Couverture de CRII_092

Article de revue

Le droit des contrats contre la peine de mort : controverses contemporaines autour du commerce international des produits nécessaires aux injections létales aux États-Unis

Pages 49 à 69

Notes

  • [1]
    Austin Sarat, Jürgen Martschukat, Is the Death Penalty Dying ? European and American Perspectives, New York, Cambridge University Press, 2011 ; Adrien Donneaud, « Peine de mort et droits de l’homme entre enjeu géopolitique et impératif éthique », Études sur la mort, 141 (1), 2012, p. 9-24.
  • [2]
    Rappelons qu’aux États-Unis la police et la justice pénale relèvent de la compétence des États fédérés. Au début de l’année 2021, 23 d’entre eux avaient aboli définitivement la peine capitale ; 11 États « rétentionnistes » la conservaient, mais n’avaient procédé à aucune exécution ces dix dernières années. La peine capitale est également prévue par l’État fédéral pour les crimes qui relèvent de sa compétence, et a fait l’objet d’une spectaculaire réactivation par l’administration Trump, avec 13 exécutions en sept mois après dix-sept ans d’interruption.
  • [3]
    A. Sarat, Gruesome Spectacles : Botched Executions and America’s Death Penalty, Stanford, Stanford University Press, 2014.
  • [4]
    Deborah W. Denno, « The Lethal Injection Quandary : How Medicine Has Dismantled the Death Penalty », Fordham Law Review, 76 (1), 2007, p. 49-128.
  • [5]
    Nous renvoyons ici aux analyses classiques de Norbert Elias et de Michel Foucault dans le domaine pénal. Pour un résumé récent, voir David Garland, « The Problem of the Body in Modern State Punishment », Social Research, 78 (3), 2011, p. 767-798.
  • [6]
    Megan Denver, Joel Best, Kenneth C. Haas, « Methods of Execution as Institutional Fads », Punishment & Society, 10 (3), 2008, p. 227-252 ; J. Martschukat, « “No Improvement over Electrocution or Even a Bullet”. Lethal Injection and the Meaning of Speed and Reliability in the Modern Execution Process », dans Charles J. Ogletree Jr., Austin Sarat (eds), The Road to Abolition ? The Future of Capital Punishment in the United States, New York, New York University Press, 2009, p. 253-278.
  • [7]
    Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 36 (3), 1986, p. 169-208.
  • [8]
    A. Sarat, J. Martschukat, Is the Death Penalty Dying ? European and American Perspectives, op. cit.
  • [9]
    Cyril Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 25 (1), 2007, p. 191-212.
  • [10]
    Fondée en 1961, Amnesty International lutte au niveau mondial pour la libération des prisonniers politiques, mais l’abolition de la peine capitale est également au centre de son action depuis le début des années 1970. Créée en 1999, Reprieve est engagée dans la lutte contre les violations des droits humains à travers le monde, avec une insistance particulière sur le soutien aux condamnés à mort dans différentes zones du globe. Les deux organisations ont installé leurs directions respectives à Londres, mais possèdent des bureaux aux États-Unis.
  • [11]
    Daniel Cefaï, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, 75, 1996, p. 43-66 ; Nicolas Dodier, « Agir dans l’histoire. Réflexions issues d’une recherche sur le SIDA », dans Pascale Laborier, Danny Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 329-345.
  • [12]
    Sur ce point, Simon Grivet, « Tuer sans remords. Une histoire de la peine de mort en Californie de la fin du xixe siècle à nos jours », thèse de doctorat en histoire et civilisations, Paris, EHESS, 2011.
  • [13]
    Mark Essig, Edison and the Electric Chair : A Story of Light and Death, New York, Walker & Company, 2003.
  • [14]
    A. Sarat, Gruesome Spectacles : Botched Executions and America’s Death Penalty, op. cit. L’injection est utilisée par 30 États fédérés et par l’État fédéral, la fusillade, la chaise électrique ou la chambre à gaz restant en usage ailleurs (source : Death Penalty Information Center).
  • [15]
    Carol S. Steiker, Jordan M. Steiker, Courting Death : The Supreme Court and Capital Punishment, Cambridge, Harvard University Press, 2016.
  • [16]
    S. Grivet, « Suprêmes déconvenues. La Cour suprême de Californie et la peine de mort, de la fin du xixe siècle à nos jours », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 63 (1), 2016, p. 148-170.
  • [17]
    Jeffrey L. Kirchmeier, « Another Place Beyond Here. The Death Penalty Moratorium Movement in the United States », University of Colorado Law Review, 73 (1), 2002, p. 1-116.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Sur ce point, voir, entre autres, A. Sarat, « Between (the Presence of) Violence and (the Possibility of) Justice : Lawyering against Capital Punishment », dans Austin Sarat, Stuart Scheingold (eds), Cause Lawyering : Political Commitments and Professional Responsibilities, New York, Oxford University Press, 1998, p. 317-346 ; Herbert H. Haines, Against Capital Punishment : The Anti-death Penalty Movement in America, 1972-1994, New York, Oxford University Press, 1996.
  • [20]
    Renommés par la suite Post Conviction Defender Organizations, ces centres doivent permettre d’améliorer la défense des accusés dans les dossiers « capitaux », défense dont la piètre qualité cause une multiplication des recours et de fréquentes annulations des condamnations en appel. Seule une minorité d’entre eux sont encore en activité, les subventions publiques dont ils bénéficiaient ayant été supprimées en 1996. Kathryn Sabbeth, « Capital Defenders as Outsider Lawyers », Chicago-Kent Law Review, 89 (2), 2014, p. 569-596.
  • [21]
    Ce mouvement culmine en 2005 avec la publication dans la revue The Lancet d’une analyse de prélèvements sanguins réalisés sur des condamnés exécutés, qui révèle que ces derniers sont restés conscients jusqu’à la fin de l’exécution. Leonidas Koniaris, Teresa A. Zimmers, David A. Lubarsky, et al., « Inadequate Anaesthesia in Lethal Injection for Execution », The Lancet, 365, 2005, p. 1412-1414.
  • [22]
    « A New Test for Evaluating Eighth Amendment Challenges to Lethal Injections », Harvard Law Review, 120 (5), 2007, p. 1301-1322.
  • [23]
    Voir par exemple « How Much Sodium Thiopental Does Texas Have ? », communiqué de l’American Civil Liberties Union, 27 octobre 2010.
  • [24]
    Entretien téléphonique avec un avocat spécialisé, 20 février 2020. Le fondateur de Reprieve, Clive Stafford Smith, est lui-même un capital defender et cofondateur dès 1993 du Louisiana Capital Assistance Center de la Nouvelle-Orléans.
  • [25]
    Lettre du ministre britannique des Entreprises, de l’innovation et des compétences au cabinet d’avocats représentant Reprieve, 1er novembre 2010 (https://reprieve.org.uk/press/2010_11_22_high_court_hearing/).
  • [26]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, Londres, 14 mai 2018 ; voir également Witness Statement in the High Court of Justice, Queen’s Bench, Administrative Division, 18 novembre 2010.
  • [27]
    « Statement from Hospira Regarding Its Halt of Production of Pentothal (Sodium Thiopental) », 21 janvier 2011 (files.deathpenaltyinfo.org/legacy/documents/HospiraJan2011.pdf).
  • [28]
    Règlement CE du 27 juin 2005 « Concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », Journal officiel de l’Union européenne, 30 juillet 2005, p. L200/1-L200/17.
  • [29]
    Entretien avec une responsable du Secrétariat international d’Amnesty, Londres, 10 mai 2018. Le bureau permanent d’Amnesty à Bruxelles joue un rôle central dans l’adoption d’une politique européenne en matière de torture dans les années 2000, et dans l’adoption du règlement de 2005 qui en découle. Éric Poinsot, « L’engagement communautaire d’Amnesty International », dans Hélène Michel (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, p. 197-223. Voir également Amnesty International et Omega Research Foundation, « Europe : From Words to Deeds : Making the EU Ban on the Trade in “Tools of Torture” a Reality », Londres, AI/Omega, mars 2010.
  • [30]
    Règlement d’exécution du 20 décembre 2011.
  • [31]
    Entretien en visioconférence avec un membre du Danish Medical Group against the Death Penalty (DMGDP – Amnesty International), 19 juillet 2018.
  • [32]
    En juin 2011, 24 praticiens menacent notamment de cesser toute prescription des produits Lundbeck si l’entreprise n’engage aucune action concrète contre leur utilisation dans des exécutions. David Nicholl, et al., « Open Letter to Ulf Wiinberg, Chief Executive of Lundbeck Pharmaceuticals », The Lancet, 377, 2011, p. 2079.
  • [33]
    Adriana Petryna, Andrew Lakoff, Arthur Kleinman, Global Pharmaceuticals : Ethics, Markets, Practices, Durham, Duke University Press, 2006 ; Boris Hauray, « Une médecine détournée ? Influences industrielles et crise de confiance dans le domaine du médicament », Mouvements, 98 (2), 2019, p. 53-66.
  • [34]
    Entretien avec un membre du Danish Medical Group against the Death Penalty, cité.
  • [35]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité.
  • [36]
    « Lundbeck Overhauls Pentobarbital Distribution Program to Restrict Misuse », communiqué de l’entreprise, 1er juillet 2011. La très rapide mise en place d’un tel système de contrôle tient notamment à la préexistence d’instruments similaires pour d’autres substances fabriquées par Lundbeck, notamment les produits traitant l’épilepsie.
  • [37]
    Ces nouveaux textes instaurent une autorisation d’exportation de principe pour tous les laboratoires ayant eux-mêmes mis en place des contrôles, et permettent d’ajouter à tout moment de nouveaux produits à la liste des substances contrôlées.
  • [38]
    Le Lethal Injection Information Center (initié par Reprieve) répertorie aujourd’hui 18 produits visés par des contrôles contractuels, une cinquantaine de compagnies ayant pris position contre l’usage de leurs médicaments (https://lethalinjectioninfo.org).
  • [39]
    Voir par exemple les communiqués des laboratoires Fresenius Kabi (28 août 2012, Propofol), Hikma (15 mai 2013, Phénobarbital), Roche (16 janvier 2015, Midazolam), ou Akorn (4 mars 2015, Midazolam et Hydromorphone) (tous en ligne sur https://deathpenaltyinfo.org/executions/lethal-injection/statements-from-drug-manufacturers-and-medical-professionals).
  • [40]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité. Voir également le communiqué public de Pfizer (Propofol, Bromure de pancuronium, Midazolam, Hydromorphone, Bromure de rocuronium, Bromure de vecuronium, Chlorure de potassium), 28 mars 2016 (https://deathpenaltyinfo.org/executions/lethal-injection/statements-from-drug-manufacturers-and-medical-professionals).
  • [41]
    « Federal Authorities Seize Execution Drugs Imported for Arizona and Texas », CBS News, 23 octobre 2015.
  • [42]
    Entretien téléphonique avec un avocat spécialisé, cité.
  • [43]
    « Federal Authorities Seize Execution Drugs Imported for Arizona and Texas », art. cité ; « $25 000 Shipment of Illegal Execution Drugs to Nebraska Gets Held Back In India », Buzzfeed, 17 septembre 2015.
  • [44]
    En 2012, dans le Dakota du Sud, une exécution par injection d’une dose de pentobarbital potentiellement souillée dure 20 minutes ; deux ans plus tard, un condamné exécuté dans l’Oklahoma par une dose du même produit se plaint de brûlures dans tout le corps avant de mourir. Nathaniel A. W. Crider, « What You Don’t Know Will Kill You : A First Amendment Challenge to Lethal Injection Secrecy », Columbia Journal of Law & Social Problems, 48 (1), 2014, p. 1-55.
  • [45]
    « State Has Explored Illegally Obtaining Drug for Upcoming Execution », The Lens, 25 janvier 2014 ; « Louisiana Tricked a Local Hospital into Supplying Execution Drugs », Reason, 10 août 2014.
  • [46]
    Alvogen Inc vs. State of Nevada, District Court of Clark County, Nevada, 7 octobre 2018.
  • [47]
    Dans leur plainte, les responsables d’Alvogen refusent d’ailleurs explicitement de prendre position sur la peine de mort, tout en insistant sur leur refus de voir leur compagnie publiquement associée à l’injection létale.
  • [48]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité.
  • [49]
    N. A. W. Crider, « What You Don’t Know Will Kill You : A First Amendment Challenge to Lethal Injection Secrecy », art. cité. Sur les 17 États qui exécutent des condamnés par injection entre 2011 et 2018, 16 interdisent la divulgation de leur source d’approvisionnement en produits. Death Penalty Information Center, Behind the Curtain : Secrecy and the Death Penalty in the United States, Washington, DPIC, 2019.
  • [50]
    Un laboratoire européen demande par exemple à la Cour suprême de l’Ohio d’enjoindre le Departments of Correction du même État de dévoiler l’origine de ses produits, considérant que le secret met en péril l’intégrité des contrats conclus entre producteurs et distributeurs pharmaceutiques. Voir Amici Curiae Brief in Support of Relator, on Behalf of Fresenius Kabi USA, LLC and Sandoz, Inc., 10 juillet 2017 (https://lethalinjectioninfo.org/wp-content/uploads/2018/02/2017_07_10_PRIV-Amicus-Curiae-Brief-in-Ohio-Sandoz-and-Fresenius-Kabi.pdf).
  • [51]
    « Whether the Food and Drug Administration Has Jurisdiction over Articles Intended for Use in Lawful Executions », Opinions of the Office of Legal Counsel, 43, 2019 (https://www.justice.gov/olc/opinion/file/1162686/download). Dépourvues d’effet contraignant, ces opinions sont destinées à faciliter l’issue d’un conflit opposant plusieurs institutions dépendant de l’exécutif, habituellement en dehors de tout litige judiciaire.
  • [52]
    Si elle n’a pas abouti, cette tentative de « pénalisation » de substances pharmaceutiques rappelle qu’aux États-Unis la peine capitale continue de dépendre des décisions et des alternances politiques. Sur ce plan, l’installation de la nouvelle administration Biden pourrait marquer une rupture, en imposant, entre autres, un changement dans la position du Département de la Justice sur les importations de produits. Opposant déclaré à la peine capitale, Joe Biden est également attendu sur l’imposition d’un moratoire, voire sur l’abolition de la peine de mort au niveau fédéral.
  • [53]
    Paul Rocher, Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, Paris, La Fabrique, 2020 ; Anna Feigenbaum, Petite Histoire du gaz lacrymogène. Des tranchées de 1914 aux gilets jaunes, Montreuil, Libertalia, 2019 ; Juliette Volcler, Le son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011.
  • [54]
    Grégoire Chamayou, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013.

