Notes
-
[1]
United Nations, An Agenda for Peace. Preventive Diplomacy, Peacemaking and Peace-Keeping. Report of the Secretary-General, A/47/277, 17 juin 1992 ; United Nations, Supplement to an Agenda for Peace : Position Paper of the Secretary-General on the Occasion of the Fiftieth Anniversary of the United Nations, janvier 1995 (https://digitallibrary.un.org/record/168325) (consultés le 13 août 2020). Nous traduisons les citations et extraits d’entretiens.
-
[2]
United Nations, Report of the Panel on United Nations Peace Operations, A/55/305-S/2000/809, 21 août 2000, p. 3.
-
[3]
Johan Galtung, « Violence, Peace, and Peace Research », Journal of Peace Research, 6 (3), 1969, p. 167-191.
-
[4]
Et de création des trois quarts des ONG spécialisées dans le cas par exemple de l’Alliance for Peacebuilding (voir l’encadré Méthodologie ci-dessous).
-
[5]
Le peacebuilding, au sens large privilégié notamment par l’ONU, comporte trois dimensions : la sécurité, la réforme des institutions de l’État et ce que beaucoup appellent les « dimensions socioéconomiques du conflit », qui incluent des termes aussi divers que la justice transitionnelle et la réconciliation, le « trauma counseling » et les dialogues en vue de « jeter des ponts entre différentes communautés ». Michael Barnett, Hunjoon Kim, Madalene O’Donnell, Laura Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », Global Governance, 13 (1), 2007, p. 48-50. Le concept de paix positive et celui, lié, de transformation des conflits sont les fils directeurs communs à ces termes et activités.
-
[6]
Les dépenses des États membres de l’OCDE pour la catégorie « conflit, paix et sécurité » sont passées de un milliard de dollars en 2004 à 3,2 milliards en 2008, puis à 5,4 milliards en 2018 (arrondis au dixième) (https://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?datasetcode=TABLE5&lang=en#) (consulté le 11 novembre 2020).
-
[7]
Margaret E. Keck, Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[8]
Edward Newman, « Liberal Peacebuilding Debates », dans Edward Newman, Roland Paris, Oliver Richmond (eds), New Perspectives on Liberal Peacebuilding, New York, United Nations University Press, 2009, p. 26-53.
-
[9]
Selon Dustin N. Sharp, le concept « résonne fortement avec certains des idéaux des progressistes de centre-gauche contemporains ». D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », International Studies Review, 22 (1), 2020, p. 128.
-
[10]
Tobias Denskus, « Peacebuilding Does Not Build Peace », Development in Practice, 17 (4-5), 2007, p. 660. Voir également Catherine Goetze, The Distinction of Peace : A Social Analysis of Peacebuilding, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2017.
-
[11]
En référence à l’idiot de Garfinkel dépeint par Ruwen Ogien, qui explique que les gens se saluent en vertu d’attentes fondées sur des valeurs de courtoisie, face à un idiot symétrique, qui explique les interactions sociales par leur utilité individuelle. Ruwen Ogien, « L’idiot de Garfinkel », dans Michel de Fornel, Ruwen Ogien, Louis Quéré, L’ethnométhodologie. Une sociologie radicale, Paris, La Découverte, 2001, p. 57-74.
-
[12]
C’est-à-dire un secteur de la société relativement autonome, régi par des règles, poursuivant des fins qui lui sont propres et impliquant une coupure entre professionnels et profanes. Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992. Pour une tentative d’application aux mobilisations internationales, voir Yves Dezalay, Bryant G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002 ; Sandrine Lefranc, Delphine Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », Cultures & Conflits, 119-120, 2020, p. 39-65.
-
[13]
Critiquant la notion d’espace public, Nancy Fraser insiste sur l’existence d’« arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours ». Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005, p. 126.
-
[14]
Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles (1986), Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 117.
-
[15]
Simon Robins, « Mapping a Future for Transitional Justice by Learning from Its Past », International Journal of Transitional Justice, 9 (1), 2015, p. 181-190.
-
[16]
Ce caractère secondaire par rapport aux modalités « violentes » du gouvernement de la violence se traduit sur le plan des finances. Les ONG étudiées ici, et par exemple celles qui sont membres de l’Alliance for Peacebuilding, sont généralement de petite taille et disposent, pour 60 % d’entre elles, d’un budget annuel de moins de 500 000 dollars (https://www.allianceforpeacebuilding.org).
-
[17]
Rama Mani, Beyond Retribution. Seeking Justice in the Shadow of War, Cambridge, Polity/Blackwell, 2002, p. 4.
-
[18]
Kumar Rupesinghe, Sanam N. Anderlini, Civil Wars, Civil Peace, An Introduction to Conflict Resolution, Londres, Pluto Press, 1998, p. 131.
-
[19]
John Paul Lederach, The Moral Imagination : The Art and Soul of Building Peace, Oxford, Oxford University Press, 2005.
-
[20]
Les conférences de Dartmouth ont été par exemple organisées à partir de 1961 pour faire dialoguer des élites états-unienne et soviétique, sur des questions d’apparence technique, dans un cadre universitaire, avec l’aval des gouvernements mais en leur absence. On considère qu’elles ont eu une réelle influence sur les responsables soviétiques à l’origine de la libéralisation. Matthew Evangelista, Unarmed Forces : The Transnational Movement to End the Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 1999.
-
[21]
Ce principe du dialogue en petits groupes a pris des formes variées : problem-solving workshop avec la médiation d’un universitaire étranger, ou dialogue régulé par un responsable d’ONG locale entre femmes ou jeunes issus des groupes ennemis, par exemple. Ronald J. Fisher, « Social-Psychological Processes in Interactive Conflict Analysis and Reconciliation », dans Mohammed Abu-Nimer (ed.), Reconciliation, Justice, and Coexistence : Theory and Practice, Lanham, Lexington Books, 2001, p. 25.
-
[22]
Herbert C. Kelman, « The Political Psychology of the Israeli-Palestinian Conflict : How Can We Overcome the Barriers to a Negotiated Solution ? », Political Psychology, 8 (3), 1987, p. 347-363 ; John W. Burton, Conflict : Resolution and Prevention, New York, Palgrave Macmillan, 1990.
-
[23]
S. Lefranc, « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », Actes de la recherche en sciences sociales, 174 (4), 2008, p. 48-67.
-
[24]
Ibid. ; Charles Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », thèse de doctorat en science politique. Relations internationales, Institut d’études politiques de Paris, 2010 ; Martha Harty, John Modell, « The First Conflict Resolution Movement, 1956-1971. An Attempt to Institutionnalize Applied Interdisciplinary Social Science », The Journal of Conflict Resolution, 35 (4), 1991, p. 720-758.
-
[25]
Lesquelles valorisent la coopération internationale, favorisée par des acteurs non étatiques ou la diffusion d’idées. Dario Battistella, Théories des relations internationales (2003), Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
-
[26]
D. N. Sharp rappelle l’égalitarisme vigoureux de J. Galtung, qui « reflète une aversion presque viscérale pour la domination, l’imposition et les "grands manitous", ainsi qu’un scepticisme général à l’égard de la structure, de la hiérarchie et de l’organisation en général ». D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 124.
-
[27]
Eilish Rooney, Fionnuala Ní Aoláin, « Transitional Justice from the Margins : Intersections of Identities, Power and Human Rights », International Journal of Transitional Justice, 12 (1), 2018, p. 1-8.
-
[28]
Frank Dukes, « Why Conflict Transformation Matters : Three Cases », Peace and Conflict Studies, 6 (1), 1999, p. 1-16.
-
[29]
I. William Zartman, « Conflict Management : The Long and the Short of It », SAIS Review, 20 (1), 2000, p. 227-229.
-
[30]
Selon M. Barnett, H. Kim, M. O’Donnell et L. Sitea (« Peacebuilding : What Is in a Name ? », art. cité), la plupart des grands acteurs internationaux revendiquent une action de peacebuilding.
-
[31]
Voir le classement sur https://www.economicsandpeace.org/reports/ (consulté le 1er mars 2021).
-
[32]
C. Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », cité. Le modèle est ici celui des théories constructivistes déjà évoquées. Voir également Judith Goldstein, Robert O. Keohane, « Ideas and Foreign Policy : An Analytical Framework », dans J. Goldstein, R. O. Keohane (eds), Ideas and Foreign Policy. Beliefs, Institutions, and Political Change, Ithaca, Cornell University Press, 1993.
-
[33]
Sur la centralité du champ académique des États-Unis, voir Y. Dezalay, B. G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », op. cit.
-
[34]
Pascal Dauvin, Johanna Siméant, Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
-
[35]
S. Lefranc, « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », art. cité.
- [36]
-
[37]
La consultation d’annuaires spécialisés et l’analyse de certains programmes d’activités des OI ont confirmé l’appartenance de ces organisations à une même arène.
-
[38]
Entretien avec Jim Tull, devenu salarié du Conflict Management Group/Mercy Corps (CMG/MC) après des études commerciales, Boston, 13 février 2007 ; entretien avec Marshall Wallace et Diana Chigas, employés de Collaborative for Development Action (CDA), formés l’un au marketing, l’autre à la littérature française et au droit de la famille, Cambridge, 14 février 2007.
-
[39]
Entretien avec Ruth Allen, salariée du CMG/MC, formée à la géologie, New York, 20 février 2007 ; entretien avec Seema Tikare, salariée du CMG/MC, formée à la politique industrielle, qui évoque en outre les réfugiés et la violence à l’encontre des femmes au Népal, Boston, 14 février 2007.
-
[40]
Entretien avec Grant Rissler, membre salarié du Mennonite Central Committee, juriste, Washington D.C., 2 mars 2007.
-
[41]
Entretien avec J. Tull, cité.
-
[42]
« I learned about Gandhi, I learned about Quakerism... » Entretien avec Mary B. Anderson, CDA, Boston, 19 février 2007. L’appartenance à la dénomination quaker est la clé de la constitution de CDA.
-
[43]
Roger Mac Ginty, International Peacebuilding and Local Resistance : Hybrid Forms of Peace, New York, Palgrave Macmillan, 2011 ; Gearoid Millar, An Ethnographic Approach to Peacebuilding. Understanding Local Experiences in Transitional States, Londres, Routledge, 2014.
-
[44]
Selon ses déclarations à la base de données GuideStar (https://www.guidestar.org/profile/52-1257425).
-
[45]
J. P. Lederach, The Moral Imagination : The Art and Soul of Building Peace, op. cit.
-
[46]
Y compris par l’ONU. Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Outils de l’État de droit pour les sociétés sortant d’un conflit : commissions vérité, New York, Nations unies, 2006.
-
[47]
S. Lefranc, « Pleurer ensemble restaure-t-il le lien social ? Les commissions de vérité, “tribunaux des larmes” de l’après-conflit », dans Raphaëlle Nollez-Goldbach, Julie Saada (dir.), La justice pénale face aux crimes de masse. Approches critiques, Paris, Éditions A. Pedone, 2014, p. 199-226.
-
[48]
Pierre Hazan, Juger la guerre, juger l’Histoire. Du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, Paris, PUF, 2007, p. 31.
-
[49]
Yaacov Bar-Siman-Tov, Gemma H. Bennink, « The Nature of Reconciliation as an Outcome and as a Process », dans Y. Bar-Siman-Tov (ed.), From Conflict Resolution to Reconciliation, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 38.
-
[50]
Harald Welzer, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, 2007.
-
[51]
On peut renvoyer, à ce sujet, à Erving Goffman, Les cadres de l’expérience (1974), Paris, Les Éditions de Minuit, 1991 ; Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin, 2001 ; Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997 ; Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Le Seuil, 1983 ; John M. Doris, Lack of Character : Personality and Moral Behavior, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
-
[52]
Sarah Gensburger, Sandrine Lefranc, À quoi servent les politiques de mémoire ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.
-
[53]
Nicolas Mariot, « “Je crois qu’ils ne me détestent pas”. Écrire l’inimitié dans les correspondances lettrées de la Grande Guerre », Genèses, 96 (3), 2014, p. 62-85.
-
[54]
Marielle Debos, Le métier des armes au Tchad : le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013 ; Roland Marchal, « Les frontières de la paix et de la guerre », Politix, 58 (2), 2002, p. 39-59.
