis au point un ensemble d’économies ;
- en matière de soins de santé, d’allocations familiales et d’assurance chômage, la Belgique doit s’aligner sur le niveau global de protection prévalant chez ses trois voisins, ses principaux concurrents ;
- les dépenses dans le régime des pensions, y compris les pensions publiques, doivent faire l’objet d’une réduction structurelle. L’évolution démographique constitue une bombe à retardement pour les deux systèmes. Tout comme à l’étranger, il faut créer un espace plus important pour les pensions complémentaires ;
- le caractère d’assurance sociale est confirmé, ce qui implique que le principe de l’assurance ne soit pas vidé de sa substance. Aussi, la FEB s’oppose à ce que l’on subordonne les prestations financées par des cotisations perçues sur des salaires non plafonnés à des conditions de revenus. "
Le "plan global" du gouvernement
91Le Premier ministre réunit les 30 et 31 octobre et le 1er novembre les ministres concernés par les matières du plan global [33]. Les discussions portent sur l’emploi et la compétitivité. Le 2 novembre, ils reprennent leurs travaux sur la sécurité sociale. Le groupe de travail interministériel chargé de préparer les travaux est chargé de traduire en proposition le résultat des discussions.
92Le 2 novembre, le bureau du PS, dans une ambiance très tendue mais à l’unanimité, charge ses négociateurs d’obtenir satisfaction sur six points :
- des résultats tangibles en matière de fraude fiscale ;
- un effort des autres revenus comparable à celui fourni par les revenus du travail (les bénéfices exceptionnels des sociétés, les revenus non salariaux) ;
- un renforcement de la démocratie économique : renforcer le contrôle de la sauvegarde et de la création d’emploi dans l’entreprise ;
- le respect des conventions collectives 1994. Le gel des rémunérations pour 1995 et 1996 ne doit pas concerner les avantages non liés aux salaires ;
- la limitation des dépenses en sécurité sociale doit se faire de la manière la plus équitable possible ;
- la présidence belge de l’Union européenne devra prendre une initiative pour lutter contre le "dumping social" (les déflations sociales liées à la compétitivité).
93La FGTB refuse de répondre à l’appel de la CSC de reprendre les négociations préférant la voie de la pression sur les partenaires socialistes de la coalition, mais les contacts informels continuent entre les deux organisations. Par ailleurs, la FGTB maintient les contacts avec le PS, notamment lors d’une rencontre le 4 novembre.
94Les travaux du gouvernement sur le plan global se poursuivent du 5 au 7 novembre.
95Le 9 novembre, après les réunions de leur bureau respectif, la CSC et la FGTB décident de lancer des programmes d’action séparément. A la demande des syndicalistes wallons de la CSC, qui avaient accepté difficilement que leur organisation ne participait pas à la manifestation FGTB du 29 octobre et pour qui un programme d’action CSC sans la FGTB est difficile à réaliser, un contact a lieu entre les présidents des deux organisations et un programme commun d’actions ainsi qu’une nouvelle plateforme commune de revendications sont adoptés.
96Le programme d’action est élaboré sous la pression de la base syndicale. Il prévoit des grèves sélectives dans les secteurs de la distribution, des banques et des assurances, dans les services publics et dans certaines régions. En fonction du résultat des pressions syndicales sur le plan global, le plan d’action prévoit des grèves tournantes par province le lundi 22 novembre (Liège, Anvers, Limbourg), le vendredi 26 novembre (Hainaut, Luxembourg et Flandre occidentale) et le vendredi 3 décembre (Brabant, Namur et Flandre orientale). Une grève générale interprofessionnelle est prévue pour le 10 décembre en fonction des résultats obtenus du gouvernement.
97Les exigences syndicales sont résumées dans une note commune.
