Notes
-
[1]
Beth A. Conklin, Laura R. Graham, « The Shifting Middle Ground. Amazonian Indians and Eco-politics », American Anthropologist, 97 (4), 1995, p. 695-710.
-
[2]
Richard Auty, Sustaining Development in Mineral Economies. The Resource Curse Thesis, Londres, Routledge, 1993 ; Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty. Oil Booms and Petro-States, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[3]
Sonja Grimm, Nicolas Lemay-Hébert, Olivier Nay, « “Fragile States”. Introducing a Political Concept », Third World Quarterly, 35 (2), 2014, p. 197-209.
-
[4]
Anthony Bebbington, et al., Governing Extractive Industries. Politics, Histories, Ideas, Oxford, Oxford University Press, 2018.
-
[5]
Eduardo Gudynas, « Extractivisms : Tendencies and Consequences », dans Ronaldo Munck, Raúl Delgado Wise (eds), Reframing Latin American Development, Londres, Routledge, 2018, p. 61-76.
-
[6]
Stuart Kirsch, Mining Capitalism. The Relationship between Corporations and Their Critics, Oakland, University of California Press, 2014 ; Fabiana Li, Unearthing Conflict : Corporate Mining, Activism, and Expertise in Peru, Durham, Londres, Duke University Press, 2015.
-
[7]
Emma Gilberthorpe, Dinah Rajak, « The Anthropology of Extraction. Critical Perspectives on the Resource Curse », The Journal of Development Studies, 53 (2), 2017, p. 186-204.
-
[8]
Voir cependant David Szablowski, Transnational Law and Local Struggles. Mining Communities and the World Bank, Oxford, Hart Publishing, 2007.
-
[9]
Arturo Escobar, « Sentipensar con la tierra. Las luchas territoriales y la dimensión ontológica de las epistemologías del Sur », Revista de antropología iberoamericana, 11 (1), 2016, p. 11-32.
-
[10]
Christopher Krupa, David Nugent, « Off-centered States. Rethinking State Theory through an Andean Lens », dans C. Krupa, D. Nugent (eds), State Theory and Andean Politics. New Approaches to the Study of Rule, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2015, p. 1-31.
-
[11]
Doris Buu-Sao, « “Asseoir l’État” : contester et instituer l’ordre extractif en Amazonie péruvienne », thèse de doctorat en science politique, Sciences Po Paris, 2017.
-
[12]
Karen Bakker, Gavin Bridge, « Material Worlds ? Resource Geographies and the “Matter of Nature” », Progress in Human Geography, 30 (1), 2006, p. 5-27.
-
[13]
Maurice Godelier définit ainsi le territoire comme « une portion de l’espace sur lequel une société déterminée revendique et garantit à tout ou une partie de ses membres des droits stables d’accès, de contrôle et d’usage portant sur tout ou partie des ressources qui s’y trouvent et qu’elle est désireuse et capable d’exploiter ». Maurice Godelier, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés (1984), Paris, Flammarion, 2010, p. 112.
-
[14]
Carolyn Merchant, « Exploiter le ventre de la terre », dans Émilie Hache (dir.), Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris, Kambourakis, 2016, p. 129-158.
-
[15]
Jorge Basadre, Historia de la República del Perú, 1822-1933, Lima, El Comercio, 2005, vol. 1, p. 249. Les citations d’extraits en espagnol, dans les publications scientifiques ou les entretiens, ont été traduites par mes soins.
-
[16]
Carlos Contreras, Marcos Cueto, « Caminos, ciencia y Estado en el Perú, 1850-1930 », História, Ciências, Saúde – Manguinhos, 15 (3), 2008, p. 635-655.
-
[17]
Edmundo O’Gorman, L’invention de l’Amérique. Recherche au sujet de la structure historique du Nouveau Monde et du sens du devenir, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2007.
-
[18]
Neil Safier, Measuring the New World. Enlightenment Science and South America, Chicago, University of Chicago Press, 2012, p. 90.
-
[19]
Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 2015.
-
[20]
C. Contreras, M. Cueto, « Caminos, ciencia y Estado en el Perú, 1850-1930 », art. cité, p. 646.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Eugenio Delgado, « Memoria anual correspondiente al año 1904 que presenta a la Junta General el Presidente de la Sociedad geográfica de Lima Eugenio Delgado », Boletín de la Sociedad geográfica de Lima, 16, 1904, p. 71-81.
-
[23]
En 1870, on dénombrait dans le Loreto un préfet, quatre sous-préfets, 25 gouverneurs et des douzaines de lieutenants-gouverneurs dans les villages de plus de 300 habitants. Ascensión Martínez Riaza, « Política regional y gobierno de la Amazonía peruana : Loreto, 1883-1914 », Histórica, 23 (2), 1999, p. 393-462.
-
[24]
« Exploración de los ríos Nanai, Itaya, Morona, Pastza i Tigre por el 2o ayudante de la Comisión hidrográfica del Amazonas, don Gualterio R. Butt (1873) », dans Carlos Larrabure i Correa, Colección de leyes, decretos, resoluciones i otros documentos oficiales referentes al departamento de Loreto, Lima, La opinión nacional, 1905, vol. III, p. 106-107.
-
[25]
Jean-Claude Roux, « El reino del oro negro del Oriente peruano. Una primera destrucción del medio amazónico, 1880-1910 », dans Pilar García Jordán (ed.), La construcción de la Amazonía andina (siglos 19-20). Procesos de ocupación y transformación de la Amazonía peruana y ecuatoriana entre 1820 y 1960, Quito, Abya-Yala, 1995, p. 107-152.
-
[26]
Frederica Barclay, Fernando Santos Granero, La frontera domesticada. Historia económica y social de Loreto, 1850-2000, Lima, Fondo Editorial PUCP, 2002, p. 59.
-
[27]
Rosemary Thorp, Geoffrey Bertram, Peru, 1890-1977. Growth and Policy in an Open Economy, Londres, Macmillan, 1978, p. 102.
-
[28]
Albert Meister, L’autogestion en uniforme. L’expérience péruvienne de gestion du sous-développement, Toulouse, Privat, 1981, p. 169.
-
[29]
« Mensaje de aliento del Pdte. Velasco para los trabajadores de Iquitos », El Comercio, 21 novembre 1971, p. 4. Signé par le général Juan Velasco Alvarado à Lima le 17 novembre 1971.
-
[30]
La majorité du territoire amazonien est recouverte de « lots » de centaines d’hectares, délimités par les autorités péruviennes et proposés en concession à des entreprises privées pour l’exploration et/ou l’exploitation.
-
[31]
David G. Becker, The New Bourgeoisie and the Limits of Dependency. Mining, Class, and Power in Revolutionary Peru, Princeton, Princeton University Press, 1983.
-
[32]
Catherine M. Conaghan, James M. Malloy, Luis A. Abugattas, « Business and the “Boys”. The Politics of Neoliberalism in the Central Andes », Latin American Research Review, 25 (2), 1990, p. 3-30.
-
[33]
Congreso de la República, « Ley orgánica de hidrocarburos », Ley No 26221, art. 13, 1993.
-
[34]
F. Barclay, F. Santos Granero, La frontera domesticada. Historia económica y social de Loreto, 1850-2000, op. cit.
-
[35]
Michael Uzendoski, Norman E. Whitten, « From “Acculturated Indians” to Dynamic Amazonian Quichuaspeaking Peoples », Tipití. Journal of the Society for the Anthropology of Lowland South America, 12 (1), 2014, p. 1-13.
-
[36]
Dans le sens où ils sont infériorisés sur la base de marqueurs physiques interprétés comme le signe d’une altérité radicale et héréditaire. Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, Mouton, 1972.
-
[37]
Anne-Christine Taylor, « The Western Margins of Amazonia from the Early Sixteenth to the Early Nineteenth Century », dans Frank Salomon, Stuart B. Schwartz (eds), The Cambridge History of the Native Peoples of the Americas, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 188-256.
-
[38]
Loi no 22175 des Communautés natives et de développement agraire de la forêt promulguée en 1978, Titre II, art. 8.
-
[39]
Alberto Chirif, Pedro García Hierro, Marcando territorio. Progresos y limitaciones de la titulación de territorios indígenas en la Amazonía, Lima, IWGIA, 2007, p. 105.
-
[40]
Nancy Lee Peluso, Peter Vandergeest, « Territorialization and State Power in Thailand », Theory and Society, 24 (3), 1995, p. 388.
-
[41]
Outre les taxes perçues chaque année par l’État central, le Loreto reçoit depuis 1976 une redevance d’une valeur de 10 % de la production pétrolière annuelle des sites.
-
[42]
Paulo Drinot, The Allure of Labor. Workers, Race, and the Making of the Peruvian State, Durham, Duke University Press, 2011.
-
[43]
C’est le terme le plus répandu, « Indien » ayant une connotation péjorative, et « autochtone » étant peu usité au Pérou. Il est donc préféré ici, d’autant qu’il rappelle l’histoire coloniale de cette assignation identitaire.
-
[44]
Kent H. Redford, « The Ecologically Noble Savage », Cultural Survival Quaterly, 15 (1), 1990, p. 46-48.
-
[45]
P. Drinot, « The Meaning of Alan García. Sovereignty and Governmentality in Neoliberal Peru », Journal of Latin American Cultural Studies, 20 (2), 2011, p. 179-195 ; Oscar Espinosa de Rivero, « ¿Salvajes opuestos al progreso ? Aproximaciones históricas y antropológicas a las movilizaciones indígenas en la Amazonía peruana », Antropológica, 27, 2009, p. 123-168.
-
[46]
Roger Merino Acuña, « The Politics of Extractive Governance : Indigenous Peoples and Socio-environmental Conflicts », The Extractive Industries and Society, 2 (1), 2015, p. 85-92.
-
[47]
Susana Sawyer, Crude Chronicles, Indigenous Politics, Multinational Oil, and Neoliberalism in Ecuador, Durham, Duke University Press, 2004 ; D. Rajak, In Good Company. An Anatomy of Corporate Social Responsibility, Stanford, Stanford University Press, 2011.
-
[48]
D. Buu-Sao, « Devenir ouvriers en Amazonie. Entre travail industriel et vie de village », Terrains & travaux, 34 (1), 2019, p. 19-45.
-
[49]
Charis Enns, Brock Bersaglio, « Enclave Oil Development and the Rearticulation of Citizenship in Turkana, Kenya. Exploring “Crude Citizenship” », Geoforum, 67, 2015, p. 81 ; Jana Hönke, « New Political Topographies. Mining Companies and Indirect Discharge in Southern Katanga (DRC) », Politique africaine, 120 (4), 2011, p. 105-127.
