Notes
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[1]
Conjointement avec l’UNICEF, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, dont le siège est à New York. Toutefois, cette organisation ayant joué dans ce cas un rôle secondaire, nous nous concentrons ici sur l’action de l’OMS.
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[2]
Les termes de substituts du lait maternel, formule infantile, lait artificiel et lait en bouteille sont utilisés dans cet article comme synonymes. Nous employons également parfois le terme d’« alimentation pour nourrisson » de manière métonymique, car il est plus englobant et peut comprendre des préparations solides.
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[3]
Quatre entreprises se partagent plus des deux tiers des ventes mondiales de ce marché oligopolistique : Nestlé, Abbott Laboratories, Bristol-Myers, American Home Product.
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[4]
Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « Indicateurs et vecteurs de la politisation des individus : les vertus heuristiques du croisement des regards », Critique internationale, 50, 2011, p. 9 ; Franck Petiteville, « La politisation résiliente des organisations internationales », Critique internationale, 76, 2017, p. 9-19 ; F. Petiteville, « Les organisations internationales dépolitisent-elles les relations internationales ? », Gouvernement et action publique, 5 (3), 2016, p. 113-129.
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[5]
Chantal Mouffe, The Return of the Political, Londres/New York, Verso, 1993, en particulier p. 119 ; C. Mouffe, « La “fin du politique” et le défi du populisme de droite », Revue du MAUSS, 20, 2002, p. 178-194.
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[6]
Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2001, p. 242 ; Jacques Lagroye, « Les processus de politisation », dans J. Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, p. 362-363.
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[7]
Andrew Barry, « The Anti-political Economy », Economy and Society, 31 (2), 2002, p. 270-271.
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[8]
Ibid., p. 270.
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[9]
Le consensus vise à gommer les conflits en faisant disparaître les différences d’intérêt, le compromis, lui, résulte d’un processus politique de négociation qui n’efface pas ces différences.
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[10]
Dossiers B13-288-2 J.1-22 (chemises 1 à 22) intitulés « Preparation of an International Code of Marketing of Infant Formula and Other Products used as Breast Milk Substitutes ».
-
[11]
United States Senate, « Hearing on Examination of the Advertising, Marketing, Promotion, and Use of Infant Formula in Developing Nations », 95e Congrès, 2e Session, 23 mai 1978 (ci-après Auditions devant le Sénat des États-Unis, mai 1978) ; House of Representative, « Hearing on Implementation of the WHO Code on Infant Marketing Practices », 97e Congrès, 1ère Session, 16 et 17 juin 1981 (ci-après Auditions devant la Chambre des Représentants des États-Unis, juin 1981).
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[12]
En particulier EB67/1981/REC/2, EB EB67/SR/24, WHA33/1980/REC1, WHA34/1981/REC/3
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[13]
Constitution de l’OMS, chap. I et préambule.
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[14]
Constitution de l’OMS, chap. II, art. 2, point (a).
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[15]
Chaque année en mai, l’Assemblée mondiale de la santé, qui est composée des délégations des États, se réunit pour approuver le programme général de travail de l’OMS, les activités du conseil d’administration et le budget annuel.
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[16]
Le Conseil exécutif, composé de membres individuels élus par l’Assemblée (de 18 en 1948 ils sont passés à 34 en 2007), se réunit deux fois par an, en janvier et en mai, et se charge de préparer l’Assemblée, d’en appliquer les décisions, de vérifier le budget, le programme de travail, etc.
-
[17]
Auriane Guilbaud, Le paludisme. La lutte mondiale contre un parasite résistant, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 39-46.
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[18]
Introduit en 1993 par la Banque mondiale, cet indicateur est utilisé pour calculer la charge de morbidité : il permet de mesurer l’écart existant entre la situation sanitaire actuelle et une situation idéale où tout le monde atteindrait la vieillesse sans maladie ni invalidité. Une AVCI est en quelque sorte la perte d’une année de vie en bonne santé.
-
[19]
A. Guilbaud, Business Partners. Firmes privées et gouvernance mondiale de la santé, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 95-96.
-
[20]
S. J. Plank, M. L. Milanesi, « Infant Feeding and Infant Mortality in Rural Chile », Bulletin of The World Health Organization, 48 (2), 1973, p. 203-210.
-
[21]
« The Baby Food Tragedy », The New Internationalist, 6, août 1973, p. 8-12, 23.
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[22]
Mike Müller, The Baby Killer. A War on Want Investigation into the Promotion and Sale of Powdered Baby Milks in the Third World, Londres, War on Want, mars 1974.
-
[23]
Action pour le Tiers Monde est condamnée pour diffamation dans le titre de l’ouvrage. Le juge note « qu’il n’y a pas intention de tuer » et insiste sur la nécessité pour Nestlé de revoir ses pratiques de marketing afin d’éviter de se retrouver mis en accusation. S. Prakash Sethi, Multinational Corporations and the Impact of Public Advocacy on Corporate Strategy : Nestlé and the Infant Formula Controversy, Boston, Kluwer Academic, 1994, p. 55.
-
[24]
Auditions devant le Sénat des États-Unis, cité, p. 4.
-
[25]
Ibid.
-
[26]
En effet, les groupes pharmaceutiques n’ont pas la même manière de promouvoir leurs produits que les groupes de l’industrie agro-alimentaire ; les entreprises fortement implantées dans les pays en développement s’opposent à celles qui le sont dans les pays du Nord ; quant aux entreprises américaines, elles sont en forte concurrence avec celles qui, comme Nestlé, cherchent à s’implanter sur le marché américain.
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[27]
Voir le courrier de l’ICCR adressé à l’OMS, le 14 novembre 1978 dans Archives OMS, Dossier B13/87/3 J.1, et la lettre de l’INFACT à l’OMS, 4 décembre 1979, B13/288/2 J.1.
-
[28]
Inis Claude, « Collective Legitimization as a Political Function of the United Nations », International Organization, 20 (3), 1966, p. 367-379.
-
[29]
EB67/1981/REC/2, Document EB67/NGO/3 : Demande d’admission aux relations officielles avec l’OMS présentée par une ONG (l’ICIFI), p. 8.
-
[30]
Edward Baer, Leah Marguiles, « Infant and Young Child Feeding : An Analysis of the WHO/UNICEF Meeting », Studies in Family Planning, 11 (2), février 1980, p. 72-75. Voir également Archives OMS, B13/288/2 J.1.
-
[31]
S. Prakash Sethi Multinational Corporations and the Impact of Public Advocacy on Corporate Strategy : Nestlé and the Infant Formula Controversy, op. cit., p. 173.
-
[32]
Archives OMS, B13/288/2 J.12.
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[33]
Archives OMS, B13/288/2 J.1, B13/288/2 J.2.
-
[34]
Robert O. Keohane, Joseph Nye, « Two Cheers for Multilateralism », Foreign Policy, 60, automne 1985, p. 149.
-
[35]
Comme en témoignent les lettres conservées aux archives de l’OMS, nombreux sont les Américains travaillant avec l’organisation qui écrivent pour s’excuser de la position de leur gouvernement. Le « AID Deputy Assistant for Administration » Stephen C. Joseph démissionne de son poste pour protester contre le vote négatif des États-Unis, et le Congrès, désapprouvant la position de l’Administration, adopte en juin 1981 une résolution pour soutenir le code. Archives OMS, B13/288/2 J.12.
-
[36]
Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, 23-28 mai 2016. Voir également IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014 (http://ibfan.org/codex/IBFAN_Codex_Alimentarius_Working_Group_Report_2014.pdf) (consulté le 7 février 2017).
-
[37]
Antoine Debure, « Crédibiliser pour expertiser : le Codex Alimentarius et les comités d’experts FAO-OMS dans la production réglementaire internationale de sécurité sanitaire des aliments », thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2012, p. 15.
-
[38]
Ibid., p. 62.
-
[39]
IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014, cité, p. 2.
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[40]
Entretien avec un membre d’une ONG ayant participé aux travaux du Codex, Genève, 21 janvier 2017.
-
[41]
IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014, cité, p. 3.
