Notes
-
[1]
Trois d’entre elles (les mutualités chrétiennes, libérales et socialistes) ont une identité philosophique et politique qui les rattache, selon des degrés divers, à l’un des trois "mondes". Comme leur nom l’indique, les mutualités professionnelles sont structurées de façon plus professionnelle que les autres mutualités, dont les fédérations sont presque toutes des fédérations régionales. Plusieurs fédérations des mutualités professionnelles sont liées étroitement à des compagnies d’assurance, à des secrétariats sociaux ou à des banques d’épargne. Par exemple la plus importante des fédérations des mutualités professionnelles est la fédération La Famille qui est aussi une caisse d’allocations familiales et une banque d’épargne. Précisons aussi que la plus importante fédération des mutualités neutres est la fédération Assubel, Assubel étant par ailleurs la troisième compagnie d’assurance du pays. Le regroupement des unions nationales des mutualités neutres et des mutualités professionnelles a été voté en décembre 1988 par les assemblées générales respectives de ces 2 unions. La fusion sera effective le 1er janvier 1990.
-
[2]
INAMI, rapport général, 4e partie, Service des soins de santé, partie B, 1984, pp. 22-23.
-
[3]
Audit opérationnel des frais d’administration des organismes assureurs en charge de l’administration de l’assurance maladie-invalidité à la demande du ministre des Affaires sociales et des Réformes institutionnelles, 1988. Voir aussi 2e partie.
-
[4]
Rapport sur l’assurance maladie, présenté par le Commissaire royal, M. Petit, Chambre des Représentants, No 892 (1975-1976).
-
[5]
Voir néanmoins R. Crémer, Le mouvement mutualiste en Belgique, Revue belge de la sécurité sociale, Janvier 1964, pp. 12-132.
-
[6]
Voir notamment : Michel Vermote, Santé - 75 ans d’Union nationale des mutualités socialistes (1913-1988), Archives et musée du mouvement ouvrier socialiste, Gand, 1988, 118 p. ; Historique des mutualités libérales, Ligue nationale des fédérations mutualistes libérales de Belgique, Bruxelles, 27 p. ; La mutualité professionnelle, Union nationale des mutualités professionnelles de Belgique, Bruxelles, 95 p. ; J. Goffinet, Le mouvement mutualiste neutre - Ses racines. Union nationale des fédérations mutualistes neutres, Bruxelles, 1986, 102 p. ; P. Quaghebeur, De kristelijke mutualiteitsbeweging in het Gentse, Gand, 1986 ; M. Deladderre, Organisatorische en politieke evolutie op nationaal vlak van de Christelijke Mutualiteit, 1945-1963, RVG, mémoire de licence, 1985-1986 ; Jos Van Roy, Van ziekenbeurs tot socialistische mutualiteit, Nationaal verbond van socialistische mutualiteiten, Bruxelles, 214 p. ; A. Van Melle, Pages d’histoire de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, Bruxelles, 1955 ; Arthur Jauniaux, Les mutualités syndicales et socialistes et les assurances sociales, Bruxelles, 1938 ; Arthur Jauniaux, Cent années de mutualité en Belgique, Ed. l’Eglantine, Bruxelles, 1930 ; Rudolf Rezsohazy, Histoire du mouvement mutualiste chrétien en Belgique, Ed. Erasme, Paris-Bruxelles, 1957, 344 p.
-
[7]
Voir B.S. Chlepner, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Ed. de l’ULB, Bruxelles, 1956, 447 p., et Georges Delvaux, Jean-Luc Durieu, Herman Seré, Cent ans de droit social en Belgique, Ministère de l’Emploi et du travail et Ministère de la Prévoyance sociale, Bruxelles, 1987, 174 p. Voir aussi les ouvrages de Jean Neuville parus aux Éditions Vie ouvrière, La condition ouvrière au XIXème siècle (2 tomes), L’évolution des relations industrielles (2 tomes).
-
[8]
Voir Les mutualités en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, 2 octobre 1964, 15 p. ; Marcel Liebman, La grève des médecins en Belgique, Les Temps modernes, No 218, juillet 1964, pp. 100-151.
-
[9]
Dans son rapport sur l’assurance maladie (Chambre des représentants, document No 892, session 1975-1976, 26 mai 1975, 535 p.), le commissaire royal M. Petit consacre 13 pages sur les 17 que compte le chapitre XVI consacré aux organismes assureurs à cette seule question.
-
[10]
Exactement en avril 1982. Pour une description détaillée des événements, voir Thierry Poucet, Les mutuelles face au scandale, Actualité-santé No 45, septembre-octobre 1982, pp. 32-42.
-
[11]
L’expression "la mutaffia" fut lancée par le Dr André Wynen dans ses éditoriaux du Bulletin d’information des Chambres syndicales de médecins. Un livre a même synthétisé, récemment, l’essentiel des accusations portées contre les mutuelles : Erik van Grieken, Mutualités : la conspiration, Ed. Roularta, 1988, 120 p.
-
[12]
Ce qui n’est pas sans contenu paradoxal, si l’on considère par ailleurs que la relative dégradation de l’État a pu être un des facteurs de renforcement du rôle des mutuelles.
-
[13]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
-
[14]
Du côté chrétien en particulier, il semble qu’"à l’origine, les mutuelles de type paternaliste sont de loin les plus nombreuses. Mais au fur et à mesure que les idées de la démocratie chrétienne se répandent, les caisses mutuelles vont prendre le relais. Lors du congrès de Malines en 1863, Charles Perin exposera de façon saisissante les idées prédominantes en matière d’organisation paternaliste de l’entraide mutuelle. Il s’exprime alors en ces termes : ‘La structure sociale actuelle doit reposer sur des associations de secours mutuels dans lesquelles les possédants mettent leur propre personne ainsi que leurs richesses au service des classes inférieures. Les travailleurs se réunissent dans ces associations et pratiquent la charité des petits envers les petits, mais les grands s’affilient également et pratiquent la charité des riches envers les pauvres. C’est ainsi qu’un ordre social solide sera établi où chacun reçoit les bienfaits de la liberté et de l’égalité, et où un régime d’État hiérarchique et traditionnel est garant de l’intérêt général.’" Cité dans Cent ans de droit social en Belgique, op. cit, p. 122.
-
[15]
Françoise Antoine, in La mise en place de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique - Principaux événements historiques et hypothèses de travail (en collaboration avec Jacques Lemaître), Lettre d’information du GERM No 123, Bruxelles, décembre 1978, p. 5.
-
[16]
Voir Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
-
[17]
Classification établie par R. Crémer, op. cit., et citée dans le Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, op. cit., p. 2. Pour un autre point de vue voir Hedwige Peemans-Poullet, Aux origines de la sécurité sociale, et Une conquête des travailleurs ?, La Revue Nouvelle, novembre 1980, pp. 428-447.
-
[18]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
-
[19]
Ibidem.
-
[20]
M. Petit, op. cit., pp. 2 et 3. Un autre indice est la date de création des unions nationales autour de l’année 1912, voir Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, op. cit., p. 2.
-
[21]
Article 18 de la loi du 23 Juin 1894 portant révision de la loi du 3 avril 1851 sur les sociétés mutualistes.
-
[22]
Pp. 4-6. Voir aussi R. Crémer, op. cit., pp. 102-132, pour une analyse comparée des diverses propositions élaborées et débattues dans l’entre-deux-guerres.
-
[23]
A noter que le sénateur A. Jauniaux, dans des propositions de loi déposées respectivement le 9 novembre 1926 et le 20 novembre 1929, associait l’idée d’assurance obligatoire à celle de mutualité unique.
-
[24]
Cité par Fr. Antoine, op. cit., p. 12.
-
[25]
La genèse de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 872-873, 14 mars 1980, 47 p.
-
[26]
Le premier établissant, sous forme de loi-cadre, la sécurité sociale pour les travailleurs salariés et le second instaurant les modalités pratiques de l’assurance maladie-invalidité pour ces mêmes travailleurs.
-
[27]
M. Carlier (op. cit., p. 24) précise que "ce texte porte toujours le nom de "projet" parce que n’ayant jamais été "l’objet d’un entérinement formel de la part des organisations intéressées". Il est publié dans de nombreux ouvrages, dont la Revue du travail de janvier-mars 1945 (pp. 10 et ss.)".
-
[28]
R. Roch, Un plan de sécurité sociale, Revue du travail, octobre 1958, p. 1.176 (cité par M. Carlier, op. cit., p. 18).
-
[29]
A noter que l’assurance maladie fut en Belgique une des dernières branches de la sécurité sociale à entrer dans un système de couverture obligatoire (voir plus loin).
-
[30]
M. Carlier, op. cit., p. 46.
-
[31]
R. Roch, op. cit., pp. 1.177 (cité par M. Carlier, op. cit., p. 18).
-
[32]
Pour plus de détails, voir M. Carlier, op. cit., pp. 12-17.
-
[33]
Voir M. Carlier, op. cit., pp. 18-19.
-
[34]
A. Jauniaux est présenté aujourd’hui comme l’homme qui des années 1910 aux années 1940 fut le "stratège du mutualisme socialiste" (voir Michel Vermote, op. cit., p. 53).
-
[35]
Cité par M. Carlier, op. cit., p. 28.
-
[36]
M. Petit, op. cit., p. 3.
-
[37]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 70.
-
[38]
Cf notamment Le mouvement de "grève des soins" décidé par la Fédération nationale des Chambres syndicales de médecins : analyse des réactions des groupes, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 239, 17 avril 1964.
-
[39]
C’est-à-dire une seule caisse centrale pour la couverture des prestations médicales, d’une part, et pour l’octroi de revenus de remplacement en cas d’incapacité temporaire de travail, d’autre part.
-
[40]
Interview de Jérôme Dejardin par Thierry Poucet et Jean Van der Vennet, Place de la santé, No 7, Bruxelles, mars 1987, pp. 20 à 24.
-
[41]
M. Liebman, op. cit., p. 103.
-
[42]
Ibidem, p. 102.
-
[43]
Sénat 1962-1963, 327, rapport des sénateurs Pede et De Vuyst, pp. 5, 42-43, 45 (cité par M. Petit, op. cit., pp. 36-37).
-
[44]
Extrait d’une "note pour Monsieur le ministre des Affaires sociales", 10 décembre 1985, p. 5.
-
[45]
M. Carlier, op. cit., p. 47, reprenant un propos de A. Delpérée, Vers une politique de santé, Revue belge de sécurité sociale, 1969, 11ème année, No 11-12, p. 1.271.
-
[46]
On mit fin à cette pratique en 1987, sous l’autorité du Dr Jérôme Dejardin, président de la Commission nationale médico-mutualiste ; voir interview déjà citée du Dr J. Dejardin.
-
[47]
Cris Van den Berghe, Les mutualités chrétiennes entre l’État et le marché, Contradictions, No 45-46, 1985, p. 151.
-
[48]
Arrêté royal No 176 du 30 décembre 1982.
-
[49]
"Ces derniers temps, les mutualités ont été l’objet de vives attaques concernant de prétendues manipulations frauduleuses des fonds de l’assurance maladie. Je crois que nous avons tout à gagner à la clarté", déclarait Edouard Descampe, secrétaire général-adjoint des mutualités chrétiennes lors du congrès de l’ANC des 2-3-4 décembre 1976 (voir la revue Orientation, No 3-4, 1976, p. 111).
-
[50]
Pour plus de détails, voir Thierry Poucet, Les mutuelles face au scandale, op. cit.
-
[51]
La libre Belgique, 8-9 mai 1982.
-
[52]
La société Arthur Andersen & Co, qui sera chargée cinq ans plus tard par le gouvernement de procéder à un diagnostic de l’efficacité gestionnaire des organismes assureurs, écrira pour sa part dans ses conclusions (p. 22) : "l’audit financier a permis d’identifier le faible rendement des fonds du régime (moyenne en 1986 de 2,9 sur des fonds journaliers de 5.347 millions)".
-
[53]
Reconnues au moins partiellement par le collège intermutualiste, qui déclarait dans un communiqué (reproduit notamment dans L’Effort mutualiste de juin 1982) : "Une enquête récente de l’INAMI a pu établir qu’une fédération mutualiste avait effectué sans justification suffisante des placements à terme : ces faits sont inacceptables et il est normal qu’ils soient sanctionnés".
-
[54]
Selon M-informations No 131, 1er mars 1988, p. 1.
-
[55]
Chaque union nationale y a réagi en son nom propre. Le Collège intermutualiste également, dans une "position commune" de 37 pages, datée du 29 janvier 1988.
-
[56]
FB 20,4 milliards au moment de l’enquête.
-
[57]
Op. cit.
-
[58]
Voir l’article 2 du projet, ainsi libellé :"Paragr. 1er. Les mutualités sont des associations de personnes physiques qui ont pour objectif de promouvoir le bien-être physique, psychique et social par l’assistance mutuelle et la solidarité.
Paragr. 2. Les mutualités instaurent en gestion propre un ou plusieurs services en vue de l’octroi d’interventions dans les frais résultant de la prévention et du traitement de maladies et de l’invalidité ou l’octroi d’indemnités en cas d’incapacité de travail ou de toute autre situation sociale digne d’Intérêt, sans préjudice des restrictions fixées par le Roi.
Paragr. 3. Les mutualités organisent des activités concernant l’octroi d’aide, d’information et d’assistance.
Paragr. 4. Les mutualités peuvent aussi instaurer un service en exécution de l’assurance maladie-invalidité obligatoire, conformément aux dispositions de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et ses arrêtés d’exécution. Dans ce cadre, et sans préjudice des missions qui leur sont confiées en vertu de la loi précitée, les mutualités accordent à leurs membres l’assistance appropriée quant à leurs droits et obligations". -
[59]
Assurance maladie et qualité des soins : la tactique du gendarme, éditorial, Place de la santé, No 13, novembre 1987, p. 3.
-
[60]
Outre la campagne entamée en avril 1982 (voir plus haut), citons pour mémoire la vague de commentaires suscitée par les "révélations" du journal De Standaard, dans son édition du 7 septembre 1987. Celui-ci dévoilait alors des éléments, en apparence accablants, d’un dossier d’instruction établi suite à une plainte pour détournement de fonds déposée en 1983 par le Dr Wynen contre l’ensemble des mutuelles. Le 16 novembre 1988, en primeur toujours. De Standaard annonçait que le juge d’instruction chargé de l’examen du dossier "serait d’avis qu’il n’y a pas de faits repérables, passibles de sanction, à l’issue de ces cinq années d’enquête et que le dommage subi par des tiers est soit non établi, soit difficilement évaluable" (ceci valant en tout cas pour les deux principales unions nationales - chrétienne et socialiste -, dans l’attente de précisions ultérieures concernant les trois autres mutualités).
-
[61]
Mutuelles : détruire, disent-ils…, éditorial, Place de la santé No 12, octobre 1987, p. 3.
-
[62]
De Standaard, 10-11 septembre 1988.
-
[63]
Cité par P. Messiaen, L’adaptation des structures des mutualités chrétiennes. Lignes de force des nouvelles structures, Orientation, No 3-4/76, p. 99.
-
[64]
C’est la mutuelle qui paye ?, numéro spécial du Journal d’Hippocrate, 1979, pp. 80-81.
-
[65]
Le compte rendu détaillé de ces auditions a été publié dans la brochure Votre mutualité, préparatoire au 3lème congrès national de l’ANC, 1976, 100 p.
-
[66]
Jacques Lemaître, La mise en place de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique. Principaux événements historiques et hypothèses de travail, Lettre d’information du GERM, No 123, décembre 1978, p. 23.
-
[67]
Ce n’est pas l’ancienne revendication des mutualités socialistes en faveur d’un "service national de santé", jadis assez imprécise et aujourd’hui totalement asthénique, qui infirmera ce constat.
-
[68]
Du côté des établissements du réseau socialiste, l’on a peut-être été un peu plus audacieux en son temps dans certains domaines, en développant par exemple des formules de rémunération forfaitaire des médecins à l’hôpital (voir à cet égard le rôle-pilote de la clinique de La Hestre, devenue plus tard l’hôpital de Tivoli à La Louvière). Le recul n’en a été que plus net lorsque, sous le coup de difficultés de gestion, le retour à "l’intéressement financier" - et donc au paiement à l’acte - est apparu comme une solution nécessaire et suffisante.
-
[69]
Au contraire, si l’on considère par exemple les événements qui conduisirent au dernier accord médico-mutualiste, conclu durant l’été 1988. La Confédération des médecins belges, qui proposait une revalorisation financière substantielle de la médecine générale et des actes intellectuels en particulier, comme prélude à des mesures structurelles de plus grande envergure (telle la "création d’un conseil national des soins de santé de première ligne"), fut assez sévèrement critiquée et accusée en substance d’avoir des revendications démesurées par certains dirigeants mutualistes.
-
[70]
Cette idée a été reprise dans le rapport général concernant l’équilibre financier de la sécurité sociale présenté à la table ronde de l’assurance maladie (1988). Les auteurs de ce rapport préconisent de "responsabiliser" chaque organisme assureur pour 20 % de son déficit éventuel. Les 80 % restant devant être pris en charge par une solidarité intermutualiste. Les mutualités chrétiennes se sont prononcées lors de la table ronde de l’assurance maladie en faveur d’une responsabilité financière conditionnelle et progressive, les conditions étant essentiellement la garantie d’un financement suffisant, l’assurance d’une répartition des moyens entre les mutualités en fonction des risques de la population couverte et la garantie de détenir des pouvoirs suffisants pour qu’elles puissent exercer une plus grande maîtrise des dépenses. Pour les mutualités chrétiennes la responsabilité doit être à la fois collective entre toutes les mutualités et individuelle pour une part qu’elles ne chiffrent pas. Les mutualités socialistes ont marqué lors de cette table ronde leur septicisme vis-à-vis de la responsabilité financière en signalant qu’elle n’apporterait pas une plus grande maîtrise des dépenses et que cela reviendrait simplement à privatiser les résultats financiers de l’assurance maladie obligatoire. Voir aussi à ce propos, J.P. Closon, Vers la responsabilité financière des mutuelles, texte ronéotypé et La guérison de l’assurance maladie par la privatisation ?, La Revue Nouvelle, octobre 1988.
-
[71]
P. Defeyt et P. Reman, Les partis politiques face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 1041-1042, 25 mai 1984.
-
[72]
Mais aussi les agences de voyages et les banques.
-
[73]
La faillite de la mutualité Inter 514, laissant sans indemnité plusieurs de ses assurés qui avaient souscrit à un plan d’assurance revenus garantis, a révélé le vide juridique concernant le contrôle de la viabilité des assurances complémentaires de certaines mutualités.
-
[74]
Le projet de loi déposé en 1987 par le ministre des Affaires sociales Jean-Luc Dehaene (voir plus haut) allait dans le sens d’une commission du type de la Commission bancaire. Des réviseurs agréés contrôleraient tous les comptes y compris ceux de l’assurance complémentaire et établiraient une sorte de code de déontologie pour les administrations mutualistes.
Introduction
1À l’heure où les mutuelles traversent une crise de légitimité d’une ampleur sans équivalent depuis la seconde guerre mondiale ; à l’heure où les principales d’entre elles appellent de leurs vœux une modernisation de la loi qui les régit depuis près d’un siècle ; à l’heure où les facteurs économiques et politiques, étroitement imbriqués dans une dynamique faite de convergences et d’antagonismes, poussent l’ensemble du système d’assurance maladie à la recherche de nouveaux équilibres structurels ; au moment enfin où se réunit une table ronde à laquelle le ministre des Affaires sociales, en conformité avec la déclaration gouvernementale de mai 1988, semble vouloir attribuer une fonction de décantation "à large spectre" (au carrefour des préoccupations politiques, économiques, sociales et scientifiques) déterminante pour la gestion du secteur médico-sanitaire dans les années à venir, un regard sur l’institution mutualiste, à la fois objet et acteur essentiels du débat, s’impose.
2Dans l’espace imparti au présent Courrier hebdomadaire, ce regard restera toutefois limité, ou plus exactement concentré. Nous ne prétendons nullement pouvoir combler le manque - révélateur au demeurant - d’études méthodiques, approfondies et globales, portant sur la trajectoire historique, les ramifications institutionnelles et le rôle socio-politique des mutuelles en Belgique. De tels travaux de recherche, au sens scientifique du terme, restent à faire.
3Nous nous contenterons plutôt, après avoir décrit l’univers mutualiste contemporain dans ses particularités et ses tendances essentielles (1ère partie) et après avoir retracé le chemin parcouru par ce réseau d’institutions sociales au fil du temps et au gré des évolutions de la société (2ème partie), de mettre en évidence quelques enjeux majeurs liés au destin de ces organismes assureurs d’un genre particulier (3ème partie). Nous nous attacherons surtout aux aspects qui concernent la vocation première de ces institutions : contribuer à la bonne marche de l’assurance maladie. La question des mutuelles comme acteurs idéologiques au sens plus général et celle de leurs éventuels projets politiques, explicites ou non, ne seront pas approfondies ici.
4Ce faisant, notre propos et notre ambition, s’il en est, seront moins de désigner une voie à suivre dans le champ de la santé et de l’assurance maladie que de contribuer à jeter un peu de lumière sur une question et une dynamique sociales complexes, en plein mûrissement, que l’actualité de ces dernières années, dominée par des débats passionnels, nous semble plutôt avoir contribué à obscurcir qu’à clarifier.