-
[55]
Par exemple lors de la guerre de 1976-1992 au Mozambique décrite par Carolyn Nordstrom. Les violences y sont si systématiques qu’elles suppriment toute chance de vie ordinaire. Les gens parviennent toutefois à « recréer des mondes viables ». Carolyn Nordstrom, « Terror Warfare and the Medicine of Peace », Medical Anthropology Quarterly, 12 (1), 1998, p. 103-121, plus précisément p. 107-110.
-
[56]
C’est ce que vérifie Teresa Koloma Beck dans son ethnographie du conflit angolais. Teresa Koloma Beck, The Normality of Civil War, Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag, 2006.
-
[57]
M. Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, op. cit.
-
[58]
Juan Diego Prieto, « Together after War while the War Goes on : Victims, Ex-Combatants and Communities in Three Colombian Cities », International Journal of Transitional Justice, 6 (3), 2012, p. 525-546.
-
[59]
J. P. Lederach, Preparing for Peace : Conflict Transformation across Cultures, New York, Syracuse University Press, 1996.
-
[60]
Diana Francis décrit son expérience de formatrice dans People, Peace and Power : Conflict Transformation in Action, Londres, Pluto Press, 2002.
-
[61]
M. E. Keck, K. Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, op. cit.
-
[62]
S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[63]
Entretien par téléphone avec Bill Lowrey, World Vision, Washington D.C., 26 février 2007. Selon Mary B. Anderson et Lara Olson, de CDA, ces acteurs « hésitent à mettre l’accent sur l’efficacité ». Elles citent un participant : « Il n’est vraiment pas nécessaire d’évaluer les résultats. Nous sommes appelés à être loyaux, à faire le bien, sans tenir compte des résultats. Nous faisons ce que nous faisons parce que nous devons faire quelque chose. Ne rien faire serait pire ». Mary B. Anderson, Lara Olson, Confronting War. Critical Lessons for Practitioners, Cambridge, CDA, 2003, p. 8.
-
[64]
Entretiens en face à face puis par téléphone avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, Bruxelles, 23 février 2005, et Washington D.C., 4 juin 2006.
-
[65]
Le taux de reprise du conflit varierait de 35 % à 57 %. Voir Arnim Langer, Graham K. Brown, Hanne Albers, « Introduction », dans A. Langer, G. K. Brown, Building Sustainable Peace : Timing and Sequencing of Post-Conflict Reconstruction and Peacebuilding, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 3.
-
[66]
M. B. Anderson, Do No Harm : How Aid Can Support Peace-Or War, Boulder, Lynne Rienner, 1999 ; M. B. Anderson, L. Olson, Confronting War. Critical Lessons for Practitioners, op. cit.
-
[67]
Entretiens avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, cités.
-
[68]
Roland Marchal, Christine Messiant, « De l’avidité des rebelles. L’analyse économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique internationale, 16 (3), 2002, p. 58-69. Voir également, dans ce dossier, Sylvain Antichan, Cyril Magnon-pujo, « Les espaces sociaux du gouvernement international de la violence », Critique internationale, 92 (3), 2021, p. 9-22.
-
[69]
Susanna Campbell, David Chandler, Meera Sabaratnam, A Liberal Peace ? The Problems and Practices of Peacebuilding, Londres, Zed Books, 2011.
-
[70]
United States Department of State Transitional Justice Initiative, Transitional Justice Overview, 16 mai 2016 (https://2009-2017.state.gov/documents/organization/257771.pdf).
-
[71]
Loramy Gerstbauer, U.S. Foreign Policy and the Politics of Apology, New York, Routledge, 2017.
-
[72]
Zachary D. Kaufman, United States Law and Policy on Transitional Justice : Principles, Politics and Pragmatics, New York, Oxford University Press, 2016 ; Dyonisis Markakis, US Democracy Promotion in the Middle East : Pursuit of Hegemony, Londres, Routledge, 2015, p. 3. D. N. Sharp y voit un « cheval de Troie » d’acteurs de la consolidation de la paix accusés de néocolonialisme. D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 126.
-
[73]
Cynthia J. Chataway, « In Practice. Track II Diplomacy : From a Track I Perspective », Negotiation Journal, 14 (3), 1998, p. 269-287. Hormis une ouverture relative au cours des années 2000 qui ne nous semble pas généralisée et a été remise en cause par le durcissement des gouvernements Obama et Trump. C. Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », cité.
-
[74]
Krishna Kumar, Promoting Social Reconciliation in Postconflict Societies. Selected Lessons from USAID’s Experience, USAID Program and Operations, Assessment Report no 24, janvier 1999.
-
[75]
USAID, Educative Learning Review Synthesis Report : USAID/CMM’s People-To-People Reconciliation Fund, Annual Program Statement, Washington, D.C., mars 2014, p. 316.
-
[76]
Rhoda Miller, Institutionalizing Peace. The Conception of the USIP and Its Role in American Political Thought, Jefferson, Londres, Mac Farland, 1994.
-
[77]
S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[78]
Entretiens avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, cités.
-
[79]
S. Lefranc, « Des pacificateurs inspirés. Notes sur des groupes anabaptistes et évangéliques américains », Terrain, 51, 2008, p. 42-49.
-
[80]
Philip Boobbyer, The Spiritual Vision of Frank Buchman, University Park, Pennsylvania State University Press, 2013.
-
[81]
I & C, Méthodologie de facilitation pour la paix et la bonne gouvernance, août 2013, p. 8. Dick Ruffin, vice-président de l’association, revendique le fait d’avoir vécu pareille transformation personnelle, coûteuse pour sa « vieille famille du Sud ». Entretien avec le couple Ruffin, Washington D.C., 27 février 2007.
-
[82]
Y. Dezalay, B. G. Garth (eds), Global Prescriptions. The Production, Exportation, and Importation of a New Legal Orthodoxy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2002, p. 307.
-
[83]
Séverine Autesserre, Peaceland : Conflict Resolution and the Everyday Politics of International Intervention, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
-
[84]
Anne Le Naëlou, « Parcours de jeunes diplômés dans le champ du développement : “miroirs” d’un secteur qui change », Sociologies pratiques, 27 (2), 2013, p. 44. L’analyse prosopographique des carrières le confirme. S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[85]
Michael Newman, Transitional Justice. Contending with the Past, Cambridge, Polity Press, 2019, p. 135 et 150 ; Kevin P. Clements, « Peace Building and Conflict Transformation », Peace and Conflict Studies, 4, 1997, p. 1-14.
-
[86]
R. Paris, « Saving Liberal Peacebuilding », Review of International Studies, 30 (2), 2010, p. 337-365.
-
[87]
Voir par exemple https://www.land-links.org/wp-content/uploads/2017/05/USAID_Land_Tenure_LGSA_Inception_Plan.pdf (consulté le 1er mars 2021).
-
[88]
Pour USAID, voir https://data.usaid.gov et https://www.usaspending.gov/recipient. Pour le PNUD, https://www.undp.org/ et http://mptf.undp.org.
-
[89]
Dennis Dijkzeul, « The United Nations Development Programme : The Development of Peace ? », International Peacekeeping, 5 (4), 1998, p. 92-119.
-
[90]
M. Barnett, H. Kim, M. O’Donnell, L. Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », art. cité, p. 53.
-
[91]
Entretien avec le couple Ruffin, cité ; entretien avec Matthias Stiefel, War-Torn Societies Program devenu Interpeace, Genève, 17 juin 2005.
-
[92]
ONG issue d’un programme de Harvard. Robert Ricigliano, « Networks of Effective Action : Implementing an Integrated Approach to Peacebuilding », Security Dialogue, 34 (4), 2003, p. 445-462.
-
[93]
P. Dauvin, J. Siméant, Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, op. cit.
-
[94]
Y. Dezalay, B. G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », op. cit.
-
[95]
John Burton était un diplomate australien qui a été écarté après une accusation de communisme. Joseph V. Montville a fait une brève carrière dans la diplomatie des États-Unis qu’il a quittée pour se rapprocher d’I & C ; John W. McDonald, ancien directeur adjoint de l’Organisation internationale du travail, a été affecté à la formation des diplomates états-uniens, puis s’est rapproché de l’Université et a fondé en 1982 une ONG spécialisée.
-
[96]
John W. McDonald, « The Track Not Taken ? Personal Reflections on State Department Intransigence and Conflict Resolution », Harvard International Review, 22 (3), 2000, p. 68.
-
[97]
Elise Boulding, « Peace Research : Dialectics and Development », Journal of Conflict Resolution, 16 (4), 1972, p. 469.
-
[98]
Roger Fisher, William Ury, Getting to Yes. Negotiating Agreement without Giving in (1981), New York, Penguin Books, 2011.
-
[99]
Nicolas Guilhot, « Entre juridisme et constructivisme : les droits de l’homme dans la politique étrangère américaine », Critique internationale, 38 (1), 2008, p. 113-135.
-
[100]
Mentionnons par exemple l’éloignement d’une branche scandinave d’inspiration marxiste, à la fin des années 1960, ou le tournant gestionnaire de R. Fisher, juste évoqué. D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 128-131.
1Les organisations internationales sont susceptibles d’intervenir militairement dans les pays qui sortent d’un conflit civil violent. Elles leur octroient une aide humanitaire, appuient leur développement économique, réforment leurs institutions, mais font également davantage, et autrement : leurs agents travaillent à la consolidation de la paix (peacebuilding) et à l’installation d’une « paix positive ». Les initiatives nombreuses qu’ils prennent alors contournent les élites et les gouvernements pour susciter le dialogue et construire, à l’échelle locale, des liens entre les gens « ordinaires », selon une expression courante. Confrontées à ce que les sciences sociales disent des processus de guerre et de paix, ces pratiques paraissent chimériques. Comment expliquer alors leur diffusion depuis la fin de la guerre froide ?
2Le terme de peacebuilding est devenu depuis 1992 un maître-mot de l’action de l’Organisation des Nations unies (ONU) en matière de paix. Aux modalités usuelles de négociation d’accords de paix et d’intervention militaire (preventive diplomacy, peacemaking et peacekeeping), il ajoute « l’action menée en vue de définir et d’étayer les structures propres à raffermir la paix afin d’éviter une reprise des hostilités » [1]. En 2000, le rapport Brahimi a creusé ce sillon en revendiquant la construction de « quelque chose qui est davantage que l’absence de guerre » [2] ; cinq ans plus tard, une Peacebuilding Commission a été créée. Des salariés d’organisations internationales (OI), des universitaires, des missionnaires et des fonctionnaires d’agences nationales de coopération ont donné à cette consolidation de la paix une application particulière qui renoue avec l’ambition d’une autre expression, académique cette fois : la « paix positive », que Johan Galtung a opposée à cette paix « négative » qu’est la cessation de la violence physique négociée par les élites politiques [3]. L’idée est d’en finir durablement avec la violence, y compris structurelle, en créant les conditions d’une coopération fondée sur l’égalité, la justice sociale, l’autonomie des citoyens et autres caractéristiques prêtées à une « paix juste ».
3Que font les promoteurs internationaux d’une telle paix ? Ils organisent, aux côtés d’acteurs locaux, des dialogues au cours desquels une dizaine de personnes – membres des élites intermédiaires ou simples quidams – évoquent ensemble le conflit, financent des festivals artistiques et des événements sportifs célébrant les vertus de la paix, ou produisent des feuilletons télévisuels racontant la difficile coexistence d’ethnies différentes au sein d’un quartier. D’autres promeuvent des échanges entre victimes du conflit violent et criminels politiques, qui doivent permettre la diffusion d’un récit historique, dans le cadre par exemple des commissions de vérité. Ce faisant, ils appliquent des méthodes formalisées par des universitaires et des experts. Pour ces pacificateurs venus de pays étrangers, qui envisagent la violence politique comme la complète destruction des institutions, du lien social et des psychologies individuelles, il s’agit d’œuvrer à la création de liens denses entre les individus, tout en les amenant à construire un monde commun. Ces organisations s’efforcent ainsi de réconcilier les sociétés affectées par un conflit : recoudre un tissu social déchiré par la guerre, faire dialoguer les groupes ennemis, apaiser les victimes, favoriser le dépassement par tous des préjugés et le développement d’interactions sociales apaisées.