1La peine de mort est l’une des manifestations les plus évidentes du monopole historique des États souverains sur la violence légitime, bien que son utilisation soit depuis au moins deux siècles l’objet de multiples débats à l’échelle nationale comme internationale [1]. Elle constitue un enjeu particulièrement sensible aux États-Unis, où elle est encore pratiquée dans 15 États, tout en faisant l’objet de multiples critiques de principe [2]. Depuis une dizaine d’années, c’est toutefois une méthode d’exécution spécifique qui fait l’objet dans ce pays d’une controverse d’ampleur transnationale : l’injection létale, procédure de mise à mort qui utilise des produits et des dispositifs empruntés au monde médical – une perfusion intraveineuse et des produits anesthésiants notamment – pour tuer les condamnés avec « humanité », c’est-à-dire sans violence apparente [3].

2Si cette logique est régulièrement ébranlée par les souffrances constatées chez les condamnés au cours d’exécutions problématiques, la dimension médicalisée de la mise à mort suscite également l’opposition d’acteurs a priori étrangers aux questions pénales. L’injection létale n’est en effet plus seulement combattue par des militants abolitionnistes, mais aussi par des représentants des professions médicales et, depuis les années 2010, par les responsables des grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux [4]. Qu’ils soient producteurs ou distributeurs des substances utilisées pour les exécutions par injection, ces industriels s’opposent aujourd’hui publiquement à un tel usage. Leurs interventions s’effectuent par ailleurs en lien avec des acteurs militants qui entretiennent leur vigilance sur le sujet, mais qui les conseillent également sur les ressources juridiques et commerciales à mettre en œuvre pour éviter toute contribution de leurs produits à la mise en œuvre de la peine de mort. Cette mobilisation est d’autant plus forte que le problème possède une dimension éthique – il concerne le détournement pénal de technologies conçues pour soigner – mais qu’il est aussi, et surtout, commercial : le lien entre la peine capitale et les grands laboratoires pharmaceutiques constitue pour ces derniers une « publicité négative » pouvant affecter leur image publique et in fine leurs ventes. Pour prévenir ce risque, les responsables des principaux laboratoires mobilisent depuis dix ans les instruments propres à leur sphère d’activité, en instituant notamment une série de contrôles contractuels qui réservent leurs substances aux seules institutions et usages médicaux, et ont pour effet d’enrayer l’organisation des exécutions dans plusieurs États.

3C’est sur cette controverse transnationale que nous reviendrons, en interrogeant ses conséquences sur la prétention étatique à monopoliser la violence physique légitime et les instruments qui permettent de l’exercer. Les disputes centrées sur l’injection létale et sa dimension « médicalisée » affectent ce monopole à deux titres. Elles mettent tout d’abord en évidence les limites contemporaines de l’exercice de la violence pénale par un État démocratique, pour lequel la préservation de l’intégrité physique des personnes demeure un principe cardinal : l’imposition délibérée de la souffrance y est proscrite, y compris à l’encontre des populations pénales ou marginalisées [5]. S’il n’a pas empêché nombre d’États fédérés de conserver la peine capitale, cet impératif humanitaire a en revanche motivé leur adoption au cours du xxe siècle de diverses méthodes d’exécution – de la pendaison à la chaise électrique ou la chambre à gaz – chaque fois présentées comme le moyen ultime de tuer sans (presque) faire violence. Leur point commun est de délaisser l’arsenal classique de la puissance publique, soit les armes blanches ou à feu destinées à blesser, et de le remplacer par des dispositifs conçus spécialement pour agir avec précision sur le corps des condamnés, afin de leur assurer une mort instantanée et dépourvue des signes extérieurs de la souffrance – sang, cris ou convulsions [6]. L’injection létale accentue cette logique en utilisant directement pour tuer des technologies et surtout des produits propres à la pratique médicale (lignes intraveineuses et anesthésiants), censés apparenter la mise à mort à un coma profond, suivi d’un arrêt cardiaque à peine perceptible par les spectateurs.