1 - Le système mutualiste aujourd’hui : radiographie d’un secteur composite
5L’histoire - on le verra plus loin - nous enseigne que les mutualités ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et de souplesse au fil du temps. Après avoir constitué une figure de proue du social, elles ont véritablement "collé" à celui-ci et ont épousé les différentes formes qu’il a prises depuis le début de l’industrialisation jusqu’à nos jours. En réalité, les mutualités telles qu’on les connaît aujourd’hui, loin d’être des empires générés par le développement de la médecine moderne, sont le résultat d’un lent processus de sédimentation. De sociétés d’entraide, elles sont devenues progressivement des organismes assureurs lorsque le social fut pensé dans les termes de l’assurance et des organismes gestionnaires lorsqu’il s’est agi de concilier les principes de la sécurité sociale avec ceux de la médecine libérale. À chaque étape a correspondu une institutionnalisation plus poussée des mutualités. Au départ - nous détaillerons de quelle façon dans la 2ème partie - les mutuelles furent à peine tolérées par le pouvoir politique pour être ensuite reconnues officiellement, subsidiées et établies comme figures centrales de la gestion à l’assurance maladie.
6Cette institutionnalisation des mutuelles peut être appréhendée par l’analyse des rapports entre le mutualisme et la sphère des pouvoirs publics et, de façon plus précise, par l’examen de la place que les mutuelles occupent dans la gestion de l’INAMI ; mais, ce faisant, nous ne toucherons qu’à un de leurs aspects car elles sont aussi présentes dans le développement d’institutions médico-sociales et dans l’animation de groupements sociaux et culturels. Dans ces domaines également, les mutualités ont été marquées par l’empreinte du temps, le plus moderne y côtoyant le plus ancien.
Une fonction principale : rembourser les soins et verser les indemnités
7Procédons par ordre en envisageant d’abord la fonction principale des mutualités : le remboursement des soins médicaux aux malades et le versement d’indemnités d’incapacité et d’invalidité.
8Les sommes en jeu sont importantes. Elles reflètent avant tout la dynamique socio-économique d’un pays industrialisé qui, comme beaucoup d’autres, a fait de la santé un objet de consommation collective.
Dépenses de l’assurance maladie par organisme assureur en 1987* - soins de sante*
Dépenses de l’assurance maladie par organisme assureur en 1987* - soins de sante*
* Chiffres provisoiresDépenses de l’assurance indemnités par organisme assureur en 1987 »*
Dépenses de l’assurance indemnités par organisme assureur en 1987 »*
* Chiffres provisoires9Ainsi les cinq unions nationales [1] et la caisse auxiliaire, établissement public géré paritairement, ont, en 1987, versé plus de FB 315 milliards pour le remboursement de frais médicaux et le paiement d’indemnités. Les mutualités chrétiennes ont brassé plus de FB 120 milliards, les mutualités socialistes plus de FB 100 milliards, les mutualités professionnelles FB 32 milliards, les mutualités neutres FB 29 milliards, les mutualités libérales FB 21 milliards et la CAAMI FB 2,6 milliards.
Les mutualités et leurs affiliés : qui représente qui ?
10On mesurera mieux encore, à la lecture des tableaux 3 et 4, le poids respectif des différentes unions nationales : pour le régime des salariés, l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes est de loin la plus importante avec 44,47 % des membres. Elle est suivie par l’Union nationale des mutualités socialistes qui compte 28,6 % des affiliés. Les mutualités professionnelles et neutres suivent avec respectivement 10,5 et 9,1 % des affiliés tandis que les mutualités libérales n’ont que 6,4 % des affiliés et la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité 0,9 %. Si l’on retrouve dans cette énumération des différentes unions nationales un écho aux trois grandes composantes idéologiques du monde politique belge, observons que la part respective des différentes unions nationales ne correspond pas à la représentativité électorale des familles politiques correspondantes. Les mutualités chrétiennes ont une clientèle plus large que l’électorat du PSC et du CVP et, à l’inverse, les mutualités libérales récoltent nettement moins d’adhésions que le PRL et le PVV. Le nombre de membres des mutualités socialistes se rapproche de l’électorat du PS et du SP sans pour autant que cela signifie qu’il y ait recouvrement des deux publics.
Nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie au 30 juin 1988 (régime des salaries)
Nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie au 30 juin 1988 (régime des salaries)
Nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie au 30 juin 1988 (régime des travailleurs indépendants - activité unique)
Nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie au 30 juin 1988 (régime des travailleurs indépendants - activité unique)
11Les unions nationales sont encore organisées de façon unitaire : elles couvrent l’ensemble du pays, sur base d’une structure pyramidale constituée, aux échelons intermédiaire et inférieur, de leurs fédérations et sociétés primaires. Les tensions et les équilibres intercommunautaires se négocient donc de façon interne et c’est notamment la composition des structures dirigeantes des unions nationales qui reflète au sein de chacune d’elles les poids respectifs des différentes régions.
12Le tableau 5 donne un aperçu des principaux équilibres géographiques internes aux unions nationales.
Répartition géographique des affilies de quatre unions nationales(1),(2)
Répartition géographique des affilies de quatre unions nationales(1),(2)
(1) Arrondissements administratifs de Bruxelles et de Hal-Vilvorde(2) Brabant
13La répartition des types de bénéficiaires diffère également d’union nationale à union nationale. Les mutualités chrétiennes ont 46 % de titulaires alors qu’elles n’assurent que 32 % des invalides, 41 % des handicapés, 42 % des veuves et orphelins et des pensionnés. Les mutualités socialistes, par contre, ont 28 % de titulaires mais 38 % des invalides, 34 % des handicapés, 31 % des veuves et orphelins et 28 % des pensionnés. Les mutualités socialistes ont donc proportionnellement plus d’affiliés à haut risque de consommation élevée que les mutualités chrétiennes. C’est ainsi que les mutualités chrétiennes, comptant 44 % des effectifs, enregistrent 41 % des dépenses et que les mutualités socialistes, comptant 28 % de l’effectif, enregistrent 32 % des dépenses. Il en résulte que le coût moyen par bénéficiaire de l’Union nationale des mutualités socialistes est supérieur à celui des mutualités chrétiennes.
Évolution du remboursement moyen - soins de santé - par bénéficiaire
Évolution du remboursement moyen - soins de santé - par bénéficiaire
14Selon une publication de l’INAMI, le fait que le remboursement moyen par bénéficiaire à l’UNS soit sensiblement supérieur à celui de l’ANC s’expliquerait notamment par la différence fondamentale qui existe dans la composition de l’effectif assuré. "D’une part l’effectif de l’ANC est relativement jeune (en pourcentage il y a peu de pensionnés et de veuves mais beaucoup de descendants), tandis que d’autre part, celui de l’UNS est relativement vieux (en pourcentage, il y a beaucoup de pensionnés et de veuves et peu de descendants). En outre l’ANC a relativement peu d’invalides parmi ses affiliés, l’UNS en a relativement beaucoup. Étant donné qu’un effectif âgé représente une charge plus onéreuse qu’un effectif jeune (il est évident que la morbidité augmente avec l’âge) et que c’est pour un invalide que l’on enregistre le coût moyen le plus élevé de toutes les catégories assurées, il n’est pas surprenant qu’il y ait une telle différence entre les coûts moyens par bénéficiaire" [2]. Un groupe de travail constitué au sein de l’INAMI examine depuis le début 1987 les différences des remboursements moyens entre les mutuelles. Les premiers exercices n’ont pas abouti à une explication suffisante du phénomène : la structure catégorielle de l’effectif assuré (proportion de pensionnés, d’invalides, de veuves et d’orphelins) n’expliquerait que partiellement ces différences.
15En ce qui concerne le régime des travailleurs indépendants, la suprématie des mutualités chrétiennes se renforce avec 48,6 % des affiliés de cette catégorie. Les mutualités socialistes, par contre, sont moins représentatives des indépendants que des salariés ; elles sont dépassées par les mutualités professionnelles qui ont plus de 16 % des affiliés indépendants. Les mutualités socialistes ont quasi le même nombre d’affiliés indépendants que les mutualités neutres : un peu plus de 150.000 personnes.
16La société Arthur Andersen & Co, à laquelle Jean-Luc Dehaene, ministre des Affaires sociales, a commandité un audit sur les frais d’administration des mutuelles [3], a tenu compte de la répartition des différentes catégories de membres entre les unions nationales pour évaluer celles qui sont en situation favorable ou défavorable du seul point de vue des frais d’administration. Andersen, utilisant une méthode qui lui est propre, a regroupé les titulaires en quatre catégories :
- les titulaires favorables : les indépendants ;
- les titulaires ayant une influence moyenne : les ouvriers, employés, agents des services publics et étudiants ;
- les titulaires défavorables : les veuves et orphelins du régime général et les invalides du régime général ;
- les titulaires très défavorables : les pensionnés du régime général et les handicapés, ouvriers mineurs et personnes non protégées.
17Andersen a appliqué cette classification à chaque union nationale, les figures obtenues sont reproduites ci-après.
Répartition des différentes catégories de membres des unions nationales regroupées en catégories plus ou moins favorables du point de vue des frais d’administration selon l’audit de A. Andersen & Co
Répartition des différentes catégories de membres des unions nationales regroupées en catégories plus ou moins favorables du point de vue des frais d’administration selon l’audit de A. Andersen & Co
La structuration des mutualités
18Lorsque l’on parle des mutualités, on fait essentiellement référence à leur fonction principale de couverture des soins médicaux et de délivrance des indemnités d’incapacité de travail. Cette double fonction s’inscrit dans une structure administrative à trois niveaux. Au niveau local, du village, du quartier ou de l’entreprise, se trouve la société primaire ; au niveau régional, la fédération et au niveau du pays fonctionnent les unions nationales.
19Cette structuration fonctionnelle à trois niveaux n’est pas régie en tant que telle par un cadre légal fixant les conditions de base dans lesquelles doivent fonctionner et s’articuler les diverses instances des mutualités. Dans beaucoup de domaines, en effet, la loi bientôt centenaire (23 juin 1894) qui règle le statut légal des mutualités n’est plus adaptée à la réalité. Légalement, les mutualités sont encore considérées comme des organismes d’assistance privés alors qu’elles sont devenues avec le développement de la sécurité sociale des organismes assureurs. Cette loi organique ne tient pas compte non plus de l’instauration de l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et des conséquences structurelles qui en ont résulté pour les mutualités, en particulier un déplacement du centre de gravité des sociétés primaires vers les unions nationales. Plusieurs projets de loi ont tenté d’adapter la loi à la réalité mais ils n’ont jamais abouti. Le dernier essai fut celui du ministre des Affaires sociales, Jean-Luc Dehaene, en octobre 1987.
20Les sociétés locales ou primaires sont à l’origine du développement mutualiste ; elles constituent toujours aujourd’hui un lieu où les contacts se nouent entre l’institution et les affiliés. C’est un des endroits de paiement mais c’est aussi l’instance qui représente la légitimité démocratique des mutuelles dans le sens où les sociétés primaires sont administrées par des représentants des affiliés qui d iraient être élus, en fonction du prescrit de la loi, lors des assemblées générales de ces sociétés. Il y a plus de 1.600 sociétés dans le pays mais toutes ne fonctionnent pas comme des instances de participation au processus de décision, beaucoup d’entre elles n’ont qu’une existence fictive pour répondre à la loi de 1894.
21Les sociétés primaires d’une région, ou accessoirement d’une catégorie professionnelle, forment une fédération. C’est un échelon important, essentiellement pour deux raisons. Les fédérations sont des endroits où se réalise dans les faits l’administration de l’assurance maladie. C’est dans les fédérations régionales qu’est occupé le plus grand nombre d’employés dans les services techniques de l’assurance : assurabilité, tarification, indemnités, etc. Les fédérations régionales sont aussi les lieux d’où est parti le développement médico-social des mutualités.
22Il y a 122 fédérations qui couvrent l’ensemble du pays. Soulignons l’extrême diversité qui existe entre les fédérations. Par exemple, une fédération des mutualités neutres de Verviers compte moins de 5.000 titulaires, ce qui est inférieur à bon nombre de sociétés primaires, tandis que la fédération des mutualités socialistes du Brabant compte à elle seule 280.000 titulaires.
23En réalité, la loi de 1894 ne reconnaissait que ces deux premiers niveaux : les sociétés primaires et les fédérations. Il faudra attendre la loi du 9 juillet 1963 pour voir les unions nationales reconnues légalement.
24Si le poids technique se situe essentiellement dans les fédérations régionales, le pouvoir des mutuelles s’exerce en grande partie et en tout cas pour les deux plus grandes d’entre elles au sein des secrétariats nationaux. Ceux-ci jouent un rôle de coordination et de centralisation dans la gestion des affaires mutualistes mais leur importance se situe surtout dans la fonction de représentation structurelle, dans les différentes instances de l’INAMI ou lors de l’élaboration des conventions médico-mutualistes, et dans la fonction de représentation ponctuelle, lors de consultations avec le gouvernement ou les interlocuteurs sociaux par exemple.
25En théorie, ces trois niveaux sont articulés selon les principes classiques de la délégation de pouvoir. Dans les faits, cependant, le poids respectif des différents niveaux varie d’union nationale à union nationale. Pour les mutualités chrétiennes et socialistes, la centralisation de la gestion et la plus forte institutionnalisation qui les caractérisent, expriment le fait que le pouvoir dans sa dimension politique est détenu par les directions des secrétariats nationaux et des plus importantes fédérations tandis que dans les plus petites unions nationales la répartition du pouvoir est moins centralisée, les sociétés locales gardant une plus grande responsabilité dans la conduite de la politique mutualiste. Il n’empêche que, globalement, le poids des permanents est de plus en plus prépondérant dans le processus de décision. Ce phénomène de centralisation est renforcé du fait que l’INAMI ne traite principalement qu’avec les unions nationales.
Nombre de fédérations et de sociétés primaires dans les différentes unions nationales des mutualités belges
Nombre de fédérations et de sociétés primaires dans les différentes unions nationales des mutualités belges
La gestion de l’assurance maladie
26La structure administrative de l’assurance maladie est assez complexe. Elle résulte d’une volonté politique de concilier la médecine libérale et la sécurité sociale et de trouver une voie entre les tenants d’une conception étatique et centralisée de la politique de santé et les tenants d’une conception où la régulation du système passe non pas par l’État mais par les règles définies par les professionnels de la santé (deux conceptions qui connaîtront au fil du temps des évolutions d’intensité variable). C’est d’un compromis "à la belge" entre les principaux interlocuteurs sociaux et médicaux - patrons, syndicats, médecins et mutualités, appelés partenaires de la Saint-Jean en référence à la date des accords qui suivirent la grève des médecins de 1964 - qu’est né l’INAMI.
27Celui-ci représente bien les termes de ce système de concertation générateur de compromis. En effet, c’est un établissement public chargé de gérer et de contrôler l’administration financière de l’assurance où se côtoient différents groupements d’intérêts concernés par la santé publique. Ainsi, la gestion de l’INAMI dans son ensemble est du ressort du Conseil général au sein duquel siègent des représentants des organisations syndicales et patronales, des représentants des pharmaciens, des accoucheuses, des auxiliaires paramédicaux et des établissements de soins. Les mutualités siègent également au Conseil général avec, comme les précédents, une voix délibérative. Par contre, les représentants des médecins et des dentistes siègent avec voix consultative et ce à leur demande expresse, leur volonté exprimée en 1963 étant de ne pas vouloir être liés à la dimension "assurantielle" de la politique de santé.
28Au sein de l’INAMI, il existe quatre grands services ; deux sont compétents pour les prestations - en nature (soins de santé) et en espèces (indemnités) - et les deux autres pour le contrôle médical d’une part, administratif de l’autre :
- le service des soins de santé : le travail de ce service concerne les prestations médicales couvertes par l’assurance maladie (consultations, visites, radiologie, biologie clinique, prestations des divers paramédicaux, médicaments, frais d’hospitalisation, etc.)- Ce service est géré par un comité de gestion qui regroupe les interlocuteurs sociaux, les représentants des professions médico-sanitaires, des établissements de soins et des mutualités. Comme dans le cas du Conseil général, les médecins et les dentistes siègent ici uniquement avec voix consultative, ce qui ne les empêche pas d’influencer les décisions dans les domaines qui les concernent ;
- le service des indemnités : il administre les revenus de remplacement octroyés aux travailleurs en incapacité de travail ou en invalidité. Le comité de gestion de ce service est tripartite, il regroupe les organisations syndicales, les organisations patronales et les mutualités ;
- le service du contrôle administratif : il a pour principale fonction de contrôler le travail administratif des mutualités, le bien-fondé des actes posés par les différentes unions nationales (dépenses, cotisations, etc.). Les inspecteurs de ce service veillent également à ce que les mutualités récupèrent les sommes qu’elles auraient versées indûment et rectifient les versements opérés en-dessous des tarifs ou montants légaux ;
- le service du contrôle médical : il veille à ce que les prestations de soins remboursées par l’AMI soient réelles et conformes et que les règles de la nomenclature aient été respectées par les prestataires de soins. Il a aussi pour fonction d’apprécier l’incapacité de travail des titulaires. Le service du contrôle médical agrée les médecins-conseils des mutualités qui assument ces fonctions de contrôle. Comme leur nom l’indique, les médecins-conseils ont aussi pour fonction d’éclairer les mutuelles dans le domaine médical. Le travail des médecins-conseils est supervisé par des médecins-inspecteurs de l’INAMI. Les médecins-conseils et les médecins-inspecteurs sont sous la surveillance du comité du service du contrôle médical qui exerce à leur égard un pouvoir disciplinaire. Il peut en outre déposer plainte à l’ordre des médecins et sanctionner les praticiens convaincus d’abus ou d’infraction en suspendant pendant un certain temps les remboursements des prestations qu’ils fournissent. Le service du contrôle médical est géré par un comité réunissant des médecins représentant les mutualités, les organisations professionnelles du corps médical, l’ordre des médecins, ainsi que des représentants des dentistes et des pharmaciens.
29On le constate, les mutualités occupent une place importante dans la gestion de l’INAMI. Ce sont les seuls organismes qui se trouvent présents dans tous les rouages de cette institution, qu’il s’agisse des deux grands services administratifs ou des services de contrôle.
30Pour organiser une politique nationale d’assurance maladie, la Belgique s’est donc dotée d’un parastatal mais celui-ci n’était en aucune manière la préfiguration d’une grande administration de santé publique. Au contraire, l’INAMI s’intéresse principalement au versant financier et social du système médico-sanitaire et reste fondamentalement une institution de sécurité sociale. Certes, rendre accessibles au plus grand nombre les soins médicaux même les plus élaborés est une condition nécessaire à une véritable politique de santé mais ce n’est pas suffisant. Malgré les instruments dont elle dispose (taux de remboursement, réglementation et subvention), la politique de santé reste fondamentalement du ressort de la médecine libérale et de l’initiative privée et non pas de l’INAMI. Tout au plus, peut-on dire que l’INAMI participe à la politique de santé mais ce n’est pas l’acteur décisif. Nous ne trancherons pas ici la question de savoir si le système belge est plus ou moins fonctionnel qu’un autre système où les objectifs sanitaires, les moyens et les paramètres d’évaluation seraient définis par l’autorité publique.
31Parmi les forces qui s’expriment dans les instances de l’assurance maladie, les mutualités occupent, comme on l’a vu, une place centrale. Non seulement elles sont présentes partout mais elles ont l’avantage par rapport aux interlocuteurs sociaux, de pouvoir travailler plus profondément les dossiers, leur domaine de représentation étant moins vaste que celui des organisations patronales ou syndicales. Elles ont aussi, par rapport à beaucoup de prestataires de soins, une vision très large du secteur de la santé, car elles sont amenées très naturellement à s’exprimer da s tous les domaines qu’elles assurent. Leurs interlocuteurs du champ de la santé, par contre, ont plus souvent tendance à ne se positionner que par rapport aux matières ou décisions qui les concernent directement. Cette situation particulière donne aux mutualités une position-clé dans le processus de décision en matière d’assurance maladie. Cette particularité éclaire par ailleurs le fait que les mutualités sont sans conteste l’acteur qui s’identifie le plus au système en place. Entre elles et l’assurance maladie, il n’y a aucune extériorité : elles se définissent et se pensent comme l’incarnation administrative et peut-être même comme le dépositaire spirituel le plus autorisé des intérêts des usagers dans ce secteur important de la sécurité sociale.
32Ce constat nous éloigne quelque peu de la thèse du lobby que l’on développe souvent à propos des mutualités : selon cette thèse celles-ci investissent tous les rouages de la décision en matière de santé publique, de l’administration jusqu’au cabinet du ministre des Affaires sociales, pour qu’aucune mesure qui irait à l’encontre de leurs intérêts ne soit prise. En réalité, ces intérêts et ceux du système d’assurance maladie lui-même sont si intimement imbriqués qu’il n’est pas toujours facile de savoir quel pouvoir s’appuie le plus sur l’autre. Ainsi, s’il y a incontestablement un effet d’offre de services des mutualités vers le monde de la décision politique, il ne faut pas pour autant sous-estimer l’effet de demande. Car ignorer les mutualités, pour un dirigeant, c’est se priver d’une expérience et d’un savoir administratif, technique, social et politique qu’elles ont accumulé année après année et qu’elles sont parfois les plus aptes à maîtriser dans sa complexité.
