Couverture de CRIS_1173

Article de revue

La réparation des maladies professionnelles

Pages 1 à 64

Notes

  • [1]
    Etienne Arcq, La réparation des accidents du travail, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1171-1172, 1987 ; Henri Lewalle, Les pensions légales et complémentaires, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1131-1132, 7 novembre 1986 ; Ph. Defeyt et P. Reman, Les interlocuteurs sociaux face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1103-1104, 20 décembre 1985 ; Ph. Defeyt et P. Reman, Les partis politiques face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1041-1042, 25 mai 1984 ; M. Carlier, La génèse de l’Assurance-Maladie-Invalidité obligatoire en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 872-873, 14 mars 1980 ; La sécurité sociale, Dossier du CRISP No 19, janvier 1984.
  • [2]
    François Ewald, L’Etat Providence, Ed. Grasset, Paris, 1986, p. 396.
  • [3]
    R. Sand, Vers la médecine sociale, Liège, 1948, p. 321.
  • [4]
    J.P. Leguay, Accidents du travail et maladie professionnelle au Moyen Age, in L’information historique, No 43, Ed. Masson, Paris, 1981, pp. 223 à 233.
  • [5]
    A ce propos, Jacques Moins écrit dans un article intitulé La réforme du régime des maladies professionnelles en Belgique, paru dans la Revue générale des assurances - RGAR (1963, No 7284) : "Le parlement italien a cherché à pallier la carence de la législation belge par une mesure transitoire dans l’attente de voir la Belgique reconnaître la pneumoconiose comme maladie professionnelle. Ainsi, ce parlement vota une loi le 27 juillet 1962 pour étendre le bénéfice de la loi du 12 avril 1943 aux travailleurs atteints de pneumoconiose, associée ou non à d’autres formes morbides, contractée dans les charbonnages de Belgique et rapatriés". (J.O. de la République Italienne 1963 - No 202)".
  • [6]
    A côté de l’assurance obligatoire, la loi du 24 décembre 1963 institue le principe de l’assurance libre. Celui-ci ne sera jamais appliqué. Des difficultés importantes apparurent, en effet, pour calculer le montant des cotisations. Ainsi, les travailleurs indépendants qui constituaient la population ciblée par cette couverture ne purent jamais y souscrire.
  • [7]
    J. Viaene, Principe de la réforme de la loi sur les maladies professionnelles, Revue belge de sécurité sociale, mai 1964, p. 831.
  • [8]
    La liste des maladies professionnelles figure en annexe.
  • [9]
    "Pour autant qu’ils fixent l’importance du dommage, les barêmes médicaux du Fonds des maladies professionnelles ne diffèrent en rien des autres barêmes nationaux et étrangers. Ils ont été conçus et élaborés de la même manière. Les critiques formulées dans la littérature au sujet de ces barêmes sont par conséquent également applicables aux barêmes du Fonds des maladies professionnelles. C’est précisément parce qu’aucun de ces instruments médicaux n’a de valeur scientifique que personne ne réussira jamais à en faire un instrument rationnel pour une évaluation économique concrète. Il s’agit en fait de mystifications forfaitaires, qui ne sont admises qu’en raison de leur apparente valeur médicale", J. Viaene, L’assurance contre les maladies professionnelles en mutation, Revue belge de sécurité sociale, mars 1982, p. 235 (note 43).
  • [10]
    La victime perçoit une indemnité pour chaque journée calendrier. La limite du taux de l’indemnité fixée à 90 % exprime l’intention du législateur d’inciter la victime à reprendre son activité professionnelle dès que son état le permet.
  • [11]
    Au 1er janvier 1987, le plancher du salaire de base s’élevait à 155.226 frs et le plafond à 776.130 frs.
  • [12]
    J. Viaene, op. cit., p. 227.
  • [13]
    J. Viaene, op. cit., p. 239.
  • [14]
    Sur ce point précis, voir D. Lahaye, médecin conseil du Fonds des maladies professionnelles, C. Baleux, P. Strauss et W. Van Ganse, Cost benefit analysis of hepatitis-B vaccination, in Lancet, 22 août 1987, pp. 441-442.
  • [15]
    D. Lahaye, La prévention des maladies professionnelles, Revue belge de sécurité sociale, janvier 1981, p. 100.
  • [16]
    Arthur Thyré, A quand une conception d’ensemble pour la prévention, la réparation et la réadaptation des risques d’origine professionnelle, CMB Inform., juin 1986, p. 8.
  • [17]
    Par exemple en 1986, l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes a facturé au Fonds des maladies professionnelles quelque 73 millions de prestations en indemnités à titre provisionnel. Pour- mémoire, l’ANMC compte 4,5 millions d’affiliés.
  • [18]
    Rapport général de l’Administration de l’hygiène et de la médecine du travail, in 20 ans de médecine du travail, publication collective, Ed. du Commissariat général à la protection du travail, Bruxelles, 1987, p. 12.
  • [19]
    CNT avis No 837, séance du 25 mars 1987, p. 20.
  • [20]
    André Nayer, Les inspections sociales en Belgique, Ed. Vie ouvrière, Bruxelles, 1980, p. 432.

Introduction

1Au cours des trois dernières années, le CRISP a consacré plusieurs numéros du Courrier Hebdomadaire à la protection contre les risques sociaux [1]. La question centrale du débat porte sur la redistribution des revenus à allouer aux différentes catégories de la population. Les uns, proches du courant néo-libéral, prônent l’individualisation de la couverture sociale et le retour au marché par opposition au principe de base de la protection sociale qu’est la solidarité. Ils justifient les réformes qu’ils revendiquent en la matière par l’impérieuse nécessité de réduire les subsides de l’Etat en vue d’équilibrer les finances publiques.

2A l’opposé, les tenants d’un modèle de régulation social-démocrate tentent de maintenir en place l’édifice de la protection sociale.

3Depuis le début des années 1980, les deux courants se sont affrontés dans le secteur des allocations familiales (tentative de suppression des prestations et fiscalisation), celui de l’assurance chômage (mode de financement), de la politique hospitalière (réduction de l’infrastructure) et des pensions (harmonisation des régimes de retraite et structuration des systèmes de couvertures complémentaires).

4A ce jour, le secteur de l’assurance maladie-invalidité semble avoir été quelque peu épargné, mais pour combien de temps encore ?

5Récemment, les deux secteurs ayant trait au risque professionnel, les accidents du travail et les maladies professionnelles, ont fait l’objet de réformes.

6Ces deux assurances sociales sont liées non seulement par l’origine du risque découlant d’une activité professionnelle exercée dans les liens d’un contrat de louage de services mais aussi par la similitude du mode de réparation du préjudice subi par la victime.

7Bien que l’organisation de la gestion des accidents du travail (confiée principalement au secteur privé) et des maladies professionnelles (gérée par le secteur public) soit tout à fait distincte, le gouvernement a récemment tenté de fondre ces deux assurances sociales en une seule : celle du risque professionnel.

8Pour l’heure, cette tentative a échoué tant au niveau juridique qu’institutionnel. Cependant, des modifications sensibles sont intervenues. Ainsi, dès le 1er janvier 1988, les accidents du travail seront davantage aux mains du secteur privé. Les assureurs ont préféré reprendre la gestion des rentes versées au-delà du délai de révision que d’hériter du passif de 7 milliards du Fonds des maladies professionnelles. En compensation, les employeurs devront payer les cotisations supplémentaires dites "primes spéciales" pour couvrir les déficits financiers des maladies professionnelles.

9Tel est le compromis conclu aujourd’hui entre les assureurs, les interlocuteurs sociaux et le gouvernement. Sera-t-il de longue durée ou ne s’agit-il que d’une phase transitoire d’une réforme plus radicale ?

10La réponse à cette interrogation se situe au cœur du rapport de force entre les différents acteurs.

11Comme l’écrit F. Ewald [2] : "La sécurité sociale n’est pas une institution qui aurait l’identité d’une essence. Il s’agit bien plutôt d’un ensemble d’institutions qui se développent, se transforment, se divisent, se compliquent en fonction d’une politique de sécurité sociale. La sécurité sociale doit s’entendre comme un processus, comme un système ou un ensemble d’institutions en état de mobilité permanente".

12Pour éclairer le débat sur la réparation du risque professionnel, nous analyserons dans ce présent Courrier Hebdomadaire le secteur des maladies professionnelles après avoir examiné précédemment celui des accidents du travail.

13Dans un premier temps, nous nous pencherons sur l’évolution de la réglementation de l’assurance sociale contre les maladies professionnelles. Dans un second temps, nous nous attacherons à l’étude de la réparation du dommage. Dans une troisième partie, nous examinerons la position des principaux acteurs concernés par cette assurance sociale, à savoir : le Fonds des maladies professionnelles, la victime, l’employeur, le corps médical, les mutualités et divers services d’inspection sociale. Enfin, nous dégagerons les enjeux des maladies professionnelles dans le cadre de notre système de protection sociale.

1 – Evolution du système de réparation des maladies professionnelles

14Trois périodes peuvent être distinguées en matière de réparation du dommage engendré par une maladie professionnelle : avant 1927 (la réparation s’inscrivait alors dans le droit commun), de la loi de 1927 à 1964 et à partir de 1964.

Les premices a la loi de 1927

15Avant la loi du 24 juillet 1927, le travailleur engagé dans les liens d’un contrat de louage de services victime d’un dommage causé par une maladie professionnelle ne pouvait obtenir réparation de son préjudice qu’en introduisant un recours devant les juridictions civiles sur base de l’article 1382 du code civil. Pour ce faire, il devait prouver la faute de son employeur. Pourtant, au 17e siècle déjà, l’existence de maladies consécutives à certaines pratiques professionnelles était rapportée dans l’ouvrage de Bernardo Ramazini : "De morbis artificum diatriva" [3]. Cet auteur décrit les affections constatées entre autres chez les orfèvres, le personnel soignant et les mineurs [4].

16Le changement du procès de production engendré par l’industrialisation va malheureusement augmenter le nombre de victimes et multiplier les risques d’affections professionnelles.

17Dans notre pays, le cadre légal de la réparation de ce dommage tarde à se constituer. Il date de la période de l’entre-deux-guerres qui se caractérise par l’adoption du principe de l’obligation d’assurance dans la sphère de la protection contre les risques sociaux, à l’exception de l’assurance maladie invalidité.

18Alors que la problématique des maladies professionnelles a jusque là été traitée parallèlement à celle des accidents du travail, il faut attendre plus d’un quart de siècle après le vote de la loi de 1903 sur les accidents du travail pour que le risque spécifique de l’affection né de l’activité professionnelle soit réparé sur les mêmes bases que les accidents du travail.

19Au cours des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi sur les accidents du travail du 24 décembre 1903, les amendements déposés par les parlementaires Destrée, Lemonnier et Terwagne visant à y inclure la réparation des maladies professionnelles furent rejetés.

20A cette époque, on estimait que l’ouvrier était censé savoir que le travail qu’il acceptait comportait une nocivité notoire et constante. Dès lors, il devait en assumer les conséquences. De plus, selon certains, le niveau des rémunérations tenait compte de ce risque.

21Par ailleurs, le lien de causalité entre la survenance de l’affection et le risque professionnel n’est pas toujours établi. Alors qu’en matière d’accident du travail, la réalisation du dommage se fonde sur l’élément de soudaineté, dans le cadre des maladies professionnelles le préjudice n’apparaît souvent qu’après l’écoulement d’une période indéterminée. De ce fait, il peut s’avérer impossible de désigner la ou les entreprises où le travailleur a été exposé aux risques de la maladie contractée. Le principe de la responsabilité individuelle de l’employeur, adopté par la loi du 24 décembre 1903 ne pouvait, dès lors, être transposé dans le domaine des maladies professionnelles.

De 1927 a 1964 : la reparation du risque industriel

22Inspirée par la convention n°18 de l’Organisation internationale du travail sur les maladies professionnelles, votée le 10 juin 1925 lors de la septième session de la Conférence internationale du travail, la première loi traitant des réparations à apporter aux affections engendrées par une activité professionnelle est votée le 24 juillet 1927.

23Désormais, la victime d’une maladie professionnelle est dispensée de prouver la responsabilité de l’employeur pour obtenir une réparation forfaitaire pour une affection répertoriée dans la liste des maladies reconnues professionnelles. Tels sont les principes de cette première loi. La différence avec la législation sur les accidents du travail réside dans le système "de la liste". La notion de maladie professionnelle n’y est pas définie mais une série d’affections y sont énumérées.

24Ce système de la liste évite de nombreux litiges sur la qualification de maladie professionnelle. Au regard de chaque maladie professionnelle, le législateur définit par arrêté royal, les industries et les catégories de travailleurs pouvant bénéficier d’une réparation.

25En 1927, cette liste ne compte que trois maladies : l’intoxication par le plomb et le mercure ainsi que l’infection charbonneuse. Malgré la pression syndicale, la pneumoconiose de mineur [5] n’est pas répertoriée. Pourtant cette affection particulièrement dévastatrice a une origine professionnelle incontestable. C’est pour des raisons financières que cette affection ne fut pas retenue. Pour atténuer cette injustice sociale, le législateur promulgue le 25 juin 1937 une loi ouvrant pour l’ouvrier mineur le droit à la réparation de la pneumoconiose du mineur dans le cadre du régime de l’invalidité des mineurs. Les conséquences d’une telle organisation de la réparation de ce dommage sont tragiques. En effet, ce système incite le mineur atteint de pneumoconiose à poursuivre son activité professionnelle insalubre jusqu’à la limite de ses potentialités vitales.

26Le financement de ce système est assuré par les cotisations patronales des entreprises exposant leurs travailleurs aux risques d’une maladie professionnelle. C’est la technique de la répartition qui est utilisée. Le calcul des cotisations varie en fonction de deux paramètres : les dépenses encourues lors du précédent exercice et le nombre de cotisants.

27C’est le Fonds de prévoyance, établissement public placé sous le contrôle du Ministère du Travail qui perçoit les cotisations patronales versées à l’Administration des contributions directes et qui liquide les prestations. Il est géré par un conseil d’administration composé de trois représentants du gouvernement, d’un représentant des travailleurs et d’un représentant des employeurs.

28Après la seconde guerre mondiale, cette assurance sociale participe au mouvement d’extension qui caractérise les systèmes européens de sécurité sociale, à savoir : l’élargissement du champ ratione materiae et ratione personae. Ainsi, de la lecture des bilans du Fonds de prévoyance, il ressort que le nombre de bénéficiaires augmente : 175 demandes ont été acceptées en 1953, 281 en 1956, 312 en 1959, 420 en 1962 et 500 en 1963. Cette tendance s’explique par l’amélioration des pratiques de dépistage et l’allongement progressif de la liste des maladies professionnelles, suite à l’évolution des connaissances médicales, des revendications syndicales et la ratification des conventions internationales du travail n°18 et 42. Ce mouvement d’extension de l’assurance maladie professionnelle a eu pour conséquence d’accroître le volume des dépenses.

29Néanmoins, la loi de 1927 ne satisfaisait personne. La réparation excluait toujours la pneumoconiose du mineur alors que la liste répertoriait des affections qui ne donnèrent jamais lieu à une réparation ; la prévention dont il est fait mention à l’article 20 restait une disposition inappliquée qui est abrogée le 20 septembre 1945. Le système du financement est déficient car les petites entreprises exposées aux risques sont obligées de supporter de lourdes charges. Enfin, les organisations, tant patronales que syndicales, manifestent avec insistance leur volonté de procéder à une réforme de la loi.

30Dans ce contexte, le Conseil national du travail rend un avis (n° 29) le 23 avril 1954 dans lequel il désapprouve l’incorporation de ce secteur dans le cadre technique de la sécurité sociale, estimant que les maladies professionnelles présentent des caractéristiques qui justifient un système de réparation spécifique. Le CNT se prononce, cependant, pour une réforme profonde de la loi de 1927 dont il trace le contour dans un avant projet de loi. Le CNT suggère, notamment, de remplacer le conseil d’administration du Fonds de prévoyance par un comité de gestion paritaire et de créer un conseil médical consultatif. Il souligne l’importance capitale que revêt la prévention en matière de maladie professionnelle et propose une révision du mode de financement de cette assurance en répartissant équitablement les charges entre les employeurs et l’Etat. Enfin, il se prononce pour un extension de la réparation à tous les milieux de travail.