4Les responsables des administrations pénales font donc face à un premier impératif, celui d’euphémiser la violence des exécutions en « empruntant » les moyens de la médecine. Or, en les plaçant sous la dépendance directe des acteurs du marché des biens pharmaceutiques, cet emprunt débouche sur une remise en cause plus frontale de leur monopole sur les instruments mêmes de la violence. S’ils sont ici constitués en armes pour tuer, les produits injectés restent de fait des médicaments, relais des soins dispensés aux malades, et des biens commerciaux, produits et échangés comme tels à l’échelle mondiale : autant de qualifications ou d’usages concurrents pour une même technologie, qui constituent dès lors autour d’elle un « acteur-réseau » à la fois global et hétérogène [7].

5C’est dans cette configuration inédite que les acteurs de l’industrie pharmaceutique font valoir avec succès leur droit à limiter la circulation et l’usage des substances qu’ils fabriquent. Face à eux, les fonctionnaires pénitentiaires des États fédérés font alors l’expérience d’une double dépossession : en perdant pour partie le contrôle des importations d’anesthésiants injectés aux condamnés, ils abandonnent de facto le monopole de la détention et de l’usage de produits qui constituent pourtant, dans leur perspective, des outils d’exercice de la force publique, mais ils perdent aussi la maîtrise des termes dans lesquels est formulé le débat relatif à cet usage, et des arènes dans lesquelles il se déploie. En effet, les débats sur l’abolition ou le maintien de la peine capitale se situent habituellement sur le terrain des politiques pénales, que les militants abolitionnistes cherchent à influencer directement là où elles sont énoncées ou mises en œuvre, qu’il s’agisse de l’espace parlementaire, des arènes gouvernementales ou des tribunaux [8]. En revanche, la question de l’usage des produits injectables et de leur libre circulation s’énonce avant tout en termes économiques et commerciaux. Elle se déploie dans le cadre juridique correspondant, celui du droit international qui régit les contrats de distribution de biens pharmaceutiques, et devant des institutions elles aussi spécialisées : les autorités de régulation sanitaires ou les tribunaux de commerce. Une telle configuration accorde une place plus limitée aux acteurs étatiques, qui peinent à y imposer leurs intérêts politiques, tandis que les acteurs privés du marché du médicament, eux, peuvent y évoquer directement le préjudice économique occasionné par l’usage pénal de leurs produits.

6Le monopole de l’État sur la violence et ses moyens n’est donc pas seulement remis en cause par l’intervention de représentants de compagnies privées : les termes mêmes du débat, et les arènes spécifiques au sein desquelles ce débat est tranché, limitent d’emblée sa capacité à s’imposer. C’est en cela que l’analyse proposée ici s’inscrit dans la perspective d’une sociologie des controverses, dans le sens que les recherches pragmatistes ont donné à ce terme [9]. Il s’agit, dans cette perspective, de saisir les disputes publiques non comme les révélateurs d’une configuration sociale préexistante, mais comme les moments mêmes où cette configuration se construit et devient observable : un enjeu est progressivement défini, et sa problématisation évolue à mesure que la controverse prend de l’ampleur, gagne de nouveaux espaces sociaux, et implique de nouveaux protagonistes. Dans le cas de l’injection létale, ce travail de problématisation s’étale sur plusieurs décennies au cours desquelles le problème change d’échelle : initié aux États-Unis à la fin des années 2000, par des militants locaux et des avocats pénalistes qui s’opposent aux administrations pénitentiaires des États fédérés (Departments of Correction, ou DOC), le débat est ensuite relayé au niveau transnational par les responsables d’organisations militantes, notamment Amnesty International et Reprieve, toutes deux basées en Europe mais dont les stratégies globales leur permettent d’agir en relation avec les autorités régionales susceptibles d’appuyer leur action, notamment la Commission européenne [10].

7C’est ce réseau d’acteurs dont nous suivrons ici la construction progressive, en combinant des entretiens et l’analyse de documents d’origine étatique et associative (encadré 1). Chaque phase de la controverse autour des produits injectables sera l’occasion d’identifier les acteurs en présence, mais aussi de décrire l’enrôlement de nouveaux protagonistes et le travail de traduction nécessaire à leur entrée en scène, notamment lorsque la question pénale des exécutions par injection létale se trouve redéfinie en enjeu commercial. Toutefois, il s’agira également d’analyser comment ces phases successives sont ponctuées par des séquences d’« innovation sociale » à l’occasion desquelles le débat trouve une solution provisoire ou est réorienté par la mise en place d’un nouvel instrument : la création de contrôles contractuels, l’intervention régulatrice de l’Union européenne ou de la Food and Drug Administration états-unienne, ou encore une décision de justice [11].

8Nous reviendrons donc tout d’abord sur l’émergence de ce débat dans le contexte des États-Unis des années 2000. Nous analyserons ensuite la séquence particulière des années 2010-2011, qui voit cette question prendre une dimension transnationale et se termine par la mise en place des premières limites juridiques au libre-échange des produits controversés. Enfin, nous présenterons les stratégies élaborées en réponse à ces mesures par les acteurs des États fédérés.

9

1. L’enquête
Cette étude s’appuie sur les premiers résultats d’une enquête multi-située consacrée aux enjeux contemporains de l’administration de la peine capitale aux États-Unis. Elle combine l’analyse de documents et la réalisation d’entretiens auprès de trois ensembles de sources. Nous avons tout d’abord retracé l’émergence progressive de l’injection létale comme enjeu public aux États-Unis puis à l’échelle transnationale à partir non seulement de documents de presse, mais aussi de communiqués publics de groupes pharmaceutiques impliqués ou d’organisations professionnelles médicales, et de décisions de justice. Le deuxième ensemble de sources se concentre également sur le contexte états-unien : il consiste en sept entretiens que nous avons conduits auprès d’avocats et de professionnels de la médecine (praticiens ou chercheurs) dont l’expertise a contribué à jeter le doute sur la prétendue « humanité » des injections létales au milieu des années 2000. Enfin, nous avons mobilisé des sources associatives, qui ont fourni des éléments sur la dimension internationale du débat. Plusieurs séjours à Londres en 2018 nous ont permis d’analyser des documents émanant d’Amnesty International, et de réaliser des entretiens avec deux cadres (deux femmes) du Secrétariat international de l’association impliquées dans la négociation des contrôles mis en place par l’Union européenne sur l’exportation des produits pharmaceutiques entre 2005 et 2016. Nous avons par ailleurs consulté des communiqués et des lettres rendus publics par l’organisation Reprieve, dont le rôle d’intermédiaire auprès des représentants de l’industrie pharmaceutique a été important dans les années 2010, réalisé un entretien et eu des échanges informels avec les responsables de l’association. Deux échanges complémentaires ont été menés avec des acteurs associatifs directement impliqués dans la dynamique transnationale de la controverse (entretien avec un membre d’Amnesty Danemark, échange informel avec un autre membre de la même organisation).

Des exécutions sans douleur ? La problématisation de l’injection létale

10Le but des différentes méthodes d’exécution pratiquées aux États-Unis au cours du xxe siècle est de « civiliser » la pratique de la peine capitale. Il ne s’agit pas d’abolir la violence qui lui est inhérente, mais d’en occulter les signes immédiatement décelables par le public. Pour cela, il faut tout d’abord discipliner le dispositif même de l’acte. On est ainsi passé des échafauds publics du xixe siècle, qui mettaient en scène le châtiment du condamné devant le plus grand nombre, aux chambres d’exécution contemporaines, où quelques personnes sélectionnées et maintenues à distance assistent à une intervention censée se dérouler sans cris ni gestes brusques [12].

Médicaliser la mise à mort pour tuer avec « humanité »

11Il faut ensuite affiner l’opération réalisée sur le corps du condamné pour le tuer. Les réformateurs de la fin du xixe siècle ont cherché à accélérer la mort par pendaison, tandis qu’à l’aube du xxe siècle la chaise électrique faisait naître l’espoir d’une exécution instantanée par simple pression sur un interrupteur [13]. Quant aux méthodes proposées par la suite, elles n’ont eu de cesse de dissimuler le processus de la mort au cœur même des tissus corporels du condamné : c’est le cas pour l’exécution par inhalation de gaz, pratiquée dans plusieurs États à partir des années 1920, et surtout pour l’injection létale. Définis dans l’Oklahoma en 1977, les premiers protocoles prévoient l’injection successive de trois produits : un anesthésiant (dans les premiers protocoles, un barbiturique, le thiopental sodique) destiné à plonger le condamné dans un coma artificiel garantissant qu’il ne ressentira pas l’effet des injections suivantes ; un paralysant musculaire (le bromure de pancuronium) dont la seule fonction, « cosmétique », est de neutraliser a priori tout spasme corporel involontaire susceptible de choquer les spectateurs ; et enfin la substance (originellement du chlorure de potassium) qui, à elle seule, réalise la mise à mort en provoquant un arrêt cardiaque. L’aménagement même du dispositif s’inspire de la pratique médicale : le condamné est attaché sur un lit d’examen et les produits sont injectés par des perfusions intraveineuses généralement placées dans son bras. L’exécution doit ainsi s’apparenter à une opération chirurgicale, effectuée dans une ambiance feutrée et selon une procédure nettement définie.