-
[50]
D’après l’agence péruvienne d’investissement public Proinversión, “¿En qué consiste ?” (http://www.obrasporimpuestos.pe/) (consulté le 10 octobre 2019).
-
[51]
Béatrice Hibou, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012, p. 81.
-
[52]
Depuis la fin des années 1970, les communautés natives ont tendance à se regrouper en fédérations sur la base d’appartenances ethno-linguistiques : par exemple, à l’échelle régionale, la Fédération quechua, et à l’échelle nationale, l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne (AIDESEP), principale organisation à la tête des mobilisations de 2009. Même s’il est majoritaire, ce système de représentation n’empêche pas l’existence d’autres organisations moins revendicatives.
-
[53]
Presidencia del consejo de ministros, Resolución Ministerial No 161-2011-PCM, 2011. Annexe, §4.1.
-
[54]
Institucionalidad para el diálogo y la prevención de conflictos. El caso peruano, Lima, Centro regional para América latina y Carines del PNUD, 2014, p. 34.
-
[55]
Koldo Echebarría, Juan Carlos Cortázar, « Las reformas de la administración y el empleo públicos en América Latina », dans Eduardo Lora, El estado de las reformas del Estado en América latina, Washington, Banque interaméricaine du développement/Banque mondiale, 2007, p. 164-198.
-
[56]
Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et analyse politique », dans Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, p. 469-565 ; Timothy Mitchell, « The Limits of the State. Beyond Statist Approaches and Their Critics », The American Political Science Review, 85 (1), 1991, p. 77-96.
-
[57]
Bruce Berman, John Lonsdale, Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa, Londres, Nairobi, Athens, Ohio University Press, 1992, p. 5.
-
[58]
Sur la « figure de l’abandon » dans un contexte comparable, voir Mattias Borg Rasmussen, « Tactics of the Governed. Figures of Abandonment in Andean Peru », Journal of Latin American Studies, 49 (2), 2017, p. 327-353.
-
[59]
B. Hibou, Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
-
[60]
Gabriel Vommaro, « Une bureaucratie para-étatique mouvante. La production locale du Welfare des précaires en Argentine à l’ère du capitalisme postindustriel », Gouvernement et action publique, 8 (1), 2019, p. 35-60 ; Julieta Quirós, La politique vécue. Péronisme et mouvements sociaux dans l’Argentine contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2016.
-
[61]
Gwenola Le Naour, « Entrer dans l’action publique en la contestant. Quand la cause des usagers de drogues devient soluble dans la politique marseillaise de lutte contre le sida et la toxicomanie », Politix, 70 (2), 2005, p. 9-28.
-
[62]
Christine Guionnet, « Marginalité en politique et processus d’institutionnalisation. Les mouvements Motivé-e-s et citoyens (2001-2003) », dans Lionel Arnaud, Christine Guionnet (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 165.
-
[63]
C. Krupa, D. Nugent, « Off-centered States. Rethinking State Theory through an Andean Lens », cité, p. 14-15.
-
[64]
Christian Lund, « Rupture and Rule. State Formation through the Production of Property and Citizenship », Development and Change, 47 (6), 2016, p. 1199-1228.
-
[65]
La bataille d’Arica a eu lieu en 1880, pendant la guerre du Pacifique (1879-1884). Le 7 juin en a été le moment le plus intense, les forces chiliennes ont alors pris l’avantage sur l’armée péruvienne et ont fini par l’emporter.
-
[66]
Peter Sahlins, « The Nation in the Village. State-building and Communal Struggles in the Catalan Borderland during the Eighteenth and Nineteenth Centuries », The Journal of Modern History, 60 (2), 1988, p. 234-263.
-
[67]
Julia Eckert, « Subjects of Citizenship », Citizenship Studies, 15 (3-4), 2011, p. 309-317.
-
[68]
T. Mitchell, « The Limits of the State. Beyond Statist Approaches and Their Critics », art. cité, p. 94.
-
[69]
James Holston, « Contesting Privilege with Right. The Transformation of Differentiated Citizenship in Brazil », Citizenship Studies, 15 (3-4), 2011, p. 335-352.
-
[70]
T. Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.
-
[71]
A. Escobar, « Sentipensar con la tierra. Las luchas territoriales y la dimensión ontológica de las epistemologías del Sur », art. cité.
-
[72]
Le World Wildlife Fund (WWF), l’un des principaux soutiens financiers de la Fédération quechua, a ainsi été créé en 1961 par d’ancien·nes administrateur·rices de colonies africaines recruté·es par l’Unesco ou par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dans le but de préserver les parcs naturels des déprédations causées, notamment, par les habitant·es pratiquant l’agro-pastoralisme. Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Paris, Flammarion, 2020.
-
[73]
Je tiens à remercier Lilian Mathieu pour sa relecture d’une première version de ce texte et pour son encadrement de la recherche doctorale d’où est issu cet article. Merci également aux rapporteurs et rapportrices anonymes de Critique internationale et à Catherine Burucoa qui, par leur travail d’évaluation et d’édition, m’ont permis de le faire aboutir.
1En décembre 2009, 27 habitants d’Andoas, un village de l’Amazonie péruvienne, ont été acquittés après un an de procès. Mobilisés face à une compagnie pétrolière qui exploite les sous-sols d’Andoas, ils étaient inculpés pour des chefs d’accusation allant du trouble à l’ordre public au meurtre d’un officier, tué alors que la police intervenait pour débloquer l’aéroport de la compagnie qu’occupaient des centaines d’habitant·es des villages environnants. Peu de temps avant ce verdict, une autre mobilisation liée à l’extraction des ressources d’Amazonie avait mis à l’épreuve l’autorité étatique : depuis juin 2008, des organisations autochtones se mobilisaient contre des décrets accusés de faciliter la concession de leurs territoires à des compagnies minières ou pétrolières. Des routes et un site pétrolier étaient occupés ; le 5 juin 2009, les forces de l’ordre sont intervenues et l’affrontement qui en a résulté a fait officiellement 33 victimes dont 23 policiers. Le Premier ministre a finalement annoncé la suspension des décrets litigieux et un remaniement ministériel intégral.
2Au Pérou, l’année 2009 a ainsi bien montré combien les contestations face à l’extraction des ressources naturelles peuvent mettre en difficulté les autorités publiques. À mesure que ces mouvements s’ethnicisaient et que leurs porte-parole s’alliaient avec des organisations non gouvernementales (ONG) écologistes, locales ou transnationales [1], ils ont gagné en ressources, en visibilité et en crédibilité. Cependant, alors que cette conflictualité semble éprouver frontalement les pouvoirs publics, l’observation des terrains extractifs laisse entrevoir des processus plus ambivalents. À partir d’une enquête au long cours menée autour du plus ancien site pétrolier d’Amazonie péruvienne, j’explore les liens entre l’exploitation des sous-sols d’une nation, les contestations qu’elle suscite et la formation d’un ordre politique national. Cette relation est souvent abordée, en science politique, au prisme d’une « malédiction des ressources » dont témoignerait la corrélation entre la rente extractive et les pratiques corruptives [2]. L’extraction des ressources naturelles porterait alors systématiquement atteinte aux « capacités » de l’État, autrement dit à la mise en œuvre effective des politiques publiques. Ces approches partagent une vision normative de l’État qui associe la construction d’un ordre politique aux « capacités » et « fragilités » institutionnelles des grilles de lecture des bailleurs internationaux [3]. Des analyses plus fines soulignent le rôle des coalitions d’acteurs dans les arrangements institutionnels qui sont au cœur du gouvernement des industries extractives [4]. Elles mettent en évidence le poids des politiques « extractivistes » qui accordent la priorité à ce secteur considéré comme une source stratégique de croissance, de fiscalité et de redistribution [5].
3S’ils soulignent à raison les enjeux politiques de l’exploitation des ressources naturelles, ces travaux en restreignent l’analyse aux institutions et aux élites gouvernantes. À rebours de ces lectures surplombantes, la politique des ressources naturelles est aussi appréhendée depuis les sites extractifs. Dans une perspective ethnographique, une attention particulière est prêtée aux disputes entre les collectifs en présence, principalement les compagnies extractives et les populations locales, plus rarement les pouvoirs publics [6]. Ces travaux saisissent avec précision la portée des transformations à l’œuvre et échappent au déterminisme de la théorie de la malédiction des ressources [7]. Toutefois, ils ont tendance à laisser de côté la question de la construction de l’autorité politique [8].
4Tout en m’inscrivant dans la continuité de ces approches localisées, je propose de renouer avec l’enjeu gouvernemental qui préside à l’exploitation des sous-sols. L’extraction prend place dans un territoire qui est à la fois une étendue de terre à contrôler, une source de revenus économiques et fiscaux et un milieu de vie affecté par des activités industrielles. Des anthropologues latino-américain·es soulignent que la notion de « territoire », réduite par la pensée moderne européenne à un impératif de contrôle politique et de valorisation économique, recouvre un tout autre sens pour certaines « épistémologies du Sud » [9] : ainsi que l’ont montré des mobilisations autochtones depuis les années 1980, le territoire est vécu comme un lieu d’existence dont l’appropriation repose sur des pratiques productives mais aussi culturelles et rituelles. De quelle manière l’économie extractive et l’action publique qui la soutient contribuent-elles à imposer la conception moderne du territoire, et comment les luttes sociales qui surgissent en terrain extractif influencent-elles ce processus ? À la suite des analyses qui appréhendent l’État au-delà des institutions et des élites politiques [10], je propose donc d’analyser par le bas les modes de gouvernement et les contestations qui se déploient autour de l’exploitation de la nature comme autant de processus qui influent sur la production d’un ordre politique national associé à la conception moderne du territoire.
Une ethnographie aux confins du territoire péruvien
Cette analyse se fonde sur une enquête menée entre 2012 et 2014 au Pérou dans le cadre d’une thèse de science politique [11]. L’ethnographie s’ancre dans les villages voisins d’un site pétrolier en activité depuis près de cinquante ans et situés au nord de l’Amazonie péruvienne, à la frontière avec l’Équateur, sur les rives du fleuve Pastaza. Arrivée sur le terrain avec l’aide d’une organisation autochtone aspirant à représenter les habitant·es face à l’industrie pétrolière et aux pouvoirs publics, j’ai observé des mobilisations, des négociations, mais aussi l’ordinaire des villages et de leur proximité avec le site industriel. La moitié des quinze mois d’enquête a été passée dans les villages et l’autre dans des villes (Lima, Iquitos) où j’ai suivi le quotidien des leaders autochtones et rencontré leurs interlocuteurs et interlocutrices des pouvoirs publics et des compagnies pétrolières. Au total, j’ai conduit une centaine d’entretiens auxquels s’ajoutent de nombreuses observations et conversations informelles, ainsi que la consultation d’archives villageoises, militantes et ministérielles.