31Dix ans plus tard, le ministre E. Leburton dépose une projet de loi inspiré de cet avis du CNT et d’une étude menée par un groupe de travail créé par le ministre Servais en 1960. C’est ainsi que la loi de 1927 est abrogée par celle du 24 décembre 1963.

Depuis 1964 : la reparation du risque professionnel

La réforme de la loi de 1927

32Le but de la nouvelle loi est d’harmoniser les principes de réparation appliqués en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles et de développer, dans ce secteur, la prévention. La nouvelle loi du 24 décembre 1963 permet à la Belgique de satisfaire aux exigences contenues dans les conventions internationales.

33Cette nouvelle disposition réglementaire qui entre en vigueur le 1er janvier 1964 étend la réparation de l’assurance contre le risque de maladies professionnelles aux ouvriers mineurs silicotiques et institue un nouveau mode de financement basé sur le principe de la solidarité (désormais chaque entreprise cotise).

34Les nouveaux objectifs que cette loi poursuit engendrent une double extension de son champ d’application. Au niveau matériel, si le système de la liste est maintenu, de nouvelles maladies y sont répertoriées. Au niveau des bénéficiaires [6], tous les travailleurs engagés dans les liens d’un contrat de louage de services ainsi que certains étudiants peuvent prétendre aux prestations accordées par cette assurance. Ce mouvement d’extension réalise une réparation du risque professionnel sur base du principe de l’obligation d’assurance.

35Le législateur fixe le montant de la subvention de l’Etat à 50 % des dépenses résultant de la réparation de la silicose. Pour le législateur de l’époque, les pouvoirs publics doivent supporter la charge d’une part des dommages lorsque ceux-ci sont occasionnés par des entreprises qui ont des difficultés financières mais dont le maintien est vital pour l’économie nationale. Pour J. Viaene [7], "il est assez logique que si la communauté décide de maintenir artificiellement certains risques, elle en paie aussi le prix".

36La structure administrative du régime est aussi réformée. Le Fonds de prévoyance est remplacé par le Fonds des maladies professionnelles. Il s’agit toujours d’un établissement public. Cependant, il est placé sous la tutelle du Ministère de la Prévoyance sociale. Il est administré par un comité de gestion composé paritairement de représentants des employeurs et des travailleurs. Désormais, cette assurance sociale fonctionne selon le modèle sociétal social-démocrate intégrant les interlocuteurs sociaux à la gestion du champ social.

37L’aspect le plus nouveau de la loi du 24 décembre 1963 réside dans la politique de prévention qu’elle veut mettre en place. La lutte contre les causes de maladies professionnelles s’organise selon plusieurs axes : le premier autorise l’éloignement du milieu de travail nocif des personnes atteintes ou menacées de maladies professionnelles ; le second prévoit l’octroi des soins médicaux même en dehors de périodes d’incapacité de travail, afin de prévenir l’incapacité ou la rechute ; le troisième concerne les recherches scientifiques qui seront menées au départ des expertises médicales effectuées par le Fonds des maladies professionnelles ainsi que des follow-up médicaux.

38Toutefois, cette réforme de la réparation du dommage causé par une maladie professionnelle s’avéra onéreuse. Aussi, une nouvelle loi, datée du 24 décembre 1968, tente de remédier aux difficultés financières du Fonds des maladies professionnelles. Celles-ci découlent principalement de la réparation de la silicose. Cette loi relève le taux des cotisations ainsi que les subsides de l’Etat (fixés alors à 65 % des charges que représentent la réparation de la pneumoconiose de l’ouvrier mineur).

39Le 3 juin 1970, les dispositions relatives à la réparation des maladies professionnelles font l’objet d’une coordination. Ainsi, la loi du 24 décembre 1963, l’arrêté du 10 novembre 1967 et la loi du 24 décembre 1968 sont repris dans l’arrêté royal du 3 juin 1970. Le contenu des textes n’est pas modifié. Seule la numérotation des articles change.

40Enfin un arrêté royal en date du 30 mars 1978 met en concordance les lois coordonnées relatives à la réparation du dommage engendré par une maladie professionnelle avec les termes de la loi du 27 juin 1969 remplaçant l’arrêté loi du 28 décembre 1944 sur la sécurité sociale et la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail (secteur privé).

Les centres médico-techniques

41La loi du 24 décembre 1968 confie au Fonds des maladies professionnelles le soin d’administrer les centres médico-techniques d’Awans et de Morlanwelz-Mariemont, créés à l’initiative du ministre Delattre pour soigner les silicotiques débutants et combattre la pneumoconiose en conduisant des recherches scientifiques. Les crédits nécessaires à l’ouverture du centre de Morlanwelz, le 1er septembre 1948, et d’Awans, le 1er juin 1949, sont portés à charge du budget du département du combustible et de l’énergie.

42Placés sous la tutelle du Ministère de la Prévoyance sociale en 1959, ces deux centres médico-techniques sont mis gratuitement à la disposition du Fonds des maladies professionnelles par l’arrêté royal du 15 avril 1965. Cette mesure découle de l’incorporation de la pneumoconiose dans la liste des maladies professionnelles. L’arrêté royal n° 69 du 10 novembre 1967 rattache ces centres au Fonds des maladies professionnelles qui définit leur mission et leur mode de fonctionnement. Enfin, la loi du 24 décembre 1968 met en application les principes de gestion paritaire dans les deux centres médico-techniques. La portée de cette modification est essentielle car elle institue un mode de gestion identique à celui du Fonds des maladies professionnelles qui exerce désormais les pleins pouvoirs sur ces deux institutions. Celles-ci ont pour mission essentielle (article 17 quater) :

  • de procéder à l’examen des victimes des maladies professionnelles et principalement des silicotiques ;
  • d’hospitaliser et de délivrer les soins de santé aux victimes ;
  • d’effectuer des recherches en vue d’assurer la prévention et le traitement des maladies professionnelles.

43L’existence des deux centres médico-techniques est mise en cause début 1980 dans le cadre de la politique de réduction des dépenses publiques dans le secteur hospitalier et de la recherche d’économies à réaliser dans le secteur des maladies professionnelles. La décision de fermer les centres au 1er janvier 1986 est prise par l’arrêté royal n°133 du 30 décembre 1982. En fait, celui d’Awans a cessé ses activités le 1er avril 1986 et celui de Morlanwelz-Mariemont le 1er septembre 1986. Cette mesure a eu pour conséquence d’obliger un certain nombre d’ouvriers mineurs hospitalisés en raison de la silicose à être transférés dans des hôpitaux généraux.

Les mesures d’austérité

44Dans le cadre de la loi du 2 février 1982 attribuant certains pouvoirs spéciaux au Roi en vue d’assurer le redressement économique et d’assainir les finances publiques, des mesures d’austérité sont prises en matière sociale.

45En premier lieu, l’arrêté royal n° 24 du 23 mars 1982 fixe un plafond d’indemnisation lors du concours de plusieurs maladies professionnelles chez une même victime et suspend le versement de l’indemnité pour l’aide d’une tierce personne durant une hospitalisation consécutive à une maladie professionnelle.

46En deuxième lieu, l’arrêté royal n° 133 fixe le montant des remboursements du Fonds des maladies professionnelles pour les prestations de santé. Depuis le 1er juillet 1983, le Fonds des maladies professionnelles ne supporte plus que le ticket modérateur à charge de la victime reconnue malade. D’autres dispositions figurent dans cet arrêté. Il s’agit de la limitation du cumul d’une pension avec une indemnité de maladie professionnelle, de la réduction à un an du délai de rétroactivité du dédommagement en cas d’éloignement d’une personne menacée par une maladie professionnelle, de la limitation de la rétroactivité de l’indemnisation lors de l’enregistrement d’une maladie comme maladie professionnelle à la date de l’inscription de l’affection sur la liste des maladies professionnelles, de la suppression de l’indemnisation à la travailleuse enceinte faisant l’objet d’une mesure d’éloignement à partir de la 6ème semaine de la date présumée de l’accouchement et de l’adoption du montant de l’incapacité temporaire au travailleur à temps partiel, comme dans le domaine des accidents du travail.

47En troisième lieu, l’arrêté royal n° 134 du 30 décembre 1982 décide de réduire de 0,05 % le montant de la cotisation des employeurs prélevée sur la masse salariale et versée à l’ONSS. Cette réduction du taux est toutefois fictive puisque le secteur des soins de santé reçoit la même augmentation de taux. Cette disposition a pour but de compenser les charges supplémentaires que le secteur des soins de santé doit supporter depuis le 1er juillet 1983.

48En quatrième lieu, l’arrêté royal n° 285 du 31 juillet 1984 réduit de 50 % le montant de l’allocation annuelle des incapacités permanentes inférieures à 5 % et de 25 % celui des incapacités permanentes comprises entre 5 et 10 %.

49Enfin, les arrêtés royaux n° 528 et 529 du 30 mars 1987, pris dans le cadre de la loi du 27 mars 1986 attribuant de nouveaux pouvoirs spéciaux au gouvernement introduisent d’importants changements dans le secteur des maladies professionnelles.

50L’arrêté royal n° 528 réforme le financement de ce secteur qui est assuré depuis le deuxième trimestre 1987 pris par les seules cotisations patronales, l’Etat ne le subsidiant plus. A la cotisation de solidarité de 0,65 % s’ajoute une "prime spéciale". Celle-ci s’élève à 1,10 % pour les deuxième et troisième trimestres 1987. A partir du 1er octobre 1987, elle est de 0,45 %. La cotisation patronale globale s’élève ainsi aujourd’hui à 1,10 %. En outre, l’arrêté n° 528 permet l’accès de ce secteur au Fonds pour l’équilibre financier de la sécurité sociale.

51L’arrêté royal n° 529 contient trois modifications. La première étend la compétence du Fonds des maladies professionnelles, depuis le 1er janvier 1987, au personnel des administrations locales, provinciales et régionales. De la sorte, le législateur qui avait instauré un mode de réparation spécifique pour le personnel du secteur public en vertu de la loi du 3 juillet 1967 oblige le Fonds des maladies professionnelles à appliquer deux systèmes de réparation : celui relatif au secteur privé régi par l’arrêté royal du 3 juin 1970 et celui du secteur public. La deuxième modification limite la rétroactivité des prestations à un délai de soixante jours en cas de révision d’une incapacité permanente consécutive à une aggravation. Enfin, la troisième légalise les pratiques du Fonds des maladies professionnelles en matière d’évaluation du pourcentage d’incapacité résultant des facteurs économiques après l’âge de la retraite.

2 – L’arrêté royal du 3 juin 1970

52L’arrêté royal du 3 juin 1970 comprend deux volets essentiels : la réparation du dommage et la prévention des maladies professionnelles. Avant d’entamer l’examen de ces deux matières, il convient de définir le champ d’application de cette assurance sociale.

Champ d’application

Les bénéficiaires

53Le bénéfice de la réparation du dommage résultant d’une maladie professionnelle est assuré au travailleur qui répond aux conditions d’application de la loi sur les accidents du travail du 10 avril 1971. Il s’agit des personnes occupées dans le secteur privé et dont l’activité est régie par un contrat de louage de services. Sont également bénéficiaires de cette assurance sociale, les ouvriers mineurs et les marins de la marine marchande.

54Parmi les personnes pouvant bénéficier de ce mode de réparation, figurent les apprentis, les stagiaires ainsi que les élèves et les étudiants qui sont exposés au risque de maladie professionnelle pendant leur formation.

55Enfin, cette assurance sociale permet également de garantir une protection à toute personne qui désire s’assurer librement contre le risque de maladie professionnelle.

La couverture

56Dans le domaine des accidents du travail, le législateur s’est gardé de définir la notion d’accident du travail. Compte tenu de l’évolution rapide des techniques, il a préféré laisser cette mission à la doctrine et à la jurisprudence afin d’adapter le cadre de la réparation à la situation du moment.

57Dans le domaine des maladies professionnelles, le législateur a agi de façon similaire. Ainsi, il n’existe pas, dans les textes légaux, de définition de la notion de maladie professionnelle. Cependant, le champ matériel de l’assurance est clairement précisé par le système de la liste.

58Toutes les maladies pouvant ouvrir le droit au bénéfice de la réparation sur base de l’arrêté royal du 3 juin 1970 sont répertoriées nominalement et étiquetées professionnelles [8].

59Actuellement, la liste des maladies professionnelles reprend pour une grande partie celle contenue dans la recommandation de la Commission de la CEE du 23 juillet 1962. Le pouvoir exécutif a confié au conseil technique du Fonds des maladies professionnelles le problème de l’adaptation de la liste à celle de la CEE. Ce conseil technique est chargé d’étudier les maladies, de rechercher celles d’entre elles qui sont susceptibles de donner lieu à réparation et d’en proposer l’inscription sur la liste. L’inconvénient d’un tel système est la limitation de la couverture à un nombre limité d’affections. Ainsi, les victimes d’une maladie qui ne figure pas sur la liste sont exclues du bénéfice de toute réparation sur base de l’arrêté royal du 3 juin 1970 et de toute aide préventive même si un lien de causalité existe entre une affection et l’exercice d’une activité professionnelle.

60Diverses instances internationales ont suggéré de remédier à ce système discriminant de la liste en incorporant dans les textes une disposition autorisant le bénéfice de l’assurance en cas d’affection contractée du fait de l’exercice d’une activité professionnelle lorsque la causalité en est établie.

61L’arrêté royal du 3 juin 1970 exclut toutefois de la réparation un certain nombre de dommages : le dommage moral, la perte de la progression de la rémunération et l’indemnisation des revenus professionnels supérieurs au plafond. L’étendue de la couverture est limitée par le principe de la réparation forfaitaire.

La reparation

62Les prestations délivrées dans le cadre de l’arrêté royal du 3 juin 1970 sont quasiment équivalentes à celles accordées par la loi sur les accidents du travail.

63La réparation du dommage comprend deux modes de prestations : les prestations en espèces et les prestations en nature.

Les prestations en espèces

64Les prestations en espèces sont allouées en cas de décès et/ou d’incapacité de travail consécutifs à une maladie professionnelle. Elles sont rattachées à l’indice des prix à la consommation.

Incapacité de travail

65Dans le domaine des maladies professionnelles et des accidents du travail, l’incapacité représente la perte ou la réduction de la valeur économique de la victime sur le marché du travail. La constatation d’un dommage physique ne suffit pas pour obtenir réparation sur base de l’assurance relative aux maladies professionnelles. Pour définir un état d’incapacité de travail, il faut dès lors déterminer la répercussion économique du dommage physiologique. L’expert désigné pour évaluer le préjudice de la victime fixe le pourcentage de l’incapacité de travail en prenant en considération à la fois les facteurs physiologiques et socio-économiques du dommage subi par la victime.

66Les critères de l’évaluation varient selon le type d’incapacité. Celle-ci peut être temporaire lorsque la lésion est médicalement réversible ou permanente lors de l’apparition de séquelles plus ou moins stabilisées.

67En cas d’incapacité temporaire, l’appréciation s’effectue en référence à la profession exercée par la victime lors de l’émergence de l’affection. Par compte, en cas d’incapacité permanente, il sera tenu compte de l’âge, de la formation et de l’expérience professionnelle de la victime ainsi que de la situation régionale du marché du travail.

68Pour fixer le pourcentage d’incapacité, le Fonds des maladies professionnelles utilise un barème établi par le conseil technique. Les méthodes d’évaluation [9] sont matière à contestation. Pour J. Viaene, la cause fondamentale en est la discrimination entre l’évaluation forfaitaire et l’évaluation réelle de l’ampleur du dommage. Les indemnités versées varient selon que l’incapacité est temporaire ou permanente.

69Pour prétendre à l’octroi d’indemnités en cas d’incapacité temporaire consécutive à une maladie professionnelle, il faut que la durée de l’incapacité soit au minimum de quinze jours. Cette condition particulière découle de la procédure médicale de reconnaissance de l’incapacité (examen de diagnostic et de contrôle).