12Comme les pratiques précédentes, cette mise à mort médicalisée répond à la contrainte que représente le regard porté sur l’exécution, notamment via sa description dans la presse. Durant les années 1980-1990, les comptes rendus des exécutions accroissent l’euphémisation publique de leur violence en insistant sur la perfection technique des dispositifs d’injection [14]. Dès lors, l’adoption de cette méthode par un nombre croissant d’États s’effectue dans une certaine indifférence, et les quelques actions en justice engagées au cours de ces deux décennies contre l’injection létale échouent pour la plupart en première instance. Il faut attendre les années 2000 pour que le mouvement de judiciarisation qui touche la peine de mort aux États-Unis depuis le début des années 1960 se saisisse de la question (encadré 2) [15].

13

2. L’encadrement juridictionnel de la peine capitale depuis les années 1960
C’est à la Cour suprême (elle-même saisie par les avocats des organisations militantes abolitionnistes) qu’il revient, à partir du début des années 1960, d’engager un travail d’examen critique de la constitutionnalité de la peine capitale, notamment au regard du VIIIe amendement de la Constitution des États-Unis qui interdit les châtiments « cruels et inhabituels » (cruel and inusual). Cette décennie de mobilisations mène tout d’abord à l’adoption d’un moratoire national sur les exécutions dès 1967, et débouche finalement sur la suspension de la peine capitale par la Cour en 1972 (décision Furman). Cette mesure est toutefois de courte durée : la Cour suprême rétablit la peine capitale en 1976 (décision Gregg), au prix cependant d’une accentuation du contrôle juridictionnel pesant sur son prononcé. La peine de mort fait alors son retour dans de nombreux États, mais la relative discrétion dont bénéficiaient jusque-là les juges et les jurés locaux dans le prononcé des condamnations à mort est désormais limitée par l’intervention croissante de la justice, notamment fédérale [16].
C’est toutefois la phase judiciaire des condamnations qui est alors saisie par le droit. En 2008, la Cour examine la requête présentée par un condamné du Kentucky, qui affirme que le protocole d’injection de l’État implique un risque élevé de souffrance (décision Baze). Les juges confirment la constitutionnalité du protocole, mais uniquement dans la mesure où il ne comporte aucun « risque substantiel de blessure sérieuse », ni de « risque objectivement intolérable de douleur sévère ». Cette condition imposée à l’injection létale entraîne une multiplication des contentieux dans différents États au cours des années qui suivent. Une autre décision (Glossip, 2016) limite toutefois les possibilités d’action en justice, en exigeant notamment qu’un condamné attaquant un protocole d’injection propose également dans sa requête une méthode alternative pour réaliser malgré tout son exécution.

Les années 2000 : l’injection létale devant les tribunaux et sur la place publique

14Au cours de la décennie 2000, les conditions sont donc réunies pour que l’injection létale émerge comme enjeu judiciaire et comme problème public à part entière. La seconde moitié des années 1990 replace tout d’abord la peine capitale sur l’agenda médiatique, moyennant toutefois un recadrage de la question. L’enjeu est ici moins son abolition pure et simple, pour des raisons morales ou politiques, que l’adoption par les États de moratoires sur les exécutions sur la base d’arguments pratiques, centrés sur l’inefficacité de la peine et les injustices qu’elle produit. C’est sur cette base pragmatique que plusieurs États votent effectivement la suspension des exécutions, tandis que le soutien de l’opinion pour la peine capitale tend à s’éroder [17].

15Cette logique donne d’autant plus de poids à l’intervention des professionnels du droit, témoins directs des multiples dysfonctionnements de la peine capitale dans le pays : au milieu des années 1990, une série de magistrats locaux ou fédéraux se prononcent en faveur d’un moratoire [18]. Du coté des avocats, la période est marquée non seulement par une plus forte visibilité professionnelle des capital cases – l’American Bar Association appuie à son tour l’adoption d’un moratoire national en 1997 – mais aussi et surtout par le réinvestissement de la lutte judiciaire contre la peine de mort par de nouvelles générations de cause lawyers fortement sensibilisés à la question [19]. Ces derniers bénéficient notamment à partir de 1988 de la création sur fonds publics d’une vingtaine de Death Penalty Resource Centers, qui fonctionnent comme des « cliniques du droit » et comme des lieux de formation juridique et de socialisation militante [20].

16C’est dans ce contexte qu’une série d’avancées judiciaires favorise l’essor d’un contentieux spécifiquement centré sur l’injection létale au début des années 2000. Le secret qui caractérisait jusque-là l’organisation des exécutions est tout d’abord remis en cause par les tribunaux, qui imposent dans plusieurs États la révélation par les administrations pénitentiaires de leurs protocoles d’injection. Les avocats disposent dès lors de documents à soumettre à l’examen des tribunaux, mais aussi à celui d’experts qualifiés. Tout au long de la décennie, ils convoquent notamment des médecins spécialistes en anesthésiologie pour contester la compétence médicale du personnel pénitentiaire, et confirmer le caractère hautement douloureux des exécutions [21]. Les conditions sont alors réunies pour permettre aux avocats de mobiliser une ressource procédurale encore peu utilisée à propos de la peine capitale : alors que toutes les voies de recours au pénal sont épuisées, ils réussissent à investir les tribunaux civils pour attaquer non pas la condamnation à mort de leur client, mais la constitutionnalité des modalités de son exécution [22]. Les contentieux visant l’injection létale se multiplient : en Géorgie en 2002, puis en Californie en 2004 et 2006 devant des juridictions fédérales. Ils débouchent finalement en 2008 sur la première décision consacrée par la Cour suprême fédérale à une méthode d’exécution (décision Baze, encadré 2), qui relance elle-même l’activité contentieuse dans les années qui suivent.

17La décennie 2000 place donc l’injection létale au cœur du débat judiciaire mais aussi de l’agenda médiatique, la presse relayant largement les décisions de justice et les prises de position publiques des professionnels de la médecine. Au cours de la décennie suivante, cette situation nationale favorise l’extension du débat à un enjeu transnational, celui du commerce mondial des produits nécessaires aux injections.

Des prisons d’Arizona au commerce mondial des produits pharmaceutiques : l’émergence d’une controverse

18À partir de 2010, l’activité judiciaire et militante déjà développée autour de l’injection létale favorise l’émergence d’un débat national sur les stocks de produits injectables détenus par les administrations pénitentiaires. Durant les années qui suivent, la controverse se développe moyennant une double transformation. Elle s’étend tout d’abord à l’échelle transnationale, et à des acteurs agissant à ce niveau : les responsables d’États étrangers ou d’organisations régionales, mais aussi ceux d’organisations militantes transnationales ou de multinationales pharmaceutiques. La problématique se déplace ensuite en conséquence, la circulation des produits étant tour à tour thématisée comme un enjeu de respect des droits humains, ou comme un enjeu commercial.

Garantir le respect les droits humains : les États européens et le commerce du thiopental sodique

19C’est en l’occurrence une modification fortuite de la production états-unienne de thiopental sodique, utilisé pour plonger les condamnés dans le coma au début de leur exécution, qui est à l’origine de cette évolution : le laboratoire Hospira, principal fabriquant national, rencontre en effet un problème sanitaire dans ses usines de Caroline du Nord dont il doit, de ce fait, interrompre l’activité. Face à la pénurie qui en résulte, plusieurs avocats et militants associatifs posent publiquement la question de l’origine des stocks que les États prétendent avoir conservés, et exigent en justice que leur provenance soit dévoilée et leur qualité attestée [23]. Les réseaux d’avocats déjà constitués autour de la peine capitale favorisent alors l’internationalisation de la question : parce qu’ils soupçonnent plusieurs États de s’approvisionner à l’étranger, trois défenseurs – dont celui qui avait obtenu la décision Baze – contactent à l’automne 2010 les membres de l’organisation Reprieve, association abolitionniste européenne mais fondée par un de leurs confères anglo-états-uniens [24].

20À ce stade, la controverse ne concerne donc qu’un seul produit et vise avant tout à enrôler dans le débat des acteurs étatiques, ce qui suppose de présenter les produits injectables comme des biens « sensibles », dont les administrations doivent imposer la régulation. Elle est originellement justifiée par des raisons médicales : le premier objectif des avocats et militants mobilisés est d’identifier le fabricant étranger, et de vérifier qu’il dispose de l’agrément de la Food and Drug Administration pour acheminer le thiopental vers les États-Unis. Lorsqu’il s’avère qu’il s’agit d’une petite entreprise pharmaceutique de la banlieue londonienne, la mobilisation vise ensuite à obtenir de l’État britannique un embargo sur l’exportation du produit, en le requalifiant cette fois en technologie violente : deux législations de 2002 et 2008 autorisent en effet le ministre britannique des Entreprises, de l’innovation et des compétences (Business, Innovation and Skills) à contrôler notamment le commerce des produits pouvant contribuer à une atteinte aux droits humains. Un tel contrôle est finalement créé sur les exportations de thiopental depuis le Royaume-Uni fin novembre 2010, à l’issue d’un débat sur le statut et les usages du produit : alors que les services du ministère commencent par écarter toute idée de contrôle pour ne pas entraver l’accès aux soins des patients en milieu hospitalier [25], les militants de Reprieve parviennent à prouver la rareté des usages médicaux du thiopental [26]. Son commerce finit donc par quitter le registre du soin, pour entrer dans celui des instruments de répression et de leur contrôle international. Quelques mois plus tard, cette requalification a finalement raison de la production mondiale de thiopental : après avoir tenté en vain de transférer leur production vers une usine du nord de l’Italie, les responsables d’Hospira annoncent cesser toute fabrication du produit pour éviter les sanctions [27].

