1Lutte contre le blanchiment d’argent par des établissements bancaires au Canada, controverses autour des modalités d’application de la peine de mort aux États-Unis, lutte de l’OTAN contre le terrorisme en Afghanistan, gestion des sorties de conflits et construction de la paix, ces différentes situations relèvent traditionnellement des prérogatives régaliennes non seulement de mise en œuvre mais aussi de prévention de la violence. Dans ce « thema » intitulé « Le gouvernement international de la violence légitime », les auteur·es interrogent ce monopole de la coercition prêté aux États dans des espaces sociaux qui la (co) produisent et dont les acteurs – nationaux ou internationaux, privés ou publics, étatiques ou académiques – sont multiples.
2Embarqué dans les services d’une banque, Anthony Amicelle analyse l’évolution des opérations de surveillance anti-blanchiment passées du contrôle humain à la gestion par des algorithmes. Il décrit les conditions d’émergence et de généralisation de ce qu’il appelle un nouveau policing financier impliquant des acteurs majeurs du capitalisme, et montre que ce nouveau gouvernement de la surveillance est d’autant plus difficile à mettre en place pour les agents qu’il se trouve à l’articulation de l’économie et de la finance, du pénal et de la sécurité.
3Nicolas Fischer explore la violence légitime dans sa déclinaison la plus extrême : la peine capitale. Centrant son analyse sur les débats qui mettent en cause l’utilisation des produits nécessaires aux injections létales aux États-Unis, il revient sur les réticences et les résistances des principales multinationales pharmaceutiques à voir leurs médicaments transformés en armes létales, et rappelle les multiples stratégies des États pour contrer ou détourner les effets de cet enrôlement dans ce qui est au final une dénonciation de la peine de mort.
4Julien Pomarède et Sandrine Lefranc explorent, chacun à sa manière, des objets plus canoniques de l’étude de la violence légitime : la guerre et la paix. Julien Pomarède interroge les logiques de la guerre menée par l’OTAN en Afghanistan. Il explique les enjeux du pilotage de cette intervention occidentale post-11 septembre 2001 en analysant la façon dont ils s’insèrent dans des configurations diplomatico-militaires complexes impliquant les États-Unis et leurs alliés européens, et montre que, bien au-delà de la multiplicité des significations données à ce conflit, le consensus interventionniste multilatéral a fixé un dénominateur commun qui ne pouvait que le rendre interminable : la destruction de l’ennemi.
5Sandrine Lefranc, quant à elle, s’intéresse à la construction de la paix en situation post-conflit, et ce dans le contexte de l’après-guerre froide. Pourquoi et comment un dispositif spécifique – celui de « la paix positive » qui entend (re)construire la paix par le dialogue à l’échelle locale et le tissage de nouveaux liens entre les gens « ordinaires » – s’est-il imposé, alors même qu’il pouvait paraître naïf, voire chimérique, au regard des travaux classiques en relations internationales qui privilégient l’intervention de l’État dans les sorties de conflits ? Si ce dispositif est parvenu à acquérir le statut de politique internationale en matière de retour à la paix, c’est, selon l’auteure, par sa capacité à structurer les projections, les rencontres et les interdépendances d’acteurs nationaux et internationaux très divers.
6Une tout autre forme d’exercice de la coercition « légitime » est analysée dans la nouvelle livraison de notre rubrique « Coulisses ». Pour rappel, celle-ci propose des analyses méthodologiques et réflexives sur la fabrique de la recherche. Thomas Brisson interroge « un terrain limite pour les sciences sociales » et livre des pistes sur la façon de travailler quand ce que l’on souhaite étudier se dérobe à notre regard. Pour ce faire, il revient sur la détention, en 2017, de plusieurs centaines de membres des élites politiques et économiques saoudiennes dans le Ritz-Carlton de Ryad, et analyse les multiples symboles et significations de cette « prison dorée » où, sous prétexte de vaste opération anti-corruption, s’est accomplie une recomposition radicale du champ politique.
7Enfin, dans la rubrique « Varia », Doris Buu-Sao explore le caractère ambivalent des conflits environnementaux suscités par l’extraction pétrolière en Amazonie péruvienne. À rebours des analyses qui voient dans les concessions aux compagnies étrangères la démonstration d’un effritement de la souveraineté de l’État, elle appréhende cette activité extractive comme contribuant au contraire à la construction et à la consolidation de la puissance publique : en faisant s’« asseoir l’État », les populations ne l’incitent pas seulement à s’impliquer dans la gestion conflictuelle de l’industrie pétrolière, elles en appellent à sa médiation, et ce faisant contribuent à la consolidation de sa légitimité et de son assise territoriale, partant à la production d’un ordre politique national.
8Bonne lecture
9La rédaction