4Or leurs agents, formés aux sciences sociales, souvent même impliqués dans la recherche et l’enseignement, se font les avocats d’une conception de la paix et de la violence dont d’autres discussions scientifiques montrent la faiblesse. L’école réaliste défend en effet, au sein de la discipline des relations internationales, une conception négative de la paix, les anthropologues, eux, mettent en évidence les dimensions positives de la violence – par sa capacité à créer du lien et de la solidarité – et les sociologues analysent la faiblesse de la paix positive dans les sociétés stables. Au demeurant, les promoteurs de cette paix nourrie par les récits communs, la reconnaissance de la souffrance et les interactions entre ex-ennemis, ne jureraient pas qu’elle existe dans leurs pays d’origine. Qui prétendrait en effet qu’aux États-Unis (lieu d’origine ou de formation prédominant des agents [4]) des liens étroits existent entre les groupes raciaux et sociaux ? Qui affirmerait que les sociétés européennes sont des lieux où la mixité sociale et culturelle est forte, et où tous les habitants partagent une même lecture des conflits passés ? Ces femmes et ces hommes travaillant pour des organisations internationales, souvent critiques des conditions sociales dans leurs pays d’appartenance, savent pertinemment que la paix qu’ils entreprennent d’installer dans des pays hier parfois théâtres de massacres n’est pas un état social si courant.
5Lorsqu’on les interroge, ils reconnaissent aisément que leur action de transformation des conflits (terme qu’ils préfèrent à celui de gestion ou résolution des conflits) est, au mieux, un pari, et que beaucoup de leurs interventions n’ont pas eu le succès escompté. Ils n’ignorent pas non plus que leur action est fragilisée par le manque de coordination entre les acteurs de la reconstruction des pays dits post-conflit, ou par les détournements dont leurs programmes peuvent faire l’objet. Pourtant ils continuent d’agir, partout, dans le sens de cette paix voulue juste et positive. Ils l’ont fait d’ailleurs avec un succès croissant à partir de la fin de la guerre froide. Les budgets des gouvernements et des OI alloués au peacebuilding [5] ont augmenté, et les liens se sont étoffés entre OI, États et organisations non gouvernementales (ONG) généralistes ou spécialisées dans les actions de transformation des conflits. Le contexte de la « guerre contre le terrorisme » a ralenti ce déploiement, mais n’y a pas mis fin [6].
6Comment expliquer que des modalités d’action qui peuvent paraître naïves, des conceptions de la paix peut-être trop ambitieuses, soient devenues une composante à part entière de l’intervention internationale ? La littérature de relations internationales propose des explications. Les théories constructivistes mettent l’accent sur l’entêtement de communautés d’idées, qui peuvent un jour l’emporter après avoir longtemps suscité le scepticisme [7]. Les auteurs réalistes pointent l’instrumentalisation de ces chimères par des États puissants légitimant ainsi une intervention intéressée dans un pays post-conflit, tandis que certains de leurs pairs, plus critiques, voient dans la plupart des formes du peacebuilding un néoimpérialisme hypocrite [8] : la paix positive n’est plus alors qu’une critique interne au libéralisme, située au centre-gauche [9]. D’autres encore voient dans ces formes d’intervention l’autolégitimation de communautés d’expatriés refermées sur elles-mêmes : « La “consolidation de la paix” est devenue un style de vie pour une petite communauté de “cosmopolites” mondiaux » [10].
7Nous voulons montrer que la diffusion internationale de cette chimère n’est imputable ni à l’idiotie des acteurs [11] ni à une mauvaise intention néolibérale, mais qu’elle est le produit de la constitution d’une arène internationale autour d’une proposition dont la nature est d’abord critique. Cette proposition, centrée sur la transformation du conflit et la construction d’une paix positive, a été faite en effet en réaction au paradigme et aux formes d’intervention dominants de la paix « négative », c’est-à-dire à une conception de la guerre et de la paix réaliste, institutionnelle et élitaire. En cela, la paix positive est critique aussi de la centralité de l’État dans le gouvernement international de la violence.
8La diffusion internationale d’une définition empiriquement peu fondée de la paix est intéressante en ce qu’elle met au jour les façons dont un milieu international hétérogène s’accorde sur une définition de la paix et sur les moyens de l’atteindre. Le terme d’arène, distingué d’un espace libre de discussion entre pairs aussi bien que d’un champ autonome et structuré [12], est utile à deux égards. En premier lieu, il invite à l’analyse du fonctionnement collectif d’une diversité d’organisations, de statuts et d’importances variés, qui ont en commun d’embrasser ces positions critiques [13]. En second lieu, il couvre des situations d’interaction, de collaboration et de concurrence, entre des organisations qui mobilisent les ressources de l’international [14], mais articulent une variété de mondes sociaux, à l’échelle internationale aussi bien que locale : les États, les OI, mais aussi des acteurs pris dans des activités domestiques qui ont a priori peu à voir avec les relations internationales. La guerre, la paix, et les outils utilisés sont par conséquent définis « en miroir » des enjeux et des routines professionnelles des acteurs dans leurs pays d’origine, et au fur et à mesure de leurs rencontres dans l’arène internationale (au siège des organisations, sur les terrains d’intervention, lors des colloques et formations). Si l’idée de la paix positive se diffuse, c’est ainsi non du fait de sa fonctionnalité, de la conviction ou de la position dominante de ses promoteurs, mais parce que cette arène fonctionne comme un carrefour entre des mondes locaux différenciés, souvent distants des gouvernements... C’est ainsi que des chimères en viennent à être défendues, et même mises en œuvre, sur la scène internationale.
Transformer les conflits violents, l’autre voie du gouvernement international de la violence ?
9La paix positive est une proposition critique (critical peacebuilding theory) [15] qui se distingue des modalités prédominantes du gouvernement international de la violence intraétatique, et demeure secondaire vis-à-vis d’elles [16]. Elle s’oppose, bien sûr, à l’usage de la force à l’encontre d’États jugés fauteurs de guerres – le contexte immédiatement contemporain de « guerre contre le terrorisme » a d’ailleurs atténué sa visibilité – et se distingue également de l’interposition militaire dans les conflits armés [17]. Ce n’est toutefois pas seulement une proposition d’action non violente car elle prend aussi le contrepied des stratégies d’action ciblant les seules élites politiques et institutions d’État. Ses promoteurs remettent en question et entendent compléter la paix dite négative, accord passé entre des responsables politiques et militaires qui le déferaient volontiers si la violence était susceptible de mieux les servir. De telles négociations débouchent en effet sur des accords fragiles, gagés sur le seul intérêt du moment des signataires, tandis que la paix positive entend intéresser et convaincre durablement l’ensemble d’une société, créer des relations de confiance entre tous ses membres par des rencontres informelles opposées aux rituels diplomatiques [18].
La paix positive, une proposition critique
10Cette proposition n’est donc pas formulée, principalement, par le canal principal, étatique, des politiques de paix que sont les diplomates. En lieu et place des États et des OI, ce sont souvent des acteurs « privés » (figures éminentes, hommes d’Églises, universitaires, ONG, villes) qui intercèdent auprès d’élites intermédiaires [19]. La paix positive s’est par exemple incarnée à partir des années 1960 dans des exercices de médiation, des conférences réunissant scientifiques et élites sociales [20], ou des ateliers de « résolution des problèmes » : autant de variations d’un principe de dialogue ouvert à des individus éclairés mais sans responsabilités politiques directes, et susceptibles d’entrer dans des relations de coopération avec leurs ennemis présumés [21]. Les conflits américano-soviétique, israélo-palestinien, chypriote en ont été les contextes d’expérimentation [22]. Depuis, et surtout à partir des années 1980, ce sont des ONG internationales spécialisées comme Search for Common Ground (SFCG) qui ont entrepris de systématiser ce principe de dialogue à l’ensemble des populations affectées, à l’échelle des villages notamment, qu’il s’agisse des élites locales ou de femmes et enfants « ordinaires ». Des espaces de rencontre mixtes ont été ainsi créés dans les écoles, les médias, les quartiers, lors d’événements artistiques ou sportifs, sur les places de marché ou dans le cadre d’activités économiques [23].
11Ces formes d’intervention se distinguent des modalités usuelles de pacification dans l’espace international parce qu’elles sont conçues pour s’en distinguer. Non seulement elles sont portées par des acteurs relativement marginaux sur la scène des relations internationales, mais surtout elles ont été esquissées dans un autre monde : le milieu académique, aux États-Unis et ailleurs. À partir des années 1950, l’Université a en effet abrité le développement d’une science nouvelle, la peace research, qui a entrepris de rassembler les connaissances sur les conflits et les processus de résolution des conflits dans tous les secteurs de la vie sociale. De fait, ces scientifiques ne s’intéressaient pas qu’aux conflits internationaux ; certains d’entre eux ont travaillé sur les conflits ethno-raciaux mais aussi sur les conflits du travail ou même familiaux [24], et ont exploré les différentes voies d’une résolution des litiges alternative par rapport au droit et à l’État.
12Lorsqu’ils se sont intéressés à l’international, ils se sont opposés frontalement aux conceptions dominantes du conflit dans les relations internationales. Au paradigme réaliste concédant un statut inévitable à la guerre dans un monde international anarchique régi par les intérêts des plus puissants, ils ont préféré l’idéal wilsonien pacifiste d’éducation des élites politiques œuvrant à la sécurité collective, et les conceptions libérale et constructiviste des relations internationales [25]. Les internationalistes, en revanche, ne se sont guère intéressés à ces paradigmes concurrents : la peace research n’était pour eux qu’un carrefour interdisciplinaire, associant des sociologues, des mathématiciens et des psychologues.
13Or la position critique de ces spécialistes de la paix ne s’explique pas simplement par leur marginalité institutionnelle au regard des disciplines universitaires établies. Ce sont aussi, souvent, des militants pour les droits civiques, des pacifistes, et des membres de groupes religieux amenés à affirmer des positions critiques vis-à-vis des interventions militaires d’État. Parmi eux, les évangéliques, les Quakers et les mennonites sont nombreux. À la critique politique des élites s’est ainsi ajoutée celle du canal étatique lui-même par des organisations contestant le pouvoir séculier.
14Cette critique scientifique conteste autant la spécificité des relations internationales que la centralité des États. La conception d’une paix positive suppose une dévalorisation du rôle des élites [26], une dénonciation de l’ordre libéral, néo-impérial, et masculiniste [27], ainsi qu’une opposition parfois frontale à une « idéologie du management » [28], c’est-à-dire à des formes de résolution des conflits qui insistent sur la recherche de l’accord, facilitée par un tiers neutre. Les « dialoguistes » « se concentrent sur le développement des relations et la construction de la compréhension entre les peuples », le pouvoir étant un « contrôle vénal » [29]. Ils se définissent donc par opposition aux « négociateurs », qui considèrent le pouvoir politique comme la ressource fondamentale de tout accord. Pour les promoteurs de la paix positive, il s’agit plutôt de transformer le conflit, c’est-à-dire à la fois d’en supprimer la manifestation violente et d’en traiter les causes pour installer une paix juste. Ils revendiquent par conséquent l’ambition de changer la société à tous les niveaux, en amenant les élites et les gens ordinaires à faire leurs d’autres convictions sur la guerre et la paix, et à adopter des récits communs. Les programmes travaillent à toutes les échelles : institutionnelles, citoyennes, normatives, interpersonnelles et individuelles.
15Ce sont ces objectifs ambitieux, formulés par des universitaires, des experts et des militants (formés dans les universités) contestant le monopole de l’État sur la régulation des conflits, qui, depuis la fin de la guerre froide, ont fait progressivement leur chemin dans les recommandations de l’ONU. Au milieu des années 2000, les OI et les États ont affiché un large programme de peacebuilding qui intégrait sécurité, négociation politique, réforme institutionnelle et développement socioéconomique [30]. La paix positive est en outre devenue un indicateur, opposable à d’autres indicateurs de développement ou de paix : l’Institute for Economics and Peace classe les pays du monde selon un Global Peace Index, dont se distingue un Positive Peace Index [31].
16Une proposition d’action internationale en faveur de la paix, de nature critique, esquissée au sein des universités à partir des années 1950, est donc parvenue à se faire une place, moins affirmée, certes, que celle des actions diplomatiques et militaires, mais visible et cohérente, dans le programme d’action des grands acteurs internationaux. Comment établir le lien entre son émergence et sa généralisation ? L’articulation est d’autant plus malaisée que les études existantes ne portent pas sur l’ensemble des acteurs susceptibles d’être pertinents. Certains inventaires recensent les grandes OI et une poignée d’États, tandis que d’autres mettent l’accent sur les ONG. Et dans les travaux académiques qui permettent de mieux comprendre le développement de la peace research, les liens et filiations pointés avec des institutions internationales ou des mobilisations transnationales le sont sur la base – à la valeur probatoire faible – de la similarité des concepts et de l’évidence supposée de la diffusion des idées [32].