21Loin d’éteindre la controverse, cet abandon du produit contribue à l’amplifier : la requalification des médicaments injectés aux condamnés, considérés ici comme des instruments de mise à mort, permet de les insérer dans un nouveau cadre institutionnel, au niveau de l’Union européenne cette fois. Depuis 2005, la Commission européenne dispose d’un règlement interdisant l’exportation depuis l’Union des biens utilisés, entre autres, pour infliger la peine capitale ou la torture [28]. La version d’origine de ce texte encadre déjà l’exportation des « systèmes d’injection automatique » utilisés pour les injections létales sans toutefois évoquer les produits eux-mêmes, mais son règlement d’application est précisément en cours de discussion lorsqu’éclate la dispute sur le commerce et les usages du thiopental.

22Dans ce contexte, l’instauration d’un contrôle sur les produits injectables est d’autant plus aisément ajouté aux débats qu’un groupe de militants et d’experts indépendants y participe de longue date. Ce groupe inclut notamment les représentants du Secrétariat d’Amnesty International et de l’organisation Omega avec lesquels ils collaborent, mais aussi des membres de Reprieve, tous impliqués depuis 2010 au moins dans une action commune de lobbying visant justement à étendre la liste des biens soumis au contrôle [29]. Le 20 décembre 2011, le règlement d’application finalement publié impose une autorisation à l’exportation pour un ensemble de sept « agents anesthésiants barbituriques à action rapide et intermédiaire », dont le thiopental sodique [30].

23L’agenda européen de l’année 2011 est toutefois plus directement influencé par la montée en puissance d’une seconde arène de discussion, qui réunit cette fois des acteurs militants et les principaux représentants de l’industrie du médicament. L’usage létal des produits y subit un nouveau recadrage : il concerne désormais moins le respect des droits humains, que celui des intérêts commerciaux des entreprises pharmaceutiques.

L’enjeu commercial : les premiers contrôles contractuels de l’industrie pharmaceutique

24Parallèlement aux initiatives européennes, les controverses sur le commerce des produits pharmaceutiques injectables sont en effet relancées dès la fin de l’année 2010, lorsque la presse états-unienne révèle l’utilisation pour des exécutions d’un autre barbiturique, le pentobarbital dont le laboratoire danois Lundbeck possède le quasi-monopole mondial. L’information est relayée au Danemark par des militants de la section locale d’Amnesty International, au sein de laquelle un réseau spécifique de médecins existe depuis 1982 autour de la peine capitale aux États-Unis et de ses enjeux éthiques [31]. D’abord menée localement et sans véritable concertation avec le Secrétariat international d’Amnesty, leur campagne adopte les répertoires classiques du name & shame : les militants danois contactent les responsables de Lundbeck et mènent une campagne de presse nationale. Les responsables commencent par nier toute capacité d’intervention – les produits sont utilisés aux États-Unis après avoir transité par un ensemble d’intermédiaires, grossistes et détaillants, dont ils ne contrôlent pas la politique de vente – mais la controverse s’amplifie, au sein de la profession médicale tout d’abord [32].

25Cette mobilisation est importante en ce qu’elle porte atteinte à deux dimensions centrales dans l’économie contemporaine des produits pharmaceutiques : pour les laboratoires, il s’agit, d’une part, de conserver la maîtrise de l’information diffusée sur leurs produits en évitant toute « publicité négative », d’autre part, de consolider dans ce but des réseaux de praticiens favorables à l’usage de ces produits et occupant dans leur champ professionnel des positions suffisamment importantes pour agir comme des prescripteurs [33]. Au même moment, des fonds de pensions danois participant au capital de Lundbeck interviennent, et un investisseur va même jusqu’à cesser toute participation. Dès lors, pour l’entreprise, la pression publique se transforme en risque financier : à l’assemblée générale de ses actionnaires en mars 2011, elle ne peut que constater l’érosion de son index de réputation [34].

26À cette urgence d’ordre économique s’ajoute l’anticipation par les responsables de la société de la mise en place du règlement européen de décembre 2011. Sur ce point, leurs discussions régulières avec les militants associatifs mobilisés contre l’exportation du pentobarbital sont cruciales. Alors que la campagne locale d’Amnesty bat son plein, les membres de Reprieve contactent les responsables de Lundbeck, en s’appuyant sur une double expertise : celle qu’ils ont acquise face à Hospira au cours des luttes de l’année précédente, et celle qu’ils sont en train d’acquérir en interagissant avec les commissaires européens. Ce caractère multi-positionnel leur permet de circuler entre l’arène européenne et les dirigeants de la compagnie danoise, et de traduire les enjeux de la controverse dans des termes propres à leur monde professionnel. Devant les dirigeants de Lundbeck, ils mettent l’accent sur l’enjeu commercial : le risque d’une règlementation accrue du marché par les institutions européennes – « [alors qu’]en droit commercial en général, personne ne veut d’un surcroît de réglementation » – permet d’encourager la mise en place directe d’un contrôle par les fabricants. Le problème peut alors être réduit à une question technique touchant à l’organisation de la vente : les intermédiaires et revendeurs, dont seul le contrôle par le fabricant est à même d’empêcher l’usage létal des produits [35].

27Dès le 1er juillet 2011, Lundbeck annonce officiellement la mise en place de contrôles contractuels limitant la vente du pentobarbital aux institutions à visée médicale, et excluant par conséquent les administrations pénitentiaires des États-Unis. Le schéma finalement adopté va toutefois au-delà d’une simple limitation de la circulation des produits manufacturés par Lundbeck. Il affecte plus directement la physionomie du marché, en prévoyant une réorganisation de la distribution des produits incriminés, désormais plus fortement centralisée. Jusque-là, Lundbeck était en relation avec trois distributeurs primaires et une centaine de distributeurs secondaires situés aux États-Unis. À partir de l’été 2011, un système de livraison directe (specialty pharmacy drop ship program) est mis en place, qui confie la vente des produits à un seul distributeur par ailleurs étroitement contrôlé par le fabricant : chaque commande est analysée par les responsables de Lundbeck, qui exigent des acheteurs l’engagement écrit de ne céder en aucun cas les produits à une institution susceptible d’en faire un usage létal [36].

28À la fin de l’année 2011, une configuration d’acteurs multi-niveaux finit donc par se constituer autour de deux ensembles d’instruments – les réglementations européennes et les obstacles contractuels à la circulation des produits – et des acteurs qu’ils mobilisent. Elle se consolide au cours des années suivantes : dès décembre 2011, un groupe d’experts rassemblant des professionnels de l’industrie pharmaceutique européenne et des responsables associatifs (notamment de Reprieve et d’Amnesty) est chargé du réexamen périodique du dispositif de contrôle, et en supervise deux révisions successives en 2014 puis en 2016 [37]. Cette évolution encourage les compagnies pharmaceutiques à généraliser leurs propres contrôles à l’échelle mondiale : le schéma inauguré par Lundbeck est ainsi adopté par d’autres sociétés [38].

29Face au monopole de la violence que les États prétendent toujours exercer, c’est donc un oligopole constitué par un petit nombre d’entreprises pharmaceutiques qui fait obstacle à l’organisation des exécutions. Toutefois, dès 2010, les États rétentionnistes élaborent différentes stratégies pour obtenir, malgré tout, les produits nécessaires.

Oligopole commercial contre monopole étatique : les stratégies contemporaines autour de l’injection létale

30Si les fonctionnaires des États fédérés ont réagi en ordre dispersé, leurs réponses à la raréfaction mondiale de produits ont été de deux ordres. La première solution a été de contourner ces contrôles, au risque de placer les administrations pénitentiaires dans l’illégalité. La seconde a consisté en une stratégie plus immédiate des États souverains face aux prétentions des entreprises privées : les responsables étatiques ont, eux aussi, mobilisé le droit pour requalifier les produits injectables non comme des biens commerciaux, mais comme des armes relevant pleinement de leur arsenal.