33Au terme d’une telle description, on débouche sur une contradiction à laquelle les mutualités sont confrontées en permanence. D’une part, elles ambitionnent d’être les représentantes d’une politique d’assurance maladie solidaire et efficace et donc garantes de l’intérêt général ; et d’autre part, elles doivent affirmer leur spécificité si elles veulent maintenir le pluralisme institutionnel qui leur confère leur autonomie. Cette contradiction, les mutuelles la surmontent en développant d’autres fonctions que celle d’être des "institutions privées de service public".
Les autres fonctions
34Les autres fonctions des mutualités sont de trois ordres. La première est d’être présentes, elles-mêmes ou par le biais d’asbl dont elles ont patronné la création, dans le secteur médico-social (hôpitaux, polycliniques, maisons de repos, ateliers protégés). La deuxième consiste à délivrer à leurs membres des produits d’assurance complémentaires, au-delà de l’assurance maladie obligatoire. La dernière fonction qu’elles assument concerne les associations et mouvements qu’elles mettent en place et développent dans un but de réunir des personnes confrontées à des situations sanitaires et sociales spécifiques (jeunes, handicapés et invalides, pensionnés, etc.).
35L’ensemble de ces fonctions est considéré comme des activités à option. Cela doit se comprendre dans le sens où ces activités ne s’inscrivent pas dans le champ de l’assurance obligatoire, mais cela n’empêche pas certaines d’entre elles de bénéficier de subsides des pouvoirs publics en plus des cotisations complémentaires exigées des affiliés.
36L’extrême diversité des structures impliquées - les différentes unions nationales, leurs fédérations, leurs sociétés primaires - rend impossible l’établissement d’un tableau synoptique de tout le champ mutualiste hors assurance obligatoire, d’autant plus que seules les deux plus grandes unions nationales ont un mode de gestion relativement centralisé. Néanmoins, malgré le caractère hétérogène des données empiriques disponibles, les informations récoltées auprès des deux plus importantes unions nationales - couvrant, rappelons-le, plus de 70 % de la population - permettent de livrer une esquisse relativement fidèle du développement mutualiste hors assurance obligatoire.
Une présence significative dans le secteur de l’offre médico-sociale
37Les mutualités, et plus précisément les fédérations des mutualités, au travers d’asbl qui gravitent autour d’elles, sont présentes dans le secteur médico-social : dans des hôpitaux, des maisons de repos et de soins, des homes pour personnes âgées, des centres de santé, des polycliniques, des centres de convalescence et de vacances en Belgique et à l’étranger.
38Quels sont les objectifs de cette présence ? Les raisons évoquées ne manquent pas. Il s’agirait de promouvoir une économie sociale, alternative à l’économie de marché ; il s’agirait aussi de contrôler l’offre médicale de l’intérieur en étant soi-même confronté à la gestion quotidienne de services de santé ; il s’agirait enfin de fournir des prestations de qualité au tarif de l’AMI, pour freiner les tentatives de surenchère tarifaire dans le chef des prestataires et services avoisinants. Telle est l’explication classique des mutualistes.
39À l’inverse, certains voient dans le développement médico-social des mutualités la manifestation d’une volonté hégémonique d’organismes qui, forts de leur situation de quasi-monopole dans le domaine de l’assurance maladie, utilisent cette opportunité pour développer des activités financières et immobilières importantes.
Présence des mutualités chrétiennes et socialistes dans le secteur medico-social en 1986
Présence des mutualités chrétiennes et socialistes dans le secteur medico-social en 1986
40La présence des mutualités chrétiennes et socialistes est particulièrement importante dans trois domaines : les hôpitaux, les pharmacies et les polycliniques, mais cette importance doit être relativisée en tenant compte de leur part du "marché" total dans ces divers domaines. Ainsi des asbl proches des deux plus grandes mutualités gèrent moins de 1 % du nombre total de lits d’hôpitaux disponibles et à peu près 5 % du nombre de pharmacies. Ces chiffres confortent davantage la thèse de la volonté de contrôle "par échantillon" qu’une volonté hégémonique sur le secteur médical. Les deux plus grandes unions nationales ont plus développé leur présence dans ce secteur en Wallonie qu’en Flandre, manifestant par là une plus forte influence des idées de l’économie sociale en Wallonie, en tout cas en ce qui concerne la volonté de se doter d’une infrastructure propre.
41En plus de l’infrastructure, les mutualités sont également présentes indirectement dans le secteur des soins à domicile. Ainsi, les mutualités chrétiennes sont fortement liées à la Croix jaune et blanche avec laquelle elles ont signé un protocole d’accord. Ce service infirmier est le plus important du pays avec 2.700 infirmières. Les mutualités socialistes développent également des services d’infirmières (1.022 infirmières au total) mais l’organisation de ceux-ci varie de fédération à fédération.
42Les mutualités sont également parties prenantes des services d’aides familiales. Ainsi, les mutualités chrétiennes ont des liens privilégiés avec des services d’aides familiales mis en place par les organisations Vie féminine et la Nationaal Verbond der Kristelijk Arbeidvrouwen Beweging (organisations constitutives du MOC-ACW). Les mutualités socialistes sont également présentes dans ce secteur, directement ou par le biais d’asbl. Dans plusieurs régions, les mutualités tentent de coordonner les différents services d’aide et de soins à domicile, dans la perspective d’un plus grand développement de ce type de service alternatif à l’hospitalisation et à l’hébergement en institution.
Les assurances
43Outre l’assurance obligatoire, les mutualités mettent sur le marché, à l’échelle des unions nationales ou des fédérations, des assurances et des services complémentaires. En réalité, sous le vocable assurance complémentaire sont groupés des produits d’origine ou de nature très diverses. Certains appartiennent à la tradition et étaient déjà proposés au siècle dernier. Il en est ainsi de l’épargne prénuptiale et des cures d’air préventives. D’autres n’appartiennent pas à la tradition mais renvoient directement au champ couvert par les assurances commerciales. Il en est ainsi de l’assurance hospitalisation et de l’assurance voyage. Le plus important produit d’assurance complémentaire est constitué par l’assurance libre des indépendants. Ces derniers n’étant couverts obligatoirement que pour les gros risques, les mutualités ont développé à leur intention une assurance "petits risques", ce qui leur donne la possibilité d’avoir, pour leurs frais médicaux, la même couverture sociale que celle des salariés. Ce type d’assurance connaît un succès très important puisque 69,5 % des indépendants y souscrivent.
44Les mutualités proposent aussi une assurance indemnités complémentaire en cas d’incapacité de travail mais celle-ci a moins de succès auprès des travailleurs indépendants.
45La logique de l’assurance libre pour indépendants ressort avec évidence. Il s’agit de prendre le relais de la sécurité sociale lorsque celle-ci - conformément d’ailleurs à la volonté des organisations représentatives des indépendants elles-mêmes - se limite à assurer les risques graves.
46D’autres produits sont typiques du mutualisme historique dans le sens où ils ont été conçus lorsqu’un événement - heureux ou malheureux - pouvait mettre en question ou perturber la sécurité matérielle des familles populaires. Il en est ainsi de l’épargne prénuptiale, qui permet aux jeunes de se constituer un capital en vue de leur mariage, de l’assurance convalescence, qui finance des séjours dans des maisons à la suite d’une maladie grave ou en cas de nécessité médicale, ou encore des cures d’air préventives qui permettent aux enfants et adolescents de participer à des camps de vacances en Belgique ou à l’étranger.
47Personne ne contestera la nature sociale et même populaire de ces produits inclus dans la panoplie des assurances mutualistes, même si les affiliés de toutes les catégories de revenus peuvent y avoir accès. Mais toutes les assurances offertes par les mutualités ne répondent pas à cette logique, prioritairement sociale. Cela se vérifie particulièrement pour les produits les plus récents, qui placent les mutuelles directement sur le terrain traditionnel des compagnies d’assurances. En effet, les mutuelles ont mis sur le marché des assurances complémentaires garantissant à leurs membres des indemnités en cas d’hospitalisation, et certaines fédérations assurent les frais médicaux de leurs affiliés lorsqu’ils font du tourisme à l’étranger. Même si le succès de ces types d’assurances se confirme, on ne peut pas affirmer que le produit offert, par sa nature, s’adresse en priorité aux catégories sociales les plus modestes. Nous entrons avec ces nouveaux produits dans un tout autre registre que celui des produits traditionnels en matière d’assurance complémentaire.
48Le tableau 9 reprend par grandes rubriques les différentes fonctions développées dans le cadre de l’assurance complémentaire des mutualités, ventilées selon qu’elles sont assumées par les fédérations, les sociétés féminines et les unions nationales.
49Les fédérations ont un chiffre d’affaires pour l’assurance complémentaire de plus de FB 10 milliards, dont 65 % sont constitués par l’assurance libre des indépendants qui désirent se protéger contre les petits risques et 30 % par un ensemble de prestations qui visent à couvrir les tickets modérateurs sous certaines conditions (soins délivrés en polyclinique) ou à assurer certains services spécifiques (logopèdes, pédicures).
L’assurance mutualiste libre - exercice 1986(1)
L’assurance mutualiste libre - exercice 1986(1)
(1) Plus subsidié après 198650Les sociétés féminines ont un chiffre d’affaires de FB 500 millions pour deux services complémentaires : l’un, le plus important, consistant à octroyer une indemnité d’incapacité de travail ou d’hospitalisation, l’autre à délivrer une prime de mariage.
51Les unions nationales ont un chiffre d’affaires de près de FB trois milliards pour une dizaine de services. Le plus important est l’épargne prénuptiale, dont les dépenses annuelles dépassent FB 1,4 milliard. Les cures d’air préventives, le service convalescence et les prestations diverses représentent ensuite les trois autres services les plus importants. Ensemble, leurs dépenses atteignent près d’1 milliard de francs par an.
Les services
52Outre les services classiques que l’on retrouve dans la plupart des organisations de l’importance des mutuelles (service juridique, service informatique, service social, etc.), les mutualités offrent également une série de services originaux à leurs membres. En dresser l’inventaire pourrait mener très loin, car la plupart de ces services sont rendus de façon différente selon les fédérations pouvant aller jusqu’au don d’une couverture lors d’une naissance dans la famille d’un titulaire. Les services les plus significatifs sont le prêt de matériel et le service de transport des malades, sans oublier, pour les mutualités chrétiennes, le fonds d’aides aux grands malades. Alimenté par une tombola, ce dernier a pour mission d’assister les malades privés de ressources suffisantes et de financer des vacances pour les personnes âgées malades et des pèlerinages à Lourdes.
53Enfin, il convient sans doute de ranger parmi les services la presse mutualiste. Les mutualités sont en effet propriétaires d’organes de presse à très large diffusion. En général, les bulletins et journaux publiés par leurs soins remplissent trois fonctions : une fonction éditoriale par laquelle la direction des unions nationales exprime la position officielle des mutualités sur des problèmes d’actualité ; une fonction de services sous la forme de publications de tarifs de remboursement ou de présentation des modifications de la législation sociale ; une fonction d’information, par laquelle les journalistes traitent de questions économiques et sociales et se font l’écho des diverses manifestations du mouvement. À titre d’exemples, les principaux organes de presse des mutualités chrétiennes sont En marche (430.000 exemplaires), Straal (210.000 exemplaires) et Volksmacht (hebdomadaire de l’ACW qui inclut toutes les informations mutualistes, et des mutualités socialistes, L’Effort mutualiste (535.000 exemplaires) et S. Magazine (environ 370.000 exemplaires).
Les associations spécifiques
54Parallèlement aux mutualités se sont développées des associations spécifiques qui ont des intérêts à défendre dans le domaine sanitaire ou social. Gravitent ainsi autour des mutualités chrétiennes et socialistes des associations d’invalides et d’handicapés. C’est dans l’orbite du mouvement mutualiste que se sont structurés les principaux mouvements de pensionnés : Kristelijke Bond van Gepensionneerden et Union chrétienne des pensionnés, la Fédération nationale des pensionnés socialistes, constituée de deux ailes linguistiques, et la Ligue libérale des pensionnés.
55Enfin, il existe un troisième groupe spécifique : les mouvements de jeunes. Que ce soit la Mutualité des jeunes travailleurs pour les mutualités socialistes, Jeunesse et santé et Jeugd en Gezondheid pour les mutualités chrétiennes ou la Fédération nationale des jeunes mutualistes libéraux pour les mutualités libérales, les mouvements de jeunes s’occupent essentiellement d’organiser des activités socio-culturelles pour les enfants et adolescents en particulier pendant les vacances (séjours de vacances, plaine de jeux, etc.).
56Ces associations spécifiques jouent un rôle plus important qu’on pourrait le croire. Si depuis l’avènement de l’assurance obligatoire les mutualités représentent l’ensemble de la population (et par là, paradoxalement, s’assimilent plus au système qui les a consacrées comme organismes assureurs qu’à leurs adhérents individuels, devenus de simples assujettis), les associations, elles, reposent encore sur une base sociologique et sur le support de militants et de volontaires qui veillent à ce que le système et ses mécanismes ne soient pas défavorables à leurs intérêts et à leur cause.
57Ces associations effectuent dans beaucoup de cas un travail d’information et de formation créatif et même inédit sur des questions de santé publique comme celles - pour prendre l’exemple récent des Femmes prévoyantes socialistes - qui ont trait à la maternité et à la consommation de médicaments. Elles interpellent donc constamment les mutualités, qui trouvent cependant dans les associations qui gravitent autour d’elles une légitimité qui sans cela reposerait trop fragilement sur la seule reconnaissance de l’État et non sur la volonté, l’adhésion et la participation des affiliés.
Un abcès de fixation : La question des frais d’administration des mutualités
58Pour remplir leur mission d’organismes assureurs, les mutualités reçoivent une subvention destinée à couvrir leurs frais administratifs. La définition que donne de ces derniers la loi du 9 août 1963 est très large, puisque, selon l’article 124, sont considérées comme frais d’administration toutes les dépenses qui ne sont pas des frais de santé ou des indemnités. Avec l’enveloppe reçue, les mutualités ont une relative liberté de gestion qui peut se manifester dans la répartition des différents types de dépenses : personnel, bâtiment, matériel, service médical, frais de justice, etc.
59Toutefois, il incombe aux mutualités de fournir à l’INAMI un récapitulatif annuel des dépenses administratives, composé de 7 rubriques : frais de personnel, frais de bureau, amortissements, paiements indus, sanctions, divers et pertes à déduire.
60Les mutualités acquièrent la propriété totale du solde positif du compte "frais d’administration" ; l’éventuel solde négatif est entièrement supporté par elles.
61Comment est calculée l’enveloppe ? En 1963, elle était calculée en pourcentage des recettes de l’assurance maladie-invalidité. Ce pourcentage était établi par arrêté royal. En 1964, ce pourcentage fut fixé à 9 %, niveau qu’il n’atteignit plus depuis lors, puisqu’il déclina année après année pour atteindre 6,54 % en 1980.
62À partir de 1981, le gouvernement décida, sur base des propositions du Rapport Petit [4], d’attribuer les subventions pour frais d’administration des mutuelles sur base de trois paramètres :
- le salaire journalier dans certains secteurs jugés comparables (secteur des assurances, secteur des banques et secteur public) ;
- le nombre d’actes médicaux remboursés par l’assurance maladie et le nombre de journées d’incapacité de travail couvertes par le secteur indemnités ;
- la productivité du travail.
63Ce montant-type de calcul ne fut pas testé longtemps puisque, dès 1983, le niveau des frais d’administration fut fixé politiquement par le ministre de tutelle, sans critères ni justifications apparents.
64C’est ainsi que l’enveloppe a été augmentée de 7,5 % en 1983, de 5,0 % en 1984 et de 5,5 % en 1985. En 1986, un arrêté de pouvoirs spéciaux a fixé l’enveloppe à FB 18,4 milliards, ce qui équivaut à un pourcentage de 5,3 % des dépenses de l’assurance maladie-invalidité. La loi-programme pour 1989 a fixé les frais d’administration de 1987 et 1988 au même niveau qu’en 1985 (FB 18,6 milliards) et a admis une augmentation de 2 % pour 1989 (soit FB 18,9 milliards).
65Depuis 1984, on a réglementé certaines recettes complémentaires. Ainsi, les intérêts de la trésorerie placée sur des comptes à vue sont partagés entre l’assurance maladie et les mutualités dans un rapport 80 %-20 %. Il en est de même pour la récupération de sommes auprès de tiers responsables, dont elles peuvent conserver 8 %.
66En ce qui concerne la répartition des frais d’administration entre les différentes unions nationales, l’INAMI fait intervenir les critères suivants :
- la part de chaque union nationale dans les recettes du secteur soins de santé, déterminée par les bons de cotisation ;
- la part de chaque union nationale dans les dépenses du secteur indemnités ;
- l’ampleur respective des différentes unions nationales.
67Avec chacune des enveloppes, ces différentes unions nationales organisent, de façon autonome, la répartition des moyens entre leurs différentes fédérations et entre celles-ci et les secrétariats nationaux. En cas de solde négatif sur leur compte "frais d’administration", les différentes fédérations sont tenues soit de puiser dans leurs réserves, soit d’augmenter les cotisations de l’assurance complémentaire, soit de comprimer leurs coûts. En cas de solde positif, les mutualités peuvent financer leur politique de présence dans le secteur médico-social, dans les services rendus aux membres ou dans le développement de leur infrastructure, matériel de bureau,…
68La législation étant peu précise sur le traitement comptable et l’affectation des bonis, l’attitude des différentes mutualités est très variable ; certaines transfèrent les bonis à une asbl, d’autres à un compte bancaire en dehors de l’assurance obligatoire, d’autres encore à un compte de réserve de l’assurance obligatoire.
69Reste encore à différencier ce qui ressort de l’administration de l’assurance obligatoire et ce qui ressort de l’assurance complémentaire. Dans ce domaine aussi, un vide législatif a laissé les différentes mutualités déterminer la part de l’assurance complémentaire dans les frais d’administration totaux. Ainsi, les mutualités chrétiennes estiment à 6,5 % des cotisations de l’assurance complémentaire le montant des frais d’administration, non compris les subsides. Au sein des mutualités socialistes, les pourcentages varient de 5 % à 15 % en fonction du type d’assurance complémentaire pour certains services. Les mutualités socialistes prennent en compte les frais réellement encourus. Les autres mutualités ont un type de comptabilisation où se marient les règles forfaitaires et les calculs en pourcentage.
70Le tableau 10 reprend les frais d’administration des organismes assureurs pour l’année 1985.
Frais d’administration des mutuelles en 1985(1)
Frais d’administration des mutuelles en 1985(1)
(1) soit 20 % sur intérêts sur placements et 8 % sur récupération art. 70 paragr. 2.2 - Des origines à nos jours : anamnèse d’un pouvoir controversé
Les mutuelles objets d’étude
71La manière dont une société se regarde ou ne se regarde pas à certains moments de son développement aide bien souvent à affiner le portrait social et culturel de cette société. S’agissant des mutuelles, il peut être instructif, avant d’en rappeler brièvement l’histoire, de retracer à gros traits la manière dont cette histoire a été conçue et produite jusqu’à présent en Belgique.
72En schématisant, on peut dire que les analyses un tant soit peu consistantes du système mutualiste sont extrêmement rares [5]. Les ouvrages les plus riches en informations se rangent tantôt dans la catégorie des monographies commémoratives, le plus souvent consacrées à une union nationale (ou une fédération) en particulier et signées parfois par quelque personnalité proche de l’institution [6], et tantôt dans celle des grands textes relatifs à l’histoire générale de la sécurité sociale ou à celle du mouvement ouvrier [7].
73Le contraste est grand entre l’abondance d’écrits consacrés aux années pionnières - celles où les mutuelles pouvaient davantage être qualifiées de "mouvements" que d’institutions ou d’administrations - et la parcimonie, croissant au fil du temps, des tentatives d’analyse ou de synthèse se rapportant à la période plus contemporaine. À quelques exceptions près, la curiosité intellectuelle semble s’être arrêtée à la seconde guerre mondiale. Le fait a d’autant plus de quoi intriguer que la période ultérieure, comme nous le verrons plus loin, est celle au cours de laquelle le pouvoir institutionnel des organismes assureurs a atteint sa plénitude.
74Tout au plus, le tournant important des années 1963-64 (refonte et extension de la loi sur l’assurance maladie obligatoire instaurée en 1945 ; grève des médecins ; début du système des conventions médico-mutualistes) marqua-t-il un dernier sursaut dans la production de commentaires et de documents visant à saisir en profondeur le sens des événements et la nature des forces en présence [8].
75Depuis l’aube des années 1970, par contre, la problématique s’est enfermée dans des polémiques médiatisées, qui ont largement relégué au second rang les approches en termes de système et d’équilibre sociaux. Les études se sont taries à mesure que les manchettes de journaux gagnaient en importance sur le sujet et que la confrontation sur les choix de société en matière de couverture des besoins sanitaires tournait à l’enquête policière sur les "bonnes mœurs" mutualistes. L’essentiel de la discussion publique s’engagea tout d’abord sur le thème des frais d’administration jugés excessifs [9] ; ensuite, semblant obéir à une logique d’escalade dans le chef des accusateurs principaux, en l’occurrence les Chambres syndicales du Dr Wynen, le combat s’est engagé contre les mutualités sur le thème de la fraude et des malversations les plus diverses. À noter que cette offensive est contemporaine des années de crise économique, au cours desquelles les négociations en matière d’assurance maladie sont passées de la phase de distribution d’avantages nouveaux à la phase de répartition des restrictions, et que son durcissement s’est surtout opéré au début des années 1980 [10], au sortir d’une seconde grève - non victorieuse celle-là - menée par le même syndicat médical.