17Deux choix méthodologiques simples ont été faits ici. Nous sommes entrée par les organisations charnières plutôt que par un acteur supposé dominant, par contraste avec les démarches classiques de relations internationales et les enquêtes de sociologie de l’international [33]. Nous nous appuyons en effet sur une série d’enquêtes portant sur des ONG internationales. Celles-ci n’ont pas été appréhendées comme des acteurs singuliers aux caractéristiques nettement distinctes d’autres acteurs des politiques internationales. Elles sont un élément de la chaîne d’intervention internationale, suggèrent des formes d’action aux OI et aux États, mettent en œuvre leurs politiques et sont subventionnées par eux. Par ailleurs, leurs salariés semblent avoir moins de caractéristiques distinctives que dans les organisations pionnières de l’humanitaire comme Médecins du Monde ou Médecins sans Frontières [34]. Les ONG sont bien souvent un moment dans la carrière des acteurs internationalisés, avant ou après un emploi dans une OI, une administration, une association locale ou un cabinet d’avocats. Elles ne sont donc pas ici des objets en soi, mais des mécanismes intermédiaires très diversifiés, en termes de tailles, de rôles, de statuts, de positionnement – vis-à-vis des secteurs que sont les OI, les États, l’espace académique, l’univers militant et religieux – ou encore du point de vue des caractéristiques sociologiques de leurs acteurs.
Méthodologie
Cette étude se fonde sur les données collectées au cours de plusieurs recherches entamées en 2007 sur les politiques internationales de sortie de conflit. Outre l’analyse documentaire, plus de 60 entretiens ont été menés aux sièges des organisations internationales (inter et non gouvernementales) concernées, c’est-à-dire à Bruxelles, Genève, Londres et dans plusieurs villes de la côte est des États-Unis, ainsi que sur deux de leurs terrains d’intervention, à Bogota en Colombie (en 2009 et 2013) et à Bujumbura au Burundi (dans le cadre d’une enquête collective entre 2009 et 2013). L’histoire des organisations et les trajectoires d’agents (fondateurs et responsables de programmes) des organisations non gouvernementales ont été reconstituées notamment grâce à des entretiens pour 12 de ces ONG (Search for Common Ground, Seeds of Peace, Interpeace, Mercy Corps/Conflict Management Group, Conciliation Resources, International Alert, Initiatives of Change, World Vision, Mennonite Central Committee, Collaborative for Development Action, Collaborative Decision Resources et International Center for Transitional Justice). Plusieurs de ces organisations et de leurs relais locaux ont par ailleurs donné lieu à des observations (un stage de formation, des colloques et rassemblements, des activités de transformation des conflits sur les terrains d’intervention) [35]. Les enquêtes, prises ensemble, sont donc des sites d’observation différenciée d’acteurs relativement analogues en termes de positions structurelles, de trajectoires et de propositions, au sein d’une même arène de la transformation des conflits.
L’enquête entendait rendre compte non du fonctionnement d’une organisation particulière ou d’un milieu sur un terrain local donné, mais d’une arène entière, dans le sens du terme défini plus haut. Le propos n’est pas de délimiter un domaine thématique à partir des concepts et idées maniés par les acteurs. Certes, la quasi-totalité de ces ONG et de leurs agents en entretiens font usage des expressions de paix positive et de transformation des conflits, mais le point d’entrée est ici l’ensemble des liens forgés entre les organisations ou dans le cours des carrières des agents. Les organisations recensées appartiennent aux mêmes réseaux, et deux d’entre ceux-ci sont suffisamment distincts pour consolider la démarche : l’Alliance for Peacebuilding (AfP), créée en 2003 et installée à Washington D.C., rassemble 130 membres, dont 98 aux États-Unis, qui vont de la petite association locale à des ONG très reconnues dans l’espace international, du mouvement religieux au think tank expert, de l’organisation humanitaire à l’Université ; le European Peacebuilding Liaison Office (EPLO), créé en 2001 et installé à Bruxelles, rassemble 40 membres des États-Unis et surtout 16 de pays d’Europe. La liste retenue ici est constituée des organisations les plus visibles des deux réseaux (celles étudiées représentent environ un sixième des organisations de l’AfP) [36]. Ces réseaux n’incluent pas de très gros acteurs de l’intervention internationale, on n’y compte ni OI ni ONG de défense des droits humains, et World Vision et Caritas y sont les seules organisations d’aide au développement. L’inclusion de nombreuses universités par l’AfP atteste par ailleurs les relations fortes entre cette arène et le monde académique.
L’analyse des trajectoires de certains des agents de ces organisations vient ensuite confirmer les interrelations entre elles, qui forment ensemble une arène, c’est-à-dire non un champ structuré (par une autonomie ou par le rapport à un État dominant, par exemple) mais un espace international cohérent – en termes de circulations, de pratiques et de principes d’action – et néanmoins diversifié sur le plan des pays et des secteurs sociaux d’origine [37].
Ce que font les pacificateurs après la violence
19Formant ensemble une arène, alliées dans des réseaux et parfois dans des programmes financés par des OI et des États, soucieuses toujours de se démarquer par rapport aux modalités négatives et élitaires de pacification, ces organisations ne partagent pas seulement des idées et des concepts. Leurs pratiques aussi convergent. Les acteurs interrogés aux sièges des organisations évoquent dans le temps court d’un entretien des expériences très diverses : médiation de paix en Colombie, négociations politiques en Afrique du Sud, tenue d’un débat public sur la pêche en Nouvelle-Angleterre, gestion d’un conflit foncier au Guatemala, dialogue avec de jeunes délinquants d’un quartier pauvre de Boston [38], guerre au Kosovo, cellule de crise post-ouragan à la Nouvelle-Orléans [39], campagne antiarmement dans les villes des États-Unis, médiation auprès des Natives dans le même pays, formation au déminage ou négociations en Israël-Palestine [40].
20S’ils peuvent embrasser dans un même geste autant de conflits et de lieux différents, c’est parce les techniques qu’ils emploient leur semblent partout les mêmes, et qu’elles sont unifiées, d’une part, par l’intention critique sur laquelle nous reviendrons, d’autre part, par des doctrines et des figures communes de fondateurs – pour les uns, Roger Fisher, « le gourou de la résolution des conflits » [41], pour les autres, J. Galtung ou même Gandhi [42]. Bien sûr, les organisations cherchent à se différencier les unes des autres, et les programmes s’ajustent aussi aux injonctions des bailleurs, aux agendas des relais locaux et à des contextes locaux très variés [43], mais les convergences sont nettes. Que font ces pacificateurs ? S’ils pointent la nécessité de corriger les mécanismes qui ont conduit à un conflit ouvert (les inégalités de ressources ou la montée de l’intolérance), ils entreprennent surtout d’installer au sein de la société – et de chaque homme – une capacité à identifier ces failles et à y réagir à temps.
21Les différentes applications de la peace research sont ainsi de nature éducative. S’il s’agit de rééduquer les « violents », par exemple en les formant aux droits humains, et non plus seulement de les désarmer ou de les intéresser à court terme à un accord de paix, les pacificateurs entreprennent également d’organiser le plus grand nombre possible de dialogues en petits groupes. Search for Common Ground revendique par exemple 3,6 millions de personnes directement touchées par ses programmes en 2018, pour 237 000 personnes formées en 2017 et plus de 42 millions de personnes touchées la même année par les activités médiatiques [44]. Le propre de ces rencontres interpersonnelles est de favoriser un « effet de levain » : les interactions ainsi suscitées doivent conduire à la diffusion des convictions nouvelles des bénéficiaires dans leurs environnements locaux (les proches, les voisins, les commerçants) [45].
22Ce processus implique bien sûr la diffusion de connaissances, sur l’histoire comme sur les modes de vie et expériences du groupe ennemi, mais il mise surtout sur le dialogue ému. Les commissions de vérité sont par exemple conçues comme des dispositifs de partage de l’émotion dans des espaces publics [46]. Certaines revendiquent une fonction de « guérison » (healing, terme affiché en très grands caractères lors des auditions de la Truth and Reconciliation Commission sud-africaine) des victimes comme des agents de la violence [47]. Dispositifs de justice transitionnelle comme dialogues en petits groupes doivent renforcer l’empathie des bénéficiaires, et ainsi réformer durablement les rapports à autrui dans l’ensemble de la société. Les stratégies diplomatiques de paix négative, elles, sont accusées de ne pouvoir enfanter dans les esprits d’élites changeantes que des dispositions pacifiées précaires. Le dépassement des préjugés sur l’autre groupe, les liens nouveaux avec l’ancien ennemi supposé produiraient une attitude de tolérance bien implantée qui, le moment venu, ferait obstacle à la répétition des violences. Un tel pari, notons-le pour y revenir, implique une conception particulière des causes de la guerre : c’est dans le for intérieur des individus que se tapirait le futur tueur et que se replierait une victime traumatisée, elle-même suspecte de vengeance. Les pacificateurs s’efforcent donc de combattre les préjugés et les passions idéologiques et racistes, données pour causes des violences collectives. Si la guerre est comprise comme un processus collectif, ce qui l’alimente comme ce qui peut la prévenir semble avoir son siège dans les dispositions individuelles.
23Outre ces actions d’éducation empathique, la paix positive s’incarne dans de multiples initiatives pour faire dialoguer les membres des sociétés post-conflit, et par là produire des liens durables, de la confiance et un monde commun. Villageois, écoliers, entrepreneurs, femmes sont réunis pour dialoguer, tandis que victimes et auteurs des violences politiques sont incités à échanger devant les commissions de vérité. Or le lien social qu’il est question de restaurer ou de créer est défini comme un lien interpersonnel. Dans le dialogue local, en petits groupes, ce ne sont pas les rapports aux institutions qui sont visés, mais les interactions horizontales entre les personnes. La justice transitionnelle entend « remodeler les identités collectives » [48], et les dialogues produire « un nouvel ethos encastré dans une culture de paix » [49].
À quelle violence politique veulent mettre fin les promoteurs de la paix positive ?
24Appréhendée depuis ces pratiques, une paix positive exigerait, d’une part, une rééducation des personnes susceptible de venir à bout des méfiances et des haines, d’autre part, un lien fort, dense et transversal, qui ferait naître un accord sur les divisions passées et sur un monde commun. Ce diagnostic d’experts condense ce que beaucoup pensent des violences politiques. Celles-ci apparaissent d’abord et surtout comme destructrices : des hommes et des choses – ce qu’elles sont –, mais aussi des liens, des institutions, et du fond moral des personnes. Or les sciences sociales disent autre chose. Elles remettent en question cette conception exceptionnaliste et exclusivement destructrice des guerres.
25On sait que les violences politiques ne sont pas le produit de haines anciennes, intériorisées par les individus. Elles sont au contraire enchâssées dans des interactions sociales ordinaires ainsi que dans l’existant moral, dont elles suscitent la révision sur la base de ce que semblent requérir la situation et les prescriptions de l’autorité [50]. De façon plus générale, c’est même la manière dont les pacificateurs dépeignent le comportement humain qui peut être discutée. Les violences, mais aussi la paix négative, sont en effet imputées à la constance des dispositions et comportements individuels, à la persévérance de la haine de l’ennemi. Pourtant les sciences sociales montrent que l’homme est inconstant, que ses comportements varient selon les mondes sociaux qu’il traverse et les situations qu’il affronte [51]. Nous nous comportons moins en extériorisant des dispositions constantes qui définissent notre personnalité qu’en regardant les autres agir. C’est donc le principe d’une action pédagogique visant la réforme durable des dispositions de l’individu qui peut être questionné [52]. Les travaux récents ont par ailleurs montré que, dans le feu de la violence, les échanges sociaux ordinaires se prolongent, et avec eux des rapports sociaux hiérarchisés [53]. Ils nous apprennent que des sociétés peuvent fonctionner durablement de façon violente, qu’il n’y a pas de frontière si nette entre guerre et paix, et que la violence déchaînée n’est pas étrangère à la violence routinière et contenue [54]. Bien sûr, les guerres blessent et certaines peuvent priver les hommes de sécurité, lorsque le « tacite » (c’est-à-dire la connivence, les conventions implicites) et avec lui la stabilité disparaissent [55]. Il n’en demeure pas moins qu’une forme de routinisation de la vie sociale demeure possible, que des formes nouvelles de contrôle collectif et des routines s’organisent, qui permettent l’évitement par la plupart du basculement dans la violence [56].