Achats clandestins et acquisitions frauduleuses : la peine de mort à l’épreuve du droit commercial

31La raréfaction du thiopental puis du pentobarbital provoque en premier lieu une diversification des produits utilisés pour les injections létales, un nombre croissant d’États adoptant des protocoles à deux, voire à un seul produit, notamment des antidépresseurs de la famille des benzodiazépines. Ces mesures ont pour premier résultat la multiplication des exécutions « manquées », les changements de protocole improvisés provoquant des souffrances imprévues chez les condamnés. Ensuite, elles enrôlent de nouvelles compagnies pharmaceutiques dans l’affrontement mondial sur la circulation des produits injectables, chaque nouveau produit adopté par un groupe d’États provoquant l’intervention des laboratoires, en général peu nombreux, qui en assurent la production et la diffusion globale. Leurs responsables répondent chaque fois selon un format similaire : un communiqué public rappelle l’engagement du fabricant en faveur des soins et de l’assistance humaniste aux malades, affirme éventuellement son opposition à la peine capitale, et annonce la mise en place de clauses contractuelles interdisant la vente des produits concernés à des institutions non médicales [39]. Là encore, l’action associative – notamment celle des militants de Reprieve, qui documentent l’évolution des protocoles d’exécution, contactent directement les laboratoires concernés et les informent sur les contrôles à mettre en œuvre – est décisive dans la multiplication de ces prises de position. Lorsqu’en 2016 le laboratoire Pfizer rachète Hospira et adopte à son tour des limitations contractuelles pour la diffusion d’un large catalogue de produits, on peut estimer que l’essentiel des substances recherchées par les États rétentionnistes est concerné par les contrôles [40].

32La contrainte que représente cette action relativement coordonnée des principaux acteurs du marché mondial du médicament est révélée par le premier ensemble de stratégies mises en œuvre par les États rétentionnistes pour tenter de les contrer : celles-ci consistent à contourner les interdits contractuels, quitte à recourir à des transactions informelles et à des transports clandestins. Les problèmes juridiques auxquels se heurtent ces tentatives soulignent l’incapacité des États à réagir tant que les produits convoités restent définis comme des médicaments : leur circulation relève alors pleinement de la juridiction des acteurs du marché pharmaceutique, qu’il s’agisse des laboratoires, des agences nationales de régulation du médicament, ou encore des tribunaux de commerce chargés de faire respecter les contrats de vente.

33Face à ces acteurs focalisés sur des enjeux sanitaires ou commerciaux, la prétention des États à faire souverainement usage de la violence n’est alors jamais prise en compte, ce qu’illustre particulièrement l’échec de leur recours à des fournisseurs confidentiels étrangers aux réseaux de distribution des multinationales. En 2015, l’Arizona, le Nebraska et le Texas tentent de commander du thiopental sodique à un fabricant situé en Inde [41], le recours à des entreprises chinoises, vietnamiennes ou irakiennes ayant également été évoqué pour d’autres produits [42]. Au-delà de la qualité douteuse des substances ainsi obtenues, de telles importations posent un problème juridique : plusieurs stocks sont saisis par les agents fédéraux de la Food and Drug Administration, leurs fabricants n’ayant pas reçu l’agrément préalable de l’Agence [43]. C’est donc l’autorité fédérale chargée de la régulation des marchés du médicament qui réaffirme ici leur statut de biens dont l’usage reste soumis à son contrôle à la fois économique et sanitaire, interdisant par là même l’ouverture de nouveaux marchés d’approvisionnement.

34Les difficultés sont identiques sur le marché intérieur : dès 2010, les responsables pénitentiaires de plusieurs États se tournent vers des pharmacies officinales locales (compounding pharmacies), soustraites au contrôle de la Food and Drug Administration, mais autorisées normalement à ne préparer que des médicaments simples (aspirine ou compléments alimentaires). Le recours à ces fournisseurs pour la fabrication d’anesthésiants complexes suscite de nouveaux problèmes tout au long de la décennie, plaçant les États concernés dans l’illégalité à plusieurs titres. Si la stérilité douteuse des produits est tout d’abord à l’origine de nouvelles exécutions manquées [44], la fabrication locale de ces molécules et leur circulation entre les États contreviennent également à plusieurs législations d’État, forçant les fonctionnaires pénitentiaires à dissimuler leurs achats. Au début de l’année 2014, les Departments of Correction de Louisiane et du Missouri sont mis en cause pour avoir tenté d’obtenir illégalement des produits fabriqués dans l’Oklahoma ; dans d’autres États, les doses ont été payées en liquide et transportées clandestinement, ou encore obtenues par tromperie auprès d’un hôpital [45]. Il n’est donc pas si simple de trouver des fournisseurs hors des principaux réseaux d’approvisionnement, et l’ultime stratégie de contournement des administrations pénitentiaires consiste à violer frontalement les interdits contractuels en obtenant coûte que coûte des stocks produits par les multinationales du médicament. Ce faisant, elles s’exposent aux sanctions des tribunaux de commerce, aujourd’hui saisis de plusieurs affaires dont le développement suit un même schéma. La première étape est l’épreuve de dévoilement : la révélation de l’origine des stocks de produits détenus par un État via des canaux variables, l’information étant le plus souvent obtenue de manière informelle par des avocats, des militants ou des journalistes locaux, puis transmise aux producteurs ou distributeurs pharmaceutiques responsables de leur vente. La seconde étape est judiciaire, mais se déploie au sein d’une arène défavorable aux responsables pénitentiaires : les tribunaux civils spécialisés dans les questions commerciales. Dans un litige récent, le distributeur états-unien Alvogen a ainsi attaqué le Department of Correction du Nevada pour l’obliger à restituer un stock de Midazolam obtenu par tromperie (subterfuge) auprès d’un de ses sous-traitants [46]. C’est une première action en justice de militants de la branche locale de l’American Civil Liberties Union qui a mis en évidence la fraude, en l’occurrence l’achat des substances à destination du médecin chef du Department of Correction et pour un usage prétendument médical, alors qu’ils étaient en fait destinés à des exécutions dont la presse a par la suite relayé les préparatifs. Les négociations à l’amiable ayant échoué, Alvogen a demandé au tribunal d’ordonner la restitution du médicament, la médiatisation de la situation risquant de porter gravement atteinte à sa réputation. La demande a été finalement acceptée par le tribunal en juillet 2018, avec pour effet d’empêcher la mise à mort imminente d’un condamné.

35Tout au long de ces procédures, la question de la peine de mort, de sa violence et de sa légitimité n’est jamais posée : devant des juridictions spécialisées sur les enjeux commerciaux, l’unique problème reste la légalité des transactions incriminées au regard des contrôles mis en place par les fabricants et les distributeurs pharmaceutiques [47]. Le contraste avec les litiges engagés contre l’injection létale devant des juridictions pénales est souligné par une responsable de Reprieve, qui en note l’intérêt dans une perspective militante : « Devant un tribunal pénal, un argumentaire fondé sur les droits humains ou les châtiments cruels ou inhabituels ne sera jamais examiné, aucun juge n’acceptera de prendre une décision qui arrêterait de facto toutes les exécutions (...). Du coup, les violations de contrat, les acquisitions frauduleuses de substances, (...) les juges [au pénal] ne s’y intéresseront pas (...). [Il] faut regarder ailleurs. Et sur ce plan, le droit commercial, le recours au droit commercial, cela fait sens » [48].

36Si ce changement d’arène judiciaire est intéressant pour les membres d’une organisation abolitionniste, c’est donc qu’il permet d’éviter la limite majeure du procès pénal : l’impossibilité d’y faire interdire l’injection létale, parce que sa suppression en tant que méthode d’exécution supprimerait également de facto la peine de mort en la rendant inapplicable. Cette volonté de protéger la force publique en préservant son moyen d’exercice privilégié, régulièrement affirmée par les juges dans les années 2010, est explicitement énoncée dans la décision Glossip rendue par la Cour suprême en 2016 (encadré 2). L’arrêt exige en effet d’un condamné attaquant l’inhumanité de l’injection létale qu’il propose simultanément une méthode d’exécution alternative pouvant lui être appliquée : simple moyen, l’injection létale ne peut être jugée illégale qu’à condition d’être remplacée par un équivalent fonctionnel pouvant tuer tout aussi sûrement. Portée devant une juridiction commerciale, la plainte ne vise en revanche les substances injectées que comme des biens commerciaux dont la vente ou la circulation seule est problématique. Quant aux effets de leur restitution au fabricant sur la violence de l’État – et en l’occurrence sur sa neutralisation –, ils restent une simple conséquence indirecte du contrôle judiciaire de la légalité d’une transaction. Une solution alternative consiste alors à requalifier les produits utilisés, pour les replacer sous le contrôle des administrations pénales.

Le médicament, secret d’État et arme de guerre

37Dès la mise en place des premiers contrôles par les compagnies pharmaceutiques, une série d’initiatives locales vise à ré-étatiser l’usage des produits injectables : en d’autres termes, il s’agit de retirer aux acteurs du marché du médicament tout contrôle sur l’utilisation violente de leurs substances par les administrations d’État, et de réaffirmer simultanément le monopole étatique sur cet usage. Ces stratégies délaissent donc les pratiques informelles, pour mobiliser la prérogative étatique par excellence : celle de promulguer des normes juridiques.

38La première solution, adoptée dès les années 2010, consiste à dissimuler légalement les achats douteux de produits en interdisant toute divulgation d’informations concernant les protocoles d’exécution. Une série d’États adopte ainsi des « lois du secret » (secrecy laws) considérant la composition des death cocktails, l’origine des stocks de produits et l’identité des personnes impliquées dans les exécutions comme des secrets d’État (confidential state secret) qui ne peuvent être ni révélés au public ni contrôlés par la justice [49]. Il s’agit littéralement de reconstituer autour des produits et de leur usage une arène pénale cloisonnée, le vieil instrument souverain que représente le secret étant opposé aux droits que les acteurs du marché pharmaceutique pourraient éventuellement faire valoir sur l’importation des produits. En réponse, ces derniers cherchent à inverser le rapport de force, en demandant là encore aux juridictions commerciales de faire prévaloir le droit des contrats sur le secret d’État [50].