-
[42]
A. Debure avance ainsi que 90 % des acteurs non étatiques représentent des intérêts commerciaux (industries, producteurs) et 10 % les intérêts des consommateurs. A. Debure, « Crédibiliser pour expertiser : le Codex Alimentarius et les comités d’experts FAO-OMS dans la production réglementaire internationale de sécurité sanitaire des aliments », cité, p. 73.
-
[43]
http://coicoalition.blogspot.fr (consulté le 8 février 2017).
-
[44]
Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, cité.
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[45]
Ibid. et Carnet de terrain – Observations réalisées à Genève lors du Conseil exécutif de l’OMS, 30-31 mai 2016.
-
[46]
Ibid. et Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors des rencontres de la société civile, 21-22 mai 2016 ; 21 janvier 2017.
-
[47]
Ibid.
-
[48]
A. Guilbaud, « OMS et laboratoires pharmaceutiques entre interdépendance et soupçons de collusion », dans Bertrand Badie, Dominique Vidal (dir.), L’État du monde 2013, Paris, La Découverte, 2012, p. 168-174.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
Carnet de terrain - Observations réalisées lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, cité. Les textes des déclarations des ONG sont également disponibles sur le site internet de l’OMS.
-
[51]
Ibid.
1 entre le 9 et le 12 octobre 1979, à Genève, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [1] réunit des ONG et des entreprises afin de réfléchir à l’adoption d’un code de conduite sur la commercialisation des substituts du lait maternel (autrement dit, du lait « en bouteille » [2]). L’initiative d’une réunion visant à mettre en place une régulation internationale souple promouvant des « bonnes pratiques » s’inscrit dans le champ d’action habituel d’une organisation internationale (OI) à caractère technique et normatif telle que l’OMS. Toutefois, dans le cas présent, elle répond à une demande officielle de plusieurs acteurs (entreprises, ONG, gouvernements), qui voient dans l’OMS l’instance toute désignée pour « dépolitiser » la question de la régulation des substituts du lait maternel.
2 Le débat sur l’alimentation des nourrissons date de la mise au point des premiers laits artificiels à la fin du XIXe siècle, mais il connaît une politisation extrêmement forte dans les années 1970-1980, en particulier autour de la question de la dangerosité des substituts du lait maternel dans les pays en développement. En 1981, une régulation internationale est adoptée sous l’égide de l’OMS – le Code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel – qui, entre autres choses, limite la donation d’échantillons gratuits de lait en bouteille dans les maternités, renforce l’étiquetage et réglemente la publicité.
3 Au cours des négociations nombreuses et conflictuelles qui aboutissent finalement à cette régulation formelle, les parties en présence – les entreprises pharmaceutiques et agro-alimentaires [3], les ONG, les États membres de l’OMS (en particulier les États-Unis) et le Secrétariat de l’OMS – utilisent diverses stratégies et techniques de négociation pour promouvoir leurs intérêts. À première vue, leur but est soit de dépolitiser le débat (en le cantonnant au domaine scientifique et technique), soit au contraire de le politiser (en le publicisant grâce à la révélation de pratiques commerciales abusives et à l’utilisation du registre du scandale), et ce au sein de différentes arènes : celle, genevoise, de l’OMS, celle, transnationale, de la société civile, celle, américaine, du Congrès (Sénat et Chambre des représentants) des États-Unis. Dans ce contexte, l’OMS est considérée comme le « dernier recours » pour dépolitiser une question scientifique qui s’est peu à peu transformée en controverse puis en scandale politique.
4 Cet épisode est un véritable cas d’école pour l’analyse des stratégies et des techniques de politisation et de dépolitisation qui se déploient dans et autour des OI. De plus, il permet de comprendre l’évolution de ces processus à l’OMS en particulier. Sur ce dernier point, les années 1970-1980 représentent une période charnière : les dynamiques de politisation deviennent en effet plus apparentes, rompant ainsi avec une perception de l’organisation à dominante fonctionnaliste, centrée sur ses activités techniques dont la dimension politique, même si elle est présente, tend à être dissimulée.
5 La politisation et la dépolitisation coexistent dans les organisations internationales. De nombreux travaux ont montré que le travail technique et la position d’expert qu’elles revendiquent relèvent de processus politiques, autrement dit que la dépolitisation peut avoir une finalité politique. Sans revenir sur l’ensemble des débats académiques qui ont contribué à forger ces « concepts-éponges » [4], nous pouvons, dans un premier temps, comprendre respectivement la politisation et la dépolitisation comme des processus de mise en débat ou au contraire de soustraction au débat, d’affirmation de l’« antagonisme politique » [5] ou au contraire de neutralisation des oppositions, qui traduisent des phénomènes de déplacement des frontières du politique inhérents à tout ordre social, et en particulier à la démocratie [6].
6 Néanmoins, politisation et dépolitisation apparaissent à bien des égards comme des notions glissantes, et ce en raison de la double difficulté à définir les limites du politique et à le différencier de la politique. Il en résulte une tendance à qualifier a priori les domaines techniques de non politiques et à confondre le processus lui-même (politisant/dépolitisant), sa finalité et ses effets (politiques ou non politiques). En s’appuyant sur des distinctions effectuées par Andrew Barry, nous pouvons définir la politique comme un ensemble de techniques, de pratiques et d’institutions liées à la fonction de gouvernement (les dispositifs techniques – par exemple ceux encadrant le vote – sont donc constitutifs de la politique), et le politique comme un « espace du désaccord » [7]. Une des fonctions de la politique consiste à placer des limites au politique, à restreindre les possibilités de débat et de contestation. La politique a donc très souvent une finalité antipolitique [8]. Enfin, on peut noter que les conséquences/les effets de la politique ne correspondent pas nécessairement à la finalité poursuivie : des mesures visant à réduire l’espace du politique, à limiter la possibilité de désaccords, peuvent avoir des effets contraires et créer de nouveaux objets de désaccords (par exemple lorsqu’une expertise ou des instruments de mesure qui visent à neutraliser un débat sont contestés).
7 Nous utilisons ces notions de politisation et dépolitisation dans le but d’éclairer le fonctionnement de l’OMS au-delà de son caractère « technique » très souvent supposé, et de mettre en évidence les investissements dont cette organisation internationale fait l’objet, en particulier de la part d’acteurs non étatiques. Afin d’opérationnaliser ces notions, nous nous intéressons aux processus de politisation et de dépolitisation comme stratégies et techniques d’action. Plus précisément, nous identifions à des fins heuristiques trois stratégies principales de politisation auxquelles correspondent trois stratégies de dépolitisation, trois manières donc de créer un espace où les désaccords sont possibles ou au contraire découragés : provoquer le conflit versus rechercher le consensus [9], activer la publicisation versus aspirer au confinement, avoir recours à des principes idéologiques versus prôner une approche pragmatique. Toutes sont mises en œuvre via différentes techniques de recours : à des représentants politiques, à des experts, à des arguments scientifiques ou techniques, à des médias.
8 Nous nous proposons également d’analyser la différenciation des usages de ces stratégies et techniques selon les parties concernées – Secrétariats des OI, États, ONG, entreprises – et d’étudier leurs effets sur les configurations d’acteurs et sur les différents espaces dans lesquels celles-ci se déploient. Notre démarche implique donc de concevoir les OI comme des institutions ouvertes, insérées dans des chaînes d’interdépendances, plus que comme des bureaucraties principalement centrées sur des fonctions de coordination entre les différents intérêts de leurs États membres.
9 Le niveau d’analyse privilégié ici est mésosociologique, centré donc sur l’analyse des relations entre organisations, entre acteurs collectifs. L’enquête empirique sur laquelle s’appuie cette étude comprend le dépouillement d’archives de l’OMS [10], l’analyse des débats au Congrès américain [11] et des comptes rendus des débats des organes de gouvernance de l’OMS [12], la conduite d’entretiens et la réalisation d’observations lors de deux terrains de recherche en 2010-2011 et 2016-2017 à Genève, à l’OMS, notamment lors de l’Assemblée mondiale de la santé et du Conseil exécutif, et lors de réunions et de rencontres de la société civile.
