Notes
-
[1]
Fabrimétal fut associée à ces pourparlers par l’intermédiaire de celui qui allait devenir son directeur général, Georges Velter.
-
[2]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1947, p.10.
-
[3]
Cité par J. Deprimoz in Les salaires et le niveau de vie ouvrier en Belgique – 1936-1951, Paris, 1954, p. 54.
-
[4]
Procès-verbal de la séance du Conseil d’administration du 13 novembre 1946.
-
[5]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1946, pp. 21- 22.
-
[6]
V. Féaux, "Le délégué syndical de la métallurgie", Revue de Sociologie de l’U.L.B., 1965, n° 4, p. 693.
-
[7]
Bulletin hebdomadaire de Fabrimétal du 15 mars 1954, p. 194.
-
[8]
G. Velter, "Grèves", Editorial in Bulletin hebdomadaire du 24 mai. 1952, p. 376.
-
[9]
C.M.B, Rapport annuel et financier, 1954-1956, p. 130.
-
[10]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1960, p. 31.
-
[11]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1960, p. 27.
-
[12]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1961.
-
[13]
G. Spitaels, L’année sociale 1964, Editions de l’Institut de Sociologie de l’U.L.B., Bruxelles 1965, p. 204.
-
[14]
La revendication concernant le paiement des trois jours de carence en cas de maladie a été abandonnée par la C.M.B.
-
[15]
R. Javaux, "Relations humaines et organiques en métallurgie", Rapport présenté au Congrès de la C.C.M.B. des 28 et 29 mai 1960, pp. 14-15. René Javaux était secrétaire général de la C.C.M.B. à cette époque.
II – ACTIVITES ET POSITIONS DE FABRIMETAL EN MATIÈRE SOCIALE
1L’histoire des rapports entre organisations patronales et ouvrières dans les années d’après-guerre porte la marque du projet d’accord de solidarité sociale de 1944. Ce "pacte social", élaboré pendant la guerre, fut l’aboutissement de nombreux pourparlers entre représentants du monde patronal et des organisations ouvrières [1]. Il envisageait les relations collectives du travail sous un angle nouveau, celui de la "collaboration paritaire", destinée à réduire le nombre des conflits de travail.
2Dans l’esprit des représentants patronaux, il ne s’agissait plus pour un patron de résoudre les problèmes sociaux auxquels était confrontée son entreprise, de manière individuelle, mais bien de s’inscrire dans un système de relations collectives dont une des principales caractéristiques est qu’elle renforce le rôle des organisations professionnelles.
3Le rôle que se fixa Fabrimétal dans le domaine social était quadruple :
"Tout d’abord, énoncer une politique générale, une doctrine. Par une action persévérante, avec le concours des associations régionales, grâce à une interpénétration plus soutenue des rouages nationaux et locaux, notre façon de voir le problème social doit être plus généralement répandue et former une ambiance plus caractéristique de notre milieu professionnel.
Ensuite, nous devons assurer, sur le plan général, comme sur le plan particulier, la représentation et la défense des intérêts patronaux. La multiplicité des organismes officiels, officieux et privés où se discutent ces intérêts est telle qu’elle nécessite une solide organisation et le concours d’un grand nombre de délégués ayant une réelle valeur.
En troisième lieu, nous devons imposer aux affiliés un minimum de discipline collective. Il ne suffit pas d’avoir des conceptions communes : il faut suivre les mots d’ordre qui en découlent. Nous pensons à cet égard, qu’un gros effort de persuasion et de bonne volonté s’impose.
Enfin, l’application de la législation sociale assigne au groupement un rôle extrêmement important d’information et d’aide matérielle. C’est le compartiment où nous rendons service à nos affiliés, où nous les aidons à bien faire et où simultanément, nous faisons la preuve de notre bon vouloir patronal à l’égard des travailleurs." [2]
1 – Les organisations syndicales représentées dans l’industrie métallurgique
5Ces organisations sont au nombre de trois dans l’industrie des fabrications métalliques. La F.G.T.B. y est présente par la Centrale des Métallurgistes de Belgique (C.M.B.), la C.S.C., par la Centrale chrétienne des Métallurgistes de Belgique (C.C.M.B.). On compte également des représentants de la Centrale générale des Syndicats libéraux de Belgique (C.G.S.L.B.). Pour la C.M.B. et la C.C.M.B., il existe donc une centrale unique pour toute l’industrie métallurgique (sidérurgie, construction métallique, électrique et mécanique, construction navale, industrie des métaux non-ferreux, secteurs connexes).
6La C.M.B. est la centrale la plus puissante, quoiqu’on constate une très nette progression de la C.C.M.B. tout au long de la période étudiée, progression qui est d’allieurs générale pour toute la C.S.C. et n’est pas propre à l’industrie métallurgique. On constate cependant des différences selon les régions, la C.C.M.B. obtenant ses meilleurs résultats dans les provinces flamandes et les régions de Liège et de Charleroi étant de véritables bastions de la C.M.B. La Fédération des métallurgistes de la province de Liège exerce une forte influence au sein de la C.M.B.
2 – Le cadre institutionnel
7Les négociations sectorielles se déroulent au sein des Commissions paritaires des différents secteurs de la métallurgie. Du côté patronal siègent des représentants de Fabrimétal ; du côté des travailleurs, des représentants de la C.M.B., de la C.C.M.B. et de la C.G.S.L.B. Au niveau national interprofessionnel, les dirigeants syndicaux et les représentants des employeurs se réunissaient en Conseil paritaire général. Cet organisme officieux, créé au lendemain de la guerre examinait principalement les problèmes que soule-aient les décisions des Commissions paritaires quand elle concernaient l’ensemble de l’industrie. En 1952, le Conseil paritaire général a fait place à un organisme officiel, le Conseil national du Travail dont le rôle essentiel est de donner des avis aux chambres ou au pouvoir exécutif sur les problèmes sociaux d’ordre général.
8Dans l’immédiat après-guerre, le gouvernement a réuni également à plusieurs reprises des Conférences nationales du Travail afin de prendre des décisions concernant des innovations importantes dans le domaine social et dont certaines impliquaient l’intervention ultérieure du Parlement. Les principales décisions prises lors de ces Conférences nationales du Travail concernaient la politique des prix et des salaires. Après 1948, le gouvernement n’a plus convoqué de Conférence nationale du Travail. L’opposition croissante du patronat face à cette institution qui mettait tout le pays en effervescence et dont les résultats étaient le plus souvent très favorables aux travailleurs explique ce choix, tout autant que le fait que l’on s’attendait à un bon fonctionnement des organes créés par la loi du 20 septembre 1948 portant sur l’organisation de l’économie.
3 – Les salaires
9Parmi les préoccupations sociales de Fabrimétal, il en est une que l’on rencontre de manière constante, il s’agit des revendications salariales.
10En 1946, au lendemain de la création de Fabrimétal, on trouvait des situations des plus diverses en matière de salaires dans l’industrie des fabrications métalliques. Les décisions prises par les Conférences nationales du Travail successives et par la Commission paritaire visant à fixer le niveau des salaires n’ont pas été respectées. Il ressort d’un rapport publié en 1947 par L.E. Troclet, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, que 75 % des demandes d’augmentations de salaires provennaient de chefs d’entreprises soucieux d’honorer les commandes qui leur étaient faites [3]. Fabrimétal éprouvait donc de grandes difficultés à faire respecter la discipline. Les consignes du Conseil d’administration à ses délégués en Commission paritaire étaient de demeurer opposés à toute hausse de salaires mais cela fut peu efficace car les entreprises procédaient malgré tout à des ajustements. La situation était d’autant plus grave pour la fédération que même les associations régionales se mettaient à faire des démarches pour obtenir des hausses de salaires. Ainsi, dans une lettre du 6 novembre 1946, adressée à Fabrimétal, le ministre du Travail, L.E. Troclet se plaignait de ce que la plupart des demandes de dérogations que son Cabinet devait examiner, concernait l’industrie de la construction mécanique [4].
11Afin d’y mettre fin, le Conseil d’administration de Fabrimétal décida le 13 novembre d’écrire au ministre L.E. Troclet pour demander le blocage des salaires dans l’industrie des fabrications métalliques et donna mandat à G. Velter de réunir les directeurs des associations régionales pour essayer de trouver une formule qui soit de nature à mettre de l’ordre dans le problème des rémunérations.
12Le blocage réclamé par Fabrimétal fut décrété pour toute l’industrie le 31 décembre 1946 par le Premier ministre C. Huysmans et demeura en vigueur jusqu’à la 7è Conférence nationale du Travail des 16 et 17 juin 1947. L’industrie belge a donc bénéficié de six mois de répit au cours desquels elle a pu se réorganiser. Malgré cela la situation est restée toujours instable en fabrication métallique.
13Par ailleurs, le Comité de direction fut confronté, dans les derniers mois de 1947, à la revendication, originaire du secteur de la sidérurgie, de primes à l’assiduité, destinées à réduire l’absentéisme. La distribution, très inégale selon les régions, des pratiques d’absentéisme rendit difficile une prise de position par les représentants de Fabrimétal. Ils souhaitaient soit que l’on discute de cette prime dans chaque entreprise, soit que le débat eût lieu au niveau de la F.I.B. et du gouvernement.
14La fédération était embarassée par le manque de discipline des affiliés en matière de salaire. La cohésion fit défaut et une mesure défavorable à un grand nombre d’entreprises risquait d’accentuer le manque de solidarité voire de provoquer des désaffiliations. Finalement, devant l’insistance des syndicats, la prime fut accordée et ne tarda pas, contrairement aux prévisions patronales, à donner des résultats favorables à toute l’industrie.
