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Article de revue

Politisation et sécuritisation des migrations internationales : une relation à définir

Pages 127 à 145

Notes

  • [1]
    Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « La politisation des individus », Critique internationale, 50, 2011.
  • [2]
    Nous utilisons le néologisme sécuritisation, plutôt que sécuritarisation, puisqu’il est largement utilisé dans ce champ d’étude dans la littérature francophone.
  • [3]
    Roger Cobb, Charles D. Elder, Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda Building, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972 ; R. Cobb et al., « Agenda Building as a Comparative Political Process », American Political Science Review, 70 (1), 1976.
  • [4]
    Pierre Lascoumes, « Gouverner par les instruments. Ou comment s’instrumente l’action publique ? », dans Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003 ; P. Lascoumes, « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation », Revue française de science politique, 59 (3), 2009.
  • [5]
    Yannick Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », dans J. Lagroye (dir.), op. cit. ; Y. Barthe, Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Économica, 2006.
  • [6]
    Frank R. Baumgartner, Bryan D Jones, « Agenda Dynamics and Policy Subsystems », The Journal of Politics, 53 (4), 1991.
  • [7]
    Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « Indicateurs et vecteurs de la politisation des individus : les vertus heuristiques du croisement des regards », Critique internationale, 50, 2011 ; Sophie Duchesne, Florence Haegel, « La politisation des discussions, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation », Revue française de science politique, 54 (6), 2004.
  • [8]
    Frédéric Vairel, Lamia Zaki, « Politisation sous contrainte et politisation de la contrainte : outsiders politiques et outsiders de la ville au Maroc », Critique internationale, 50, 2011.
  • [9]
    Gilles Pécout, « La politisation des paysans au XIXe siècle. Réflexions sur l’histoire politique des campagnes françaises », Histoires et sociétés rurales, 2 (2), 1994.
  • [10]
    Y. Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », cité.
  • [11]
    Y. Déloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1996.
  • [12]
    Magali Della Sudda, « La politique malgré elles. Mobilisations féminines catholiques en France et en Italie (1900-1914) », Revue française de science politique, 60 (1), 2010 ; Olivier Ihl, « L’urne et le fusil. Sur les violences électorales lors du scrutin du 23 avril 1848 », ibid. ; Julie Pagis, « La politisation d’engagements religieux. Retour sur une matrice de l’engagement en mai 68 », ibid. ; Julien Talpin, « Ces moments qui façonnent les hommes. Éléments pour une approche pragmatiste de la compétence civique », ibid. ; Stéphane Dufoix, « Fausses évidences. Statut de réfugié et politisation », Revue européenne de migrations internationales, 16 (3), 2000 ; Camille Hamidi, « Éléments pour une approche interactionniste de la politisation. Engagement associatif et rapport au politique dans des associations locales issues de l’immigration », Revue française de science politique, 56 (1), 2006 ; Stéphanie Guyon, « Politisation et hiérarchies coloniales : Amérindiens et Noirs-marrons à St-Paul (Guyane française, 1946-2000) », Critique internationale, 50 (1), 2011 ; Benjamin Gourisse, « Enquête sur les relations entre politisation et études supérieures : le cas turc (1971-1980) », Critique internationale, 50, 2011 ; M. Aït-Aoudia, M. Bennani-Chraïbi, J.-G. Contamin, « La politisation des individus », cité.
  • [13]
    M. Aït-Aoudia, M. Bennani-Chraïbi, J.-G. Contamin, « Contribution à une histoire sociale de la conception lagroyenne de la politisation », Critique internationale, 48, 2010.
  • [14]
    Françoise Lorcerie, « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 », dans F. Lorcerie, La politisation du voile. L’affaire en France et son écho à l’étranger, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [15]
    P. Lascoumes, « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation », art. cité, p. 457.
  • [16]
    Émilie Combaz, « Sanctions politiques internationales et crimes de torture : entre (il) légitimités et (dé) politisation, effets et paradoxes », Raisons politiques, 17, 2005, p. 67.
  • [17]
    J. Lagroye, « Les processus de politisation », dans J. Lagroye (dir.), La politisation, op. cit..
  • [18]
    Virginie Guiraudon, « Citizenship Rights for Non-Citizens : France, Germany, and the Netherlands », dans Christian Joppke, Challenge to the Nation-State, Oxford, Oxford University Press, 1998.
  • [19]
    Lionel Arnaud, Christine Guionnet (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus sociaux de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [20]
    Michael Zürn et al., « International Authority and Its Politicization », International Theory, 4, 2012.
  • [21]