70Comme toute incapacité de travail peut revêtir un caractère partiel ou total, le calcul de l’indemnisation sera fonction de la spécificité de l’incapacité.

71Nonobstant la loi du 3 juillet 1978 relative au contrat d’emploi et les conventions collectives 12 bis et 13 bis du CNT du 26 février 1979 accordant à la victime la garantie de la rémunération durant le premier mois de son incapacité de travail, l’arrêté royal du 3 juin 1970 fixe le montant de l’indemnité journalière à partir du deuxième jour d’incapacité à 90 % [10] de la rémunération quotidienne moyenne pendant la première année. A partir de la deuxième année, le taux est de 100 %. Le salaire journalier moyen qui sert au calcul de l’indemnité s’obtient en divisant la rémunération proméritée par la victime au cours de l’année qui précède le jour de l’incapacité par 365. Il faut, toutefois, souligner que le principe de la réparation forfaitaire trouve son application dans le cadre de l’indemnisation par la technique du plancher et du plafond du salaire de base [11].

72Comme dans le domaine des accidents du travail, l’arrêté royal de 1970 tente d’encourager la victime à reprendre une activité dans sa profession ou temporairement dans une autre. Lorsque la victime accepte une remise au travail, l’indemnité journalière correspond à la différence entre le salaire perdu et celui perçu.

73L’incapacité permanente est réparée au moyen d’une allocation annuelle correspondant au salaire de base du travailleur, multiplié par le taux de son incapacité.

74Lorsqu’une maladie professionnelle entraîne une incapacité permanente dès son apparition, la victime perçoit son allocation au plus tôt 60 jours avant la date d’introduction de sa requête en réparation.

75Reconnaissant à priori le caractère évolutif des maladies professionnelles, le législateur s’est gardé d’imposer, comme en accident du travail, un délai préfixe à la victime pour introduire une demande de révision en aggravation du taux de son incapacité permanente. Entamée à tout moment de la période d’incapacité permanente, la procédure en aggravation, si elle est fondée, ouvre le droit au bénéfice d’une allocation révisée, soixante jours avant la date d’introduction de la demande.

76Compte tenu du caractère évolutif de l’affection, le législateur ne pouvait accorder à la victime le versement du tiers en capital comme en accident du travail. En effet, l’évolution de la pathologie empêche presque toute évaluation à long terme de l’incapacité et rend caduque l’estimation du capital réparateur.

77Il faut noter que l’évaluation de l’incapacité permanente d’une personne retraitée est distincte de celle d’une victime en âge d’exercer une activité professionnelle. L’arrêté royal n° 529 du 31 mars 1987 légalise la pratique des experts du Fonds des maladies professionnelles de sous-évaluer les répercussions économiques de l’incapacité résultant d’une maladie professionnelle après l’âge de 65 ans. Le législateur estime dans le rapport au Roi précédent cet arrêté de pouvoirs spéciaux que "la perte économique ne peut manifestement plus être présentée comme aussi grave après l’âge de 65 ans".

Indemnité pour tierce personne

78Les victimes gravement atteintes d’une maladie professionnelle dont l’état requiert l’assistance d’une tierce personne obtiennent une indemnisation plus élevée qui peut atteindre 150 % de l’allocation versée en cas d’incapacité permanente. Cette indemnisation supplémentaire trouve son fondement dans les répercussions sociales engendrées par le handicap de la victime. En effet, l’environnement du malade est affecté par sa pathologie. De plus, la fonction d’assistance exercée par l’entourage de la victime empêche l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée. Le législateur a jugé équitable d’indemniser les personnes qui consacrent leur temps de travail à la victime d’une affection professionnelle.

Décès

79Pour les ayants droit, le droit aux prestations accordées en cas de décès d’une personne atteinte d’une maladie professionnelle est ouvert lorsque la mort est totalement ou partiellement imputable à une affection répertoriée dans la liste des maladies professionnelles. Il n’est pas nécessaire que la maladie professionnelle ait été responsable seule du décès, ni même qu’elle ait joué un rôle important. Il suffit que, par ses manifestations morbides, elle ait diminué la résistance de la victime et hâté la survenance du décès.

80Lorsque le lien de causalité entre le décès et l’existence d’une maladie professionnelle est établi (il ne peut l’être que médicalement), le Fonds des maladies professionnelles octroie une indemnité funéraire équivalente à 30 fois la rémunération quotidienne moyenne et prend à sa charge les frais afférents au transfert du décédé vers le lieu où la famille désire le voir inhumer.

81Les ayants droit peuvent prétendre à une allocation annuelle, dont le montant est fonction du rang de filiation et du nombre d’ayants droit. En règle générale, le conjoint ouvre toujours droit à l’indemnisation, tandis que les enfants doivent remplir une condition : celle de bénéficier d’allocations familiales. Quant aux frères et sœurs, ils doivent prouver la perte matérielle engendrée par la disparition de la victime.

Les prestations en nature

82Les prestations en nature sont allouées aux victimes qui suivent un traitement en vue de réparer le dommage né d’une maladie professionnelle. Les frais qui en découlent sont remboursés par l’assurance si le lien de causalité entre les prestations thérapeutiques délivrées et l’affection professionnelle est établi médicalement. Il s’agit de dépenses médicales, chirurgicales, pharmaceutiques et hospitalières ainsi que de frais occasionnés par l’usage d’appareils de prothèse et d’orthopédie.

83La victime a le libre choix du médecin ou de l’institution de soins.

84La réparation en ce domaine se ventile entre le secteur de l’AMI qui octroie des prestations sur base de sa nomenclature et l’assurance maladie professionnelle qui rembourse à la victime le ticket-modérateur que tout bénéficiaire de l’AMI doit supporter. Avant le 1er juillet 1983, l’intégralité de la réparation était à charge du Fonds des maladies professionnelles. Cette modification législative n’a sans doute pas permis aux victimes d’une maladie professionnelle de bénéficier davantage de cette assurance. Comme J. Viaene, administrateur général adjoint du Fonds des maladies professionnelles, écrivait en 1982 que "56 % en moyenne des victimes des maladies professionnelles ne demandent jamais d’intervention au Fonds des maladies professionnelles, en matière de soins de santé" [12], on peut formuler l’hypothèse que la complexité de la procédure administrative qui résulte de la nouvelle réglementation a encore accru ce pourcentage.

La prevention

85Malgré son importance, "le Fonds des maladies professionnelles consacre trop peu de moyens à l’action préventive et n’utilise que 0,6 % de ses dépenses fonctionnelles pour réaliser cet aspect de sa mission" [13].

Evolution

86La mission de prévention était quasi inexistante dans le cadre de la loi de 1927, le Fonds de prévoyance n’ayant comme seule préoccupation que de réparer le dommage résultant d’une maladie professionnelle.

87La prévention du dommage apparaît au côté de la réparation dans la loi de 1963 ; cependant aucune mesure dans ce sens ne fut réellement prise avant la fin des années 60. A cette époque, la prévention n’est cependant abordée que sur le plan individuel.

88Depuis le 1er juillet 1983, une action préventive plus collective est envisagée. La vaccination contre l’hépatite B est, sur le plan médical, la première opération de prévention généralisée à un ensemble de travailleurs exposés à un risque déterminé.

89C’est sans doute grâce au succès de cette campagne de vaccination et de ses résultats en terme économique [14] que le législateur a inclu dans la loi du 1er août 1985 une disposition relative à cette question. Désormais, le comité de gestion du Fonds des maladies professionnelles peut décider de prendre en charge tout ou partie du coût d’une action préventive. Pour ce faire, il doit être en mesure de prouver que le coût de cette action préventive peut être intégralement ou partiellement compensée par une réduction des dépenses en réparation.

90Il est paradoxal de constater que la prévention semble plutôt se déployer en période de récession économique qu’en période de croissance. Ce paradoxe n’est cependant qu’apparent. En effet, depuis 1981, les gouvernements mènent une politique d’austérité à l’égard du système de redistribution. Malgré que les actions préventives n’atteignent souvent leur cible qu’après une période déterminée et ne peuvent se révéler efficientes en terme de gain économique qu’à moyen ou long terme, certaines d’entre elles peuvent s’avérer rentables à très court terme. Il en est ainsi du vaccin de l’hépatite virale B.

Notion

91Toute action préventive requiert, au départ, une connaissance approfondie du risque. Dans le cadre des maladies professionnelles, l’étude du risque est indissociable d’une description épidémiologique de la pathologie rencontrée. Pour ce faire, il faut dénombrer les affections, les localiser géographiquement, définir les facteurs déterminants, en décrire l’évolution, analyser les répercussions démographiques, etc. "Malheureusement, il n’existe pas de description épidémiologique scientifiquement correcte des maladies professionnelles en Belgique" [15].

92L’action préventive dans le secteur des maladies professionnelles peut être orientée dans trois directions :

  • la prévention primaire : elle a pour objectif de réduire au minimum les probabilités d’apparition d’un risque ;
  • la prévention secondaire : elle consiste à réparer un dommage dans un laps de temps très proche de sa survenance afin d’éviter une extension trop conséquente de ses répercussions ;
  • la prévention tertiaire : elle vise à supprimer une aggravation du dommage.

Moyens

93Les instruments d’une politique de prévention sont multiples : information, étude, éloignement du lieu de travail, réadaptation professionnelle et reclassement, modification technique du processus de production, sanction, etc.

94Il existe une panoplie de moyens pour lutter contre le risque de maladie professionnelle et le dommage qui en résulte. Ils peuvent se ranger dans trois sphères : juridique, médicale et technologique.

95Juridiquement, on peut appliquer les sanctions prévues dans les textes. Les pratiques dans ce domaine sont excessivement rares. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit d’introduire une action en responsabilité civile contre des employeurs négligents.

96Seules deux procédures de ce type ont abouti entre 1975 et 1982. Sur ce plan, A. Thyré estime que "l’employeur ne court guère de risque, (…) à enfreindre les normes de prévention (…), puisque les sanctions prévues sont très rarement appliquées. Notre système de répression des infractions de ce genre est particulièrement faible" [16].

97En ce qui concerne les travailleurs atteints ou menacés par une maladie professionnelle qui refusent de cesser temporairement ou définitivement toute activité sur proposition du Fonds des maladies professionnelles, la réglementation prévoit qu’ils peuvent perdre le droit à toutes les prestations accordées par l’arrêté royal de 1970 en cas de rechute ou d’aggravation de la maladie. Il faut bien entendu que la rechute ou l’aggravation résulte d’une nouvelle exposition au risque que le travailleur a volontairement ou sciemment prolongée. Si le travailleur a accepté la proposition de cessation définitive, il ne peut exercer des travaux comportant un risque de contracter la maladie qui a justifié la cessation de son activité. A l’heure actuelle, les sanctions relatives à ces infractions réglementaires ne sont pas appliquées. Comme nous l’examinerons plus avant, la crise de l’emploi interdit pratiquement la mise en pratique de ces dispositions.

98Le rôle du corps médical, dont nous reparlerons dans la troisième partie, est essentiel. Les médecins, outre leur intervention en matière de diagnostic et de traitement d’une affection, prennent des décisions en matière d’écartement du lieu de travail et participent à l’élaboration des processus de réadaptation professionnelle et de reclassement. De plus, c’est à leur initiative que sont mises en place des actions plus vastes, telle la vaccination contre l’hépatite B.

99Enfin, des ingénieurs et des techniciens étudient le degré de nocivité d’une activité professionnelle, les matériaux utilisés dans la fabrication des outputs, le milieu et les conditions de travail. Après quoi, ils entament des recherches pour prévenir la survenance du risque ; moins fréquemment, des dispositions sont prises.

Deux modes de prévention

100Les modes de prévention qui retiennent tout particulièrement l’attention dans le cadre des maladies professionnelles sont l’écartement du milieu de travail nocif et la réadaptation professionnelle et le reclassement.

101Lorsqu’une personne est atteinte ou menacée par une affection professionnelle, le Fonds des maladies professionnelles peut lui proposer de s’abstenir, soit temporairement, soit définitivement, de toute activité qui puisse l’exposer au risque de cette maladie et cesser soit temporairement, soit définitivement l’activité qu’elle exerce.

102Est considéré comme menacé par une maladie professionnelle, le travailleur chez qui l’on constate une prédisposition ou l’apparition des premiers symptômes d’une maladie professionnelle.

103Si le travailleur accepte la proposition de cessation temporaire, il a droit aux indemnités d’incapacité temporaire totale de travail, pendant la période de cessation. Celle-ci peut débuter au plus tôt 365 jours avant la date de la demande. Cependant, pour les travailleuses enceintes, le bénéfice des allocations est limité à la période qui s’écoule entre le début de la grossesse et le début des six semaines précédant la date présumée de l’accouchement.

104Lorsque le travailleur accepte la proposition de cessation définitive, il a droit, au cours de la période de 90 jours qui suit le jour de cessation effective à une allocation égale aux indemnités d’incapacité permanente totale de travail.

105Le travailleur qui accepte la proposition de cessation définitive peut, s’il ne réunit pas les conditions prévues par la législation relative au reclassement social des handicapés, bénéficier d’une réadaptation professionnelle à charge du Fonds des maladies professionnelles. Si tel est le cas, il perçoit des indemnités d’incapacité permanente totale, déduction faite des avantages en espèces qui lui seraient accordés par l’établissement où la réadaptation s’effectue. Lorsque le travailleur se soumet à une réadaptation professionnelle, quelque soit l’instance qui l’organise, la période de nonante jours pendant laquelle il peut percevoir une allocation forfaitaire équivalente aux indemnités d’incapacité permanente totale de travail prend cours le jour suivant la fin de cette réadaptation.

106Par ailleurs, le travailleur dispose en vue de son orientation professionnelle d’un délai de quinze jours - entre le jour de la cessation effective du travail et celui du début de la réadaptation - pendant lequel il a droit aux indemnités d’incapacité temporaire totale de travail.

3 – Les acteurs

107L’assurance contre le risque de maladie professionnelle constitue un des champs spécifiques de la protection contre les risques sociaux. Ce champ se structure selon les normes définies par l’arrêté royal du 3 juin 1970. Il est traversé par des lignes de force propres à chacun des acteurs. Parmi ceux-ci figurent principalement : le Fonds des maladies professionnelles, les victimes, les employeurs, les mutuelles, le corps médical et les pouvoirs publics (Ministère de la Prévoyance sociale, Ministère de l’Emploi et du Travail, Ministère des Affaires économiques). Successivement, nous analyserons le rôle et la fonction de chacun de ces acteurs.

108Sans vouloir cependant minimiser l’importance de l’action d’autres intervenants tels que : les comités de sécurité et d’hygiène, le Conseil national du travail, les règlements internationaux, les partis politiques, les interlocuteurs sociaux, nous avons préféré inclure leurs actions dans les différents paragraphes consacrés aux principaux acteurs.

Le fonds des maladies professionnelles

109L’assurance maladie professionnelle est une assurance sociale obligatoire. Dans le domaine de la protection sociale, c’est le seul secteur, avec celui des pensions, qui est géré par un organisme parastatal. A l’inverse, dans le domaine des accidents du travail, chaque employeur remplit individuellement ses obligations en s’assurant auprès d’un assureur privé, selon les termes de la loi du 10 avril 1971.

110Le secteur des maladies professionnelles est administré par le Fonds des maladies professionnelles, établissement public doté de la personnalité civile et placé sous la garantie de l’Etat. Cet organisme parastatal remplace, depuis le 1er janvier 1964, le Fonds de prévoyance qui fut créé par la loi du 24 juillet 1927.