10 Nous présenterons tout d’abord l’OMS à partir de quatre caractéristiques donnant lieu à des processus de politisation et de dépolitisation, et ce afin de mieux faire comprendre le fonctionnement général de l’organisation. Ensuite, nous analyserons la manière dont s’est effectuée la construction du débat sur la commercialisation des substituts du lait maternel : largement hors de l’arène des OI dans un premier temps, puis au sein de l’OMS où elle a été « rapatriée » pour aboutir à l’adoption d’un code en 1981 et engendrer de nouvelles configurations d’acteurs. Celles-ci ont eu des effets structurants au sein de l’organisation et ont conduit à la fois à une dépolitisation institutionnelle des enjeux de l’alimentation pour nourrissons après 1981 et à une politisation continue par l’intermédiaire de la société civile. Enfin, nous décrirons les « effets d’entraînement » (élargissement sectoriel et permanence) de la politisation, qui s’étendent à la question de la démocratisation de l’OMS et de son ouverture aux acteurs non étatiques.
Modes généraux de politisation et de dépolitisation à l’OMS
11 L’OMS a pour but d’« amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » [13]. Sa Constitution stipule qu’elle agit en tant « qu’autorité directrice et coordonnatrice, dans le domaine de la santé, des travaux ayant un caractère international » [14]. Elle mène principalement des actions dans cinq domaines qui nécessitent le déploiement de compétences techniques : la surveillance des épidémies, la standardisation internationale (élaboration de normes, statistiques et nomenclatures), le soutien aux gouvernements dans le maintien et le renforcement des services de santé nationaux, la formation de personnel, la promotion et la coordination de la recherche. Ce mandat explicitement technique et normatif conduit souvent à présenter l’OMS comme une OI mettant en œuvre des mesures sanitaires dépolitisées, se concentrant sur des actions techniques et consensuelles et contournant les éventuels antagonismes politiques par l’intermédiaire de la promotion de normes techniques scientifiquement justifiées. Néanmoins, comme toute organisation internationale, l’OMS est soumise à des logiques de politisation, et ce d’autant plus que la santé est un domaine sensible au regard de la souveraineté de l’État. Toute intervention sanitaire implique en effet une action sur sa population ; la surveillance et le contrôle des épidémies nécessitent un accès à son territoire et à ses frontières ; et la fourniture de services de santé à la population est pour lui un moyen de légitimation.
12 Ces logiques de politisation et de dépolitisation se déploient de manière privilégiée à l’OMS en raison de quatre caractéristiques de fonctionnement de l’organisation : l’usage important de l’expertise, un système de gouvernance intergouvernemental caractérisé par le consensus et le poids des États membres face au Secrétariat de l’organisation, le recours aux principes du nouveau management public et la pluralité des intérêts dont l’OMS fait l’objet, notamment de la part d’acteurs non étatiques.
13 Le recours important de l’organisation à l’expertise scientifique découle de son mandat : pour que des normes sanitaires soient élaborées, acceptées et mises en œuvre, il est nécessaire de construire un consensus scientifique en ayant recours à des experts (médecins, biologistes, épidémiologistes, statisticiens...), qui se constituent en groupes pour chaque question sanitaire (grippe, droits de propriété intellectuelle...). Si cette pratique peut faire surgir des débats entre experts et si les résultats de l’expertise peuvent être contestés, la manière dont l’OMS organise ces groupes favorise une certaine confidentialité des questions sanitaires, non seulement parce que les « coûts d’entrée » dans la discussion sont élevés (disposer de l’expertise et être reconnu comme expert), mais aussi parce que la liste des experts n’est pas nécessairement rendue publique.
14 L’OMS est une organisation internationale intergouvernementale dont les décisions sont prises à l’Assemblée mondiale de la santé [15] et lors du Conseil exécutif par les États membres [16]. Ceux-ci ont donc un poids important au sein de l’organisation, mais cette importance varie selon leur contribution au budget de l’OMS (les États-Unis sont le premier contributeur). Dès la création de l’organisation en 1948, les États membres s’opposent sur le choix du modèle médical qui doit orienter l’action de l’organisation. Parce qu’ils l’associent à l’idéologie communiste et voient en elle une manœuvre de l’URSS pour promouvoir son modèle politique, les États-Unis tiennent pour irrecevable l’approche en termes de médecine sociale. Celle-ci reconnaît les causes sociales et économiques des maladies, le rôle crucial des inégalités et de la pauvreté, et insiste sur la nécessité de s’intéresser, entre autres, aux systèmes de sécurité sociale, à la santé environnementale et à la santé au travail. Les États-Unis, eux, privilégient plutôt une approche biomédicale, centrée sur le contrôle des maladies, le rôle normatif de l’organisation et l’utilisation intensive de traitements, comme la pulvérisation de DDT pour lutter contre le paludisme, qui constitue par ailleurs un moyen rapide et efficace de « gagner les cœurs et les esprits » des populations et ainsi de les éloigner de la tentation communiste. Dans un premier temps, c’est la méthode américaine qui l’emporte, tandis que l’URSS et les pays du bloc de l’Est quittent l’organisation entre 1949 et 1957. De grands programmes de contrôle ou d’éradication des maladies sont mis en œuvre, marqués par une approche technique et verticale de l’action sanitaire internationale (les décisions prises au niveau international se répercutent jusqu’au niveau local selon un mode opératoire standardisé et reposent sur un recours quasi exclusif à la technologie – vaccins, pesticides – et aux experts médicaux). Les étapes marquantes de cette période sont la campagne internationale contre la tuberculose (1947-1951), le programme mondial d’éradication du paludisme (1955-1970) et le programme d’éradication de la variole (1967-1980) [17].
15 Néanmoins, les décisions prises par l’Assemblée ou le Conseil exécutif le sont la plupart du temps par consensus, c’est-à-dire par évacuation des conflits et des débats susceptibles de refléter des clivages ou des désaccords politiques. La conséquence en est que l’organisation privilégie l’adoption de mécanismes de régulation souples, peu contraignants, par exemple sous la forme de codes de conduite ou de « principes directeurs » qui diffusent des « bonnes pratiques ». L’OMS n’a ainsi adopté que deux conventions internationales que les États se doivent véritablement de respecter : le règlement sanitaire international et la Convention-cadre anti-tabac.
16 L’action de l’OMS, comme celle de nombreuses organisations bureaucratiques nationales et internationales, est marquée par une utilisation croissante d’outils relevant du nouveau management public, qui favorise le développement d’une culture de l’audit et d’indicateurs statistiques permettant d’évaluer son efficience. Cette transformation profonde dans la manière d’appréhender les problèmes de santé se manifeste très clairement à partir du mandat du docteur Gro Harlem Brundtland, élue au poste de Directeur général de l’OMS en 1998 avec pour tâche de revitaliser une organisation alors en crise (diminution du budget, perte de la gestion de l’épidémie du VIH/Sida au profit de l’ONUSIDA, entre autres). Ancienne Première ministre norvégienne et ancienne présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Gro Harlem Brundtland adopte une stratégie de sortie de crise en ayant recours à des mesures techniques qui permettent d’éviter tout débat autour des questions sanitaires. Elle estime en effet que l’OMS ne retrouvera son autorité qu’en fournissant des preuves factuelles (evidence-based) de l’efficacité de son action. Elle crée alors une nouvelle unité au sein de l’OMS, le « Groupe Bases factuelles et information à l’appui des politiques » qui utilise un indicateur, le DALY (Disability-Adjusted Life Year) ou AVCI (Année de vie corrigée du facteur invalidité) [18], pour évaluer la performance des différents systèmes de santé et établir des priorités dans les interventions sanitaires en fonction d’un rapport coût-efficacité [19]. C’est un indicateur composite, qui implique des choix de valeurs : il faut par exemple quantifier la valeur de la vie à différents âges, évaluer la productivité économique et sociale. Cette stratégie de dépolitisation échoue : le DALY-AVCI est vivement critiqué par différentes ONG et chercheurs pour le biais économique qu’il introduit dans la mesure de la santé des populations.
17 Enfin, l’OMS se caractérise par la pluralité des intérêts dont elle fait l’objet de la part non seulement des États, mais aussi d’acteurs non étatiques, comme les ONG, les fondations privées et les entreprises, en particulier pharmaceutiques et agro-alimentaires. Les standards adoptés par l’organisation pouvant se traduire pour les entreprises en gains ou en pertes de chiffre d’affaires, le risque de conflits d’intérêts par rapport au rôle normatif de l’organisation est élevé. Pour autant, l’OMS ne peut ignorer les acteurs non étatiques avec lesquels elle coopère, de manière souvent informelle, dans des domaines variés (assistance, recherche, diffusion de connaissances, développement de pratiques, élaboration et soutien aux services de santé nationaux, etc.). Jusqu’à l’adoption en 2000 de principes directeurs régulant les relations avec les entreprises, puis en 2016 d’un cadre d’engagement de l’OMS avec les acteurs non étatiques, seule la coopération avec les ONG était officiellement reconnue par l’organisation. La politisation des questions sanitaires, leur mise en débat provoquant des clivages, voire des conflits, entre acteurs dépendent donc également des types d’intérêts en jeu. Les questions qui mobilisent les intérêts des industriels peuvent susciter des réactions de la part d’acteurs de la société civile qui cherchent à rendre visibles ces intérêts particuliers en publicisant ou en suscitant des débats de nature politique (par exemple sur des questions de justice sociale ou d’intérêt général). Ce faisant, le débat peut être amené à se déplacer hors de l’enceinte des OI.
18 C’est ce qui se produit dans le cas de l’alimentation pour nourrissons. À la fin des années 1960, des études sont publiées qui établissent un lien entre la mort de nourrissons et leur alimentation avec du lait en bouteille dans les pays du Tiers Monde. Dans un premier temps, l’OMS évite toute mise en débat publique. La politisation de la question s’effectue alors hors de l’enceinte des organisations internationales, où différents acteurs se mobilisent pour constituer l’alimentation pour nourrissons en problème public.
Mise en débat de la commercialisation des substituts du lait maternel hors de l’arène de l’OMS
19 La question de l’alimentation des nourrissons est traitée au départ par l’OMS comme une question scientifique qui mobilise médecins et personnels de santé publique au sein du « Protein Advisory Group » (ci-après PAG), groupe de travail placé sous les auspices de l’OMS, de la FAO (Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture) et de l’UNICEF. Elle commence à attirer l’attention hors de l’enceinte du PAG après la publication dans le Bulletin de l’OMS en 1973 d’une étude menée en 1969-1970 au Chili en milieu rural. Celle-ci note un risque de mortalité trois fois supérieur chez les enfants ayant été nourris à l’aide de substituts du lait maternel avant l’âge de trois mois (par rapport à ceux ayant été nourris exclusivement au sein jusqu’à cet âge) [20]. L’OMS s’engage alors dans la recherche d’un consensus scientifique qui se forme rapidement : les substituts du lait maternel ne sont pas dangereux en soi, mais, s’ils sont utilisés dans de mauvaises conditions – par exemple avec de l’eau non potable – ou trop dilués afin d’économiser un produit qui coûte cher et que les familles pauvres ne peuvent continuer à acheter, ils peuvent mettre en danger la vie des nourrissons. Les entreprises produisant ou distribuant ces produits ne remettent pas en cause ce constat, en revanche, elles nient que leurs pratiques de commercialisation en soient responsables de quelque façon que ce soit.
20 Pour résoudre le problème de cette dangerosité, l’OMS compte donc sur un processus d’élaboration d’un consensus scientifique par l’intermédiaire d’un recours à l’expertise. Sur cette base, et conformément à son mandat et à ses modes d’action privilégiés, elle encourage les États à adopter des mesures de régulation. Cependant, les entreprises continuent d’affirmer qu’elles ne sont responsables ni de l’augmentation de l’usage des substituts du lait maternel (qu’elles attribuent à l’urbanisation, à l’industrialisation et au travail des femmes) ni de leur mauvaise utilisation (qui serait due à l’illettrisme ou à la pauvreté). Les régulations n’évoluent donc pas, et la stratégie de confinement (qui se caractérise par le cantonnement à un domaine technique, le recours à des arguments scientifiques et la mobilisation d’experts) pour résoudre le problème échoue.
21 Le débat se déplace alors sur un autre terrain. De nombreux groupes issus de la société civile s’engagent dans la collecte de données et la publication d’études montrant que les entreprises du secteur lancent des campagnes de publicité agressives dans les pays en développement et utilisent des méthodes de promotion non éthiques ou illégales, par exemple en employant des infirmières pour promouvoir leurs produits, en distribuant des échantillons gratuits dans les hôpitaux et les maternités, voire en corrompant médecins et personnel soignant afin de conquérir de nouveaux marchés. Dans les pays du Sud, la compétition fait rage en effet depuis que le marché des pays développés est saturé, et dès les années 1960, les pratiques commerciales deviennent de plus en plus agressives. En août 1973, le mensuel The New Internationalist dénonce le rôle joué par les producteurs et les distributeurs de substituts du lait maternel [21], mais c’est la publication en 1974 d’un rapport de Mike Müller de l’ONG britannique War on Want qui permet de diffuser largement ces accusations [22]. Ce texte intitulé « The Baby Killer » est traduit en allemand par l’ONG suisse Action pour le Tiers Monde sous le titre « Nestlé tue les bébés » (Nestlé tötet babys). La plainte pour diffamation que dépose alors la multinationale suisse contribue largement à médiatiser l’affaire [23]. Aux États-Unis, la mobilisation est menée par une coalition d’organisations chrétiennes, l’Inter-Faith Center on Corporate Responsibility (ICCR), qui lance en 1977 un boycottage de Nestlé : le groupe suisse est déjà ciblé en Europe, il est le principal producteur pour les pays du Sud (40 % du marché), c’est une entreprise étrangère, peu connue aux États-Unis, contre laquelle il est donc plus facile de mobiliser la société américaine, et ses produits sont aisément reconnaissables (Nestea, Nescafé, etc.). Le boycottage s’internationalise à partir de 1979.
22 Dans un premier temps, des organisations de la société civile adoptent donc une stratégie de publicisation des techniques de marketing des entreprises, afin de révéler les effets nocifs des intérêts commerciaux de celles-ci et de transformer la question de l’alimentation des nourrissons en un problème politique d’intérêt général. Pour ce faire, elles ont recours à différentes techniques – médiatisation, publicisation d’expertise, mobilisation par boycottage – qui jouent sur différents registres : moral (les pratiques de marketing reposent sur le mensonge alors qu’il s’agit d’aider des populations pauvres, de « faire le bien »), religieux (l’allaitement maternel est meilleur que le lait artificiel) et émotionnel (protéger la vie des nourrissons des pays en développement). Le rôle des ONG est déterminant pour médiatiser un débat scientifique, puis le transformer en controverse politique et en scandale international. Elles parviennent ainsi à requalifier le débat.
23 Dans un second temps, elles poursuivent leur stratégie de publicisation en mobilisant des représentants politiques, afin de légitimer leur action et de parvenir à une régulation des pratiques de commercialisation. L’obtention d’une audition devant le Sénat des États-Unis en mai 1978, après un lobbying intensif, constitue une première étape cruciale. Les parties sont invitées à présenter leurs arguments devant un comité présidé par l’influent et médiatique sénateur Edward Kennedy, qui devra déterminer si des mesures de réglementation supplémentaires sont nécessaires. Les audiences sont le lieu d’une confrontation directe entre les représentants de l’industrie et les ONG. Le but de l’audition est de déterminer si les mesures prises de leur propre chef par les entreprises vont assez loin (puisqu’elles ont reconnu que, mal utilisés, les substituts du lait maternel pouvaient être dangereux) ou si une réglementation supplémentaire est nécessaire [24].
24 Les entreprises tentent de dépolitiser la question en ayant recours à des arguments scientifiques (les substituts du lait maternel sont mal utilisés à cause de l’urbanisation massive et incontrôlée, de l’analphabétisme des populations rurales) et en soulignant les bonnes pratiques qu’elles ont mises en œuvre (réalisation d’audits, suppression des techniques de marketing les plus choquantes comme les vendeurs déguisés en personnel médical). Les comptes rendus des débats montrent cependant qu’elles ont sous-estimé l’importance de cette procédure de confrontation et sont moins bien préparées que les ONG [25]. Elles n’ont par exemple aucune donnée chiffrée à opposer aux études menées par les ONG et les organisations internationales et se contentent de nier leur responsabilité en termes généraux. Elles sont en outre divisées et incapables de présenter un front uni, ce qui rend l’hypothèse d’une autorégulation du secteur peu crédible [26]. Leur stratégie de dépolitisation par le recours à des arguments de nature pragmatique se soldant par un échec, elles tentent de déplacer le débat au sein d’une autre arène, et soumettent au sénateur Kennedy l’idée que le secteur soit régulé par une organisation internationale. Les OI sont donc perçues ici comme des acteurs susceptibles de résoudre le conflit qui s’est cristallisé entre organisations de la société civile et entreprises.
(Dé)politisation dans les OI : adoption du code OMS/UNICEF et nouvelles configurations d’acteurs
25 Ce recours aux organisations internationales présente l’avantage de pouvoir envisager une solution qui s’applique à toutes les entreprises, alors que jusqu’à présent ce sont surtout les entreprises américaines et Nestlé qui ont été visées par les campagnes de dénonciation. Les producteurs et distributeurs de formule infantile cherchent en tout cas à se retrancher derrière la légitimité dont jouissent l’OMS et l’UNICEF pour ne pas avoir à répondre aux demandes immédiates des ONG [27]. Ils espèrent également pouvoir se servir de la fonction de « légitimation collective » des organisations internationales [28]. Sans doute les entreprises pensent-elles être à même d’user de leur pouvoir de lobbying pour influencer le résultat des négociations. Elles disposent pour ce faire de ressources non négligeables, comme le recrutement au poste de secrétaire général de l’ICIFI (l’International Council of Infant Food Industries, une association d’entreprises) en août 1980 du docteur Stanislas Flache, ancien sous-directeur général de l’OMS et ancien conseiller médical en chef auprès de l’UNICEF [29].
26 Pourtant, les négociations qui se déroulent à partir d’octobre 1979 à Genève voient se rejouer les conflits préexistants. Ayant obtenu le « dépaysement » de la question, les entreprises choisissent de s’engager dans une stratégie de politisation par le conflit et la contestation. Les divisions entre elles s’accentuent (l’ICIFI, Abbott et Bristol-Myers ont chacune leur propre représentant) et leur opposition avec les ONG est virulente (les entreprises contestant en particulier la présence de ces dernières aux négociations). Chaque partie évoque une ambiance de travail difficile [30], et la distribution d’un contre-argumentaire au projet de l’OMS ainsi que la tenue d’une conférence de presse par l’ICIFI la veille de la réunion contribuent à tendre encore davantage les relations [31].
27 Face à l’absence d’accord, l’OMS et l’UNICEF se voient confier la tâche d’élaborer un code qui sera soumis à l’approbation des États membres. Les entreprises déploient de grands efforts pour aboutir à un code faible et non contraignant. Elles promeuvent par exemple l’idée d’élaborer deux codes, un pour les pays développés et un pour les pays en développement, ce qui nuirait à la portée universelle de l’OMS. Elles contestent également en coulisses l’autorité de l’organisation en matière de marketing, essayant de faire en sorte qu’elle soit dessaisie et que la question soit débattue au sein de forums commerciaux.
28 Cette stratégie de contestation passe surtout par l’intermédiaire de l’administration américaine. Les producteurs et les distributeurs de substituts du lait maternel prétendent en effet que le code nie leurs droits de « liberté d’expression » et de « liberté de la presse », en les empêchant de mener à bien leurs pratiques de marketing, et qu’il constitue un précédent pour tenter de réguler davantage les multinationales américaines. Ils obtiennent pour cela le soutien de l’association Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA), qui dispose d’importants moyens de lobbying, et de l’association Grocery Manufacturers of America (GMA), qui réunit les producteurs de produits alimentaires et de boissons [32].
29 Les tensions entre l’administration américaine et le Secrétariat de l’OMS sont perceptibles dès mai 1980, lorsque l’Assemblée mondiale de la santé donne officiellement au Secrétariat l’autorité ad hoc à l’établissement d’un code. Les États-Unis expriment leurs réticences et les renouvellent avec force lors d’une réunion du Conseil exécutif de l’OMS en janvier 1981, au cours de laquelle ils obtiennent que le code élaboré n’ait que la force d’une recommandation (selon l’art. 23 de la Constitution de l’OMS), moins contraignante qu’un règlement (défini aux art. 21 et 22, et qui avait la préférence du Secrétariat de l’OMS).
30 Le premier projet prévoyait que l’OMS et l’UNICEF aient la responsabilité principale de l’application et de l’interprétation du code grâce à un « bureau central » situé dans l’une des deux organisations, qui aurait collecté et analysé les données fournies par les entreprises [33]. Cette mesure est supprimée en raison de l’opposition des États-Unis, mais aussi de la Suisse, de l’Allemagne et du Danemark. Dans la version finale, la responsabilité principale de la mise en œuvre du code repose sur les États et aucun mécanisme de surveillance n’est prévu (ni, a fortiori, aucun mécanisme de sanction).
31 Malgré cela, les États-Unis votent contre son adoption à l’Assemblée mondiale de la santé de mai 1981. Leur vote est le seul négatif. Il est difficile d’évaluer la part du lobbying des entreprises dans ce refus final. Les caractéristiques idéologiques de l’Administration Reagan (au pouvoir depuis le 20 janvier 1981), qui voit là « trop d’intervention gouvernementale déguisée en coordination de politique internationale » [34], jouent certainement un rôle crucial. Néanmoins, l’action des entreprises a pour effet de rendre inaudibles les voix des groupes aux États-Unis qui, comme la communauté de santé publique, sont en faveur du code [35].
32 Les entreprises mènent donc différentes stratégies de politisation : par la référence à des principes idéologiques (liberté d’expression, de la presse, opposition à la régulation), par la publicisation de leurs intérêts auprès des États membres de l’OMS (lobbying), par l’opposition conflictuelle aux ONG et au Secrétariat (distribution de contre-argumentaires, contestation de la présence et de la légitimité des ONG). L’objectif principal est de mobiliser les États membres, et notamment le premier contributeur au budget de l’OMS, les États-Unis.
33 De leur côté, les ONG reprennent des stratégies de politisation déjà déployées hors de l’enceinte des OI (publicisation, référence à des principes idéologiques de type moral, religieux, éthique), mais elles ne réussissent pas à obtenir un relais aussi important de la part des États membres et, lors de la phase d’élaboration du code, tentent surtout de faire en sorte que le Secrétariat de l’OMS réussisse à imposer son autorité de régulateur en s’appuyant sur sa légitimité scientifique et sur l’autorité normative que lui confère son mandat. Néanmoins, le Secrétariat de l’OMS ne réussit ni à mettre en place une stratégie de politisation qui lui permette d’échapper au contrôle politique de ses États membres les plus puissants, ni à mener à bien sa tentative tardive de dépolitisation de la question par l’intermédiaire d’une stratégie pragmatique de report sur un code faible, non contraignant, de type promotion de « bonnes pratiques » susceptible de faire consensus.
34 Ces jeux politiques mobilisant des stratégies de politisation et, dans une moindre mesure, de dépolitisation aboutissent à une reconfiguration des relations entre acteurs. L’opposition conflictuelle entre les organisations de la société civile et les entreprises pharmaceutiques et agro-alimentaires s’est cristallisée au départ hors de l’organisation internationale et se retrouve ensuite importée et répliquée en son sein. Elle contribue non seulement à structurer les relations entre acteurs (notamment via une fonction de surveillance endossée par certaines ONG et l’adoption de principes directeurs pour réguler les relations avec les acteurs non étatiques), mais aussi à faire émerger de nouvelles thématiques au sein de l’OMS, comme « l’influence indue » du secteur privé et les conflits d’intérêts.
Les effets d’entraînement de la politisation : débats autour de l’ouverture des OI aux acteurs non étatiques
35 Après l’adoption du code en 1981, on observe une double dynamique : la dépolitisation institutionnelle des enjeux de l’alimentation pour nourrissons au sein des OI et la permanence de la politisation de la question par la mobilisation continue d’organisations de la société civile, qui s’étend également à d’autres domaines d’action sanitaire.
36 La mise en œuvre du code repose sur un système tripartite : les États, principaux responsables de son application, doivent transmettre chaque année des données attestant qu’il est bien respecté ; les entreprises doivent s’assurer que leurs pratiques de marketing sont en conformité avec lui ; les ONG et les professionnels de santé doivent alerter industries et gouvernements lorsque des manquements sont observés. La surveillance du respect du code est dans la pratique assurée par une coalition d’ONG, l’International Baby Food Action Network (IBFAN), formée après la réunion OMS/UNICEF d’octobre 1979, mais celle-ci est contrainte par le peu de ressources dont elle dispose, et ses résultats sont systématiquement jugés partiaux par les entreprises. Néanmoins, cette surveillance maintient une certaine politisation de la question, à travers la mise en œuvre de stratégies de publicisation et le recours à des principes idéologiques. L’IBFAN dénonce en particulier les conflits d’intérêts qui peuvent exister entre l’OMS et l’industrie agro-alimentaire et pharmaceutique, émet des demandes pour plus de transparence, et davantage de régulation et d’encadrement du rôle du secteur privé [36].
37 L’IBFAN surveille également l’application du code au sein de la Commission du Codex Alimentarius (ci-après Codex), un programme mixte fondé en 1963 sous la double autorité de la FAO et de l’OMS afin d’élaborer les standards de sécurité alimentaire. Ceux-ci servent de référence dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis sa création en 1994. Il s’agit de s’assurer que le Code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel soit incorporé dans les normes établies par le Codex. Celui-ci fonctionne par le « recours à une analyse scientifique rationnelle » et est organisé en de multiples comités subsidiaires qui peuvent solliciter des comités d’experts dont la coordination est assurée par l’OMS et la FAO [37]. Ces comités, qui sont généralement hébergés par un État membre, préparent les normes qui seront ensuite adoptées par tous les États lors de la Commission du Codex (par exemple, le Comité du Codex sur l’étiquetage des denrées alimentaires est hébergé par le Canada). Antoine Debure montre ainsi qu’au sein du Codex et des comités d’experts un important travail procédural à visée avant tout rhétorique est réalisé (analyse des risques, auto-évaluation…) afin de « réaffirmer par les procédures l’indépendance de la science » [38]. Ainsi, le cadre institutionnel de discussion des enjeux de l’alimentation pour nourrissons reste centré sur des dynamiques de dépolitisation par le confinement, le recours à des normes techniques et à l’expertise.
38 Dans ce contexte, l’IBFAN se fixe pour objectif « de rendre publique l’étendue de l’influence et de la présence des industriels dans les réunions du Codex, de critiquer les biais institutionnels évidents (…) et d’empêcher que le Codex ne soit exploité par les industries de l’agro-alimentaire pour maximiser leurs profits » [39]. En effet, si le Codex est une organisation intergouvernementale, les acteurs non étatiques peuvent obtenir un statut d’observateur qui leur permet d’intervenir et de présenter leur point de vue à tout moment et assez librement (même si cela dépend de l’appréciation du président du comité), sans compter qu’ils peuvent être présents dans les délégations gouvernementales [40]. L’IBFAN note par exemple que, lors d’une réunion du Comité du Codex sur la nutrition et les aliments diététiques ou de régime à Bali en 2014, sur les 299 participants, 125 (41 %) représentent des intérêts industriels contre seulement 7 appartenant à des ONG [41]. D’une manière générale, les travaux de chercheurs travaillant sur le Codex ont montré que, parmi les acteurs non étatiques, les entreprises sont surreprésentées [42].
39 Outre la persistance d’un jeu stratégique de dépolitisation institutionnelle par l’expertise de la part des OI et de politisation permanente par la publicisation de la part des ONG, on peut mettre en évidence des « effets d’entraînement » (spillover effects) de la politisation. Ceux-ci vont au-delà de la simple extension du processus à une autre arène intergouvernementale, le Codex. D’après nos observations et les entretiens que nous avons conduits, l’« affaire des substituts du lait maternel » s’est révélée fondatrice pour tous les acteurs impliqués et constitue indéniablement une référence dès qu’il s’agit pour l’OMS d’établir des relations avec le secteur privé (Nestlé est longtemps resté persona non grata auprès de l’organisation). C’est la première fois que des entreprises ont été confrontées à un mouvement social mondial de grande ampleur qui a débouché sur une régulation formelle, même si non directement contraignante. Pour les organisations de la société civile, cette expérience de requalification d’une question scientifique en un problème social et politique, qui a donné lieu à une mobilisation transnationale et à la création d’une coalition permanente, a été très formatrice. Elle les a amenées à développer une certaine expertise sur la question des conflits d’intérêts au sein des OI, par exemple en participant à la coalition d’ONG (conflict of interests coalition) qui a appelé les Nations unies à établir des procédures pour sauvegarder leur intégrité [43]. Au demeurant, les organisations de la société civile ne se limitent pas à la question des substituts du lait maternel, elles portent également leur attention sur d’autres domaines sanitaires, comme la lutte contre l’obésité [44], ou institutionnels, comme la gouvernance générale de l’OMS, notamment à l’occasion de sa réforme en 2016 concernant l’encadrement de ses relations avec les acteurs non étatiques.
40 L’IBFAN est une des coalitions d’ONG les plus actives au sein de l’OMS et ses représentants sont bien connus dans les couloirs de l’organisation [45]. Ayant le statut d’ONG en relations officielles avec l’OMS, elle s’exprime par l’intermédiaire de déclarations (statements) lors des réunions des organes de gouvernance de l’organisation et effectue du lobbying auprès des représentants gouvernementaux. L’« affaire des substituts du lait maternel » est par ailleurs un facteur de politisation individuelle important pour certaines personnes de la société civile, notamment du fait des rapports conflictuels avec les entreprises [46]. D’autres organisations de la société civile sont également très impliquées, par exemple les coalitions d’ONG People’s Health Movement (PHM) et Medicus Mundi International (MMI). Elles font de nombreuses déclarations lors de l’Assemblée mondiale de la santé et du Conseil exécutif de l’OMS, organisent des conférences de presse, assistent régulièrement aux réunions de l’organisation et assurent la coordination avec d’autres ONG [47]. Chaque année, PHM se charge de la « surveillance » (watch) des débats des organes de gouvernance de l’OMS.
41 Depuis 2011, ces ONG se mobilisent en particulier sur les questions de conflits d’intérêts et d’influence indue du secteur privé à l’OMS. Trois éléments en particulier ont contribué à une focalisation sur ces sujets dans les années 2010. Tout d’abord, la gestion par l’OMS de l’épidémie de grippe H1N1 en 2009 : après que l’organisation eut lâché le mot de « pandémie », en juin 2009, les États ont acheté des millions de doses de vaccins qui se sont finalement révélées inutiles, le virus étant peu virulent. L’indépendance de l’organisation et ses liens avec des entreprises pharmaceutiques ont été questionnés. Un rapport établi par un panel d’experts indépendants et rendu public en mai 2011 a écarté les soupçons de collusion en l’absence de preuve directe, mais a critiqué l’action de l’organisation, en particulier en ce qui concerne la gestion des conflits d’intérêts, l’OMS ayant décidé de garder secrète l’identité des 16 membres du comité d’urgence réuni pour conseiller le directeur général sur la prétendue pandémie [48]. Ensuite, en décembre 2009, il a été révélé que la Fédération internationale des industries du médicament avait commenté un rapport confidentiel du comité d’experts de l’OMS sur le financement de la recherche et du développement, et que le rapport de synthèse qu’en avait tiré le Conseil exécutif de l’OMS en janvier 2010 avait été épuré des propositions emblématiques de modification des droits de propriété intellectuelle ou de taxe sur les bénéfices de l’industrie pharmaceutique [49]. Enfin, comme d’autres organisations internationales, l’OMS fait davantage appel au secteur privé à but lucratif depuis la fin des années 1990, avec un engagement au sein de partenariats public-privé sanitaires internationaux et un recours accru aux financements privés (la fondation Bill et Melinda Gates est désormais le 2e contributeur financier de l’OMS (18 % du budget) derrière les États-Unis). Ces trois domaines (vaccins, droits de propriété intellectuelle/accès aux médicaments, financement de l’OMS) sont fortement politisés au sein de l’organisation, notamment du fait de stratégies de conflictualisation (opposition aux intérêts industriels, critiques de l’organisation), de publicisation (dénonciation par communiqués de presse, déclarations) et de recours à des principes idéologiques (protection de l’indépendance de l’organisation, de la santé publique, de l’intérêt général, du droit à la santé). Ces évolutions ont conduit l’OMS à s’engager dans un processus de réforme, et notamment à élaborer un « Cadre de collaboration avec les acteurs non étatiques », plus connu sous le nom de FENSA, abréviation de Framework of Engagement with Non-State Actors. Adopté par la 69e Assemblée mondiale de la santé en mai 2016 après un an et demi de négociations intergouvernementales, ce cadre doit permettre à l’OMS de développer ses relations avec les ONG, les entreprises, les fondations philanthropiques et les établissements académiques, tout en préservant son caractère intergouvernemental ainsi que son indépendance et son intégrité. Le texte final est très critiqué – MMI et PHM appellent l’OMS à exclure le secteur privé de tout travail normatif ; l’IBFAN dénonce particulièrement l’absence d’une définition pertinente et de mécanismes de protection contre les conflits d’intérêts [50]. Certaines ONG se sont mobilisées tout au long de la négociation, et en particulier dans sa phase finale, pour que leur vision soit prise en compte (diffusion d’une déclaration commune signée par 60 ONG, d’une lettre aux négociateurs, etc.) [51]. Elles ont ainsi contribué à la politisation explicite de la question des relations avec les acteurs non étatiques, en tentant de la faire sortir d’un cadre règlementaire (puisque ce « cadre », FENSA, est une directive technique, un règlement de l’organisation, qui indique les bonnes pratiques à adopter) et du confinement à des négociations intergouvernementales se déroulant à huis clos.
42 Ces effets d’entraînement de la politisation, de la question des substituts du lait maternel à celle des conflits d’intérêts et de l’influence du secteur marchand, sont concomitants des demandes de démocratisation qui s’expriment plus largement à l’échelle transnationale et des débats sur l’ouverture des organisations internationales aux acteurs non étatiques – société civile et secteur privé à but lucratif. Les différentes stratégies de conflictualisation, de publicisation et de recours à des principes idéologiques menées par certaines organisations de la société civile ont pour objectif de réaffirmer les divergences d’intérêts entre les acteurs impliqués au sein de l’OMS et de préserver un « espace du désaccord », au sein duquel les questions sanitaires sont débattues.
43 L’opérationnalisation de ces deux « notions glissantes » que sont la politisation et la dépolitisation peut se révéler féconde pour rendre compte du fonctionnement d’une organisation internationale spécialisée comme l’OMS et de ses évolutions, en particulier dans sa relation avec les acteurs non étatiques. À cet égard, la focalisation sur le cas du Code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel nous a permis de mettre en évidence la différenciation des stratégies et techniques de (dé) politisation et de rendre compte de leurs effets sur les configurations d’acteurs et les différents espaces dans lesquels celles-ci se déploient. Par l’intensité des stratégies de politisation qu’elle a suscitées, cette « affaire » des substituts du lait maternel a été un moment structurant qui a donné naissance à des effets d’entraînement de la politisation (élargissement sectoriel et continuité). Les trois principales stratégies de politisation identifiées ici – provoquer le conflit, rechercher la publicisation et avoir recours à des principes idéologiques – ne sont pas strictement indépendantes les unes des autres, elles peuvent se recouvrir en partie (par exemple lorsque la publicisation a pour but de susciter une conflictualisation des relations), et les effets produits peuvent diverger de la finalité escomptée (par exemple lorsque la stratégie de conflictualisation par attaque judiciaire de Nestlé – qui porte plainte pour diffamation contre une ONG – finit par avoir des effets de publicisation du fait de son retentissement médiatique). De plus, elles ne sont pas utilisées de manière uniforme par les différents acteurs qui ne les mettent pas forcément en œuvre à l’aide des mêmes techniques. Ainsi, la recherche du conflit et la publicisation relèvent surtout du registre des ONG et des entreprises, tandis que les principes idéologiques sont mobilisés de manière plus uniforme à la fois par les ONG, les entreprises et le Secrétariat de l’OMS.
44 Les trois stratégies de dépolitisation qui y répondent – promouvoir le consensus, rechercher le confinement et prôner une approche pragmatique – font, elles aussi, l’objet d’un usage différencié. Le Secrétariat de l’OMS est le seul acteur à véritablement utiliser ces trois stratégies de manière récurrente. Les entreprises se contentent du confinement et d’une approche pragmatique. Les ONG, elles, privilégient le recours très ponctuel à des arguments de type pragmatique (expertise scientifique et technique dans le cadre des auditions devant le Sénat des États-Unis), mais la finalité politique de cette stratégie de dépolitisation est explicitement revendiquée.
45 Selon les techniques employées, ces stratégies se déploient de manière privilégiée dans différentes arènes : celle, mondiale, de la mobilisation transnationale, symbolisée par le boycottage de Nestlé ; celle des États-Unis, où la mobilisation de la société civile emmenée par de puissantes ONG religieuses, permet de saisir le Sénat ; enfin celle, genevoise, de l’OMS.
46 Il s’ensuit une reconfiguration des relations entre les acteurs. Les stratégies de politisation en particulier mettent en évidence la pluralité des intérêts et leurs oppositions. Elles créent ainsi des clivages qui persistent et s’étendent. Ces effets d’entraînement se caractérisent d’abord par un élargissement à toutes les institutions s’occupant de la question du lait maternel (comme le Codex), puis à d’autres questions sanitaires et aux questions de gouvernance institutionnelle dès lors que des intérêts commerciaux sont en jeu.
47 Nous avons proposé une catégorisation en termes de stratégies et de techniques à des fins heuristiques. Cependant, cette typologie n’épuise pas la diversité des formes de (dé) politisation et ne doit pas conduire à réifier des dynamiques fluides. Dans tous les cas, l’investissement de l’OMS par les acteurs non étatiques invite à poursuivre la réflexion sur les conditions de création et de préservation d’un « espace du désaccord » au sein des organisations internationales, critère nécessaire à leur démocratisation et à leur légitimité. ■
Notes
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[1]
Conjointement avec l’UNICEF, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, dont le siège est à New York. Toutefois, cette organisation ayant joué dans ce cas un rôle secondaire, nous nous concentrons ici sur l’action de l’OMS.
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[2]
Les termes de substituts du lait maternel, formule infantile, lait artificiel et lait en bouteille sont utilisés dans cet article comme synonymes. Nous employons également parfois le terme d’« alimentation pour nourrisson » de manière métonymique, car il est plus englobant et peut comprendre des préparations solides.
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[3]
Quatre entreprises se partagent plus des deux tiers des ventes mondiales de ce marché oligopolistique : Nestlé, Abbott Laboratories, Bristol-Myers, American Home Product.
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[4]
Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « Indicateurs et vecteurs de la politisation des individus : les vertus heuristiques du croisement des regards », Critique internationale, 50, 2011, p. 9 ; Franck Petiteville, « La politisation résiliente des organisations internationales », Critique internationale, 76, 2017, p. 9-19 ; F. Petiteville, « Les organisations internationales dépolitisent-elles les relations internationales ? », Gouvernement et action publique, 5 (3), 2016, p. 113-129.
-
[5]
Chantal Mouffe, The Return of the Political, Londres/New York, Verso, 1993, en particulier p. 119 ; C. Mouffe, « La “fin du politique” et le défi du populisme de droite », Revue du MAUSS, 20, 2002, p. 178-194.
-
[6]
Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2001, p. 242 ; Jacques Lagroye, « Les processus de politisation », dans J. Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, p. 362-363.
-
[7]
Andrew Barry, « The Anti-political Economy », Economy and Society, 31 (2), 2002, p. 270-271.
-
[8]
Ibid., p. 270.
-
[9]
Le consensus vise à gommer les conflits en faisant disparaître les différences d’intérêt, le compromis, lui, résulte d’un processus politique de négociation qui n’efface pas ces différences.
-
[10]
Dossiers B13-288-2 J.1-22 (chemises 1 à 22) intitulés « Preparation of an International Code of Marketing of Infant Formula and Other Products used as Breast Milk Substitutes ».
-
[11]
United States Senate, « Hearing on Examination of the Advertising, Marketing, Promotion, and Use of Infant Formula in Developing Nations », 95e Congrès, 2e Session, 23 mai 1978 (ci-après Auditions devant le Sénat des États-Unis, mai 1978) ; House of Representative, « Hearing on Implementation of the WHO Code on Infant Marketing Practices », 97e Congrès, 1ère Session, 16 et 17 juin 1981 (ci-après Auditions devant la Chambre des Représentants des États-Unis, juin 1981).
-
[12]
En particulier EB67/1981/REC/2, EB EB67/SR/24, WHA33/1980/REC1, WHA34/1981/REC/3
-
[13]
Constitution de l’OMS, chap. I et préambule.
-
[14]
Constitution de l’OMS, chap. II, art. 2, point (a).
-
[15]
Chaque année en mai, l’Assemblée mondiale de la santé, qui est composée des délégations des États, se réunit pour approuver le programme général de travail de l’OMS, les activités du conseil d’administration et le budget annuel.
-
[16]
Le Conseil exécutif, composé de membres individuels élus par l’Assemblée (de 18 en 1948 ils sont passés à 34 en 2007), se réunit deux fois par an, en janvier et en mai, et se charge de préparer l’Assemblée, d’en appliquer les décisions, de vérifier le budget, le programme de travail, etc.
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[17]
Auriane Guilbaud, Le paludisme. La lutte mondiale contre un parasite résistant, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 39-46.
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[18]
Introduit en 1993 par la Banque mondiale, cet indicateur est utilisé pour calculer la charge de morbidité : il permet de mesurer l’écart existant entre la situation sanitaire actuelle et une situation idéale où tout le monde atteindrait la vieillesse sans maladie ni invalidité. Une AVCI est en quelque sorte la perte d’une année de vie en bonne santé.
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[19]
A. Guilbaud, Business Partners. Firmes privées et gouvernance mondiale de la santé, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p. 95-96.
-
[20]
S. J. Plank, M. L. Milanesi, « Infant Feeding and Infant Mortality in Rural Chile », Bulletin of The World Health Organization, 48 (2), 1973, p. 203-210.
-
[21]
« The Baby Food Tragedy », The New Internationalist, 6, août 1973, p. 8-12, 23.
-
[22]
Mike Müller, The Baby Killer. A War on Want Investigation into the Promotion and Sale of Powdered Baby Milks in the Third World, Londres, War on Want, mars 1974.
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[23]
Action pour le Tiers Monde est condamnée pour diffamation dans le titre de l’ouvrage. Le juge note « qu’il n’y a pas intention de tuer » et insiste sur la nécessité pour Nestlé de revoir ses pratiques de marketing afin d’éviter de se retrouver mis en accusation. S. Prakash Sethi, Multinational Corporations and the Impact of Public Advocacy on Corporate Strategy : Nestlé and the Infant Formula Controversy, Boston, Kluwer Academic, 1994, p. 55.
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[24]
Auditions devant le Sénat des États-Unis, cité, p. 4.
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[25]
Ibid.
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[26]
En effet, les groupes pharmaceutiques n’ont pas la même manière de promouvoir leurs produits que les groupes de l’industrie agro-alimentaire ; les entreprises fortement implantées dans les pays en développement s’opposent à celles qui le sont dans les pays du Nord ; quant aux entreprises américaines, elles sont en forte concurrence avec celles qui, comme Nestlé, cherchent à s’implanter sur le marché américain.
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[27]
Voir le courrier de l’ICCR adressé à l’OMS, le 14 novembre 1978 dans Archives OMS, Dossier B13/87/3 J.1, et la lettre de l’INFACT à l’OMS, 4 décembre 1979, B13/288/2 J.1.
-
[28]
Inis Claude, « Collective Legitimization as a Political Function of the United Nations », International Organization, 20 (3), 1966, p. 367-379.
-
[29]
EB67/1981/REC/2, Document EB67/NGO/3 : Demande d’admission aux relations officielles avec l’OMS présentée par une ONG (l’ICIFI), p. 8.
-
[30]
Edward Baer, Leah Marguiles, « Infant and Young Child Feeding : An Analysis of the WHO/UNICEF Meeting », Studies in Family Planning, 11 (2), février 1980, p. 72-75. Voir également Archives OMS, B13/288/2 J.1.
-
[31]
S. Prakash Sethi Multinational Corporations and the Impact of Public Advocacy on Corporate Strategy : Nestlé and the Infant Formula Controversy, op. cit., p. 173.
-
[32]
Archives OMS, B13/288/2 J.12.
-
[33]
Archives OMS, B13/288/2 J.1, B13/288/2 J.2.
-
[34]
Robert O. Keohane, Joseph Nye, « Two Cheers for Multilateralism », Foreign Policy, 60, automne 1985, p. 149.
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[35]
Comme en témoignent les lettres conservées aux archives de l’OMS, nombreux sont les Américains travaillant avec l’organisation qui écrivent pour s’excuser de la position de leur gouvernement. Le « AID Deputy Assistant for Administration » Stephen C. Joseph démissionne de son poste pour protester contre le vote négatif des États-Unis, et le Congrès, désapprouvant la position de l’Administration, adopte en juin 1981 une résolution pour soutenir le code. Archives OMS, B13/288/2 J.12.
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[36]
Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, 23-28 mai 2016. Voir également IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014 (http://ibfan.org/codex/IBFAN_Codex_Alimentarius_Working_Group_Report_2014.pdf) (consulté le 7 février 2017).
-
[37]
Antoine Debure, « Crédibiliser pour expertiser : le Codex Alimentarius et les comités d’experts FAO-OMS dans la production réglementaire internationale de sécurité sanitaire des aliments », thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2012, p. 15.
-
[38]
Ibid., p. 62.
-
[39]
IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014, cité, p. 2.
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[40]
Entretien avec un membre d’une ONG ayant participé aux travaux du Codex, Genève, 21 janvier 2017.
-
[41]
IBFAN Codex Alimentarius Working Group Report, 2014, cité, p. 3.
-
[42]
A. Debure avance ainsi que 90 % des acteurs non étatiques représentent des intérêts commerciaux (industries, producteurs) et 10 % les intérêts des consommateurs. A. Debure, « Crédibiliser pour expertiser : le Codex Alimentarius et les comités d’experts FAO-OMS dans la production réglementaire internationale de sécurité sanitaire des aliments », cité, p. 73.
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[43]
http://coicoalition.blogspot.fr (consulté le 8 février 2017).
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[44]
Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, cité.
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[45]
Ibid. et Carnet de terrain – Observations réalisées à Genève lors du Conseil exécutif de l’OMS, 30-31 mai 2016.
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[46]
Ibid. et Carnet de terrain - Observations réalisées à Genève lors des rencontres de la société civile, 21-22 mai 2016 ; 21 janvier 2017.
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[47]
Ibid.
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[48]
A. Guilbaud, « OMS et laboratoires pharmaceutiques entre interdépendance et soupçons de collusion », dans Bertrand Badie, Dominique Vidal (dir.), L’État du monde 2013, Paris, La Découverte, 2012, p. 168-174.
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[49]
Ibid.
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[50]
Carnet de terrain - Observations réalisées lors de la 69e Assemblée mondiale de la santé, cité. Les textes des déclarations des ONG sont également disponibles sur le site internet de l’OMS.
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[51]
Ibid.