    Barry Buzan, People, States and Fear : An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era, Harvester Wheatsheaf, Lynne Reinner, 1983 ; Richard Price, The Chemical Weapons Taboo, Ithaca, Cornell University Press, 1997 ; Peter J. Katzenstein (ed.), The Culture of National Security : Norms and Identity in World Politics, New York, Columbia University Press, 1996 ; Emanuel Adler, Michael N. Barnett, Security Communities, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; Keith Krause, Michael C. Williams, Critical Security Studies : Concepts and Cases, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997.
  • [22]
    Philippe Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, Londres, Routledge, 2011 ; P. Bourbeau, « Processus et acteurs d’une vision sécuritaire des migrations : le cas du Canada », Revue européenne des migrations internationales, 29 (4) 2013.
  • [23]
    Rita Floyd, Security and the Environment : Securitisation Theory and US Environmental Security Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 ; Lene Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », European Journal of International Relations, 17, 2011 ; P. Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, op. cit. ; Stefan Elbe, « Should HIV/ AIDS Be Securitized ? The Ethical Dilemmas of Linking HIV/AIDS and Security », International Studies Quarterly, 50 (1), 2006 ; P. Bourbeau, « La diaspora chinoise repensée », Études internationales, 32 (4), 2001 ; Peter Nyers (ed.), Securitizations of Citizenship, Londres, Routledge, 2009 ; P. Bourbeau, La Chine et la diaspora chinoise. L’Extrême-Orient russe convoité, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Melissa G. Curley, Jonathan Herington, « The Securitisation of Infectious Disease : International Norms and Domestic Politics in Asia », Review of International Studies, 37, 2011.
  • [24]
    Myron Weiner, International Migration and Security, Boulder, Westview Press, 1993.
  • [25]
    Christopher Rudolph, National Security and Immigration : Policy Development in the United States and Western Europe since 1945, Stanford, Stanford University Press, 2006.
  • [26]
    Didier Bigo, « Sécurité et immigration : vers une gouvernementalité par l’inquiétude », Cultures & Conflits, 31-32, 1998 ; Didier Bigo, Anastassia Tsoukala, « Understanding (In) security », dans D. Bigo, A. Tsoukala, Terror, Insecurity, and Liberty, Londres, Routledge, 2008 ; Ayse Ceyhan, Anastassia Tsoukala, « The Securitization of Migration in Western Societies : Ambivalent Discourses and Policies », Alternatives, 27, supplément spécial, 2002.
  • [27]
    Thierry Balzacq, « A Theory of Securitization. Origins, Core Assumptions, and Variants », dans T. Balzacq, Securitization Theory. How Security Problems Emerge and Dissolve, Londres, Routledge, 2011.
  • [28]
    Jarrod Hayes, « Securitization, Social Identity, and Democratic Security : Nixon, India, and the Ties That Bind », International Organization, 66, 2012 ; L. Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », art. cité ; Trine Villumsen Berling, « Securitization and Science : Objectivation, the Authority of the Speaker and Mobilization of Scientific Facts », Security Dialogue, 42 (4-5), 2011 ; Rita Abrahamsen, Michael C Williams, Security beyond the State : Private Security in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
  • [29]
    Barry Buzan et al., Security : A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1998 ; Ole Wæver, « Securitization and Desecuritization », dans Ronnie D. Lipschultz, On Security, New York, Columbia University Press, 1995 ; B. Buzan, O. Wæver, « Macrosecuritisation and Security Constellations : Reconsidering Scale in Securitisation Theory », Review of International Studies, 35 (2), 2009.
  • [30]
    John L. Austin, How to Do Things with Words : The Williams James Lectures Delivered at Harvard University in 1955, Oxford, Clarendon Press, 1962 (Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970).
  • [31]
    P. Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, op. cit. ; M. C. Williams, « Words, Images, Enemies : Securitization and International Politics », International Studies Quarterly, 47 (4), 2003 ; L. Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », art. cité.
  • [32]
    Pour un récent tour d’horizon des différents points de désaccord, voir le numéro spécial dirigé par Ulrik P. Gad et Karen L. Petersen, « Concepts of Politics in Securitization Studies », Security Dialogue, 42 (4-5), 2011. Voir également T. Balzacq, « The Three Faces of Securitization : Political Agency, Audience and Context », European Journal of International Relations, 11 (2), 2005 ; Matt McDonald, « Securitization and the Construction of Security », European Journal of International Relations, 14 (4), 2008 ; Juha A. Vuori, « Illocutionary Logic and Strands of Securitization : Applying the Theory of Securitization to the Study of Non-Democratic Political Orders », European Journal of International Relations, 14 (1), 2008.
  • [33]
    Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.
  • [34]
    Judith Butler, Excitable Speech : A Politics of the Performative, Londres Routledge, 1997 ; J. Butler, « Performativity’s Social Magic », dans Richard Shusterman, Bourdieu. A Criticial Reader, Londres, Blackwell, 1999.