Les missions

111A côté de sa mission principale de prévention et de réparation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, d’autres missions subsidiaires sont assignées au Fonds des maladies professionnelles. Ainsi :

  • effectuer, à la demande d’autres organismes et services publics chargés de la réparation des dommages nés d’une maladie professionnelle, des examens médicaux et des expertises médicales des victimes de ces maladies ;
  • payer les indemnités pour maladies professionnelles aux chômeurs occupés par les pouvoirs publics dont l’ONEm est considéré être l’employeur ;
  • accorder aux victimes d’une maladie professionnelle appartenant au personnel des administrations provinciales et locales et affiliées à l’Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales, les avantages prévus dans la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles dans le secteur public. Cette dernière mission entrée en vigueur au 1er janvier 1987 a été attribuée au Fonds des maladies professionnelles par l’arrêté royal n° 529 du 31 mars 1987. En conséquence, le Fonds des maladies professionnelles se voit charger d’appliquer deux législations : celle de 1967 organisant la réparation du dommage dans le secteur public et celle du 3 juin 1970 concernant le secteur privé.

Le financement

112Pour exercer ces différentes missions, le Fonds des maladies professionnelles était financé jusqu’au 31 décembre 1986 par des cotisations patronales et des subsides de l’Etat. Ceux-ci étaient calculés sur base des dépenses engagées pour réparer la pneumoconiose du mineur (60 % des dépenses).

113Depuis le 1er janvier 1987, le financement du Fonds des maladies professionnelles est assuré par les seules cotisations patronales. L’arrêté royal n° 528 du 31 mars 1987 définit le montant des charges sociales que les employeurs doivent supporter. Du 1er avril 1987 au 30 septembre 1987, le taux de la cotisation de 0,65 % a été relevé provisoirement de 1,10 % et porté ainsi à 1,75 %. Depuis le 1er octobre 1987, le taux est fixé à 1,10 %.

114Cette réforme du mode de financement peut être expliquée de diverses manières. Elle trouve son origine dans le souci du gouvernement actuel de faire des économies budgétaires. Cette réforme applique le principe du droit commun de la responsabilité civile, à savoir que l’auteur du dommage en assure la réparation.

115Le système de financement du Fonds des maladies professionnelles repose sur le principe de la solidarité entre les employeurs. Ceci s’explique, notamment, par le fait qu’il est quasi impossible d’identifier l’entreprise qui est à l’origine du dommage causé à la victime. Cet argument a d’ailleurs été invoqué lors du récent débat entre l’administration et les assureurs privés sur la privatisation du Fonds des maladies professionnelles.

116Comme dans le secteur des pensions, le financement des maladies professionnelles repose sur le système de la répartition. Les recettes servent à effectuer le paiement des prestations. Dans ce secteur, il n’y a pas de réserves constituées. Dans l’hypothèse d’une privatisation du Fonds des maladies professionnelles, les assureurs privés institueraient un nouveau mode de financement des maladies professionnelles. Comme ils sont les défenseurs des techniques de capitalisation, c’est à celles-ci qu’ils auraient recours.

117Des études ont permis d’estimer le coût d’un changement aussi radical du système de financement : pendant quarante ans, la mise en place d’un mode de capitalisation accroîtrait les charges de fonctionnement du système actuel. C’est sans doute la raison pour laquelle les assureurs hésitent à faire accepter par les employeurs la contrainte d’un transfert vers le privé de la gestion de cette assurance sociale. Ce passage du public au privé entraînerait, en effet, un accroissement des primes d’assurances patronales.

118La problématique du choix du mode de financement des assurances sociales s’est posée à deux moments de l’histoire sociale : en premier lieu, au lendemain de la seconde guerre mondiale et en second lieu après le début de cette décennie.

119Avant 1945, les assurances sociales étaient financées par des systèmes proches de celui de la capitalisation. Progressivement, ce mode de financement a été remplacé par celui de la répartition. Ce changement s’est opéré principalement pour deux raisons. La première est liée aux avatars des modèles de capitalisation au lendemain de la crise de 1929. A cette époque, on s’est rendu compte que ces systèmes de financement étaient particulièrement fragiles à l’érosion monétaire. La seconde réside dans le mouvement d’extension que le système de protection sociale a connu depuis 1945. Progressivement, la couverture des risques sociaux s’est étendue à l’ensemble de la population. Pour financer une telle extension de la protection sociale au départ d’une technique de capitalisation, il aurait fallu dégager des masses de capitaux considérables. Ceci aurait porté le montant des cotisations sociales et les subsides de l’Etat à un niveau trop élevé.

120Au début des années 80, dans un contexte de déficit aigu des finances publiques et de certains secteurs de la sécurité sociale, le courant néo-libéral relance le débat sur le mode de financement des couvertures sociales qu’ il souhaite en partie privatiser. C’est ainsi que la question s’est d’abord posée dans le secteur des pensions en 1982. Elle vient de faire l’objet d’un débat fin 1986 dans le secteur des maladies professionnelles.

La structure organisationnelle

121Les articles 7 à 29 de l’arrêté royal du 3 juin 1970 définissent l’organisation du Fonds des maladies professionnelles.

122Le comité de gestion, qui administre le Fonds des maladies professionnelles, est une instance paritaire composée de sept représentants des organisations syndicales et de sept représentants des employeurs. Le président est désigné par le Roi. Il doit être indépendant des organisations représentées dans ce comité. Le ministre des Finances et celui qui gère le département de la Prévoyance sociale délèguent leur représentant pour assister aux réunions, tandis que l’administration du Fonds des maladies professionnelles est représentée par le fonctionnaire dirigeant et le fonctionnaire dirigeant adjoint.

123Généralement, le comité de gestion se réunit mensuellement. Il peut créer des groupes de travail composés d’experts ; comme ce fut le cas pour l’étude de la privatisation du Fonds des maladies professionnelles.

124Par ailleurs, le comité de gestion peut demander au Roi de créer des comités techniques pour lui rendre des avis au sujet d’une mission qu’il doit exercer. C’est ainsi que fut constitué un comité technique pour étudier l’organisation et le fonctionnement de l’assurance libre. Deux autres comités techniques étaient chargés de la gestion des centres médico-techniques. Ils ont été supprimés avec la fermeture de ces centres.

125A côté du comité de gestion, le législateur a instauré un conseil technique médical qui a une triple mission :

  • la première a trait à la réparation du dommage. Le conseil technique étudie les maladies, recherche celles d’entre elles qui sont susceptibles de donner lieu à réparation et en propose l’inscription sur la liste. Il recherche les meilleurs moyens pour assurer le traitement des maladies professionnelles ;
  • la seconde relève du domaine de la prévention ;
  • la troisième est consultative. Le conseil technique peut formuler des propositions qu’il jugerait utiles ou rendre des avis à la demande du comité de gestion ou du Ministère de la Prévoyance sociale.

126Il convient de souligner le rôle essentiel du conseil technique. Si l’évolution du secteur des maladies professionnelles, comme l’ensemble de la protection sociale d’ailleurs, est liée à la conjoncture économique et aux rapports de force entre les différents acteurs sociaux, les actions préventives et l’étendue du champ de la réparation sont influencées par le dynamisme de ce conseil technique. Le conseil technique est composé de dix-neuf médecins dont dix représentent les cinq grandes universités du pays, de six ingénieurs et de deux chimistes spécialisés en toxicologie industrielle.

Les victimes

127La couverture du risque contre les maladies professionnelles est assurée à tous les travailleurs assujettis à la sécurité sociale, à ceux qui sont occupés dans une entreprise familiale dans les liens d’un contrat de louage de services, aux apprentis et stagiaires, aux professeurs de l’enseignement technique subventionné, aux agents temporaires ou stagiaires sous contrat occupés par les services publics, aux chômeurs et aux invalides qui se soumettent à une réadaptation ou à une adaptation professionnelles ainsi qu’aux élèves et étudiants fréquentant les cours techniques ou les laboratoires. A ces différentes catégories de bénéficiaires, il y a lieu d’ajouter, depuis le 1er janvier 1987, le personnel occupé dans les administrations provinciales et locales.

128L’ouverture du droit à la réparation est assurée au bénéficiaire qui a contracté une maladie inscrite sur la liste des maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’il a été exposé à un risque professionnel pouvant engendrer cette affection. Lorsque la preuve de l’exposition au risque est apportée, le lien de causalité entre le risque et le dommage est présumé de manière irréfragable. L’établissement d’un lien de causalité trouve son fondement dans le fait que certaines maladies peuvent avoir pour origine tant une cause professionnelle qu’extra-professionnelle. Il n’en demeure pas moins que le législateur a inclu dans les textes une seconde présomption. Elle concerne les travailleurs occupés dans certaines industries, professions ou catégories d’entreprises. Ces travailleurs sont présumés, jusqu’à preuve du contraire, être exposés au risque.

Les procédures

129Le travailleur qui veut bénéficier des avantages de l’assurance contre le risque des maladies professionnelles doit utiliser une des trois procédures suivantes, voire les trois : la demande en réparation, la demande en révision et le recours devant les tribunaux.

La demande en réparation

130Elle est introduite du chef d’une maladie professionnelle pour laquelle la victime ne bénéficie pas encore d’indemnités. L’arrêté royal du 15 juin 1971 fixe les modalités de la procédure à respecter. La demande peut émaner de la victime elle-même, de ses ayants droit en cas de décès ou encore d’un mandataire, tel l’organisme assureur AMI.

131Si le travailleur a contracté une seconde affection professionnelle et qu’il est déjà indemnisé pour une première, il devra utiliser la même procédure pour obtenir une réparation pour cette nouvelle affection.

132Le graphique 1 reprend l’évolution du nombre de demandes introduites depuis 1964. Cet histogramme fait apparaître que le nombre de première demande est en régression constante depuis 1979. Une fois encore, il faut sans doute mettre en parallèle cette évolution avec la réduction du volume de l’emploi dans notre pays.

Graphique 1

Evolution du nombre de demandes introduites au FMP de 1964 a 1984

Graphique 1

Evolution du nombre de demandes introduites au FMP de 1964 a 1984

………. : demandes basées sur l’art. 79. A partir de 1969, les personnes atteintes d’une incapacité de travail antérieure au 31 décembre 1963, résultant d’une maladie professionnelle qui n’était pas encore répertoriée sur la liste au 1er janvier 1964, ont été autorisées à introduire progressivement une demande en réparation.
____ : premières demandes pour lesquelles il n’existait aucun dossier au FMP au nom de la victime et demandes après rejet.
Source : FMP, rapport annuel 1984.

133Il faut cependant lire cette représentation graphique en la décomposant en deux périodes : la première va de 1964 à 1972 et la seconde de 1973 à 1984. Au cours de la première période, le volume élevé des demandes s’explique par l’incorporation de la pneumoconiose dans la liste des maladies professionnelles. A partir de 1973, l’effet des modifications apportées à la liste par la loi du 24 décembre 1963 s’est estompé. Depuis lors, les fluctuations sont peu significatives. Cette tendance peut s’expliquer par la limitation du processus de reconnaissance de nouvelles affections. Compte tenu de la récession économique, le pouvoir de tutelle est aujourd’hui réticent à procéder à un élargissement de la liste des maladies professionnelles. Un second facteur mérite d’être relevé. Il s’agit de la méconnaissance du système de la couverture des maladies professionnelles. Ceci est un puissant frein à l’application de l’arrêté royal du 3 juin 1970. Le dépistage qui est la clé de voûte de toute procédure relève du corps médical. Il requiert une anamnèse professionnelle approfondie qui nécessite, par ailleurs, une connaissance historique détaillée des lieux où l’affection peut être engendrée. Or, le dépistage ne semble guère efficace pour certaines affections. Ainsi, chaque année, on ne recense qu’une dizaine de cancers professionnels alors que d’après les estimations minimalistes on peut évaluer à trois cent le nombre de nouveaux cas. Conscient de cette lacune, le conseil technique a demandé qu’une étude scientifique soit entamée pour améliorer le dépistage de ces affections.

134Le tableau 1 ventile la répartition des demandes en réparation suivant la qualité du demandeur.

Tableau 1

Repartition des demandes en reparation (premieres demandes et demandes en revision) suivant la qualite des demandeurs en 1984(1)

Tableau 1
Demandes introduites par Nombres Total Premières demandes Demandes en révision pour rechute ou aggravation Victime 1.269 287 1.556 Ayant droit 5 - 5 Médecin traitant 786 222 1.008 Employeur 1 - 1 Médecin du travail 57 1 58 Inspection médicale du travail 1 - 1 Etablissement hospitalier 100 65 165 Dispensaire 2 1 3 Mutualité 3.735 959 4.694 Organisation professionnelle de travailleurs - 2 2 Caisse de prévoyance - - - Autres (1) 883 625 1.508 Total général 6.839 2.162 9.001

Repartition des demandes en reparation (premieres demandes et demandes en revision) suivant la qualite des demandeurs en 1984(1)

(1) Principalement des organismes étrangers.
Source : FMP, rapport annuel 1984.

135A la lecture de ce tableau, on peut être surpris de constater que ce n’est pas la victime qui est le premier demandeur en réparation. Ce sont les mutualités qui, par le biais de leurs médecins-conseil, dépistent le plus grand nombre d’affections pouvant entraîner l’application de l’arrêté royal du 3 juin 1970. Ceci démontre à suffisance que le dépistage résulte bien du domaine des praticiens de la santé.

136Le tableau 2 permet de visualiser l’évolution du volume des demandes introduites et des décisions prises par le Fonds des maladies professionnelles de 1964 à 1984. 11.762 demandes sont introduites en moyenne chaque année auprès du Fonds des maladies professionnelles. Cet organisme prend quasiment la même quantité de décisions chaque année. Sur ce plan, on observe que le nombre d’indemnisations refusées est supérieur aux indemnisations octroyées (56 % contre 44 %). Par ailleurs, on constate que le nombre de victimes de la pneumoconiose représente 72,68 % de l’ensemble des personnes ayant été indemnisées par le Fonds des maladies professionnelles depuis 1964.

Tableau 2

Evolution du nombre des demandes introduites et de decisions prises du 1er janvier au 31 decembre 1984(1),(2)

Tableau 2
ANNEE Premières requêtes Décisions en matière de premières requêtes TOTAL Indemnisations octroyées Indemnisations refusées 1964 10.709 254 127 381 1965 18.930 1.631 5.875 7.506 1966 17.007 3.845 8.852 12.697 1967 15.475 9.166 6.977 16.143 1968 11.851 11.068 7.863 18.931 1969 27.938 7.367 7.966 15.333 1970 17.832 4.165 9.987 14.152 1971 10.439 8.127 15.112 23.239 1972 9.227 10.455 7.295 17.750 1973 8.927 8.642 6.821 15.463 1974 10.328 4.815 5.679 10.494 1975 9.596 3.134 6.461 9.595 1976 9.154 4.111 6.271 10.382 1977 9.619 4 .264 5.029 9.293 1978 10.117 3.623 6.186 9.809 1979 9.511 4.689 6.555 10.244 1980 9.294 4.694 5.605 10.299 1981 8.844 2.918 5.200 8.118 1982 7.844 3.743 5.418 9.161 1983 7.519 3.641 4.631 8.272 1984 6.839 4.718 4.146 8.864 247.000 108.070 (2) 138.056 246.126

Evolution du nombre des demandes introduites et de decisions prises du 1er janvier au 31 decembre 1984(1),(2)

(1) Premières requêtes. Il s’agit de requêtes pour lesquelles il n’existe pas de dossier au nom de la victime et de requêtes introduites après refus d’indemnisation.
(2) Pneumoconiose du mineur : 78.545 ; autres maladies professionnelles : 29.525.
Source : FMP, rapports annuels de 1964 à 1984.

La demande en révision

137Lorsqu’une victime bénéficiaire d’une allocation mensuelle réparant une incapacité permanente estime que son état de santé s’est modifié depuis la date des conclusions médicales ayant servi de base à la décision précédente, elle peut à tout moment introduire auprès du Fonds des maladies professionnelles une demande en révision.

138Le Fonds des maladies professionnelles peut également procéder à un réexamen de la situation de la victime. Dans ce cas, il s’agit d’une révision d’office.

139En moyenne, 2.287 demandes en révision sont introduites chaque année.

Les recours devant les juridictions

140La personne qui a reçu notification d’une décision du Fonds des maladies professionnelles a la possibilité d’introduire un recours devant les juridictions du travail pour contester cette décision. Le tableau 3 indique le nombre de litiges introduits contre le Fonds des maladies professionnelles devant les différentes juridictions au cours de la période 1980-1984.