6Mon analyse est construite en trois temps qui resserrent progressivement la focale sur le terrain extractif d’Andoas. Je montre d’abord comment, sur le temps long de l’histoire amazonienne, l’exploitation des ressources naturelles a été un instrument au service du contrôle exercé sur le territoire. Je reviens ensuite sur la contribution du développement de l’industrie pétrolière au gouvernement des populations amazoniennes depuis les années 1970. Enfin, je m’intéresse aux habitant·es confronté·es à l’industrie pétrolière qui, en se mobilisant face à l’État, contribuent à consolider sa légitimité et son assise territoriale aux frontières du pays.
Produire la ressource, s’approprier le territoire
7La nature devient ressource par le biais d’interventions humaines et en fonction de besoins qui varient dans le temps et dans l’espace [12]. Cette « production » de la ressource naturelle est indissociable de la question du contrôle du territoire et des populations qui l’habitent [13]. C’est dans cette perspective que j’interroge le processus éminemment politique par lequel l’Amazonie péruvienne a été transformée en un territoire exploitable et gouvernable, selon la conception moderne dualiste, qui s’est imposée au cours des xvie et xviie siècle en Europe, d’une nature séparée de l’humanité qu’il s’agit de maîtriser pour s’en approprier les richesses [14].
En quête de l’Eldorado amazonien
8Comme le rappelle Jorge Basadre, historien et partisan de la construction nationale, « une des manifestations les plus criantes de la faiblesse initiale de l’idée de Patrie a été le peu de conscience des frontières. Dans les premiers jours du Pérou indépendant, beaucoup ne savaient rien de l’Amazonie » [15]. Dès lors, la géographie a émergé au Pérou comme une science d’État qui permettait l’appropriation d’un territoire et de ses ressources naturelles, mais aussi le contrôle politique de ces étendues de terre distantes des centres urbains [16].
9Avant les indépendances, le savoir géographique jouait un rôle central dans la conquête du continent, à travers ce que certains historiens appellent l’« invention » de l’Amérique [17], tant l’imaginaire colonisateur est déterminant dans ce processus. La quête de l’Eldorado ou des Amazones a été une force motrice de l’enthousiasme explorateur. Même au xviiie siècle, alors que les scientifiques des Lumières s’efforçaient de compiler, classer et analyser le monde observé, les mythes ont persisté : au terme de son voyage le long de l’Amazone, l’encyclopédiste Charles de La Condamine a ainsi dessiné l’emplacement probable de l’Eldorado et des tribus amazones sur une carte publiée en 1745 [18]. Ces énoncés scientifiques étaient profondément politiques, à l’instar des « géographies imaginaires » sur lesquelles s’est fondé l’orientalisme : en catégorisant des territoires et les populations qui les habitaient comme radicalement autres, en traçant une frontière entre un « nous » et un « eux » qualifiés de « barbares », les discours géographiques légitimaient et donnaient forme au projet de domination coloniale [19].
10L’essor au xixe siècle d’une géographie nationale a ravivé cet imaginaire. Animées par des motivations scientifiques autant que nationalistes, les élites du Pérou indépendant ont ambitionné d’explorer toute l’Amazonie. Créée par le décret présidentiel du 22 février 1988 et placée sous la tutelle du ministère des Relations intérieures, la Société géographique de Lima (SGL) a été un pilier de ce « nationalisme géographique » [20]. À partir de 1891, elle a publié dans son Bulletin annuel des récits de voyages, des analyses scientifiques et des interventions publiques. Elle était alors le premier centre de recherche national. Ses activités d’exploration, subordonnées à la demande gouvernementale, étaient « destinées à favoriser l’exploitation des ressources naturelles, la démarcation politique de l’intérieur du territoire péruvien (...) et l’établissement de frontières précises avec les pays voisins » [21]. L’Amazonie, qui couvre les deux tiers du pays, occupait une place centrale dans ce programme, comme en témoigne la création en 1902 de la Société géographique d’Iquitos, dans le département du Loreto. En 1904, le président de la SGL affirmait que cette antenne amazonienne « permettrait de réaliser ces prédictions qui auguraient que l’Amazonie serait le grenier du monde entier et l’un des grands centres futurs de la civilisation humaine ; cette région serait bientôt, sans aucun doute, le fameux El Dorado » [22]. Ainsi les mythes fondateurs de la conquête ont-ils été actualisés par la géographie nationale.
11Il convient d’examiner l’activité de la SGL en Amazonie à la lumière de l’enjeu du contrôle étatique qui caractérise cette région. Depuis l’indépendance du Pérou, les frontières du Loreto faisaient l’objet de plusieurs différends, le principal étant celui qui opposait le pays à l’Équateur (cf. carte 2). Ce conflit n’a vraiment pris fin qu’en 1999, à l’issue d’une guerre remportée par le Pérou qui a annexé le territoire où ont été découverts des gisements pétroliers à partir de 1971. Les autorités préfectorales se sont alors employées à établir les frontières de la région et à développer des voies de communication permettant le maillage administratif du territoire et l’implantation de garnisons aux frontières revendiquées par le Pérou [23]. Cependant, à partir de 1884, elles se sont heurtées aux contraintes budgétaires imposées par l’État central du fait de la crise consécutive à la perte du département de Tarapacá dont les côtes, riches en salpêtre et en guano, étaient la principale source d’exportation. Le contrôle administratif du territoire amazonien demeurant fragile au tournant du xxe siècle, l’activité exploratrice allait permettre d’identifier de nouvelles sources de revenus : occupation militaire, mise en ordre politique et valorisation économique ont été ainsi les trois piliers de la géographie nationale.
Le Loreto dans les conflits frontaliers Pérou-Équateur
Carte réalisée par l’auteure à partir des données actualisées de Ronald Bruce St John, « The Ecuador-Peru Dispute. A Reconsideration », dans Pascal Girot (ed.), The Americas. World Boundaries Series volume 4, Londres, Routledge, 1994, p. 113-133.12À partir de la seconde moitié du xixe siècle, les voyages d’exploration se sont multipliés et des cartes et descriptions de plus en plus précises ont été publiées dans des atlas pensés pour insuffler une conscience nationale du territoire amazonien. Tel a été le cas pour le fleuve Pastaza, où est aujourd’hui implanté le plus vieux site pétrolier : « Son lit accidenté, à l’époque de la décrue, rend la navigation parfois impraticable, même pour certaines pirogues. Les eaux montent et descendent avec une grande rapidité et le bateau s’est enlisé plusieurs fois (...). On dit que ce fleuve contient beaucoup d’or et que des individus qui se sont aventurés à l’exploiter ont été victimes des indiens [sic] sauvages qui habitent ses rives [24].
13Si les récits décrivaient immanquablement les dangers liés à un milieu naturel inhospitalier et à des autochtones « sauvages », ils évoquaient aussi le potentiel économique de ses ressources naturelles. Au-delà de l’occupation des frontières et du contrôle administratif du territoire, le cœur de l’action publique en direction de l’Amazonie a en effet consisté à soutenir le développement d’une économie régionale reposant principalement sur l’exploitation des ressources naturelles.
D’un or noir à l’autre
14Dans la seconde moitié du xixe siècle, l’administration péruvienne a tenté d’encourager le développement d’implantations agricoles en Amazonie, mais les nouveaux arrivés s’adaptaient mal à la forêt tropicale. Aux colonies agricoles imaginées par les élites de Lima s’est alors substituée l’exploitation du caoutchouc. Entre 1888 et 1910, le prix de cet « or noir » a été multiplié par trois sur le marché mondial [25]. Cette économie nouvelle a déclenché l’urbanisation de la capitale du département de Loreto, Iquitos, dont la population est passée de 3 000 âmes en 1872 à 24 000 en 1930, tandis que les entrepreneurs du caoutchouc contribuaient « à la colonisation des aires les plus reculées de la région et par conséquent à la préservation de son intégrité territoriale » [26]. Le fleuve Pastaza a été l’un des premiers sites d’extraction, mais le cycle, qui avait commencé en 1862, n’a duré que vingt ans, les techniques d’exploitation ayant rapidement épuisé les arbres à latex. L’économie du caoutchouc n’en a pas moins laissé des traces durables sur la population du Pastaza. Les modes de recrutement de la main-d’œuvre locale combinaient la persuasion, par le biais d’intermédiaires et la vente de produits surévalués, et la coercition, qui allaient des châtiments corporels à l’exécution de celles et ceux qui tentaient de s’enfuir. Hommes, femmes et enfants ont été intégré·es à la production en tant que travailleurs forcés, domestiques ou prostituées. Ces modalités de captation de la main-d’œuvre ont dépeuplé les rares noyaux de sédentarisation. Après la première guerre mondiale, l’économie du caoutchouc amazonien s’est effondrée, l’Angleterre étant parvenue à cultiver l’hévéa hors de son milieu naturel. Ce n’est qu’avec la découverte d’un nouvel or noir, un demi-siècle plus tard, que se sont renoués les liens entre la nature du Pastaza, sa population et l’économie mondialisée.
15Au Pérou, la prospection pétrolière avait débuté à la fin du xixe siècle sur le littoral. Un monopole étranger sur la production pétrolière établi dans des termes très défavorables au Pérou s’était alors développé avec la complicité des autorités péruviennes [27]. En juillet 1968, le scandale d’un contrat passé entre le gouvernement et l’International Petroleum Company (IPC), la compagnie américaine qui contrôlait les gisements, a éclaté, et des militaires nationalistes sont parvenus au pouvoir par un coup d’État. La première décision du gouvernement putschiste du général Juan Velasco Alvarado, devenu président (1968-1975), a été de nationaliser l’IPC. Le pétrole, détonateur du coup d’État, est devenu ensuite un pilier de l’incorporation de la région amazonienne au territoire national. Considérant que « le pétrole de l’Amazonie [était] l’énergie de la révolution » [28], les militaires ont concentré sur cette zone les efforts de prospection, qui ont rapidement porté leurs fruits. En 1971, le président Velasco annonçait, au lendemain de la découverte d’un gisement prometteur sur le fleuve Corrientes, voisin du Pastaza : « Peuple de Loreto, votre magnifique et captivant Loreto redevient une terre promise pour cette Patrie que nous aimons tant » [29]. Peu après était découvert le gisement de Capahuari (1972), sur le fleuve Pastaza. Petroperú, née de la nationalisation d’IPC, a exploité le premier gisement, tandis qu’une compagnie nord-américaine obtenait le lot 1-AB [30], en amont des fleuves Pastaza, Corrientes et Tigre (cf. carte 1).