76En dépit de ce battage médiatique autour du thème des mutuelles "maffieuses" [11], aucun débat global n’a refait surface à propos de l’ensemble de leurs missions et fonctions sociales, économiques, politiques. L’information à sensation ("Ont-elles détourné l’argent d’autrui ? Combien de fois et pour quels montants ?…"), si tant est qu’elle créa vraiment un choc dans le corps social, n’y relança aucune réflexion de fond actualisée sur l’institution ("quelles mutuelles, pour quoi faire, en ce dernier quart de siècle ?"). Ajoutons à cela que les instances mutualistes elles-mêmes, se contentant bien souvent de répondre au coup par coup aux accusations sur un mode trop technique ou trop général que pour atteindre vraiment l’opinion, n’ont pas davantage concouru jusqu’ici à élargir et à activer ce type de débat.
77Au total, ce survol très rapide de l’historiographie mutualiste nous permet d’avancer, à titre de pistes de réflexion, quelques hypothèses sociologiques :
- l’instauration et la généralisation de l’assurance maladie-invalidité obligatoire semblent s’être accompagnées d’un relatif désintéressement de l’opinion à l’égard du fonctionnement et de l’évolution des institutions chargées de la gestion du système. Paradoxalement, les polémiques de ces six dernières années renforcent cette observation, dans la mesure où elles n’ont fait que mettre en cause la respectabilité et l’honnêteté des responsables mutualistes et n’ont à aucun moment porté le débat sur la question centrale : ces institutions, face aux difficultés multiples qui s’annoncent dans un avenir plus ou moins rapproché, vont-elles peser positivement sur le renforcement d’une politique de promotion de la santé, sur le maintien de l’accès universel à des soins de qualité optimale, ainsi que sur la défense et la représentation des intérêts des usagers ? Si elles disparaissaient ou perdaient de leur influence, qui prendrait le relais dans ces domaines et avec quel taux de succès ?… ;
- il n’est pas facile de dire si ce désintérêt relevé dans la littérature socio-politique depuis la dernière guerre, et surtout depuis le milieu des années 1960, est d’abord le fait d’un changement de sensibilité des analystes, moins friands de constructions sociales et plus centrés actuellement sur les grands mécanismes économiques et institutionnels internationaux, ou d’une indifférence accrue de la société civile dans son ensemble. Il n’est pas facile non plus de faire ici la part de ce qui serait un phénomène propre aux mutuelles, ou à l’ensemble de la sécurité sociale, et de ce qui, sur la même période, relèverait d’une décomposition plus générale du débat politique au sens classique. Toujours est-il que les deux dernières décennies semblent signer une moindre identification des acteurs sociaux de base par rapport à une œuvre mutualiste d’origine pourtant populaire et, corollairement, au moins dans la perception subjective d’une bonne partie du public, une relative dissolution de cette institution dans la bureaucratie de l’État [12].
D’ou vient-on ?
1849-1894 : vers une pleine reconnaissance par l’État
78Plus d’un auteur fait remonter "l’esprit mutualiste" aux métiers du Moyen-Age, lorsqu’ils créèrent "des caisses destinées à aider leurs membres en cas de maladie, d’invalidité, de vieillesse ou d’autres éventualités" [13].
79Cette formule d’entraide poursuivra de fait sa course jusqu’à ce que, lors de la Révolution française, des lois votées par la Constituante parmi lesquelles la loi Le Chapelier (15 juin 1791), mettent fin au système des corporations et du compagnonnage et interdisent plus généralement aux citoyens de même état ou de même profession de se regrouper pour la défense de leurs intérêts. Ces lois ne seront cependant pas appliquées de manière draconienne vis-à-vis des associations à but essentiellement humanitaire, et c’est ainsi que, dès l’aube du XIXème siècle, se sont maintenues ou se créent à l’échelon local des sociétés de secours mutuels, les unes d’initiative patronale, aux couleurs de la philosophie caritative de l’époque, les autres d’essence plus ouvrière [14].
80Les vingt premières années de l’État belge furent marquées par la réticence des sphères politiques à voir l’État soutenir ou prendre des initiatives en matière sociale. "L’opinion dirigeante est alors farouchement opposée à toute législation de protection ouvrière qu’elle considère comme une atteinte à la liberté. Catholiques et libéraux s’entendent pour prôner l’élévation de la classe ouvrière par la revalorisation des principes moraux et le développement de la prévoyance individuelle" [15].
81Ensuite, sur une période de près d’un siècle, le système mutualiste ne va cesser de se structurer, en tirant profit de divers changements législatifs eux-mêmes accélérés par l’éclosion de mouvements sociaux ou infléchis par les grands conflits mondiaux [16].
82C’est ainsi que certains analystes ont pu rétrospectivement distinguer trois grandes phases caractéristiques de l’évolution de la plupart des mutualités depuis le milieu du siècle passé jusqu’à nos jours [17] : une phase de "prévoyance sociale", une phase d’"assurances sociales" et enfin une phase de "sécurité sociale".
83La première phase commence au moment où s’amorce le processus d’intervention du pouvoir public. Celui-ci fait une toute première apparition, timide, dans un arrêté royal daté du 16 avril 1849. Cet arrêté prévoyait une prise en charge partielle du coût résultant de la fondation des sociétés mutuelles et instaurait une mesure psychologique : l’on tiendrait compte dorénavant de la participation des patrons et des ouvriers à des initiatives de prévoyance sociale lors de l’attribution des distinctions honorifiques [18].
84Le démarrage législatif est plus sensible avec la loi du 3 avril 1851, qui permet aux sociétés mutualistes d’obtenir du gouvernement une reconnaissance assortie de plusieurs avantages : faculté d’ester en justice, droit de recevoir des dons et legs mobiliers, exemption des droits de timbre et d’enregistrement. Le but de l’association doit être d’assurer aux sociétaires et aux membres de leur famille des secours temporaires en cas de maladie, de blessures ou d’infirmité, ainsi qu’une intervention dans les frais funéraires. La contrepartie était toutefois très lourde : tutelle administrative importante, possibilité de dissolution par simple arrêté royal, conditions de liquidation très désavantageuses,… Peu de sociétés demandèrent la reconnaissance [18].
85Le 25 juin 1894, une nouvelle loi - toujours en vigueur aujourd’hui et dont la révision fait partie des enjeux de la table ronde actuelle sur l’assurance maladie - levait les contraintes les plus dissuasives de la loi de 1851 et élargissait les buts pour lesquels les "sociétés mutualistes" pouvaient être constituées et reconnues. Un élément décisif de cette loi fut, dans son article 3, la permission accordée aux sociétés de se fédérer ("sans abdiquer leur autonomie") pour admettre réciproquement des membres changeant de circonscription, pour "organiser en commun leurs services", etc. Cette disposition fut le détonateur d’un important essor institutionnel et marqua l’entrée dans la deuxième des trois phases évoquées plus haut.
1894-1945 : vers la sécurité sociale
86Le 19 mars 1898, un nouveau texte légal autorise les gouvernements à aider financièrement les sociétés reconnues. Cette aide, à ce moment, n’est pas encore obligatoire. Enfin, le 5 mai 1912, la loi impose d’accorder une subvention aux mutuelles ayant créé une caisse d’invalidité. On entre alors de plain-pied dans le système dit de "liberté subsidiée".
87Quelques données quantitatives, à mettre en regard des dates d’adoption des différentes lois énumérées ci-dessus, montrent à quel point cette succession de mesures législatives joua un rôle moteur : alors qu’en 1851, on dénombrait en tout 200 sociétés mutualistes [19], "en 1895, il y avait déjà 759 sociétés reconnues totalisant 104.272 membres (…) ; (leur nombre) était de 4.996 en 1900 pour un total de 425.068 membres (…) ; à la veille de la première guerre mondiale, plus de trois millions de personnes étaient affiliées en tant que membre ou membre de famille à une caisse de maladie" [20].
Le débat sur l’assurance obligatoire
88Cette deuxième période, dite d’"assurances sociales", s’étendra de l’année 1894 jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Parallèlement au développement du réseau mutualiste, également autorisé désormais à consacrer une partie de ses fonds à promouvoir des initiatives de type strictement médical [21], s’engage très tôt un débat politique sur l’opportunité ou non de rendre obligatoire le système de couverture des risques en matière de maladie et d’invalidité.
89Le Commissaire royal Petit, dans son rapport de 1976 déjà cité [22], en évoque divers temps forts : "Le 24 décembre 1897, le député Hector Denis déposa une proposition de loi (Chambre 1897-98, document 40) inspirée par les lois d’assurance allemandes, en vue d’instaurer une assurance d’invalidité obligatoire pour les ouvriers gagnant moins de 2.250 francs par an (art. 1). Le financement aurait été réalisé par des cotisations égales des ouvriers et des employeurs, ainsi que par des subsides de l’État à imputer sur un fonds spécial alimenté par des impôts sur le tabac et l’alcool "consommations nuisibles et improductives" et pour moitié par un impôt sur les revenus dépassant les 2.250 francs par an (art. 25). La proposition de loi du député de Gellinck d’Elseghem du 19 avril 1912 (Chambre 1911-12, documment 222) allait encore plus loin. Son objectif était une assurance obligatoire pour ouvriers et employés avec possibilité d’inclure également les indépendants, pour autant que leurs revenus ne dépassent pas les 2.400 francs par an (art. 1). (…) Le 12 novembre 1912, le gouvernement introduira à son tour un projet de loi se rapprochant de la proposition de loi de Gellinck d’Elseghem qui sera voté à la chambre le 8 mai 1914. Ainsi le Parlement s’est prononcé en faveur d’un système d’assurance obligatoire (en 1919, la proposition a rencontré l’opposition du ministre J. Wauters qui, par arrêté royal du 25 juin 1919, a créé une commission chargée de la préparation d’un nouveau projet)" [23].
Le débat sur le pluralisme institutionnel
90Dans les années 1930, le débat et la situation évoluent : l’abcès de fixation semble se porter davantage sur la question du pluralisme mutualiste que sur celle de l’instauration d’un système d’assurance maladie obligatoire. Voici en tout cas ce que relève R. Crémer : il y a "deux grandes tendances mutualistes qui se combattent et dont le résultat est d’empêcher le vote de toute mesure législative susceptible d’organiser le régime de l’assurance maladie-invalidité obligatoire. D’une part, il semble qu’il y ait unanimité autour du principe de l’obligation de l’assurance en raison de l’insuffisance des résultats obtenus et du manque de ressources du régime de l’assurance libre. Mais d’autre part, les divergences se manifestent surtout sur le principe même de l’organisation administrative de l’assurance obligatoire. D’un côté, les socialistes sont partisans d’une structure unitaire à gestion paritaire, afin de consolider le financement et de rationaliser le fonctionnement du régime. De l’autre côté, les catholiques exigent le maintien du pluralisme existant en gage de respect de la liberté d’association et de conscience, instrument d’une gestion économique de l’assurance" [24].
91Nous nous retrouvons ainsi au cœur de quelques-unes des grandes questions qui vont être réexaminées, pendant la seconde guerre mondiale, par les interlocuteurs politiques et sociaux préoccupés par la future reconstruction de la vie civile nationale, qu’ils se réunissent à Londres ou, dans la clandestinité, sur le continent occupé.
Pendant la deuxième guerre mondiale : négociations et "modèles" de reconstruction
92Michèle Carlier, dans une étude spécifiquement axée sur cette phase gestatoire de notre histoire sociale [25], a mis en évidence les traits saillants propres à notre régime naissant d’assurance maladie-invalidité obligatoire, consacré par l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 et par l’arrêté du Régent du 21 mars 1945 [26] :
- influence nettement prépondérante, après la libération, des travaux menés en Belgique par un comité de contact clandestin patrons-ouvriers réuni, semble-t-il, à l’initiative d’un haut fonctionnaire socialiste (Henri Fuss) en vue de réfléchir aux conditions de la "paix sociale" au sortir de la guerre. Ce comité fonctionna régulièrement de l’hiver 1941-42 à 1944 et produisit le fameux Projet d’accord de solidarité sociale [27], qui inspira largement les arrêtés de décembre 1944 et mars 1945 ;
- par contre, influence beaucoup plus faible, lois du retour du gouvernement Pierlot en Belgique, des travaux menés à Londres dans le cadre de la Commission belge pour l’étude des problèmes d’après-guerre (CEPAG), mise sur pied au début de l’année 1941 et mandatée par le gouvernement en exil pour "étudier les problèmes relatifs aux réformes à réaliser dans l’ordre politique, économique et social" [28] ;
- les conditions et l’esprit dans lesquels fonctionnèrent ces deux groupes de travail étaient fort différents. Le projet d’accord de solidarité sociale visait avant tout à jeter les bases d’une "collaboration loyale" entre travailleurs et employeurs en vue de favoriser l’"essor économique", gage lui-même d’un "courant renouvelé de progrès social". Au chapitre de l’assurance maladie comme pour l’ensemble du dispositif de sécurité sociale [29], cela se traduisit moins par des réformes fondées sur une solide idée directrice que par "une illustration du fonctionnement du système belge de décision politique" [30] : pratique du compromis, institutionnalisation des négociations entre interlocuteurs sociaux et généralisation de dispositions sectorielles déjà acquises.
Dans un ordre de préoccupation très différent, la section sociale de la CEPAG, qui réunissait selon R. Roch [31] des personnalités appartenant "au Parlement, à l’administration, au barreau, au monde des affaires, ainsi qu’aux organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs", formula au début de 1943 des recommandations bien plus proches des idées assez radicalement novatrices soutenues en Grande-Bretagne par Sir William Beveridge. Ce dernier avait reçu carte blanche du Premier ministre W. Churchill pour se livrer, à la tête d’un comité interdépartemental, à un examen général du régime britannique des assurances sociales et des services annexes. Son plan, déposé au Parlement en décembre 1942 sous le titre Social Insurance and Allied Services, traçait les grandes lignes d’un système très cohérent de protection sociale, organisé par l’État et couvrant tous les citoyens pour l’ensemble de leurs besoins communs [32]. Dans un esprit analogue, la section sociale de la CEPAG préconisa que les assurances sociales à développer en Belgique dès la libération protègent tous les habitants du Royaume, quel que soit leur statut social. La gestion d’un tel système aurait été confiée à un office national, entraînant la suppression des mutualités. Sur le plan des soins de santé, un service national englobant le curatif et le préventif aurait été créé [33]."L’AMI, lors de sa création, laissait en place un certain système de distribution des soins : sans le modifier, elle en garantissait l’accès à une partie importante de la population (pour mémoire : les travailleurs salariés et leur famille). Elle opérait ainsi une certaine redistribution indirecte des revenus, mais elle ne remit jamais profondément en cause l’organisation des soins de santé à laquelle elle procurait l’accès" [30]. - enfin, il faut noter que si les cinq unions nationales de mutualités furent invitées à rendre un avis sur le "projet d’accord de solidarité sociale", elles ne furent pas pour autant associées à son élaboration. En la personne d’Arthur Jauniaux [34], l’Union nationale des mutualités socialistes disposait d’un représentant de poids au sein du groupe qui négociait le "pacte". Du côté chrétien, en revanche, on se sentit davantage exclu. A. Van Melle, président de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes durant la guerre, put dire à cette occasion : "Ce serait chose présomptueuse d’affirmer que compte fut tenu, dans une mesure appréciable, des desiderata de l’Alliance" [35].
Ceci, néanmoins, n’empêcha pas ultérieurement le consensus de se former, sur base de compromis réciproques : "Si l’ANMC donna finalement son accord à la présentation du projet de loi au gouvernement Pierlot dès le retour de ce dernier en Belgique, ce fut avec l’assurance du maintien du pluralisme institutionnel des mutualités, assorti de la liberté des travailleurs de s’affilier à l’organisme assureur de leur choix. Cette liberté fut garantie par le "bon de cotisation" délivré par l’employeur au travailleur" [35] et que ce dernier transmet ensuite à la mutualité qu’il a choisie.
93Ainsi entrait-on, en commençant par les salariés, dans une ère d’assurance "obligatoire" en matière de protection sanitaire. Il est à remarquer que certains pays avaient été beaucoup plus précoces que le nôtre dans ce domaine : "En Allemagne, un système obligatoire a été introduit en 1883 et au Grand-Duché en 1901. L’Italie et la France suivront plus tard, respectivement en 1928 et en 1930, les Pays-Bas en 1941" [36]. Faut-il rappeler que les États-Unis n’en sont pas encore là aujourd’hui ?
94Notons enfin que, parmi les grandes branches de la sécurité sociale, l’assurance maladie fut en Belgique une des dernières à connaître ce passage d’un régime entièrement volontaire vers un système obligatoire. Avaient en effet déjà été instaurés : une législation sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail en 1903 ; une assurance vieillesse obligatoire pour les ouvriers en 1924, pour les employés en 1925 ; une législation présentant également un caractère obligatoire pour les maladies professionnelles, en 1927 ; un régime obligatoire d’allocations familiales - le premier au monde - en 1930 et enfin un régime obligatoire de vacances annuelles en 1936 [37].
De 1945 à aujourd’hui : trois tournants
95Avec les arrêtés de 1944-45, commence la troisième grande étape de l’histoire mutualiste, celle que R. Crémer qualifiait de phase de "sécurité sociale".
96Trois dates rythment cette période contemporaine : 1963, 1974 et 1982. La première est celle de l’ultime grande réforme législative s’inscrivant dans la phase d’essor de notre système d’assurance maladie-invalidité. La deuxième marque plus ou moins symboliquement le coup d’arrêt porté par la "crise économique" à cette dynamique ascensionnelle, où développement de la protection sociale et expansion du pouvoir des organismes assureurs allaient de pair. Enfin, la troisième inaugure une période dominée d’une part par la montée des soupçons et des attaques antimutualistes et d’autre part par l’amorce d’une volonté politique de contrôle et de réforme administratifs dans ce secteur. Sans nécessairement entraîner un déclin de l’institution, pas même - comme nous le verrons plus loin - sur le plan de son image de marque dans l’opinion, cette dernière période n’en est pas moins dominée par un thème jusque là absent ou mineur : celui de la "délégitimations".
1963 : L’ère des conventions
97La loi Leburton du 9 août 1963, suivie durant les congés de Pâques de 1964 d’un spectaculaire conflit médico-gouvernemental [38], paracheva la législation de 1945 tout en lui imprimant une certaine réorientation. Dans une interview récente, le Dr Jérôme Dejardin, ancien administrateur général de l’INAMI et président en exercice de la Commission médico-mutualiste, résume ainsi les trois points essentiels de la réforme :
"En 1945, il y avait un seul régime commun à l’assurance soins de santé et à l’assurance indemnités [39] ; on n’a jamais pu les améliorer simultanément : quand on faisait trop de dépenses dans un secteur, on épuisait l’autre. En 1963, on a séparé les deux secteurs avec non seulement des budgets différents mais également des comités de gestion distincts, bien que toujours réunis au sein de l’INAMI. Cette modification a permis d’étendre la couverture de la seule assurance soins de santé à d’autres couches de la population pour lesquelles le problème d’une assurance indemnités ne se posait pas ou se posait dans d’autres conditions que pour les travailleurs salariés : ce fut le cas notamment des travailleurs indépendants et des étudiants.
Le deuxième point de la réforme a consisté dans l’introduction du système de négociations de conventions entre l’assurance et les prestataires de soins, de façon à garantir une couverture efficace du coût des prestations par des interventions correspondant à des taux d’honoraires effectivement pratiqués.
Le troisième point de la réforme a été l’aménagement du financement de l’ensemble du système : jusqu’en 1963, l’État intervenait par une subvention correspondant à 16 % des recettes ; à partir de 1963, il a pris dans le cadre de l’assurance soins de santé 95 % des dépenses pour les maladies sociales (cancer, poliomyélite, tuberculose et maladies mentales) et 27 % des dépenses pour les autres prestations médicales et paramédicales, ce qui représentait près de 35 % des dépenses. À cet effort de l’État, il fallait ajouter le paiement par ce dernier de la cotisation des chômeurs" [40].
99Un autre observateur [41] relève parmi les caractéristiques importantes de la "loi Leburton" d’autres éléments, de nature plus directement sociale : le fait qu’elle définit une catégorie de bénéficiaires appelés à jouir dorénavant de soins entièrement gratuits (les veuves, invalides, pensionnés, orphelins ou "VIPO"), le fait qu’elle instaure le principe de la gratuité de l’hospitalisation, qu’elle augmente considérablement le remboursement de nombreuses spécialités pharmaceutiques, etc. Le même auteur souligne aussi une série de traits, qui, de son point de vue, situent cette loi dans une ligne classique et même dans le respect de quelques constantes "parmi les plus contestables de la sécurité sociale en Belgique" [42] : "En particulier, elle conserve intact le pluralisme des organismes assureurs, pluralisme fondé sur des distinctions politiques. (…) Ce pluralisme est souvent critiqué ; les socialistes le regrettent, mais s’y résignent sans peine, tandis que les chrétiens insistent sur son maintien, lié à la permanence des structures institutionnelles qui entourent le monde catholique belge. D’autre part, et surtout, en respectant le système de remboursement à l’acte des prestations médicales, la "loi Leburton" se cantonne dans les limites anachroniques de la vieille médecine libérale. De même, la réforme est muette quant au statut des médecins d’hôpitaux, ce qui contribue également à renforcer les structures vieillies de la santé publique".