  • [35]
    Giovanni Capoccia, Daniel Keleman, « The Study of Critical Junctures : Theory, Narrative and Counterfactuals in Historical Institutionalism », World Politics, 59, 2007 ; James Mahoney, Kathleen Thelen (eds), Explaining Institutional Change : Ambiguity, Agency, and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 ; Y. Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », art. cité.
  • [36]
    V. Guiraudon, « Citizenship Rights for non-citizens : France, Germany, and the Netherlands », art. cité.
  • [37]
    Jef Huysmans, « Dire et écrire la sécurité : le dilemme normatif des études de sécurité », Cultures & Conflits, 31-32, 1998 ; Claudia Aradau, « Security and the Democratic Scene : Desecuritization and emancipation », Journal of International Relations and Development 7, no. 4, 2004 ; Paul Roe, « Securitization and Minority Rights : Conditions of Desecuritization », Security Dialogue, 35 (3), 2004 ; R. Floyd, Security and the Environment : Securitisation Theory and US Environmental Security Policy, op. cit. ; Lene Hansen, « Reconstructing Desecuritisation : The Normative-Political in the Copenhagen School and Directions for How to Apply It », Review of International Studies, 38 (6), 2012.
  • [38]
    Il ne s’agit donc pas de voir les deux processus dans une logique séquentielle mais bien de permettre la théorisation de leur potentielle simultanéité. Cette approche est particulièrement utilisée dans la littérature sur les crises humanitaires et la gestion des désastres. Philippe Régnier et al., « From Emergency Relief to Livelihood Recovery. Lessons Learned from Post-tsunami Experiences in Indonesia and India », Disaster Prevention and Management, 17 (3), 2008 ; Tim O’Dempsey, Barry Munslow, « “Mind the Gap !” Rethinking the Role of Health in the Emergency and Development Divide », International Journal of Heatlh Planning and Management, 24 (1), 2009.
  • [39]
    Jeffrey G. Reitz, « Canada : Immigration and Nation-Building in the Transition to a Knowledge Economy », dans Wayne A. Cornelius et al., Controlling Immigration : A Global Perspective, Stanford, Stanford University Press, 2004 ; Irene Bloemraad, Becoming a Citizen : Incorporating Immigrants and Refugees in the United States and Canada, Berkeley, University of California Press, 2006 ; Alison Mountz, Seeking Asylum : Human Smuggling and Bureaucracy at the Border, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010.
  • [40]
    Michael Zürn et al., « International Authority and Its Politicization », International Theory, 4, 2012.
  • [41]
    A. Dubuc, « La pression des groupes de pression », La Presse B3, 19 mars, 1992.
  • [42]
    Pierre Vennat, « Éditorial. L’immigration et la survie du Québec francophone », La Presse B2, 27 octobre, 1989.
  • [43]
    Agnès Gruda, « Éditorial. Immigration : à droite, toute ! », La Presse B2, 19 août, 1993.
  • [44]
    A. Gruda, « Éditorial. La langue et les chiffres », La Presse B2, 11 décembre, 1993.
  • [45]
    A. Dubuc, « Éditorial. Le PQ et la peur de l’immigrant », La Presse B2, 2 octobre, 1999.
  • [46]
    « Editorial », The Globe and Mail A26, 6 novembre 1997. Nous traduisons les citations en anglais utilisées dans cet article.
  • [47]
    « Editorial », The Globe and Mail A16, 9 juin 1998.
  • [48]
    « Editorial », The Globe and Mail A14, 31 janvier 2000.
  • [49]
    Lloyd Axworthy, Notes for an Address by the Honourable Lloyd Axworthy, Minister of Foreign Affairs, to the Middlebury College 200th Anniversary Symposium on International Affairs, Ottawa, Département des Affaires étrangères, 30 mars 2000.
  • [50]
    Elinor Caplan, Notes for an Address by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, to the Maytree Foundation Trends in Global Migration Forum, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 12 janvier 2000.
  • [51]
    E. Caplan, Remarks by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, to the Canadian Club, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 9 septembre 1999.
  • [52]
    Ibid..
  • [53]
    E. Caplan, Statement by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, on Illegal Human Smuggling to Canada, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 11 août 1999.
  • [54]
    M. C. Williams, « Words, Images, Enemies : Securitization and International Politics », art. cité ; M. C. Williams, « The Continuing Evolution of Securitization Theory », dans T. Balzacq, Securitization Theory. How Security Problems Emerge and Dissolve, op. cit. ; M. C. Williams, « Securitization and the Liberalism of Fear », Security Dialogue, 42 (4-5), 2012.
  • [55]
    Emanuel Adler, Vincent Pouliot (eds), International Practices, Cambridge, Cambrige University Press, 2011.
  • [56]
    T. Balzacq (ed.), Contesting Security, Londres, Routledge, 2013.
  • [57]
    P. Bourbeau, « Resiliencism : Premises and Promises in Securitization Research », Resilience : International Politics, Practices and Discourses, 1 (1), 2013 ; P. Bourbeau, « Resilience and Security Studies : Initiating a Dialogue », dans T. Balzacq (ed.), Contesting Security, op. cit..