Tableau 3

Evolution du nombre de recours introduits contre le fonds des maladies professionnelles devant les juridictions de 1980 a 1984

Tableau 3
Année Nombre de recours devant les trib. du trav. Nombre d’appels devant les cours du travail Nombre pourvois devant la Cour de cassation 1980 782 127 - 1981 817 99 1 1982 722 64 - 1983 1.006 97 1 1984 1.091 104 2

Evolution du nombre de recours introduits contre le fonds des maladies professionnelles devant les juridictions de 1980 a 1984

Source : FMP, rapports annuels de 1980 à 1984.

141La moyenne annuelle des litiges introduits contre le Fonds des maladies professionnelles s’élève à 983. C’est principalement devant les juridictions du tribunal du travail que les contestations sont portées. En moyenne, les tribunaux du travail sont saisis annuellement de 843 affaires concernant l’assurance contre le risque de maladie professionnelle.

142Le tableau 4 présente la répartition des jugements rendus par les tribunaux du travail selon la nature de la décison contestée. Les contestations devant les tribunaux du travail aboutissent à un partage plus ou moins équivalent entre les recours fondés qui donnent raison à la victime et les recours non fondés qui maintiennent la décision du Fonds des maladies professionnelles. 47 % des recours ont trait au rejet de demande d’indemnisation pour raison médicale et 43 % à des contestations sur le taux d’incapacité. Sur ce dernier point, il est intéressant de relever que les victimes obtiennent une réévaluation de leur taux d’incapacité dans 68,6 % des cas.

Tableau 4

Repartition des jugements rendus par les tribunaux du travail selon la nature de la decision contestee en 1984(1)

Tableau 4
Nature de la décision contestée Jugements rendus Totaux Recours fondés (1) Recours non fondés Rejet d’ordre médical 118 272 460 Rejet d’ordre juridique 6 26 32 Rejet de la rente d’ayant droit 18 41 59 Contestation du salaire de base 4 3 7 Contestation de la période d’indemnisation 2 - 2 Contestation du taux d’incapacité 291 133 424 Total 509 475 984

Repartition des jugements rendus par les tribunaux du travail selon la nature de la decision contestee en 1984(1)

(1) Par "recours" il faut entendre l’acte par lequel la décision du Fonds est contestée devant les tribunaux du travail. Si le recours est fondé, la décision du Fonds est modifiée. Si le recours est non fondé, la décision du Fonds est maintenue.
Source : FMP, rapport annuel 1984.

La prévention

143Lorsqu’un travailleur est exposé à une maladie professionnelle dans son milieu de travail, le Fonds des maladies professionnelles peut lui proposer de quitter temporairement ou définitivement ce milieu nocif (tableau 5, ventilation suivant l’affection). Si le tableau 6 montre qu’un faible pourcentage de travailleurs acceptent de quitter définitivement le lieu de travail où ils sont exposés au risque, on constate une tendance inverse en cas d’écartement temporaire. En cas d’écartement définitif, le travailleur a la possibilité d’être reclassé professionnellement dans une autre partie de l’entreprise ou dans une autre profession.

Tableau 5

Ventilation des ecartements temporaires et definitifs suivant la nature de l’affection au cours de l’exercice 1984

Tableau 5
Nature de la Maladie professionnelle Ecartement temporaire Ecartement définitif Nbre de propositions acceptées par le FMP % Nbre de propositions acceptées par le FMP % Nbre de mesures d’écartements acceptées % pneumoconiose - - 60 5,6 60 3,4 dermatose 153 21,8 133 12,3 286 16,1 saturnisme 108 15,4 11 1,0 119 6,7 surdité profess. - - 388 36,0 388 21 ,8 allergies respiratoires 1 0,1 111 10,3 112 6,3 vibrations mécaniques - - 291 27,0 291 16,3 autres maladies prof. 440 62,7 84 7,8 524 29,4 TOTAL 702 100 1.078 100 1.780 100 % 39,4 60,6 100

Ventilation des ecartements temporaires et definitifs suivant la nature de l’affection au cours de l’exercice 1984

Source : FMP, rapport annuel 1984.
Tableau 6

Evolution du reclassement de 1971 a 1984

Tableau 6
type de reclassement Années 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % NBR % Reclassement sans réadapta. 138 58,5 168 56,4 197 41,7 110 37,4 126 41, 88 38,4 59 37,8 61 34,9 98 47,8 86 38,7 54 22,6 77 37,9 59 33,7 37 26,1 Reclassement après réadapta. 15 6,2 16 5,4 16 3,4 14 4,6 8 2,6 16 7 12 7,7 7 4,0 7 3,4 9 4, 1 10 4,2 13 6,4 15 8,6 14 9,9 Reclassement par médecin trav. 52 21,3 44 14,8 175 37 103 35 103 33,5 72 31,4 56 35,9 66 37,7 43 21,0 54 24,3 93 38,9 55 27,1 51 29, 1 44 30,9 Réadaptation en cours 11 4,5 11 3,7 17 3,6 10 3,7 29 9,5 16 7 9 5,7 9 5,1 9 4,4 14 6,3 16 6,7 17 8,4 17 9,7 23 16,2 Inscrits ONEm demand. emploi 28 11,5 59 19,8 67 14,2 57 19.3 41 13,4 37 16,2 20 12,9 32 18,3 48 23,4 59 26,6 66 27,6 41 20,2 33 18,9 24 16,9 TOTAL des écart, accep. par vict. 244 100 298 100 472 100 294 100 307 100 229 100 156 100 175 100 205 100 222 100 239 100 203 100 175 100 142 100 Nombre d’écartement définit. prop. par FNP 551 671 727 645 716 561 685 764 1.179 1.200 1.083 956 977 1.078 % 44,2 44,4 64,9 45,5 42,9 40,8 22,7 22,9 17,4 18,5 22,1 21,2 17,9 13,7

Evolution du reclassement de 1971 a 1984

Source : FMP, rapports annuels de 1971 à 1984.

144Le tableau 6 montre l’évolution du nombre de personnes reclassées. De prime abord, il apparaît que le nombre de personnes auxquelles on a proposé un écartement définitif a considérablement augmenté depuis 1979. Cependant, les bénéficiaires d’un reclassement professionnel ont suivi une courbe inverse.

145Le reclassement s’avère aujourd’hui de plus en plus difficile. Cette constatation s’explique notamment par la saturation du marché du travail.

146Au cours des dernières années, le travailleur qui parvient à se reclasser professionnellement suit souvent un processus de réadaptation. Celle-ci, même si elle reste très modeste, croît en valeur relative depuis 1982. La réadaptation professionnelle reste cependant marginale et le nombre de personnes qui entament annuellement un processus de réadaptation est peu élevé (17 en 1983 et 23 en 1984). Elle s’effectue soit dans les centres de l’ONEm, celui d’Abee-Scry, et dans certaines entreprises et écoles.

147Aujourd’hui, le médecin du travail est en matière de reclassement le canal le plus utilisé. Ceci signifie que c’est dans l’entreprise où il exerce une activité que le travailleur a le plus de chance d’être affecté à une nouvelle tâche. Sur 1.078 propositions d’écartement définitif transmises à des travailleurs, 142 seulement ont eu lieu, soit 13,7 %. Ce taux est le plus bas enregistré depuis 1971. Depuis le début de la crise économique, les travailleurs quittent donc de moins en moins le lieu de travail nocif où ils sont exposés même si le Fonds des maladies professionnelles le leur suggère. Des 142 travailleurs écartés définitivement en 1984, 118, soit 83,1 %, ont pu bénéficier d’une mesure de réadaptation ou de reclassement. On peut s’interroger sur les effets de la crise en matière d’écartement définitif. Aujourd’hui, le travailleur ne quitte son milieu de travail où il est exposé à un risque professionnel que dans la mesure où il a trouvé un autre emploi.

148Selon les textes, le Fonds des maladies professionnelles devrait sanctionner le travailleur qui n’accepte pas la proposition d’écartement définitif qui lui est formulée. Dans les faits, il n’en est rien. Dès lors, le travailleur qui craint de perdre définitivement la possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle refuse de quitter le milieu de travail nocif où il est exposé à une maladie professionnelle. Cette situation est quasiment à mettre en parallèle avec les travailleurs mineurs qui ne bénéficiaient pas avant 1964 d’une loi de réparation pour le risque de la pneumoconiose. A cette époque, ces ouvriers mineurs poursuivaient leur activité au-delà de leurs capacités de résistance physique et morale. Si la situation actuelle perdure, les travailleurs qui refusent toute mesure d’écartement et qui restent exposés à une maladie professionnelle vont aggraver leur état de santé. Par ailleurs, cette situation aura pour conséquence d’accroître les dépenses tant au niveau de la réparation, c’est-à-dire des soins de santé (AMI), que de l’indemnisation, c’est-à-dire des allocations versées aux travailleurs victimes d’une maladie professionnelle.

La réparation

149De 1927 à 1964, le Fonds de prévoyance n’a géré que 12.000 dossiers, tandis que le nombre des demandes en réparation pour la période de 1964 à 1984 atteint 247.000.

150Au 31 décembre 1984, 62.099 personnes recevaient une allocation mensuelle pour incapacité de travail totale ou partielle consécutive à une affection professionnelle qu’elles avaient contractée et 13.523 personnes recevaient une indemnité en leur qualité d’ayant droit. Au total, 75.622 personnes bénéficiaient du système de réparation de l’assurance contre le risque de maladie professionnelle.

151Au cours de l’exercice 1984, 1.239 personnes sont décédées des suites d’une maladie professionnelle. Le tableau 7 permet de visualiser l’évolution du nombre de bénéficiaires de l’assurance au cours de la période 1964 à 1984. 20.628 victimes de maladie professionnelle sont décédées de 1964 à 1984, soit en moyenne 982 décès par an. La principale cause du décès est la pneumoconiose (90 % des cas).

Tableau 7

Evolution du nombre de beneficiaires de l’assurance contre le risque de maladie professionnelle de 1964 a 1984(1),(2)

Tableau 7
Années I.T.T. I.P. Incap. temporaire suivie d’une incap. permanente Nombre total de victimes Nbre de victimes décédées Reconnu pour la 1ère fois Nbre total de cas reconnus Reconnu pour la 1ère fois Nbre total de cas reconnus Reconnu pour la 1ère fois Nbre total de cas reconnus 1964 107 276 4 86 2 111 364 7 1965 154 350 3 86 3 157 439 2 1966 134 367 6 89 10 140 466 2 1967 180 463 7 104 18 187 585 3 1968 205 571 3 120 18 208 709 2 1969 250 898 7.122 (1) 32.221 (2) 20 7.372 33.119 884 1970 233 1.019 7.135 36.501 21 7.368 37.520 566 1971 433 1.314 10.959 46.104 95 11.392 47.418 1.047 1972 704 1.607 9.838 54.833 123 10.542 56.440 2.326 1973 493 1.289 2.849 55.927 58 3.342 57.216 1.692 1974 477 1.126 3.371 57.511 54 3.848 58.637 1.889 1975 421 962 2.442 57.900 54 2.863 58.862 1.205 1976 564 1.198 3.525 59.101 68 4.089 60.299 1.262 1977 538 1.255 3.726 60.425 59 4.264 61.680 1.362 1978 540 1.429 3.058 61.501 74 3.598 62.930 1.365 1979 606 1.635 3.082 62.407 87 3.688 64.042 1.255 1980 798 1.913 3.895 64.155 95 4.693 66.068 1.204 1981 643 1.792 2.275 67.054 229 2.918 68.846 1.033 1982 641 1.635 3.102 66.763 282 3.743 68.398 1.111 1983 583 1.352 3.058 67.279 48 3.641 68.631 1.172 1984 516 691 4.202 68.648 69 4.718 69.339 1.239

Evolution du nombre de beneficiaires de l’assurance contre le risque de maladie professionnelle de 1964 a 1984(1),(2)

(1) 7.115 nouveaux cas de silicose reconnus.
(2) 31.949 nouveaux cas de silicose reconnus.
Source : FMP, rapports annuels de 1964 à 1984.

152Au cours de la période 1975-1985, l’âge moyen des victimes de la pneumoconiose au début de leur prise en charge par le Fonds des maladies professionnelles était de 59 ans. On constate une tendance au vieillissement des personnes atteintes par cette maladie. Quant au taux moyen d’incapacité de travail de ces victimes, il est passé de 34 % en 1975 à 24 % en 1985. Dans la moitié des cas environ, le taux d’incapacité de travail était inférieur à 10 %. Pour les autres maladies professionnelles, le taux moyen d’incapacité atteignait 18 % et l’âge moyen à la reconnaissance était de 54 ans. La classe modale de la ventilation par âge des bénéficiaires d’indemnités au 31 décembre 1984 était celle de 56 à 60 ans.

153La répartition selon le sexe est inégale. En 1984, 305 hommes et 211 femmes ont été reconnus incapables de travailler temporairement et 4.118 hommes et 84 femmes ont bénéficié d’une indemnisation pour incapacité permanente. Pour les mesures préventives (écartement temporaire), la ventilation est équivalente entre les hommes et les femmes (129 contre 126). Cependant, l’écartement définitif met à nouveau en évidence une disproportion dans la distribution : 413 hommes pour 91 femmes.

154Selon la nationalité, en 1984, sur 62.099 bénéficiaires d’indemnités, 29.938 sont de nationalité étrangère, soit 48,21 %. La proportion est nettement plus élevée en ce qui concerne la pneumoconiose : sur 44.990 victimes de cette maladie atteintes d’une incapacité permanente, 26.373 soit 58,62 % sont des travailleurs de nationalité étrangère, principalement italienne (18.722 soit 41,61 % du total). Ces données expliquent sans doute les prises de position des parlementaires italiens en 1962 lorsqu’ils décidèrent de voter l’élargissement de leur système de réparation aux ressortissants de leur Etat occupés dans des charbonnages belges. Par ce vote, ils voulaient infliger un outrage moral à la Belgique qui n’avait pas, à cette époque, incorporé la pneumoconiose du mineur dans la liste des maladies reconnues.

155L’affection qui frappe le plus les travailleurs est la pneumoconiose. Ainsi, 72,55 % des incapacités indemnisées au cours de l’exercice 1984 l’ont été pour cette maladie. Pourtant, c’est précisément celle-ci qui est la moins bien réparée. En effet, en 1985, l’indemnité annuelle moyenne pour une incapacité de 100 % atteignait 532.000 FB alors que cette indemnité était de 601.000 FB pour les autres maladies. Parmi celles-ci, ce sont les affections provoquées par des agents physiques qui font le plus de victimes (19,27 %). Il s’agit principalement des maladies ostéo-articulaires pour lesquelles 8.040 personnes bénéficiaient d’une réparation en 1984 et l’hypoacousie avec 5.195 victimes. Viennent ensuite les maladies provoquées par les agents chimiques (2,8 %) et celles de la peau (2,4 %).

156Le tableau 8 ventile le nombre de bénéficiaires en incapacité de travail pour maladies professionnelles selon le degré d’incapacité en décembre 1984. La majorité des victimes d’une maladie professionnelle ont une incapacité supérieure à 20 %. Moins de 30 % des bénéficiaires de cette assurance ont une incapacité inférieure à 10 %, tandis que dans le secteur des accidents du travail près de 80 % des incapacités permanentes dénombrées au cours de l’exercice 1981 sont inférieurs à 10 % (voir tableau 9).