16Sous le régime militaire, Petroperú a été le principal investisseur dans le secteur pétrolier : plus d’un milliard de dollars entre 1961 et 1979, dont 75 % ont été consacrés à la construction d’un pipeline qui acheminait le pétrole à travers les Andes jusqu’à une raffinerie située sur la côte pacifique. La politique des militaires n’allait pas radicalement à l’encontre des intérêts de la bourgeoisie industrielle émergente, qui promouvait l’intervention de l’État pour favoriser l’expansion de l’industrie. Le « gouvernement révolutionnaire des forces armées » a surtout contribué, par l’intervention d’entreprises parapubliques dans l’économie, à la consolidation du capitalisme minier et pétrolier péruvien [31]. Après la fin du régime militaire, l’intervention de l’État dans l’économie a diminué. L’arrivée au pouvoir d’Alberto Fujimori (1990-2000) a marqué le début d’un processus de privatisation, dans le sillage des réformes néolibérales qui modifiaient en profondeur l’économie politique péruvienne [32]. En 1991, le capital de Petroperú a été ouvert au privé, et des lois de promotion des investissements ont garanti des conditions favorables aux entreprises privées pour soutenir le développement de l’industrie pétrolière, considérée comme un « cas de nécessité nationale et publique » [33].
17« Nationaliste », « révolutionnaire », « néolibéral »... Au-delà des étiquettes accolées aux régimes qui se sont succédé à la fin du xxe siècle, le recours à l’industrie pétrolière comme moyen d’incorporer l’Amazonie à l’ordre national a été une constante. Certes, le Pérou n’est pas un pays pétrolier, ses réserves ne suffisant pas à couvrir la demande nationale, mais les deux gisements, dont l’exploitation a été concédée à la multinationale Pluspetrol en 1996 et 2000, ont généré d’importantes transformations et demeurent aujourd’hui les sites pétroliers les plus productifs du pays. Depuis l’inauguration de l’oléoduc en 1978, la production du lot 1-AB est collectée dans la station centrale nommée Andoas, sur la rive gauche du Pastaza, puis propulsée vers la raffinerie. L’aéroport du site pétrolier permet de convoyer au quotidien les milliers de travailleurs et travailleuses qui, suivant un régime de rotation, sont employé·es trois semaines consécutives puis passent une semaine de repos à domicile.
18Aujourd’hui encore, très peu de routes relient l’Amazonie aux villes de la côte, comme Lima, ou des Andes. Le voyage jusqu’à Andoas dure en moyenne une semaine. Il faut emprunter plusieurs vols, axes routiers et/ou fluviaux pour atteindre le fleuve Pastaza qui n’est desservi par aucune ligne commerciale, et l’on ne peut le remonter qu’au moyen d’embarcations privées qui mettent plusieurs jours pour parvenir à destination. Dès lors, l’aérodrome du site pétrolier joue un rôle crucial dans le rattachement de cet espace frontalier à la société nationale. La compagnie pétrolière accorde régulièrement des places à des membres de l’administration péruvienne ou de l’armée qui se rendent à Andoas pour intervenir dans des affaires courantes ou assurer la relève des postes frontaliers. Le site pétrolier contribue ainsi à affermir l’emprise de l’État sur ce territoire, mais il lui permet aussi, de manière indirecte, de gouverner sa population.
Discipliner les « sauvages »
19Deux processus parallèles ont marqué le dernier tiers du xxe siècle dans le Pastaza : le développement d’une industrie pétrolière au nord du fleuve et la sédentarisation de centaines de familles sur ses rives, avec une plus grande concentration à proximité du site industriel. Dans le prolongement des travaux qui soulignent le rôle des politiques et des activités économiques dans la « domestication » de la région amazonienne [34], le développement de l’industrie pétrolière s’apparente à un outil de gouvernement de populations historiquement considérées comme indociles.
Civiliser et réprimer les tribus amazoniennes
20En 1971, quand du pétrole a été découvert dans les sous-sols amazoniens, les rives du Pastaza étaient peuplées de familles semi-nomades. La majorité d’entre elles parlent le quechua, mais beaucoup descendent d’autres groupes ethniques. Tout au long de l’histoire, les missionnaires, les explorateurs et les agents de l’administration péruvienne les ont décrites comme des tribus à « civiliser », situées sur une échelle allant des « sauvages » non christianisés aux ethnies « semi-civilisées » car perméables à l’évangélisation [35]. Ces groupes racialisés [36] ne sont pas restés passifs face aux entreprises de « civilisation » : quand ils ne résistaient pas ouvertement, ils s’échappaient des missions ou maintenaient des échanges avec les plus réfractaires. Ni les missionnaires ni les administrateurs ni les patrons du caoutchouc ne sont parvenus à assurer une emprise durable et totale sur ces populations [37].
21Un double tournant s’est opéré dans les années 1970 : à l’implantation d’activités industrielles s’est ajoutée la réforme agraire du gouvernement militaire. Désormais, l’accès aux terres se faisait par l’intermédiaire de deux figures inédites : la « communauté paysanne » dans les Andes et la « communauté native » en Amazonie. Instituée en 1974, la communauté native reste aujourd’hui le principal cadre juridique concernant les peuples amazoniens. Elle permet d’enregistrer la propriété collective d’un groupe de familles sur un territoire habité, mais pas sur les sous-sols, qui appartiennent à la nation. Cette figure institue ainsi un droit préférentiel à la propriété communale pour des personnes qui « [proviennent des] groupes tribaux de la forêt et sont [issues] de familles liées par les éléments suivants : langue ou dialecte, traits culturels et sociaux, propriété et usufruit commun et permanent d’un même territoire » [38]. Or la formalisation de la propriété permet d’en limiter l’extension, signalent avec le recul des anthropologues qui ont pris part à sa mise en œuvre : « En même temps que, pour la première fois dans l’histoire, on reconnaissait juridiquement des droits de propriété territoriale aux populations indigènes d’Amazonie, on ouvrait le reste de l’espace à la possession juridique et inconditionnelle de l’État » [39].
22L’institution des communautés natives rejoint l’entreprise étatique de territorialisation, au sens où elle permet « d’exclure ou d’inclure des personnes dans des limites géographiques données, et de contrôler leurs agissements et leur accès aux ressources naturelles à l’intérieur de ces limites » [40]. Ainsi, une place importante est accordée à la mise en valeur économique du territoire et de ses ressources dans la loi des communautés natives de 1974 et dans sa version remaniée de 1978, toujours en vigueur. Le découpage de 75 % de l’Amazonie péruvienne en dizaines de « lots » pétroliers offerts à la concession permet également d’effectuer un zonage précis du territoire et d’y consolider l’emprise de l’État, par le biais des entreprises qui s’y installent, des investissements qu’elles réalisent et des revenus fiscaux qu’elles engrangent [41]. Le soutien à l’industrie pétrolière évoque dans une certaine mesure le projet gouvernemental qui a consisté, au début du xxe siècle, à développer l’industrie minière pour affermir le contrôle des régions andines et intégrer leurs habitant·es à la société nationale [42]. Dans les deux cas, une lecture racialisée des populations rurales a amené le gouvernement à soutenir le développement d’activités extractives pour incorporer des espaces considérés comme aux marges de la civilisation moderne.
23Or il arrive souvent qu’un permis pétrolier recouvre une ou plusieurs communautés natives, suscitant des tensions avec leurs habitant·es. À partir des années 2000, des organisations autodéfinies comme « ethniques », représentant les communautés natives à différentes échelles, se sont engagées dans des protestations contre les entreprises et les pouvoirs publics qui les soutiennent. Ces groupes mettent en avant leur appartenance à la catégorie « indigène » [43] qui déterminerait un rapport fondamentalement harmonieux à la nature, en écho avec l’image fréquente du « sauvage écologiquement noble » [44]. La protestation la plus emblématique de cette tendance, qui a lieu en 2008-2009, a été évoquée en introduction. En juin 2009, alors que les forces de l’ordre tiraient sur la foule pour débloquer une route occupée par des membres de « fédérations ethniques », des manifestants qui occupaient des installations pétrolières ont exécuté en représailles des policiers pris en otage. Avant cela, en 2008 à Andoas, les familles qui occupaient l’aéroport de la compagnie pétrolière avaient été surprises par la violence de l’intervention des forces de l’ordre qui avaient fait irruption dans la communauté et tiré à balles réelles.
24La gestion militarisée des conflits sociaux et la stigmatisation des groupes décrits comme un obstacle au progrès de la nation ont été interprétées comme relevant d’une répression racialisée, dans la mesure où elle vise spécifiquement les populations indigènes : la figure de l’« Indien sauvage opposé au progrès » fait ressurgir l’imaginaire colonial de tribus en position d’altérité radicale et d’infériorité par rapport à la société dominante [45]. Le fondement raciste de ces représentations, voire l’incompatibilité d’« ontologies politiques » contradictoires [46], expliqueraient une telle « criminalisation des protestations ». Sans réfuter l’importance de la répression racialisée, il est possible de proposer une lecture plus nuancée des modes de gouvernement qui s’instaurent autour des industries extractives.
Un gouvernement indirect par la RSE
25Jusqu’à la fin des années 1990, la compagnie américaine qui exploitait les gisements du nord de l’Amazonie ne s’était heurtée à aucune contestation ouverte, malgré la pratique – interdite aux États-Unis – de déversement d’effluents toxiques dans les rivières. En 2000, Pluspetrol a racheté le permis d’exploitation du lot 1-AB. Basée en Argentine, cette compagnie extrait des hydrocarbures en Bolivie, en Colombie et en Angola. Au Pérou, elle exploite également le gisement gazier de Camisea, en Amazonie centrale, qui fait l’objet de controverses concernant les conséquences environnementales de l’exploitation. Alors que le développement de l’économie extractive suscite de plus en plus de mobilisations à l’échelle du continent, Pluspetrol est confrontée à la nécessité de contenir les protestations qui menacent ses opérations. Elle a donc créé le Bureau des relations communautaires (Oficina de relaciones comunitarias), chargé d’entretenir au quotidien un contact avec les populations voisines à travers des programmes de Responsabilité sociale des entreprises (RSE).