100Une autre dimension importante de la loi du 9 août 1963 est qu’elle visait en principe à garantir l’équilibre financier de l’assurance maladie en conciliant les conceptions de solidarité et de responsabilité. En clair, il s’agissait de responsabiliser directement les organismes assureurs sur le plan financier, par le biais d’une levée de suppléments de cotisation auprès de leurs affiliés en cas d’écart entre les dépenses et les recettes prévues. Déjà, un groupe de travail parlementaire chargé de l’étude des problèmes de l’AMI soulignait dans un rapport du 26 septembre 1961 que le régime était caractérisé par une sorte d’irresponsabilité : chaque année, l’assurance clôturait ses comptes avec un déficit qui était, après coup, couvert par l’État. Le ministre Leburton, lors de la défense de son projet de loi devant le Sénat en 1963, expliqua ainsi la portée de sa réforme [43] : "Le mérite du projet de loi est de mesurer les besoins réels issus des progrès médicaux et d’en refaire constamment l’inventaire, de réaliser les ressources nécessaires pour couvrir ces besoins, d’équilibrer donc le régime au départ et de donner dans ces conditions une responsabilité financière aux organismes assureurs. (…) Dans le nouveau régime, les prévisions de dépenses devront être établies sur base des dépenses réelles connues. C’est dire l’importance que revêt l’établissement consciencieux des budgets puisque les comptes afférents à des années déterminées pour lesquelles ces budgets sont établis, serviront ultérieurement de base aux budgets relatifs à des années suivantes.
101Le mode de financement prévu par le projet de loi aura comme résultat que l’accroissement des dépenses ne sera plus synonyme d’accroissement des déficits. En effet, si l’accroissement des dépenses est un phénomène normal, le projet de loi prévoit qu’au départ chaque budget doit être équilibré et que les recettes nécessaires pour couvrir les dépenses prévues doivent être créées.
102Si les recettes prévisionnelles sont inférieures aux dépenses prévisionnelles, le découvert doit être comblé par une augmentation du montant des cotisations. (…) Le taux des cotisations prélevées sur les salaires pourra différer d’année en année.
103Puisque chaque budget doit nécessairement être équilibré au départ, il s’ensuit que le montant des cotisations devra être augmenté chaque fois que le montant des dépenses prévisionnelles n’est pas couvert par le total des recettes provenant des cotisations, du subside accordé pour le chômage et du subside égal à 27 % des dépenses prévues".
104Ce thème de la "responsabilisation" financière des mutuelles (voir 3ème partie) a refait surface assez récemment. Notons par exemple ces considérations émanant de l’Inspection des finances, qui tentent d’expliquer pourquoi l’objectif d’équilibre financier de l’AMI par la responsabilisation des organismes assureurs n’a pas été atteint depuis 1963 :
"On peut sans doute trouver (à cela) trois raisons (…) :
- les partenaires gérants de l’assurance maladie ont été complètement absorbés par les tâches administratives énormes entraînées par l’élargissement de l’assurance à toute la population et par l’accroissement exponentiel du nombre d’actes médicaux ;
- en période de croissance économique, les problèmes de déficits étaient moins aigus et l’augmentation des recettes indexées sur les salaires permettait de boucher les trous. Depuis la crise, on ne peut plus miser sur un accroissement indéfini des recettes mais on a espéré maintenir les dépenses à l’intérieur des recettes grâce à des techniques de contrôle comme la programmation des équipements et les profils de prestations ;
- contrairement à ce qui avait été prévu au départ, la répartition des recettes entre les organismes assureurs ne semble correspondre à leurs besoins que de manière fort approximative, de sorte qu’il semble injuste de faire porter le poids des déficits uniquement aux affiliés des organismes assureurs qui clôturent en mali. De plus, on craint d’entraîner des transferts intempestifs d’affiliés entre organismes mutualistes en cas de levée de cotisations complémentaires plus ou moins élevées pour couvrir les déficits" [44].
106Le tournant de 1963, qui "faisait passer le nombre des bénéficiaires de l’assurance maladie-invalidité à près de 7 millions de personnes" [45], ouvrait également une période nouvelle sur un autre plan : celui de la constitution d’un axe "médico-mutualiste" de plus en plus déterminant dans la décision politique. Loin de s’en tenir à des questions d’honoraires et de révision de la nomenclature des actes remboursés, en effet, les accords médico-mutualistes, au moment d’être soumis à l’approbation du ministre de tutelle, seront de plus en plus souvent assortis, à la demande des représentants médicaux et avec l’approbation au moins tacite des représentants mutualistes, de promesses d’intervention gouvernementale dans des matières relevant de l’organisation générale du système de santé : limitation du nombre d’étudiants en médecine, introduction d’une formation complémentaire en médecine générale, adoption d’un statut légal du médecin hospitalier, etc. [46]
1974 : Sous le feu de l’économie
107Deuxième phase dans l’histoire mutualiste de l’après-guerre, la décennie 1964-1974 fut, comme le souligne Cris Van den Berghe [47], caractérisée par l’essor des avantages sociaux octroyés par l’État. Le survol par l’auteur de quelques dates clés est, à cet égard, suffisamment éloquent :
"1964 : création, pour les indépendants, de l’assurance maladie obligatoire contre les gros risques (hospitalisation, chirurgie…) ;
1965 : extension de l’assurance maladie à tous les agents des services publics ;
1967 : extension de l’assurance maladie obligatoire aux handicapés physiques ;
1969 : extension de l’assurance invalidité aux handicapés mentaux, aux travailleurs domestiques, aux religieux, aux personnes non protégées ;
1971 : extension de l’assurance indemnités aux travailleurs indépendants".
109Et de conclure : "Le début de la crise en 1974 marque un arrêt dans le développement de l’assurance maladie. Les dix années qui suivirent sont celles de la rigueur budgétaire, des difficultés de trésorerie et des augmentations du coût de la santé pour les malades". De fait, le choc des réalités économiques va devenir, de manière de plus en plus exclusive, l’élément moteur de toute innovation et de tout réaménagement dans le secteur de la politique de santé.
110Le rapport Petit marque, à cet égard, une sorte de transition symbolique entre l’avant et l’après-crise. Ce rapport est l’expression, sous la poussée d’inquiétudes économiques croissantes, du besoin de faire le point sur la décennie qui suivit l’entrée en vigueur de la loi Leburton. Comme ses contemporains, M. Petit semble pris de vertige en constatant (p. 90) que "de 1966 à 1976, le montant total des dépenses soins de santé a augmenté de 435 %", passant de près de FB 22 à 95 milliards. Mais dans le même temps, son analyse tente de pointer les vices de forme du système de protection sociale en matière de santé et ne se limite pas à l’énumération d’une série de recettes financières. À cet égard, il signe la fin d’une époque et celle (au moins provisoire) d’un mode d’approche politique du sujet. Sa mission constitue probablement la dernière tentative délibérée - sinon parfaitement achevée - de saisie globale des caractéristiques positives et négatives du système belge de santé et d’assurance maladie. Le fait qu’il n’ait, à l’époque, pleinement contenté personne et que l’on se soit gardé de donner une suite politique à sa "réflexion-cadre", tout en ne cessant de se référer à certaines de ses propositions particulières au gré des circonstances, peut conduire à penser qu’il avait ébranlé par ses idées ou suggestions quelques-uns des équilibres vulnérables du système de protection contre la maladie.
111Quelles furent, durant cette période, les préoccupations des interlocuteurs médico-mutualistes ? Jusqu’à l’aube des années 1980, marquées par une seconde grève de médecins (décembre 1979 - janvier 1980), le débat va progressivement se focaliser, en ordre principal, sur le thème du contrôle de production des actes médicaux ou "profils" (rendu possible par l’introduction de l’informatique dans la comptabilité de l’assurance maladie), sur celui des normes limitatives (en matière d’équipement, d’infrastructure,…) et sur celui des diminutions de remboursement.
112Le devant de la scène sera tour à tour occupé par la souche fiscale jointe à l’attestation de soins médicaux, par les règles de fixation des prix des médicaments, par la programmation des scanners, par les profils de pratique, par la maîtrise de la croissance en biologie clinique,… Les années 1982 et suivantes seront largement marquées, quant à elles, par deux sujets supplémentaires : la politique hospitalière (y compris le développement de cette "alternative" nouvelle - ne faudrait-il pas plutôt dire : cette formule de reconversion ? - que constituent les maisons de repos et de soins) et le contrôle de l’activité mutualiste. Tout cela se situant dans un contexte caractérisé par l’essor de systèmes privés d’assurance contre la maladie.
1982 : La légitimité mutualiste ébranlée
113À partir de 1982, en effet, les accusations de fraudes et de malversations dirigées contre les organismes assureurs vont se multiplier.
114Cette agitation aura plusieurs résultats concrets : notamment, dès 1982 [48], la fixation de règles plus strictes et plus précises concernant les placements bancaires à court terme des sommes gardées en réserve pour certains paiements (voir plus haut le chapitre relatif aux frais d’administration des organismes assureurs). Plus largement, cela va aussi inciter le pouvoir politique à demander un audit destiné à clarifier et à rationaliser dans son ensemble la question du financement des missions administratives mutualistes ; ce travail sera confié fin 1986 par le ministre des Affaires sociales à la firme Andersen. Enfin, on peut certainement mettre également au compte de l’agitation évoquée plus haut l’élaboration relativement rapide d’un train de projets de loi, rendu public le 2 octobre 1987 par le ministre J.-L. Dehaene, qui liait notamment la réforme des mutuelles à celle de l’ordre des médecins.
115L’offensive de ces dernières années tendant à mettre fondamentalement en cause l’honnêteté et l’intégrité morale du monde mutualiste, si l’on ignore encore sur quoi elle va pratiquement déboucher aux plans judiciaire et politique, nous paraît jusqu’ici suffisamment tenace et lourde d’enjeux encore incertains que pour marquer, après 1963 et 1974, une troisième étape significative dans l’histoire mutualiste de ces quarante dernières années. Rappelons donc brièvement comment cette offensive a pris corps.
116Même si l’on peut retrouver trace, dans le courant des années 1970 déjà, de quelques allusions plus ou moins furtives à d’éventuelles malversations imputables aux organismes assureurs [49], les reproches adressés traditionnellement aux mutuelles se situaient avant 1982 sur un terrain quasi exclusivement idéologique. Ce qui leur était reproché périodiquement, c’était essentiellement de détenir un pouvoir excessif, sinon exorbitant, présenté en l’occurrence comme ayant une série de caractéristiques perverses : une nature "tentaculaire" (en raison des liens étroits unissant, par dirigeants ou par "cerveaux" interposés, les mutuelles au monde politique et gouvernemental), "occulte" (via la comptabilité peu transparente de l’assurance complémentaire) et "cumulative" (du fait de l’existence d’organismes gestionnaires d’institutions de soins gravitant autour des organismes assureurs). Il est à noter que ces critiques, dans leur majorité, posaient encore le problème en termes socio-politiques, c’est-à-dire en termes de surface de pouvoir.
117En l’espace de quelques années, le débat changea de nature. Sur la scène médiatique, l’attention de l’opinion ne fut plus du tout orientée vers la question des finalités, des rapports de forces et des mécanismes institutionnels, mais uniquement vers quelques faits réputés scandaleux et leurs péripéties politico-judiciaires. Ainsi, pour une partie du public, les mutualités passèrent insensiblement du statut d’allié (ou d’adversaire) socio-politique à un statut de malfaiteur - donc d’instance qui se met d’elle-même hors-jeu de la vie sociale et politique régulière. Qu’il y ait eu ou non des abus ponctuels condamnables, le glissement n’est pas anodin. Il permet à ceux qui, pour diverses raisons, aspirent à réduire la puissance mutualiste de poursuivre leur but sur un mode idéologiquement beaucoup plus neutre. Apparemment guidée par le seul souci du bien commun (garantir un sain usage des deniers publics), cette nouvelle forme d’offensive envers les mutuelles n’en escamote que plus sûrement les conflits de pouvoir et les enjeux fondamentaux de société liés à la restructuration sous-jacente du système d’assurance maladie. Comment en est-on arrivé là ?
118La première attaque sérieuse se produit vers la fin du mois d’avril 1982. À ce moment, le Conseil général de l’INAMI vient de prendre connaissance d’un rapport d’enquête extraordinaire réalisé par le service du contrôle administratif. Cette enquête avait pour but de contrôler "l’utilisation des moyens financiers de l’assurance maladie-invalidité par les organismes assureurs", c’est-à-dire l’usage que font les mutualités des fonds que l’INAMI leur verse et qui, dans un délai minimum, doivent servir à assurer les revenus des invalides, à rembourser les patients aux guichets et à payer les factures des praticiens (notamment les pharmaciens) ainsi que celles des établissements de soins qui pratiquent le tiers-payant [50]. Il s’agissait en fait de la deuxième enquête du genre depuis qu’en 1980, Luc Dhoore, alors ministre des Affaires sociales, avait demandé que l’on procède à des contrôles par sondage auprès des mutuelles afin de mieux apprécier la qualité et la rigueur de leur gestion financière.
119Alors que la première enquête n’avait fait apparaître, semble-t-il, aucune irrégularité, la seconde, portant sur le premier trimestre de l’année 1981 et réalisée auprès des cinq unions nationales et de la CAAMI ainsi qu’auprès d’une fédération de chacun de ces six organismes centraux, aboutit "à la découverte de l’existence de moyens financiers placés sur des comptes à vue ou à moyen terme" [51] sans que les intérêts accordés pour ces placements aient été "comptabilisés dans les recettes de l’assurance" (c’est-à-dire réinjectés dans le circuit financier normal destiné au remboursement des prestations). Il est à noter que le flou réglementaire et légal régnant à l’époque dans le domaine de la gestion des flux financiers de l’assurance obligatoire ne permettait pas toujours de ranger parmi les infractions caractérisées des pratiques ayant parfois certaines apparences de l’abus.
120Le trouble médiatique provoqué par cette première "affaire" devait montrer qu’il suffit à un groupe de pression décidé de s’emparer du dossier pour que :
- l’on attribue à ce groupe tout le mérite des révélations, en oubliant qu’elles sont le produit d’une démarche officielle, traduisant une relative volonté d’auto-surveillance du système ;
- l’on impute à tout le réseau des mutualités les pratiques répréhensibles éventuelles détectées en certains de ses points bien localisés ;
- l’on assimile tout placement à un abus, en totale ignorance des contraintes pratiques auxquelles les mutuelles ont à faire face, prises qu’elles sont entre, d’une part, des besoins journaliers en dents de scie et des impératifs sociaux (garder un fonds de roulement pour pouvoir assurer en temps voulu le paiement des invalides et pour ne jamais être acculé à interrompre le service de remboursement aux guichets par manque de liquidités) et, d’autre part, des rentrées de fonds très irrégulières en provenance de l’État [52].
121En résumé : des anomalies non contestables [53] - dans le cas présent, elles ont d’ailleurs amené le ministre Jean-Luc Dehaene à réagir en fixant des règles strictes en matière de placement et d’utilisation des intérêts qui en découlent - semblent avoir été fort amplifiées au service d’un autre projet, évoqué dans plusieurs éditoriaux du Bulletin d’Information des Chambres syndicales de médecins :
122"Ce que l’on vient de découvrir pose brutalement et sans détour le problème du danger permanent que constitue l’existence d’intermédiaires entre l’INAMI et les prestataires de soins" (numéro du 6 mai 1982). Ou encore : "N’existe-t-il pas bien d’autres moyens que celui fondé sur le passage obligé par les mutuelles pour rembourser les prestations de santé ? Au siècle des ordinateurs, la suppression des intermédiaires ne devient-elle pas l’enfance de l’art ?" (numéro du 27 mai 1982).
123Les années qui suivirent confirmèrent le changement de stratégie adoptée par les contempteurs du monde mutualiste et parachevèrent l’émergence d’un nouveau climat idéologique autour desdites institutions. Nous étions entrés dans une période de poussée oppositionnelle fondée sur la "délégitimation" (sous le double argument de la faillite morale - les "malversations" comptables - et de la caducité administrative, l’informatique moderne pouvant avantageusement remplacer, selon le Dr Wynen, ces coûteux et douteux intermédiaires entre les prestataires de soins et l’INAMI).
L’état actuel du Dossier
124Conséquence politique - sinon solution définitive - de cette période tourmentée, deux plans de réforme relatifs aux mutuelles ont vu le jour à la fin de l’année 1987. Ils sont d’inspirations très différentes bien que tous deux d’initiative gouvernementale. L’un vise à rénover le cadre juridique de l’institution ; l’autre lui assigne des objectifs économiques draconiens.
125Il s’agit, dans le premier cas, d’un ensemble de trois avant-projets de loi, déposés conjointement en octobre 1987 et qui concernent respectivement les mutualités, le contrôle administratif et médical au sein de l’INAMI et l’ordre des médecins. Il s’agit, dans le second cas, du rapport élaboré par la firme Arthur Andersen & Co suite à l’audit qu’elle a réalisé auprès des organismes assureurs entre janvier et novembre 1987. Ce rapport, dans sa forme finale, a été communiqué par le ministre à toutes les unions nationales en date du 20 janvier 1988 [54] et un résumé en fut transmis à la presse le 3 février. Vu qu’il remplissait à ce moment précis une mission d’information en vue d’aboutir à la constitution d’un nouveau gouvernement, le ministre J.-L. Dehaene s’abstint de tout commentaire quant au fond lors de cette diffusion de presse.
L’audit d’Arthur Andersen & Co
126Nous ne détaillerons pas ici toutes les observations et recommandations contenues dans le rapport de l’audit, ni les réactions officielles qu’elles ont suscitées en milieu mutualiste [55]. L’audit poursuivait deux objectifs : dans sa partie dite "opérationnelle", il visait avant tout à "déterminer si le montant alloué aux organismes assureurs [56] s’avérait trop élevé ou insuffisant pour administrer l’assurance maladie-invalidité (AMI) obligatoire". Dans sa partie dite "financière", il visait à examiner, pour chaque organisme assureur, l’organisation comptable, les procédures de justification des fédérations vis-à-vis du secrétariat national, la gestion de trésorerie de l’assurance obligatoire, les liens existant avec les asbl et autres organisations dépendant de la mutualité.
127Les conclusions de l’audit consistèrent principalement à chiffrer les économies réalisables en matière de frais d’administration des organismes assureurs. Un des postes importants qui retint particulièrement l’attention de la firme Arthur Andersen & Co fut celui de leurs "services sociaux", non seulement parce qu’ils "emploient 948 personnes à temps plein et coûtent environ 1,5 milliards de BEF par an, dont environ 0,3 milliard de BEF sont subsidiés par les Communautés", mais aussi en raison de "l’absence de réglementation claire au sujet de l’obligation pour les organismes assureurs d’assurer un service social dans le cadre des missions qui leur sont confiées en exécution de la loi" (p. 1).
128Pour l’ensemble des frais d’administration déclarés, en se basant sur l’année de référence 1986 où ces frais s’élevaient à FB 20,5 milliards et où le budget de l’INAMI prévoyait un subside correspondant de FB 18,4 milliards, les auteurs de l’audit estimèrent qu’un montant de FB 15,1 milliards aurait été suffisant aux mutualités pour administrer l’assurance obligatoire. Cela représente donc potentiellement une économie absolue de FB 5,4 milliards (constituée pour l’essentiel de FB 2,3 milliards en provenance de mesures de rationalisation à mener sur une période de trois à cinq ans, et de FB 2,7 milliards qui pourraient être obtenus immédiatement grâce à des "glissements de frais" de l’assurance obligatoire vers l’assurance libre et vers l’assurance libre complémentaire). Pour l’INAMI, en s’en tenant à l’année 1986 toujours, l’économie aurait été dans ce cas de quelque FB 3,3 milliards. Il est à noter que ceci ne constitue encore que ce qu’Arthur Andersen & Co appelle l’économie "recommandée", dans le cadre du service social "actuel". L’économie "réalisable" pour l’INAMI pourrait être différente (sous-entendu : supérieure) si l’on arrêtait "une décision quant à la partie du service social qui doit être financée par l’assurance obligatoire" (p. 39).