Tableau 8

Repartition selon le degre d’incapacite des victimes en incapacite permanente, atteintes d’une maladie professionnelle en decembre 1984

Tableau 8
% d’incapacité Incapacité permanente Total Pneumoconiose Autres affections Nbre % Nbre % Nbre % - de 10 11.000 24,6 6.896 40,6 17.896 29 10 à - 20 6.180 13,8 4.059 23,9 10.239 16,6 20 à - 30 3.939 8,8 1.625 9,6 5.564 9 30 à - 40 3.828 8,5 1.333 7,8 5.161 8,4 40 à - 50 4.307 9,6 1.094 6,4 5.401 8,7 50 à - 60 4.163 9,3 551 3,2 4.714 7,6 60 à - 70 3.272 7,3 405 2,4 3.677 5,9 70 à - 80 1.910 4,3 263 1.5 2.173 3,5 80 à - 90 1.803 4,0 226 1,3 2.029 3,3 90 à - 100 1.165 2,6 143 0,9 1.308 2,1 100 et + 3.239 7,2 401 2,4 3.640 5,9 Total 44.806 100 16.996 100 61.802 100 En % 72,5 27,5 100

Repartition selon le degre d’incapacite des victimes en incapacite permanente, atteintes d’une maladie professionnelle en decembre 1984

Source : FMP, rapport annuel 1984.
Tableau 9

Repartition selon le degre d’incapacite des victimes d’un accident du travail atteintes d’une incapacite permanente au cours de l’exercice 1981

Tableau 9
% d’incapacité Ouvriers Employés Total Nbre % Nbre % Nbre % - de 10 4.855 79,6 770 81,9 5.625 79,9 10 à - 20 773 12,7 120 12,8 893 12,7 20 à - 30 223 3,6 28 3,0 251 3,6 30 à - 40 107 1,8 13 1,4 120 1,7 40 à - 50 43 0,7 - - 43 0,6 50 à - 60 31 0,5 1 0,1 32 0,5 60 à - 70 18 0,3 4 0,4 22 0,3 70 à - 80 5 0,1 - - 5 0,1 80 à - 90 6 0,1 1 0,1 7 0,1 90 à - 100 1 - 1 0,1 2 - 100 et + 36 0,6 2 0,2 38 0,5 Total 6.098 100 940 100 7.038 100

Repartition selon le degre d’incapacite des victimes d’un accident du travail atteintes d’une incapacite permanente au cours de l’exercice 1981

Source : INS, Statistiques sociales, Accident du travail, Exercice 1981.

157Pour expliquer la faible proportion d’incapacités permanentes supérieures à 10 % dans le secteur des accidents du travail, certains avancent l’idée d’un marchandage ; l’assureur sous-évaluerait le taux d’incapacité permanente.

158Quelles sont les conséquences pour les victimes de cette hypothèse de la sous-évaluation en accident du travail ? Pour les personnes atteintes de graves séquelles, on constate qu’une reprise du travail est impossible. Dès lors, elles sont lésées et subissent un préjudice matériel qu’elles ne peuvent compenser. Par contre, les victimes qui sont toujours aptes à exercer leur activité professionnelle et qui ont une petite incapacité bénéficient d’un sur-salaire sans réelle perte de rémunération. Comme beaucoup de travailleurs victimes d’un accident du travail bénéficient d’une petite incapacité (près de 80 %), le système n’est pas remis en cause. Les assureurs y trouvent leur compte, les travailleurs en majorité également au détriment des victimes d’une incapacité importante. Face à cette situation, le mouvement syndical ne réagit guère. En effet, grand nombre de leurs affiliés qu’ils défendent devant les juridictions du travail, sont relativement satisfaits de l’indemnisation qui leur est accordée pour une petite incapacité.

159Dans le cadre des maladies professionnelles, les enjeux financiers sont moindres. La gestion du système étant publique, les experts du Fonds des maladies professionnelles n’ont aucun intérêt à sous-évaluer les incapacités permanentes. Ceci explique sans doute que le nombre de litiges devant les juridictions du travail est inférieur dans le domaine des maladies professionnelles que dans celui des accidents du travail.

160En synthèse, l’assurance contre le risque de maladie professionnelle répare principalement les séquelles engendrées par la pneumoconiose du mineur, qui est contractée par une majorité de travailleurs étrangers dont les Italiens forment le groupe le plus important. Cette affection est moins bien réparée que les autres et la population victime des maladies professionnelles se compose majoritairement d’hommes âgés entre 56 et 60 ans.

161Le secteur des maladies professionnelles connaîtra dans les prochaines années d’importants changements. En effet, les charbonnages belges n’emploient plus guère de travailleurs. Dans un avenir proche, le nombre d’emplois y sera encore réduit. Comme des mesures de prévention ont, par ailleurs, été prises dans les charbonnages limbourgeois, les seuls encore en activité, le nombre de victimes de la pneumoconiose sera demain nettement inférieur à celui relevé dans le passé. Ces facteurs économiques et de prévention associés à celui du vieillissement démographique annonce dans les vingt prochaines années une mutation profonde de ce secteur. Sera-t-il moins important ? Dans quelle mesure, d’autres affections (de type post-industriel ?) prendront-elles le relais de la pneumoconiose ? Si tel était le cas, jetteront-elles les bases d’une nouvelle structure de cette assurance ?

Les employeurs

162Jusqu’au 31 décembre 1986, l’Etat a subventionné cette assurance sociale. Depuis le 1er janvier 1987, les employeurs supportent seuls le coût de l’assurance contre le risque de maladie professionnelle. Désormais, le principe de faire supporter la réparation du dommage par celui qui l’a engendré s’applique. Le retrait des subsides étatiques à ce secteur a une origine budgétaire. Pour résorber le déficit des finances publiques, le gouvernement a décidé lors du conclave de Val Duchesse, en mai 1986, de privatiser le Fonds des maladies professionnelles. Dans les faits ce sont les subsides de l’Etat qui ont été supprimés. Pour l’exercice 1987, ils étaient fixés à FB 7,2 milliards, soit 60 % des dépenses du système pour dédommager les victimes de la pneumoconiose du mineur.

163L’employeur est un acteur assez passif dans ce secteur de la protection sociale. Il a pour fonction principale de payer les cotisations qui alimentent financièrement cette assurance auprès de l’ONSS. Ces cotisations sont calculées selon le volume de la masse salariale de l’entreprise. Depuis 1er octobre 1987, le taux de la cotisation s’élève à 1,10 %. Désormais, celui-ci variera en fonction de l’évolution des dépenses du secteur puisque le mode de financement adopté est celui de la répartition.

164Le principe de l’obligation d’assurance se matérialise par le paiement de la cotisation à l’ONSS qui procède à la répartition. Ce principe inscrit dans la loi de 1927 n’a été appliqué à l’ensemble des employeurs qu’à partir du 1er janvier 1964. La loi du 24 décembre 1963 a étendu l’obligation de cotiser et donc le principe de la solidarité à tous les employeurs du pays. Avant cette loi, seuls les employeurs dont l’activité industrielle était classée parmi celles à grand risque étaient obligés de cotiser.

165La généralisation à tous les employeurs de cette assurance est concomitante à l’extension de la couverture à tous les travailleurs du secteur privé et à l’élargissement de la liste des maladies professionnelles. Pour financer une couverture au plus large contour, il était indispensable d’agrandir l’assiette de perception des cotisations.

166Tous les employeurs sont donc affiliés au Fonds des maladies professionnelles pour garantir leur personnel contre le risque de maladie professionnelle. En conséquence, ils sont, comme dans le domaine des accidents du travail, immunisés quant à leur responsabilité civile en la matière. Le travailleur ne peut donc poursuivre son employeur sur base de l’art. 1382 du code civil pour obtenir réparation du dommage dont il est la victime, sauf si l’employeur a provoqué intentionnellement la maladie professionnelle. L’action en responsabilité est également ouverte après avertissement contre l’employeur qui a négligé gravement de remplir les obligations que lui imposent les dispositions légales et réglementaires relatives à la sécurité et à l’hygiène du travail. Sur ce plan, l’employeur n’a guère de souci à se faire, car les cours et tribunaux n’ont que très rarement à connaître de telles affaires.

167En matière de prévention, les employeurs sont tenus de prendre les dispositions qui s’imposent afin d’éliminer tous les risques décelables, même s’ils ne sont pas rencontrés par des normes de sécurité explicitement prévues par le Règlement général sur la protection du travail (RGPT). Selon les organisations syndicales, cette intention du législateur n’est, en fait, qu’un voeu pieux. Par contre du coté patronal, on se défend de prendre les mesures de protection nécessaires et on évoque le coût élevé que représente l’application des normes du RGPT.

168Dans le cadre du secteur des maladies professionnelles, les inspecteurs du Fonds des maladies professionnelles, ceux de l’inspection médicale du Ministère de l’Emploi et du Travail jouent un rôle essentiel. Leurs avis et recommandations ont pour objectif d’améliorer les conditions dans lesquelles les travailleurs évoluent sur leur lieu de travail. Peuvent, en outre, avoir une incidence sur l’employeur à ce niveau, les comités de sécurité et d’hygiène et les médecins du travail. Le comité de sécurité et d’hygiène est informé du nombre de maladies professionnelles qui sont dépistées dans l’entreprise où il siège. Son rôle est d’intervenir pour inciter l’employeur à prendre des mesures de protection à l’égard des autres travailleurs qui pourraient être exposés au même risque. Pour ce faire, il peut être aidé par le médecin du travail ainsi que par les experts du Fonds des maladies professionnelles. Ceux-ci sont parfois appelés à assister les médecins du travail lors des réunions du CSH pour examiner les problèmes qui se posent spécifiquement dans une entreprise à risque. Dans les faits, le facteur coût se révèle déterminant dans la décision d’investir dans le domaine préventif. La logique économique préexiste aux bonnes intentions sociales et sanitaires.

169En matière de reclassement, l’employeur remplit une fonction essentielle. Celle-ci l’est d’autant plus que nous traversons aujourd’hui une période de mutation technologique et de réduction du volume de l’emploi. Un travailleur qui a contracté une affection dans un lieu à haut risque et qui est atteint d’une incapacité permanente doit présenter des caractéristiques particulièrement attractives pour rester occupé dans son entreprise. Lorsqu’un travailleur a été écarté définitivement, ses chances de reclassement sont minimes. Comme le rétrécissement du marché de l’emploi a pour effet de réduire la mobilité des travailleurs, c’est dans la même entreprise que le travailleur a le plus de chance d’être reclassé (75,8 % des reclassements sans réadaptation ont lieu dans la même entreprise). Le nombre de personnes reclassées annuellement est assez dérisoire.

Les mutuelles

170La loi du 9 août 1963 a confié aux mutuelles la mission de gérer l’assurance-maladie-invalidité obligatoire.

171Il existe de nombreux liens entre la législation réparant le dommage né d’un risque professionnel et celle de l’AMI. Les mutuelles, qui ont notamment pour mission de payer les prestations de l’AMI, interviennent dans le fonctionnement du système de l’assurance maladie professionnelle.

172Dans le domaine des soins de santé, l’arrêté royal n° 133 du 30 décembre 1982 porte à charge de l’AMI le coût des frais de traitements médicaux, pharmaceutiques, etc., consécutifs à la réparation du dommage engendré par une maladie professionnelle. De la sorte, la victime soit s’adresser à sa mutuelle pour obtenir le remboursement, selon le barème AMI, de la prestation reçue et ensuite demander au Fonds des maladies professionnelles le paiement du ticket modérateur qu’elle a dû supporter.

173Dans le domaine des indemnités, la victime qui est reconnue incapable de travailler a intérêt à remettre un certificat médical au médecin-conseil de sa mutuelle. Celui-ci pourra sur base de l’article 56 de la loi du 9 août 1963 confirmer son état d’incapacité. Ainsi, le travailleur sera indemnisé à titre provisionnel par sa mutuelle. Celle-ci aura ensuite pour tâche de récupérer ses débours auprès du Fonds des maladies professionnelles puisqu’elle jouit d’une action subrogatoire par l’article 70, paragraphe 2 de la loi du 9 août 1963 [17].

174Dans le cadre du dépistage des maladies professionnelles, le tableau 2 fait apparaître que 54,61 % des demandes en réparation ont été adressées par le canal des mutualités auprès du Fonds des maladies professionnelles. De même, 44,35 % des demandes en révision émanent de ces organismes assureurs.

175Les mutuelles occupent donc une position stratégique dans le cadre de la reconnaissance de l’affection née d’un risque professionnel. Cette situation résulte de la fonction attribuée aux médecins-conseil des mutuelles. Ceux-ci statuent sur l’état d’incapacité de travail de leurs membres. Ils ont ainsi à connaître l’origine de l’affection professionnelle. Si des éléments recueillis dans l’anamnèse du patient, tant au niveau de sa santé que de sa carrière professionnelle, permettent d’établir un lien de causalité entre le dommage et l’exposition à une affection répertoriée dans la liste des maladies professionnelles, l’organisme assureur introduira une demande au nom de son affilié auprès du Fonds des maladies professionnelles.

176Pour mener à bien ce dépistage, les services sociaux mutuellistes tendent de retracer la carrière professionnelle de la victime afin de cibler les lieux d’exposition aux risques.

177Pour améliorer les bonnes relations obligées entre le secteur AMI et celui des maladies professionnelles, des procédures standardisées ont été mises sur pied entre le Fonds des maladies professionnelles et les mutuelles pour la constitution des dossiers, les calculs d’indemnisation, les décisions, etc.

178Les mutuelles n’interviennent que dans le fonctionnement du système de réparation de l’assurance maladie professionnelle. Elles ne sont pas présentes au comité de gestion. Ce sont les organisations syndicales qui y représentent les travailleurs.

Le corps medical

179Pour la victime, l’accès au régime de réparation des maladies professionnelles est plus complexe que celui des accidents du travail. En effet, dans le domaine des accidents du travail, l’employeur est obligé de déclarer l’accident auprès de l’assureur auquel il s’est affilié, tandis que, dans le secteur des maladies professionnelles, la victime doit obligatoirement avoir recours à un médecin qui rédige un rapport médical et à une aide bénévole ou professionnelle pour constituer son dossier. En accident du travail, le dommage sera objectivé par un médecin, alors qu’en cas de maladie professionnelle, le dommage professionnel n’existe pas si le diagnostic médical ne correspond pas à une des affections répertoriées dans la liste.

180L’arrêté royal du 15 juin 1971 définit la procédure à respecter pour introduire les demandes d’indemnisation et de révision. Cet arrêté précise que le rapport médical doit contenir le diagnostic de la maladie et que celui-ci doit être justifié. Par ailleurs, il spécifie que les documents médicaux qui ont servi à établir le diagnostic doivent accompagner le rapport médical.

181La personne qui souhaite introduire une demande au Fonds des maladies professionnelles peut utiliser diverses filières médicales (voir tableau 1). La filière la plus fréquement utilisée est celle des médecins-conseil mutuellistes. Ensuite, on trouve les médecins traitants puis les établissements hospitaliers et enfin les médecins du travail. Au total, le canal médical représente en Belgique 78,59 % des premières demandes et 81,20 % des demandes en révision.

182Pour les victimes potentielles, la connaissance du système de réparation des maladies professionnelles par le corps médical s’avère primordiale. Deux lacunes doivent être relevées. La première concerne la causalité professionnelle. Dans notre pays, la pratique de la médecine curative laisse peu de place à la recherche d’une éventuelle origine professionnelle lors de la constatation d’une affection. Rares sont les anamnèses professionnelles conduites avec minutie et rigueur. Même dans les centres hospitaliers universitaires, cette démarche causale ne constitue pas une préoccupation première. Ceci s’explique aisément par la méconnaissance des lieux de production et de l’évolution historique des milieux de travail par le corps médical. La seconde a trait au domaine de la sécurité sociale. Combien de médecins sont initiés au mécanisme de fonctionement de notre système de sécurité sociale ? Les médecins traitants qui dépistent une affection professionnelle sont parfois bien en peine de guider leurs patients dans la constitution de leur dossier. Ceci explique, notamment, pourquoi le plus grand nombre de demandes en réparation et en révision émane des médecins-conseil des mutuelles.

183Force est de constater que le corps médical ne peut exercer efficacement sa mission de dépistage des maladies professionnelles que s’il est sensibilisé à la question. Pour ce faire, les médecins devraient recevoir une formation en médecine sociale. Celle-ci n’est à ce jour dispensée qu’aux médecins du travail et aux médecins des assurances.