Position syndicale CSC-FGTB
2. L’emploi. Les propositions en matière d’emploi continuent à présenter des lacunes aussi bien en termes d’ampleur que de ciblage : les moyens, limités, sont éparpillés entre diverses formules et ne présentent pour la plupart aucune garantie quant à la création d’emplois supplémentaires. L’abaissement du coût du travail pour les salaires les plus bas n’offre aucune certitude quant à l’affectation à l’emploi mais il offre des certitudes quant aux effets pervers (pression à la baisse sur les salaires officiellement déclarés).
Les plans d’entreprise pour la répartition du travail conduisent à des emplois supplémentaires contrôlables mais ne sont guère assortis de moyens financiers.
Les propositions en matière de flexibilité n’accroîtront pas l’emploi, bien au contraire, aussi sont-elles non seulement nuisibles socialement mais aussi superflues.
Aussi, la CSC et la FGTB insistent pour qu’il y ait une seule formule en matière d’emploi qui lie l’avantage d’un abaissement du coût de travail à la création d’emplois supplémentaires : abaissement des cotisations à l’ONSS (plus importantes en cas d’embauché de travailleurs peu qualifiés), dans un cadre interprofessionnel et sectoriel.
3. Sécurité sociale. La FGTB et la CSC veulent sauvegarder la sécurité sociale. A cet effet, elles exigent en premier lieu :
- un refinancement de la sécurité sociale : suffisamment de moyens nouveaux ;
- une redéfinition de la sécurité sociale : distinction entre les risques liés au travail (revenus de remplacement) et les risques liés à la personne (revenus complémentaires : allocations familiales et soins de santé) dans le cadre d’un seul système global et fédéral.
L’augmentation des dépenses de santé peut être maîtrisée par l’application d’une norme en matière de dépenses qui doit être concrétisée par des interventions structurelles côté dépenses. Les nouvelles économies ne peuvent en aucun cas être linéaires et doivent être réalisées de manière sélective.
4. Démocratie sociale et économique. La CSC et la FGTB constatent qu’aucune proposition concrète n’a été formulée jusqu’à présent. Elles constatent par contre que divers avantages sont promis aux entreprises sans qu’il y ait en contrepartie d’obligations ou de responsabilités, ni en termes d’emploi, ni en termes d’amélioration qualitative de la position concurrentielle, ni en matière de démocratie sociale et économique.
Aussi exigent-elles une plus grande démocratie sociale et économique, notamment dans les PME et les entreprises internationales.
5. Des efforts équitablement répartis. Les efforts des groupes et revenus autres que ceux des travailleurs restent vagues aussi bien quant à leur ampleur que quant aux mesures précises. La CSC et la FGTB exigent une fiscalité plus équitable :
- augmentation du précompte mobilier ;
- impôt sur les plus-values (fortune privée) ;
- impôt sur la fortune ;
- poursuite de la réforme de l’impôt des sociétés ;
- une approche énergique et des résultats en matière de lutte contre la fraude".
98La CGSLB appuyé le plan d’actions mis au point par la CSC et la FGTB.
99Le Premier ministre, les vice-Premiers ministres et les ministres concernés par les matières du plan global se retrouvent à Val Duchesse à partir du 12 novembre.
100Le 15 novembre, la grève, organisée par la CSC et la FGTB et appuyée par la CGSLB paralyse une grande partie des entreprises privées du pays, en Flandre et plus encore en Wallonie. Elle est diversement suivie selon les secteurs et souvent accompagnée de manifestations de rue. A Bruxelles, les transports en commun sont à l’arrêt.
101Le conclave gouvernemental est interrompu le 15 novembre à minuit. Les derniers points en suspens concernent :
- la fiscalité : les ministres socialistes sont mandatés pour aboutir à une ponction fiscale sur les revenus mobiliers et immobiliers, en vue de résoudre une partie du déficit de la sécurité sociale.
- la parafiscalité : les 20 milliards prévus pour alléger les cotisations sociales sur les bas salaires doivent selon les socialistes être soumis à un contrôle strict mesurant l’effet de l’effort consenti sur la création d’emplois.