129Enfin, la dernière partie du rapport de conclusion de l’audit énumère une série de "recommandations en dehors du cadre de l’étude", parmi lesquelles :
- une révision des lois du 23 juin 1894 et du 9 août 1963, en raison de la "distorsion" qui s’est progressivement installée entre le "fonctionnement interne" des institutions mutualistes (hérité du temps où celles-ci offraient essentiellement "des services libres et complémentaires") et les caractéristiques actuelles de leur "mission" (administrer "l’assurance obligatoire"). En particulier, déclare en substance Arthur Andersen & Co, il conviendrait de corriger l’inadéquation des responsabilités respectives des fédérations et des unions nationales ;
- une restructuration du réseau commercial, afin d’éviter certaines situations irrationnelles "où l’on retrouve jusqu’à six fédérations par province avec dans certains cas des sociétés mutuelles actives au même endroit, appartenant à des fédérations différentes mais dépendantes du même organisme assureur". Gain escompté en personnel et en argent : 817 équivalents temps plein (ETP) ; FB 900 millions ;
- une révision du système d’assurabilité (qui emploie plus d’un millier d’ETP et coûte actuellement près d’1,2 milliard de FB par an). Ce système est "lourd et complexe" : "le contrôle vise 100 % des cas, alors qu’a priori, un pourcentage très important de la population est en règle puisque les cotisations sont automatiquement déduites de leur salaire". Proposition d’Arthur Andersen & Co : "transférer au moyen du support magnétique ou par ligne (télécommunication) les informations contenues actuellement sur les bons de cotisation. (…) Le droit pourrait être annuel et tous les membres en règle pour l’année x pourraient recevoir une carte d’assurabilité, à l’image des cartes de crédit, pour l’année x + 1" ;
- une rationalisation du secteur informatique des mutualités (compatibilité du matériel, centre de développement unique pour chaque organisme assureur, etc.). Gain escompté : 105 ETP, FB 118 millions ;
- une indépendance accrue des médecins-conseil afin de limiter les variations, par région et par organisme assureur, dans les ratios "nombre de jours d’incapacité primaire par titulaire indemnisable primaire". Parmi les propositions suggérées : "créer un service unique de médecins-conseil, commun à tous les organismes assureurs et dépendant directement de l’INAMI" ou encore "engager des médecins-conseil pour des périodes courtes (6 mois - 1 an) et les affecter à des régions dans lesquelles ils ne peuvent subir d’influence" ;
- dans le même ordre d’idées, les auteurs de l’audit proposent "l’introduction d’un montant à payer pour aller en appel contre un décision du médecin-conseil afin de rendre cette démarche plus sélective et moins coûteuse pour le régime".
130Dans la "position commune adoptée par les cinq unions nationales de mutualités" [57] concernant les conclusions d’Arthur Andersen 4 Co, le Collège intermutualiste souligne que "les rapports individuels ainsi que le rapport final contiennent certaines propositions globales et individuelles utiles" et que "chaque membre du Collège pourra y puiser les informations utiles pour sa gestion et pour une rationalisation (…)" (p. 2). Pour le reste, le Collège recense surtout les failles du rapport et s’efforce de mettre en exergue les aspects du système mutualiste belge les plus positifs ou ceux, du moins, qui supportent le mieux la comparaison avec l’étranger. Ainsi, aux yeux du Collège, il est particulièrement surprenant "de constater que le rapport final ne mentionne nulle part les efforts d’adaptation et de rationalisation fournis depuis tout un temps déjà par diverses mutualités, efforts connus des enquêteurs" (p. 2). Sur le plan des coûts administratifs, le Collège soutient par ailleurs que "la gestion des mutualités belges s’avère moins coûteuse que celle des assureurs commerciaux et des organismes publics (France)" (p. 31). Enfin, en ce qui concerne la place du service social, jugée excessive par d’aucuns, dans les activités mutualistes quotidiennes, le Collège réplique : "(…) la mission d’assurance technique, de paiement et d’accompagnement social est une et indivisible dans cette branche de la sécurité sociale. Il est donc étonnant de s’entendre dire qu’il faudrait orienter plus rapidement vers d’autres services. Le Collège estime qu’il est préférable qu’une même instance ou une même personne s’occupe de certains problèmes du début à la fin. Les problèmes humains ne sont pas une matière que l’on peut aisément scinder". Et de faire observer un peu plus loin que "les mutualités constituent également un moyen unique de mobiliser des milliers de bénévoles. C’est une nécessité de plus en plus admise pour garantir la viabilité économique de nos systèmes et pour les protéger contre une bureaucratie et une technocratie trop envahissantes" (p. 34).
Le plan de réforme gouvernemental et la révision de la loi de 1894
131Le second plan de réforme important fut rendu public par le ministre des Affaires sociales en date du 2 octobre 1987. Tombé en caducité suite au changement de gouvernement intervenu en 1988, il reste toutefois, pour l’essentiel, une base de travail pour le département de l’actuel ministre, Philippe Busquin. Les grandes lignes de ce plan par rapport à la législation du 23 juin 1894 toujours en vigueur, sont les suivantes :
- il inscrit explicitement dans la loi les objectifs qui sont à la base du fonctionnement des mutualités et à la poursuite desquels ces dernières devraient dorénavant se limiter [58] ;
- il apporte de sérieuses modifications aux structures et à l’organisation des mutuelles (supprimant par exemple la personnalité juridique autonome des mutualités locales et fondant ces dernières dans les fédérations ; liant plus clairement les fédérations aux décisions prises à l’échelle des unions nationales ; etc.) ;
- il renforce l’association des simples membres à la gestion de la mutualité et aux grandes décisions d’orientation, en revalorisant le rôle de l’assemblée générale ;
- il impose aux mutualités de créer un système de contrôle interne (lui-même supervisé par un corps de réviseurs d’entreprise agréés) et il instaure une commission indépendante en vue d’un contrôle externe plus efficace.
132Mais un des aspects les plus significatifs réside dans la liaison établie entre le sort des institutions mutualistes et celui de l’ordre des médecins, en les intégrant tous deux, quasi solidairement, à la problématique générale du contrôle des dépenses d’assurance maladie. Sur le plan tactique, dans le climat actuel d’hostilité entre establishment médical et mutuelles, l’opération est particulièrement subtile comme l’écrit un observateur : chacun est convié à accepter une certaine remise en ordre chez lui, sans que pour autant personne ne puisse se sentir unilatéralement projeté dans le camp des lésés ni dans celui des privilégiés. "Ainsi, les uns et les autres se voient à la fois renforcés dans leur rôle traditionnel, c’est-à-dire protégés des critiques les plus radicales, et contraints de se plier à un droit de regard accru du monde extérieur.
133Dans le cas de l’Ordre des médecins, cela se concrétise par l’octroi d’une mission officielle nouvelle (un rôle plus systématique d’enquête et de police face aux abus de liberté thérapeutique coûteux pour l’INAMI), assorti d’une relative démocratisation et d’une accentuation de la transparence interne.
134De même, la place des mutuelles comme institutions-pivots chargées de la "promotion de la santé" dans notre système de solidarité sociale est hautement réaffirmée, moyennant une supervision accrue de leurs modalités de gestion et un renforcement obligé de leur cohérence (au travers de dispositions conférant par exemple un rôle plus directif aux Unions nationales).
135(…) D’un côté, il s’agira de mieux contrôler la circulation des flux financiers transitant par les mutuelles et, en particulier, de surveiller étroitement leurs "frais d’administration" ; de l’autre, il s’agira de veiller à ce que les prestataires ne surproduisent pas indûment. Malgré quelques cris fusant du banc médical et s’indignant de ce que ces deux catégories d’abus puissent être mises sur le même plan, la stratégie ministérielle ne paraît pas manquer de solidité : comment les uns pourraient-ils légitimement se soustraire à une rigueur sans faille qu’ils ne cessent de réclamer à l’égard des autres ?" [59]
Les médias dans l’arène
136Les tentatives menées pour délégitimer l’institution mutualiste nous semblent avoir puisé une grande partie de leur vigueur et de leur impact dans le mode de fonctionnement particulier des médias modernes. Que ceux-ci, bien souvent, accordent plus de place aux événements à sensation qu’aux éléments de contexte qui leur donnent sens et épaisseur socio-historique, c’est là un constat nullement spécifique au présent sujet de controverse. Mais que, dans ce dossier précis, le spectaculaire ait à ce point primé sur la prudence, que tant de rumeurs, de révélations prématurées [60], d’accusations grossies ou invérifiées aient pu trouver un aussi large écho dans la presse, et ce durant plusieurs années, sur la principale foi de campagnes à répétition menées par une organisation pour le moins partie prenante aux bénéfices du procès lui-même, voilà qui donne malgré tout à réfléchir. D’autant plus, pourrait-on dire, qu’il ne semble nullement s’agir d’une orchestration délibérée ni d’un parti pris de dénigrement dans le chef de la majorité des responsables de l’information de masse.
137Le problème, ici, se pose plutôt en termes d’opposition entre, d’une part, une conception de l’information comme travail d’élucidation et d’enquête et, d’autre part, un accommodement fréquent des médias à leur simple fonction de "résonance" : cette banale restitution de la parole des ténors politiques et sociaux, dans les termes et aux moments précis où ceux-ci entendent organiser leurs effets médiatiques. Le devoir d’objectivité prend dans ce dernier cas un sens plutôt passif : il consiste en général à répercuter tour à tour les allégations et contre-allégations des divers protagonistes. Cette méthode permet certes de faire l’économie d’investigations fastidieuses sur le fond, peu compatibles avec les exigences de rapidité que les techniques modernes de communication ont largement contribué à élever au rang de premier critère de professionnalisme dans le traitement de l’actualité. Elle donne par ailleurs du piquant à l’information, en la polarisant autour d’une inévitable bataille de prises de position contradictoires. Il n’est pas sûr cependant qu’elle rende l’objet même du débat démocratique ni ses enjeux plus intelligibles.
138Avec une égale candeur, cet abandon d’une bonne partie de la presse à sa seule fonction de "résonance" a tantôt - et le plus souvent - fonctionné à charge des mutuelles, et tantôt à leur décharge.
139S’empressant par exemple de répercuter, sans grande réserve ni recul critique, les appels radicaux des Chambres syndicales de médecins au démantèlement de l’institution mutualiste, les médias se sont bien souvent faits les propagateurs de ce que certains ont qualifié de "dérapage inadmissible dans l’ordre du discours", à savoir le passage sans transition du thème de "l’illégalité (supposée) de certaines pratiques administratives" à celui de "l’illégitimité des instances au sein desquelles elles auraient été commises". En effet, "ce dérapage est extrêmement pernicieux. Il présente comme une urgence, sous le coup d’événements ponctuels à sensation, une réforme de structure qui au contraire ne peut résulter que d’une réflexion mûrie, tenant compte de l’avis de tous et permettant à chacun de soupeser clairement les avantages et inconvénients d’un éventuel bouleversement des règles du jeu social" [61].
140Inversement, lorsqu’à la veille des cérémonies de leur 75ème anniversaire, le 8 septembre 1988, les mutualités socialistes rendirent publique une version abrégée, flatteuse pour elles, d’une vaste enquête d’opinion intitulée "Votre mutualité et vous", la majorité de la presse fit sans barguigner ses gros titres sur cette réhabilitation de l’institution à travers la perception ultra-positive que le grand public semblait en avoir. Le malheur voulait cependant que ce sondage, dans sa version complète, exprimât des vues nettement plus critiques sur certains aspects des réalités mutualistes que le résumé destiné à la presse ne le laissait entendre. Le public n’en aurait cependant rien su si le quotidien De Standaard, qui se fait depuis quelques années une spécialité de traquer les faux pas, réels ou hypothétiques, de l’institution mutualiste, n’avait poussé plus loin l’investigation et n’avait ainsi mis à jour une image moins univoque de la manière dont les mutuelles sont perçues par les usagers [62].
3 - Aux bons soins de l’assurance maladie
141Un des paradoxes - et non des moindres - sur lesquels s’achève ce rapide survol de l’histoire des mutuelles est que jamais l’on n’aura réclamé autant de lumière sur leur fonctionnement et jeté, dans le même temps, autant d’ombre sur la nature et le sens profond de leurs fonctions. On ne peut nier, en effet, que le procès qui leur est fait depuis quelque temps soit un appel à la transparence : celle du contrôle des organismes assureurs en termes de moralité administrative et de respect des lois. Mais qui ne voit à quel point cette focalisation sur des problèmes d’essence policière (la chasse aux abus répréhensibles dans les pratiques comptables) nous écarte d’interrogations sans doute bien plus fondamentales sur la vie et le rôle de l’institution dans ce qu’elle a de plus quotidien, de moins suspect, de plus conforme même à nos traditions sociologiques ainsi qu’à la lettre ou à l’esprit des lois régissant notre système de protection contre la maladie ?
142Dans cet ordre d’idées, qui surpasse de loin en importance -sans pour autant la réduire à rien - la question des dérapages toujours possibles, il nous faut retenir ici quelques grands enjeux singulièrement négligés dans le débat de ces dernières années :
- le rôle des mutuelles dans la défense et la représentation des intérêts des patients ;
- le rôle des mutuelles dans l’aménagement et l’amélioration d’une politique de santé ;
- le rôle et la responsabilité financière des mutuelles en matière de gestion efficiente des ressources allouées par la collectivité pour la couverture du service de santé.
Les mutuelles et la défense des patients
143"Il est arrivé à plusieurs reprises que la mutualité soit assimilée à son service administratif. Les mutualistes entendent peu parler de leur organisation, ils ne la connaissent généralement pas et sont abandonnés à leur sort". Cette citation de 1948 est attribuée à Léo Hoppenbrouwers, ancien secrétaire fédéral de la mutualité chrétienne d’Anvers, lors d’un Congrès de l’ANC tenu à Dinant [63]. Elle nous rappelle, si besoin était, que la nostalgie de la mutuelle comme "mouvement", activé par une base consciente, entreprenante et informée, ainsi que la problématique de réanimation de la démocratie interne - que l’on se plaît à redécouvrir de congrès en congrès dans les grandes unions nationales - ne datent pas d’hier.
144Un des thèmes que les mutuelles elles-mêmes - surtout du côté chrétien - ont le plus mis en avant en matière d’amélioration de la défense de leurs membres est la revendication du droit d’agir pour eux en justice, ce qui suppose un aménagement à la loi de 1894. Dans le rapport final de la commission "défense des membres", préparatoire au congrès de l’ANC des 4, 5 et 6 décembre 1986, il est précisé qu’une telle mesure devrait permettre de "contourner l’obstacle psychologique que constitue trop souvent pour un patient le fait de devoir assigner un prestataire de soins" (p. 26). Les mutualités pourraient agir en ses lieu et place devant toutes les juridictions (y compris l’ordre des médecins) sans même que le patient soit obligé de se joindre à l’action ni que la mutualité ait à se justifier d’un mandat de sa part. Cette idée est déjà très ancienne puisqu’on la retrouve dans une proposition de loi Verhenne de 1970, reprise respectivement en 1983 et 1986 par les parlementaires Dierickx et Vogels (Agalev). Dans les conclusions du précédent congrès décennal de l’ANC (décembre 1976), Jean Hallet exprimait ainsi cette préoccupation : "Ce congrès unanime a souhaité (…) que les mutualités soient mises en mesure de défendre efficacement leurs membres. (…) Notre intention n’est pas de multiplier les procès. Nous sommes encore disposés à user des moyens de conciliation quand c’est possible mais l’expérience nous a maintenant assez prouvé que nous devons être juridiquement mieux armés pour remplir notre mission" (Orientation, op. cit., p. 168). Une telle revendication ne s’est jamais concrétisée. On peut y voir l’indice de ce que les mutuelles sont moins toutes puissantes sur la scène politique que certains le prétendent, puisqu’elles n’ont pu obtenir dans ce domaine un changement législatif qu’elles souhaitent depuis près de vingt ans. On peut aussi y voir plutôt le signe de ce qu’elles n’ont pas accordé jusqu’ici une égale importance à la réalisation de cette réforme dans les actes, d’une part, et dans leurs discours, d’autre part. Une vision rétrospective élargie des moments où les porte-parole mutualistes ont eu le plus tendance à mettre en avant des projets de réforme qui tendaient à renforcer le pouvoir des patients (réforme de l’ordre des médecins ; défense en justice, etc.) peut donner à penser qu’il s’agissait au moins autant - sinon plus souvent - de coup de semonce destinés aux représentants du corps médical, dans un contexte de négociation en cours ou en préparation, que d’un attachement intrinsèque auxdits projets de réforme.
145Surtout secouées, aujourd’hui, par des milieux qui contestent l’étendue de leur pouvoir, les mutuelles ont aussi, à l’occasion, été interpellées par des affiliés qui ne tenaient nullement à les affaiblir mais au contraire à les rappeler à leurs devoirs de défense, de soutien actif des usagers dans toutes les situations d’ignorance, de faiblesse, d’abandon, de détresse qu’ils peuvent rencontrer dans le champ de la santé et dans leurs rapports concrets avec les institutions de soins. L’action de l’Antwerps Gezondheidskomitee, créé à Anvers à l’aube des années 1970 par quelques assurés sociaux, est à cet égard exemplaire [64]. Ce comité pluraliste extérieur aux organismes assureurs s’employa notamment à lutter contre les infractions commises par ces derniers envers leurs affiliés en matière d’information. Ayant découvert qu’un arrêté royal de novembre 1963 imposait aux mutuelles, dans son article 326, de communiquer à tous leurs affiliés la liste des prestataires et établissements hospitaliers conventionnés de leur commune ainsi que de permettre la consultation des listes nationales dans leurs locaux, le Comité se lança en 1975 dans une campagne de contrôle de ces dispositions, allant jusqu’à faire opérer un constat de police dans un bureau de mutuelle récalcitrant.
146Le jugement de l’Antwerps Gezondheidskomitee est sévère sur la manière dont les mutuelles, qui concluent les accords tarifaires, veillent ensuite à ce qu’ils soient correctement exécutés : "La défense des affiliés contre les dispensateurs de soins qui ne respectent pas les conventions ou les arrêtés de loi, est particulièrement mince et en fait inexistante. (…) Dans beaucoup de cas, nous constatons que les gens sont laissés en plan. En fait, ce n’est pas une situation anormale, elle est la conséquence de la situation actuelle des mutuelles".
147Il faut remarquer que rien dans les accords médico-mutualistes n’incite le patient à se défendre. Par exemple, en cas de dépassement de 200 FB, l’amende à payer sera de 600 FB. Somme ridiculement faible comme amende, concédée au "nom de la paix médicale" ?
148(…) Il ne s’agit pas (…) de négligences d’employés ; bien au contraire les employés trop réceptifs aux plaintes des gens peuvent craindre une répression d’en haut. Ainsi, à Brasschaat où deux employés mutualistes qui avaient entamé une poursuite à l’égard d’un médecin pour dépassement d’honoraire, se virent convoquer par le secrétaire de la mutuelle anversoise suite à un contact téléphonique entre ce médecin et la fédération mutualiste.
149(…) D’ailleurs, dans la région anversoise, ce sont les employés des mutuelles eux-mêmes qui renvoient les patients à l’Antwerps Gezondheidskomitee pour leur défense".
150Dans les années 1980, en Flandre toujours, succéda à ce type de mouvement relativement vindicatif un service autonome de défense des patients plus soucieux de dialogue et s’efforçant de discerner au cas par cas, dans les plaintes des usagers, ce qui est fondé et ce qui ne l’est pas. C’est ainsi qu’est né en 1979 l’Algemene bond van patiënten, qui compte un petit millier de membres et dit recevoir la plus grosse partie de ses consultants des mutuelles elles-mêmes. Il n’y a pas à proprement parler d’équivalent francophone.
151Assez unique en son genre, cette expérience militante met le doigt sur une problématique structurelle essentielle : la relative tiédeur de l’appareil en matière de défense des intérêts des membres à l’échelon individuel ou local en raison par exemple des tensions qui peuvent naître entre une volonté de défense accrue des usagers à la base et le souci de conciliation tarifaire au sommet. Cette problématique, que l’on pourrait aisément étendre à bien d’autres questions que celle du respect des honoraires conventionnels, introduit aussi l’idée que : "Les intérêts des mutuelles et ceux de leurs membres peuvent être opposés".
152Sans aller jusqu’à faire leur ce dernier axiome sur les conflits d’intérêts, il faut reconnaître que certaines grandes mutuelles ont su, ne fût-ce que dans le cadre de leurs réflexions de congrès, s’ouvrir à une auto-critique. C’est ainsi, par exemple, que l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, dans la phase préparatoire de son congrès décennal de décembre 1976, s’est livrée à une assez vaste enquête sur "l’image des Mutualités chrétiennes comme organisation et comme mouvement social", non seulement auprès de ses membres et de ses cadres mais aussi à travers l’audition méthodique d’une bonne vingtaine de personnalités et de dirigeants d’organismes, allant du Boerenbond aux syndicats médicaux en passant par le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine et les mutualités libérales ou socialistes.
153Il en ressort notamment, pour s’en tenir aux aspects plutôt négatifs qui retenaient en priorité l’attention des auteurs de l’enquête eux-mêmes :
- que les mutualités "n’apparaissent pas à travers leurs activités et leurs options comme un syndicat des malades" mais davantage comme un "organisme payeur qui s’intéresse surtout aux problèmes de gestion de l’assurance maladie" ;
- qu’elles "ne remédient pas à la situation de dépendance et d’impuissance de la population face aux médecins, aux hôpitaux et aux médicaments. Elles ne parviennent pas à convertir cette dépendance en puissance en créant de nouvelles formes de solidarité entre les malades. La preuve en est, toujours selon certaines organisations interrogées, que la combativité sociale, le dynamisme intellectuel et la créativité se retrouvent davantage dans des groupes actifs à l’extérieur des Mutualités (…) comme par exemple, les conseils de patients" ;
- qu’elles manquent d’identité étant partagées entre divers objectifs éventuellement contradictoires (certains considérant "la propriété et la gestion d’institutions médico-sociales incompatibles (ou en tout cas peu compatibles) avec la défense des intérêts des consommateurs de soins") ;
- que, comme cogestionnaires de l’assurance maladie obligatoire, elles "risquent de réduire les problèmes de santé à ceux de l’assurance maladie et à leurs aspects financiers" ;
- qu’elles formulent leurs revendications non en fonction des "attentes des membres" mais en fonction de "ce qu’il est possible d’obtenir des syndicats de médecins" ou de "ce qui est réalisable" pour des partis ou des ministres amis ;
- qu’elles sont touchées par des phénomènes de bureaucratisation qui entravent à la fois la participation des membres et des cadres inférieurs : "cette situation serait liée au fait qu’il n’y a pas suffisamment de circulation de l’information du sommet vers la base. Ceci vaut principalement pour l’information de qualité qui serait monopolisée au sommet" [65].
154Sans donner aux sondages d’opinion plus d’importance qu’il n’en faut, on peut relever une convergence significative entre les observations ci-dessus et les résultats de la récente enquête confiée à l’INUSOP par l’Union nationale des mutualités socialistes et rendue publique le 8 septembre 1988, à la veille du congrès commémorant le 75ème anniversaire de l’UNS. Il s’agit ici, pour la première fois sans doute, d’un travail d’évaluation de l’opinion publique entièrement centré sur l’univers mutualiste ; un de ses principaux intérêts est qu’il a été mené dans un échantillon représentatif de la population globale (affiliée à n’importe quelle mutualité). La présentation abrégée qui en a été faite à la presse, comme nous l’avons dit plus haut, ne retenait que les données les plus favorables à l’institution : 89 % des gens étaient d’avis que "les mutuelles aident les citoyens et jouent un rôle utile dans la société" ; 85 % étaient d’avis que "si elles n’existaient pas, la médecine coûterait davantage aux malades" ; 71 % que "grâce à elles les pauvres sont aussi bien soignés que les riches", etc.
155D’autres jugements exprimés à la faveur de la même enquête s’avéraient toutefois moins systématiquement élogieux. Ainsi, en regroupant les "tout à fait d’accord" et les "plutôt d’accord", on constate, comme certains journaux l’on souligné dans un second temps, que :
- 72 % des personnes acquiescent à l’affirmation que "pour les mutuelles on n’est qu’un numéro parmi beaucoup d’autres" ;
- 71 % acquiescent à l’affirmation selon laquelle "elles sont trop liées aux partis politiques" ;
- pour 63 %, "les mutuelles devraient davantage être contrôlées par l’État" ;
- pour 57 %, "les mutuelles défendent d’abord leurs propres intérêts",…
156On notera encore que pour 43 % des gens interrogés, les mutuelles "ont perdu leur caractère social" et qu’une personne sur quatre perçoit mal leur rôle. Cela n’empêche pas 89 % des répondants de penser que les mutuelles sont des "intermédiaires indispensables", tandis que 10 % estiment qu’elles "n’ont plus de raison d’être". Enfin, la majorité des affiliés est loin de retirer sa confiance à l’institution (40 % des personnes disent avoir "très confiance" dans leur mutuelle, 55 % "plutôt confiance", 3 % "plutôt pas confiance" et 1 % "pas confiance du tout"), sans offrir pour autant un profil candide : sur les 56 % de personnes interrogées qui "ont déjà entendu parler des accusations portées contre les mutualités", près d’une sur quatre estime que ces accusations étaient "sûrement" justifiées et près d’une sur deux qu’elles l’étaient "peut-être",… En définitive, le jugement complexe de l’opinion à l’égard des mutuelles, caractérisé par une position ambivalente que l’on pourrait qualifier d’"attachement sans illusion", pourrait être avant tout le reflet d’un double sentiment, nullement contradictoire : celui d’être assez efficacement protégé par elles à un niveau macro-politique - là où se jouent des décisions tendancielles engageant le sort du corps social dans son ensemble et où se fait sentir le besoin de contre-pouvoirs face aux secteurs de profit ainsi qu’aux tentations restrictives des gouvernements. Celui, par ailleurs, d’être assez peu pris en compte au niveau de ce que l’on vit tous les jours : tel type d’organisation des soins ; tel mode de relation avec les professionnels ; telle dimension pathogène de la vie quotidienne (au foyer, au travail, dans les quartiers), tel retentissement humain ou psychosocial de la maladie sur la personne souffrante ou sur ses proches,…
157Ainsi, l’on comprendrait mieux qu’une aussi nette absence d’idéalisation de l’institution mutualiste par les usagers s’accompagne d’un refus aussi massif de la voir démantelée, ou même simplement ramenée à un rôle subalterne. Ce qui, d’une part, oppose un démenti aux allégations de ceux qui arguent que les temps sont mûrs pour en terminer avec ces structures intermédiaires "parasites". Mais ce qui aussi d’autre part, laisse ouverte la question de l’étendue réelle du pouvoir mutualiste sur le triple terrain de la qualité, de l’humanité et de l’équité du service de santé.
Les mutuelles comme instrument de la politique de santé
158La sécurité sociale en général, l’assurance maladie obligatoire en particulier, ont eu pour effet de faciliter considérablement l’accès aux soins pour le plus grand nombre ; elles ont, ce faisant, constitué une manne pour le "complexe sanitaro-industriel", producteur, diffuseur et utilisateur de technologies en perpétuel renouvellement. Assuré jusqu’il y a peu de la solvabilité quasi illimitée de la totalité de la population en matière de dépenses médico-sanitaires individuelles, celui-ci a pu, en se développant, entraîner une accélération des progrès techniques dans le champ de la santé mais n’a pas forcément contribué - ce n’était pas dans sa nature - à l’établissement d’une politique de santé cohérente, efficiente, performante. Dans le meilleur des cas, le processus de développement technico-médical financièrement couvert par l’assurance maladie a permis de renforcer la qualité intrinsèque, la précocité ou la distribution (sociale et géographique) des interventions réparatrices. Dans le pire, il a favorisé en priorité ce que d’aucuns ont appelé le "détournement de l’effort sanitaire vers tous les secteurs supports de profit (industrie pharmaceutique, fournisseurs d’hôpitaux, informatique, etc.)" [66]. En aucun cas, il n’a suffi à générer une approche globale de la promotion de la santé, incluant notamment la lutte contre les facteurs de dégradation de la santé ainsi que contre les éventuelles inégalités d’exposition à ces facteurs, au sein d’une population forcément hétérogène sur le plan des risques.
159La question est de savoir si une politique de santé, supportée par une éthique sociale et un projet de développement rationnel, se surajoute aux projets techniques médicaux et à l’assurance maladie qui y donne financièrement accès. Si cette politique, en d’autres termes, s’élabore méthodiquement ou si elle résulte seulement des mille et une interventions ponctuelles du monde politique et des gestionnaires locaux. Les mutuelles sont-elles restées passives devant cet appel à la prise de responsabilité ou ont-elles pesé dans la construction d’une politique nationale originale de santé, qui puisse prétendre à une certaine cohérence, au-delà des questions d’ordre social et financier propres à la gestion de l’assurance maladie et au-delà de l’organisation de leurs propres services complémentaires ?
160Globalement, si l’on s’en tient surtout à la période d’après-guerre, il semble que la tendance soit à l’absence d’initiatives marquantes [67]. Se posant surtout en arbitre dans le domaine des coûts, ce qui les a amenées à soutenir des politiques énergiques sur des dossiers particuliers (les prix pharmaceutiques, les laboratoires de biologie clinique,…), les mutuelles ont volontiers abandonné aux prestataires la réflexion (et parfois la non-réflexion) sur le système dans son ensemble et ses articulations internes, c’est-à-dire en fin de compte la réflexion sur les standards de santé optimaux et sur la meilleure manière de procéder pour les atteindre dans le contexte et au sein de la société existants. Deux constantes au moins de la tradition mutualiste en Belgique confirment ce jugement :
- l’absence très générale de projets innovants dans les institutions détenues et gérées directement ou indirectement par les organismes assureurs eux-mêmes. Celles-ci, qui occupent comme on l’a vu plus haut une place relativement modeste dans l’ensemble de l’offre de soins, ne se distinguent en effet fondamentalement ni par leur politique de recrutement de personnel, ni par leur organisation interne, ni par les objectifs locaux de santé publique dont elles auraient pu se doter, ni par une volonté expérimentale particulière en matière, par exemple, d’évaluation rigoureuse de la pertinence et de la qualité des prestations fournies [68]. La déconvenue de certaines directions dans les hôpitaux et polycliniques mutualistes, lorsqu’elles constatèrent que "leurs médecins" se comportaient en cas de grève comme la moyenne de leurs confrères, fut à la mesure de cette sorte de naïveté qui les habitait : croire que l’étiquette sociale d’une institution suffit à y garantir une médecine du même nom. Alors qu’en fait, l’absence de projet institutionnel mobilisateur n’a aucune raison de fidéliser sur des enjeux professionnels et politiques plus larges ceux qui se contentent le plus souvent de travailler là comme ils travailleraient ailleurs. Ne s’étant pas dotées, malgré leurs moyens considérables, de "laboratoires" locaux pouvant constituer des jalons vers une nouvelle politique de santé, les mutuelles n’ont guère manifesté plus d’imagination au niveau national, où leurs discours généraux ont souvent tenu lieu de véritable volonté de transformation des mœurs politiques dans le domaine de l’optimalisation des ressources sanitaires ;
- dans un ordre d’idées voisin, mais cette fois vis-à-vis de l’ensemble des prestataires de soins et des professionnels de la santé, relevons l’indifférence des mutuelles à l’égard des inégalités internes au corps médical ou paramédical (infirmières/médecins, généralistes/spécialistes, stagiaires en voie de spécialisation/titulaires hospitaliers,…), de même que leur absence quasi totale de dialogue informel privilégié avec les éléments les plusscientifiques ou les moins systématiquement "corporatistes" de ces professions [69].
161Ces deux traits de la tradition mutualiste renvoient à la primauté foncière des préoccupations budgétaires sur toute autre considération dans l’exercice de leurs missions. Demain, peut-être, cette emprise toute puissante de l’économie sur la politique de santé en Belgique va-t-elle s’articuler autrement avec des objectifs de santé. Cela supposerait que les mutuelles acquièrent une autonomie plus grande dans le système. Cette question ouverte fera l’objet de notre dernier chapitre.
Quelle responsabilité financière ?
162Les mutualités, nous venons de le voir, ont fait preuve au cours de leur existence d’une importante faculté d’adaptation, au point de figurer parmi les acteurs les plus importants de la solidarité sociale, telle qu’elle s’est pensée et développée en Belgique. Cette flexibilité explique sans doute qu’elles sont passées au travers d’événements et de réformes qui ont mis leur existence ou leurs traditions directement ou indirectement en question. Survivant au libéralisme le plus radical au 19e siècle, elles se sont maintenues après la guerre dans un système de sécurité sociale qui tendait vers l’universalisme et sont sorties renforcées en 1963, lorsque l’INAMI a été créé et avec lui tout un système de partenariat organisé dans le but de permettre le développement d’une médecine de qualité accessible au plus grand nombre.
163Les mutuelles ont sans conteste marqué ces vingt-cinq dernières années de politique d’assurance maladie, qui ont connu le développement important que l’on sait en personnel qualifié et en techniques - ceci dans un contexte de sécurité sociale qui, bon gré mal gré, a tenu bon, même si plus de la moitié dudit quart de siècle a été marquée par la crise. Cependant, le système d’assurance maladie a développé durant ces mêmes années les germes de son propre procès : il s’est avéré incapable de se doter d’un financement stable et de maîtriser ses dépenses. Il a éprouvé de plus en plus de difficultés à arbitrer la répartition des ressources entre les grands secteurs de dépenses qui forment la consommation médicale collective, au point que les parts respectives entre elles (hospitalisation, soins techniques ambulatoires, médicaments, honoraires médicaux, etc.) paraissent être moins le résultat de choix opérés en fonction de considérations sanitaires ou sociales que des rapports de force et des inégales "capacités de tirage" des différents acteurs. Dans un contexte d’austérité, il en a résulté un rétrécissement relatif et absolu de la couverture sociale de certaines dépenses médicales et, par conséquent, une interpellation adressée aux organismes assureurs. Ceux-ci sont au cœur d’une crise de l’économie médicale qui ébranle la logique du système d’assurance maladie : la médecine fonctionne encore sur le modèle de la "libre entreprise" mais se pense de plus en plus dans les catégories du "rationnement". Dans le premier cas, il s’agit surtout d’apporter des recettes et de négocier éventuellement les prix, tandis que dans le second il s’agit de négocier la qualité et les quantités, les dépenses globales étant déterminées par les recettes disponibles. En plus de la notion éventuelle de limitation de l’offre, cette logique de rationnement induit la notion même de politique par les choix qu’elle impose.
164Une des questions les plus centrales relatives à la place des mutualités dans cette politique concerne leur responsabilité financière. En réalité, comme on l’a vu plus haut, celle-ci était prévue par la loi du 9 août 1963 mais n’a pas été appliquée, les mutualités n’ayant jamais été tenues de diminuer leurs dépenses propres ni de faire intervenir leurs assurances complémentaires pour apurer leurs comptes de l’assurance obligatoire. Dans les faits, les mutuelles reçoivent des avances sur recettes en fonction des dépenses de l’exercice antérieur et ce n’est qu’a posteriori que l’on peut constater que la distribution des ressources ne correspond pas aux comptes des recettes provenant de cotisations de leurs membres. Concrètement, cela s’accompagne d’un jeu de vases communicants, les mutualités dont les comptes sont en boni (essentiellement les mutualités chrétiennes) compensant une partie des pertes des mutualités en mali, l’ensemble du système étant globalement en déficit.
165Sur le plan de la gestion, le pluralisme des différentes unions nationales est donc souvent un pluralisme formel, les mutualités se différenciant les unes des autres par leur image de marque et leurs assurances complémentaires. Jamais le champ de l’assurance obligatoire n’a été le théâtre d’une concurrence entre les mutuelles.
166Récemment, l’idée de responsabilisation financière des organismes assureurs a fait surface et se présente comme une solution pour injecter dans le système des mécanismes d’autorégulation tout en restant dans un contexte de sécurité sociale, ce qui suppose un refus de sélectionner les risques et une volonté de redistribuer les revenus [70]. Concrètement, cela suppose une répartition claire des recettes de l’assurance maladie en fonction des risques des assurés sociaux de chaque union nationale et cela implique la possibilité pour celles-ci de maîtriser leurs dépenses par des méthodes et des moyens adéquats. Aujourd’hui, si au niveau macro-économique, les mutualités ont intérêt à fonctionner dans le cadre d’une assurance maladie financièrement en équilibre, puisque cela facilite la cogestion et la concertation, le système de la compensation automatique n’est pas un incitant à l’équilibre financier de chacune d’elles. La responsabilisation des mutuelles a pour objectif de mettre en question cette situation paradoxale, en rompant l’équilibre entre les niveaux macro- et micro-économique dans le partage des responsabilités et en obligeant les mutuelles à gérer au mieux le budget que leur confère l’assurance maladie obligatoire. Leurs recettes étant fixées en fonction des risques, les mutualités devraient alors choisir les formules qui satisfassent leurs membres, tout en restant dans les limites budgétaires si elles ne veulent pas augmenter les taux de cotisations de l’assurance complémentaire, ce qui risquerait de leur faire perdre des "parts de marché". Les mutualités seraient donc amenées à négocier avec des médecins, individuellement ou en groupe, des formules qui concilieraient efficacités sociale et thérapeutique et maîtrise des coûts. Sans doute, dans le chef de ceux qui préconisent de tels changements, l’inspiration provient-elle d’outre-Atlantique et particulièrement des HMO (Health maintenance organization) nord-américaines, organismes qui offrent à des collectivités (travailleurs d’une entreprise par exemple) un éventail complet de services médicaux et qui sont rétribués non pas par actes ou par prestation mais a priori sur base de forfaits établis en fonction de divers paramètres médicaux et sociaux.
167En pratique, les formes qu’un tel système pourrait prendre en Belgique sont les suivantes : au-delà des conventions médico-mutualistes qui continueraient à se réaliser et à engager l’ensemble des mutualités et des médecins, une seconde négociation pourrait avoir lieu à un niveau plus décentralisé où des médecins, ou des groupes de médecins, s’entendraient avec telle mutuelle pour convenir d’accords particuliers. L’on pourrait trouver différentes formes alternatives de financement et de couverture sociale pour les assurés qui désireraient adhérer à ce nouveau type de services.
168Dans ces conditions, où la possibilité pour les mutuelles d’influencer le niveau de leurs dépenses serait réalisée, les déficits éventuels devraient être pris en charge par elles en puisant dans leurs réserves ou dans les cotisations relatives à leurs assurances complémentaires ; quant aux bonis, ils seraient utilisés pour distribuer des avantages à leurs membres sous forme d’une protection plus étendue ou sous forme d’une protection moins coûteuse. Le pluralisme serait donc confirmé mais redéfini non plus par des différences inhérentes aux piliers idéologiques mais dans un contexte de concurrence par le prix ou le type de services offerts. Ce n’est pas une logique commerciale qui suscite de telles propositions, puisque les cotisations resteraient indépendantes des risques à l’échelle de l’assuré individuel, mais c’est toutefois une logique de décentralisation, de relativisation de l’identité "politique" des mutuelles et de passage d’un mode de gestion passif de la couverture des prestations de santé à une gestion active, jouant sur les rapports qualité/coût des services offerts.
169C’est là un scénario alternatif à la privatisation de l’assurance maladie et en particulier à la privatisation des petits risques, proposition qui revient régulièrement à la surface lorsque la question du déficit des finances publiques est posée politiquement [71]. Les mutualités n’ont jamais officiellement appuyé de telles propositions, les jugeant contraires aux valeurs de solidarité et de justice, mais ces objectifs n’ont pas été jusqu’à les conduire au refus de développer des assurances complémentaires. À tel point que le problème du contrôle et de la distinction avec les compagnies d’assurances ordinaires [72] est posé.
170Le contrôle des assurances, organisé par la loi du 9 juillet 1975, avait formellement exclu les mutualités de son champ d’application puisque les activités de celles-ci étaient considérées comme du ressort des assurances sociales.
171Il est cependant clair qu’aujourd’hui les champs respectifs des uns et des autres ne sont plus aussi étanches : les compagnies d’assurances campent de plus en plus sur le terrain social, présentant des systèmes de protection complémentaires contre la maladie, et les mutualités présentent à leurs membres des produits d’assurances déjà offerts sur le marché par les compagnies commerciales. Dès le moment où les activités des uns et des autres se rejoignent ainsi, la question du contrôle est posée [73], sans que cela ne préjuge de savoir quelles modalités seront prises en définitive : extension des missions de l’Office de contrôle des assurances aux mutualités ou création d’une commission interne à celles-ci, à l’image de la Commission bancaire [74].
172Une autre question à laquelle les mutualités risquent d’être confrontées concerne la fédéralisation de l’assurance maladie en Belgique. Jusqu’à présent, les unions nationales se sont tues sur cette question et il n’y a que la Vereniging der Vlaamse Ziekenfondsen qui revendique officiellement une communautarisation des soins de santé. Cependant, cette idée fait progressivement son chemin, surtout en Flandre où des groupes de pression tels que Caritas Catholica Vlaanderen etle Vlaams Ekonomisch Verbond - VEV l’estiment nécessaire. Incontestablement, la conviction selon laquelle une plus grande consommation médicale en Wallonie ne s’explique pas uniquement par une morbidité et un vieillissement plus prononcés se développe en Flandre et les écarts interrégionaux y sont jugés inacceptables. La question du "rééquilibrage" est posée dès aujourd’hui mais il est trop tôt pour savoir si celui-ci prendrait la forme d’une communautarisation nette ou si des modalités techniques (financement, définition des enveloppes) n’arriveraient pas au même résultat dans une sécurité sociale qui resterait nationale.
Conclusions
173Depuis les origines, l’histoire des mutuelles est celle d’un pouvoir en expansion. Sur le plan des valeurs humanitaires et démocratiques, celui-ci était au départ des plus légitimes : bien avant que la sécurité sociale moderne voie le jour, il puisait l’essentiel de sa substance et de sa raison d’être dans des élans de solidarité plus ou moins spontanés qui, même lorsque le patronat y voyait un instrument de pacification sociale, visaient d’abord à regrouper entre eux, face aux risques, les travailleurs soumis à des conditions semblables d’insécurité pour eux et pour leur famille.
174Peu à peu, ce pouvoir s’est institutionnalisé : un terrain en friche était à occuper ; un esprit à développer, en lui donnant une assise toujours plus forte. Cela prit près d’un siècle (1849-1945).
175Sous la pression des attentes sociales et des stratégies économico-politiques de reconstruction de la vie civile au lendemain de la seconde guerre mondiale, les mutualités furent officiellement investies d’un rôle dans l’assurance obligatoire, en voie de généralisation rapide.
176Depuis une dizaine d’années - et pour la première fois de leur histoire -, elles n’ont plus à subir la pression d’une logique d’expansion mais celle d’une double menace d’effritement du système dont elles sont un des piliers. Pression négative de l’économie tout d’abord, qui impose de réfléchir non plus en termes d’avantages nouveaux (et ce aussi bien pour les prestataires que pour les malades), mais en termes de restrictions judicieuses et acceptables. Pression offensive, ensuite, sous la forme d’une charge idéologique tenace destinée selon toute vraisemblance à émousser leur crédibilité en tant qu’instance même de pouvoir.