26En vertu des contrats négociés avec chacune des sept communautés natives entourant les installations, mais aussi par l’intermédiaire du bureau des « relationnistes » situé dans le campement pétrolier et où les habitant·es se rendent régulièrement pour solliciter des aides ponctuelles, Pluspetrol distribue des biens (générateurs électriques, fournitures scolaires), des services (prise en charge médicale, transport en avion) et contribue au développement d’infrastructures villageoises (chemins bétonnés, puits). À l’instar d’autres compagnies pétrolières ou minières [47], la multinationale met ainsi en œuvre une « politique du don » de type clientélaire qui permet l’effacement de la conflictualité par la production de relations pacifiées. Elle élabore également une politique d’accès à l’emploi dans les installations industrielles. Seuls les hommes peuvent prétendre à cet emploi ouvrier rotatif, géré par des entreprises sous-traitantes ou dans le cadre d’« entreprises communales », structures créées par les villageois·es avec le soutien de Pluspetrol, et dont les gérants, des hommes originaires des villages, organisent les travaux à réaliser sur le site pétrolier et recrutent la main-d’œuvre locale pour les mener à bien. Les entreprises communales reproduisent à leur manière le paternalisme industriel de Pluspetrol en se chargeant de certains services sociaux comme la fourniture de médicaments ou le paiement du salaire d’un instituteur pour le village, du fait de leur engagement à consacrer une partie de leurs profits aux communautés natives qui les ont fait naître. Ainsi, l’emploi n’est pas le moindre des biens distribués par la « politique du don » industrielle : dans le cadre des entreprises communales, il transforme en profondeur les conditions matérielles d’existence et les horizons d’attente des habitant·es [48]. Surtout étudiées par les anthropologues, ces transformations impulsées par la RSE sont au cœur de la fabrique de l’ordre social et politique. Dans ces zones caractérisées par l’éloignement géographique et la relégation sociale, l’État se décharge de plus en plus de ses fonctions sur les entreprises privées. De la prestation de services sociaux à l’exercice d’une force coercitive, il n’est pas rare que « les corporations [pétrolières] exercent de facto un contrôle sur l’administration, le développement, les conditions de vie et de travail en leur sein » [49].
27La RSE sert de support à l’instauration d’une relation de coopération par laquelle l’État délègue à des acteurs privés des tâches que l’administration ne parvient pas à assumer, tout en affirmant la prééminence de la souveraineté nationale. Un cas emblématique est la construction, par Pluspetrol, d’un collège dans le cadre d’un dispositif appelé « travaux pour impôts » qui permet aux autorités régionales de passer un contrat avec une entreprise afin qu’elle réalise un ouvrage parmi une liste de travaux prioritaires. Les dépenses avancées par l’entreprise sont remboursées sous forme de déduction d’impôts. L’incapacité des autorités locales à exécuter les budgets étant souvent avancée comme la cause du déficit des services publics en zone rurale, ce dispositif est célébré comme une solution « où tout le monde gagne » : les pouvoirs publics s’assurent de l’« efficacité » des investissements ; les entreprises « associent leur image à de grands projets » ; et la société « bénéficie d’un projet exécuté rapidement » [50]. Construit avec l’aide des entreprises communales, le collège a fait l’objet d’une campagne de communication locale (des affiches proclamant « Tout est possible quand nous travaillons ensemble » ont été accrochées dans tout le village) et nationale (un spot vidéo a mis en scène la collaboration de l’État, de l’entreprise et des habitant·es). L’inauguration a été réalisée conjointement par des autorités de la communauté native d’Andoas, de la région amazonienne du Loreto, par un représentant du ministère de la Culture et par le gérant de Pluspetrol. Ce partenariat peut être interprété comme une « décharge contractuelle », modalité de la gouvernementalité néolibérale que Béatrice Hibou définit comme la « délégation très formalisée à travers des contrats indispensables pour la conceptualisation et surtout pour la mise en pratique concrète d’arrangements » [51]. Ces arrangements contribuent au redéploiement de l’État plutôt qu’à son retrait : la délégation de certaines fonctions lui permet de réaffirmer sa capacité à structurer l’ordre social, par exemple grâce au fonctionnement d’un collège intégrant des enfants de la région au système éducatif national.
L’administration des conflits environnementaux
28Les techniques de pacification déployées à travers la RSE ne verrouillent jamais complètement le sens critique et la capacité d’action des habitant·es. Dans le Pastaza, depuis 2006, plusieurs protestations ont eu lieu. Elles prennent la forme de rassemblements villageois à proximité des installations, voire d’occupations qui paralysent les activités pétrolières. D’abord centrées sur la négociation d’avantages matériels et sur les conditions d’emploi des habitant·es sur le site pétrolier, elles se sont ensuite orientées vers la contestation de la pollution industrielle et de l’inaction de l’État. En mars 2008, alors que les forces de l’ordre intervenaient pour débloquer l’aéroport occupé par les habitant·es, l’affrontement s’est soldé par la mort d’un officier. Quand des mobilisations ont repris quatre ans plus tard, elles étaient encadrées par la Fédération quechua, qui représente une vingtaine de communautés natives du fleuve Pastaza [52]. Ses porte-parole avaient comme principales alliées des ONG environnementalistes (WWF, la Fondation Rainforest), ainsi que des ONG péruviennes de défense des droits des peuples indigènes ou de l’environnement financées par les ONG environnementalistes. Cette écologisation des luttes a permis une meilleure couverture médiatique des revendications et le soutien d’allié·es de poids, alors que les revendications économiques ne sont cadrées par aucune organisation inscrite dans une tradition de lutte. L’écologisation n’est toutefois pas un simple calcul stratégique : elle est liée aux conséquences environnementales de l’extraction pétrolière (rejets d’effluents toxiques, déversements accidentels de pétrole) que de jeunes habitant·es formé·es par les ONG alliées s’efforcent de documenter à l’aide d’appareils photographiques et de GPS. La Fédération quechua a organisé un premier rassemblement en 2012. Ses dirigeant·es ont menacé d’occuper les installations pétrolières, avertissant les médias nationaux et internationaux des risques d’affrontement avec les forces de l’ordre, qui survolaient en hélicoptère le village où avait lieu le rassemblement. Le gouvernement péruvien a envoyé une délégation ministérielle pour entamer des négociations. Cette rencontre et les négociations qui se sont ensuivies sont au cœur de la politique naissante de gestion des conflits sociaux développée au Pérou face aux mobilisations suscitées par l’économie extractive.
29Après l’affrontement meurtrier de juin 2009, un Bureau de gestion des conflits sociaux intégré à la Présidence du Conseil des ministres (renommé par la suite Bureau national de dialogue et de soutenabilité sociale) a été créé en 2010. Ses membres doivent défendre la « gouvernabilité démocratique » par « la transformation des relations conflictuelles en relations de confiance, de compréhension mutuelle et de collaboration » [53]. Les fonctionnaires du « Bureau de dialogue » assurent la coordination entre les différents bureaux des conflits dont la création s’est généralisée dans la plupart des administrations et qui servent d’intermédiaires avec les populations concernées par les politiques mises en œuvre. En 2014, un rapport du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) sur l’« institutionnalisation du dialogue » a loué l’exemplarité du Pérou en matière de gestion des conflits sociaux, « en particulier ceux qui sont liés à l’usage, à la disponibilité, à l’accès, à la revendication et à la gestion des ressources naturelles » [54]. L’un des piliers de cette institutionnalisation a été le recrutement et la formation de fonctionnaires à la gestion des conflits, cofinancés par des bailleurs de fonds dans le cadre du programme « Alliances pour le dialogue : prévention des conflits sociaux dans l’usage des ressources naturelles » du PNUD. Au Pérou, une injonction revient en effet de manière récurrente : « professionnaliser » des fonctionnaires qui, insuffisamment préparés, feraient obstacle à l’efficacité des politiques publiques [55]. La formation apparaît comme un outil pour consolider l’administration publique et « moderniser l’État ». Les programmes reposent sur l’intervention d’expert·es en gestion des conflits. Diplômé·es d’universités européennes et surtout nord-américaines, elles et ils importent des techniques de pacification pensées initialement pour la résolution des conflits civils. Employé·es par des ONG, des universités ou des instituts privés, ces expert·es assurent la médiation entre les parties prenantes d’une négociation, conçoivent et animent des diplômes de gestion des conflits – principalement environnementaux – ou organisent des formations ad hoc à destination de l’administration péruvienne. La création de bureaux des conflits dans chaque ministère et la formation des fonctionnaires assigné·es à ces services font ainsi partie d’une standardisation de la gestion des conflits sociaux.
30Les mobilisations qui surgissent aux alentours de projets extractifs mettent à l’épreuve l’autorité des pouvoirs publics, mais leur donnent donc aussi l’occasion de démontrer une capacité renouvelée à intervenir. Durant les quinze mois que j’ai passés sur le terrain, il s’est rarement écoulé plus de deux semaines sans que les porte-parole indigènes et leurs soutiens membres d’ONG ne rencontrent des représentant·es des pouvoirs publics à Lima, dans la ville amazonienne d’Iquitos ou même dans des communautés natives du Pastaza. Ainsi les conflits environnementaux contribuent-ils non seulement à l’institutionnalisation d’un nouveau domaine d’action publique, mais aussi à la multiplication d’interactions avec les contestataires. En retour, celles-ci influent sur la formation de l’État péruvien aux confins du territoire national.
Former l’ordre étatique par le bas
31L’émergence d’un ordre politique qui surplombe la société est le produit d’une construction sociale : les « limites » entre « l’État » et « la société » se dessinent dans le temps long de l’histoire et dans le temps court des interactions ordinaires [56]. La construction de l’ordre étatique n’est donc pas réductible aux agent·es qui l’incarnent. Il convient aussi d’analyser la formation de l’État au gré de l’appropriation des institutions par les personnes gouvernées : l’État prend forme au point de rencontre entre des rationalités gouvernementales et des logiques sociales qui échappent partiellement aux institutions [57]. Les mobilisations du Pastaza permettent d’appréhender cette production par le bas de l’ordre étatique.
Faire (inter)venir l’État
32Avoir fait « s’asseoir l’État ici » (haber sentado el Estado acá) : c’est la principale réussite de la mobilisation menée en 2012 par la Fédération quechua, a annoncé Eduardo Huamani, avocat liménien d’une ONG de défense des droits indigènes, lors de l’assemblée de clôture. Dans le Pastaza, le verbe « s’asseoir » est synonyme de « se réunir », « converser ». L’expression « faire s’asseoir l’État » signifie donc que les protestataires sont parvenus à faire venir celui-ci dans les villages pour lui présenter leurs doléances et obtenir une réponse. Les ministres présents le temps d’une demi-journée en ont été la plus prestigieuse illustration. Par ailleurs, des équipes médicales ou des services de l’état civil ont accompagné les délégations ministérielles pour vacciner les enfants ou leur remettre leur carte d’identité. Ce que les habitant·es mobilisé·es ont ainsi obtenu, c’est que des services publics soient mis en œuvre immédiatement, bien que de façon ponctuelle et irrégulière, sur des portions du territoire péruvien d’où ils sont d’ordinaire absents.
33Au-delà de la mise en présence de la population avec les agent·es de l’administration, l’expression « faire s’asseoir l’État » exprime surtout le fait de le contraindre à négocier. À l’issue du rassemblement de 2012, une Commission multisectorielle a été créée. Constituée de représentant·es des différents secteurs gouvernementaux, elle a été chargée de traiter les revendications en se concertant avec les porte-parole indigènes. Alors que les habitant·es du Pastaza adressaient au quotidien leurs demandes à Pluspetrol, les dirigeant·es et leurs assesseur·es ont réorienté leur attention vers les pouvoirs publics, dénonçant l’« abandon de l’État » [58]. Face à la pollution des territoires amazoniens par les compagnies pétrolières, elles et ils étaient en effet plus enclin·es à désigner comme cause première les pratiques corruptives, les normes défaillantes ou encore le manque d’articulation des secteurs gouvernementaux. Les militant·es se sont adressé·es avant tout à l’administration péruvienne pour exiger l’évaluation des dommages, des mesures correctives et réparatrices ou encore la sécurisation des titres de propriété communaux.
34Les mobilisations de la Fédération quechua ont donc été l’occasion d’exprimer un « désir d’État » [59], à travers des demandes concernant l’obtention de services publics mais aussi par la négociation d’une action publique adaptée à la situation. Voilà qui évoque les situations, en Amérique latine, où l’intermédiation politique joue un rôle structurant dans la mise en œuvre, voire dans la coproduction de l’action publique [60]. Au gré des réunions avec les différents ministères membres de la Commission multisectorielle, leaders de la Fédération quechua et salarié·es d’ONG ont fait remonter les griefs des habitant·es du Pastaza, expliqué les particularités sociales, culturelles ou géographiques des espaces où devait se déployer l’action de l’État, et négocié son contenu et sa mise en œuvre. Elles et ils aspiraient à « entrer dans l’action publique en la contestant » [61], soit en négociant les méthodes de prélèvement d’échantillons d’eau, de cheveux ou d’urine pour mesurer les effets de la pollution, soit en exigeant des programmes de développement local pour réduire la dépendance à l’industrie pétrolière. L’ambition de transformer l’État et son action s’est souvent heurtée à des jeux institutionnels qui échappaient aux militant·es. Pour autant, cette ambition n’a pas été sans effets : elle a entretenu l’illusion qu’il existerait une entité distincte de la société disposant d’une capacité d’action sur le corps social.
35Dans l’espoir d’agir sur l’État, le mouvement a eu tendance à s’institutionnaliser, subissant une transformation qui touchait « à la fois les structures organisationnelles, les pratiques, les valeurs et représentations de nouveaux entrants, dans le sens d’une conformation croissante aux règles formelles et informelles du jeu politique » [62]. Les dirigeant·es indigènes enchaînaient les réunions à Lima, à Iquitos, ailleurs en Amérique latine et même en Europe ou aux États-Unis. Cette routine a impulsé une tendance à la rationalisation, voire à la hiérarchisation des fonctions exercées, favorisant la professionnalisation du travail militant. Si les tâches les plus techniques revenaient aux salarié·es d’ONG, les leaders indigènes ont développé un apprentissage intellectuel où le rapport à l’écrit joue un rôle premier : elles et surtout ils consacraient une part croissante de leur temps à la lecture, l’écriture et l’archivage de documents. Le président de la Fédération quechua, qui n’avait pas eu la possibilité de dépasser l’école primaire, ne se séparait jamais d’un carnet dans lequel il notait des contacts, des informations techniques ou des arguments pour construire ses interventions. Les dirigeant·es arboraient un badge qui certifiait leur statut ; sur le tampon officiel qu’elles et ils accolaient à leur signature figuraient le logo et le nom de leur organisation, ainsi que leur fonction. La projection des militant·es en direction de l’« État » a ainsi favorisé l’inculcation de normes propres à la bureaucratie étatique, et cette socialisation a placé les leaders indigènes en position de faire entendre des demandes et d’obtenir des réponses.
Une citoyenneté extractive entre exigences et allégeance
36« Nous sommes venus réclamer nos droits. » Cette phrase rituelle exprime une exigence de citoyenneté qui, en dessinant les contours de l’intervention idéale de l’autorité étatique, contribue à sa légitimation : « La croyance de nombreuses personnes au fait que l’État a des obligations à leur égard concernant les principaux enjeux de leur vie est un mécanisme clé qui donne vie à l’État » [63]. Il en va ainsi pour la demande d’attribution ou d’extension des titres de communauté native. La titulación est au cœur des revendications portées par la Fédération quechua : l’inscription aux registres publics des communautés natives dont les territoires sont recouverts par des installations pétrolières permet d’objectiver en droit le préjudice subi par les populations locales. De l’existence juridique de la communauté native dépend par exemple l’obtention de compensations financières, mais l’exigence de titulación soutient aussi le processus de territorialisation : l’intégration des propriétés communales au cadastre national rend le territoire « lisible », partant, gouvernable [64].
37Les moments où les habitant·es mobilisé·es affirment de manière ritualisée leur statut de citoyen·nes donnent à voir cette posture ambivalente qui oscille entre protestation et allégeance à l’ordre national. Régulièrement, elles et ils saisissent l’occasion de célébrations nationales pour revendiquer leurs droits. Lors de l’une d’elles qui a eu lieu dans la communauté native d’Andoas, les habitant·es ont ainsi exprimé une conception singulière de la citoyenneté, entre revendication de droits et reconnaissance de l’État chargé de les garantir.
Le 7 juin 2014, jour national du drapeau au Pérou, est aussi le quatrième jour d’une mobilisation organisée par la Fédération quechua à Andoas. Des centaines d’habitant·es sont rassemblé·es pour dénoncer la lenteur des pouvoirs publics et réclamer la venue du Président. À l’aube, les participant·es sont convoqué·es sur la place du village pour assister au hisser du drapeau. Trois leaders de la Fédération quechua mais aussi des cadres de compagnies pétrolières et un militaire venu du poste de frontière siègent sur l’« estrade officielle », une rangée de chaises devant l’entrée du local qui accueille les assemblées de la mobilisation. Avec les pigments rouges du roucou, des femmes ont peint le visage des hommes en uniforme. À 9h30, des airs de fanfare militaire retentissent au haut-parleur. Des sections d’hommes marchent au pas de l’oie puis se postent au garde-à-vous. Certains sont torse nu. Tous ont le visage couvert de peintures noires ou rouges et blanches, les couleurs nationales. La pointe de leur lance est peinte de rouge et blanc ou ornée d’un drapeau en plastique. Le chef de village souhaite la bienvenue au micro. Puis Andrés Cahuaza, le président de la Fédération quechua, prend la parole : « Aujourd’hui, le peuple quechua s’est organisé. (...) Même si nous nous sentons abandonnés, nous n’oublions pas cette date, parce que nous vivons à la frontière du Pérou et de l’Équateur (...) Nous sommes Péruviens, indigènes, et même si nous venons de cet endroit de la forêt, ne pensez pas que nous soyons des sauvages. Nous sommes ici rassemblés pour un droit juste. (...) Nous voulons que les autorités de haut niveau viennent s’asseoir pour dialoguer avec nous ».
C’est ensuite au gérant du campement central de Pluspetrol de prendre la parole : « Le 7 juin, des centaines de Péruviens ont été immolés à Arica, en défense de la patrie [65]. Pour la croissance et le développement d’un pays souverain et durable. Mais aussi pour un pays pluriculturel, multiethnique. Nous sommes frères, différents, mais frères. (...) Nous voulons tous que ce pays, le Pastaza, Andoas et ses communautés se développent ».
Suivent les interventions du maire du district d’Andoas, du représentant de Petroperú et du sous-lieutenant, qui demande qu’au moment de prêter allégeance au drapeau les participant·es « [sentent leur] cœur vibrer pour ces couleurs ». Après avoir passé en revue les sections au centre de la place, Andrés, le président de la Fédération quechua, hisse le drapeau rouge et blanc, face aux sections au garde-à-vous. Une fois le drapeau hissé, l’hymne national retentit. Tout le monde se lève, main sur la couture du pantalon, sur le cœur ou sur la tempe. L’officier fait prêter serment au drapeau (« Jurez-vous à Dieu et promettez-vous à la Patrie de suivre constamment votre drapeau ? ») puis la musique militaire reprend et les sections défilent devant l’estrade. La dernière est composée d’hommes présentés avec enthousiasme par l’autorité villageoise au micro : « Et voilà la garde suprême de sécurité d’Andoas ! Elle est formée par des jeunes ex-combattants de notre armée péruvienne. Des jeunes connaisseurs de la sécurité, gardiens de nos frontières. À tout moment, ils peuvent s’enrôler, si la patrie le requiert. (...) Ce sont aussi des jeunes qui travaillent pour les entreprises communales. C’est la main-d’œuvre qui fait avancer les communautés, pour la croissance de cette partie de notre pays ! ».
Hisser du drapeau au centre de la place d’Andoas
Hisser du drapeau au centre de la place d’Andoas
Les hommes venus de la base militaire et du campement pétrolier sont ensuite invités à pénétrer dans le local communal pour « déguster un peu de masato, la boisson traditionnelle de nos peuples amazoniens » préparée à partir de manioc fermenté. Les leaders indigènes s’assoient à la tribune et les invités sur des chaises disposées face au public. Des femmes leur servent à boire, des rires fusent. Le chef de village prend le micro : « Nous sommes rassemblés pour réclamer un droit juste, un droit pour les enfants. (...) Vous êtes témoins, Messieurs les représentants, que nous sommes organisés pacifiquement ». Après quelques échanges, le président de la Fédération Andrés Cahuaza remercie les invités d’être venus, annonçant qu’ils vont reprendre « [leurs] réunions internes » : « Mamás, donnez-leur un peu de masato pour que les frères s’en aillent contents », conclut-il avec un sourire espiègle.
40L’omniprésence des symboles nationaux (jusqu’à la pointe des lances), la célébration des ex-combattants, l’affirmation répétée de l’appartenance du Pastaza à la nation sont autant de manifestations d’une identité nationale aux frontières du territoire péruvien. Or l’allégeance à l’État se fait également par des détournements. S’ils sont traités en invités d’honneur, « Messieurs les représentants » sont sommés d’accepter les peintures faciales et la bière de manioc des mamás. Ces pratiques expriment un sens de la dérision, voire une agressivité sublimée, mais aussi une forme d’apprivoisement des autorités étatiques : l’investissement de la célébration nationale par des significations locales rend possible l’avènement de la « nation au village » [66].
41La majorité des hommes qui défilent sont appelés « policiers de la mobilisation » car ils sont chargés d’assurer la sécurité des participant·es. Leur maîtrise de l’exécution du pas de l’oie renvoie à la discipline acquise lors du service militaire et, pour certains, de leur participation à la guerre du Cenepa, le dernier conflit qui a opposé le Pérou à l’Équateur en 1995. S’exprime ici un nationalisme de frontière qui est marqué par la récente incorporation du Pastaza au territoire péruvien et par les guerres qui l’ont accompagnée, dans lesquelles les habitant·es ont été impliqué·es en tant que soldats, guides, interprètes ou cuisinières. Toutefois, les policiers indigènes manifestent également le potentiel contestataire de leur fonction, qui est de garantir l’ordre de la mobilisation et la participation d’un maximum de personnes. Il s’agit de faire acte de patriotisme en prêtant allégeance à la nation péruvienne, mais aussi de revendiquer la légitimité de l’organisation politique locale. Le but de la célébration est d’affirmer aux représentants de Pluspetrol, de Petroperú et de l’armée qu’ils sont ici en territoire indigène, et qu’il est autant question d’appartenance à la nation péruvienne que d’affirmation d’un collectif porteur de droits en tant que péruvien, indigène et propriétaire du sol sous lequel gisent les réserves de pétrole. C’est sur la base de cette appartenance hybride que l’État est interpellé. Si la performance d’une identité collective porte en elle la définition de ce que devrait être l’État [67], ces exigences contribuent aussi à la formation de l’ordre politique, dès lors que la formulation d’une obligation de l’État vis-à-vis des populations renforce « l’apparence d’un monde fondamentalement divisé entre l’État et la société » [68]. Au-delà de l’apparente universalité de cette division, l’affirmation de citoyenneté s’inscrit ici dans un contexte particulier : celui d’un quotidien marqué par le voisinage avec le site pétrolier. Lors de la cérémonie, les hommes qui défilent sont célébrés pour être prêts à se « sacrifier » pour la patrie comme soldats ou comme travailleurs qui contribuent à l’économie locale et nationale. Les habitant·es ont d’autant plus droit à des programmes sociaux ou à des infrastructures que, en plus d’être des citoyen·nes, elles et ils participent au développement national, au budget public et au maintien des frontières, de même que les familles de favelas brésiliennes exigent, au nom de leur « citoyenneté différenciée », des garanties juridiques, dès lors qu’elles participent au développement urbain par leurs pratiques de bâti et par leur consommation [69]. Dans le Pastaza, cette citoyenneté différenciée est associée au fait d’habiter un territoire investi par l’industrie extractive autant qu’à l’appartenance à des minorités ethniques.
42L’exploitation des ressources naturelles, notamment énergétiques, est au cœur de la mise en ordre politique de nos sociétés. Dans son étude des rapports entre l’organisation sociale nécessaire à la production d’énergie – à partir de charbon ou de pétrole – et les démocraties occidentales, Timothy Mitchell a montré l’influence de ces ressources sur les modalités d’action collective des travailleur·ses et sur le fonctionnement des régimes politiques [70]. En observant les processus politiques de production de la ressource naturelle et leur contestation au ras du sol amazonien, je prolonge l’analyse du rôle joué par l’économie extractive dans la formation de l’ordre politique contemporain. La mobilisation de textes de loi, d’infrastructures et de modalités de mise au travail (parfois forcé) au service de la valorisation économique de la forêt tropicale a contribué à resserrer l’emprise étatique sur le territoire amazonien. Dans le cas du Pastaza, l’implantation d’une enclave pétrolière s’est faite parallèlement à la sédentarisation des familles qui peuplent ses rives. Ce processus contribue à la territorialisation de l’Amazonie, mais aussi au gouvernement indirect de ses habitant·es. Les mobilisations qui se déroulent aux abords des sites extractifs favorisent le redéploiement de la puissance étatique dans le cadre des politiques de gestion des conflits sociaux. Cependant, l’observation donne aussi à voir le rôle actif joué par les habitant·es et leurs porte-parole dans la production de l’ordre national, à travers la reconnaissance de l’État comme entité surplombante habilitée à régir la société, et légitime dès lors qu’elle s’acquitte de ses obligations envers ses citoyen·nes. À rebours des visions binaires qui opposent les politiques extractives et les conflits environnementaux, cette étude montre ainsi l’ambivalence des protestations observées : en faisant « s’asseoir l’État » dans les villages, en invitant ses représentant·es à des célébrations nationales et à des assemblées contestataires, les indigènes mobilisé·es font entendre leurs griefs tout en contribuant à renforcer l’assise territoriale, symbolique et pratique de l’État péruvien à ses frontières.
43Dans ce contexte, les mobilisations indigènes ne font pas que contester l’imposition d’une pensée moderne du territoire comme ressource économique et objet de contrôle politique. Si elles dénoncent l’impact environnemental de cette pensée prédatrice, elles ne peuvent que s’appuyer sur les outils juridiques à leur disposition, en l’occurrence la figure de la communauté native qui s’inscrit dans le cadre national du droit de propriété. Ce constat invite à nuancer les théorisations alternatives du territoire comme manifestation d’un « sentir-penser » et d’ontologies radicalement différentes du modèle moderne, opposition manifestée dans le cours des mobilisations indigènes [71]. Le cas du Pastaza permet de souligner le rôle joué dans l’écologisation des luttes pour la défense des territoires amazoniens par des activistes et des réseaux militants influencés par le conservationnisme occidental, qui peut s’interpréter comme l’héritier d’un « colonialisme vert » [72]. Il nous rappelle par ailleurs qu’il faut tenir compte, aussi, de l’influence exercée, localement et en amont des mobilisations, par l’industrie pétrolière, à travers la « politique du don » déployée par la RSE et les profondes transformations sociales qui se jouent dans les villages et donnent un sens nouveau au territoire quotidiennement habité [73].
Notes
-
[1]
Beth A. Conklin, Laura R. Graham, « The Shifting Middle Ground. Amazonian Indians and Eco-politics », American Anthropologist, 97 (4), 1995, p. 695-710.
-
[2]
Richard Auty, Sustaining Development in Mineral Economies. The Resource Curse Thesis, Londres, Routledge, 1993 ; Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty. Oil Booms and Petro-States, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[3]
Sonja Grimm, Nicolas Lemay-Hébert, Olivier Nay, « “Fragile States”. Introducing a Political Concept », Third World Quarterly, 35 (2), 2014, p. 197-209.
-
[4]
Anthony Bebbington, et al., Governing Extractive Industries. Politics, Histories, Ideas, Oxford, Oxford University Press, 2018.
-
[5]
Eduardo Gudynas, « Extractivisms : Tendencies and Consequences », dans Ronaldo Munck, Raúl Delgado Wise (eds), Reframing Latin American Development, Londres, Routledge, 2018, p. 61-76.
-
[6]
Stuart Kirsch, Mining Capitalism. The Relationship between Corporations and Their Critics, Oakland, University of California Press, 2014 ; Fabiana Li, Unearthing Conflict : Corporate Mining, Activism, and Expertise in Peru, Durham, Londres, Duke University Press, 2015.
-
[7]
Emma Gilberthorpe, Dinah Rajak, « The Anthropology of Extraction. Critical Perspectives on the Resource Curse », The Journal of Development Studies, 53 (2), 2017, p. 186-204.
-
[8]
Voir cependant David Szablowski, Transnational Law and Local Struggles. Mining Communities and the World Bank, Oxford, Hart Publishing, 2007.
-
[9]
Arturo Escobar, « Sentipensar con la tierra. Las luchas territoriales y la dimensión ontológica de las epistemologías del Sur », Revista de antropología iberoamericana, 11 (1), 2016, p. 11-32.
-
[10]
Christopher Krupa, David Nugent, « Off-centered States. Rethinking State Theory through an Andean Lens », dans C. Krupa, D. Nugent (eds), State Theory and Andean Politics. New Approaches to the Study of Rule, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2015, p. 1-31.
-
[11]
Doris Buu-Sao, « “Asseoir l’État” : contester et instituer l’ordre extractif en Amazonie péruvienne », thèse de doctorat en science politique, Sciences Po Paris, 2017.
-
[12]
Karen Bakker, Gavin Bridge, « Material Worlds ? Resource Geographies and the “Matter of Nature” », Progress in Human Geography, 30 (1), 2006, p. 5-27.
-
[13]
Maurice Godelier définit ainsi le territoire comme « une portion de l’espace sur lequel une société déterminée revendique et garantit à tout ou une partie de ses membres des droits stables d’accès, de contrôle et d’usage portant sur tout ou partie des ressources qui s’y trouvent et qu’elle est désireuse et capable d’exploiter ». Maurice Godelier, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés (1984), Paris, Flammarion, 2010, p. 112.
-
[14]
Carolyn Merchant, « Exploiter le ventre de la terre », dans Émilie Hache (dir.), Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris, Kambourakis, 2016, p. 129-158.
-
[15]
Jorge Basadre, Historia de la República del Perú, 1822-1933, Lima, El Comercio, 2005, vol. 1, p. 249. Les citations d’extraits en espagnol, dans les publications scientifiques ou les entretiens, ont été traduites par mes soins.
-
[16]
Carlos Contreras, Marcos Cueto, « Caminos, ciencia y Estado en el Perú, 1850-1930 », História, Ciências, Saúde – Manguinhos, 15 (3), 2008, p. 635-655.
-
[17]
Edmundo O’Gorman, L’invention de l’Amérique. Recherche au sujet de la structure historique du Nouveau Monde et du sens du devenir, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2007.
-
[18]
Neil Safier, Measuring the New World. Enlightenment Science and South America, Chicago, University of Chicago Press, 2012, p. 90.
-
[19]
Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 2015.
-
[20]
C. Contreras, M. Cueto, « Caminos, ciencia y Estado en el Perú, 1850-1930 », art. cité, p. 646.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Eugenio Delgado, « Memoria anual correspondiente al año 1904 que presenta a la Junta General el Presidente de la Sociedad geográfica de Lima Eugenio Delgado », Boletín de la Sociedad geográfica de Lima, 16, 1904, p. 71-81.
-
[23]
En 1870, on dénombrait dans le Loreto un préfet, quatre sous-préfets, 25 gouverneurs et des douzaines de lieutenants-gouverneurs dans les villages de plus de 300 habitants. Ascensión Martínez Riaza, « Política regional y gobierno de la Amazonía peruana : Loreto, 1883-1914 », Histórica, 23 (2), 1999, p. 393-462.
-
[24]
« Exploración de los ríos Nanai, Itaya, Morona, Pastza i Tigre por el 2o ayudante de la Comisión hidrográfica del Amazonas, don Gualterio R. Butt (1873) », dans Carlos Larrabure i Correa, Colección de leyes, decretos, resoluciones i otros documentos oficiales referentes al departamento de Loreto, Lima, La opinión nacional, 1905, vol. III, p. 106-107.
-
[25]
Jean-Claude Roux, « El reino del oro negro del Oriente peruano. Una primera destrucción del medio amazónico, 1880-1910 », dans Pilar García Jordán (ed.), La construcción de la Amazonía andina (siglos 19-20). Procesos de ocupación y transformación de la Amazonía peruana y ecuatoriana entre 1820 y 1960, Quito, Abya-Yala, 1995, p. 107-152.
-
[26]
Frederica Barclay, Fernando Santos Granero, La frontera domesticada. Historia económica y social de Loreto, 1850-2000, Lima, Fondo Editorial PUCP, 2002, p. 59.
-
[27]
Rosemary Thorp, Geoffrey Bertram, Peru, 1890-1977. Growth and Policy in an Open Economy, Londres, Macmillan, 1978, p. 102.
-
[28]
Albert Meister, L’autogestion en uniforme. L’expérience péruvienne de gestion du sous-développement, Toulouse, Privat, 1981, p. 169.
-
[29]
« Mensaje de aliento del Pdte. Velasco para los trabajadores de Iquitos », El Comercio, 21 novembre 1971, p. 4. Signé par le général Juan Velasco Alvarado à Lima le 17 novembre 1971.
-
[30]
La majorité du territoire amazonien est recouverte de « lots » de centaines d’hectares, délimités par les autorités péruviennes et proposés en concession à des entreprises privées pour l’exploration et/ou l’exploitation.
-
[31]
David G. Becker, The New Bourgeoisie and the Limits of Dependency. Mining, Class, and Power in Revolutionary Peru, Princeton, Princeton University Press, 1983.
-
[32]
Catherine M. Conaghan, James M. Malloy, Luis A. Abugattas, « Business and the “Boys”. The Politics of Neoliberalism in the Central Andes », Latin American Research Review, 25 (2), 1990, p. 3-30.
-
[33]
Congreso de la República, « Ley orgánica de hidrocarburos », Ley No 26221, art. 13, 1993.
-
[34]
F. Barclay, F. Santos Granero, La frontera domesticada. Historia económica y social de Loreto, 1850-2000, op. cit.
-
[35]
Michael Uzendoski, Norman E. Whitten, « From “Acculturated Indians” to Dynamic Amazonian Quichuaspeaking Peoples », Tipití. Journal of the Society for the Anthropology of Lowland South America, 12 (1), 2014, p. 1-13.
-
[36]
Dans le sens où ils sont infériorisés sur la base de marqueurs physiques interprétés comme le signe d’une altérité radicale et héréditaire. Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, Mouton, 1972.
-
[37]
Anne-Christine Taylor, « The Western Margins of Amazonia from the Early Sixteenth to the Early Nineteenth Century », dans Frank Salomon, Stuart B. Schwartz (eds), The Cambridge History of the Native Peoples of the Americas, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 188-256.
-
[38]
Loi no 22175 des Communautés natives et de développement agraire de la forêt promulguée en 1978, Titre II, art. 8.
-
[39]
Alberto Chirif, Pedro García Hierro, Marcando territorio. Progresos y limitaciones de la titulación de territorios indígenas en la Amazonía, Lima, IWGIA, 2007, p. 105.
-
[40]
Nancy Lee Peluso, Peter Vandergeest, « Territorialization and State Power in Thailand », Theory and Society, 24 (3), 1995, p. 388.
-
[41]
Outre les taxes perçues chaque année par l’État central, le Loreto reçoit depuis 1976 une redevance d’une valeur de 10 % de la production pétrolière annuelle des sites.
-
[42]
Paulo Drinot, The Allure of Labor. Workers, Race, and the Making of the Peruvian State, Durham, Duke University Press, 2011.
-
[43]
C’est le terme le plus répandu, « Indien » ayant une connotation péjorative, et « autochtone » étant peu usité au Pérou. Il est donc préféré ici, d’autant qu’il rappelle l’histoire coloniale de cette assignation identitaire.
-
[44]
Kent H. Redford, « The Ecologically Noble Savage », Cultural Survival Quaterly, 15 (1), 1990, p. 46-48.
-
[45]
P. Drinot, « The Meaning of Alan García. Sovereignty and Governmentality in Neoliberal Peru », Journal of Latin American Cultural Studies, 20 (2), 2011, p. 179-195 ; Oscar Espinosa de Rivero, « ¿Salvajes opuestos al progreso ? Aproximaciones históricas y antropológicas a las movilizaciones indígenas en la Amazonía peruana », Antropológica, 27, 2009, p. 123-168.
-
[46]
Roger Merino Acuña, « The Politics of Extractive Governance : Indigenous Peoples and Socio-environmental Conflicts », The Extractive Industries and Society, 2 (1), 2015, p. 85-92.
-
[47]
Susana Sawyer, Crude Chronicles, Indigenous Politics, Multinational Oil, and Neoliberalism in Ecuador, Durham, Duke University Press, 2004 ; D. Rajak, In Good Company. An Anatomy of Corporate Social Responsibility, Stanford, Stanford University Press, 2011.
-
[48]
D. Buu-Sao, « Devenir ouvriers en Amazonie. Entre travail industriel et vie de village », Terrains & travaux, 34 (1), 2019, p. 19-45.
-
[49]
Charis Enns, Brock Bersaglio, « Enclave Oil Development and the Rearticulation of Citizenship in Turkana, Kenya. Exploring “Crude Citizenship” », Geoforum, 67, 2015, p. 81 ; Jana Hönke, « New Political Topographies. Mining Companies and Indirect Discharge in Southern Katanga (DRC) », Politique africaine, 120 (4), 2011, p. 105-127.
-
[50]
D’après l’agence péruvienne d’investissement public Proinversión, “¿En qué consiste ?” (http://www.obrasporimpuestos.pe/) (consulté le 10 octobre 2019).
-
[51]
Béatrice Hibou, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012, p. 81.
-
[52]
Depuis la fin des années 1970, les communautés natives ont tendance à se regrouper en fédérations sur la base d’appartenances ethno-linguistiques : par exemple, à l’échelle régionale, la Fédération quechua, et à l’échelle nationale, l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne (AIDESEP), principale organisation à la tête des mobilisations de 2009. Même s’il est majoritaire, ce système de représentation n’empêche pas l’existence d’autres organisations moins revendicatives.
-
[53]
Presidencia del consejo de ministros, Resolución Ministerial No 161-2011-PCM, 2011. Annexe, §4.1.
-
[54]
Institucionalidad para el diálogo y la prevención de conflictos. El caso peruano, Lima, Centro regional para América latina y Carines del PNUD, 2014, p. 34.
-
[55]
Koldo Echebarría, Juan Carlos Cortázar, « Las reformas de la administración y el empleo públicos en América Latina », dans Eduardo Lora, El estado de las reformas del Estado en América latina, Washington, Banque interaméricaine du développement/Banque mondiale, 2007, p. 164-198.
-
[56]
Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et analyse politique », dans Madeleine Grawitz, Jean Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, p. 469-565 ; Timothy Mitchell, « The Limits of the State. Beyond Statist Approaches and Their Critics », The American Political Science Review, 85 (1), 1991, p. 77-96.
-
[57]
Bruce Berman, John Lonsdale, Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa, Londres, Nairobi, Athens, Ohio University Press, 1992, p. 5.
-
[58]
Sur la « figure de l’abandon » dans un contexte comparable, voir Mattias Borg Rasmussen, « Tactics of the Governed. Figures of Abandonment in Andean Peru », Journal of Latin American Studies, 49 (2), 2017, p. 327-353.
-
[59]
B. Hibou, Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
-
[60]
Gabriel Vommaro, « Une bureaucratie para-étatique mouvante. La production locale du Welfare des précaires en Argentine à l’ère du capitalisme postindustriel », Gouvernement et action publique, 8 (1), 2019, p. 35-60 ; Julieta Quirós, La politique vécue. Péronisme et mouvements sociaux dans l’Argentine contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2016.
-
[61]
Gwenola Le Naour, « Entrer dans l’action publique en la contestant. Quand la cause des usagers de drogues devient soluble dans la politique marseillaise de lutte contre le sida et la toxicomanie », Politix, 70 (2), 2005, p. 9-28.
-
[62]
Christine Guionnet, « Marginalité en politique et processus d’institutionnalisation. Les mouvements Motivé-e-s et citoyens (2001-2003) », dans Lionel Arnaud, Christine Guionnet (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 165.
-
[63]
C. Krupa, D. Nugent, « Off-centered States. Rethinking State Theory through an Andean Lens », cité, p. 14-15.
-
[64]
Christian Lund, « Rupture and Rule. State Formation through the Production of Property and Citizenship », Development and Change, 47 (6), 2016, p. 1199-1228.
-
[65]
La bataille d’Arica a eu lieu en 1880, pendant la guerre du Pacifique (1879-1884). Le 7 juin en a été le moment le plus intense, les forces chiliennes ont alors pris l’avantage sur l’armée péruvienne et ont fini par l’emporter.
-
[66]
Peter Sahlins, « The Nation in the Village. State-building and Communal Struggles in the Catalan Borderland during the Eighteenth and Nineteenth Centuries », The Journal of Modern History, 60 (2), 1988, p. 234-263.
-
[67]
Julia Eckert, « Subjects of Citizenship », Citizenship Studies, 15 (3-4), 2011, p. 309-317.
-
[68]
T. Mitchell, « The Limits of the State. Beyond Statist Approaches and Their Critics », art. cité, p. 94.
-
[69]
James Holston, « Contesting Privilege with Right. The Transformation of Differentiated Citizenship in Brazil », Citizenship Studies, 15 (3-4), 2011, p. 335-352.
-
[70]
T. Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.
-
[71]
A. Escobar, « Sentipensar con la tierra. Las luchas territoriales y la dimensión ontológica de las epistemologías del Sur », art. cité.
-
[72]
Le World Wildlife Fund (WWF), l’un des principaux soutiens financiers de la Fédération quechua, a ainsi été créé en 1961 par d’ancien·nes administrateur·rices de colonies africaines recruté·es par l’Unesco ou par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dans le but de préserver les parcs naturels des déprédations causées, notamment, par les habitant·es pratiquant l’agro-pastoralisme. Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Paris, Flammarion, 2020.
-
[73]
Je tiens à remercier Lilian Mathieu pour sa relecture d’une première version de ce texte et pour son encadrement de la recherche doctorale d’où est issu cet article. Merci également aux rapporteurs et rapportrices anonymes de Critique internationale et à Catherine Burucoa qui, par leur travail d’évaluation et d’édition, m’ont permis de le faire aboutir.