184Les médecins du travail, quant à eux, connaissent d’autres difficultés. Elles sont inhérentes à la relation qui les lie à l’employeur de l’entreprise où ils exercent leur activité. Leur position est ambiguë. En effet, ils sont amenés à intervenir à deux niveaux : celui de la surveillance médicale des travailleurs et de la surveillance sanitaire des lieux de travail. Or, ils sont, soit salariés de l’entreprise où ils exercent leur activité, soit occupés dans le service médical interentreprise financé par les employeurs et par des compagnies d’assurances soumis aux lois de la concurrence.

185L’arrêté royal du 16 avril 1965 stipule que les employeurs doivent s’assurer le concours d’un service médical du travail. Cette disposition n’a, cependant, été rendue obligatoire que le 1er juillet 1968. Le législateur du RGPT a laissé le choix à l’employeur de créer un service propre à son entreprise - service médical d’entreprise - ou commun à plusieurs entreprises - service médical interentreprise.

186Le tableau 10 retrace l’évolution depuis 1970 du nombre de services médicaux du travail. Le nombre de services d’entreprise s’est réduit de 1976 à 1986 (-57 unités). Il en va de même des services interentreprise depuis 1979 (-20 unités). On considère aujourd’hui que 95 % des travailleurs du secteur privé ont accès à un service médical du travail [18].

Tableau 10

Evolution du nombre de services medicaux du travail de 1970 a 1986

Tableau 10
Type de services 1970 1976 1979 1982 1986 Entreprises 315 353 343 315 296 Interentreprises 77 82 91 80 71

Evolution du nombre de services medicaux du travail de 1970 a 1986

Source : Commissariat général à la protection du travail, 20 ans de médecine du travail, Bruxelles, 1987, p. 8.

187En 1984, sur 1.018.633 travailleurs concernés, 758.739 (75 %) étaient sous la surveillance de services interentreprise.

188Aujourd’hui, on peut s’interroger sur l’effet d’une concentration dans ce secteur. La concurrence pour le "débauchage" de certaines entreprises existe.

189En ce qui concerne la formation des médecins du travail, on constate une progression importante de praticiens diplômés en médecine du travail (voir tableau 11)

Tableau 11

Evolution du nombre de medecins du travail ayant une formation en medecine du travail

Tableau 11
Année Nbre de diplômés Nbre de praticiens % 1975 412 766 53,8 1980 591 823 71,8 1985 685 816 83,9

Evolution du nombre de medecins du travail ayant une formation en medecine du travail

Source : Commissariat général à la protection du travail, 20 ans de médecine du travail, Bruxelles, 1987, p. 10.

190Dans le domaine de la prévention, le rôle du médecin du travail est nettement plus important. En matière d’écartement temporaire, il est quasiment le seul à procéder au dépistage. Ainsi, en 1984, 811 propositions sur un total de 827, soit 98 %, ont été introduites au Fonds des maladies professionnelles à l’initiative des médecins du travail. Il faut cependant noter que 65 % de ces propositions concernaient la protection de la travailleuse enceinte. En matière d’écartement définitif, son rôle est moindre, puisque les médecins du travail n’ont formulé que 16,3 % des propositions dénombrées en 1984. Sur ce plan, c’est le Fonds des maladies professionnelles qui a formulé les 83,7 % du total des propositions.

191Dans le domaine du reclassement, les médecins du travail remplissent une fonction plus déterminante. En 1984, 44 des 95 reclassements professionnelles, soit 46 %, sont à leur initiative.

Les pouvoirs publics

192L’application de la législation relative aux maladies professionnelles relève de la compétence du Ministère de la Prévoyance sociale. Celui-ci dispose pour procéder aux modifications réglementaires des avis rendus par le comité de gestion du Fonds des maladies professionnelles et par le Conseil national du travail.

193Si le CNT a rendu un avis sur les prévisions budgétaires de la sécurité sociale des travailleurs salariés pour l’exercice 1986 [19] (où il a formulé des remarques sur le secteur des maladies professionnelles), il n’a pas été consulté sur les arrêtés de pouvoirs spéciaux n° 528 et 529 du 31 mars 1987.

194Comme dans les autres secteurs de la protection sociale, les différents changements qui sont intervenus dans l’application de cette législation ont été principalement décidés par le ministre de tutelle dans le cadre des pouvoirs spéciaux confiés au gouvernement et appliqués par arrêtés royaux.

195Le pouvoir politique exerce un contrôle sur l’application de cette législation à travers les services d’inspection de trois ministères : Prévoyance sociale, Emploi et Travail et Affaires économiques ainsi que via les services d’inspection du Fonds des maladies professionnelles.

196Au sein du Ministère de la Prévoyance sociale, l’inspection sociale dépendant de la direction générale de la sécurité sociale a pour mission de contrôler l’application des lois et règlements de la sécurité sociale et de la prévoyance sociale et notamment ceux spécifiques à la réparation des maladies professionnelles.

197L’arrêté royal du 23 avril 1965 précise dans son premier article que la surveillance de l’exécution de la loi du 24 décembre 1963 et des arrêtés d’application est assurée par des fonctionnaires et agents de l’inspection sociale du Ministère de la Prévoyance sociale et que ceux-ci exercent leur attribution en matière de prévention. Cependant, ils n’ont aucune compétence en matière de police du travail. Le contrôle effectué par ces agents relève du domaine administratif (versement des cotisations des employeurs et vérification du respect des procédures d’instruction auprès du Fonds des maladies professionnelles).

198En fait, cette inspection sociale n’a quasiment aucune incidence sur le secteur des maladies professionnelles.

199Au sein du Ministère des Affaires économiques, les services d’inspection de l’Administration des mines exercent une fonction de surveillance sur l’application des dispositions légales et réglementaires relatives aux conditions techniques du travail dans les mines et les établissements de l’industrie sidérurgique. De cette mission devraient découler des effets en matière de santé ou de salubrité dans les mines. Toutefois, les services d’inspection ont en général un impact extrêmement limité. Ainsi, "le procès verbal est rarement utilisé (…), le Pro Justicia est l’objet d’une minutieuse étude par les organes dirigeants de l’administration des mines et (…) la pratique ne permet pas à chaque agent d’exercer une autorité individuelle sur son acte de verbalisation" [20].

200Le Ministère de l’Emploi et du Travail exerce l’action de contrôle la plus tangible en matière de maladies professionnelles essentiellement par le service d’inspection médicale du travail. Cette inspection s’effectue à plusieurs niveaux.

201Il s’agit tout d’abord du contrôle des entreprises, effectué par des visites d’inspection (21.207 pour l’exercice 1985). Ensuite, l’inspection médicale exerce un pouvoir de tutelle sur les services médicaux du travail. A ce niveau, il vérifie la qualification du personnel ainsi que les moyens dont il dispose. Plus spécifiquement, cette inspection est chargée de la prévention des maladies professionnelles. Pour exercer cette mission, les inspecteurs médicaux effectuent des enquêtes. Celles-ci découlent, notamment, de l’obligation faite par le législateur aux médecins du travail de déclarer une affection professionnelle constatée chez un travailleur ou dont l’origine professionnelle est établie ou encore en cas de prédispositions particulières. Le tableau 12 reprend le nombre d’enquêtes effectuées par le service d’inspection médicale du travail en matière de maladies professionnelles de 1981 à 1986.

Tableau 12

Evolution des interventions de l’inspection medicale du travail dans le cadre des maladies professionnelles de 1981 a 1986

Tableau 12
Nature de l’intervention 1981 1982 1983 1984 1985 1986 Déclaration de maladies professionnelles 390 589 444 512 326 332 Ecartement du poste de travail 15 27 24 24 26 7 Cas spéciaux de réparation 1 9 2 4 3 - Total 406 625 470 540 355 339

Evolution des interventions de l’inspection medicale du travail dans le cadre des maladies professionnelles de 1981 a 1986

Source : Ministère de l’Emploi et du Travail ; rapports d’activité de 1981 à 1986 de l’Inspection médicale du travail.

202Par ailleurs, l’activité de l’inspection médicale du travail en matière de reclassement social des handicapés et de la protection des travailleurs et de l’environnement a des répercussions indirectes sur le secteur des maladies professionnelles. Ainsi, les enquêtes relatives aux centres d’orientation professionnelle et de formation professionnelle concernent les victimes d’une maladie professionnelle faisant l’objet d’une mesure d’écartement définitif qui ont entamé un processus de réadaptation professionnelle. Les avis consultatifs donnés dans le cadre de la protection à assurer contre les radiations ionisantes, les agréations accordées aux vendeurs et utilisateurs de pesticides et de produits phytopharmaceutiques rentrent également dans le champ des mesures de prévention à prendre contre les affections professionnelles.

203Enfin, le Fonds des maladies professionnelles dispose d’un groupe d’ingénieurs techniciens qui effectuent des inspections suite à la recevabilité d’une demande en réparation pour laquelle certaines vérifications s’imposent. L’enquête d’usage porte sur l’exposition du travailleur au risque professionnel et son reclassement éventuel à un autre poste. Le contrôle démarre suite à la requête d’un travailleur ou d’un médecin du travail. Il porte sur des dossiers d’indemnisation pour écartement. Ainsi en 1984, ce service d’inspection a examiné 675 dossiers. Pour ce faire, il a procédé à 1.985 visites d’entreprise. Contrairement aux inspecteurs médicaux du travail ou aux services d’inspection de l’Administration des mines, les ingénieurs du Fonds des maladies professionnelles ne dressent pas de procès verbaux. Ils se bornent à faire des recommandations ou des propositions. Lorsqu’ils constatent des infractions à un poste de travail, ils en informent l’inspection technique du travail qui peut, seule, rédiger un procès verbal.

4 – La privatisation avortée

204Depuis sa création, l’assurance contre le risque de maladie professionnelle est gérée par le secteur public. A la veille de ses soixante ans d’existence, la gestion de cette couverture sociale, qui ne représente que 2 % de l’ensemble des prestations délivrées par le régime belge de sécurité sociale au sens large (exercice 1983), a été remise en cause. Au cours du second semestre de l’année 1986, le débat sur la privatisation du secteur des maladies professionnelles devient l’enjeu de ce mode de protection sociale.

205Lors du conclave de Val Duchesse en mai 1986, le gouvernement Martens VI a décidé de revoir le financement du secteur des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ces deux systèmes de réparation devaient être fusionnés en une assurance contre le risque professionnel conclue auprès des assureurs agréés pour le risque d’accident du travail, avec maintien des avantages pour les assurés.

206L’objectif était de supprimer le subside de l’Etat au Fonds des maladies professionnelles (FB 7,2 milliards) à partir de 1987. Ceci est concrétisé dans le budget 1987. Pour mener à bien cette réforme, un groupe de travail comprenant les représentants de la FEB, des compagnies d’assurances, de l’Administration de la Prévoyance sociale, des parastataux concernés ainsi qu’un représentant des ministres du Budget et des Affaires sociales est créé.

207Les travaux de ces experts portent sur la gestion et le financement du nouveau système à mettre en place. Le principe de l’unité d’assurance (accident du travail/maladie professionnelle) auprès du même assureur est retenu. Dorénavant, la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle est introduite auprès de l’assureur de l’employeur actuel ou du dernier employeur. En cas de contestation, un bureau central est créé pour désigner l’assureur compétent. Celui-ci est responsable du traitement du dossier et du paiement de l’indemnité. Le bureau central constitue un fichier de tous les dossiers. Il veille à la sécurité administrative du dossier de la victime en cas de contestation entre les assureurs sur la part d’indemnisation qui leur incombe. Le médecin-conseil de ce bureau central réceptionne les déclarations des médecins du travail.

208Sur le plan de l’organisation administrative du système, il ressort clairement que les assureurs privés se trouvent dans l’incapacité de pouvoir élaborer un système qui puisse fonctionner sans un organisme pivot centralisateur.

209Pour ce qui a trait à l’aggravation du dommage, la mise en place d’un mode de financement basé sur la capitalisation a pour corollaire d’incorporer cette conséquence éventuelle du préjudice dans le calcul du capital. Or, pour procéder à l’estimation d’une aggravation future d’un dommage, il faut disposer de données techniques telle que l’évolution moyenne des pathologies. Mais en Belgique, il n’existe pas, comme nous l’avons déjà signalé précédement, d’études épidémiologiques suffisamment fiables. A fortiori, la dissémination des informations relatives aux affections professionnelles entre une multiplicité d’assureurs a pour conséquence d’accroître les obstacles en matière d’accès à l’information.

210En cas de concours de plusieurs maladies professionnelles, le principe adopté par le Fonds des maladies professionnelles continue à être appliqué. Ainsi, chaque maladie professionnelle fait l’objet d’un dossier spécifique.

211L’écartement du poste du travail reste un point litigieux entre les assureurs et les administrations. Les assureurs considèrent que la décision appartient au médecin-conseil de l’assureur. Pour les administrations, cette procédure ne sauvegarde pas suffisamment les droits de la victime.

212En matière d’expertises médicales, l’administration ne partage pas non plus le point de vue des assureurs. Ceux-ci estiment que la fixation du taux d’incapacité relève de la compétence des médecins-conseil des assureurs. Or, pour le Fonds des maladies professionnelles, selon son expérience, il apparaît que la complexité médicale des maladies professionnelles requiert une collaboration interdisciplinaire, d’importants moyens techniques pour examiner les pathologies, l’établissement de critères médicaux et techniques permanents (tâches du conseil technique), etc.

213Au niveau du financement, les assureurs privés défendent l’idée d’une prime individualisée par entreprise rompant, ainsi, avec les techniques de cotisations des assurances sociales retenues dans la loi du 24 décembre 1963 et les mécanismes de régulation des caractéristiques d’une affection professionnelle (exposition au risque chez plusieurs employeurs durant différentes périodes avec une intensité différente). L’administration met en évidence les difficultés qui vont naître d’un tel mécanisme de financement en arguant du fait que la manifestation de la pathologie après une période indéterminée postérieure à l’exposition au risque empêche de déterminer la responsabilité individuelle de tel ou tel employeur et que l’effet préventif des primes est nul sur les expositions antérieures. De plus, pour l’administration, ce système sécrétera des effets pervers, tel celui d’exclure du marché du travail tous ceux qui ont auparavant exercé une activité de mineur, boulanger, etc.

214Enfin, aucun consensus n’a pu être dégagé entre les pouvoirs publics et les assureurs privés, à propos de la détermination des tâches restant à attribuer au Fonds des maladies professionnelles dans l’hypothèse d’une privatisation du secteur.

215Devant la multiplicité des difficultés techniques liées à l’organisation de la réparation du dommage consécutif à une maladie professionnelle et la complexité engendrée par ces pathologies, tant sur le plan juridique que médical, et compte tenu des charges élevées à faire supporter par les employeurs pour instaurer un mode de financement reposant sur la capitalisation, le projet de privatisation a été abandonné.

216Le système de gestion publique souvent critiqué pour sa bureaucratie et sa lenteur administrative en matière de prise de décision se révèle, par ailleurs, le moins coûteux. On estime généralement que les frais d’administration de l’assurance contre le risque d’accident du travail représente 30 % des prestations délivrées. Dans le cadre des maladies professionnelles, ces charges sont sept fois moindre.

217Si la privatisation des maladies professionnelles avait abouti, la Belgique se serait distinguée au niveau européen. A cette échelle, tous les systèmes de réparation du risque professionnel sont publics. La Belgique est le seul pays où les accidents du travail sont gérés par le privé.

218On constate un double mouvement : d’une part, le champ d’application de la législation est élargie, depuis le 1er janvier 1987, aux administrations locales et provinciales ; d’autre part le subside de l’Etat a été supprimé.

219Ce scénario de privatisation est la première passe d’armes dans le cadre de la protection sociale entre les tenants des deux courants idéologiques représentés au sein du gouvernement : le courant néo-libéral et le courant social-démocrate.

220Depuis la constitution de notre régime de sécurité sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale, le mouvement social a toujours été le dynamiseur du système. Avec la crise économique, les organisations représentatives des travailleurs ont été confinées dans un rôle défensif des acquis sociaux. Aujourd’hui, le courant néo-libéral prend l’initiative pour renverser ces acquis sociaux. Face à cette nouvelle donnée politique, le courant social-démocrate s’est repositionné et a adopté une stratégie d’expertises.

221En conformité avec le mode de gestion de l’Etat belge basé sur le compromis, en cette matière la tradition a été respectée. L’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987 privatise davantage le secteur des accidents du travail et renforce le pouvoir de contrôle du Fonds des accidents du travail.

222Ainsi, dans le domaine des accidents du travail, les assureurs privés assureront toute la gestion financière du système de réparation à partir du 1er janvier 1988.

223Le renforcement de la position du Fonds des maladies professionnelles tranche avec la réduction des compétences du FAT en ce qui concerne l’indemnisation du dommage.

Conclusions

224La construction de notre modèle de protection sociale repose sur une logique de réparation basée sur des pratiques assurantielles.

225A aucun moment, le dommage réel n’est réparé. Toutes les évaluations en vue d’estimer la perte de revenu repose sur des expertises médicales à propos desquelles il y a lieu de s’interroger (accidents du travail/maladies professionnelles) et des calculs actuariels élaborés au départ d’une moyenne d’espérance de vie. Or, la vie de chacun est rarement la moyenne de la vie des autres. A fortiori, le système de réparation est d’autant plus inéquitable que la réparation est forfaitaire.

226Au XIXème siècle, le risque professionnel ne faisait pas l’objet d’une réparation spécifique. On appliquait le droit commun et on accordait à la victime une réparation dite "intégrale" de son dommage. L’accès à cette réparation était souvent inaccessible car la victime devait prouver l’existence d’un lien de causalité entre son dommage et la faute commise par son employeur. Le vote de la loi sur les accidents du travail en 1903 supprime cet obstacle. En compensation, la réparation devient forfaitaire. Ainsi, le risque d’accident du travail n’est réparé que partiellement.

227Lorsqu’en 1927, la première loi sur les maladies professionnelles, inspirée de celle de 1903, est votée, le système de la réparation forfaitaire est couplé avec celui de la liste. A ce moment, une injustice sociale flagrante est commise. La pneumoconiose du mineur est exclue des affections indemnisables. Il faut attendre 1964, c’est-à-dire un moment bien engagé du processus de fermeture des mines, pour qu’une nouvelle loi corrige cette inéquité.

228Au début de cette décennie, les gouvernements successifs ont pris des mesures pour maîtriser les dépenses de cette couverture sociale. Une volonté de privatisation du secteur s’est faite jour, mais elle n’a pas abouti (une plus grande privatisation du secteur des accidents du travail étant par contre obtenue).

229Ne doit-on pas s’interroger sur les conséquences de cette privatisation avortée ?

230Le premier axe concerne la prévention. Les efforts réalisés depuis 1970 ont permis de déployer progressivement une stratégie collective par rapport à une démarche individuelle. Le vaccin contre l’hépatite virale B démontre à suffisance la validité d’une telle entreprise. Sans doute n’existait-il pas d’autre champ d’action aussi démonstratif que celui de l’hépatite virale. Pourtant, c’est en fonction de cette logique d’action que les gestionnaies du Fonds des maladies professionnelles doivent orienter leurs initiatives. La loi du 1er août 1985 est à cet égard encourageante.

231Le deuxième axe concerne le système de la liste des maladies professionnelles. Aujourd’hui, l’extension de cette liste est soumise aux contraintes économiques. De nouveaux coûts ne peuvent être envisagés. Pourtant un problème d’équité se pose. Il y a vingt ans déjà que la République fédérale d’Allemagne a incorporé dans sa législation le système de la liste mixte, c’est-à-dire celui de la liste des maladies professionnelles couplée avec la reconnaissance d’une affection après établissement de la preuve de l’origine professionnelle de celle-ci.

232Le renforcement des techniques de dépistage s’inscrit également dans cette perspective d’une plus juste réparation du risque professionnel.

233A ce stade de la réflexion, il y a lieu de se pencher sur l’étude d’affections nouvelles produites par notre mode de production post-industriel et ses mutations technologiques. Certaines maladies psychosomatiques, cardio-vasculaires, voire mentales, ne sont-elles pas engendrées par une forme de stress professionnel ?

234Le troisième axe s’oriente vers une approche globale de la réparation du dommage. Comment dissocier du risque professionnel, la réparation des préjudices subis par les habitants de Seveso, Bopal, Tchernobyl, etc. ? Pour les travailleurs enfermés dans l’enclos de leur lieu de travail, il y aurait une réparation automatique forfaitaire et pour les habitants avoisinants ces lieux d’activité industrielle, il y aurait un autre mode de réparation, lorsqu’il existe. Ce constat fait émerger le caractère quelque peu absurde des clivages spécifiques du champ de la réparation du dommage.

235Aujourd’hui le risque professionnel est confiné à l’intra-muros du lieu de la production. Or, les répercussions de la production industrielle produisent les mêmes dommages, ou des dommages comparables, à l’extérieur du lieu de l’activité professionnelle.

236Ainsi, à dommage identique produit par un même risque, on obtient une réparation distincte sur base d’un découpage intra/extra-muros. Les juristes rétorqueront que le travailleur victime d’un risque professionnel est lié contractuellement à l’entreprise qui l’occupe, tandis que les autres victimes avoisinants le lieu du risque ne le sont pas. Pourtant, les habitants proches de ces lieux de production industrielle dépendent directement ou indirectement du rapport contractuel entre ce travailleur et son employeur. Par ailleurs, peut-on envisager que ce rapport contractuel puisse s’exécuter sans l’environnement familial, commercial, administratif, etc., du lieu de la production. Celui-ci se serait-il implanté à cet endroit sans cette infrastructure ?

237Ces déterminismes socio-économiques devraient logiquement aboutir à une réflexion sur l’étendue du risque professionnel et ses répercussions directes et indirectes dans notre société. Ce cheminement devrait faire émerger une nouvelle logique sociétale de réparation du préjudice subi recomposant le dommage clivé d’aujourd’hui.


Annexe 1

Liste des maladies professionnelles

238AR du 28 mars 1969 (MB du 4 avril 1969) (Erratum MB 24 avril 1969) ; AR du 28 mai 1969 (MB du 3 juin 1969) ; AR du 10 juillet 1973 (MB du 23 août 1973) ; AR du 26 juin 1979 (MB du 25 août 1979).

Maladies professionnelles provoquees par les agents chimiques suivants

239Arsenic ou ses composés ; béryllium (glucinium) ou ses composés ; oxyde de carbone ; oxychlorure de carbone ; acide cyanhydrique ; cyanures ; composés du cyanogène ; cadmium ou ses composés ; chrome ou ses composés ; mercure ou ses composés ; manganèse ou ses composés ; acide nitrique ; oxydes d’azote ; ammoniaque ; nickel ou ses composés ; phosphore ou ses composés ; plomb ou ses composés ; anhydride sulfureux ; acide sulfurique ; hydrogène sulfuré ; sulfure de carbone ; thallium ou ses composés ; vanadium ou ses composés ; chlore et ses composes inorganiques ; brome et ses composés inorganiques ; iode et ses composes inorganiques ; fluor ou ses composés ; hydrocarbures aliphatiques ou alicycliques constituants de l’éther de pétrole et de l’essence ; dérivés halogènes des hydrocarbures aliphatiques ou alicycliques ; alcools et leurs dérivés halogènes ; glycols et leurs dérivés halogènes ; ethers et leurs dérivés halogènes ; cétones et leurs dérivés halogènes ; esters organiques et leurs dérivés halogènes ; acides organiques ; aldéhydes et y compris leurs dérivés amidiques ; méthanal (formaldéhyde) ; nitrodérivés aliphatiques ; esters de l’acide nitrique ; benzène ou ses homologues ; naphtalènes ou leurs homologues ; dérivés halogènes des hydrocarbures aromatiques ; phénols ou homologues ou leurs dérivés halogènes ; thiophénols ou homologues ou leurs dérivés halogènes ; naphtols ou homologues ou leurs dérivés halogènes ; dérivés halogènes des alkylaryl-oxydes ; dérivés halogènes des alkylaryl-sulfures ; benzoquinone ; aminés aromatiques ou hydrazines aromatiques ou leurs dérivés halogènes, phénoliques, nitrosés, nitrés ou sulfonés ; nitrodérivés des hydrocarbures aromatiques ; nitrodérivés des phénols ou de leurs homologues ; hydrocarbures aliphatiques autres que les constituants de l’éther de pétrole et de l’essence ; aminés aliphatiques ; vinylbenzène (styrène) ; Terpènes.

Maladies professionnelles de la peau causees par des substances et agents non compris sous d’autres positions

240Affections cutanées et cancers cutanés dus : à la suie ; au goudron ; au bitume ; au brai ; à l’anthracène ou ses composés ; aux huiles minérales ; a la paraffine brute ou aux composés de la paraffine ; au carbozal ou ses composés ; aux sous-produits de la distillation de la houille.

241Affections cutanées provoquées dans le milieu professionnel par des substances non considérées sous d’autres positions.

Maladies professionnelles provoquees par l’inhalation de substances et agents non compris sous d’autres positions

242Pneumoconioses : silicose ; silicose associée à la tuberculose pulmonaire ; asbestose ; asbestose associée à la tuberculose pulmonaire ; asbestose associée à un cancer du poumon ; pneumoconioses dues aux poussières de silicates.

243Affections broncho-pulmonaires dues aux poussières ou fumées d’aluminium ou de ses composés ; affections broncho-pulmonaires dues aux poussières de métaux durs ; affections broncho-pulmonaires causées par les poussières de scories Thomas ; troubles respiratoires de caractère allergique provoqués dans le milieu professionnel par les bois de teck et de kamballa ; farinose ; troubles respiratoires de caractère allergique provoqués dans le milieu professionnel par les antibiotiques ; troubles respiratoires de caractère allergique provoqués dans le milieu professionnel par les enzymes protéolytiques ; maladies pulmonaires provoquées par l’inhalation de poussières de coton, de lin, de chanvre, de jute, de sisal et de bagasse.

Maladies professionnelles infectieuses et parasitaires

244Maladies parasitaires : ankylostomiase ; anguillule de l’intestin (Strongyloides stercaralis).

245Maladies tropicales : paludisme ; ambiase ; trypanosomiase ; dengue ; fièvre à pappataci ; fièvre de Malte ; fièvre récurrente ; fièvre jaune ; peste ; leischmaniose ; pian ; lèpre ; typhus exanthématique ; autres rickettsioses.

246Maladies infectieuses ou parasitaires transmises à l’homme par des animaux ou débris d’animaux ; tétanos ; tuberculose et hépatite virale du personnel s’occupant de prévention, soins, assistance à domicile ou travaux de laboratoire ; autres maladies infectieuses du personnel s’occupant de prévention, soins, assistance à domicile ou travaux de laboratoire.

Maladies professionnelles provoquees par des agents physiques

247Maladies provoquées par les radiations ionisantes ; cataracte provoquée par le rayonnement thermique ; hypoacousie ou surdité provoquée par le bruit ; affections provoquées par la compression ou la décompression atmosphérique ; maladies ostéo-articulaires ou angio-neurotiques provoquées par les vibrations mécaniques ; nystagmus des mineurs.

Notes

  • [1]
    Etienne Arcq, La réparation des accidents du travail, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1171-1172, 1987 ; Henri Lewalle, Les pensions légales et complémentaires, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1131-1132, 7 novembre 1986 ; Ph. Defeyt et P. Reman, Les interlocuteurs sociaux face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1103-1104, 20 décembre 1985 ; Ph. Defeyt et P. Reman, Les partis politiques face à la réforme de la sécurité sociale, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 1041-1042, 25 mai 1984 ; M. Carlier, La génèse de l’Assurance-Maladie-Invalidité obligatoire en Belgique, Courrier Hebdomadaire du CRISP No 872-873, 14 mars 1980 ; La sécurité sociale, Dossier du CRISP No 19, janvier 1984.
  • [2]
    François Ewald, L’Etat Providence, Ed. Grasset, Paris, 1986, p. 396.
  • [3]
    R. Sand, Vers la médecine sociale, Liège, 1948, p. 321.
  • [4]
    J.P. Leguay, Accidents du travail et maladie professionnelle au Moyen Age, in L’information historique, No 43, Ed. Masson, Paris, 1981, pp. 223 à 233.
  • [5]
    A ce propos, Jacques Moins écrit dans un article intitulé La réforme du régime des maladies professionnelles en Belgique, paru dans la Revue générale des assurances - RGAR (1963, No 7284) : "Le parlement italien a cherché à pallier la carence de la législation belge par une mesure transitoire dans l’attente de voir la Belgique reconnaître la pneumoconiose comme maladie professionnelle. Ainsi, ce parlement vota une loi le 27 juillet 1962 pour étendre le bénéfice de la loi du 12 avril 1943 aux travailleurs atteints de pneumoconiose, associée ou non à d’autres formes morbides, contractée dans les charbonnages de Belgique et rapatriés". (J.O. de la République Italienne 1963 - No 202)".
  • [6]
    A côté de l’assurance obligatoire, la loi du 24 décembre 1963 institue le principe de l’assurance libre. Celui-ci ne sera jamais appliqué. Des difficultés importantes apparurent, en effet, pour calculer le montant des cotisations. Ainsi, les travailleurs indépendants qui constituaient la population ciblée par cette couverture ne purent jamais y souscrire.
  • [7]
    J. Viaene, Principe de la réforme de la loi sur les maladies professionnelles, Revue belge de sécurité sociale, mai 1964, p. 831.
  • [8]
    La liste des maladies professionnelles figure en annexe.
  • [9]
    "Pour autant qu’ils fixent l’importance du dommage, les barêmes médicaux du Fonds des maladies professionnelles ne diffèrent en rien des autres barêmes nationaux et étrangers. Ils ont été conçus et élaborés de la même manière. Les critiques formulées dans la littérature au sujet de ces barêmes sont par conséquent également applicables aux barêmes du Fonds des maladies professionnelles. C’est précisément parce qu’aucun de ces instruments médicaux n’a de valeur scientifique que personne ne réussira jamais à en faire un instrument rationnel pour une évaluation économique concrète. Il s’agit en fait de mystifications forfaitaires, qui ne sont admises qu’en raison de leur apparente valeur médicale", J. Viaene, L’assurance contre les maladies professionnelles en mutation, Revue belge de sécurité sociale, mars 1982, p. 235 (note 43).
  • [10]
    La victime perçoit une indemnité pour chaque journée calendrier. La limite du taux de l’indemnité fixée à 90 % exprime l’intention du législateur d’inciter la victime à reprendre son activité professionnelle dès que son état le permet.
  • [11]
    Au 1er janvier 1987, le plancher du salaire de base s’élevait à 155.226 frs et le plafond à 776.130 frs.
  • [12]
    J. Viaene, op. cit., p. 227.
  • [13]
    J. Viaene, op. cit., p. 239.
  • [14]
    Sur ce point précis, voir D. Lahaye, médecin conseil du Fonds des maladies professionnelles, C. Baleux, P. Strauss et W. Van Ganse, Cost benefit analysis of hepatitis-B vaccination, in Lancet, 22 août 1987, pp. 441-442.
  • [15]
    D. Lahaye, La prévention des maladies professionnelles, Revue belge de sécurité sociale, janvier 1981, p. 100.
  • [16]
    Arthur Thyré, A quand une conception d’ensemble pour la prévention, la réparation et la réadaptation des risques d’origine professionnelle, CMB Inform., juin 1986, p. 8.
  • [17]
    Par exemple en 1986, l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes a facturé au Fonds des maladies professionnelles quelque 73 millions de prestations en indemnités à titre provisionnel. Pour- mémoire, l’ANMC compte 4,5 millions d’affiliés.
  • [18]
    Rapport général de l’Administration de l’hygiène et de la médecine du travail, in 20 ans de médecine du travail, publication collective, Ed. du Commissariat général à la protection du travail, Bruxelles, 1987, p. 12.
  • [19]
    CNT avis No 837, séance du 25 mars 1987, p. 20.
  • [20]
    André Nayer, Les inspections sociales en Belgique, Ed. Vie ouvrière, Bruxelles, 1980, p. 432.
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