177Respectées malgré tout par une majorité de l’opinion, qui sait apparemment discerner en quoi ce pouvoir institué est aussi une protection pour les assurés sociaux, même si tout n’est pas transparent dans son fonctionnement et si le gigantisme bureaucratique de l’assurance maladie le concentre dans quelques sphères peu accessibles à l’homme de la rue, les mutualités sont néanmoins, aujourd’hui, confrontées plus que jamais à la question de leur absence prolongée - de leur carence de pouvoir ? - en matière non plus de gestion de l’assurance mais d’implication dans la politique de santé. Cette dernière, en effet, apparaît de plus en plus intrinsèquement liée à la dynamique des dépenses et dès lors se pose pour les mutualités la question de la représentation active des intérêts des usagers et des malades sur ce terrain, à un moment d’autant plus délicat que la crise du budget de l’État introduit la notion de "limites" dans le concept d’accès à la santé et rend donc de plus en plus complexe l’exigence d’équité.
178Les mutualités belges participent à une association internationale : l’AIM - Association internationale des mutualités. Cette association regroupe les mutualités de 11 des 12 pays de la Communauté européenne (sauf la Grèce) ainsi que la Suisse, Israël et l’Argentine. Elle fonctionne depuis 1950 et son siège est établi à Genève.
179Les mutualités représentées à l’intérieur de l’AIM ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions. Certaines comme en Belgique gèrent l’assurance maladie obligatoire, d’autres gèrent uniquement l’assurance maladie complémentaire et enfin certaines développent leurs activités en dehors du système d’assurance maladie obligatoire et complémentaire.
180À l’intérieur de l’AIM fonctionnent cinq commissions :
- la Commission pour l’étude du problème sociaux européens
- la Commission pour l’étude du problème des relations avec le corps médical ;
- la Commission pour l’étude de l’évolution des frais et du financement de l’assurance maladie ;
- la Commission pour l’étude de l’évolution et de la planification des établissements d’hospitalisation et médico-sociaux ;
- la Commission pour l’étude des applications de l’informatique au service de la mutualité.
181L’AIM se donne comme objectif de développer dans tous les pays les principes dont s’inspire le mutuellisme et d’assurer ou de compléter une protection efficace contre les risques sociaux. Par ailleurs l’AIM constitue un lieu d’échanges d’information et de documentation sur des questions intéressant la mutualité.
182Elle représente aussi les mutualités dans les grands organismes internationaux tels que la CEE, le BIT, le Conseil de l’Europe et l’Association internationale de sécurité sociale.
183L’AIM est financée par les cotisations calculées sur base du nombre d’affiliés de chaque mutualité. Au 31 décembre 1983, les cotisations versées à l’AIM ont représenté la somme de 358.269 francs suisses.
184Le tableau ci-après reprend les différentes mutualités présentes dans l’AIM ainsi que leurs membres.
Les mutualités membres de l’AIM
Les mutualités membres de l’AIM
Notes
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[1]
Trois d’entre elles (les mutualités chrétiennes, libérales et socialistes) ont une identité philosophique et politique qui les rattache, selon des degrés divers, à l’un des trois "mondes". Comme leur nom l’indique, les mutualités professionnelles sont structurées de façon plus professionnelle que les autres mutualités, dont les fédérations sont presque toutes des fédérations régionales. Plusieurs fédérations des mutualités professionnelles sont liées étroitement à des compagnies d’assurance, à des secrétariats sociaux ou à des banques d’épargne. Par exemple la plus importante des fédérations des mutualités professionnelles est la fédération La Famille qui est aussi une caisse d’allocations familiales et une banque d’épargne. Précisons aussi que la plus importante fédération des mutualités neutres est la fédération Assubel, Assubel étant par ailleurs la troisième compagnie d’assurance du pays. Le regroupement des unions nationales des mutualités neutres et des mutualités professionnelles a été voté en décembre 1988 par les assemblées générales respectives de ces 2 unions. La fusion sera effective le 1er janvier 1990.
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[2]
INAMI, rapport général, 4e partie, Service des soins de santé, partie B, 1984, pp. 22-23.
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[3]
Audit opérationnel des frais d’administration des organismes assureurs en charge de l’administration de l’assurance maladie-invalidité à la demande du ministre des Affaires sociales et des Réformes institutionnelles, 1988. Voir aussi 2e partie.
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[4]
Rapport sur l’assurance maladie, présenté par le Commissaire royal, M. Petit, Chambre des Représentants, No 892 (1975-1976).
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[5]
Voir néanmoins R. Crémer, Le mouvement mutualiste en Belgique, Revue belge de la sécurité sociale, Janvier 1964, pp. 12-132.
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[6]
Voir notamment : Michel Vermote, Santé - 75 ans d’Union nationale des mutualités socialistes (1913-1988), Archives et musée du mouvement ouvrier socialiste, Gand, 1988, 118 p. ; Historique des mutualités libérales, Ligue nationale des fédérations mutualistes libérales de Belgique, Bruxelles, 27 p. ; La mutualité professionnelle, Union nationale des mutualités professionnelles de Belgique, Bruxelles, 95 p. ; J. Goffinet, Le mouvement mutualiste neutre - Ses racines. Union nationale des fédérations mutualistes neutres, Bruxelles, 1986, 102 p. ; P. Quaghebeur, De kristelijke mutualiteitsbeweging in het Gentse, Gand, 1986 ; M. Deladderre, Organisatorische en politieke evolutie op nationaal vlak van de Christelijke Mutualiteit, 1945-1963, RVG, mémoire de licence, 1985-1986 ; Jos Van Roy, Van ziekenbeurs tot socialistische mutualiteit, Nationaal verbond van socialistische mutualiteiten, Bruxelles, 214 p. ; A. Van Melle, Pages d’histoire de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, Bruxelles, 1955 ; Arthur Jauniaux, Les mutualités syndicales et socialistes et les assurances sociales, Bruxelles, 1938 ; Arthur Jauniaux, Cent années de mutualité en Belgique, Ed. l’Eglantine, Bruxelles, 1930 ; Rudolf Rezsohazy, Histoire du mouvement mutualiste chrétien en Belgique, Ed. Erasme, Paris-Bruxelles, 1957, 344 p.
-
[7]
Voir B.S. Chlepner, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Ed. de l’ULB, Bruxelles, 1956, 447 p., et Georges Delvaux, Jean-Luc Durieu, Herman Seré, Cent ans de droit social en Belgique, Ministère de l’Emploi et du travail et Ministère de la Prévoyance sociale, Bruxelles, 1987, 174 p. Voir aussi les ouvrages de Jean Neuville parus aux Éditions Vie ouvrière, La condition ouvrière au XIXème siècle (2 tomes), L’évolution des relations industrielles (2 tomes).
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[8]
Voir Les mutualités en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, 2 octobre 1964, 15 p. ; Marcel Liebman, La grève des médecins en Belgique, Les Temps modernes, No 218, juillet 1964, pp. 100-151.
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[9]
Dans son rapport sur l’assurance maladie (Chambre des représentants, document No 892, session 1975-1976, 26 mai 1975, 535 p.), le commissaire royal M. Petit consacre 13 pages sur les 17 que compte le chapitre XVI consacré aux organismes assureurs à cette seule question.
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[10]
Exactement en avril 1982. Pour une description détaillée des événements, voir Thierry Poucet, Les mutuelles face au scandale, Actualité-santé No 45, septembre-octobre 1982, pp. 32-42.
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[11]
L’expression "la mutaffia" fut lancée par le Dr André Wynen dans ses éditoriaux du Bulletin d’information des Chambres syndicales de médecins. Un livre a même synthétisé, récemment, l’essentiel des accusations portées contre les mutuelles : Erik van Grieken, Mutualités : la conspiration, Ed. Roularta, 1988, 120 p.
-
[12]
Ce qui n’est pas sans contenu paradoxal, si l’on considère par ailleurs que la relative dégradation de l’État a pu être un des facteurs de renforcement du rôle des mutuelles.
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[13]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
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[14]
Du côté chrétien en particulier, il semble qu’"à l’origine, les mutuelles de type paternaliste sont de loin les plus nombreuses. Mais au fur et à mesure que les idées de la démocratie chrétienne se répandent, les caisses mutuelles vont prendre le relais. Lors du congrès de Malines en 1863, Charles Perin exposera de façon saisissante les idées prédominantes en matière d’organisation paternaliste de l’entraide mutuelle. Il s’exprime alors en ces termes : ‘La structure sociale actuelle doit reposer sur des associations de secours mutuels dans lesquelles les possédants mettent leur propre personne ainsi que leurs richesses au service des classes inférieures. Les travailleurs se réunissent dans ces associations et pratiquent la charité des petits envers les petits, mais les grands s’affilient également et pratiquent la charité des riches envers les pauvres. C’est ainsi qu’un ordre social solide sera établi où chacun reçoit les bienfaits de la liberté et de l’égalité, et où un régime d’État hiérarchique et traditionnel est garant de l’intérêt général.’" Cité dans Cent ans de droit social en Belgique, op. cit, p. 122.
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[15]
Françoise Antoine, in La mise en place de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique - Principaux événements historiques et hypothèses de travail (en collaboration avec Jacques Lemaître), Lettre d’information du GERM No 123, Bruxelles, décembre 1978, p. 5.
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[16]
Voir Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
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[17]
Classification établie par R. Crémer, op. cit., et citée dans le Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, op. cit., p. 2. Pour un autre point de vue voir Hedwige Peemans-Poullet, Aux origines de la sécurité sociale, et Une conquête des travailleurs ?, La Revue Nouvelle, novembre 1980, pp. 428-447.
-
[18]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 121.
-
[19]
Ibidem.
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[20]
M. Petit, op. cit., pp. 2 et 3. Un autre indice est la date de création des unions nationales autour de l’année 1912, voir Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 258, op. cit., p. 2.
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[21]
Article 18 de la loi du 23 Juin 1894 portant révision de la loi du 3 avril 1851 sur les sociétés mutualistes.
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[22]
Pp. 4-6. Voir aussi R. Crémer, op. cit., pp. 102-132, pour une analyse comparée des diverses propositions élaborées et débattues dans l’entre-deux-guerres.
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[23]
A noter que le sénateur A. Jauniaux, dans des propositions de loi déposées respectivement le 9 novembre 1926 et le 20 novembre 1929, associait l’idée d’assurance obligatoire à celle de mutualité unique.
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[24]
Cité par Fr. Antoine, op. cit., p. 12.
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[25]
La genèse de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 872-873, 14 mars 1980, 47 p.
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[26]
Le premier établissant, sous forme de loi-cadre, la sécurité sociale pour les travailleurs salariés et le second instaurant les modalités pratiques de l’assurance maladie-invalidité pour ces mêmes travailleurs.
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[27]
M. Carlier (op. cit., p. 24) précise que "ce texte porte toujours le nom de "projet" parce que n’ayant jamais été "l’objet d’un entérinement formel de la part des organisations intéressées". Il est publié dans de nombreux ouvrages, dont la Revue du travail de janvier-mars 1945 (pp. 10 et ss.)".
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[28]
R. Roch, Un plan de sécurité sociale, Revue du travail, octobre 1958, p. 1.176 (cité par M. Carlier, op. cit., p. 18).
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[29]
A noter que l’assurance maladie fut en Belgique une des dernières branches de la sécurité sociale à entrer dans un système de couverture obligatoire (voir plus loin).
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[30]
M. Carlier, op. cit., p. 46.
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[31]
R. Roch, op. cit., pp. 1.177 (cité par M. Carlier, op. cit., p. 18).
-
[32]
Pour plus de détails, voir M. Carlier, op. cit., pp. 12-17.
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[33]
Voir M. Carlier, op. cit., pp. 18-19.
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[34]
A. Jauniaux est présenté aujourd’hui comme l’homme qui des années 1910 aux années 1940 fut le "stratège du mutualisme socialiste" (voir Michel Vermote, op. cit., p. 53).
-
[35]
Cité par M. Carlier, op. cit., p. 28.
-
[36]
M. Petit, op. cit., p. 3.
-
[37]
Cent ans de droit social en Belgique, op. cit., p. 70.
-
[38]
Cf notamment Le mouvement de "grève des soins" décidé par la Fédération nationale des Chambres syndicales de médecins : analyse des réactions des groupes, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 239, 17 avril 1964.
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[39]
C’est-à-dire une seule caisse centrale pour la couverture des prestations médicales, d’une part, et pour l’octroi de revenus de remplacement en cas d’incapacité temporaire de travail, d’autre part.
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[40]
Interview de Jérôme Dejardin par Thierry Poucet et Jean Van der Vennet, Place de la santé, No 7, Bruxelles, mars 1987, pp. 20 à 24.
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[41]
M. Liebman, op. cit., p. 103.
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[42]
Ibidem, p. 102.
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[43]
Sénat 1962-1963, 327, rapport des sénateurs Pede et De Vuyst, pp. 5, 42-43, 45 (cité par M. Petit, op. cit., pp. 36-37).
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[44]
Extrait d’une "note pour Monsieur le ministre des Affaires sociales", 10 décembre 1985, p. 5.
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[45]
M. Carlier, op. cit., p. 47, reprenant un propos de A. Delpérée, Vers une politique de santé, Revue belge de sécurité sociale, 1969, 11ème année, No 11-12, p. 1.271.
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[46]
On mit fin à cette pratique en 1987, sous l’autorité du Dr Jérôme Dejardin, président de la Commission nationale médico-mutualiste ; voir interview déjà citée du Dr J. Dejardin.
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[47]
Cris Van den Berghe, Les mutualités chrétiennes entre l’État et le marché, Contradictions, No 45-46, 1985, p. 151.
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[48]
Arrêté royal No 176 du 30 décembre 1982.
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[49]
"Ces derniers temps, les mutualités ont été l’objet de vives attaques concernant de prétendues manipulations frauduleuses des fonds de l’assurance maladie. Je crois que nous avons tout à gagner à la clarté", déclarait Edouard Descampe, secrétaire général-adjoint des mutualités chrétiennes lors du congrès de l’ANC des 2-3-4 décembre 1976 (voir la revue Orientation, No 3-4, 1976, p. 111).
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[50]
Pour plus de détails, voir Thierry Poucet, Les mutuelles face au scandale, op. cit.
-
[51]
La libre Belgique, 8-9 mai 1982.
-
[52]
La société Arthur Andersen & Co, qui sera chargée cinq ans plus tard par le gouvernement de procéder à un diagnostic de l’efficacité gestionnaire des organismes assureurs, écrira pour sa part dans ses conclusions (p. 22) : "l’audit financier a permis d’identifier le faible rendement des fonds du régime (moyenne en 1986 de 2,9 sur des fonds journaliers de 5.347 millions)".
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[53]
Reconnues au moins partiellement par le collège intermutualiste, qui déclarait dans un communiqué (reproduit notamment dans L’Effort mutualiste de juin 1982) : "Une enquête récente de l’INAMI a pu établir qu’une fédération mutualiste avait effectué sans justification suffisante des placements à terme : ces faits sont inacceptables et il est normal qu’ils soient sanctionnés".
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[54]
Selon M-informations No 131, 1er mars 1988, p. 1.
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[55]
Chaque union nationale y a réagi en son nom propre. Le Collège intermutualiste également, dans une "position commune" de 37 pages, datée du 29 janvier 1988.
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[56]
FB 20,4 milliards au moment de l’enquête.
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[57]
Op. cit.
-
[58]
Voir l’article 2 du projet, ainsi libellé :"Paragr. 1er. Les mutualités sont des associations de personnes physiques qui ont pour objectif de promouvoir le bien-être physique, psychique et social par l’assistance mutuelle et la solidarité.
Paragr. 2. Les mutualités instaurent en gestion propre un ou plusieurs services en vue de l’octroi d’interventions dans les frais résultant de la prévention et du traitement de maladies et de l’invalidité ou l’octroi d’indemnités en cas d’incapacité de travail ou de toute autre situation sociale digne d’Intérêt, sans préjudice des restrictions fixées par le Roi.
Paragr. 3. Les mutualités organisent des activités concernant l’octroi d’aide, d’information et d’assistance.
Paragr. 4. Les mutualités peuvent aussi instaurer un service en exécution de l’assurance maladie-invalidité obligatoire, conformément aux dispositions de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et ses arrêtés d’exécution. Dans ce cadre, et sans préjudice des missions qui leur sont confiées en vertu de la loi précitée, les mutualités accordent à leurs membres l’assistance appropriée quant à leurs droits et obligations". -
[59]
Assurance maladie et qualité des soins : la tactique du gendarme, éditorial, Place de la santé, No 13, novembre 1987, p. 3.
-
[60]
Outre la campagne entamée en avril 1982 (voir plus haut), citons pour mémoire la vague de commentaires suscitée par les "révélations" du journal De Standaard, dans son édition du 7 septembre 1987. Celui-ci dévoilait alors des éléments, en apparence accablants, d’un dossier d’instruction établi suite à une plainte pour détournement de fonds déposée en 1983 par le Dr Wynen contre l’ensemble des mutuelles. Le 16 novembre 1988, en primeur toujours. De Standaard annonçait que le juge d’instruction chargé de l’examen du dossier "serait d’avis qu’il n’y a pas de faits repérables, passibles de sanction, à l’issue de ces cinq années d’enquête et que le dommage subi par des tiers est soit non établi, soit difficilement évaluable" (ceci valant en tout cas pour les deux principales unions nationales - chrétienne et socialiste -, dans l’attente de précisions ultérieures concernant les trois autres mutualités).
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[61]
Mutuelles : détruire, disent-ils…, éditorial, Place de la santé No 12, octobre 1987, p. 3.
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[62]
De Standaard, 10-11 septembre 1988.
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[63]
Cité par P. Messiaen, L’adaptation des structures des mutualités chrétiennes. Lignes de force des nouvelles structures, Orientation, No 3-4/76, p. 99.
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[64]
C’est la mutuelle qui paye ?, numéro spécial du Journal d’Hippocrate, 1979, pp. 80-81.
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[65]
Le compte rendu détaillé de ces auditions a été publié dans la brochure Votre mutualité, préparatoire au 3lème congrès national de l’ANC, 1976, 100 p.
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[66]
Jacques Lemaître, La mise en place de l’assurance maladie-invalidité obligatoire en Belgique. Principaux événements historiques et hypothèses de travail, Lettre d’information du GERM, No 123, décembre 1978, p. 23.
-
[67]
Ce n’est pas l’ancienne revendication des mutualités socialistes en faveur d’un "service national de santé", jadis assez imprécise et aujourd’hui totalement asthénique, qui infirmera ce constat.
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[68]
Du côté des établissements du réseau socialiste, l’on a peut-être été un peu plus audacieux en son temps dans certains domaines, en développant par exemple des formules de rémunération forfaitaire des médecins à l’hôpital (voir à cet égard le rôle-pilote de la clinique de La Hestre, devenue plus tard l’hôpital de Tivoli à La Louvière). Le recul n’en a été que plus net lorsque, sous le coup de difficultés de gestion, le retour à "l’intéressement financier" - et donc au paiement à l’acte - est apparu comme une solution nécessaire et suffisante.
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[69]
Au contraire, si l’on considère par exemple les événements qui conduisirent au dernier accord médico-mutualiste, conclu durant l’été 1988. La Confédération des médecins belges, qui proposait une revalorisation financière substantielle de la médecine générale et des actes intellectuels en particulier, comme prélude à des mesures structurelles de plus grande envergure (telle la "création d’un conseil national des soins de santé de première ligne"), fut assez sévèrement critiquée et accusée en substance d’avoir des revendications démesurées par certains dirigeants mutualistes.
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[70]
Cette idée a été reprise dans le rapport général concernant l’équilibre financier de la sécurité sociale présenté à la table ronde de l’assurance maladie (1988). Les auteurs de ce rapport préconisent de "responsabiliser" chaque organisme assureur pour 20 % de son déficit éventuel. Les 80 % restant devant être pris en charge par une solidarité intermutualiste. Les mutualités chrétiennes se sont prononcées lors de la table ronde de l’assurance maladie en faveur d’une responsabilité financière conditionnelle et progressive, les conditions étant essentiellement la garantie d’un financement suffisant, l’assurance d’une répartition des moyens entre les mutualités en fonction des risques de la population couverte et la garantie de détenir des pouvoirs suffisants pour qu’elles puissent exercer une plus grande maîtrise des dépenses. Pour les mutualités chrétiennes la responsabilité doit être à la fois collective entre toutes les mutualités et individuelle pour une part qu’elles ne chiffrent pas. Les mutualités socialistes ont marqué lors de cette table ronde leur septicisme vis-à-vis de la responsabilité financière en signalant qu’elle n’apporterait pas une plus grande maîtrise des dépenses et que cela reviendrait simplement à privatiser les résultats financiers de l’assurance maladie obligatoire. Voir aussi à ce propos, J.P. Closon, Vers la responsabilité financière des mutuelles, texte ronéotypé et La guérison de l’assurance maladie par la privatisation ?, La Revue Nouvelle, octobre 1988.
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[71]
P. Defeyt et P. Reman, Les partis politiques face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier hebdomadaire du CRISP, No 1041-1042, 25 mai 1984.
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[72]
Mais aussi les agences de voyages et les banques.
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[73]
La faillite de la mutualité Inter 514, laissant sans indemnité plusieurs de ses assurés qui avaient souscrit à un plan d’assurance revenus garantis, a révélé le vide juridique concernant le contrôle de la viabilité des assurances complémentaires de certaines mutualités.
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[74]
Le projet de loi déposé en 1987 par le ministre des Affaires sociales Jean-Luc Dehaene (voir plus haut) allait dans le sens d’une commission du type de la Commission bancaire. Des réviseurs agréés contrôleraient tous les comptes y compris ceux de l’assurance complémentaire et établiraient une sorte de code de déontologie pour les administrations mutualistes.