26Le caractère exceptionnel de la violence politique ne fait guère de doute aux yeux des promoteurs de la paix positive. La violence ouverte est considérée comme l’envers de la normalité ; la guerre s’oppose strictement à la paix. Les sciences sociales qui ont exploré les processus sociaux, notamment violents, montrent pourtant que les continuités parfois l’emportent sur les discontinuités [57]. Si les conflits violents ne sont pas des phases de vide, de chaos ou d’anomie, et si la guerre peut être « positive », pourquoi faudrait-il voir dans les moments qui suivent une opportunité de rétablir des liens sociaux de proximité qui sont supposés avoir été emportés, de ré-humaniser les hommes et de reconstruire le lien social ?
27Certaines enquêtes menées en Colombie confirment la fragilité de telles hypothèses, notamment la nécessité d’adopter des politiques qui amènent les individus à surmonter des haines installées par un travail de restauration du dialogue et de la confiance. On présume sans doute trop vite que les ennemis d’hier demeurent les ennemis d’aujourd’hui, qu’ils sont incapables de renouer des liens fonctionnels, sinon affectifs. Une étude sur la coexistence entre anciens combattants démobilisés, déplacés et victimes de guerre dans des quartiers de trois villes colombiennes (Bogotá, Medellín et Valledupar) [58] met au contraire en évidence la fréquence de leurs interactions sociales, leur sentiment de proximité, l’absence de tout rejet mécanique et l’importance des différences de traitement perçues. Loin d’affirmer que l’harmonie succède à la guerre, cette étude montre que c’est un lien social ordinaire, quotidien, qui est expérimenté dans ces contextes de sortie de conflit, à bonne distance des prémisses comme des appropriations politiques des programmes de paix positive.
Comment une proposition critique rallie et organise des acteurs internationaux
28Comment expliquer la diffusion d’une telle conception hypostasiée de la violence par des acteurs pourtant formés aux sciences sociales, familiers souvent des études des processus de guerre et de paix ? L’un des arguments fréquemment avancés est celui de la demande locale. La transformation des conflits répondrait mieux que d’autres modèles aux besoins et cultures des sociétés post-conflit [59]. Cet argument convainc peu, tant les programmes observés, conçus souvent dans un contexte états-unien, restent portés par des acteurs étrangers. Les organisations sont par exemple soucieuses de former des formateurs locaux, mais font généralement, et longtemps, intervenir à cette fin des experts étrangers [60].
Les programmes de transformation des conflits violents ne sont pas le produit d’une intention politique
29Il n’est pas non plus possible d’expliquer la généralisation des programmes de transformation des conflits par la force des mobilisations transnationales d’acteurs convaincus [61]. Certes, beaucoup de ces acteurs sont des militants, mais cette arène internationale, en se professionnalisant, donne une importance de plus en plus grande aux salariés, enthousiastes sans doute, mais polyvalents et susceptibles de rejoindre ensuite des organisations aux interventions sans rapport avec la paix positive [62]. Les entretiens réalisés avec les pacificateurs une fois qu’ils ont quitté leur poste dans une organisation de paix sont de ce point de vue révélateurs : ils ne sont pas dupes ; ils doutent de l’efficacité de ce qu’ils font, et beaucoup soulignent ou insistent sur la nature de pari de leurs pratiques : « Je dirais que l’analyse d’impact de la consolidation de la paix est la question la plus difficile. (...) Ce que vous faites contribue à cette consolidation, mais nous devons tous être assez humbles pour ne pas en revendiquer l’entier mérite » [63] ; « J’ai des questions sur la vérifiabilité de l’impact, la quantification de tout ça. (...) Search [for Common Ground] a le réflexe de se réfugier dans l’émotionnel, les petites histoires. (...) Tout ça est pensé en américain. Au bout du compte, c’est une organisation américaine. Ça sort de cerveaux américains, et c’est dur de le traduire en français, en pensée vieux continent. Ils sont très friands de petites histoires, enfants soldats, etc., mais ça compose un tableau assez pointilliste. Mais comment quantifier l’impact, l’articulation avec d’autres dimensions politiques et économiques ? » [64]. Ces acteurs savent que beaucoup de leurs interventions, et notamment les plus anciennes, n’ont pas eu le succès escompté ; le conflit israélo-palestinien est ainsi l’une des cibles privilégiées – et incontestablement un échec partagé – de l’ensemble des organisations évoquées ici. Elles connaissent bien les statistiques de reprise des conflits [65], de même que la faible coordination entre les acteurs de la reconstruction post-conflit. Enfin, les pacificateurs sont très au fait des problèmes d’instrumentalisation dont les programmes peuvent faire l’objet, de la part, ici, de responsables politiques encore acquis à une logique de guerre, là, d’une ethnie dominante qui fait recruter les siens [66]. Ils perçoivent en outre les effets des intérêts d’États sur les actions des organisations. Interrogé avant et après son recrutement par l’agence des Nations unies qu’il souhaitait depuis longtemps rejoindre, l’ancien employé de Search for Common Ground expliquait ainsi que le programme qu’il mettait en œuvre au Maroc servait moins la paix – le pays n’avait pas connu de conflit ouvert – que l’alliance de son organisation avec les élites locales en vue de l’adoption d’un accord de libre-échange avec les États-Unis ; la promotion du dialogue servait dans ce cas la libéralisation du droit civil via la diffusion de la résolution alternative des litiges. Il indiquait en outre que le programme se distinguait au fond assez peu des autres formes d’action internationale : « C’est quand même un peu du développement, ce qu’on fait ». Et pointait, pour finir, le caractère aléatoire, et personnel, des terrains d’intervention : « J’ai jamais eu de réponse sur le pourquoi de la présence de Search au Maroc. Sinon qu’un individu qui a des envies peut créer son domaine, quelle que soit la bigger picture [le cadre plus général]. Après son départ, on gère ! Énergies investies, on reste. On essaie de bricoler un argumentaire. Mais compte tenu des difficultés pour lever des fonds, (...) il y a toujours eu des débats internes. (...) [C’est] une organisation familiale. (...) Le bébé de John Marks. Un gourou. Ça me mettait assez mal à l’aise. Quelqu’un d’intéressant, un sacré caractère, il est assez étonnant. Mais que SFCG soit présentée comme l’association fondée par John Marks, qu’il en soit le président à vie, que tout soit exprimé à travers le prisme de la pensée de John Marks, surtout pour le Moyen-Orient, ça me paraissait extrêmement pesant pour le programme. Et en général je sentais qu’il y avait un manque de distance flagrant, et beaucoup étaient agacés, en séances de brainstorming. Il fallait tuer le père. Mais je n’ai pas senti de remise en cause. L’idée d’être dans la petite boutique de John Marks m’agaçait » [67].
30Le contexte international est par ailleurs souvent mis en avant. Le développement des actions de transformation des conflits est dans cette perspective présenté comme une réponse à la multiplication des États défaillants ou des guerres civiles « insolubles » (intractables) – toutes affirmations discutables [68]. Ce développement semble néanmoins explicable dans les termes d’une analyse réaliste ; il peut même apparaître comme l’une des dimensions du projet « impérial » des États-Unis [69], affirmé notamment par le Department of State en 2016 [70]. La justice transitionnelle, notamment, est une pax americana, la politique d’un État mu par un intérêt stratégique, du moins jusqu’à la forte réduction par le gouvernement Trump des budgets des institutions concernées. Elle est dénoncée comme étant une stratégie diplomatique intéressée, dont la souplesse permettrait d’éviter les poursuites contre les nationaux, et de mettre en sourdine les revendications des propres minorités, colonisés ou opposants des États-Unis [71]. Les programmes favorisant une paix positive sont de même perçus, on l’a vu, par certains acteurs et universitaires comme une politique favorisant la mise en place d’une élite liée aux intérêts des États-Unis [72].
31Si les diplomates états-uniens y sont dans l’ensemble restés fermés [73], la United States Agency for International Development (USAID) s’est beaucoup investie dans les politiques de peacebuilding (330 projets dans 42 pays en 2017) qui sont parmi les plus emblématiques du principe de la paix positive. Sur la base d’une théorie du changement fondée sur l’interaction personnelle (people-to-people) [74], l’agence a déployé, dans les années 2010, des activités comme « les programmes de justice restaurative, le dialogue interethnique, la construction de la paix interreligieuse (...) et la réconciliation par le bas » [75]. Nombre des programmes déployés par les ONG en Colombie le sont avec son appui.
32Comment expliquer qu’une agence d’État assume une politique peu « réaliste » ? Le désaveu récent dont elle a fait l’objet de la part du gouvernement Trump est instructif : c’est précisément du fait des tensions internes aux élites de la politique étrangère, aux partis politiques et à l’État fédéral, et pour affirmer une identité distinctive, que l’agence a maintenu cette perspective centrée sur le dialogue en petits groupes. Ce volontarisme met moins en évidence un intérêt national favorable à la transformation des conflits que des tensions entre les agences. Ce fut le cas, vingt ans auparavant, avec la création du United States Institute of Peace, institution bipartisane, impartiale, qui a largement contribué au développement des interventions en faveur de la transformation des conflits [76]. La paix positive fonctionne ainsi comme une proposition critique interne de la politique étrangère du gouvernement. Elle demeure secondaire dans les pratiques, mais est une ressource importante de différenciation.
Projeter ses conflits et routines locaux
33La transformation des conflits est donc moins le prolongement discret d’une politique impériale que l’une des manifestations des tensions internes aux bureaucraties du foreign policy establishment. C’est donc dans l’État américain, et plus largement dans le contexte social local, que prend sens cette proposition critique, devenue sens commun international. On l’a dit plus haut, la paix positive doit inspirer la transformation de conflits indifférenciés : aussi bien le divorce que la grève, les conflits raciaux ou la guerre entre États. Une perspective de sociologie des professionnels de l’international met ainsi en évidence l’importance de l’écologie locale des arènes internationales [77]. L’International Center for Transitional Justice (ICTJ), think tank de référence pour la justice transitionnelle présent partout dans le monde, est par exemple l’un des acteurs d’un débat, mené aux États-Unis, sur l’« injustice raciale ». L’organisation a conseillé la Commission de vérité établie en 2004 par des acteurs de la société civile à Greensboro (Caroline du Nord) autour de l’assassinat en 1979 de militants pour les droits civiques par des membres du Ku Klux Klan. Elle a pris nettement parti à la fois contre la politique étrangère états-unienne en Irak et contre la « guerre contre le terrorisme ». Initiatives of Change (I & C) est pareillement investie dans ce qu’elle appelle le « racial healing » (l’apaisement des conflits raciaux) aux États-Unis. Search for Common Ground (SFCG) peut compter sur une branche interne qui a mobilisé les techniques de transformation des conflits autour de sujets de controverse comme l’avortement.
34Ces organisations qui s’externalisent ont souvent une histoire très locale. SFCG est par exemple le produit des mobilisations contre les interventions militaires états-uniennes en Amérique centrale : « L’organisation est présentée comme internationale, par l’implantation géographique et le recours aux locaux. Mais quand on remonte à ceux qui sont aux manettes, ce sont des Américains. Avec des guéguerres entre Washington et Bruxelles, des petites rancœurs sur les procédures financières, des non-dits qui empoisonnaient l’atmosphère. (...) À Bruxelles ou à Bujumbura, tout le monde ne se reconnaît pas forcément dans l’histoire contre Reagan. C’est sans doute différent à Washington, mais à la racine, [il y a] des considérations de politique intérieure américaines » [78].
35Le principe même de la transformation des conflits est d’ailleurs le produit en droite ligne de la lutte pour la survie de la dénomination mennonite, qui fournit des intellectuels, une université spécialisée, l’Eastern Mennonite University, des missionnaires et un bureau du Mennonite Central Committee placé auprès des Nations unies. Ce groupe anabaptiste s’est en effet efforcé de réaffirmer son identité pacifiste face à des gouvernements généralisant la conscription militaire. C’est pour justifier un service civique – dans les hôpitaux, les prisons, les villes ségréguées – que les intellectuels mennonites ont systématisé le principe de la transformation des conflits [79]. La dimension locale est donc d’une importance particulière dans la constitution de l’arène de la paix positive, qui est saturée de références aux débats sociaux et politiques en vigueur aux États-Unis.