39Cette réappropriation étatique de l’importation des produits prend une forme renouvelée au cours de l’année 2019, cette fois au niveau fédéral : il ne s’agit plus de camoufler l’origine frauduleuse des produits, mais de légaliser la fraude elle-même en affirmant que les produits, loin d’être des médicaments, sont in fine des armes au service du monopole pénal de l’État. Cette initiative a pour point de départ une situation déjà évoquée : un litige opposant depuis 2017 l’État du Texas à la Food and Drug Administration autour d’un chargement de produits – du thiopental là encore – destinés à des injections létales, mais saisis deux ans plus tôt sur ordre de l’Agence faute d’agrément des produits et de leurs exportateurs. À ce jour, le conflit n’a toujours pas trouvé d’issue, mais au printemps 2019 il a suscité l’intervention du Bureau des affaires juridiques (Office of Legal Counsel) du Département fédéral de la Justice, sous la forme d’une opinion appuyant les revendications des autorités texanes [51]. Rendu public le 3 mai, le mémoire assume pleinement l’usage pénal des produits importés, et refuse à ce titre à la Food and Drug Administration toute autorité sur de telles importations. Pour ses rédacteurs, l’Agence est en effet chargée d’approuver les importations de médicaments (drugs), alors que les substances incriminées constituent des armes dont l’usage n’inclut aucun soin à visée thérapeutique, mais doit servir à la seule mise à mort d’un condamné dans le cadre d’une exécution capitale. L’État restaure donc ici son monopole sur l’importation des produits et sur leur utilisation en supprimant purement et simplement leur dimension médicale. Poursuivant leur raisonnement, les rédacteurs du mémoire soutiennent d’ailleurs que la reconnaissance à la Food and Drug Administration d’une pleine autorité sur l’acheminement de ces produits autoriserait également ses membres à contrôler les importations d’armements vers les États-Unis. S’ils peuvent continuer à réguler l’acheminement de ces mêmes substances pour un tout autre usage, leur utilisation pour des exécutions judiciaires relèverait donc absolument de la force publique et du monopole conservé par l’État sur les moyens de son exercice [52].

40Le fait que la question de la peine capitale par injection létale soit traitée pour l’essentiel dans des arènes commerciales échappant en partie à l’emprise des États souligne l’intérêt d’une analyse de la force publique centrée sur les technologies particulières qui permettent de l’exercer. L’étude de la médicalisation de la peine capitale peut ainsi s’inscrire dans une série de recherches récentes, centrées elles aussi sur des armes censées euphémiser la violence de l’État : soit parce qu’elles neutralisent sans tuer, comme les armes « non létales » [53], soit parce qu’elles tuent au loin en atténuant les réactions du public, comme les drones de combat [54]. Ces technologies sont toutefois d’emblée conçues comme des armes, par des entreprises au sein desquelles siègent régulièrement les représentants d’administrations militaires ou policières. Le cas de l’injection létale place en revanche les États rétentionnistes dans une situation infiniment plus complexe : s’ils doivent euphémiser la violence des exécutions pour que ces dernières restent pénalement légitimes, ils doivent recourir dans ce but à des technologies trop éloignées des registres habituels de la force publique (guerre, maintien de l’ordre et sanctions pénales) pour que leurs fabricants consentent à leur usage contre des condamnés.