15En 1948, les revendications concernant le relèvement des minima des salaires se heurtèrent à une opposition catégorique du patronat selon lequel, une hausse des minima en métallurgie provoquerait une augmentation générale des salaires. La sidérurgie et les fabrications métalliques se trouvant déjà parmi les industries dont les salaires étaient les plus élevés, cette hausse augmenterait la disparité des salaires dans le pays et aurait pour conséquence de relever les salaires de toute la Belgique. Face au refus patronal, les deux grandes centrales des métallurgistes déclenchèrent une grève générale, inégalement suivie, qui dura du 16 au 22 juin. Cette grève fut finalement un échec pour les travailleurs qui obtinrent seulement l’incorporation de la prime d’assiduité dans le salaire et le maintien d’une taxe à l’exportation dont le produit était destiné à des fins sociales.
16Depuis 1948, il était question d’établir une liaison entre les salaires et l’index des prix de détail. Jusqu’en 1950, ce besoin ne se fit pas sentir de manière pressante dans l’industrie des fabrications métalliques car le niveau des prix et des salaires restait relativement stable. Cependant, la spéculation engendrée à partir de juin 1950 par la guerre de Corée, provoqua des hausses de prix se traduisant par une brusque montée de l’index accompagnée d’une recrudescence de l’agitation sociale. C’est pourquoi les négociateurs patronaux et syndicaux se déclarèrent d’accord pour admettre le principe d’une convention liant les salaires à l’index des prix de détail de manière à assurer un minimum de stabilité aux relations sociales. A la suite de longues discussions entre les instances régionales de Fabrimétal et les organisations syndicales, la convention fut signée en Commission paritaire le 21 février 1951. L’accord instaurait la liaison automatique des salaires à l’index des prix de détail et accordait aux ouvriers une prime pour compenser la hausse des prix survenue au cours de l’été 1950.
17Cette convention entre patrons et syndicats marqua une nouvelle étape dans le système des relations de travail de l’après-guerre. L’accord signé en 1951 concernait uniquement la fixation des salaires mais le principe de la convention allait se développer et aboutir aux grandes conventions de programmation sociale des années’60 dont certaines englobaient l’ensemble des problèmes sociaux. Fabrimétal voyait d’une manière favorable l’application d’un tel système s’il pouvait apporter une plus grande stabilité sur le plan des relations sociales. Mais cette satisfaction s’accompagnait de la crainte de voir les organisations syndicales ne pas respecter l’accord.
18Il fut fait appel à la discipline des chefs d’entreprises pour empêcher les hausses individuelles. La liaison des salaires à l’index impliquait pour les industries une majoration de leurs prix de revient qui ne pouvait être compensée que par un accroissement de la productivité. Fabrimétal demanda donc aux patrons d’informer leurs ouvriers afin que ceux-ci fournissent l’effort requis pour éviter que l’industrie belge ne fût supplantée par ses concurrents. Fabrimétal considérait, en effet, que le moment était mal choisi pour imposer à l’industrie des fabrications métalliques cette hausse des prix de revient.
19Au cours des années suivantes, la situation des salaires fut relativement stable, bien que naquirent des revendications dans certaines entreprises importantes pour obtenir des primes ou des augmentations supplémentaires. Les grèves qui éclatèrent à la suite de ces revendications posèrent de graves problèmes à la fédération qui désirait que les entreprises restent solidaires. Bien souvent, une entreprise isolée devait supporter tout le poids des responsabilités patronales. Il est difficile de déterminer quels sont les moyens qui furent utilisés par Fabrimétal pour aider une entreprise qui devait résister seule à des revendications qui risquaient de s’étendre à toute l’industrie. Il est probable que dans des cas pareils, la solidarité entre entreprises jouait et que les commandes d’une entreprise importante qui connaissait des "difficultés" de ce type étaient reprises par d’autres avec des accords de réalisation sur ces commandes. D’autre part, Fabrimétal a pris des mesures destinées à soutenir les entreprises afin qu’elles ne cèdent pas. Ainsi, en 1953, fut constitué un Fonds de solidarité ayant pour but d’aider les entreprises confrontées à des conflits sociaux.
20Jusqu’en 1960, les salaires continuèrent à être fixés par convention liant ceux-ci à l’index des prix. A partir de 1960 et pour tout le reste de la période sous revue furent conclus des accords nationaux ou régionaux de programmation sociale dans lesquels des dispositions étaient prises pour fixer les hausses de salaires.
4 – Les réformes de structure
21La loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie a instauré des organes consultatifs à compétence économique au niveau de l’entreprise (conseil d’entreprise), du secteur (conseil professionnel) et du pays (Conseil central de l’économie). En marge de cette réforme, la reconnaissance syndicale a donné naissance aux statuts des délégations syndicales. Pendant toute la période de préparation et d’adaptation de ces réformes de structure, la fédération s’en tint aux résolutions de respect mutuel et de reconnaissance réciproque des droits et des devoirs contenues dans le Pacte social qui avait donné naissance à cette législation. Elle estimait qu’il incombait au patronat de montrer le bon exemple :
Cet extrait du Rapport annuel de 1946 montre la prise en compte d’un progrès social inéluctable à la promotion duquel le patronat croyait devoir s’associer dans la mesure où il voulait en tirer profit."Nous savons que cette formidable innovation (les réformes de structure) a fait naître bien des craintes. D’aucuns croient qu’elle est l’amorce d’une plus ou moins prochaine révolution. D’autres estiment qu’elle aura pour première, conséquence d’entraver la production au lieu de la stimuler. Aux uns et aux autres nous répondons qu’il faut faire confiance à la sagesse des hommes. De toute manière, à la condition d’être sainement conçue par le législateur, la réforme correspond à l’évolution des esprits. S’y opposer serait faire preuve d’incompréhension. Mieux vaut s’y engager délibérément, sans vaine appréhension, mais aussi avec la ferme volonté qu’elle devienne un élément de progrès moral et matériel.
A cet égard, une grande part de la réussite ou de l’échec incombera au patronat lui-même.
Mieux préparé que les travailleurs, il lui appartiendra dès le début, par son attitude et par la valeur des contributions positives qu’il mettra dans le plateau de la collaboration, de montrer le chemin à suivre. Nul doute que les travailleurs seront sensibles à ce loyal effort d’instruction et d’émancipation que leur apportera le patronat." [5]
a – Les délégations syndicales
22Les auteurs du projet d’accord de solidarité sociale de 1944 avaient développé l’idée de créer des délégations syndicales destinées à défendre les droits des travailleurs au sein de l’usine et aptes à traiter toutes questions ayant trait à l’organisation du travail, à la discipline ou à la prévention des conflits collectifs au sein de l’entreprise.
23On sait que les compétences de ces "délégations" furent réparties entre d’une part, la délégation syndicale d’entreprise, agence de négociation et d’autre part le conseil d’entreprise, organe consultatif.
24L’accord conclu au niveau interprofessionnel entre patrons et syndicats lors de la Conférence nationale du Travail des 15 et 16 juin 1947 définissait les principes généraux du statut des délégations syndicales, et donnait pour mission aux Commissions paritaires d’élaborer, sur ces bases, des conventions pour chaque branche d’industrie. C’est dans les derniers mois de 1947 qu’une convention collective fut signée en Commission paritaire par les représentants de Fabrimétal et des organisations syndicales réglant le statut des délégations syndicales du personnel ouvrier. Cette convention définissait le rôle des délégations syndicales de manière précise.
25Pour les entreprises de fabrications métalliques, la reconnaissance syndicale se traduisit par l’instauration de délégation syndicale dans les entreprises occupant plus de 50 ouvriers. Il semble que la situation fut différente dans les petites entreprises, familiales, plus enclines à entretenir des relations de type paternalistes avec leurs ouvriers et ne voulant pas entendre parler de syndicat. Les négociations à ce niveau étaient rendues d’autant plus difficiles que les délégations du personnel n’étaient pas obligatoires dans de telles entreprises.
26Tout au long des négociations qui ont mené à la convention instituant les délégations syndicales, Fabrimétal était tout à fait favorable à leur création. La seule crainte émise par Fabrimétal était que le rôle des organes de collaboration qui allaient être créés, les conseils d’entreprise et les comités de sécurité et d’hygiène, fût déplacé pour être attribue aux organes de négociation que sont les délégations syndicales.
27Les deux grandes organisations syndicales concevaient la délégation syndicale de manière différente. L’enquête de Valmy Féaux [6] révéla que les délégués C.S.C. avaient une plus grande tendance à considérer la délégation syndicale à la fois comme organe de revendication et de conciliation. Les délégués F.G.T.B. restaient, par contre, attachés à l’idée de combat au sein de l’entreprise et percevaient la délégation syndicale principalement comme un organe de combat.
28Les délégations à majorité F.G.T.B. allaient poser certains problèmes aux dirigeants de Fabrimétal car elles avaient tendance à se mettre en grève sans passer par les procédures de conciliation. Ceci déclencha le mécontentement de chefs d’entreprises pour qui l’instauration des délégations syndicales devait permettre de concilier les litiges à l’intérieur de l’entreprise. Il est ressorti souvent dans de tels cas que l’organisation syndicale ne contrôlait pas la base. Les chefs d’entreprises reconnaissaient cependant qu’au fil des années les délégations syndicales étaient mieux encadrées par leur organisation et que ces difficultés tendaient à diminuer sans toutefois disparaître complètement. En définitive, l’instauration des délégations syndicales apparaissait de l’avis des deux parties, comme une réforme positive.
b – Les conseils d’entreprise
29La création d’organismes destinés à informer les travailleurs sur la marche de l’entreprise dans laquelle ils travaillent ne fut pas sans soulever certaines craintes parmi les affiliés de Fabrimétal. La principale crainte émise du côté patronal pendant toute la période qui précéda la mise en place des conseils d’entreprise fut de voir cette institution se transformer en un organe supplémentaire de revendication ou en un instrument de combat. L’inquiétude de Fabrimétal provenait du fait que les organisations syndicales et patronales n’attendaient pas les mêmes résultats des conseils d’entreprise.
30Pour les organisations des travailleurs, cet organisme avait pour but d’associer les travailleurs à la marche de l’entreprise en leur fournissant toutes les informations qu’ils réclamaient dans les domaines économique et social. Pour les dirigeants de la F.G.T.B. comme pour ceux de la C.S.C., cette réforme devait même mener à la cogestion des entreprises.
31L’opinion du patronat était fort différente puisque, pour celui-ci, un des principaux avantages du fait de fournir certaines informations aux travailleurs était de permettre à ces derniers de mesurer les difficultés auxquelles est confronté leur employeur. Dans un certain sens, les dirigeants patronaux espéraient que les délégués ouvriers siégeant au conseil d’entreprise tempèrent les revendications émises par les délégations syndicales. Il était donc primordial que ces deux organismes aient des missions bien distinctes.
32La loi portant organisation de l’économie, fixant notamment la mission des conseils d’entreprise fut promulguée le 20 septembre 1948. Elle commença par être appliquée aux entreprises occupant plus de 200 ouvriers et toucha ainsi environ 165 entreprises de fabrications métalliques. En raison des divergences entre les deux groupes sociaux concernant le rôle des conseils d’entreprise, la concrétisation de cette réforme ne pouvait qu’engendrer des mécontentements.
33Les organisations syndicales s’estimaient dupées : non seulement, les réformes de structure ne se dirigeaient pas vers la cogestion mais les employeurs utilisaient habilement la législation pour donner le moins d’informations possible ou de manière à ce qu’elles soient inutilisables. On trouve dans les années suivant l’instauration des conseils de nombreuses attaques contre le patronat dans la presse syndicale.
34On peut relever deux niveaux dans le discours de Fabrimétal au sujet des conseils. D’une part, on distingue les éditoriaux de G. Velter qui défendent la position patronale et répondent aux attaques syndicales. Ces articles révèlent les préoccupations d’un dirigeant d’organisation professionnelle qui suit jour après jour l’évolution des relations. D’autre part, on relève les discours des présidents successifs de Fabrimétal, Léon Bekaert et Félix Leblanc qui font preuve d’une vision des événements plus globale et synthétique. Pour L. Bekaert, il ne faut pas négliger la responsabilité des chefs d’entreprise dans l’échec partiel des conseils d’entreprise. Certes, les organisations syndicales se sont montrées mal préparées. Mais le défaut le plus grave, selon L. Bekaert, est que les délégués au conseil représentaient beaucoup plus leur syndicat que le personnel de l’entreprise. Mais à côté de cela, les employeurs sont eux aussi fautifs car ils ne sont pas parvenus à créer un climat favorable qui permette de développer un esprit de collaboration. Les discours de L. Bekaert et de F. Leblanc au début des années’50 vont tous dans le sens d’un renforcement des contacts avec le personnel. Trop de chefs d’entreprises se rendaient au conseil d’entreprise avec une mauvaise volonté visible qui ne pouvait être que nuisible. Ils le faisaient car ils considéraient leurs interlocuteurs avant tout comme les représentants d’un syndicat et non comme les membres de leur personnel.
35Les résultats d’une enquête réalisée par le Conseil paritaire général en 1952 auprès des entreprises ayant instauré un conseil d’entreprise ont été publiés en 1954. A la dernière question de l’enquête : "Le conseil d’entreprise a-t-il favorisé le développement d’un esprit de collaboration entre le chef d’entreprise et son personnel ?", 112 conseils, soit 75 % de ceux fonctionnant en fabrication métallique ont donné une réponse affirmative. [7]
36Malgré cela, l’enthousiasme des organisations syndicales pour les conseils d’entreprise diminua considérablement. La création des conseils dans les entreprises occupant moins de 200 ouvriers fut sans cesse retardée.
37La création du Conseil central de l’économie fut également une mesure dont la réalisation ne souleva pas l’approbation générale. Cet organe de consultation destiné à permettre aux organisations patronales et syndicales d’émettre des avis sur la politique économique au niveau national fut un sujet de mécontentement tant pour le patronat que pour les syndicats. S’il fonctionne mal, selon Fabrimétal c’est parce que l’opposition des deux groupes en présence en fait une sorte de Commision paritaire. Il faudrait s’y rendre avec le désir de collaborer et renoncer à s’adresser à chaque rencontre des reproches réciproques mettant en cause la responsabilité de ce qui ne va pas.
38Le Conseil professionnel du métal, organe semblable au Conseil central de l’économie mais au niveau sectoriel, fut considéré, par contre, comme une réussite. Il s’est consacré à de nombreuses études intéressant l’industrie métallurgique et les résultats de son travail ont généralement été évalués positivement par Fabrimétal. Il semblerait cependant que la pauvreté du cadre du Conseil professionnel permît plus facilement à Fabrimétal de faire "passer" les notes et documents qu’elle transmettait au secrétariat pour être discutés en séances plénières. Cependant, des deux côtés, on a regretté que son rôle soit purement consultatif et que bien souvent son avis ne soit pas pris en compte par le gouvernement.
39En ce qui concerne d’autres réformes de structure, Fabrimétal adopta les thèses de la F.I.B. Il en va ainsi par exemple en matière de sécurité sociale.
5 – La réduction du temps de travail hebdomadaire à 45 h
40Les premiers mouvements d’inquiétude patronale concernant la durée du travail sont apparus en 1949. A partir de cette année, des revendications concernant une nouvelle réduction du temps de travail ont commencé à prendre corps. Immédiatement le Conseil d’administration de Fabrimétal décida de s’opposer à cette idée naissante. Selon les administrateurs de la fédération, il importait que la F.I.B. prît ouvertement position à ce sujet au nom de toute l’industrie.
41Pendant les 4 ans qui suivirent, la réduction de la durée du travail de 48 à 44 ou 45 h par semaine apparut de plus en plus fréquemment parmi les revendications syndicales mais ce n’est qu’à partir de 1954 que la lutte prit une tournure décisive. En 1954 en effet, éclata dans trois usines de montage automobile de la région bruxelloise, une grève ayant pour but l’instauration de la semaine de 5 jours et de 44 heures. Fabrimétal réagit aussitôt par un refus catégorique. Elle considérait que la grève qui ne touchait que 3 entreprises constituait la première étape d’un mouvement beaucoup plus large. La revendication avait été introduite dans ces 3 entreprises car les usines américaines de montage automobile de la région d’Anvers pratiquaient déjà un horaire de travail réduit. Pour Fabrimétal, cette grève avait pour objet d’obtenir un précédent et la fédération dénonça la volonté syndicale de généraliser la semaine de 44 heures à toute l’industrie. Fabrimétal considérait donc qu’elle représentait tout le patronat dans cette lutte et qu’il n’était pas question d’envisager une diminution des heures de travail : "C’est proprement impossible à concevoir et nous sommes fermement décidés à nous opposer avec acharnement contre une entreprise inconsidérée de suicide. Si le problème doit se poser un jour dans le cadre d’une évolution qui ne s’arrête jamais, la condition première de tout changement éventuel sera qu’il s’effectue de la même façon et simultanément dans les principaux pays européens qui sont nos concurrents. Sur ce principe, car c’en est un, aucun compromis ne peut être envisage." [8]
42Fabrimétal, invoquant des prix de revient trop élevés en Belgique par rapport aux pays concurrents, resta vivement opposée à la réduction tant que sa seule branche d’industrie était en cause. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure la F.I.B. poussa Fabrimétal à résister ou si la fédération adopta une telle attitude de façon autonome. Certes Fabrimétal possédait l’appui de la F.I.B. dans son action mais il semblerait que la fédération se soit dressée de sa propre initiative contre les exigences des deux centrales syndicales car après que la revendication se fût généralisée à toute l’industrie, la position de Fabrimétal est apparue plus dure que celle du patronat en général.
43La F.I.B. reconnaissait le principe de la réduction de la durée de travail mais elle considérait qu’il fallait étudier son impact sur les différents secteurs séparément car elle craignait que les difficultés de ses modalités d’application dans certaines industries n’engendrassent des conflits.
44En 1965, les trois organisations syndicales étendirent leurs revendications à l’ensemble des entreprises et les appuyèrent par des mouvements de grève. Sous la pression des syndicats, la Conférence nationale du Travail fut convoquée à deux reprises et, après de longues négociations, le patronat accepta le principe de la réduction de la durée hebdomadaire de travail à 45 heures. Toutefois, les modalités de cette réduction devaient être étudiées en Commission paritaire dans chaque secteur, étant entendu que cette réduction pût être appliquée seulement dans les entreprises capables de la supporter. En quelques semaines, les événements ont donc fait basculer la position de Fabrimétal. Alors que peu de temps auparavant la fédération était prête à prendre des mesures pour éviter que ses affiliés ne cédassent aux revendications, elle a dû finir par se rallier aux positions de l’ensemble du patronat qui craignait une généralisation du conflit. Pourtant, Fabrimétal continua à lutter. Si le principe de la réduction de la durée de travail avait été admis, il restait à prouver que les entreprises des fabrications métalliques étaient aptes à supporter cette nouvelle charge.
45Les organisations syndicales fortes des concessions qu’elles avaient déjà arrachées au patronat, allaient tout mettre en œuvre pour accélérer les choses. Le 26 septembre, une grève éclata dans le secteur des cokeries car les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre en Commission paritaire. Afin de ne pas isoler ce secteur, le bureau de la F.G.T.B. avait annoncé, le 2 septembre, le dépôt d’un préavis devant expirer le 1er novembre dans les trois secteurs de la métallurgie (sidérurgie, industrie des métaux non-ferreux et industrie des fabrications métalliques) et dans l’industrie chimique. La revendication sur la durée du travail était ainsi généralisée à des secteurs entiers, la C.S.C. s’étant associée au mouvement sans toutefois déposer de préavis.
46En réaction, Fabrimétal, qui, au lendemain des Conférences nationales du Travail, avait autorisé les entreprises qui le désiraient à engager des pourparlers individuels, durcit à nouveau sa position. Lors de sa séance du 21 septembre, le Conseil d’administration de Fabrimétal adopta à l’unanimité une résolution dans laquelle il opposait un refus catégorique à la revendication de réduction générale de la durée du travail dans toute l’industrie des fabrications métalliques. Ceci obligea le Conseil d’administration à revenir sur les instructions données à ses affiliés peu de temps auparavant et à proscrire toute discussion particulière sur la durée du travail. Pour Fabrimétal, il n’était pas possible d’entraîner toute l’économie belge dans une réforme qui mît l’industrie dans une position critique vis-à-vis de ses concurrents. La seule issue consistait en une nette prise de position gouvernementale ou, à défaut, en une action concertée du patronat tout entier.
47Des négociations furent entamées au niveau de la F.I.B. mais l’agitation montait. D’un côté, les organisations syndicales reprochaient au patronat de constituer un frein à la marche du progrès social essayant de retarder par tous les moyens une réforme qui était devenue inévitable. De l’autre, les organisations patronales admettaient que l’évolution économique et sociale devait mener à la réduction du temps de travail mais estimaient que la Belgique jouait son avenir économique en s’engageant dans cette voie avant les autres pays européens. La F.I.B. et Fabrimétal, chacune de leur côté, publièrent des communiqués dénonçant l’irresponsabilité des syndicats qui lançaient une nouvelle revendication à chaque période de prospérité. Le souhait fut émis de voir doter les organisations patronales et ouvrières d’un statut légal et de leur donner officiellement la place qu’elles occupent dans la vie du pays. Ceci, afin que chacun fût en mesure de prendre ses responsabilités.
48La pression syndicale se fit plus forte au mois d’octobre, la C.S.C. déposant à son tour, en accord avec la F.G.T.B., un préavis de grève. A l’initiative des employeurs, l’intervention du gouvernement fut demandée et des accords précisant les dates d’entrée en vigueur de la semaine de 45 heures dans les principaux secteurs concernés furent conclus à la fin du mois d’octobre.
49Pour l’industrie des fabrications métalliques, la situation se présentait de manière différente. Fabrimétal refusait toujours d’envisager une solution valable pour toutes les entreprises. Cette industrie était composée d’un grand nombre d’entreprises de toutes tailles. Pour Fabrimétal, il fallait envisager chaque cas individuellement. Cependant, Fabrimétal devait tenir compte alors des accords passés dans les autres industries. Ainsi, lors de la séance de la Commission paritaire de la construction mécanique du 29 novembre 1955, Fabrimétal et les organisations syndicales parvinrent-elles à s’entendre. Les parties se mirent d’accord le 6 janvier 1956 sur un canevas réglant les modalités d’application de la réduction de la durée de travail à la semaine de 5 jours et de 45 heures dans les entreprises dont la situation ne serait pas mise en danger par une telle mesure. La base essentielle du mémorandum publié alors était que, dans les circonstances, il n’était pas possible d’envisager des mesures de réduction du temps de travail qui viseraient l’industrie des fabrications métalliques dans son ensemble. Cependant, les affiliés qui estimaient que la possibilité existaient et que l’opportunité de le faire était venue, le signalèrent à Fabrimétal qui les fit figurer sur la liste des membres pour lesquels serait créée cas par cas, une commission d’examen. Ainsi, à la fin de l’année 1956, la C.M.B. enregistra 576 accords sur la réduction de la durée du travail [9]
50Ce n’est toutefois que dans le cadre d’une convention dite de "paix sociale", signée en 1960 par Fabrimétal, que celle-ci accepta que les 45 heures fussent généralisées à toute l’industrie des fabrications métalliques et fussent rendues obligatoires pour toutes les entreprises membres de Fabrimétal.
6 – Les conventions de programmation sociale dans l’industrie des fabrications métalliques
a – La convention nationale interprofessionnelle du 11 mai 1960
51Le réseau des institutions mises en place depuis la fin de la guerre allait petit à petit donner naissance à un nouvel état d’esprit. Certes les organisations professionnelles concernées considéraient que les institutions créées n’avaient pas atteint l’efficacité que l’on était en droit d’attendre. Néanmoins, au fil des discussions, était apparue la volonté de rationaliser les relations sociales et d’éviter que des conflits n’éclatassent de façon non contrôlée. A cela s’ajoutaient les préoccupations soulevées par la création de la C.E.E. Il s’agissait de donner une assise stable à la Belgique et pour cela il devenait difficile de mener une politique de programmation économique sans l’appuyer par des mesures semblables dans le domaine social.
52Ainsi le 11 mai 1960, les organisations interprofessionnelles représentatives des employeurs et des travailleurs, signaient un accord de programmation sociale. Cet accord était basé sur la possibilité de donner aux travailleurs certains avantages qu’ils réclamaient, en échange de quoi toute autre revendication était exclue jusqu’à fin 1962. En outre, il stipulait que la programmation établie à l’échelle nationale devait, dans la mesure du possible, être complétée par une programmation au niveau des secteurs d’activité.
b – La convention de stabilité sociale dans l’industrie des fabrications métalliques du 12 août 1960
53Pour l’industrie des fabrications métalliques, une telle convention n’était pas une nouveauté puisqu’au lendemain de la grève générale en métallurgie de 1957, Fabrimétal avait fait une expérience semblable alors qu’il n’était pas encore question de programmation.
54Le 1er juin 1960, les pourparlers débutèrent en Commission paritaire de la construction mécanique. Lors de cette séance, G. Velter fit connaître le vœu de son organisation de conclure une convention de même durée que l’accord interprofessionnel assortie d’une clause de stabilité sociale. Fabrimétal était prête à porter le salaire minimum à 25 francs et à fixer à 1,24% l’an les hausses qui pourraient être consenties au cours de la période 1960-1962. En ce qui concerne la durée du travail, l’organisation patronale demanda que fût conclu un accord généralisant l’horaire hebdomadaire de 45 heures. Pour Fabrimétal, le véritable enjeu de l’accord était l’arrêt des revendications pendant une période déterminée, les employeurs étant prêts à accorder certains avantages pour atteindre cet objectif.
55Pour les organisations syndicales, par contre, il importait d’obtenir des compensations suffisantes pour que les ouvriers puissent considérer qu’en acceptant la paix sociale jusqu’en 1962, ils aient obtenus également une victoire. Les centrales syndicales demandaient donc que le salaire minimum soit porté à 25,65 francs pour un régime de 45 heures. Elles exigeaient également un double pécule complémentaire de vacances, une augmentation des salaires de 2,5 % l’an pour 1960 et 1961 et l’octroi d’avantages aux travailleurs syndiqués.
56Pour la délégation patronale, il était impossible d’envisager l’octroi d’avantages aux tracailleurs syndiqués. Le rapport annuel sur l’exercice 1960 définissait en ces termes la position de Fabrimétal à propos de cette revendication : "A notre avis, elle est nettement inacceptable. D’une, part, les travailleurs ont le droit absolu de se syndiquer ou non. (…). D’autre part, les chefs d’entreprises n’ont pas à se préoccuper d’une question qui ne les concerne ni de près ni de loin. Leur devoir est de traiter de la même façon tous ceux qu’ils occupent, de respecter les obligations légales, de rémunérer chacun suivant ses mérites, d’appliquer les conventions conclues en leur nom. (…). N’importe quelle formule conduirait à la syndicalisation obligatoire dont personne ne veut. " [10]
57Le Conseil d’administration de Fabrimétal se révéla intraitable à propos de cette exigence. Il était prêt à modifier ses thèses sur les autres points mais refusait de créer une discrimination entre travailleurs syndiqués et non-syndiqués. Réaction dictée par la crainte de voir se renforcer la puissance de ses adversaires. Une fois de plus, Fabrimétal mit en avant l’argument qu’un tel problème n’était pas propre à l’industrie des fabrications métalliques et qu’il devait être traité au niveau interprofessionnel.
58Devant l’intransigeance de Fabrimétal, les syndicats renoncèrent provisoirement à leur demande. Ils ne cachaient pas, cependant, que le problème se reposerait infailliblement et, qu’en dehors des raisons qui le justifiaient à leurs yeux, ils comptaient sur les précédents qui se produiraient dans d’autres secteurs industriels. Le Conseil d’administration de Fabrimétal, alarmé par ce dernier argument, chargea son administrateur-directeur général à faire appel à la F.I.B. pour renforcer la solidarité patronale.
59Les pourparlers aboutirent finalement à la convention collective de stabilité sociale du 12 août 1960 qui accordait aux travailleurs les avantages suivants :
- l’attribution d’une allocation complémentaire de vacances pour 1960 et 1961 accordée à la suite de l’accord national et interprofessionnel du 11 mai 1960 ;
- une augmentation de salaires de 2 % pour 1960 et de 2 % pour 1961 ;
- la généralisation de la semaine des 45 heures rendue obligatoire par arrêté royal.
60En échange, les organisations syndicales devaient garantir la paix sociale.
61Fabrimétal obtint ainsi un accord qui devait assurer la stabilité sociale pendant un an et demi. On constata du côté patronal la volonté d’accélérer les négociations afin de bénéficier le plus rapidement possible de la paix sociale. S’agissant de revendications portant sur des avantages plus unilatéraux, on a pu voir comment Fabrimétal avait tendance à laisser traîner les choses. Ici, c’était tout le contraire, puisque la fédération tirait un avantage des concessions q’elle avait accordées. Le prix payé par Fabrimétal était assez élevé, la rapport annuel sur l’exercice 1960 relevait que, bien qu’il n’y eût pas d’augmentation des salaires sur base des fluctuations de l’index, l’accroissement des charges sociales imposées par ailleurs par le gouvernement et par le jeu des conventions passées avec les organisations syndicales au cours de l’année avait provoqué une hausse du salaire-coût de 7 % [11]. On remarque que les dirigeants patronaux étaient conscients du fait qu’ils auraient à consentir des hausses relativement élevées. Alors qu’au départ, ils ne proposaient qu’une augmentation des salaires de 1,25 %, ils ne firent, par la suite, pas beaucoup de difficultés pour accorder les 2 %.
62Les événements de décembre 1960 et janvier 1961 allaient marquer d’une certaine manière l’échec de la convention de stabilité sociale. La grève générale lancée par la F.G.T.B. contre l’application de la loi unique mit fin aux quelques mois de paix sociale qu’avait connus l’industrie des fabrications métalliques. Néanmoins, au lendemain du conflit, considérant que celui-ci avait été inspiré par des motivations politiques, Fabrimétal se montra favorable à la confirmation de l’accord.
c – L’accord national dans l’industrie des fabrications métalliques du 8 février 1962
63A l’approche de la date d’expiration de la convention, se posa le problème de savoir si les organisations concernées étaient décidées à contracter un nouvel accord. A l’initiative de Fabrimétal, les représentants des organisations syndicales et patronale se réunirent officieusement à deux reprises : le 13 novembre et le 8 décembre. Il ressortit de la négociation tenue le 8 décembre 1961 que les deux centrales étaient opposées à un nouvel accord s’il s’agissait de reconduire l’accord précédent. Celui-ci ne leur donnait pas satisfaction par suite de sa rigidité d’application. Les délégués syndicaux considérèrent que le patronat ne pouvait pas refuser systématiquement d’examiner des circonstances particulières lorsqu’existait un accord général. Ils désiraient qu’on envisageât la possibilité de répartir l’augmentation des salaires d’une manière non uniforme et qu’on tînt compte des modifications techniques qui se présenteraient en cours de route. De plus, les représentants des deux centrales firent savoir aux délégués patronaux que l’ouverture de négociations au sujet d’un nouvel accord serait subordonnée à la prise en compte par l’organisation patronale de la question des avantages aux syndiqués et de la création d’un fonds de sécurité d’existence destiné à aider les travailleurs mis au chômage.
64Du côté patronal, on s’estimait généralement satisfait de la période passée, l’industrie des fabrications métalliques n’ayant connu aucun conflit important en dehors de la grève contre la loi unique. Lors de la réunion du 8 décembre, G. Velter avait fait savoir aux délégués syndicaux que Fabrimétal refuserait de discuter les problèmes relatifs aux avantages réservés aux syndiqués et à la création d’un fonds de sécurité d’existence.
65C’est ainsi qu’une dizaine de jours plus tard, les dirigeants de la C.C.M.B. et de la C.M.B. signifièrent à l’administrateur-délégué de Fabrimétal que les pourparlers étaient rompus et que les organisations syndicales se considéraient libres de toute obligation d’assurer la paix sociale. L’action revendicative des deux centrales fut déplacée vers les régions.
66Pour les dirigeants de Fabrimétal, il était nécesaire d’arriver à un accord national. Ils renouèrent, rapidement contact avec les organisations syndicales. Cependant, les négociations furent bloquées pendant un mois, les parties ayant des positions opposées au sujet des garanties syndicales et du Fonds de sécurité d’existence. Fabrimétal sollicita l’intervention du ministre du Travail.
67Les réunions en présence du Chef de cabinet du ministre du Travail aboutirent à l’accord national du 8 février 1962 au terme duquel il fut procédé à une augmentation des salaires de 4,5 %. Cet accord ne comportait pas de clause de stabilité sociale et se limitait à fixer la hausse générale des salaires pour toute l’année. Les deux revendications de principe des organisations syndicales ne furent pas satisfaites. Néanmoins le prix payé par Fabrimétal pour un accord national était élevé puisque non seulement elle avait dû abandonner son désir de voir la prolongation de la paix sociale mais elle avait dû consentir une hausse des salaires supérieure de 2% à ce qu’elle proposait initialement. En ce qui concerne les revendications de principe, Fabrimétal se rendait bien compte que tôt ou tard il faudrait les prendre en compte : "D’une manière ou d’une autre elles ressurgiront ; il importe donc que le patronat tout entier s’apprête à les rencontrer, car elles posent toutes deux des problèmes de principe qu’il faut avoir le courage d’aborder de plein front. A laisser aller les choses, en essayant de retarder leur examen d’ensemble, en fermant les yeux sur des précédents disparates, on est certain de créer un profond malaise, tant du côté patronal que du coté syndical." [12]
d – La proposition gouvernementale du 8 mars 1963
68Les pourparlers pour la conclusion de l’accord de 1963 ont également été laborieux. A la suite de nombreuses discussions en Commission paritaire, les représentants des travailleurs se sont déclarés prêts à conclure un accord national aux conditions suivantes :
- création d’un fonds social national à financer par les entreprises à raison d’1 % à prélever de la masse des salaires et destiné à :
- augmentation générale des salaires de 4,5 % sous la forme d’une reconduction de l’accord de 1962.
69Or, Fabrimétal s’opposait toujours à la première revendication. Elle n’était prête à accorder qu’une augmentation inférieure à 5 %, répartie sur les années 1963, 1964 et 1965, s’abritant derrière le programme d’expansion économique du gouvernement dans lequel il était dit que le taux de croissance des revenus horaires du travail ne devait pas dépasser en moyenne 3,5 % par an.
70Devant le refus patronal, les organisations syndicales mirent sur pied un plan d’action commune prévoyant des arrêts de travail. Le 22 février, le ministre de l’Emploi et du Travail convoqua les parties afin d’arriver à un accord. A la suite de cet entretien, la fédération fit parvenir au ministre une déclaration dans laquelle elle précisa sa position au sujet des salaires et du fonds de sécurité d’existence. En fait, les propositions en matière de salaire étaient encore inférieures à ce qu’exigeaient les deux centrales et celles qui concernaient le fonds social laissaient la responsabilité aux chefs d’entreprises, Fabrimétal ne voulant pas s’engager au niveau national. De plus, il n’était toujours pas question d’accorder des avantages aux seuls syndiqués. Les organisations syndicales considérèrent qu’elles ne pouvaient accepter ces propositions et continuèrent leurs mouvements de grève.
71Les entretiens se poursuivirent sous l’égide du ministre de l’Emploi et du Travail et du Premier ministre. Le 8 mars, le gouvernement adressa aux parties une proposition qui prévoyait pour l’année 1963 une augmentation des salaires de 3 % au 1er mars et de 2 % au 1er avril. Il y fut précisé pour les autres questions soulevées au cours des négociations : "Au premier janvier 1964, il sera accordé 0,5 % des salaires dont la destination et les modalités de paiement résulteront d’un accord à trouver entre toutes les parties, après une discussion qui sera, entamée sans désemparer. "
72La Conseil d’administration de Fabrimétal, réuni le 11 mars, tout en faisant remarquer qu’il considérait ces charges salariales comme anormalement lourdes et de nature à compromettre l’exécution du programme d’expansion économique du gouvernement, accepta d’accorder les hausses de salaires.
73Au lendemain de la signature de l’accord, les deux parties furent bien obligées de constater que les discussions relatives à la conclusion des conventions devenaient de plus en plus difficiles et qu’elles entraînaient une détérioration des relations sociales. Selon Fabrimétal, il fallait attribuer cet échec au manque de conviction des partenaires et au fait qu’ils n’étaient disposés ni à accepter les conséquences de la programmation sociale, ni à mettre en jeu leurs responsabilités et leur autorité. Pour la fédération, il fallait revoir l’ensemble du système de relation collective du travail et apporter une solution au problème de la personnalité juridique des partenaires et des responsabilités qui en découlent. Les organisations syndicales, de leur côté, reprochaient à Fabrimétal son intransigeance de manière générale et principalement à propos des garanties syndicales. Elles constataient en outre que chaque accord révélait des différences de conception et d’interprétation qui faisaient mettre en doute la bonne foi des interlocuteurs.
e – Les accords régionaux de 1964 dans l’industrie des fabrications métalliques
74A l’approche du 31 décembre 1963, date d’expiration de l’accord, les difficultés réapparurent. L’application de l’article 4 de l’accord n’avait toujours trouvé aucune solution ce qui provoquait une certaine irritation du côté des centrales et particulièrement de la C.C.M.B.
75Au cours d’une réunion de la Commission paritaire le 8 novembre, Fabrimétal affirma qu’elle acceptait de constituer un fonds national dont les avantages pourraient être déterminés au besoin régionalement ou même au niveau de l’entreprise mais qu’elle maintenait son opposition de principe au paiement d’avantages discriminatoires. Elle n’exclut pas systématiquement l’éventualité d’une discussion paritaire sur le problème des garanties syndicales mais il fallait que fût accepté le principe que les garanties dussent être réciproques et qu’elles dussent être conventionnellement codifiées d’une manière telle qu’aucun doute ne pût subsister sur les engagements pris par les parties. D’autre part, Fabrimétal fit savoir aux organisations syndicales qu’elle n’était plus favorable à une convention liant automatiquement les salaires à l’index, avançant que l’augmentation du coût salarial devenait plus rapide que celle de la productivité.
76Face à la position patronale, les organisations syndicales décidèrent de porter leur action au niveau régional. Dès lors, les revendications de salaires varièrent d’une région à l’autre, la question de l’octroi d’avantages aux travailleurs syndiqués étant maintenue au niveau national. L’action syndicale dont la principale responsable était la centrale chrétienne se développa principalement dans les deux Flandres où l’évolution du pouvoir d’achat était moins favorable que dans le reste du pays. Comme le fit remarquer G. Spitaels [13], il aurait été absurde de présenter ce problème en insistant sur une opposition entre salaires flamands et wallons. La situation résultait du sous-emploi qu’avaient connu les Flandres jusqu’alors et qui expliquait en partie le niveau inférieur des salaires payés. Avec la période de conjoncture favorable apparut le plein emploi et avec ce dernier un type de revendication nouveau visant à l’égalisation des rémunérations.
77En présence de ces revendications, Fabrimétal allait essayer vainement de ramener les négociations au niveau national. Les procès-verbaux du comité de l’association régionale de Liège montrent, toutefois, que telle n’était pas la position unanime de la fédération. Déjà, lors de la conclusion des précédents accords, cette association régionale s’était montrée fort réticente à l’octroi d’augmentations salariales exprimées en pourcents. Les salaires plus élevés dans la région liégeoise expliquaient cette réticence.
78Lorsque des grèves éclatèrent à Gand, le Conseil d’administration de Fabrimétal estima que l’on se trouvait devant un problème d’ordre général, que la sauvegarde de l’économie impliquait la résistance et que les pourparlers devaient être refusés par les affiliés. L’instance dirigeante de la fédération patronale exerçait ainsi une pression afin qu’aucune négociation ne fut entamée au niveau local. Fabrimétal était d’ailleurs soutenue dans cette action par le Comité de direction de la F.I.B. pour lequel s’imposait la résistance à des revendications jugées incompatibles avec le respect de la loi de programmation économique. Mais les grèves s’étendaient et le Comité de direction de Fabrimétal décida de mettre immédiatement à l’étude le problème de la fixation de règles générales pour le soutien des usines en grève. D’autre part, le Conseil d’administration de la fédération décida de faire appel aux ministres des Affaires économiques, des Finances et de l’Emploi pour essayer de mettre fin au conflit. Le 24 janvier 1964, une proposition d’accord fut élaborée en Flandre occidentale entre les représentants de Fabrimétal-Flandre occidentale et les organisations syndicales, sous la présidence d’un conciliateur social. Cet accord déterminait des hausses de salaires de 1,50 francs (= 4 %) l’heure à partir de janvier 1964 et de 3 % à partir de juillet 1964 en Flandre occidentale.
79Lors de sa réunion du 29 janvier, le Conseil d’administration de Fabrimétal désapprouva à l’unanimité le projet d’accord et demanda aux délégués de la Flandre occidentale de surseoir à sa signature. Il décida de convoquer la Commission paritaire pour tenter une dernière fois de trouver une solution. Mais les organisations syndicales y maintinrent leur position. Deux jours plus tard, le Conseil d’administration de Fabrimétal fit savoir aux centrales qu’elle acceptait d’examiner sur le plan régional ou éventuellement au niveau de certaines entreprises, les revendications de salaires dûment justifiées. A partir de ce moment, le travail a repris progressivement dans l’industrie des fabrications métalliques.
80Au cours des grèves dans les deux Flandres, la C.C.M.B. n’avait pas particulièrement insisté sur la question du fonds d’existence ni sur celle des avantages pour les travailleurs syndiqués puisqu’elle désirait y apporter des solutions au niveau national. A l’issue du conflit, la négociation reprit et le 3 mars, la Commission paritaire décida à l’unanimité la création d’un fonds national de sécurité d’existence. La question des garanties syndicales ne fut toutefois, résolue que lors de l’accord national du 13 janvier 1965.
f – L’accord national du 13 janvier 1965 dans l’industrie des fabrications métalliques
81Ce dernier accord, conclu dans un climat beaucoup moins conflictuel que l’année précédente, rencontrait le souhait de l’organisation patronale d’arriver à une convention valable pour deux ans. Mais en échange, le prix payé était élevé pour l’industrie des fabrications métalliques, puisqu’outre l’octroi d’augmentations salariales de 2 % pour l’année 1965, de 2 % pour l’année 1966 et la conclusion d’une nouvelle convention liant les salaires à l’index, il était prévu la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 44 heures et le versement d’une cotisation de 0,5 % des salaires à un fonds intersyndical par les membres de Fabrimétal. L’accord fixait aussi les modalités de la création du fonds de sécurité d’existence par une cotisation patronale de 0,3 % des salaires.
82En contrepartie de la création du fonds intersyndical, les organisations syndicales s’engagèrent à respecter les conventions collectives entérinées par la Commission paritaire et une nouvelle procédure de conciliation fixée par l’accord.
83Le point concernant les garanties syndicales provoqua un certain émoi parmi les industriels de Fabrimétal et les éditoriaux de G. Velter dans les semaines qui suivirent l’accord cherchèrent à montrer aux affiliés qu’il n’était plus possible de s’opposer à cette revendication admise déjà par un grand nombre d’industries. Selon lui, il s’agissait de prendre conscience qu’il ne fallait pas s’ancrer sur le passé et rejeter l’évolution incessante des rapports qui régissent la société.
84L’année 1960 a marqué un tournant dans les relations collectives de travail avec le premier accord de programmation sociale. A partir de ce moment, Fabrimétal va s’efforcer de conclure annuellement ou tous les deux ans des accords qui lui permettent d’obtenir une certaine stabilité sociale dans son industrie. Cet avantage était loin d’être négligeable aux yeux des représentants patronaux, particulièrement à un moment où la Belgique s’insérait dans une communauté économique qui dépassait ses frontières. Ceci explique pourquoi les employeurs ont consenti, à partir de cette époque, à satisfaire en bloc un certain nombre de revendications. Il est clair que la conjoncture économique favorable était propice à de tels engagements et qu’elle poussait les organisations syndicales à émettre des exigences qui n’auraient pu voir le jour quelques années auparavant.
85Cependant, les représentants des travailleurs prennaient conscience que des conventions de programmation sociale trop strictes rendaient toute modification des rémunérations, pour quelque motif que ce soit, difficile sinon impossible. Dès lors, ces accords risquaient d’entamer le crédit des organisations syndicales auprès des travailleurs dans la mesure où l’aspect revendicatif de l’activité syndicale était discipliné au travers d’une programmation étalée dans le temps. C’est pourquoi a réapparu chaque année la revendication consistant à obtenir des avantages destinés aux seuls travailleurs syndiqués.
86On peut relever un certain nombre de caractéristiques sur la façon dont Fabrimétal a mené les pourparlers. Tout d’abord, la fédération présentait à ses interlocuteurs ce qu’elle était prête à accorder au niveau national et ces différents points étaient discutés en Commission paritaire et lors de réunions officieuses. Les propositions avancées étaient toujours nettement en deçà de ce que l’industrie était à même de supporter et cela s’est constaté particulièrement sur le plan des augmentations de salaires. Le chiffre proposé par Fabrimétal était à chaque fois très inférieur à celui qui finissait par être adopté, l’organisation patronale invoquant régulièrement le danger pour l’industrie et le pays une aggravation du coût social. Il est vrai que l’obstination de la fédération à refuser de traiter du problème des garanties syndicales l’obligeait à faire de larges concessions sur le plan des salaires.
87Tout au long des négociations, Fabrimétal a bloqué les revendications dans les entreprises et les régions allant même jusqu’à envisager des mesures pour soutenir les entrepries en grève. Il était primordial en effet pour elle d’obtenir un accord national, qui tint compte des secteurs les plus faibles. Lorsque les négociations n’aboutissaient pas, il était fait appel au gouvernement qui, engagé par les lois de programmation économique et sociale, pouvait être un allié précieux du patronat lorsque celui-ci considérait que les revendications dépassaient les prévisions du Bureau de programmation ou que l’industrie n’était pas à même de supporter ce que les organisations syndicales lui demandaient. En Commission paritaire, la délégation patronale se montra particulièrement intransigeante, refusant de modifier sa position sans accord préalable de son Conseil, d’administration ce qui multiplia les séances.
88On peut considérer que les espérances soulevées par la première convention de 1960 ont été dans une large mesure déçues et que jusqu’en 1964, la programmation était devenue un sujet de discorde. C’est alors que l’attitude de Fabrimétal allait se modifier. Après avoir subi de graves conflits dans son industrie et ne pas être parvenue à un accord national, l’organisation patronale était prête à faire des concessions plus larges. Ceci nous amène à retenir deux éléments à propos de l’accord de 1965. D’une part, les organisations syndicales conscientes du désir de Fabrimétal de conclure un accord national et renforcées par le résultat des conflits de 1964, désiraient obtenir de larges concessions, posant la réduction de la durée du travail comme revendication impérative et le problème des garanties syndicales comme préalable à toute convention. D’autre part, en acceptant de créer un fonds intersyndical en contrepartie de quoi les syndicats s’engageaient à respecter les conventions, Fabrimétal désirait officialiser la reconnaissance du fait syndical par le patronat. La signification de cet accord a constitué pour G. Velter "un pacte de normalisation des rapports". Par ce geste, Fabrimétal a montré son désir d’envisager les relations de travail sous un angle nouveau : "Je n’hésite pas à considérer que nous sommes entrés dans une nouvelle voie dont on peut présumer qu’elle apportera, de profonds changements dans les relations sociales."
7 – Les conflits dans l’industrie des fabrications métalliques
89Les relations collectives du travail dans l’industrie des fabrications métalliques ont été émaillées de grèves qui éclataient tantôt au niveau local, tantôt à une échelle plus large. Le manque de sources concernant le déroulement des conflits locaux nous oblige à nous tourner vers les grèves qui ont éclaté à l’échelon national. Ces dernières revêtaient d’ailleurs un intérêt particulier car elles mettaient en cause toute l’industrie des fabrications métalliques et requéraient l’intervention de l’organisation patronale, renforçant de la sorte son rôle traditionnel.
90Pendant la période sous revue, il n’y a pas eu de conflit qui se fût généralisé à l’industrie des fabrications métalliques sans toucher également, soit la sidérurgie (1948), soit cette dernière et l’industrie des métaux non-ferreux. Ceci aurait été dû en partie au fait que, face aux trois organisations patronales de la métallurgie, se trouvait pour chaque syndicat, une seule centrale dont le champ d’activité recouvrait les trois branches.
91Il n’est pas traité ici de la grève générale de décembre 1960-janvier 1961 dirigée contre la "loi unique" du gouvernement Eyskens. En effet, les organisations patronales n’ont eu aucun rôle à jouer dans son dénouement. On soulignera cependant deux faits concernant l’attitude de Fabrimétal pendant et après la grève : d’une part, Fabrimétal donna comme instructions à ses affiliés, suivant en cela la F.I.B., de garder leurs usines ouvertes de manière à permettre aux ouvriers qui le désiraient de continuer à travailler ; d’autre part, à l’issue du conflit, malgré la rupture de la paix sociale, Fabrimétal décida d’appliquer les clauses de la convention de programmation sociale conclue en août 1960 et accorda l’augmentation prévue des salaires de 2 % qu’elle avait promise.
a – La grève générale dans l’industrie des fabrications métalliques et dans la sidérurgie du 16 au 22 juin 1948
92Ce conflit avait pour principal motif des revendications salariales. Cependant, la grève s’inscrivait dans un contexte beaucoup plus large. Au moment où le conflit a éclaté, se déroulaient les débats au Parlement concernant les réformes de structure. Le choix de cette période pour le lancement d’une grève générale n’était peut-être pas sans relation avec la volonté des leaders syndicaux de provoquer une épreuve de force au sein de l’un des secteurs clés de l’économie belge, afin de faire pression sur les instances dirigeantes du pays. Les revendications émises par les centrales étaient les suivantes : fixation d’un nouveau minimum ; augmentation générale des salaires de 5% ; incorporation de la prime d’assiduité au salaire et harmonisation des salaires.
93Devant l’opposition catégorique de Fabrimétal et du Comité transitoire de la Sidérurgie à ces revendications, les centrales lancèrent un mot d’ordre de grève prétextant que les deux organisations patronales avaient été choisies par la F.I.B. pour affronter et ainsi affaiblir les organisations syndicales au moment où se déroulaient les débats parlementaires.
94Tout au long du conflit, les employeurs demeurèrent intransigeants. Ils refusèrent de négocier avec les syndicats ouvriers tant que l’ordre de grève était maintenu. Le gouvernement intervint alors par l’intermédiaire du Premier ministre, ce dernier traitant avec les deux délégations séparément. Le Chef du gouvernement parvint, après une semaine de conflit à élaborer un projet d’accord. Celui-ci prévoyait principalement l’incorporation de la prime d’assiduité au salaire et le maintient de la taxe à l’exportation dans la métallurgie. Le produit de cette taxe serait destiné à alimenter un fonds social. Aucune augmentation salariale n’était donc consentie par les employeurs.
95Lorsqu’on compare ce que les organisations syndicales ont demande et ce avec quoi elles se sont estimées satisfaites, on peut se demander si les revendications salariales étaient bien à la base du conflit. La plupart des points qui préoccupaient la F.G.T.B. au niveau interprofessionnel ont fait l’objet d’engagements de la part du gouvernement bien plus que des patrons. Ceux-ci ont accepté d’incorporer la prime d’assiduité dans les salaires, ce qui ne constituait nullement un accroissement des charges sociales mais risquait simplement d’annuler, aux yeux des industriels, l’effet de la prime. Ils ont accepté aussi le maintien de la taxe à l’exportation, mais là aussi on remarquera que cela ne représentait pas des frais supplémentaires puisque les employeurs devaient déjà la payer depuis plus d’un an. Cette concession était malgré tout plus importante que la précédente car l’abolition de cette taxe était, depuis sa création, un des objectifs principaux des organisations patronales.
96La délégation des employeurs a tenu bon pendant toute la durée du conflit se montrant intransigeante sur le principe des hausses de salaires et ne satisfaisant ainsi aucune des revendications à la base du conflit, si ce n’est celle tout à fait mineure, relative à la prime d’assiduité. Il est fort probable que le patronat a adopté une attitude tellement négative car il était clair pour lui que les motivations syndicales étaient autres que celles avancées et qu’il s’agissait surtout d’exercer une pression indirecte sur le gouvernement. Il incombait donc à ce dernier de négocier la fin du conflit.
b – La grève générale de la métallurgie du 19 juin au 13 juillet 1957
97Le déroulement, et surtout l’aboutissement de ce conflit, ont été étroitement liés aux effets de la politique du gouvernement socialiste-libéral d’Achille Van Acker. A la fin de l’année 1956, vu l’important accroissement des bénéfices industriels imputables à une année prospère, les organisations syndicales revendiquèrent une part de ces bénéfices pour les travailleurs. Des conversations furent entamées par la Fédération des Industries belges et la Fédération des Employeurs du Commerce, des Banques et des Assurances (F.B.C.A.) avec les organisations syndicales. Le Premier ministre intervint alors et annonça le 19 octobre une série de mesures comportant, outre certaines compressions budgétaires, le blocage général des prix et des salaires et le dépôt d’un projet de loi en vue d’opérer, à des fins économiques et sociales, un prélèvement de 10 % sur les bénéfices de 1955 et 1956 dépassant un certain niveau.
98Cette déclaration provoqua un émoi considérable du côté patronal mais également dans les milieux syndicaux totalement opposés au principe du blocage des salaires. La tension est montée au lendemain de la promulgation de la loi du 12 mars 1957 qui donnait les pleins pouvoirs au gouvernement en matières de prix et de salaires. Cette loi instituait également le prélèvement sur les bénéfices exceptionnels en échange de quoi le Premier ministre s’engageait à ne pas augmenter les charges de l’industrie. C’est alors que des grèves ont éclaté dans certaines entreprises de la région liégeoise ayant pour but d’obtenir une compensation aux mesures gouvernementales par le paiement du double pécule de vacances. Le Comité national de la C.M.B. décida de généraliser la revendication en réclamant pour 1957 le paiement du double pécule pour les 12 jours de vacances et le paiement des trois jours de carence en cas de maladie. Il demanda également la convocation des Commissions paritaires.
99Malgré de nombreux contacts directs avec les responsables de l’industrie sidérurgique et de l’industrie des fabrications métalliques, la position patronale restait intransigeante : il n’était pas question de réunir les Commissions paritaires. Pour les organisations patronales, les deux revendications de la C.M.B. relevaient du gouvernement et non des patrons. Elles considéraient que ces mesures concernaient l’industrie toute entière qui risquait d’être entraînée en cas d’accord en métallurgie et refusaient de les prendre en considération. De plus, ces revendications allaient à l’encontre de l’article 120 du traité CEE qui veut que les signataires s’attachent à maintenir, dans le domaine du régime des vacances, l’équivalence, existant entre les pays membres. Dès lors, le patronat considéra que les raisons qu’il avançait étaient telles qu’une réunion de la Commission paritaire était inopportune parce que non seulement elle ne pourrait pas aboutir mais le seul fait de la tenir donnerait aux travailleurs l’illusion qu’ils obtiendraient finalement satisfaction.
100Les pourparlers organisés par le Premier ministre entre les deux parties se soldèrent par un échec, les employeurs refusant de faire la moindre concession. De nombreuses entreprises de la région liégeoise suivies par des entreprises du Centre, se mirent en grève le 19 juin sans déposer de préavis. Ce mouvement spontané provenant de la fraction la plus dure de la centrale obligea celle-ci à confirmer le mot d’ordre de grève. Elle informa les organisations patronales que la grève serait générale à partir du 1er juillet dans les secteurs de la sidérurgie, des fabrications métalliques et des métaux non-ferreux. L’absence de préavis pour annoncer les premières grèves provoqua la colère des organisations patronales.
101Pendant toute la durée du conflit, les industriels maintinrent leur opposition au doublement du pécule de vacances [14]. Des pourparlers furent néanmoins entamés sous la présidence du Premier ministre et en présence des ministres des Affaires économiques et du Travail, y participaient également les représentants des centrales chrétienne et libérale, bien que celles-ci n’eussent pas jugé bon de mobiliser leurs affiliés. Les négociations aboutirent le 12 juillet 1957. L’accord conclu ne donna pas satisfaction aux organisations ouvrières en ce qui concerne le doublement du pécule de vacances. Il reconnaissait la nécessité d’une période de stabilité et prévoyait des hausses salariales de 2 à 3 % pour l’année 1958 moyennant la renonciation pour la même année à de nouvelles revendications de caractère général.
102Ainsi, de même que lors de la grève générale de 1948, la délégation patronale a refusé de satisfaire les revendications syndicales. Cependant, devant la menace d’une extension du conflit et devant le danger que représentait une grève générale à la veille de l’ouverture des frontières aux pays de la CEE, le patronat a fait d’autres concessions. Comme les mesures contenues dans les accords sectoriels d’après 1960, celles de l’accord de 1957 ne constituaient pas véritablement une concession arrachée au patronat. Il s’agissait plutôt d’une première tentative de programmation sociale qui, tout en étant le résultat, d’une épreuve de force, n’en était pas moins profitable, aux deux parties, puisque l’industrie métallique bénéficiait ainsi d’une période de stabilité sociale de près d’un an et demi.
8 – Conclusions
103Le projet d’accord de solidarité sociale et ses conséquences ont modifié la mentalité des chefs d’entreprises. L’élaboration du projet d’accord et les contacts clandestins pendant la guerre ont eu lieu principalement au siège de Fabrimétal et ont donné naissance à des rapports privilégiés. Ainsi, Louis Major et Auguste Cool, respectivement secrétaire général de la F.G.T.B. et président de la C.S.C. sont restés fort liés à des hommes tels que Georges Velter et Léon Bekaert. Au sein de la métallurgie également, si les négociations ont parfois été très difficiles, elles ont été menées par des hommes qui s’appréciaient et se rencontraient fréquemment de manière officieuse avant d’aborder les discussions en Commission paritaire. Fabrimétal invitait d’ailleurs les dirigeants syndicaux à ses assemblées générales.
104Le rôle de Fabrimétal dans la réforme des structures a été loin d’être négligeable.
105En effet, l’ensemble des réformes de structures a été le produit des engagements pris par les représentants des organisations professionnelles en présence. Afin que ces réformes eussent un sens il fallait que l’esprit dans lequel elles avaient été envisagées soit partagé par tous les industriels. La propagande développée par Fabrimétal dans les années d’après-guerre vis-à-vis de ses affiliés avait pour but de convaincre ceux-ci que la réussite des réformes dépendait en grande partie de l’attitude des employeurs envers leur personnel. Il était donc nécessaire que les chefs d’entreprise ne freinassent pas leur application et prissent conscience du nouveau visage des relations collectives du travail, que le temps des privilèges et de la lutte des classes fût dépassé, que le patronat cessât d’adopter une attitude de résignation ou de réaction mais s’engageât dans la voie de la collaboration : Fabrimétal tenta de rallier tous ses membres à ces thèses. Selon la Fédération, c’était l’unique façon de donner au pays une certaine stabilité sociale. Parallèlement, l’instauration des réformes de structure rendait nécessaire le renforcement de l’organisation patronale. Ce renforcement, Fabrimétal le justifiait aussi par la nécessité pour les employeurs de faire bloc face à la puissance de l’Etat et des organisations syndicales.
106Les réformes de structures ont, néanmoins, été considérées comme un semi-échec de part et d’autre. Il est vrai que nombre d’employeurs n’ont pas modifié leur attitude devant les réformes. Si les dirigeants des grandes et des moyennes entreprises ont, en général, pris conscience de la modification du rapport entre capital et travail, il n’en a pas toujours été de même pour les industriels à la tête d’entreprises familiales, fort nombreux dans cette industrie. Du côté syndical, Fabrimétal l’a reconnu volontiers, un effort certain a été fourni pour la formation des délégués mais cet effort a été jugé insuffisant par Fabrimétal.
107Fabrimétal a émis un certain nombre de critiques envers l’action des syndicats qui, selon elle, auraient été conduits à entretenir chez les travailleurs un appétit sans cesse grandissant et un état de perpétuelle insatisfaction. Durant toute cette période, le patronat a demandé la personnalité civile pour les organisations professionnelles. Il attendait de cette réforme un contrôle accru dans les rapports des organisations syndicales avec leur base.
108Fabrimétal a accusé aussi les deux grandes centrales de pratiquer la surenchère à tous les niveaux. A cet égard, il faut remarquer que la fédération entretenait le même type de relations avec les deux centrales. Il est arrivé que Fabrimétal tente d’utiliser les rivalités entre les deux organisations syndicales pour mener sa politique mais bien souvent cela a eu pour effet de rapprocher les deux centrales plutôt que de les diviser davantage.
109Cependant, la position de Fabrimétal semblait d’autant plus forte qu’elle intervenait comme organisation patronale unique en face d’organisations syndicales rivales. A partir de 1950, ont commencé à se faire jour, au sein même des centrales professionnelles, les divergences entre les fédérations flamandes et wallonnes. Face à ce clivage qui s’accentuait dans les années’60, Fabrimétal constituait un bloc homogène. Du côté des employeurs, les différences entre régions flamande et wallonne ont eu moins de conséquences. Certes, les revendications syndicales, et essentiellement celles concernant les salaires, n’étant pas toujours identiques dans toutes les régions, il est arrivé que des associations régionales de Fabrimétal préfèrent dans certains cas négocier de manière indépendante. C’est le cas, nous l’avons vu, de l’association régionales de Liège. Mais de telles divergences du côté patronal ont sans doute moins été le reflet de la lutte économique entre les entreprises que la conséquence des rapports de force et des conceptions des dirigeants syndicaux. L’intensité de la lutte syndicale dans les régions est par ailleurs aussi liée à la personnalité des responsables syndicaux régionaux.
110x
111x x
112Certains arguments ont été invoqués de façon récurrente par Fabrimétal. La situation économique est le principal d’entre eux : si la conjoncture est mauvaise, il est inadmissible d’avancer des revendications qui ont pour conséquence un alourdissement des prix de revient. Si, par contre, elle est favorable, c’est la position concurrentielle du pays et de l’industrie des fabrications métalliques tournée vers l’exportation qui doit être sauvegardée.
113Fabrimétal s’est attachée à montrer que du point de vue des avantages sociaux, la Belgique était en avance sur tous les pays voisins, que le patronat ne formulait pas une opposition de principe aux revendications, mais qu’il fallait inscrire le progrès social dans le cadre européen. Lorsqu’une revendication importante était émise, bien souvent Fabrimétal refusait de la prendre en considération, avançant que le problème concernait toute l’industrie et que le débat devait être transposé au niveau interprofessionnel.
114La métallurgie a constitué en quelque sorte le fer de lance des organisations syndicales qui cherchaient à créer des précédents dans cette industrie. Dès lors, Fabrimétal a représenté dans certains cas, tout le patronat et a obtenu l’appui de la F.I.B.
115Cependant, dans certains conflits, la position de Fabrimétal est apparue plus dure que celle du reste du patronat.
116On distingue dans la stratégie utilisée par Fabrimétal, un certain nombre de constantes. Quand le problème est considéré comme trop important, la fédération souhaite qu’il ne soit pas résolu par une seule branche de l’industrie. Par contre, lorsque des revendications se font jour qui ne peuvent être déplacées à l’échelon interprofessionnel, ou qui ont déjà été satisfaites à ce niveau, Fabrimétal désire que les mesures soient étudiées usine par usine afin d’éviter une extension trop rapide. La fédération tente, en effet, bien souvent de retarder par tous les moyens la discussion de problèmes importants, utilisant systématiquement l’argument de la grande diversité de taille et de situation des entreprises.
117René Javaux [15] a dénoncé l’attitude négative des représentants patronaux en Commission paritaire. Si l’ordre du jour comprenait des points qui la gênaient, Fabrimétal menaçait de ne pas siéger si ces questions étaient maintenues. Si les syndicats tenaient bon, la fédération essayait d’obtenir que les points litigieux ne viennent en discussion qu’en fin de réunion. Fabrimétal retardait les réunions par des remises successives, des discussions préliminaires qui surchargeaient les ordres du jour. Un problème supplémentaire est provenu du fait que l’organisation patronale s’en tenaient au principe selon lequel elle ne représentait que ses membres et refusait de prendre des responsabilités pour l’ensemble des entreprises dépendant de la Commission paritaire. Ses porte-parole refusaient bien souvent de laisser sanctionner une décision de la Commission paritaire par un arrêté royal. Dès lors, si une entreprise ne désirait pas se conformer aux décisions prises par son organisation en Commission paritaire, il lui était possible de se désaffilier.
118Si Fabrimétal s’est révélée souvent plus tenace que les autres organisations patronales de la métallurgie, une fois un accord signé elle s’y tenait généralement et invitait ses affiliés à se ranger à sa décision et à étudier les moyens à mettre en œuvre afin que les mesures fussent appliquées de la meilleure façon. Il est arrivé néanmoins que les accords ne soient pas suffisamment précis sur certains points. Fabrimétal les interprétait alors d’une manière qui provoquait souvent l’opposition des dirigeants syndicaux. Cela est vrai surtout pour les accords des années’60, particulièrement pour les points concernant la création d’un fonds de sécurité d’existence.
119La stratégie patronale a changé avec la conclusion des accords de programmation : au lieu de vouloir que les revendications soient étudiées usine par usine, Fabrimétal préférait obtenir des conventions valables de un à deux ans qui garantissaient une certaine stabilité sociale. L’évolution vers la programmation sociale était la conséquence logique de l’attitude de Fabrimétal. Le souci de ne pas créer de précédents, de ne pas déforcer le bloc patronal, de rendre les affiliés conscients de la nécessité d’une solidarité qui s’élève au-dessus de la notion de concurrence entre firmes a poussé la fédération à négocier des accords valables pour toutes les entre prises membres.
120Le rôle de l’organisation professionnelle s’est confirmé lorsque celle-ci est parvenue à garantir la stabilité sociale tout en inscrivant les revendications dans une perspective d’ensemble qui a élargi la vision beaucoup plus empirique et individuelle des chefs d’entreprises.
Notes
-
[1]
Fabrimétal fut associée à ces pourparlers par l’intermédiaire de celui qui allait devenir son directeur général, Georges Velter.
-
[2]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1947, p.10.
-
[3]
Cité par J. Deprimoz in Les salaires et le niveau de vie ouvrier en Belgique – 1936-1951, Paris, 1954, p. 54.
-
[4]
Procès-verbal de la séance du Conseil d’administration du 13 novembre 1946.
-
[5]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1946, pp. 21- 22.
-
[6]
V. Féaux, "Le délégué syndical de la métallurgie", Revue de Sociologie de l’U.L.B., 1965, n° 4, p. 693.
-
[7]
Bulletin hebdomadaire de Fabrimétal du 15 mars 1954, p. 194.
-
[8]
G. Velter, "Grèves", Editorial in Bulletin hebdomadaire du 24 mai. 1952, p. 376.
-
[9]
C.M.B, Rapport annuel et financier, 1954-1956, p. 130.
-
[10]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1960, p. 31.
-
[11]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1960, p. 27.
-
[12]
Rapport annuel du Conseil d’administration de Fabrimétal, exercice 1961.
-
[13]
G. Spitaels, L’année sociale 1964, Editions de l’Institut de Sociologie de l’U.L.B., Bruxelles 1965, p. 204.
-
[14]
La revendication concernant le paiement des trois jours de carence en cas de maladie a été abandonnée par la C.M.B.
-
[15]
R. Javaux, "Relations humaines et organiques en métallurgie", Rapport présenté au Congrès de la C.C.M.B. des 28 et 29 mai 1960, pp. 14-15. René Javaux était secrétaire général de la C.C.M.B. à cette époque.