- les allocations familiales : la diminution prévue dans les prestations fait l’objet de divergences entre le CVP, qui souhaite une diminution de l’allocation pour le premier enfant et le PS qui préfère utiliser la voie fiscale.
102D’autres points restent encore en suspens. Ils concernent principalement les modalités des hausses de TVA et d’accises en vue de compenser les diminutions de cotisations patronales et les mesures de sélectivité à introduire dans les dépenses de l’assurance chômage.
103Le 16 novembre, le Premier ministre convoque à Val Duchesse le Conseil des ministres. L’approbation d’un accord par l’ensemble du gouvernement est liée à une ultime négociation sur les points non encore réglés. Quelques points nouveaux sont abordés et introduits dans le plan dont une contribution spécifique du secteur du gaz et de l’électricité et des mesures de normalisation de la fiscalité des banques. La négociation se termine dans la nuit du 16 au 17 novembre. Le 17 novembre J.-L. Dehaene présente le plan global du gouvernement à la Chambre et au Sénat et ensuite à la presse.
104Comme les documents précédents (rapport Verplaetse et note Dehaene), le plan global comporte plusieurs volets. Le volet emploi met l’accent sur la diminution des cotisations patronales, la redistribution du travail et la flexibilité. La diminution des cotisations patronales vise essentiellement l’engagement de travailleurs à bas salaires, déjeunes ou de travailleurs à temps partiel. Elle vise aussi à stimuler la conclusion de conventions collectives définissant des plans d’entreprise de redistribution du travail. Les mesures de flexibilité touchent notamment la législation du travail (contrat de travail à durée déterminée, délais de préavis, durée du travail, pécule de vacance des jeunes, etc.).
105Le volet compétitivité prolonge et amplifie les mesures prises en mai par le gouvernement suite à l’absence d’accord entre interlocuteurs sociaux. Il s’agit d’un blocage des salaires à partir de 1995. Les conventions en cours jusqu’à cette date restent d’application. L’indexation des salaires est retardée et le mode de calcul de l’index est modifié (non prise en compte des hausses de fiscalité indirecte). Le plan global ne reprend pas les propositions du rapport Verplaetse et de la note Dehaene concernant une révision de la loi de sauvegarde de la compétitivité. En outre les mesures de diminution des cotisations patronales sont amplifiées (voir volet emploi).
106Le volet sécurité sociale comporte des mesures d’économie dans tous les secteurs et des perceptions nouvelles (cotisation pour les ménages sans enfants, pour contrebalancer la diminution des allocations familiales et une augmentation de la fiscalité sur les revenus mobiliers et immobiliers). La diminution des charges patronales est compensée par une augmentation de la fiscalité indirecte (non répercutée dans l’index). L’équilibre financier est à rétablir par un plan pluriannuel sur trois ans à annexer au plan de convergence présenté aux autorités européennes. Pour l’équilibre financier à long terme, le plan global renvoie à des mesures à prendre au niveau européen (harmonisation des régimes fiscaux, taxe sur l’énergie). Les principes de base de la sécurité sociale sont confirmés (combinaisons d’assurances sociales et de solidarité) mais des réformes sont prévues dans sa gestion et sa structure. Le plan global prévoit la création d’un Conseil général de la sécurité sociale, remplaçant le comité de gestion de l’ONSS, au sein duquel les responsabilités des interlocuteurs seront importantes, notamment du point de vue budgétaire. A long terme, il est envisagé de structurer la sécurité sociale en faisant une distinction entre les secteurs liés au travail et les secteurs généraux. De même parmi les mesures non décidées mais envisagées, on trouve encore l’instauration d’une assurance autonomie.
107Le plan global contient un chapitre consacré à "un effort global et équitable". Le gouvernement y rappelle les mesures décidées auparavant et les mesures nouvelles concernant la lutte contre la fraude fiscale et concernant une meilleure perception des impôts. Il développe dans ce chapitre les mesures en matière de fiscalité (sur les revenus immobiliers et mobilier, fiscalité des banques).