Date de mise en ligne : 07/09/2021

https://doi.org/10.3917/crii.092.0052

Notes

  • [1]
    Austin Sarat, Jürgen Martschukat, Is the Death Penalty Dying ? European and American Perspectives, New York, Cambridge University Press, 2011 ; Adrien Donneaud, « Peine de mort et droits de l’homme entre enjeu géopolitique et impératif éthique », Études sur la mort, 141 (1), 2012, p. 9-24.
  • [2]
    Rappelons qu’aux États-Unis la police et la justice pénale relèvent de la compétence des États fédérés. Au début de l’année 2021, 23 d’entre eux avaient aboli définitivement la peine capitale ; 11 États « rétentionnistes » la conservaient, mais n’avaient procédé à aucune exécution ces dix dernières années. La peine capitale est également prévue par l’État fédéral pour les crimes qui relèvent de sa compétence, et a fait l’objet d’une spectaculaire réactivation par l’administration Trump, avec 13 exécutions en sept mois après dix-sept ans d’interruption.
  • [3]
    A. Sarat, Gruesome Spectacles : Botched Executions and America’s Death Penalty, Stanford, Stanford University Press, 2014.
  • [4]
    Deborah W. Denno, « The Lethal Injection Quandary : How Medicine Has Dismantled the Death Penalty », Fordham Law Review, 76 (1), 2007, p. 49-128.
  • [5]
    Nous renvoyons ici aux analyses classiques de Norbert Elias et de Michel Foucault dans le domaine pénal. Pour un résumé récent, voir David Garland, « The Problem of the Body in Modern State Punishment », Social Research, 78 (3), 2011, p. 767-798.
  • [6]
    Megan Denver, Joel Best, Kenneth C. Haas, « Methods of Execution as Institutional Fads », Punishment & Society, 10 (3), 2008, p. 227-252 ; J. Martschukat, « “No Improvement over Electrocution or Even a Bullet”. Lethal Injection and the Meaning of Speed and Reliability in the Modern Execution Process », dans Charles J. Ogletree Jr., Austin Sarat (eds), The Road to Abolition ? The Future of Capital Punishment in the United States, New York, New York University Press, 2009, p. 253-278.
  • [7]
    Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 36 (3), 1986, p. 169-208.
  • [8]
    A. Sarat, J. Martschukat, Is the Death Penalty Dying ? European and American Perspectives, op. cit.
  • [9]
    Cyril Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 25 (1), 2007, p. 191-212.
  • [10]
    Fondée en 1961, Amnesty International lutte au niveau mondial pour la libération des prisonniers politiques, mais l’abolition de la peine capitale est également au centre de son action depuis le début des années 1970. Créée en 1999, Reprieve est engagée dans la lutte contre les violations des droits humains à travers le monde, avec une insistance particulière sur le soutien aux condamnés à mort dans différentes zones du globe. Les deux organisations ont installé leurs directions respectives à Londres, mais possèdent des bureaux aux États-Unis.
  • [11]
    Daniel Cefaï, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, 75, 1996, p. 43-66 ; Nicolas Dodier, « Agir dans l’histoire. Réflexions issues d’une recherche sur le SIDA », dans Pascale Laborier, Danny Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 329-345.
  • [12]
    Sur ce point, Simon Grivet, « Tuer sans remords. Une histoire de la peine de mort en Californie de la fin du xixe siècle à nos jours », thèse de doctorat en histoire et civilisations, Paris, EHESS, 2011.
  • [13]
    Mark Essig, Edison and the Electric Chair : A Story of Light and Death, New York, Walker & Company, 2003.
  • [14]
    A. Sarat, Gruesome Spectacles : Botched Executions and America’s Death Penalty, op. cit. L’injection est utilisée par 30 États fédérés et par l’État fédéral, la fusillade, la chaise électrique ou la chambre à gaz restant en usage ailleurs (source : Death Penalty Information Center).
  • [15]
    Carol S. Steiker, Jordan M. Steiker, Courting Death : The Supreme Court and Capital Punishment, Cambridge, Harvard University Press, 2016.
  • [16]
    S. Grivet, « Suprêmes déconvenues. La Cour suprême de Californie et la peine de mort, de la fin du xixe siècle à nos jours », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 63 (1), 2016, p. 148-170.
  • [17]
    Jeffrey L. Kirchmeier, « Another Place Beyond Here. The Death Penalty Moratorium Movement in the United States », University of Colorado Law Review, 73 (1), 2002, p. 1-116.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Sur ce point, voir, entre autres, A. Sarat, « Between (the Presence of) Violence and (the Possibility of) Justice : Lawyering against Capital Punishment », dans Austin Sarat, Stuart Scheingold (eds), Cause Lawyering : Political Commitments and Professional Responsibilities, New York, Oxford University Press, 1998, p. 317-346 ; Herbert H. Haines, Against Capital Punishment : The Anti-death Penalty Movement in America, 1972-1994, New York, Oxford University Press, 1996.
  • [20]
    Renommés par la suite Post Conviction Defender Organizations, ces centres doivent permettre d’améliorer la défense des accusés dans les dossiers « capitaux », défense dont la piètre qualité cause une multiplication des recours et de fréquentes annulations des condamnations en appel. Seule une minorité d’entre eux sont encore en activité, les subventions publiques dont ils bénéficiaient ayant été supprimées en 1996. Kathryn Sabbeth, « Capital Defenders as Outsider Lawyers », Chicago-Kent Law Review, 89 (2), 2014, p. 569-596.
  • [21]
    Ce mouvement culmine en 2005 avec la publication dans la revue The Lancet d’une analyse de prélèvements sanguins réalisés sur des condamnés exécutés, qui révèle que ces derniers sont restés conscients jusqu’à la fin de l’exécution. Leonidas Koniaris, Teresa A. Zimmers, David A. Lubarsky, et al., « Inadequate Anaesthesia in Lethal Injection for Execution », The Lancet, 365, 2005, p. 1412-1414.
  • [22]
    « A New Test for Evaluating Eighth Amendment Challenges to Lethal Injections », Harvard Law Review, 120 (5), 2007, p. 1301-1322.
  • [23]
    Voir par exemple « How Much Sodium Thiopental Does Texas Have ? », communiqué de l’American Civil Liberties Union, 27 octobre 2010.
  • [24]
    Entretien téléphonique avec un avocat spécialisé, 20 février 2020. Le fondateur de Reprieve, Clive Stafford Smith, est lui-même un capital defender et cofondateur dès 1993 du Louisiana Capital Assistance Center de la Nouvelle-Orléans.
  • [25]
    Lettre du ministre britannique des Entreprises, de l’innovation et des compétences au cabinet d’avocats représentant Reprieve, 1er novembre 2010 (https://reprieve.org.uk/press/2010_11_22_high_court_hearing/).
  • [26]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, Londres, 14 mai 2018 ; voir également Witness Statement in the High Court of Justice, Queen’s Bench, Administrative Division, 18 novembre 2010.
  • [27]
    « Statement from Hospira Regarding Its Halt of Production of Pentothal (Sodium Thiopental) », 21 janvier 2011 (files.deathpenaltyinfo.org/legacy/documents/HospiraJan2011.pdf).
  • [28]
    Règlement CE du 27 juin 2005 « Concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », Journal officiel de l’Union européenne, 30 juillet 2005, p. L200/1-L200/17.
  • [29]
    Entretien avec une responsable du Secrétariat international d’Amnesty, Londres, 10 mai 2018. Le bureau permanent d’Amnesty à Bruxelles joue un rôle central dans l’adoption d’une politique européenne en matière de torture dans les années 2000, et dans l’adoption du règlement de 2005 qui en découle. Éric Poinsot, « L’engagement communautaire d’Amnesty International », dans Hélène Michel (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, p. 197-223. Voir également Amnesty International et Omega Research Foundation, « Europe : From Words to Deeds : Making the EU Ban on the Trade in “Tools of Torture” a Reality », Londres, AI/Omega, mars 2010.
  • [30]
    Règlement d’exécution du 20 décembre 2011.
  • [31]
    Entretien en visioconférence avec un membre du Danish Medical Group against the Death Penalty (DMGDP – Amnesty International), 19 juillet 2018.
  • [32]
    En juin 2011, 24 praticiens menacent notamment de cesser toute prescription des produits Lundbeck si l’entreprise n’engage aucune action concrète contre leur utilisation dans des exécutions. David Nicholl, et al., « Open Letter to Ulf Wiinberg, Chief Executive of Lundbeck Pharmaceuticals », The Lancet, 377, 2011, p. 2079.
  • [33]
    Adriana Petryna, Andrew Lakoff, Arthur Kleinman, Global Pharmaceuticals : Ethics, Markets, Practices, Durham, Duke University Press, 2006 ; Boris Hauray, « Une médecine détournée ? Influences industrielles et crise de confiance dans le domaine du médicament », Mouvements, 98 (2), 2019, p. 53-66.
  • [34]
    Entretien avec un membre du Danish Medical Group against the Death Penalty, cité.
  • [35]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité.
  • [36]
    « Lundbeck Overhauls Pentobarbital Distribution Program to Restrict Misuse », communiqué de l’entreprise, 1er juillet 2011. La très rapide mise en place d’un tel système de contrôle tient notamment à la préexistence d’instruments similaires pour d’autres substances fabriquées par Lundbeck, notamment les produits traitant l’épilepsie.
  • [37]
    Ces nouveaux textes instaurent une autorisation d’exportation de principe pour tous les laboratoires ayant eux-mêmes mis en place des contrôles, et permettent d’ajouter à tout moment de nouveaux produits à la liste des substances contrôlées.
  • [38]
    Le Lethal Injection Information Center (initié par Reprieve) répertorie aujourd’hui 18 produits visés par des contrôles contractuels, une cinquantaine de compagnies ayant pris position contre l’usage de leurs médicaments (https://lethalinjectioninfo.org).
  • [39]
    Voir par exemple les communiqués des laboratoires Fresenius Kabi (28 août 2012, Propofol), Hikma (15 mai 2013, Phénobarbital), Roche (16 janvier 2015, Midazolam), ou Akorn (4 mars 2015, Midazolam et Hydromorphone) (tous en ligne sur https://deathpenaltyinfo.org/executions/lethal-injection/statements-from-drug-manufacturers-and-medical-professionals).
  • [40]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité. Voir également le communiqué public de Pfizer (Propofol, Bromure de pancuronium, Midazolam, Hydromorphone, Bromure de rocuronium, Bromure de vecuronium, Chlorure de potassium), 28 mars 2016 (https://deathpenaltyinfo.org/executions/lethal-injection/statements-from-drug-manufacturers-and-medical-professionals).
  • [41]
    « Federal Authorities Seize Execution Drugs Imported for Arizona and Texas », CBS News, 23 octobre 2015.
  • [42]
    Entretien téléphonique avec un avocat spécialisé, cité.
  • [43]
    « Federal Authorities Seize Execution Drugs Imported for Arizona and Texas », art. cité ; « $25 000 Shipment of Illegal Execution Drugs to Nebraska Gets Held Back In India », Buzzfeed, 17 septembre 2015.
  • [44]
    En 2012, dans le Dakota du Sud, une exécution par injection d’une dose de pentobarbital potentiellement souillée dure 20 minutes ; deux ans plus tard, un condamné exécuté dans l’Oklahoma par une dose du même produit se plaint de brûlures dans tout le corps avant de mourir. Nathaniel A. W. Crider, « What You Don’t Know Will Kill You : A First Amendment Challenge to Lethal Injection Secrecy », Columbia Journal of Law & Social Problems, 48 (1), 2014, p. 1-55.
  • [45]
    « State Has Explored Illegally Obtaining Drug for Upcoming Execution », The Lens, 25 janvier 2014 ; « Louisiana Tricked a Local Hospital into Supplying Execution Drugs », Reason, 10 août 2014.
  • [46]
    Alvogen Inc vs. State of Nevada, District Court of Clark County, Nevada, 7 octobre 2018.
  • [47]
    Dans leur plainte, les responsables d’Alvogen refusent d’ailleurs explicitement de prendre position sur la peine de mort, tout en insistant sur leur refus de voir leur compagnie publiquement associée à l’injection létale.
  • [48]
    Entretien avec une responsable de Reprieve, cité.
  • [49]
    N. A. W. Crider, « What You Don’t Know Will Kill You : A First Amendment Challenge to Lethal Injection Secrecy », art. cité. Sur les 17 États qui exécutent des condamnés par injection entre 2011 et 2018, 16 interdisent la divulgation de leur source d’approvisionnement en produits. Death Penalty Information Center, Behind the Curtain : Secrecy and the Death Penalty in the United States, Washington, DPIC, 2019.
  • [50]
    Un laboratoire européen demande par exemple à la Cour suprême de l’Ohio d’enjoindre le Departments of Correction du même État de dévoiler l’origine de ses produits, considérant que le secret met en péril l’intégrité des contrats conclus entre producteurs et distributeurs pharmaceutiques. Voir Amici Curiae Brief in Support of Relator, on Behalf of Fresenius Kabi USA, LLC and Sandoz, Inc., 10 juillet 2017 (https://lethalinjectioninfo.org/wp-content/uploads/2018/02/2017_07_10_PRIV-Amicus-Curiae-Brief-in-Ohio-Sandoz-and-Fresenius-Kabi.pdf).
  • [51]
    « Whether the Food and Drug Administration Has Jurisdiction over Articles Intended for Use in Lawful Executions », Opinions of the Office of Legal Counsel, 43, 2019 (https://www.justice.gov/olc/opinion/file/1162686/download). Dépourvues d’effet contraignant, ces opinions sont destinées à faciliter l’issue d’un conflit opposant plusieurs institutions dépendant de l’exécutif, habituellement en dehors de tout litige judiciaire.
  • [52]
    Si elle n’a pas abouti, cette tentative de « pénalisation » de substances pharmaceutiques rappelle qu’aux États-Unis la peine capitale continue de dépendre des décisions et des alternances politiques. Sur ce plan, l’installation de la nouvelle administration Biden pourrait marquer une rupture, en imposant, entre autres, un changement dans la position du Département de la Justice sur les importations de produits. Opposant déclaré à la peine capitale, Joe Biden est également attendu sur l’imposition d’un moratoire, voire sur l’abolition de la peine de mort au niveau fédéral.
  • [53]
    Paul Rocher, Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, Paris, La Fabrique, 2020 ; Anna Feigenbaum, Petite Histoire du gaz lacrymogène. Des tranchées de 1914 aux gilets jaunes, Montreuil, Libertalia, 2019 ; Juliette Volcler, Le son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011.
  • [54]
    Grégoire Chamayou, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.87

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions