Notes
-
[1]
Evan Gottesman, Cambodia after the Khmer Rouge : Inside the Politics of Nation Building, Chiang Mai, Silkworm Books, 2004 ; Caroline Hugues, Kheang Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, København, Danemark, Nordic Institute of Asian Studies, 2011 ; David Chandler, A History of Cambodia, Chiang Mai, Silskworm Books, 2008, 4e édition.
-
[2]
De moins de 4 millions au sortir de la tragédie des Khmers rouges en 1979, la population cambodgienne est passée à 10 millions en 1990 et 14,1 millions en 2013. Je remercie Dr. Hang Chuon Naron, aujourd’hui ministre de l’Éducation, pour les données qui suivent et plus encore pour son aide dans l’organisation de mes différentes missions dans son pays. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, Phnom Penh, 2013.
-
[3]
Entre 1995 et 2010, la part de l’agriculture dans le PIB est passée de 45 % à 30 %, celle de l’industrie de 15 % à 30 %. Fortement exportatrice de riz (blanc) et de caoutchouc, l’agriculture occupe toujours près de 70 % de la main-d’œuvre. L’industrie est dominée par le secteur de l’habillement, exportateur vers les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que par le secteur minier émergent grâce à la découverte de mines d’or à Kratie. Le tourisme est en croissance rapide.
-
[4]
Au début de la décennie 2000, 22 % des enfants de la classe d’âge correspondante avaient achevé l’école secondaire et 5 % l’université, UNESCO Institute for Statistics 2012.
-
[5]
Sur la période 1994-2011, la Chine est de loin le premier investisseur avec 8,849 milliards de dollars. Elle est suivie par la Corée du Sud (4,040), l’UE (3,641), la Malaisie (2,614), le Vietnam (1,200), les États Unis (1,282), Taïwan (839), la Thaïlande (746), Singapour (648), Hong Kong (641) et le Japon, loin derrière avec 154 millions. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, op. cit..
-
[6]
À la différence du Vietnam et de la Thaïlande, le Cambodge ne possède que très peu d’entreprises d’État et donc peu de leviers propres pour assurer son développement par lui-même, ce qui contribue à le forcer à s’ouvrir encore davantage aux échanges extérieurs. Hal Hill, Jayant Menon, « Cambodia : Rapid Growth with Weak Institutions », Asian Economic Policy Review, 8, 2013, p. 46-65.
-
[7]
Naoko Amakawa (ed.), Industrialization in Late Developing ASEAN Countries : Cambodia, Laos, Myanmar and Vietnam, Singapour, NUS Press, 2010.
-
[8]
Dans la décennie 2000, le PIB cambodgien a souvent dépassé les 10 % (avec des pics à 12 % en 1999, 13,3 % en 2005). La crise de 2008 a interrompu cette dynamique en frappant notamment le secteur de l’habillement qui représente 70 % des exportations. En 2009, la croissance s’est affaissée à 0,1 % mais s’est redressée depuis, pour atteindre en 2011 6,1 %. Le revenu par tête est passé de 229 dollars en 1993, à 830 en 2000 et 984 en 2012. La pauvreté, dans l’intervalle, a diminué de moitié : en 2010, elle touchait 25 % de la population (qui vit avec moins d’1 dollar par jour).
-
[9]
Max Weber, La domination (traduction française), Paris, La Découverte, 2014, p. 156.
-
[10]
J. Menon, « Narrowing the Development Divide in ASEAN : The Role of Policy », ADB Working Paper Series on Regional Economic Integration, Asian Development Bank, 100, juillet 2012.
-
[11]
Données tirées de l’entretien avec le vice-gouverneur de la province de Siem Reap dans le bureau du gouverneur, 20 février 2013.
-
[12]
H. Hill, J. Menon, « Cambodia : Rapid Growth with Weak Institutions », art. cité, p. 48-50.
-
[13]
Depuis 2002, Pékin a offert 2,1 milliards de dollars d’aides et de prêts pour le développement de l’agriculture ainsi que pour la construction de 2 000km de routes et de ponts. La Chine soutient actuellement 19 projets, pour un coût de 1,1 milliard de dollars. Son commerce avec le Cambodge s’élévait à 2,72 milliards en 2011. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, op. cit.. À ces aides s’ajoutent celles accordées à la police nationale pour son équipement en armes et à l’armée pour son équipement en hélicoptères. Khatarya Um, « Cambodia, the Winds of Change », Southeast Asian Affairs, 2014, p. 112 (http://muse.jhu.edu/ journals/southeast_asian_affairs/toc/saa.2014.html).
-
[14]
Dans ce secteur, l’intégralité des travaux lui ont été délégués : de la construction des barrages et de leur entretien à la vente de l’électricité, et ce sur une période qui excède souvent trente ans.
-
[15]
Sophal Ear, « Growth in the Rice and Garment Sectors », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 70-93.
-
[16]
David Craig, Pak Kimchoeun, « Party Financing of Local InvestmentProjects : Elite and Mass Patronage », dans ibid., p. 219-244.
-
[17]
Sur l’évolution du régime des concessions depuis 1991 et surtout depuis 1999 ainsi que sur l’accroissement des inégalités qui en résulte entre riches et pauvres, voir C. Hughes, « Tackling the Legacies of Violence and Conflicts : Liberal Institutions and Contentions Politics in Cambodia and East Timor », dans Richard Robison (ed.), Routledge Handbook of Southeast Asian Politics, Londres, Routledge, 2012, p. 263-287.
-
[18]
Simon Springer, « Illegal Evictions ? Overwriting Possession and Orality with Law’s Violence in Cambodia », Journal of Agrarian Change, 13 (4), 2013, p. 520-546.
-
[19]
Sobunthoeun So, « The Politics and Practice of Land : Registration at the Grassroots », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 136-160.
-
[20]
C. Hughes, « Tackling the Legacies of Violence and Conflicts : Liberal Institutions and Contentions Politics in Cambodia and East Timor », art. cité.
-
[21]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 104.
-
[22]
Hun Sen a trois fils : Hun Manet, 35 ans, qui a étudié à Westpoint aux États Unis, est général 2 étoiles, en charge notamment de la garde personnelle de son père ; Hun Manith ; et Hun Many, député au Parlement depuis 2013.
-
[23]
Ibid., p. 102.
-
[24]
Un rapport du Bureau international du travail en date du 20 juin 2012 fait état pour cette année-là d’un accroissement des manifestations ouvrières qui a occasionné une perte de 542 000 journées de travail (139 000 en 2011), Cambodia Daily, 4 janvier 2013.
-
[25]
Margaret Slocomb mentionne la surexploitation des travailleurs dans le secteur du caoutchouc où les conflits sont nombreux, les accords collectifs absents et les assassinats fréquents. Dans ce secteur, les salaires sont très bas (un rapport de 2001 les fixe à 35-40 dollars/mois + 44 kg de riz) et les travailleurs doivent consacrer 50 % de leur salaire pour se nourrir ; les journées de travail sont de 10 heures et les outils très peu évolués. Margaret Slocomb, « The Privatisation of Cambodia’s Rubber Industry », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 94-109.
-
[26]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 103.
-
[27]
Le 22 juillet 2014, des représentants des deux partis (CPP et NCRP) se sont entendus pour mettre fin au blocage de la vie parlementaire qui avait été initié en réponse aux falsifications des élections législatives du 28 juillet 2013. D’importantes concessions ont été accordées aux opposants qui ont notamment obtenu la présidence de 5 commissions parlementaires sur 10. Cambodia Daily, 23 juillet 2014. Les textes de loi modifiant le code électoral, le règlement de l’Assemblée et la Constitution étant adoptés, les 55 députés du NCRP ont prêté serment devant le roi le 5 août 2014, mettant un point final à la crise politique qui avait duré dix mois.
-
[28]
Selon un responsable national rencontré en février 2014, la formation professionnelle est ainsi entièrement privatisée, l’État ayant refusé d’accéder à la demande de la GMAC de financer une partie de cet effort.
-
[29]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 107.
-
[30]
Selon un syndicaliste rencontré en 2012 à Phnom Penh, 12 heures travaillées par jour ne seraient pas une exception.
-
[31]
Entretien avec le chef de la confédération de l’habillement à Phnom Penh, février 2013.
-
[32]
Tous deux sont secondés par un ministre chargé des missions spéciales et d’un secrétaire d’État aux finances.
-
[33]
La Région du Grand Mékong, le GMS, est une structure mise en place par l’ADB en 1992 qui réunit outre les cinq pays riverains du Mékong – le Laos, le Myanmar, le Vietnam, la Thaïlande, le Cambodge – la province chinoise du Yunnan et la région autonome du Gangxi.
-
[34]
Ce travail s’appuie sur plusieurs missions que nous avons conduites de 2011 à 2014 auprès de différentes zones économiques dans le bassin du Mékong, notamment au Laos et au Cambodge. Elles ont eu lieu pour les deux premières années dans le cadre du Master of Public Affairs de Sciences Po (www.coesionet.com ainsi que François Bafoil, « Capitalisme politique et développement dépendant en Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 13, 1er semestre, printemps 2013). Les deux dernières missions, en 2013 et 2014, ont été financées par le CERI. Au Cambodge, nous avons visité la zone de Sihanoukville une fois, celle de Bavet deux fois, et celle de Phnom Penh trois fois. À chaque fois, des entretiens ont été conduits au sein des zones et à l’extérieur dans les districts des zones. À l’intérieur des zones, nous avons interviewé le développeur, les personnels en charge de l’OSS, ceux des secteurs du marché du travail et des inspections sanitaires. Plusieurs visites d’entreprises ont eu lieu avec, pour chacune d’entre elles, des entretiens avec les directeurs, puis des chefs d’ateliers. Hors des zones, les entretiens ont été de deux types : au niveau central, avec plusieurs représentants du Conseil pour le développement du Cambodge ; dans chaque région, avec les représentants des marchés du travail locaux.
-
[35]
Masami Ishida, « Effectiveness and Challenges of the Three Economic Corridors of the Greater Mekong Sub-region », Institute of Developing Economies, Discussion Paper 35, 2005 (http://www.ide-jetro.jp/ English/Publish/Download/Dp/pdf/035.pdf) ; ADB, « Special Economic Zones and Competitiveness », PRM Policy Note Series Review Committee, Manila, Asian Development Bank, 2007 ; Mya Than, « Economic Co-operation in the Greater Mekong Sub-region », Asian-Pacific Economic Literature, 11 (2), 1997, p. 40-57.
-
[36]
Sauf dans le cas de Bavet, où chaque jour des camions d’origine vietnamienne transportent les produits réalisés dans la zone au port de Ho-Chi Minh Ville, distant de moins de 100 km.
-
[37]
Nos remarques rejoignent celles d’autres observateurs comme Nyiri Pal, « Chinese Investors : Labour Discipline and Developmental Cosmopolitanism », Development and Change, 44 (6), 2013, p. 1387-1405.
-
[38]
Minibea emploie 53 721 personnes dans le monde, réparties dans 32 pays (dont 2 844 au Japon). Elle produit des petites pièces électroniques pour le secteur automobile (en plus des airbags) ou pour celui de la communication (appareil téléphonique cellulaire, caméra, télévision). Au Cambodge, la firme assure l’assemblage de pièces produites en Thaïlande et pour lesquelles la Chine fournit l’assistance technique.
-
[39]
Thein Swe, Paul Chambers, Cashing in Across the Golden Triangle : Thailand’s Northern Border Trade with China, Laos and Myanmar, Chiang Mai, Mekong Press, 2011 ; Pal Nyiri, « Enclaves of Improvement : Sovereignty and Developmentalism in the Special Zones of the China - Lao Borderlands », Comparative Studies in Society and History, 53 (3), 2012 ; Danièle Tan, « Du communisme au néolibéralisme : le rôle des réseaux chinois dans la transformation de l’État au Laos », thèse de doctorat en sciences politiques, IEP Paris, 2011 ; François Bafoil, « Capitalisme politique et développement dépendant en Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 13, 1er semestre, printemps 2013.
-
[40]
T. Swe, P. Chambers, Cashing in Across the Golden Triangle : Thailand’s Northern Border Trade with China, Laos and Myanmar, op. cit., p. 39.
-
[41]
Devant son refus de reconnaître toute responsabilité personnelle et sous la pression nationale et internationale, la cour de Phnom Penh l’a condamné en deuxième instance à 18 mois de prison avec incarcération immédiate et à verser 9 500 dollars aux trois victimes. Cambodian Daily, 26 juin 2013.
-
[42]
Situation observée durant la dernière mission au mois de février 2014.
-
[43]
Cette vision du développement reprend peu ou prou l’approche en termes de « flying geese » popularisée par les économistes nippons, Akamatsu puis Kojima, selon laquelle le développement du Sud-Est asiatique procèderait par étapes : tout d’abord, celle des importations et de l’accumulation ; puis celle de l’accroissement des qualifications et de la production endogène ; enfin, celle des exportations. De façon concomitante, les produits se complexifient, intégrant toujours davantage de composantes et permettant d’établir des liaisons intersectorielles fécondes. Kiyoshi Kojima, « The “Fleeing Geese” Model of Asian Economic Development : Origin, Theoretical Extensions, and Regional Policy Implications », Journal of Asian Economics, 11, 2001, p. 375-401.
-
[44]
Le même discours est tenu par des investisseurs érangers au Vietnam qui considèrent que si le salaire minimum dans ce pays est encore attractif c’est parce qu’il est moitié moindre qu’en Chine. Les augmentations de 46 % en quatre ans sont en revanche de nature à les inciter à se déplacer vers le Bangladesh. Kaxton Siu, Anita Chan, « Strike Waves in Vietnam, 2006-2011 », Journal of Contemporary Asia, 1-21, 2014.
-
[45]
Entretien au ministère de l’Éducation, février 2014.
-
[46]
Entretien avec le secrétaire d’État du Commerce, février 2014.
-
[47]
ADB, « The Greater Mekong Sub-region Overview », Manila, Asian Development Bank, 2010.
-
[48]
Ruth Banomyong, « Benchmarking Economic Corridors Logistics Performance : A GMS Border Crossing Observation », World Customs Journal, 1, mars 2010, p. 29-38.
-
[49]
Mark Beeson, Regionalism and Globalization in East Asia : Politics, Security and Economic Development, New York (NY), Palgrave Macmillan, 2007.
-
[50]
Nathalie Fau Kontapane (ed.), Christian Taillard, Transnational Dynamics in Southeast Asia, the Greater Mekong Sub-region and Malacca Straits Economic Corridors, Singapour, ISEAS Publishing, 2014.
-
[51]
John Paolo Rivera, Beatrice Regina S. Lagdameo, « Establishing the ASEAN Economic Community through Investment Integration », Asia Pacific Social Sciences Review, 13 (1), 2013, p. 30-40 ; N. Pal, « Chinese Investors : Labour Discipline and Developmental Cosmopolitanism », art. cité ; Xaysomphet Norasingh, « Foreign Direct Investment and Knowledge Transfer », Asian Journal of Technology Innovation, 22, 2013, p. 139-156 ; Truong Thi Chi Binh, Nguyen Manh Linh, « Supplier System and Knowledge Transfer within the Production Networks of Electronics MNCs in Vietnam », Asian Journal of Technology Innovation, 21, 2013, p. 119-138.
-
[52]
Richard Stubbs, « What Ever Happened to the East Asian Developmental State ? The Unfolding Debate », The Pacific Review, 1, mars 2009, p. 1-22.
-
[53]
Selon Meredith Woo-Cumings, il s’agit d’un idéal type wébérien qui ne renvoie ni au socialisme ni au marché libre, « mais à quelque chose de différent : l’État développementaliste rationnel par la planification qui combine la propriété privée avec la direction d’État ». Meredith Woo-Cumings, « Introduction », dans Meredith Woo-Cumings, The Developmental State, Ithaca, Cornell University Press, 1999, p. 3. Pour Joseph Wong, il s’agit d’autant d’« anomalies de l’après-guerre » qui défient les clivages entre socialisme et capitalisme, entre dépendance et développement. De la sorte, ils s’offrent comme le dépassement des échecs du soviétisme comme des États faibles d’Afrique ou dépendants d’Amérique latine. Joseph Wong, « The Adapative Developmental State in East Asia », Journal of East Asian Studies, 4, 1984, p. 349.
-
[54]
C’est cette dimension que met en avant Chalmers Johnson dans son ouvrage fondateur, lorsqu’il insiste sur la capacité de la bureaucratie à exercer la haute main sur la planification, les finances, l’énergie, le commerce international, et plus largement sur tout ce qui, dans une économie de marché, est exécuté par les agents privés. Chalmers Johnson, MITI and the Japanese Miracle : The Growth of Industrial Policy 1925-1975, Stanford, Standford University Press, 1982.
-
[55]
Les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie et la Thaïlande. Sur cette distinction, voir Michael Borrus, Dieter Ernst, Stephan Haggard, International Production Networks in Asia : Rivalry or Riches ?, Londres, Routledge, 2000 ; S. Haggard, « Business, Politics and Policy in Northeast and Southeast Asia », dans Andrew MacIntyre (ed.), Business and Government in Industrializing Asia, New York (N. Y.), Cornell University Press, 1994, chap. 10, p. 268-301.
-
[56]
On entend par ces termes de Nouveaux Etats Industrialisés, Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud et, de manière décalée dans le temps, Singapour. Sur le modèle japonais et son application à la Corée, voir Bruce Cumings, Korea’s Place in the Sun : A Modern History, New York, W. W. Norton, 2005, notamment le chapitre « Developmental Colonialism », p. 162-174.
-
[57]
Richard F. Doner, Bryan K. Ritchie, Dan Slater, « Systemic Vulnerability and the Origins of Developmental States : Northeast and Southeast Asia in Comparative Perspective », International Organization, 59, printemps 2005, p. 327-361.
-
[58]
Kanishka Jayasuriya, Law, Capitalism and Power in Asia : The Rule of Law and Legal Institutions, Londres, Routledge, 1999 ; Frank B. Tipton, « Southeast Asian Capitalism : History, Institutions, States, and Firms », Asia Pacific Journal of Management, 26, 2009, p. 401-434.
-
[59]
Paul Hutchcroft, Booty Capitalism : The Politics of Banking in the Philippines, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[60]
Joe Studwell, Asian Godfathers : Money and Power in Hong Kong and Southeast Asia, New York, Grove Press, 2008.
-
[61]
Le terme de « capitalisme de remplacement » a cherché à approfondir le caractère peu régulé d’une économie marquée par une vaste dépendance aux capitaux étrangers et une incapacité profonde à innover. Kunio Yoshihara, The Rise of Ersatz Capitalism in South-East Asia, Oxford, Oxford University Press, 1988.
-
[62]
Marie-Claire Bergère, Chine. Le nouveau capitalisme d’État, Paris, Fayard, 2012.
-
[63]
Richard F. Doner, « Approaches to the Politics of Economic Growth in Southeast Asia », The Journal of Asian Studies, 50 (4), 1991, p. 818-849.
1 parmi tous les facteurs susceptibles d’expliquer le « retard » économique du Cambodge, il convient de placer au premier rang l’état de guerre qui a dominé dans le pays à partir des années 1960 et jusqu’au début des années 1990. Cette période de destruction a atteint son paroxysme sous le régime des Khmers rouges de 1975 à 1979 [1], et l’occupation vietnamienne qui lui a succédé de 1979 à 1990 n’a guère contribué à relever le pays. Le redémarrage n’a donc vraiment commencé qu’au milieu des années 1990, et la très grande fragilité [2] qui le caractérise se traduit aujourd’hui, notamment, par l’hypertrophie du secteur agricole et la faiblesse du secteur industriel [3], par la présence d’une importante main-d’œuvre peu qualifiée, voire très peu [4], ainsi que par une pénurie d’investissements étrangers (IDE) [5]. De fait, au lieu d’établir leur stratégie de reconstruction sur la base d’une politique protectionniste fondée sur les taxes aux importations et sur l’activité des enteprises d’État, comme avaient pu le faire leurs prédécesseurs en Asie du Sud-Est [6], les autorités cambodgiennes se sont trouvées d’emblée confrontées à la nécessité d’intégrer l’économie du pays dans un ensemble régional très largement ouvert aux échanges commerciaux [7]. C’est cette obligation d’intégration régionale qui explique que le gouvernement ait donné la priorité aux entreprises d’assemblage des secteurs industriels intensifs en main-d’œuvre : l’habillement, la chaussure, les jouets, les matériaux électroniques, les équipements électriques ou les cables automobiles.
2 Les zones économiques spéciales représentent le principal support de cette stratégie de développement. L’analyse de leur fonctionnement permet de comprendre en quoi le capitalisme cambodgien est un capitalisme prébendier. Deux principes structurent en effet l’organisation de ces zones : la centralisation, reflet de la domination autoritaire que le Premier ministre Hun Sen, entouré de son clan, exerce sur l’ensemble des secteurs et sur la classe ouvrière, et la territorialisation, qui reproduit, au niveau local, cette forme de domination autoritaire en induisant des politiques économiques de libéralisation et des politiques sociales de dérégulation, supposées être les seules à même d’attirer les IDE. Or, s’il semble aujourd’hui assurer la croissance économique attendue [8], le paradoxe que constitue l’extrême libéralisation d’une économie par ailleurs maintenue sous la domination d’un régime autoritaire pose la question de la nature et de la permanence du développement induit, partant de la cohésion des mesures mises en place. Cette question paraît d’autant plus pertinente que les points de croissance relevés au niveau des zones semblent ne se traduire par aucun développement à l’extérieur des firmes qui pourrait témoigner d’une stratégie d’accumulation à même d’assurer le caractère durable des investissements.
3 Dans l’œuvre de Max Weber, la définition de l’économie prébendière s’inscrit dans une réflexion plus générale sur la domination patrimoniale qui caractérise une autorité souvent marquée, au-delà de son ancrage dans la tradition, par l’arbitraire et la règle unipersonnelle. Elle renvoie à la capacité du chef à attribuer des terres, parfois concédées à vie, ou des postes, qui sont autant de « droits perpétuels à occuper une charge » [9], contre paiements ou services rendus à sa propre personne et à ceux de son clan. En découle la notion d’interdépendance étroite entre le chef et ses affidés soumis aux mêmes intérêts de conservation. À cette définition des sources de l’autorité – les liens entre l’État et la société – vient s’ajouter la description des moyens de sa légitimation, à savoir les discours et les honneurs qui lui sont adressés.
4 Ce qui rend le cas du Cambodge intéressant, c’est que cette forme de domination prébendière n’est pas associée à une économie close, comme le suppose l’approche wébérienne, mais au contraire à une économie qui passe pour l’une des plus ouvertes de l’Asie du Sud-Est [10]. En cela, cette forme de domination se révèle particulièrement bien adaptée aux attentes des investisseurs étrangers mais aussi des institutions bancaires, ces dernières jouant un rôle central dans la structuration du bassin du Mékong en favorisant le développement de nouvelles voies de transport qui permettent la rapidité des transactions. En retour, dans la mesure où elle crée des tensions politiques et sociales considérables, la volatilité des investissements qui voient le jour au Cambodge ne peut qu’inciter les autorités à renforcer leurs liens avec les partenaires étrangers et leur emprise sur la classe ouvrière. Dès lors, la dialectique d’un pouvoir prébendier et d’une économie très libéralisée renvoie à une relation particulière entre l’État et le marché qui s’adosse à un échange de protections entre les différents acteurs domestiques et étrangers, sur fond de privatisation de la sécurité dans les zones économiques spéciales et en dehors.
Le « système Hun Sen », un pouvoir prébendier
Les recettes, les fonds, les dons
5 La maîtrise des fonds financiers par Hun Sen passe d’abord par la centralisation des ressources à son profit. Un grand nombre d’agences (ou Autorités) en charge des activités publiques relèvent de sa seule autorité, à l’exclusion des ministères sectoriels. Dans chacune d’elles, Hun Sen occupe la fonction de responsable suprême, et son autorité s’exerce également sur les unités déconcentrées au niveau des administrations provinciales. Ainsi en est-il de l’Autorité du pétrole et du gaz ou encore de l’Agence Apsara, chargée de recueillir et de gérer les ressources en provenance des activités touristiques des temples d’Angkor. Alors qu’elle devrait être logiquement placée sous la tutelle du ministère du Tourisme, cette Agence est dirigée par le Premier ministre auquel tous ses revenus sont transférés. En 2012, les temples d’Angkor ont attiré plus de trois millions de visiteurs, dont les deux tiers étaient des étrangers. Si le droit d’entrée sur les sites est gratuit pour les Cambodgiens, les étrangers, eux, doivent payer 20 dollars pour une journée de visite, 40 dollars pour deux journées, 60 dollars pour une semaine ou plus. En moyenne, en 2012, les 2 millions de touristes étrangers ont passé deux nuits et trois jours dans la localité de Siem Reap où se trouvent les sites, et ont dépensé 40 dollars pour les visites. Les 80 millions ont été intégralement versés à Hun Sen, sans que personne ne puisse préciser l’usage qui en a été fait. On comprend dès lors pourquoi la province de Siem Reap est l’une des régions les plus pauvres du Cambodge, en dépit du patrimoine mondial qu’elle abrite. Son budget très maigre est principalement alimenté par les impôts sur la propriété individuelle. En 2012, il s’élevait à 20 266 000 000 riels (3 920 000 euros) dont 4 300 000 (830 000 euros) avaient été reversés par l’État au titre de la péréquation [11].
6 Les fonds des « donateurs » étrangers constituent une autre composante essentielle de la fortune du chef. Le Cambodge est en effet le pays le plus largement doté par ceux que l’on appelle les donors, qu’il s’agisse des organisations bancaires (Banque mondiale et Asian Development Bank-ADB) ou des pays étrangers (Japon, Nouvelle-Zélande, Australie, Union européenne, Chine). De 2002 à 2010, 95 % du budget de l’État ont été ainsi abondés par les aides internationales mais, selon plusieurs observateurs, sans aucune coordination ni vision à long terme [12]. Dans ce domaine, le fait le plus marquant de ces dernières années est la montée en puissance de la Chine. Or, contrairement à ses prédécesseurs occidentaux qui cherchent à conditionner leurs aides au respect ou à la défense des droits de l’homme, le grand voisin du Nord n’exprime aucune conditionnalité en la matière, ce qui ne peut que convenir à l’équipe de Hun Sen. De plus, la Chine n’est pas seulement le donor désormais le plus important du Cambodge, elle est également, de très loin, le plus grand investisseur [13], et ce indépendamment de son intervention dans le secteur de l’électricité [14].
7 Enfin, cette dynamique de concentration des ressources s’accompagne de la mise en place au profit du maître du Cambodge de tout un négoce de titres en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes [15], négoce dont la dimension de bienfaisance n’est pas absente puisqu’il peut prendre la forme de dons aux services publics (l’eau, l’école, la santé) [16]. Ainsi, les distinctions honorifiques qui sont attribuées en fonction des sommes versées, lesquelles peuvent aller de 500 dollars à 100 000 dollars et plus, créent autant de classes d’individus réunies autour du chef par le prestige et la reconnaissance sociale.
Le régime de la terre et le système de concession
8 Le deuxième trait marquant de la domination de Hun Sen est la mise en concession du pays [17] et l’appropriation de ses ressources naturelles – terres, forêts et minéraux – qui conduisent à l’expulsion de plusieurs milliers d’individus [18]. L’incertitude qui domine dans le régime des droits de propriété explique en partie cette situation, puisqu’il n’existe pas au Cambodge de véritable statut général de la propriété privée, mais seulement des « quasi » formes [19]. En 2003, 23 % à peine des terres disposaient de titres de propriété selon le Cambodian Socio-Economic Survey. Le reste dépend des rapports de force, en d’autres termes des relations de patronage. Selon Sobunthoeun So, quatre formes d’insécurité affectent le régime foncier : le manque d’unité du système juridique sur l’ensemble du territoire (d’où la notion de « système quasi formel ») ; les « transactions obligatoires » établies à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché ; le manque de neutralité du système juridique, enfin, la domination des patrons locaux et du système de patronage. C’est ce dernier qui domine le régime de concession propre au Cambodge [20].
9 À cela s’ajoute le caractère variable et incertain de la règle personnelle. Tout d’abord, la durée des concessions change en fonction de l’origine des textes : selon la loi foncière, elles sont accordées par bail emphytéotique de 99 ans, durée que le Code civil, adopté en 2011, a réduite à 50 ans, mais que le ministère de l’Environnement a portée à 70 ans. Ensuite, bien que la loi ait fixé la limite des concessions à 10 000 hectares, ce sont environ 47 370 hectares et 161 344 hectares qui ont été respectivement attribués aux deux grands groupes vietnamiens Hoang Anh Gia et Vietnam Rubber pour l’exploitation du caoutchouc. Selon l’ONG de défense de l’environnement Global Witness, 73 % au moins des terres arables seraient ainsi en concession, dont 1,2 million d’hectares pour l’industrie du caoutchouc [21]. Enfin, si Hun Sen est le seul à décider de l’attribution des concessions à son clan, il est également le seul à y mettre un terme, comme cela a été le cas en 2012 lorsqu’il a demandé aux ministères concernés de suspendre « temporairement » l’octroi des concessions, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il se retire de la vie politique. Dans la foulée de sa demande, des titres de propriété ont été accordés à des villageois vivant dans les forêts qui étaient propriétés de l’État, sur les concessions économiques et sur les concessions forestières. C’est Hun Manith, deuxième fils de Hun Sen et vice-secrétaire général de l’Autorité en charge du règlement des conflits fonciers, qui a été désigné pour mener à bien le projet en six mois [22].
Les relations professionnelles
10 Le contrôle étroit de la classe ouvrière est le troisième aspect de la domination de Hun Sen. Une grande faiblesse des relations professionnelles et la violence des rapports sociaux en sont les conséquences directes.
11 Selon un interlocuteur syndical, on compterait aujourd’hui plus de 600 syndicats pour les 360 000 employés du secteur industriel de l’habillement. Ils étaient 60 en 2010. Il faut être au moins 10 pour créer un syndicat et la loi n’en limite pas le nombre. Dépourvues de ressources financières autres que les cotisations (0,25 dollars par personne et par mois, d’après nos entretiens), les cellules syndicales, qu’elles soient sous la coupe des employeurs ou indépendantes, en sont réduites à n’exercer qu’une action sociale limitée. Il s’agit le plus souvent de la remise de petites sommes, à l’occasion d’un mariage, d’une naissance ou d’un enterrement. L’autre versant de leur activité est la gestion des conflits qui n’ont cessé de se multiplier en 2012 et 2013 (83 manifestations de janvier à juillet 2013 [23]) au sujet de la stagnation, voire du non-versement des salaires, de l’insuffisance des prestations en argent et en nature (nourriture) pour les femmes enceintes, du non-respect des indemnités de licenciement ou des primes de transport, de la demande de réembauche d’employés licenciés parce qu’ils avaient voulu créer un syndicat ou parce qu’ils étaient représentants syndicaux [24]. Les conditions de travail ont également fait l’objet de dénonciations fréquentes, notamment dans les firmes chinoises [25].
12 Ce qui caractérise par ailleurs le champ syndical cambodgien, c’est sa très forte politisation et le clivage qui s’ensuit entre le parti au pouvoir, le Cambodian People’s Party (CPP), auquel adhèrent les organisations créées par les employeurs, et le parti d’opposition, le National Cambodia Rescue Party (NCRP), qui regroupe également de nombreux syndicats, dont le Syndicat libre du Cambodge qui est parvenu à la fin de l’année 2013 à mobiliser 100 000 manifestants pour refuser l’imposition des heures supplémentaires et dénoncer l’insuffisance des augmentations de salaires et le résultat jugé frauduleux des élections nationales [26]. Au-delà des blocages qu’elle provoque sur la scène intérieure [27], cette polarisation politique a fini, selon un de nos interlocuteurs, par rendre impossible la nomination de représentants de l’organisation paritaire cambodgienne au sein du BIT.
13 Les employeurs, eux, sont regroupés dans l’Association des employeurs de l’habillement (Government Manufacturing Association of Cambodia, GMAC) dont le secrétaire général est un citoyen chinois de Singapour. L’habillement est le secteur industriel le plus important, soit 305 entreprises et 365 000 salariés, et 99 % des firmes viennent principalement de Taïwan, de Hong Kong, de Chine continentale, de Singapour et de Corée du Sud. Au-delà de sa participation à plusieurs commissions gouvernantales, l’activité de la GMAC consiste à négocier les salaires au sein de la commission nationale tripartite et à développer la mission de formation que l’État lui a déléguée, faute de pouvoir en assumer lui-même les coûts [28]. En l’occurrence, la GMAC cherche à recruter des jeunes gens au niveau du lycée pour des formations principalement orientée vers la gestion et le contrôle de la production. Au moment où nous écrivons ces lignes, il n’entre pas dans ses objectifs de développer des formations techniques spécialisées.
14 En juillet 2012, patronat et syndicats se sont mis d’accord sur une augmentation du salaire minimum qui ferait passer celui-ci de 62 à 73 dollars. En 2013, le salaire minimum était toujours le même, puis, en juillet de la même année, il est passé à 80 dollars, mais du fait de l’inflation, le pouvoir d’achat est revenu à ce qu’il était en 2000 [29]. À ces 80 dollars il convenait d’ajouter depuis novembre 2011 5 dollars de prime pour la santé, 3 dollars de prime de fidélité, 7 dollars pour les frais de logement et de transport de ceux qui ne peuvent utiliser les moyens mis à disposition par l’entreprise. Il s’agit en l’occurrence de camions qui, chaque matin, vont chercher les travailleurs dans les villages environnants pour commencer le travail à 7 h à l’usine, et les ramènent, chaque soir, quand s’achève la journée de travail à 16 h. En comptant les heures supplémentaires, qui sont en réalité la règle et qui portent à 10 heures la journée de travail [30], le salaire moyen oscillait entre 105 et 150 dollars, selon le chef de la confédération de l’habillement [31]. À la fin de l’année 2013, sous la pression des manifestants, le gouvernement a accepté de porter le salaire minimum à 100 dollars et indiqué qu’il atteindrait 160 dollars en 2018. Au début de l’année 2014, les ouvriers en grève ont refusé ces hausses de salaires et réclamé que le salaire minimum passe immédiatement à 160 dollars. La seule réponse du gouvernement a été la violence : lors des manifestations du 3 janvier 2014, 5 ouvriers sont morts et 25 autres ont été arrêtés et emprisonnés.
Les zones économiques spéciales
15 L’examen des zones économiques spéciales permet d’analyser la construction du marché par l’investissement étranger, qui à son tour permet de mettre en lumière, d’une part, les relations entre acteurs publics et privés, d’autre part, le rapport à la région environnante, le bassin du Mékong. En 2008 puis en 2012, 14 puis 22 zones ont été créées par le gouvernement cambodgien. Aujourd’hui, en 2014, seules quatre d’entre elles fonctionnent réellement, les autres étant toujours en attente d’un « développeur ». Celui-ci est le partenaire privé de l’acteur public au sein d’un dispositif dans lequel les échanges s’opèrent entre fonds financiers et incitations fiscales, d’une part, durée d’usage, engagements de développement, liberté intégrale d’entreprendre et donc privatisation de la sécurité, de l’autre. L’organisation du travail est du seul ressort du développeur, et sur ce point la puissance publique ne trouve rien à redire.
La domination du chef
16 Au sommet de l’organisation des zones, on trouve le Conseil pour le développement du Cambodge, avec à sa tête Hun Sen, à la fois chef suprême du Bureau des zones économiques spéciales, chef du secrétariat national de la Région du Grand Mékong (GMS), chef du Bureau des Investissements directs étrangers et chef de l’organisation de coopération et de développement qui regoupe les donors les plus importants. À lui et à lui seul revient le droit d’accorder la concession de la zone. Sous son autorité directe se trouvent trois ministres qui sont parmi les plus importants : le ministre de l’Économie et des Finances, le ministre du Commerce [32] et un ministre « spécial », attaché à la personne de Hun Sen. Tous trois ont en charge collectivement, et toujours sous l’autorité de Hun Sen, le secrétariat national du GMS [33]. On retrouve le ministre « spécial » aux postes clés de secrétaire général du Bureau des zones économiques spéciales et de secrétaire général du Bureau des Investissements directs étrangers. Quant au secrétaire général du Bureau du Conseil pour le développement du Cambodge, il dispose de deux vice-secrétaires généraux, et exerce sa tutelle sur l’Official Development Assistance (ODA), qui recueille les fonds au titre de l’Assistance.
Le partenariat public/privé : paiements, incitations et engagements
17 Qu’apportent les acteurs publics dans la corbeille du contrat ? Tout d’abord, le titre qui fait état de la cession des terres à un investisseur privé, et ce pour une durée qui peut s’étendre sur plusieurs décennies. Ensuite, des incitations fiscales sans équivalent : exemption de charges pendant neuf ans, remise de 20 % de l’impôt sur l’entreprise, exemption des taxes à l’importation des équipements et des matériaux de construction, enfin, exemption de l’impôt sur les importations de machines d’équipement servant à la construction des infrastructures du service public. Compte tenu de toutes ces remises, quel bénéfice l’État cambodgien retire-t-il de ces contrats ? Les interlocuteurs rencontrés au niveau central répondent que le plus important est d’attirer les investisseurs étrangers, car ce n’est que grâce à eux que peuvent s’opérer le transfert attendu des technologies, l’acquisition des qualifications manquantes et l’apprentissage des normes industrielles. Pourtant, à partir du moment où les droits de propriété sont cédés à des conditions aussi exorbitantes, aucun doute n’est permis sur le sort qui sera réservé au droit et à la protection sociale…
18 Un autre avantage de poids vient s’ajouter à ces incitations fiscales : l’installation sur le site d’un bureau public pour faciliter les transactions privées. Il s’agit d’une sorte de guichet unique appelé One Stop Service (OSS), qui regroupe dans un même bâtiment les représentants des différents ministères impliqués dans la production et l’exportation de biens sur la zone : le représentant du ministère du Travail, qui doit veiller au respect des normes de travail, mais dont la responsabilité est strictement limitée, dans les faits, à l’établissement des contrats formels, notamment d’embauche, et non à la résolution des conflits ; le représentant du ministère du Commerce pour l’attribution des titres d’exportation ; celui des Douanes pour le contrôle de l’origine des produits (rules of origin), et celui des autorités locales, en charge des fonctions de police et du maintien de l’ordre social.
19 Et qu’apporte en échange l’investisseur privé ? D’abord, l’achat de la concession. Pour les licences d’attribution d’une valeur supérieure à 50 millions de dollars, la décision revient au Conseil pour le développement du Cambodge, après accord du Conseil des ministres dont les membres sont tous nommés par Hun Sen. Pour les licences d’une valeur inférieure à 50 millions de dollars, c’est ce dernier qui décide seul. Les autorités provinciales n’interviennent que pour les concessions dont le montant ne dépasse pas 2 millions de dollars, soit aucune à ce jour. L’achat réalisé, il reste à l’acquéreur à attirer les investisseurs et donc à équiper la zone de ce qui lui fait défaut : en priorité, l’eau et l’électricité, qui sont au Cambodge les deux ressources les plus rares et les plus onéreuses, puis les routes et les bâtiments collectifs, notamment un port de containers (dry port). C’est seulement ensuite qu’il peut espérer attirer les investisseurs qui s’installeront pour un loyer mensuel situé entre 30 et 60 dollars le mètre2. Pour plusieurs développeurs, ces loyers devraient être établis par rapport au volume d’emploi des entreprises.
Trois cas d’étude
20 Examinons maintenant trois zones économiques spéciales qui ont fait l’objet d’enquêtes de 2011 à 2014 [34]. Comme beaucoup d’autres dans la région du Sud-Est asiatique, ces trois zones sont proches des bassins de main-d’œuvre [35] et des grands axes de transports routiers, fluviaux et aériens, puisqu’elles sont exclusivement orientées vers l’exportation. La première est située à proximité d’un port sur le Golfe de Thaïlande (Sihanoukville), la deuxième jouxte la frontière khmero-vietnamienne le long du corridor économique qui relie Bangkok à Ho-Chi Minh Ville (Bavet), la troisième, la plus importante, est à 15 km de la capitale et 8 km de l’aéroport (Phnom Penh Special Economic Zone).
Sihanoukville | Bavet | Phnom Pehn | |
Date de création | 2009 | 2005 | 2008 |
Taille (ha) | 100 | 180 | 360 |
Investisseurs en 2013/2014 | 18 en 2013 (dont 14 Chinois) | 27 en 2014 (15 en 2013) | 65 (dont 37 Japonais) |
Nationalité du développeur | Chinois | Taïwanais |
Japonais/ Cambodg iens |
Emplois créés (2011-2014) | 5 000 | 7 000 (4648 en 2012) | 4 792 |
Nombre d’emplois visés | 80 000 à 100 000 | 15 000 | 100 000 |
Investissements (en 2011, en dollars) | * | 15 millions | 138 millions |
Industries | Habillement, composants électroniques | Vélos, chaussures et vêtements de sports, habillement, sacs | Vêtements, équipement électrique, chaussures, agro-alimentaire |
L’organisation du travail
21 Les zones ont le même schéma d’aménagement de l’espace. À l’entrée, se trouvent l’OSS qui permet le contrôle des flux entrants et sortants, un port de containers [36] et un centre de formation. Compte tenu de la faible demande des entreprises installées en matière de qualification, aucun centre n’est à ce jour opérationnel dans les zones. Au-delà, dans un périmètre circonscrit notamment par les infrastructures énergétiques et les stations d’épuration et d’approvisionnement en eau, se trouvent les bâtiments industriels et les « dortoirs » (dormitories). Ceux-ci sont construits soit par l’employeur, soit par le « développeur ». Dans les chambres collectives pour six personnes, le lit se loue 10 dollars par mois environ. Une cuisine et une douche collectives sont à disposition. Plus loin encore, dans un troisième cercle, un vaste espace est destiné à accueillir des ensembles d’habitations privées. L’objectif des trois développeurs rencontrés est identique : construire une ville. La zone de la capitale et celle de Sihanoukville comptent accueillir 100 000 employés dans un proche avenir ; celle de Bavet, 50 000. Pour l’instant, les plans font mention de bâtiments à usage des cadres.
22 Les opérations réalisées dans les usines d’habillement, qui sont majoritairement présentes dans les zones, ne réclament pas de qualification particulière. Couper, assembler, boutonner, presser, laver, repasser, empaqueter sont des tâches simples qui ne nécessitent qu’un jour de formation, pas davantage. C’est le cas de l’entreprise textile, Evergreen, qui emploie 2 400 personnes, dont 2 300 ouvriers (ouvrières pour la plupart) répartis en une dizaine d’opérations de travail. Ici sont assemblées les pièces pour la confection de jeans destinés à être vendus sous la marque H & M en Chine et dans l’Union européenne, les deux marchés clients de l’entreprise. Chaque opération est réalisée sur plusieurs « lignes » de travailleurs dont certaines, comme celle de la coupe, comptent 72 personnes, assises l’une derrière l’autre. Chaque ligne a à sa tête une line leader, aidée d’un assistant en charge du contrôle des pièces. Ce sont les deux fonctions primaires d’encadrement, l’atelier étant placé sous la responsabilité d’un supervisor tandis qu’au niveau supérieur siègent le leader manager et le general manager. Aux 2 400 ouvriers cambodgiens qui travaillent dans cette usine pour un salaire mensuel de base de 62 dollars (en 2013) s’ajoutent environ 400 Chinois, expatriés pour un séjour de deux à trois ans et qui gagnent aux alentours de 400 dollars par mois. Ils ne parlent pas le khmer et sont logés sur le site de l’entreprise. Une fois par mois, un camion de l’entreprise les emmène dans le grand magasin commercial de Phnom Penh pour faire des emplettes.
23 Dans les entreprises chinoises de la zone, ce sont exclusivement des Chinois – surtout de Hong Kong, de Taïwan et de Singapour – qui occupent les postes de direction ainsi que d’encadrement et de contrôle. Ils s’adressent aux employés cambodgiens par l’intermédiaire d’interprètes ou en anglais. Au cours de nos entretiens, plusieurs interlocuteurs cambodgiens ont mentionné des frictions fréquentes entre les ouvriers et les cadres. Les premiers reprochent aux seconds d’ignorer leurs traditions culturelles khmères, ils les accusent d’avoir des comportements hostiles, voire brutaux à leur égard. Leur manière de s’exprimer et de donner des ordres notamment est vécue très négativement. De leur côté, les cadres que nous avons rencontrés critiquent le manque de discipline de leurs subdordonnés et l’insécurité qui règne aux alentours des zones. C’est ce qui explique qu’ils ne vivent pas à l’extérieur, mais à l’intérieur, dans les dormitories, où chacun bénéficie d’une chambre et d’un cabinet de toilette. Ce confinement dans les zones contribue à les isoler encore davantage du reste de la population [37]. Les ouvriers représentent en général entre 90 % et 95 % des salariés, et ce sont majoritairement des jeunes filles cambodgiennes. Ainsi, dans l’entreprise Minibea située dans la zone de Phnom Penh [38], 90 % des 3 500 salariés sont des femmes, pour la plupart non qualifiées et placées sous la responsabilité de 40 ingénieurs et techniciens, tous hommes et tous nippons. Contrairement à ce que rappellent les affiches placardées sur les murs des usines au sujet de la loi du Travail de 2007 et de l’interdiction d’employer des travailleurs mineurs, certaines de ces jeunes filles sont loin d’avoir atteint l’âge légal de 18 ans... Comme nous l’avons dit plus haut, le salaire de base mensuel était partout le même en 2013 : 62 dollars pour 8 heures de travail par jour. Il peut atteindre plus de 100 dollars avec les heures supplémentaires, que les salariés ne peuvent en réalité qu’accepter compte tenu du bas niveau de leur salaire, ce qui porte la journée de travail à 10 heures, 6 jours par semaine. L’heure supplémentaire est payée 50 % de plus, l’heure travaillée pendant des jours fériés, 100 %. Des primes au rendement par équipe peuvent par ailleurs faire espérer gagner un peu plus. Chez Evergreen, chaque jour, des objectifs de performance collective sont inscrits sur un panneau et, toutes les deux heures, la line leader note les scores. La réalisation de ces objectifs permet de gagner 1 000 riels, soit 0,25 dollars auxquels s’ajoutent les primes déjà mentionnées (santé, fidélité, transport…). Tous les responsables rencontrés se plaignent de la rareté de la main-d’œuvre et des difficultés de recrutement.
Environnement des zones, sécurité privée et violence publique
24 À l’extérieur des zones et largement en lien avec elles, on trouve tant à Sihanoukville qu’à Bavet d’imposantes bâtisses dont l’architecture copie avec insistance le modèle clinquant de Las Vegas. L’imagerie américaine est également présente à Bavet dont la zone économique spéciale s’appelle Manhattan. Ce sont des casinos, ou plutôt des tripots déguisés en établissements luxueux, tenus, dit-on, par des réseaux mafieux, comme dans d’autres pays [39], notamment au Laos. Ces casinos sont officiellement interdits dans les trois pays frontaliers du Cambodge : la Chine, le Vietnam et la Thaïlande. Leurs clients viennent presque exclusivement de ces trois pays. Ils peuvent donc être considérés comme des pôles attractifs pour les investisseurs étrangers et, plus largement, pour les populations frontalières dont le pouvoir d’achat est bien plus élevé que celui des Cambodgiens. Certains observateurs parlent d’une « Casinofication de la frontière » [40] pour souligner le caractère très dérégulé de ces politiques de zones et décrire la violence qui s’y répand proportionnellement aux trafics qui s’y développent en toute impunité, qu’il s’agisse d’armes, d’argent ou d’êtres humains, avec une prostitution qui s’étale au vu et au su de tous. De fait, l’absence de droit social posée comme une règle dans ces zones (emploi de jeunes largement en dessous de l’âge légal, interdiction de syndicats, dureté des conditions de travail) trouve son pendant dans ces lieux de jeux et de prostitution.
25 Si aucune solution juridique n’est apportée aux conflits professionnels, c’est aussi à cause du rôle très limité des représentants du ministère de Travail. À l’extérieur des zones, dans le district, les cours d’arbitrage ne fonctionnent guère. De l’aveu même du responsable du bureau du Travail de Sihanoukville, les grèves sont considérées comme illicites. Le déclenchement d’une grève ne peut avoir lieu que 3 jours après que les employeurs et les salariés ont trouvé un accord sur les modalités de la mobilisation. Par ailleurs, les institutions d’arbitrage n’ont aucune autorité en matière d’emploi : si l’emploi d’un travailleur âgé de moins de 18 ans est passible d’une sanction pouvant s’élever jusqu’à 7 millions de riels, la pénurie de main-d’œuvre est telle que l’institution publique ferme les yeux.
26 À l’intérieur des zones, nous l’avons dit, le représentant public se borne à enregistrer le recrutement de la main-d’œuvre, son rôle n’est pas de faire appliquer le droit du travail, de toute façon peu développé. En cas de conflit, il n’entre donc pas dans ses prérogatives d’opérer un contrôle sur les conditions de travail ni de se livrer à un quelconque arbitrage. Pour plusieurs des dirigeants que nous avons rencontrés en février 2014, la sécurité dans leur entreprise est une affaire privée car tout ce qui s’y passe relève de leur seule responsabilité. Les syndicats autres que patronaux sont interdits dans la zone, et contrevenir à cette interdiction est perçu comme mettant en danger la sécurité intérieure. Au dirigeant de se débrouiller pour assurer la sécurité dans son entreprise ; au représentant de la municipalité, qui est sur place dans le bâtiment de l’OSS, de se charger des affaires de police. Cette dynamique de violence liée à la dérégulation des relations professionnelles s’étend en dehors des zones. Le 20 janvier 2012, des ouvrières ont manifesté à Bavet pour réclamer des hausses de salaires. Excédé, le maire de la ville a sorti son pistolet et blessé trois d’entre elles, dont une grièvement. Il n’a même pas été arrêté, seulement déplacé, pour être finalement jugé responsable en juin 2013 [41].
Un développement dépendant
27 Le développement local est également très faible si l’on considère le manque de coordination des politiques publiques dans la zone, sauf au niveau du guichet unique dont le but est de faciliter les procédures bureaucratiques. Quant aux institutions régionales chargées de l’emploi, elles sont inexistantes. Les responsables d’usine que nous avons rencontrés affirment n’avoir aucun contact avec elles. C’est pour cette raison, expliquent-ils, qu’ils préfèrent développer leur propre stratégie de recrutement, à savoir de fréquentes visites dans les villages et une négociation directe avec les chefs des communautés. Les institutions chargées de la formation sont également très faibles. Celle-ci a été déléguée aux investisseurs privés et nous avons vu qu’elle se fait à l’embauche, dans la zone même et pendant quelques jours à peine, pas ailleurs et pas davantage. De l’avis des responsables rencontrés, les centres construits à l’entrée des zones ne deviendront opérationnels qu’une fois la demande fermement formulée par les investisseurs ; autrement dit, lorsque, n’étant plus dépendantes de l’extérieur, les autorités publiques se seront enfin décidées à investir sérieusement dans l’éducation et la formation pour assurer le développement endogène. Or deux éléments semblent contredire cette volonté : tout d’abord, la décision prise par les autorités de déléguer l’intégralité de la formation industrielle au syndicat patronal, la GMAC, qui cherche avant tout à former des gestionnaires et des contrôleurs ; ensuite, l’installation, à Phnom Penh comme à Bavet, de la direction des zones dans un nouveau bâtiment flambant neuf, alors même que celui qui est destiné à la formation demeure vide et laissé à l’abandon [42]. Ces dispositions révèlent à quel point le développement économique est dépendant. Les zones spéciales représentent des points de croissance mais nullement des pôles de développement sur le long terme, qui émergeraient à la faveur d’une politique de redistribution et d’accompagnement institutionnel.
28 Le directeur de Minibea conteste un tel raisonnement. Selon lui, l’entreprise se trouve actuellement au premier niveau du développement, celui de l’assemblage de moteurs à partir de pièces produites en dehors du pays. Se développant lentement, elle peut espérer passer à la deuxième phase, celle de la production des pièces sur place, pourvu qu’un encadrement technique fiable et performant ait vu le jour, que des systèmes de formation aient été mis en place et que les salaires demeurent bas. En effet, selon lui, le faible niveau de rémunération constitue pour le moment l’atout décisif du Cambodge par rapport à la Thaïlande, où les coûts salariaux sont trop élevés, au Laos, trop petit par la taille, ou à la Chine, jugée trop instable en matière de taux de change. Le troisième niveau sera atteint, toujours selon lui, lorsque la maison Minibea décidera d’implanter au Cambodge un centre de recherche sur les processus. Certes, il reconnaît qu’il faudra que le niveau technique ait été considérablement rehaussé, mais il affirme que la dynamique positive est déjà enclenchée : chaque matin, plus de 1 100 ouvriers de son usine participent activement aux cours d’anglais et de japonais dispensés entre 7 h et 7 h40, les codes vestimentaires nippons ont été adoptés et l’habitude de pratiquer les exercices de gymnastique tôt le matin est acquise. Selon lui, il incombe à l’acteur public d’accompagner cette dynamique en favorisant l’effort de recrutement et de formation de la main-d’œuvre. On reconnaît là le schéma du développement nippon dans le Sud-Est asiatique tel qu’il s’est déployé depuis la fin des années 1950, et auquel cet interlocuteur croit fermement [43].
29 Pourtant, les revendications de plus en plus fortes en matière de salaires et la grande faiblesse des institutions publiques ne laissent rien présager de bon quant au suivi d’un pareil schéma du développement. Le dirigeant japonais de Clean Circle à Phnom Penh avertit même que la situation d’incertitude politique permanente depuis l’année 2013 et les augmentations de salaires accordées sont de nature à inciter les investisseurs à regarder ailleurs, notamment au Bengladesh où les coûts salariaux sont moins élevés [44]. Selon un interlocuteur de rang ministériel, 80 % des chefs d’entreprise étrangers auraient signifié leur volonté de partir si les troubles se poursuivaient [45]. D’autres font remarquer que lorsque le marché économique de l’ASEAN sera définitivement intégré, sinon en 2015 comme les accords le stipulent, du moins en 2020, alors les avantages comparatifs du Cambodge perdront de leur attrait et les différentiels salariaux dans les autres pays seront compensés par les gains en matière de facilitation des flux [46]. De telles prévisions pointent la très grande fragilité des investissements réalisés et l’impasse sur laquelle débouche la libéralisation extrême de l’économie lorsqu’elle n’est supportée par aucune dynamique d’accumulation endogène.
Un développement régional peu intégré
30 Ce que la région du Mékong a de particulier par rapport aux autres territoires du Sud-Est asiatique maritime, c’est sa continuité territoriale. Pour cette raison, les politiques d’équipement infrastructurel y ont été beaucoup plus réussies que dans d’autres zones très disjointes territorialement, comme les pôles de croissance qui ont cherché à relier l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande (IMT) ou encore Brunei, la Malaisie, les Philipines et la Thaïlande (BMPT). Dans la région du Mékong, l’ADB a lancé à partir des années 1990 une vaste politique de construction d’autoroutes qui sont devenues au fil du temps des « corridors économiques » [47]. Ces infrastructures ont contribué à la formation de la « Sous-Région du Grand Mékong » (the Greater Mekong Sub-region) et, ce faisant, ont largement favorisé l’intégration régionale en permettant la connexion de plusieurs centres économiques éloignés les uns des autres et la mise en place de marchés locaux. Les zones économiques spéciales en ont été les étapes décisives.
31 Ces « corridors » permettent en effet la liaison entre les territoires et les océans, à l’instar de celui qui relie la région du Kunming en Chine à celle de Bangkok en Thaïlande, et plus loin au golfe de Thaïlande. Principalement financé par la Chine, ce corridor Nord-Sud croise celui, principalement financé par le Japon, qui, d’Est en Ouest, relie le port en très forte croissance de Dawei au Myanmar à celui de Hué au Vietnam, en passant par la ville de Mukdahan en Thaïlande et de Savanakhet au Laos. Le troisième axe, dit « Sud-Ouest – Sud-Est » relie les grandes villes de Yangoon, Bangkok, Phnom Penh et Ho-Chi Minh Ville. Plusieurs de nos cas d’études sont situés sur cet axe qui entend relier la mer de Chine du Sud au sous-continent indien.
32 Ces axes auraient pu être les vecteurs d’un développement articulé aux chaînes de valeur régionale et les zones économiques spéciales en auraient été les centres nodaux. Or cela n’a pas été le cas, et ce pour plusieurs raisons.
33 D’abord, parce que les difficultés persistent aux frontières en raison de l’absence de finalisation des accords de commerce frontaliers (CBTA). Elles reflètent le souci acharné des États centraux, et notamment du Cambodge, de ne rien lâcher sur le versant de la souveraineté nationale qui pourrait se traduire par un accroissement des marges des acteurs régionaux ou locaux frontaliers et surtout par une quelconque perte des revenus tirés des taxes et droits de douane. La notion de « connectivité » s’en trouve très affaiblie [48].
34 Ensuite, parce que les spécialisations sont rares dans le bassin du Mékong, notamment en raison de la faible différenciation des profils économiques d’un pays à l’autre. Les avantages comparatifs de chaque pays reposent sur les mêmes ressources, non seulement naturelles mais aussi humaines, avec la mise à disposition d’une main-d’œuvre nombreuse, jeune et peu qualifiée [49]. C’est ce qui autorise le maintien de salaires très bas et la mise en place des firmes d’assemblage évoquées plus haut. Faute de lieux spécialisés (à l’exception de Bangkok), les zones économiques spéciales émergent sur le territoire comme autant de points de croissance déconnectés les uns des autres puisqu’elles sont avant tout reliées aux maisons mères, situées, elles, à l’étranger. On ne note entre les différentes entreprises ni accumulation des tâches ni complexité des produits assemblés ni mobilité des emplois.
35 Enfin, et surtout, on ne relève aucune mise en valeur des ressources locales. Les composantes assemblées sur place sont intégralement importées comme est intégralement exportée la production. Dans le cas de Clean Circle, le cuir provient d’Inde et du Pakistan, et les chausssures sont exportées au Japon. À Minibea, les composantes proviennent de Thaïlande, et les moteurs sont là aussi exportés au Japon. À Evergreen, le tissu provient de Chine et les produits finis y retournent. On pourrait multiplier les exemples. Au Cambodge, aucune entreprise n’échappe à cette logique industrielle de l’exportation intégrale des produits finis. Il en résulte qu’aucun réseau de fournisseurs locaux n’est en mesure d’émerger, et cette absence est renforcée par le fait qu’aucune formation de long terme n’est mise en place à l’intention des salariés. La GMAC maintient une politique de formation réduite à l’apprentissage des gestes de base pour l’assemblage de séries simples ou à la formation de gestionnaires et de contrôleurs (des lignes de production). Aucune accumulation n’est donc envisageable en matière de compétences techniques.
36 Ainsi, alors que plusieurs études s’attachent à mettre en valeur les résultats positifs de ces grands axes de transport et les flux économiques qu’ils génèrent au sein du GMS [50], d’autres dénoncent la périphérisation de certains territoires et la marginalisation de certains groupes sociaux [51]. Leurs auteurs soulignent notamment que la facilitation logistique qui a accéléré les échanges n’a pas nécessairement généré un développement équilibré, mais a au contraire renforcé les centres urbains déjà développés. Or, sans une intervention massive de l’État central pour amortir les effets déséquilibrants de ces points de croissance et les rendre supportables socialement – ce par quoi François Perroux définissait le développement –, on voit mal les retombées positives à court terme d’une telle concentration de richesses au profit d’une minorité.
37 Toutes ces remarques nous conduisent à distinguer la voie cambodgienne de celle suivie jusqu’à présent par ses prédécesseurs souvent regroupés sous le terme d’« États développementalistes » [52].
38 De cette catégorie retenons, outre son origine historique précise [53], la dimension de la bureaucratie et du service de la règle par des fonctionnaires animés d’un puissant esprit de corps [54]. Plusieurs auteurs y ont vu le critère qui distingue en Asie les pays du Nord-Est de ceux du Sud-Est, fondateurs de l’ASEAN [55]. Certes, tous les pays de cette aire culturelle et géographique ont combiné la forme autoritaire et close de l’exercice du pouvoir avec une large ouverture économique au marché, mais sur l’axe de la conduite du changement, ceux du Nord-Est, emmenés par le Japon et auxquels se sont ajoutés à partir des années 1970 les Nouveaux États industrialisés [56], ont fait preuve d’une très forte discipline bureaucratique et ont mis en œuvre un puissant partenariat public-privé orienté en fonction des directives publiques et garanti par un système juridique approprié [57].
39 Or c’est cette dimension fortement rationnelle du système juridique que n’ont pas fait leur les pays du Sud-Est maritime. Le système qu’ils ont mis en place se caractérise en effet par une forte personnalisation des relations hiérarchiques et par des liens étroits entre les élites politiques, de la finance et des affaires, de l’administration et de l’armée ; par une plus grande corruption dans l’application des règles juridiques et par l’usage à grande échelle de la violence comme réponse aux fréquentes crises sociales ; enfin, par une grande faiblesse des politiques de redistribution. Plusieurs catégories ont été élaborées pour rendre compte des différents types de capitalismes entrant dans ce second groupe : « capitalisme de nomenklatura » [58], « capitalisme de pillage » (booty capitalism [59]), « capitalisme des copains » (crony capitalism [60]) ou de remplacement (ersatz capitalism [61]). Tous ont en commun de pratiquer une proximité étroite entre élites politiques, militaires, économiques et étrangères, selon des « panachages » strictement nationaux.
40 Au Cambodge, force est de reconnaître que les traits du « développementalisme » ont subi une telle dégradation que le mot lui-même en a, peut-être, perdu tout son sens. C’est ce que nous avons cherché à montrer ici en insistant sur la domination autoritaire propre à l’État patrimonial prébendier pour lequel prime la règle personnelle ; sur la très faible institutionnalisation ; enfin, sur l’absence de raccordement aux flux du développement régional des points de croissance que sont les zones économiques spéciales. Faute de marge de manœuvre à disposition des acteurs publics et du fait de l’ouverture maximale de l’économie aux capitaux étrangers dont le bénéfice semble n’être réservé qu’aux seules élites gouvernementales et à leurs partenaires étrangers, les dynamiques d’accumulation indispensables au dévelopement n’existent pas.
41 Faut-il pour autant condamner le Cambodge au non-développement ? Assurément non. Qui aurait parié en effet sur la petite municipalité de Shenzhen lorsque la politique d’ouverture aux investissements étrangers y a été lancée, à la fin des années 1970 ? Qui aurait pu dire que la zone du petit port de pêche allait donner lieu en moins de trois décennies à une mégalopole dynamique ? Certainement pas les académiques, comme le rappelle Marie-Claire Bergère qui admet s’être trompée dans son évaluation, qu’elle juge aujourd’hui avoir été trop hâtive [62]. Il est donc beaucoup trop tôt pour affirmer qu’aucune institution publique ne verra le jour au Cambodge dans la foulée du succès des zones. Rappelons-nous que le développement chinois s’est appuyé sur la construction mesurée des relations avec les partenaires étrangers via un échange de fonds et des bas salaires, puis, une fois le succès venu, de manière inattendue, sur la mise en place d’institutions d’accompagnement, qui peu à peu ont donné lieu à des villes et à des réseaux institutionnalisés considérables.
42 Par ailleurs, comme cela avait été fait pour l’Amérique latine, certaines études ont remis en question la notion de dépendance lorsqu’elle est appliquée unilatéralement à l’Asie du Sud-Est. Richard Higgott, Richard Robison ou encore Richard Doner [63] l’ont montré, cette approche de la dépendance qui insiste sur le pompage des ressources par le capital international et sur la marginalisation qui s’ensuit des pays receveurs des IDE oublie de considérer qu’une dynamique d’industrialisation est simultanément en train de voir le jour, qui draîne avec elle l’entrepreneuriat local et assure l’émergence d’une classe moyenne sous l’effet de la redistribution des revenus, aussi limitée soit-elle. ?
Notes
-
[1]
Evan Gottesman, Cambodia after the Khmer Rouge : Inside the Politics of Nation Building, Chiang Mai, Silkworm Books, 2004 ; Caroline Hugues, Kheang Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, København, Danemark, Nordic Institute of Asian Studies, 2011 ; David Chandler, A History of Cambodia, Chiang Mai, Silskworm Books, 2008, 4e édition.
-
[2]
De moins de 4 millions au sortir de la tragédie des Khmers rouges en 1979, la population cambodgienne est passée à 10 millions en 1990 et 14,1 millions en 2013. Je remercie Dr. Hang Chuon Naron, aujourd’hui ministre de l’Éducation, pour les données qui suivent et plus encore pour son aide dans l’organisation de mes différentes missions dans son pays. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, Phnom Penh, 2013.
-
[3]
Entre 1995 et 2010, la part de l’agriculture dans le PIB est passée de 45 % à 30 %, celle de l’industrie de 15 % à 30 %. Fortement exportatrice de riz (blanc) et de caoutchouc, l’agriculture occupe toujours près de 70 % de la main-d’œuvre. L’industrie est dominée par le secteur de l’habillement, exportateur vers les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que par le secteur minier émergent grâce à la découverte de mines d’or à Kratie. Le tourisme est en croissance rapide.
-
[4]
Au début de la décennie 2000, 22 % des enfants de la classe d’âge correspondante avaient achevé l’école secondaire et 5 % l’université, UNESCO Institute for Statistics 2012.
-
[5]
Sur la période 1994-2011, la Chine est de loin le premier investisseur avec 8,849 milliards de dollars. Elle est suivie par la Corée du Sud (4,040), l’UE (3,641), la Malaisie (2,614), le Vietnam (1,200), les États Unis (1,282), Taïwan (839), la Thaïlande (746), Singapour (648), Hong Kong (641) et le Japon, loin derrière avec 154 millions. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, op. cit..
-
[6]
À la différence du Vietnam et de la Thaïlande, le Cambodge ne possède que très peu d’entreprises d’État et donc peu de leviers propres pour assurer son développement par lui-même, ce qui contribue à le forcer à s’ouvrir encore davantage aux échanges extérieurs. Hal Hill, Jayant Menon, « Cambodia : Rapid Growth with Weak Institutions », Asian Economic Policy Review, 8, 2013, p. 46-65.
-
[7]
Naoko Amakawa (ed.), Industrialization in Late Developing ASEAN Countries : Cambodia, Laos, Myanmar and Vietnam, Singapour, NUS Press, 2010.
-
[8]
Dans la décennie 2000, le PIB cambodgien a souvent dépassé les 10 % (avec des pics à 12 % en 1999, 13,3 % en 2005). La crise de 2008 a interrompu cette dynamique en frappant notamment le secteur de l’habillement qui représente 70 % des exportations. En 2009, la croissance s’est affaissée à 0,1 % mais s’est redressée depuis, pour atteindre en 2011 6,1 %. Le revenu par tête est passé de 229 dollars en 1993, à 830 en 2000 et 984 en 2012. La pauvreté, dans l’intervalle, a diminué de moitié : en 2010, elle touchait 25 % de la population (qui vit avec moins d’1 dollar par jour).
-
[9]
Max Weber, La domination (traduction française), Paris, La Découverte, 2014, p. 156.
-
[10]
J. Menon, « Narrowing the Development Divide in ASEAN : The Role of Policy », ADB Working Paper Series on Regional Economic Integration, Asian Development Bank, 100, juillet 2012.
-
[11]
Données tirées de l’entretien avec le vice-gouverneur de la province de Siem Reap dans le bureau du gouverneur, 20 février 2013.
-
[12]
H. Hill, J. Menon, « Cambodia : Rapid Growth with Weak Institutions », art. cité, p. 48-50.
-
[13]
Depuis 2002, Pékin a offert 2,1 milliards de dollars d’aides et de prêts pour le développement de l’agriculture ainsi que pour la construction de 2 000km de routes et de ponts. La Chine soutient actuellement 19 projets, pour un coût de 1,1 milliard de dollars. Son commerce avec le Cambodge s’élévait à 2,72 milliards en 2011. Hang Chuon Naron, Cambodia : 20 years of Economic Transformation, op. cit.. À ces aides s’ajoutent celles accordées à la police nationale pour son équipement en armes et à l’armée pour son équipement en hélicoptères. Khatarya Um, « Cambodia, the Winds of Change », Southeast Asian Affairs, 2014, p. 112 (http://muse.jhu.edu/ journals/southeast_asian_affairs/toc/saa.2014.html).
-
[14]
Dans ce secteur, l’intégralité des travaux lui ont été délégués : de la construction des barrages et de leur entretien à la vente de l’électricité, et ce sur une période qui excède souvent trente ans.
-
[15]
Sophal Ear, « Growth in the Rice and Garment Sectors », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 70-93.
-
[16]
David Craig, Pak Kimchoeun, « Party Financing of Local InvestmentProjects : Elite and Mass Patronage », dans ibid., p. 219-244.
-
[17]
Sur l’évolution du régime des concessions depuis 1991 et surtout depuis 1999 ainsi que sur l’accroissement des inégalités qui en résulte entre riches et pauvres, voir C. Hughes, « Tackling the Legacies of Violence and Conflicts : Liberal Institutions and Contentions Politics in Cambodia and East Timor », dans Richard Robison (ed.), Routledge Handbook of Southeast Asian Politics, Londres, Routledge, 2012, p. 263-287.
-
[18]
Simon Springer, « Illegal Evictions ? Overwriting Possession and Orality with Law’s Violence in Cambodia », Journal of Agrarian Change, 13 (4), 2013, p. 520-546.
-
[19]
Sobunthoeun So, « The Politics and Practice of Land : Registration at the Grassroots », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 136-160.
-
[20]
C. Hughes, « Tackling the Legacies of Violence and Conflicts : Liberal Institutions and Contentions Politics in Cambodia and East Timor », art. cité.
-
[21]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 104.
-
[22]
Hun Sen a trois fils : Hun Manet, 35 ans, qui a étudié à Westpoint aux États Unis, est général 2 étoiles, en charge notamment de la garde personnelle de son père ; Hun Manith ; et Hun Many, député au Parlement depuis 2013.
-
[23]
Ibid., p. 102.
-
[24]
Un rapport du Bureau international du travail en date du 20 juin 2012 fait état pour cette année-là d’un accroissement des manifestations ouvrières qui a occasionné une perte de 542 000 journées de travail (139 000 en 2011), Cambodia Daily, 4 janvier 2013.
-
[25]
Margaret Slocomb mentionne la surexploitation des travailleurs dans le secteur du caoutchouc où les conflits sont nombreux, les accords collectifs absents et les assassinats fréquents. Dans ce secteur, les salaires sont très bas (un rapport de 2001 les fixe à 35-40 dollars/mois + 44 kg de riz) et les travailleurs doivent consacrer 50 % de leur salaire pour se nourrir ; les journées de travail sont de 10 heures et les outils très peu évolués. Margaret Slocomb, « The Privatisation of Cambodia’s Rubber Industry », dans C. Hugues, K. Un (eds), Cambodia’s Economic Transformation, op. cit., p. 94-109.
-
[26]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 103.
-
[27]
Le 22 juillet 2014, des représentants des deux partis (CPP et NCRP) se sont entendus pour mettre fin au blocage de la vie parlementaire qui avait été initié en réponse aux falsifications des élections législatives du 28 juillet 2013. D’importantes concessions ont été accordées aux opposants qui ont notamment obtenu la présidence de 5 commissions parlementaires sur 10. Cambodia Daily, 23 juillet 2014. Les textes de loi modifiant le code électoral, le règlement de l’Assemblée et la Constitution étant adoptés, les 55 députés du NCRP ont prêté serment devant le roi le 5 août 2014, mettant un point final à la crise politique qui avait duré dix mois.
-
[28]
Selon un responsable national rencontré en février 2014, la formation professionnelle est ainsi entièrement privatisée, l’État ayant refusé d’accéder à la demande de la GMAC de financer une partie de cet effort.
-
[29]
K. Um, « Cambodia, the Winds of Change », art. cité, p. 107.
-
[30]
Selon un syndicaliste rencontré en 2012 à Phnom Penh, 12 heures travaillées par jour ne seraient pas une exception.
-
[31]
Entretien avec le chef de la confédération de l’habillement à Phnom Penh, février 2013.
-
[32]
Tous deux sont secondés par un ministre chargé des missions spéciales et d’un secrétaire d’État aux finances.
-
[33]
La Région du Grand Mékong, le GMS, est une structure mise en place par l’ADB en 1992 qui réunit outre les cinq pays riverains du Mékong – le Laos, le Myanmar, le Vietnam, la Thaïlande, le Cambodge – la province chinoise du Yunnan et la région autonome du Gangxi.
-
[34]
Ce travail s’appuie sur plusieurs missions que nous avons conduites de 2011 à 2014 auprès de différentes zones économiques dans le bassin du Mékong, notamment au Laos et au Cambodge. Elles ont eu lieu pour les deux premières années dans le cadre du Master of Public Affairs de Sciences Po (www.coesionet.com ainsi que François Bafoil, « Capitalisme politique et développement dépendant en Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 13, 1er semestre, printemps 2013). Les deux dernières missions, en 2013 et 2014, ont été financées par le CERI. Au Cambodge, nous avons visité la zone de Sihanoukville une fois, celle de Bavet deux fois, et celle de Phnom Penh trois fois. À chaque fois, des entretiens ont été conduits au sein des zones et à l’extérieur dans les districts des zones. À l’intérieur des zones, nous avons interviewé le développeur, les personnels en charge de l’OSS, ceux des secteurs du marché du travail et des inspections sanitaires. Plusieurs visites d’entreprises ont eu lieu avec, pour chacune d’entre elles, des entretiens avec les directeurs, puis des chefs d’ateliers. Hors des zones, les entretiens ont été de deux types : au niveau central, avec plusieurs représentants du Conseil pour le développement du Cambodge ; dans chaque région, avec les représentants des marchés du travail locaux.
-
[35]
Masami Ishida, « Effectiveness and Challenges of the Three Economic Corridors of the Greater Mekong Sub-region », Institute of Developing Economies, Discussion Paper 35, 2005 (http://www.ide-jetro.jp/ English/Publish/Download/Dp/pdf/035.pdf) ; ADB, « Special Economic Zones and Competitiveness », PRM Policy Note Series Review Committee, Manila, Asian Development Bank, 2007 ; Mya Than, « Economic Co-operation in the Greater Mekong Sub-region », Asian-Pacific Economic Literature, 11 (2), 1997, p. 40-57.
-
[36]
Sauf dans le cas de Bavet, où chaque jour des camions d’origine vietnamienne transportent les produits réalisés dans la zone au port de Ho-Chi Minh Ville, distant de moins de 100 km.
-
[37]
Nos remarques rejoignent celles d’autres observateurs comme Nyiri Pal, « Chinese Investors : Labour Discipline and Developmental Cosmopolitanism », Development and Change, 44 (6), 2013, p. 1387-1405.
-
[38]
Minibea emploie 53 721 personnes dans le monde, réparties dans 32 pays (dont 2 844 au Japon). Elle produit des petites pièces électroniques pour le secteur automobile (en plus des airbags) ou pour celui de la communication (appareil téléphonique cellulaire, caméra, télévision). Au Cambodge, la firme assure l’assemblage de pièces produites en Thaïlande et pour lesquelles la Chine fournit l’assistance technique.
-
[39]
Thein Swe, Paul Chambers, Cashing in Across the Golden Triangle : Thailand’s Northern Border Trade with China, Laos and Myanmar, Chiang Mai, Mekong Press, 2011 ; Pal Nyiri, « Enclaves of Improvement : Sovereignty and Developmentalism in the Special Zones of the China - Lao Borderlands », Comparative Studies in Society and History, 53 (3), 2012 ; Danièle Tan, « Du communisme au néolibéralisme : le rôle des réseaux chinois dans la transformation de l’État au Laos », thèse de doctorat en sciences politiques, IEP Paris, 2011 ; François Bafoil, « Capitalisme politique et développement dépendant en Asie du Sud-Est », Revue de la régulation, 13, 1er semestre, printemps 2013.
-
[40]
T. Swe, P. Chambers, Cashing in Across the Golden Triangle : Thailand’s Northern Border Trade with China, Laos and Myanmar, op. cit., p. 39.
-
[41]
Devant son refus de reconnaître toute responsabilité personnelle et sous la pression nationale et internationale, la cour de Phnom Penh l’a condamné en deuxième instance à 18 mois de prison avec incarcération immédiate et à verser 9 500 dollars aux trois victimes. Cambodian Daily, 26 juin 2013.
-
[42]
Situation observée durant la dernière mission au mois de février 2014.
-
[43]
Cette vision du développement reprend peu ou prou l’approche en termes de « flying geese » popularisée par les économistes nippons, Akamatsu puis Kojima, selon laquelle le développement du Sud-Est asiatique procèderait par étapes : tout d’abord, celle des importations et de l’accumulation ; puis celle de l’accroissement des qualifications et de la production endogène ; enfin, celle des exportations. De façon concomitante, les produits se complexifient, intégrant toujours davantage de composantes et permettant d’établir des liaisons intersectorielles fécondes. Kiyoshi Kojima, « The “Fleeing Geese” Model of Asian Economic Development : Origin, Theoretical Extensions, and Regional Policy Implications », Journal of Asian Economics, 11, 2001, p. 375-401.
-
[44]
Le même discours est tenu par des investisseurs érangers au Vietnam qui considèrent que si le salaire minimum dans ce pays est encore attractif c’est parce qu’il est moitié moindre qu’en Chine. Les augmentations de 46 % en quatre ans sont en revanche de nature à les inciter à se déplacer vers le Bangladesh. Kaxton Siu, Anita Chan, « Strike Waves in Vietnam, 2006-2011 », Journal of Contemporary Asia, 1-21, 2014.
-
[45]
Entretien au ministère de l’Éducation, février 2014.
-
[46]
Entretien avec le secrétaire d’État du Commerce, février 2014.
-
[47]
ADB, « The Greater Mekong Sub-region Overview », Manila, Asian Development Bank, 2010.
-
[48]
Ruth Banomyong, « Benchmarking Economic Corridors Logistics Performance : A GMS Border Crossing Observation », World Customs Journal, 1, mars 2010, p. 29-38.
-
[49]
Mark Beeson, Regionalism and Globalization in East Asia : Politics, Security and Economic Development, New York (NY), Palgrave Macmillan, 2007.
-
[50]
Nathalie Fau Kontapane (ed.), Christian Taillard, Transnational Dynamics in Southeast Asia, the Greater Mekong Sub-region and Malacca Straits Economic Corridors, Singapour, ISEAS Publishing, 2014.
-
[51]
John Paolo Rivera, Beatrice Regina S. Lagdameo, « Establishing the ASEAN Economic Community through Investment Integration », Asia Pacific Social Sciences Review, 13 (1), 2013, p. 30-40 ; N. Pal, « Chinese Investors : Labour Discipline and Developmental Cosmopolitanism », art. cité ; Xaysomphet Norasingh, « Foreign Direct Investment and Knowledge Transfer », Asian Journal of Technology Innovation, 22, 2013, p. 139-156 ; Truong Thi Chi Binh, Nguyen Manh Linh, « Supplier System and Knowledge Transfer within the Production Networks of Electronics MNCs in Vietnam », Asian Journal of Technology Innovation, 21, 2013, p. 119-138.
-
[52]
Richard Stubbs, « What Ever Happened to the East Asian Developmental State ? The Unfolding Debate », The Pacific Review, 1, mars 2009, p. 1-22.
-
[53]
Selon Meredith Woo-Cumings, il s’agit d’un idéal type wébérien qui ne renvoie ni au socialisme ni au marché libre, « mais à quelque chose de différent : l’État développementaliste rationnel par la planification qui combine la propriété privée avec la direction d’État ». Meredith Woo-Cumings, « Introduction », dans Meredith Woo-Cumings, The Developmental State, Ithaca, Cornell University Press, 1999, p. 3. Pour Joseph Wong, il s’agit d’autant d’« anomalies de l’après-guerre » qui défient les clivages entre socialisme et capitalisme, entre dépendance et développement. De la sorte, ils s’offrent comme le dépassement des échecs du soviétisme comme des États faibles d’Afrique ou dépendants d’Amérique latine. Joseph Wong, « The Adapative Developmental State in East Asia », Journal of East Asian Studies, 4, 1984, p. 349.
-
[54]
C’est cette dimension que met en avant Chalmers Johnson dans son ouvrage fondateur, lorsqu’il insiste sur la capacité de la bureaucratie à exercer la haute main sur la planification, les finances, l’énergie, le commerce international, et plus largement sur tout ce qui, dans une économie de marché, est exécuté par les agents privés. Chalmers Johnson, MITI and the Japanese Miracle : The Growth of Industrial Policy 1925-1975, Stanford, Standford University Press, 1982.
-
[55]
Les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie et la Thaïlande. Sur cette distinction, voir Michael Borrus, Dieter Ernst, Stephan Haggard, International Production Networks in Asia : Rivalry or Riches ?, Londres, Routledge, 2000 ; S. Haggard, « Business, Politics and Policy in Northeast and Southeast Asia », dans Andrew MacIntyre (ed.), Business and Government in Industrializing Asia, New York (N. Y.), Cornell University Press, 1994, chap. 10, p. 268-301.
-
[56]
On entend par ces termes de Nouveaux Etats Industrialisés, Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud et, de manière décalée dans le temps, Singapour. Sur le modèle japonais et son application à la Corée, voir Bruce Cumings, Korea’s Place in the Sun : A Modern History, New York, W. W. Norton, 2005, notamment le chapitre « Developmental Colonialism », p. 162-174.
-
[57]
Richard F. Doner, Bryan K. Ritchie, Dan Slater, « Systemic Vulnerability and the Origins of Developmental States : Northeast and Southeast Asia in Comparative Perspective », International Organization, 59, printemps 2005, p. 327-361.
-
[58]
Kanishka Jayasuriya, Law, Capitalism and Power in Asia : The Rule of Law and Legal Institutions, Londres, Routledge, 1999 ; Frank B. Tipton, « Southeast Asian Capitalism : History, Institutions, States, and Firms », Asia Pacific Journal of Management, 26, 2009, p. 401-434.
-
[59]
Paul Hutchcroft, Booty Capitalism : The Politics of Banking in the Philippines, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
-
[60]
Joe Studwell, Asian Godfathers : Money and Power in Hong Kong and Southeast Asia, New York, Grove Press, 2008.
-
[61]
Le terme de « capitalisme de remplacement » a cherché à approfondir le caractère peu régulé d’une économie marquée par une vaste dépendance aux capitaux étrangers et une incapacité profonde à innover. Kunio Yoshihara, The Rise of Ersatz Capitalism in South-East Asia, Oxford, Oxford University Press, 1988.
-
[62]
Marie-Claire Bergère, Chine. Le nouveau capitalisme d’État, Paris, Fayard, 2012.
-
[63]
Richard F. Doner, « Approaches to the Politics of Economic Growth in Southeast Asia », The Journal of Asian Studies, 50 (4), 1991, p. 818-849.