36Au-delà d’un entre-soi nourri de culture américaine, et en particulier d’un ethos protestant individualiste et préférant les relations interpersonnelles à la médiation institutionnelle, ce sont des routines professionnelles locales qui forgent et facilitent la diffusion du principe de la transformation des conflits. L’accent mis sur le dialogue ému entre deux individus et sur ses effets transformateurs peut ainsi mieux se comprendre si l’on tient compte de la projection et de l’entremêlement de techniques religieuses et psychologiques de conversion des personnes et de gestion du collectif. Par contraste avec les modalités élitaires de pacification, ou avec la réforme des États, l’arène mobilise des techniques utilisées pour de plus petits conflits, dans des secteurs d’activité sans rapport direct avec la violence politique et les guerres.
37Initiatives of Change, qui fédère des groupes dans 31 pays sur tous les continents, en est un exemple frappant. Il s’agit d’une organisation visible à l’échelle internationale, dotée d’un statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU et membre de la conférence des ONG internationales du Conseil de l’Europe. Toutefois, cette normalisation ne diminue en rien la singularité d’une organisation créée par un Américain en Grande-Bretagne, dans les années 1930, sous la forme d’un groupe évangélique (Moral Re-Armament). L’organisation a extrapolé des techniques particulières de récit de soi (à partir de la tenue d’un journal intime) et de dialogue aux conflits syndicaux et politiques. Elle mêle des formes d’expression empruntées aux anabaptistes, le principe évangélique de la conversion personnelle et certaines pratiques thérapeutiques (appliquées aussi par les groupes d’Alcooliques anonymes) [80]. Les rencontres organisées dans un luxueux ancien hôtel à Caux, en Suisse, en sont une illustration : après avoir évoqué chacun leur propre transformation, les représentants des camps ennemis venus de pays en conflit sont amenés à dialoguer deux à deux. La transformation des personnes, une à une, est supposée, on l’a vu en Colombie, permettre le changement politique durable : « Le changement personnel est la clé de la démarche d’I & C (...). Le conflit se désamorce lorsque chaque individu impliqué se convainc de l’importance de son propre changement et décide de s’ouvrir à l’autre » [81].
38Ce qui est frappant ici, c’est le réemploi de techniques d’abord conçues pour la résolution de conflits interpersonnels, voire souvent pour contourner l’État et ses modes de régulation des conflits. C’est un trait commun à l’ensemble des programmes de transformation des conflits, y compris sous leurs formes les plus institutionnalisées. Tous mobilisent des compétences et des techniques expérimentées sur le terrain des conflits familiaux, de quartiers, raciaux, du travail. Les commissions de vérité empruntent ainsi davantage au registre psychologique qu’à celui du droit, ce que l’enrôlement de psychologues locaux, accoutumés aux conflits conjugaux plus qu’aux assassinats politiques, explique mieux que l’hypothèse peu convaincante selon laquelle les guerres font leur lit dans nos esprits maladivement affectés par la haine... De nombreux agents internationaux continuent de s’investir dans la transformation de petits conflits domestiques. C’est cette constante réutilisation de techniques psychologiques routinières, familières au grand nombre, par des acteurs engagés sur plusieurs fronts qui conforte la singularité des modalités d’action observées, et notamment l’importance donnée aux dispositions individuelles et aux relations interpersonnelles. On s’explique mieux ainsi l’erreur de diagnostic sur la nature de la violence politique, parfois traitée comme le seraient des violences conjugales.
39Il ne s’agit pas de dire, toutefois, que ces activités en bonne partie conduites par des acteurs expatriés sont le simple reflet, et seulement le reflet, de jeux sociaux locaux [82]. C’est bien la structure de l’arène internationale qui explique la force des résonances locales. La précarité sur les marchés du travail expert international, la vive concurrence entre les organisations pour les financements, mais aussi le fait que les pacificateurs expatriés vivent en « bulle » renforcent ce poids des références locales [83]. Nos entretiens ont montré que les agents anticipent une mobilité vers un autre domaine, voire un retour dans le pays d’origine ; leur passage par les politiques de paix n’a pas nécessairement d’effet de spécialisation ni de maintien dans l’arène internationale. C’est un phénomène plus général : le passage des jeunes diplômés d’un milieu professionnel à un autre (du public au privé, des universités du Nord aux terrains du Sud puis parfois aux problèmes sociaux du Nord, etc.) accélère la fluidité de la circulation de thématiques, de normes et d’aptitudes, mais aussi de clés de compréhension des questions sociales. Les agents des organisations de transformation des conflits peuvent ou non être enthousiastes ; la brièveté de leur passage dans ces organisations les amène à entériner des principes d’action à l’efficacité et à la pertinence desquels ils peuvent ne pas croire [84]. Les OI et les gouvernements, en s’appropriant ces concepts et ces techniques, participent de ce processus. Ces dispositifs sont donc le produit aussi de processus qui ont lieu au cours de leur internationalisation.
Jeux internationaux et locaux en miroir
40Les ONG spécialisées sont relativement périphériques par rapport aux acteurs dominants du jeu réaliste de l’intervention dans les conflits ; les interventions militaires, les négociations d’accords de paix, les réformes institutionnelles ont davantage de visibilité. Elles sont aussi moins centrales et moins dotées que certaines ONG internationales plus généralistes qui interviennent dans les conflits violents. Elles portent, par rapport à ces acteurs centraux, une proposition critique toujours renouvelée, où une première génération (opposée au modèle de la gestion des conflits, par exemple) se mêle en s’effaçant un peu à une deuxième, voire une troisième génération (inspirée par le genre ou la justice sociale) [85]. Roland Paris, qui est l’un des auteurs critiques du « liberal peacebuilding », en est même venu, à la fin des années 2000, à s’inquiéter de l’« hyper-critique » et à entreprendre de « sauver » le modèle qu’il avait été le premier à pourfendre [86]. Il ne faudrait pas en déduire pour autant qu’il s’agit d’acteurs marginaux, et a fortiori de parias mis de côté pour leurs positions dissidentes. Ce que portent ces acteurs, c’est à bien des égards un programme complémentaire des interventions humanitaires, militaires et de développement, et des paix élitaires.
41Beaucoup de ces ONG sont ainsi bien implantées dans le monde des OI – qui souvent les subventionnent – et profondément ancrées dans la chaîne des interventions internationales. Elles ont toutes un grand nombre de partenaires. La plupart interviennent dans de nombreux pays (plusieurs dizaines pour Search for Common Ground, Initiatives of Change et l’International Center for Transitional Justice), et des efforts explicites d’unification de l’arène sont menés par la création de plateformes décernant des certifications (comme les réseaux évoqués) ou l’organisation de conférences (à l’instar du Global Partnership for the Prevention of Armed Conflict en 2005 au siège new-yorkais de l’ONU, avec 900 délégués venus de 118 pays). C’est ce que confirme la restitution synthétique des partenariats entre les ONG concernées et deux acteurs internationaux clés : l’un gouvernemental, les États-Unis (USAID, principalement), l’autre intergouvernemental, l’ONU (le PNUD, principalement).
Financement des ONG de transformation des conflits par les États-Unis et l’ONU (montants arrondis, en millions de dollars américains)
Organisation | Seeds of Peace | sfcg | i & c | Organisationsmennonites | Conciliation Resources | Collaborative Decision Resources | Interpeace | Mercy Corps | World Vision | ictj | Caritas | International Alert |
USAID et État fédéral (2008-2021) | <1 | 30 | <1 | >1 | <1 | Oui, non précisé [87] | 5 | 1 800 | 1 400 | Oui, non précisé | 2 (hors projets nationaux) | 12 |
onu,Peacebuilding Fund onu (2006-2020) | 0 | >1 | 0 | 0 | 1,25 avec War Child | 1,2 | 3,8 | 5,6 | 1,2 | <1 | <1 | 1,5 |
Financement des ONG de transformation des conflits par les États-Unis et l’ONU (montants arrondis, en millions de dollars américains)
42Ce tableau, nourri par les rapports et déclarations financières des ONG et par les bases de données des deux organisations [88], montre que la quasi-totalité des premières ont des partenariats souvent bien établis avec les secondes. Ces alliances sont, dans certains cas, très étendues. Search for Common Ground, par exemple, affichait 780 agents en 2018 et des partenariats en cours avec 69 fondations et ONG, 15 OI et 19 gouvernements. Même les organisations qui ne bénéficient pas ou plus de subventions, ou n’ont pas de partenariats avec ces agences, sont bien intégrées à l’arène institutionnelle. Seeds of Peace (SoP) et Initiatives of Change se financent par l’organisation d’événements (comme des galas) et les dons privés. Les responsables de SoP ont été un temps proches des gouvernements fédéraux démocrates des États-Unis. Et I & C a des connexions importantes avec les OI. Nombre des membres de sa direction et de son conseil sont issus de grandes agences internationales (comme la Croix-Rouge et le Secrétariat général de l’ONU). Enfin, ses 32 antennes nationales peuvent être subventionnées par des gouvernements comme par des OI.
43Certaines de ces ONG sont même devenues de véritables portes tournantes de l’arène internationale, au sens où elles forment les personnels et rédigent les rapports des gouvernements et des OI. Leurs agents peuvent se faire recruter par ces derniers, tandis que les partenariats noués permettent aux OI de maintenir leur cap et identité propres dans un contexte de concurrence et de manque de coordination. USAID a marqué sa spécificité au sein de l’État fédéral des États-Unis, de la même manière que le PNUD, soucieux d’afficher son identité de spécialiste de la paix et d’acteur de terrain (puisqu’il représente l’ONU dans la quasi-totalité des pays), a soutenu un bon nombre des ONG de transformation des conflits [89], et affirmé ainsi une singularité au cours de conflits entre agences de l’ONU (avec le Department of Political Affairs particulièrement) décrits comme « saignants » par un interviewé. Le peacebuilding fonctionne donc comme un label flou qui permet à chaque agence de valoriser son action [90]. Or, s’il est dans l’intérêt de tous de ne pas discuter précisément les propositions, cette convergence et ces concurrences favorisent la diffusion large de techniques de régulation interpersonnelle et délibérative du conflit politique. Ces circulations, mais aussi la concurrence pour les emplois et subsides, favorisent par ailleurs l’intégration des ONG. Initiatives of Change, historiquement conservatrice, a ainsi fait alliance avec une organisation polairement opposée, Interpeace, créée en Suisse par un ancien « gauchiste » (selon le fondateur lui-même) passé par une agence onusienne [91]. Autre illustration, celle de l’évolution de certaines ONG généralistes : Mercy Corps a absorbé le Conflict Management Group [92], tandis que World Vision et Caritas ont fait leur le principe de la transformation des conflits.
44Cette intégration est un processus qui se déploie dans l’arène internationale, mais à la charnière de plusieurs mondes. Elle est en particulier le résultat du double positionnement des experts internationaux qui agissent parallèlement dans l’arène internationale et dans les champs académiques. On sait l’importance du bon usage du savoir critique pour la totalité des professionnels de l’international, et la forte interpénétration des expertises internationale et universitaire [93]. Cette articulation présente toutefois des caractéristiques singulières pour l’arène de la transformation des conflits. Elle concourt à son intégration. La catholique Caritas s’appuie ainsi beaucoup sur les experts universitaires mennonites. I & C, issue d’un groupe évangélique, associe dans sa formation des universitaires non seulement de l’Eastern Mennonite University mais aussi d’autres universités qui ont participé au développement de la peace research comme la School for Conflict Analysis and Resolution de l’Université George Mason. Le monde académique est dans ces cas un espace de convergence.
45Ce fonctionnement en miroir sert toutefois des concurrences [94]. Le développement de la transformation des conflits a ainsi été favorisé par la reconversion d’anciens diplomates marginalisés au sein des appareils d’État [95], qui en sont venus à tenir un discours très critique sur leur corps d’origine [96]. Les pionniers de la paix positive dans le monde universitaire sont eux aussi de relatifs marginaux : ils n’appartiennent pas aux relations internationales, ni au droit ou à la science politique, mais à une entre-discipline fréquentée par des sociologues, des anthropologues, des mathématiciens et beaucoup de psychologues sociaux, souvent animés d’un idéal pacifiste et de convictions religieuses. Il s’agit à l’origine d’une contre-mobilisation, « une révolte essentiellement intuitive contre l’“establishment des RI” » [97]. Les universités les plus impliquées dans le peacebuilding sont aujourd’hui encore assez mal placées dans la hiérarchie académique états-unienne. L’exemple du réseau de l’Alliance for Peacebuilding peut à nouveau être mobilisé. Si Harvard y figure, c’est au titre d’une tradition bien distincte, celle du win win (gagnant-gagnant) et du conflict management de R. Fisher [98] ; le rang moyen des quinze universités adhérentes est le 54e du 2021 Best National University Rankings (US News).
46La transformation des conflits a donc été, et demeure, rejetée par la majorité des diplomates en même temps que peu intégrée aux disciplines les mieux institutionnalisées dans les universités. C’est en tant que telle qu’elle s’est fait une place dans le monde des relations internationales. Les propositions critiques qu’elle a formulées n’ont pas été normalisées et complètement intégrées au jeu ordinaire des relations internationales, ni « nationalisées » comme ont pu l’être les droits humains intégrés à la politique étrangère des États-Unis [99], mais elles sont valorisées parce qu’elles sont critiques, et ce même si elles ne subvertissent pas les pratiques. Au gré de scissions et de récusations des plus « managériaux » d’entre eux [100], les pacificateurs « radicalisent » leur conception de la paix positive pour mieux affirmer leurs distances à l’égard des experts réalistes. Ce sont ces affrontements au sein de l’espace académique qui peuvent se répercuter dans les OI et les gouvernements, par exemple lorsque USAID se fait le pionnier d’une des versions les plus centrées sur les interactions interpersonnelles du peacebuilding, au moment où le gouvernement s’engage davantage dans la « guerre contre le terrorisme ». Ces jeux de positionnement en périphérie confortent la visibilité de la paix positive, aussi bien que la singularité, et le caractère chimérique, de sa description de la violence et de la paix.
47L’arène de la transformation des conflits ne s’est pas développée en réponse à un projet « impérialiste » ou à un contre-projet militant. Ses acteurs – formés aux sciences sociales – ne sont pas dupes des limites des programmes qu’ils mettent en œuvre dans des pays hier affectés par des massacres, des guerres civiles de grande ampleur ou des génocides. S’ils prétendent œuvrer dans ces zones à la diffusion de dispositions individuelles de tolérance ainsi qu’à la création de liens forts entre les groupes auparavant antagonistes, ils n’ignorent pas la très grande ambition d’un programme de paix positive qui ne parvient même pas à s’accomplir dans les pays « en paix » dont ils sont originaires. Ils sont d’ailleurs plus critiques que d’autres des inégalités sociales et raciales et des conflits qui y sévissent, et dénoncent les politiques menées par les États, dans leurs pays comme dans les pays post-conflit. C’est précisément cette critique académique et politique qu’ils exportent, et avec elle une partie des techniques utilisées dans leurs pays d’origine pour « transformer » les conflits – tous les conflits : interpersonnels, sociaux, politiques. Ces propositions critiques, projetées des États-Unis et d’Europe vers les pays post-conflit, valent moins pour les paix qu’elles consolident que pour leur capacité à rallier des hommes et des femmes engagé·es sur plusieurs fronts, qui ainsi se renforcent mutuellement et parviennent, parfois, à contenir les politiques négatives et coercitives. Les chimères ne sont pas dépourvues d’efficacité.
Notes
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[1]
United Nations, An Agenda for Peace. Preventive Diplomacy, Peacemaking and Peace-Keeping. Report of the Secretary-General, A/47/277, 17 juin 1992 ; United Nations, Supplement to an Agenda for Peace : Position Paper of the Secretary-General on the Occasion of the Fiftieth Anniversary of the United Nations, janvier 1995 (https://digitallibrary.un.org/record/168325) (consultés le 13 août 2020). Nous traduisons les citations et extraits d’entretiens.
-
[2]
United Nations, Report of the Panel on United Nations Peace Operations, A/55/305-S/2000/809, 21 août 2000, p. 3.
-
[3]
Johan Galtung, « Violence, Peace, and Peace Research », Journal of Peace Research, 6 (3), 1969, p. 167-191.
-
[4]
Et de création des trois quarts des ONG spécialisées dans le cas par exemple de l’Alliance for Peacebuilding (voir l’encadré Méthodologie ci-dessous).
-
[5]
Le peacebuilding, au sens large privilégié notamment par l’ONU, comporte trois dimensions : la sécurité, la réforme des institutions de l’État et ce que beaucoup appellent les « dimensions socioéconomiques du conflit », qui incluent des termes aussi divers que la justice transitionnelle et la réconciliation, le « trauma counseling » et les dialogues en vue de « jeter des ponts entre différentes communautés ». Michael Barnett, Hunjoon Kim, Madalene O’Donnell, Laura Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », Global Governance, 13 (1), 2007, p. 48-50. Le concept de paix positive et celui, lié, de transformation des conflits sont les fils directeurs communs à ces termes et activités.
-
[6]
Les dépenses des États membres de l’OCDE pour la catégorie « conflit, paix et sécurité » sont passées de un milliard de dollars en 2004 à 3,2 milliards en 2008, puis à 5,4 milliards en 2018 (arrondis au dixième) (https://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?datasetcode=TABLE5&lang=en#) (consulté le 11 novembre 2020).
-
[7]
Margaret E. Keck, Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[8]
Edward Newman, « Liberal Peacebuilding Debates », dans Edward Newman, Roland Paris, Oliver Richmond (eds), New Perspectives on Liberal Peacebuilding, New York, United Nations University Press, 2009, p. 26-53.
-
[9]
Selon Dustin N. Sharp, le concept « résonne fortement avec certains des idéaux des progressistes de centre-gauche contemporains ». D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », International Studies Review, 22 (1), 2020, p. 128.
-
[10]
Tobias Denskus, « Peacebuilding Does Not Build Peace », Development in Practice, 17 (4-5), 2007, p. 660. Voir également Catherine Goetze, The Distinction of Peace : A Social Analysis of Peacebuilding, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2017.
-
[11]
En référence à l’idiot de Garfinkel dépeint par Ruwen Ogien, qui explique que les gens se saluent en vertu d’attentes fondées sur des valeurs de courtoisie, face à un idiot symétrique, qui explique les interactions sociales par leur utilité individuelle. Ruwen Ogien, « L’idiot de Garfinkel », dans Michel de Fornel, Ruwen Ogien, Louis Quéré, L’ethnométhodologie. Une sociologie radicale, Paris, La Découverte, 2001, p. 57-74.
-
[12]
C’est-à-dire un secteur de la société relativement autonome, régi par des règles, poursuivant des fins qui lui sont propres et impliquant une coupure entre professionnels et profanes. Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992. Pour une tentative d’application aux mobilisations internationales, voir Yves Dezalay, Bryant G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002 ; Sandrine Lefranc, Delphine Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », Cultures & Conflits, 119-120, 2020, p. 39-65.
-
[13]
Critiquant la notion d’espace public, Nancy Fraser insiste sur l’existence d’« arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours ». Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005, p. 126.
-
[14]
Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles (1986), Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 117.
-
[15]
Simon Robins, « Mapping a Future for Transitional Justice by Learning from Its Past », International Journal of Transitional Justice, 9 (1), 2015, p. 181-190.
-
[16]
Ce caractère secondaire par rapport aux modalités « violentes » du gouvernement de la violence se traduit sur le plan des finances. Les ONG étudiées ici, et par exemple celles qui sont membres de l’Alliance for Peacebuilding, sont généralement de petite taille et disposent, pour 60 % d’entre elles, d’un budget annuel de moins de 500 000 dollars (https://www.allianceforpeacebuilding.org).
-
[17]
Rama Mani, Beyond Retribution. Seeking Justice in the Shadow of War, Cambridge, Polity/Blackwell, 2002, p. 4.
-
[18]
Kumar Rupesinghe, Sanam N. Anderlini, Civil Wars, Civil Peace, An Introduction to Conflict Resolution, Londres, Pluto Press, 1998, p. 131.
-
[19]
John Paul Lederach, The Moral Imagination : The Art and Soul of Building Peace, Oxford, Oxford University Press, 2005.
-
[20]
Les conférences de Dartmouth ont été par exemple organisées à partir de 1961 pour faire dialoguer des élites états-unienne et soviétique, sur des questions d’apparence technique, dans un cadre universitaire, avec l’aval des gouvernements mais en leur absence. On considère qu’elles ont eu une réelle influence sur les responsables soviétiques à l’origine de la libéralisation. Matthew Evangelista, Unarmed Forces : The Transnational Movement to End the Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 1999.
-
[21]
Ce principe du dialogue en petits groupes a pris des formes variées : problem-solving workshop avec la médiation d’un universitaire étranger, ou dialogue régulé par un responsable d’ONG locale entre femmes ou jeunes issus des groupes ennemis, par exemple. Ronald J. Fisher, « Social-Psychological Processes in Interactive Conflict Analysis and Reconciliation », dans Mohammed Abu-Nimer (ed.), Reconciliation, Justice, and Coexistence : Theory and Practice, Lanham, Lexington Books, 2001, p. 25.
-
[22]
Herbert C. Kelman, « The Political Psychology of the Israeli-Palestinian Conflict : How Can We Overcome the Barriers to a Negotiated Solution ? », Political Psychology, 8 (3), 1987, p. 347-363 ; John W. Burton, Conflict : Resolution and Prevention, New York, Palgrave Macmillan, 1990.
-
[23]
S. Lefranc, « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », Actes de la recherche en sciences sociales, 174 (4), 2008, p. 48-67.
-
[24]
Ibid. ; Charles Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », thèse de doctorat en science politique. Relations internationales, Institut d’études politiques de Paris, 2010 ; Martha Harty, John Modell, « The First Conflict Resolution Movement, 1956-1971. An Attempt to Institutionnalize Applied Interdisciplinary Social Science », The Journal of Conflict Resolution, 35 (4), 1991, p. 720-758.
-
[25]
Lesquelles valorisent la coopération internationale, favorisée par des acteurs non étatiques ou la diffusion d’idées. Dario Battistella, Théories des relations internationales (2003), Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
-
[26]
D. N. Sharp rappelle l’égalitarisme vigoureux de J. Galtung, qui « reflète une aversion presque viscérale pour la domination, l’imposition et les "grands manitous", ainsi qu’un scepticisme général à l’égard de la structure, de la hiérarchie et de l’organisation en général ». D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 124.
-
[27]
Eilish Rooney, Fionnuala Ní Aoláin, « Transitional Justice from the Margins : Intersections of Identities, Power and Human Rights », International Journal of Transitional Justice, 12 (1), 2018, p. 1-8.
-
[28]
Frank Dukes, « Why Conflict Transformation Matters : Three Cases », Peace and Conflict Studies, 6 (1), 1999, p. 1-16.
-
[29]
I. William Zartman, « Conflict Management : The Long and the Short of It », SAIS Review, 20 (1), 2000, p. 227-229.
-
[30]
Selon M. Barnett, H. Kim, M. O’Donnell et L. Sitea (« Peacebuilding : What Is in a Name ? », art. cité), la plupart des grands acteurs internationaux revendiquent une action de peacebuilding.
-
[31]
Voir le classement sur https://www.economicsandpeace.org/reports/ (consulté le 1er mars 2021).
-
[32]
C. Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », cité. Le modèle est ici celui des théories constructivistes déjà évoquées. Voir également Judith Goldstein, Robert O. Keohane, « Ideas and Foreign Policy : An Analytical Framework », dans J. Goldstein, R. O. Keohane (eds), Ideas and Foreign Policy. Beliefs, Institutions, and Political Change, Ithaca, Cornell University Press, 1993.
-
[33]
Sur la centralité du champ académique des États-Unis, voir Y. Dezalay, B. G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », op. cit.
-
[34]
Pascal Dauvin, Johanna Siméant, Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
-
[35]
S. Lefranc, « Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas », art. cité.
- [36]
-
[37]
La consultation d’annuaires spécialisés et l’analyse de certains programmes d’activités des OI ont confirmé l’appartenance de ces organisations à une même arène.
-
[38]
Entretien avec Jim Tull, devenu salarié du Conflict Management Group/Mercy Corps (CMG/MC) après des études commerciales, Boston, 13 février 2007 ; entretien avec Marshall Wallace et Diana Chigas, employés de Collaborative for Development Action (CDA), formés l’un au marketing, l’autre à la littérature française et au droit de la famille, Cambridge, 14 février 2007.
-
[39]
Entretien avec Ruth Allen, salariée du CMG/MC, formée à la géologie, New York, 20 février 2007 ; entretien avec Seema Tikare, salariée du CMG/MC, formée à la politique industrielle, qui évoque en outre les réfugiés et la violence à l’encontre des femmes au Népal, Boston, 14 février 2007.
-
[40]
Entretien avec Grant Rissler, membre salarié du Mennonite Central Committee, juriste, Washington D.C., 2 mars 2007.
-
[41]
Entretien avec J. Tull, cité.
-
[42]
« I learned about Gandhi, I learned about Quakerism... » Entretien avec Mary B. Anderson, CDA, Boston, 19 février 2007. L’appartenance à la dénomination quaker est la clé de la constitution de CDA.
-
[43]
Roger Mac Ginty, International Peacebuilding and Local Resistance : Hybrid Forms of Peace, New York, Palgrave Macmillan, 2011 ; Gearoid Millar, An Ethnographic Approach to Peacebuilding. Understanding Local Experiences in Transitional States, Londres, Routledge, 2014.
-
[44]
Selon ses déclarations à la base de données GuideStar (https://www.guidestar.org/profile/52-1257425).
-
[45]
J. P. Lederach, The Moral Imagination : The Art and Soul of Building Peace, op. cit.
-
[46]
Y compris par l’ONU. Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Outils de l’État de droit pour les sociétés sortant d’un conflit : commissions vérité, New York, Nations unies, 2006.
-
[47]
S. Lefranc, « Pleurer ensemble restaure-t-il le lien social ? Les commissions de vérité, “tribunaux des larmes” de l’après-conflit », dans Raphaëlle Nollez-Goldbach, Julie Saada (dir.), La justice pénale face aux crimes de masse. Approches critiques, Paris, Éditions A. Pedone, 2014, p. 199-226.
-
[48]
Pierre Hazan, Juger la guerre, juger l’Histoire. Du bon usage des commissions Vérité et de la justice internationale, Paris, PUF, 2007, p. 31.
-
[49]
Yaacov Bar-Siman-Tov, Gemma H. Bennink, « The Nature of Reconciliation as an Outcome and as a Process », dans Y. Bar-Siman-Tov (ed.), From Conflict Resolution to Reconciliation, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 38.
-
[50]
Harald Welzer, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris, Gallimard, 2007.
-
[51]
On peut renvoyer, à ce sujet, à Erving Goffman, Les cadres de l’expérience (1974), Paris, Les Éditions de Minuit, 1991 ; Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin, 2001 ; Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997 ; Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Le Seuil, 1983 ; John M. Doris, Lack of Character : Personality and Moral Behavior, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
-
[52]
Sarah Gensburger, Sandrine Lefranc, À quoi servent les politiques de mémoire ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.
-
[53]
Nicolas Mariot, « “Je crois qu’ils ne me détestent pas”. Écrire l’inimitié dans les correspondances lettrées de la Grande Guerre », Genèses, 96 (3), 2014, p. 62-85.
-
[54]
Marielle Debos, Le métier des armes au Tchad : le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013 ; Roland Marchal, « Les frontières de la paix et de la guerre », Politix, 58 (2), 2002, p. 39-59.
-
[55]
Par exemple lors de la guerre de 1976-1992 au Mozambique décrite par Carolyn Nordstrom. Les violences y sont si systématiques qu’elles suppriment toute chance de vie ordinaire. Les gens parviennent toutefois à « recréer des mondes viables ». Carolyn Nordstrom, « Terror Warfare and the Medicine of Peace », Medical Anthropology Quarterly, 12 (1), 1998, p. 103-121, plus précisément p. 107-110.
-
[56]
C’est ce que vérifie Teresa Koloma Beck dans son ethnographie du conflit angolais. Teresa Koloma Beck, The Normality of Civil War, Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag, 2006.
-
[57]
M. Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, op. cit.
-
[58]
Juan Diego Prieto, « Together after War while the War Goes on : Victims, Ex-Combatants and Communities in Three Colombian Cities », International Journal of Transitional Justice, 6 (3), 2012, p. 525-546.
-
[59]
J. P. Lederach, Preparing for Peace : Conflict Transformation across Cultures, New York, Syracuse University Press, 1996.
-
[60]
Diana Francis décrit son expérience de formatrice dans People, Peace and Power : Conflict Transformation in Action, Londres, Pluto Press, 2002.
-
[61]
M. E. Keck, K. Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, op. cit.
-
[62]
S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[63]
Entretien par téléphone avec Bill Lowrey, World Vision, Washington D.C., 26 février 2007. Selon Mary B. Anderson et Lara Olson, de CDA, ces acteurs « hésitent à mettre l’accent sur l’efficacité ». Elles citent un participant : « Il n’est vraiment pas nécessaire d’évaluer les résultats. Nous sommes appelés à être loyaux, à faire le bien, sans tenir compte des résultats. Nous faisons ce que nous faisons parce que nous devons faire quelque chose. Ne rien faire serait pire ». Mary B. Anderson, Lara Olson, Confronting War. Critical Lessons for Practitioners, Cambridge, CDA, 2003, p. 8.
-
[64]
Entretiens en face à face puis par téléphone avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, Bruxelles, 23 février 2005, et Washington D.C., 4 juin 2006.
-
[65]
Le taux de reprise du conflit varierait de 35 % à 57 %. Voir Arnim Langer, Graham K. Brown, Hanne Albers, « Introduction », dans A. Langer, G. K. Brown, Building Sustainable Peace : Timing and Sequencing of Post-Conflict Reconstruction and Peacebuilding, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 3.
-
[66]
M. B. Anderson, Do No Harm : How Aid Can Support Peace-Or War, Boulder, Lynne Rienner, 1999 ; M. B. Anderson, L. Olson, Confronting War. Critical Lessons for Practitioners, op. cit.
-
[67]
Entretiens avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, cités.
-
[68]
Roland Marchal, Christine Messiant, « De l’avidité des rebelles. L’analyse économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique internationale, 16 (3), 2002, p. 58-69. Voir également, dans ce dossier, Sylvain Antichan, Cyril Magnon-pujo, « Les espaces sociaux du gouvernement international de la violence », Critique internationale, 92 (3), 2021, p. 9-22.
-
[69]
Susanna Campbell, David Chandler, Meera Sabaratnam, A Liberal Peace ? The Problems and Practices of Peacebuilding, Londres, Zed Books, 2011.
-
[70]
United States Department of State Transitional Justice Initiative, Transitional Justice Overview, 16 mai 2016 (https://2009-2017.state.gov/documents/organization/257771.pdf).
-
[71]
Loramy Gerstbauer, U.S. Foreign Policy and the Politics of Apology, New York, Routledge, 2017.
-
[72]
Zachary D. Kaufman, United States Law and Policy on Transitional Justice : Principles, Politics and Pragmatics, New York, Oxford University Press, 2016 ; Dyonisis Markakis, US Democracy Promotion in the Middle East : Pursuit of Hegemony, Londres, Routledge, 2015, p. 3. D. N. Sharp y voit un « cheval de Troie » d’acteurs de la consolidation de la paix accusés de néocolonialisme. D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 126.
-
[73]
Cynthia J. Chataway, « In Practice. Track II Diplomacy : From a Track I Perspective », Negotiation Journal, 14 (3), 1998, p. 269-287. Hormis une ouverture relative au cours des années 2000 qui ne nous semble pas généralisée et a été remise en cause par le durcissement des gouvernements Obama et Trump. C. Tenenbaum, « La médiation dans les relations internationales : évolutions et transformations depuis 1945 », cité.
-
[74]
Krishna Kumar, Promoting Social Reconciliation in Postconflict Societies. Selected Lessons from USAID’s Experience, USAID Program and Operations, Assessment Report no 24, janvier 1999.
-
[75]
USAID, Educative Learning Review Synthesis Report : USAID/CMM’s People-To-People Reconciliation Fund, Annual Program Statement, Washington, D.C., mars 2014, p. 316.
-
[76]
Rhoda Miller, Institutionalizing Peace. The Conception of the USIP and Its Role in American Political Thought, Jefferson, Londres, Mac Farland, 1994.
-
[77]
S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[78]
Entretiens avec A., ancien responsable de programme à Search for Common Ground, cités.
-
[79]
S. Lefranc, « Des pacificateurs inspirés. Notes sur des groupes anabaptistes et évangéliques américains », Terrain, 51, 2008, p. 42-49.
-
[80]
Philip Boobbyer, The Spiritual Vision of Frank Buchman, University Park, Pennsylvania State University Press, 2013.
-
[81]
I & C, Méthodologie de facilitation pour la paix et la bonne gouvernance, août 2013, p. 8. Dick Ruffin, vice-président de l’association, revendique le fait d’avoir vécu pareille transformation personnelle, coûteuse pour sa « vieille famille du Sud ». Entretien avec le couple Ruffin, Washington D.C., 27 février 2007.
-
[82]
Y. Dezalay, B. G. Garth (eds), Global Prescriptions. The Production, Exportation, and Importation of a New Legal Orthodoxy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2002, p. 307.
-
[83]
Séverine Autesserre, Peaceland : Conflict Resolution and the Everyday Politics of International Intervention, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
-
[84]
Anne Le Naëlou, « Parcours de jeunes diplômés dans le champ du développement : “miroirs” d’un secteur qui change », Sociologies pratiques, 27 (2), 2013, p. 44. L’analyse prosopographique des carrières le confirme. S. Lefranc, D. Griveaud, « La justice transitionnelle, un monde-carrefour. Contribution à une sociologie des professions internationales », art. cité.
-
[85]
Michael Newman, Transitional Justice. Contending with the Past, Cambridge, Polity Press, 2019, p. 135 et 150 ; Kevin P. Clements, « Peace Building and Conflict Transformation », Peace and Conflict Studies, 4, 1997, p. 1-14.
-
[86]
R. Paris, « Saving Liberal Peacebuilding », Review of International Studies, 30 (2), 2010, p. 337-365.
-
[87]
Voir par exemple https://www.land-links.org/wp-content/uploads/2017/05/USAID_Land_Tenure_LGSA_Inception_Plan.pdf (consulté le 1er mars 2021).
-
[88]
Pour USAID, voir https://data.usaid.gov et https://www.usaspending.gov/recipient. Pour le PNUD, https://www.undp.org/ et http://mptf.undp.org.
-
[89]
Dennis Dijkzeul, « The United Nations Development Programme : The Development of Peace ? », International Peacekeeping, 5 (4), 1998, p. 92-119.
-
[90]
M. Barnett, H. Kim, M. O’Donnell, L. Sitea, « Peacebuilding : What Is in a Name ? », art. cité, p. 53.
-
[91]
Entretien avec le couple Ruffin, cité ; entretien avec Matthias Stiefel, War-Torn Societies Program devenu Interpeace, Genève, 17 juin 2005.
-
[92]
ONG issue d’un programme de Harvard. Robert Ricigliano, « Networks of Effective Action : Implementing an Integrated Approach to Peacebuilding », Security Dialogue, 34 (4), 2003, p. 445-462.
-
[93]
P. Dauvin, J. Siméant, Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, op. cit.
-
[94]
Y. Dezalay, B. G. Garth, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », op. cit.
-
[95]
John Burton était un diplomate australien qui a été écarté après une accusation de communisme. Joseph V. Montville a fait une brève carrière dans la diplomatie des États-Unis qu’il a quittée pour se rapprocher d’I & C ; John W. McDonald, ancien directeur adjoint de l’Organisation internationale du travail, a été affecté à la formation des diplomates états-uniens, puis s’est rapproché de l’Université et a fondé en 1982 une ONG spécialisée.
-
[96]
John W. McDonald, « The Track Not Taken ? Personal Reflections on State Department Intransigence and Conflict Resolution », Harvard International Review, 22 (3), 2000, p. 68.
-
[97]
Elise Boulding, « Peace Research : Dialectics and Development », Journal of Conflict Resolution, 16 (4), 1972, p. 469.
-
[98]
Roger Fisher, William Ury, Getting to Yes. Negotiating Agreement without Giving in (1981), New York, Penguin Books, 2011.
-
[99]
Nicolas Guilhot, « Entre juridisme et constructivisme : les droits de l’homme dans la politique étrangère américaine », Critique internationale, 38 (1), 2008, p. 113-135.
-
[100]
Mentionnons par exemple l’éloignement d’une branche scandinave d’inspiration marxiste, à la fin des années 1960, ou le tournant gestionnaire de R. Fisher, juste évoqué. D. N. Sharp, « Positive Peace, Paradox, and Contested Liberalisms », art. cité, p. 128-131.