108La Chambre l’adopte le 21 novembre après avoir approuvé la déclaration motivée sur la dégradation de la compétitivité. Le Sénat l’adopte deux jours plus tard.
De la concertation à la décision gouvernementale
109Lorsque le Premier ministre, J.-L. Dehaene lance le 15 juillet 1993 une invitation à négocier un pacte social sur l’emploi, la compétitivité et la sécurité sociale, il fait explicitement référence au projet d’accord de solidarité sociale de 1944 [34]. Cette référence n’était pas nouvelle. Depuis une quinzaine d’années les interrogations sont nombreuses sur la viabilité du "système de concertation à la belge" et des voix s’élèvent, surtout du côté syndical et quelquefois du côté patronal, pour demander la définition d’un "nouveau pacte social". Les signes de rupture du "grand compromis" sont nombreux. Sans prétendre être exhaustif, citons les interventions répétées du gouvernement dans la libre négociation des salaires, les sauts d’index, l’alignement de la négociation des salaires sur des critères de compétitivité, l’absence de véritable accord interprofessionnel entre 1977 et 1986, etc.
110En faisant un parallélisme avec le "pacte social" de 1944, le Premier ministre provoque une vague d’intérêt sur la nature de cet accord. Des comparaisons sont faites entre la situation de l’après-guerre et l’époque actuelle. Même si ces comparaisons révèlent davantage de différences (situation politique, environnement économique, etc.), le Premier ministre contribue à placer les attentes à un très haut niveau.
111Les organisations syndicales réagissent différemment à l’invitation du Premier ministre. La CSC avance des propositions et organise un débat interne sur le thème du pacte social. La FGTB attend de connaître les bornes de la négociation, tout en réitérant que ses priorités sont l’indexation des salaires, la politique volontariste de l’emploi et la fiscalité. La CGSLB, qui souhaitait également une approche globale des problèmes socio-économiques, attend les propositions et se dit ouverte à la négociation. La FEB, qui semble très en retrait par rapport à l’initiative gouvernementale, ne réagit que tardivement et en front commun avec les organisations patronales régionales. Elle met en avant la nécessité prioritaire de préserver la compétitivité des entreprises pour assurer la création d’emplois.
112Le processus qui a mené au plan global du gouvernement a connu plusieurs phases de durée inégale. La première - la plus longue (de juillet à la mi-octobre) - est une phase de décantation et non de décision. Le gouvernement, qui n’intervient pas à ce stade, charge un groupe d’experts d’élaborer des propositions pouvant servir de base à une négociation. Les acteurs de la négociation attendent les propositions du groupe d’experts. L’urgence est souvent invoquée face aux spéculations dont le franc belge, comme d’autres monnaies européennes, est l’objet. Des négociations informelles ont lieu à partir de septembre entre le Premier ministre et le patronat d’une part, les organisations syndicales d’autre part. Au cours de la deuxième phase, le rapport des experts est rendu public ainsi qu’une note préparée par le Premier ministre au cours de ses contacts informels. Les négociations sont brèves. En en constatant l’échec, le gouvernement reprend l’initiative et renonce à la concertation tripartite. La troisième phase est caractérisée par une situation conflictuelle. Des actions de grève sont organisées, dont le gouvernement est la cible. Celui-ci apparaît comme l’acteur principal du processus en cours. Il garde cette position même après la communication de ses décisions, celles-ci étant violemment contestées par les organisations syndicales.
113Pour rendre compte de l’échec des organisations tripartites, il faut faire appel à des explications d’ordres différents. La procédure choisie était relativement inhabituelle. Le groupe d’experts, composé d’économistes proches des partis de la coalition gouvernementale et ayant des fonctions dans de grandes institutions de concertation ou de gestion publique, a à la fois cristallisé les attentes et les points de convergence et de divergence. Il a aussi servi de paravent à des négociations informelles et permis aux deux principaux protagonistes de la coalition, le CVP et le PS, de faire des concessions sur des aspects des discussions prioritaires pour chacun d’eux (des économies sur les allocations familiales et une nouvelle augmentation de la fiscalité indirecte pour le CVP ; l’acceptation d’une modification du mécanisme de l’indexation des salaires pour le PS). Parallèlement à ce processus de décantation de positions, des discussions informelles sont menées par le Premier ministre. Le groupe d’experts présente alors son rapport "technique", laissant la décision politique à d’autres. Le rapport présente toutefois déjà des pistes, testées au cours des discussions.
114Les négociations bilatérales relativement dures menées par le Premier ministre, à la manière de celles qu’il avait menées avec les représentants des partis pour la réforme des institutions politiques, heurtent les organisations syndicales. Celles-ci ne voient que très peu de marge de négociation dans les documents qui leur sont distribués à l’issue de ces contacts informels et acceptent mal de se voir fixer des délais aussi brefs. En effet, à la première réunion tripartite officielle du 20 octobre, le Premier ministre les incite à décider très rapidement et sur l’ensemble des textes soumis. Il est très probable que les contacts informels du Premier ministre lui ont permis de constater que les points de vue du patronat et des syndicats étaient trop éloignés pour pouvoir donner lieu à un accord, même si l’on allongeait les délais de négociation.
115Il faut sans doute aussi tenir compte de la campagne d’opinion faite en Flandre par le VLD et du côté francophone par le PRL contre l’action des "groupes de pression" qui paralyseraient ou confisqueraient la décision politique. Cette campagne a un impact auquel le gouvernement se montre attentif. Marquer des distances vis-à-vis des interlocuteurs sociaux, au moment où les négociations risquaient de s’enliser et de toucher à un vaste champ de la décision politique, élargi encore à la fiscalité, a sans doute été une marque de prudence de la part du CVP, le partenaire du gouvernement le plus sensible électoralement à la concurrence libérale. Le brusque changement d’attitude du gouvernement n’a du reste été possible que parce que le PS et le CVP avaient chacun fait un "geste" de compromis sur des sujets sur lesquels ils ne pouvaient transiger quelques mois plus tôt.
116Le PS et le CVP sont apparus comme l’axe central de la négociation. Les deux partis se sont comportés de façon différente avec les organisations syndicales qui leur sont apparentées. La décision du PS de permettre que l’on aborde la question d’une modification de l’index a certes eu pour conséquence de provoquer des tensions en son sein et dans ses relations avec la FGTB. Mais le parti n’a pas coupé les ponts avec le syndicat au lendemain de la rupture des négociations tripartites. Il a pris en compte, sous la pression de la rue, il est vrai, un certain nombre de priorités syndicales, a négocié avec ses partenaires de la coalition et a obtenu notamment le maintien de conventions collectives en cours et des résultats en matière de fiscalité.
117Le CVP de son côté a pris ses distances vis-à-vis de l’ACV et des tensions sont apparues du côté francophone entre le PSC et la CSC.
118L’acteur syndical ne semble avoir eu qu’une unité fort fragile dans ses contacts avec le gouvernement et le patronat [35]. La FGTB et la CSC, qui avaient réclamé ensemble une "approche globale", ont néanmoins pris beaucoup de temps avant d’élaborer une note commune sur le sujet. Cette note comprenait des points de revendications communes mais également une juxtaposition de points qui faisaient l’objet de priorités pour chaque organisation. Quant à la CGSLB, elle a été maintenue à l’écart des discussions préparatoires entre la CSC et la FGTB mais fut associée aux négociations informelles avec le Premier ministre.
119Les différences d’accents perceptibles dès la première phase sont devenues plus apparentes le 20 octobre, lorsque le Premier ministre transmet aux interlocuteurs sociaux son avant-projet de pacte social. La majorité qui s’est manifestée au bureau de la FGTB pour refuser de poursuivre la négociation est formée par la CGSP et les deux grandes centrales ouvrières, la Centrale générale et la Centrale des métallurgistes. L’opposition se cristallise essentiellement sur la modération salariale envisagée par l’avant-projet et sur l’équilibre des efforts demandés aux différentes couches de la population.
120La CSC ne renonce pas à la négociation et ne marque pas un refus de principe à la forme de modération salariale envisagée. Le succès de la manifestation que la FGTB organise le 29 octobre à Bruxelles a des retentissements à la CSC, qui sous la pression de sa base renoue avec la FGTB en organisant avec elle des journées de grève par province. Les deux organisations programment une journée de grève pour le 10 décembre. La pression sur le gouvernement en conclave se double de contacts avec les partis socialistes et sociaux-chrétiens. Ces contacts ont probablement davantage fonctionné pour la FGTB que pour la CSC. Le PS accepte de prendre en compte certaines revendications de la FGTB tandis qu’il semble que les contacts aient été beaucoup plus difficiles entre la CSC et les composantes du gouvernement qui lui sont proches.
121D’une manière générale les deux organisations syndicales connaissent des tensions entre les instances professionnelles (essentiellement les centrales) et les instances interprofessionnelles nationales. A la FGTB, les membres du secrétariat font partie du bureau, où dominent les grandes centrales ouvrières et la CGSP. Des membres du secrétariat plus enclins à négocier et à valoriser les discussions interprofessionnelles de l’avant-projet de pacte ont dû plier devant les réflexes de défense des acquis sociaux et la volonté d’autonomie de négociation des centrales. Le même phénomène s’est produit, avec un décalage dans le temps, à la CSC.
122Une négociation d’une ampleur telle que celle qui est en jeu touche toutes les dimensions de l’action syndicale. Des arbitrages internes doivent avoir lieu dans la mesure où les propositions tendaient en grande partie à encadrer le rôle, traditionnellement dévolu aux centrales, de négociation des salaires et de la durée du travail. Non seulement les mesures préconisées par l’avant-projet bloquaient toute possibilité de négociation d’avantages nouveaux mais elles donnaient un rôle nouveau aux commissions paritaires et aux délégations syndicales, celui de négocier de la création d’emploi en échange d’austérité. Elles investissaient en quelque sorte les instances professionnelles des organisations syndicales au niveau des secteurs et des entreprises d’une part du rôle classique des instances interprofessionnelles concernant la politique de l’emploi. Elles furent d’autant moins bien accueillies que des mesures du même ordre prises après 1982 (les "expériences Hansenne", suivies des opérations dites "5-3-3") n’ont pas suscité la création d’emplois espérée. D’autant moins aussi que la création d’emplois aujourd’hui envisagée par ces mesures s’accompagne d’une pression vers les bas salaires et d’une stimulation du travail à temps partiel. C’est cette même problématique jointe à une opposition aux mesures touchant l’épargne qui motive les actions de grève qui persisteront après l’accord gouvernemental sur le plan global. D’autant moins enfin qu’au moment de ces négociations, d’importantes pertes d’emplois étaient décidées dans de grandes entreprises, dont provenaient une part importante des participants aux manifestations organisées par les syndicats.
123D’autres tensions traversent encore les organisations syndicales. A la FGTB, l’Interrégionale flamande prend ses distances vis-à-vis de l’organisation nationale en prônant la réduction du temps de travail à 32 heures. A la CSC, l’aile wallonne se montre plus radicale que l’aile flamande et des divergences importantes apparaissent entre les centrales ouvrières et les deux centrales d’employés.
124Comme l’acteur syndical, le patronat a posé les balises de la négociation en insistant sur l’aspect économique, en parlant de "pacte socio-économique". La FEB s’est présentée à l’opinion - fait nouveau dans une négociation interprofessionnelle - en "front commun" avec les trois organisations patronales régionales. Les tensions qui traversent les organisations syndicales se retrouvent à la FEB. La marge de manœuvre de la Fédération a semblé très étroite eu égard aux positions de ses affiliés, les fédérations sectorielles. Face à des propositions qui pouvaient introduire des différenciations entre des secteurs ou entre des entreprises, la FEB n’a manifesté aucune capacité d’arbitrage et a comme de coutume exprimé le plus petit commun dénominateur des demandes sectorielles : compétitivité et flexibilité.
125Si tout le processus de décision observé ici met en œuvre des oppositions, des alliances et des compromis structurés selon le clivage socio-économique, il reste que l’opposition syndicale au patronat passe pour la plus grande part par une opposition aux mesures proposées par le gouvernement et que c’est ce dernier qui paraît la cible des actions de grève. Et cela s’observe même pour les mesures qui mettent le patronat en première ligne, comme celles qui concernent les diminutions de cotisation patronale en vue de créer de l’emploi. Une part de l’opinion syndicale, relayant des arguments peu éloignés de ceux véhiculés par les partis libéraux, n’aurait pas été opposée à une chute du gouvernement. Dans ce contexte, la FEB a pu présenter les entreprises touchées par les grèves comme des victimes d’un processus qui se déroule en dehors d’elles.
126Le processus se poursuit au lendemain de l’accord gouvernemental sur le plan global. Des mesures demandent des négociations intragouvernementales pour pouvoir être appliquées (par exemple la diminution des allocations familiales et les efforts semblables à demander aux ménages sans enfant), d’autres supposent des négociations à tous les niveaux du système des relations collectives du travail : Conseil national du travail, commissions paritaires, entreprises.
127L’échec d’un pacte social négocié était prévisible étant donné l’éloignement des positions syndicales et patronales. Au cours du processus, le gouvernement a retrouvé la capacité de réaliser en son sein un compromis, qu’il impose par la voie légale, même si des aménagements s’avèrent possibles sur des points mineurs et si des négociations entre interlocuteurs sociaux doivent se poursuivre notamment sur les questions de l’emploi. Le système des relations collectives du travail se retrouve quant à lui en état de crise profonde. Certes les interlocuteurs sociaux voient leur rôle renforcé dans la gestion de la sécurité sociale, avec la création d’un Conseil général aux missions relativement étendues. De plus, de nouvelles missions de contrôle et de suivi en matière d’emploi sont prévues pour le CNT et le CCE. Mais ce système semble éprouver des difficultés à inclure de façon volontariste l’emploi dans son fonctionnement.
128D’une part les centrales syndicales apparaissent comme réticentes à échanger une nouvelle vague de modération salariale contre des emplois qu’elles jugent hypothétiques et statutairement dévalués. D’autre part le patronat refuse toute forme d’engagement en matière d’emploi, préférant des mesures générales en l’efficacité desquelles les organisations syndicales ne croient guère.
129Parallèlement aux négociations du pacte social se déroulent des discussions au niveau européen. Lors du Sommet européen de Copenhague en juin 1993, J. Delors, président de la Commission européenne, fait un constat accablant de la situation de l’emploi en Europe et présente un projet de livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi, à enrichir par des contributions nationales et à approuver lors du Sommet de Bruxelles en décembre 1993. Des thèmes comme ceux de la flexibilité et de la réduction des coûts du travail peu qualifié ont profondément marqué les propositions du Premier ministre. Par ailleurs, une mesure proposée par lui, le financement alternatif de la sécurité sociale par une taxe sur l’énergie, renvoie à une hypothétique décision européenne.
Tableau comparatif des principaux points du rapport du groupe Verplaetse, de la note Dehaene et du plan global
Tableau comparatif des principaux points du rapport du groupe Verplaetse, de la note Dehaene et du plan global
Notes
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[1]
Voir Pierre Blaise, "L’accord interprofessionnel du 9 décembre 1992", Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 388-1389, 1993.
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[2]
Idem.
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[3]
Voir Pierre Biaise, Evelyne Lentzen, "La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. 2. La politique budgétaire", Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1405-1406, 1993, pp.25-26.
-
[4]
Appelée aussi Table ronde fédérale de l’emploi.
-
[5]
Entretien avec J.-L. Dehaene, Le Soir, 12 juillet 1993.
-
[6]
Placé sous la présidence d’A. Verplaetse (CVP), gouverneur de la Banque nationale et le vice-présidence de R. Tolle (PS), président du Conseil central de l’économie, ce groupe est composé de M. Jadot (PS), président du Conseil général de l’INAMI et secrétaire du Conseil national du travail, H. Bogaert (PSC), commissaire au Plan, P. Van Rompuy (CVP), président de la section "Besoins de financement des pouvoirs publics" du Conseil supérieur des finances et H. Verwilst (SP), président du comité exécutif de la CGER-Holding.
-
[7]
Ce communiqué est signé par G. Jacobs (FEB), P. Thys (NCMV), R. Mené (UCM), R. Eeckloo (Boerenbond), W. Peirens (CSC), F. Janssens (FGTB) et W. Waldack (CGSLB).
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[8]
Willy Peirens, Le Soir, 11-12 septembre 1993.
-
[9]
Le 9 février 1993, le Conseil général de la CSC avait décidé de lancer une réflexion sur la réduction du temps de travail. Le syndicat escomptait fixer sa position en novembre. En septembre la poursuite des discussions internes est reportée, aucune formule n’ayant pu faire l’unanimité au sein de l’organisation. Le débat sur le pacte social prend la priorité.
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[10]
Telex, 21 septembre 1993, p.3.
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[11]
Idem, p.6.
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[12]
Idem, p.7.
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[13]
Idem, p.12.
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[14]
Idem, p.15.
-
[15]
Syndicats, 2 octobre 1993, p.3.
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[16]
Idem.
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[17]
Idem.
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[18]
Malgré sa demande, la CGSLB est systématiquement exclue des discussions entre syndicats pour la définition des positions communes.
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[19]
L’Echo, 24-26 juillet 1993.
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[20]
Le Soir, 6 septembre 1993.
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[21]
Le Soir, 2 septembre 1993.
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[22]
Feb-infor, 15 octobre 1993.
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[23]
L’Echo, 3 septembre 1993.
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[24]
Voir Pierre Blaise, Evelyne Lentzen, "La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. 2. La politique budgétaire", Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1405-1406, 1993, pp.40-50.
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[25]
Dix-neuf réunions, représentant une somme d’environ 80 à 90 heures de travail.
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[26]
Une vue plus détaillée des mesures préconisées par le rapport des experts est donnée en annexe.
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[27]
Le Soir, 22 octobre 1993.
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[28]
Idem.
-
[29]
Idem.
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[30]
La Libre Belgique, 23-24 octobre 1993.
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[31]
Le Soir, 26 octobre.
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[32]
Idem.
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[33]
M. Smet, ministre de l’Emploi et du Travail, Ph. Maystadt, ministre des Finances, A. Bourgeois, ministre des PME et de l’Agriculture, Fr. Willockx, ministre des Pensions et B. Anselme, ministre des Affaires sociales, de la Politique familiale et des Handicapés.
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[34]
Le projet d’accord de solidarité sociale de 1944, négocié dans la clandestinité pendant la guerre entre des dirigeants patronaux et syndicaux avec la collaboration de hauts fonctionnaires, contenait des propositions à mettre en œuvre dès la cessation des hostilités. Il consacrait la reconnaissance des interlocuteurs sociaux déjà expérimentée avant la guerre, définissait les conditions de leur autonomie dans la négociation pour le partage des fruits de la croissance économique, les associait à tous les niveaux de la décision politique en matière économique et sociale et jetait les bases d’un système généralisé de sécurité sociale.
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[35]
Ceci est constaté également pour la période conflictuelle qui a suivi l’accord gouvernemental sur le plan global.