1 dans un numéro de Critique internationale daté de 2011, la question de « la politisation des individus » a été posée avec beaucoup de finesse, de rigueur et de compétence par Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi et Jean-Gabriel Contamin [1]. Les trois pilotes de ce dossier thématique et leurs auteurs ont en effet non seulement clarifié mais aussi complexifié le concept de politisation en analysant de façon détaillée sa dimension individuelle à travers plusieurs cas d’étude choisis dans des aires géographiques et culturelles différentes.

2 Certes, nous souhaitons nous appuyer sur ces travaux, mais notre objectif n’est pas de proposer une nouvelle définition du processus de politisation, de trancher entre les diverses positions à première vue antagonistes ou de démontrer empiriquement la validité d’une perspective aux dépens d’une autre. Notre contribution à ce débat se veut plus modeste et pour l’essentiel complémentaire. Convaincus que la recherche sur la politisation a fort à gagner à tisser davantage de liens avec la politique mondiale, nous voulons souligner ici la justesse et le bien-fondé d’une démarche consistant à juxtaposer les processus de politisation et les processus de sécuritisation dans le domaine des migrations internationales de l’après-guerre froide [2].

3 Une simple recherche dans les bases de données Cairn ou JSTOR relève quantité d’articles sur la politisation et la sécuritisation de divers enjeux et problématiques contemporaines. S’il est évident que ces deux thèmes de recherche font partie des champs d’études les plus dynamiques de ces dernières années en science politique, il semble également qu’ils se soient développés séparément l’un de l’autre et qu’ils soient ainsi éloignés l’un de l’autre. Il nous apparaît donc opportun de nous attarder plus longuement sur la relation de ces deux processus entre eux, de tenter de jeter les bases d’une conversation que nous souhaitons plus active et d’offrir la possibilité d’une analyse des influences de la politisation sur la sécuritisation et vice versa.

4 Nous décrirons tout d’abord notre compréhension des processus de politisation et de sécuritisation tout en la situant au sein de la vaste littérature de ces deux champs d’études. Notre argument central est que politisation et sécuritisation sont bien deux processus distincts mais qu’ils ne sont ni mutuellement exclusifs ni nécessairement en concurrence directe l’un avec l’autre. Il ne s’agit pas de prétendre que la sécuritisation n’est pas politique. Bien au contraire. En postulant la construction sociale de l’objet sécurité, nous acceptons d’emblée sa nature intersubjective, partant politique. Nous tenterons ensuite d’illustrer de façon empirique notre argument en discutant du cas des migrations internationales au Canada et, en particulier, de la façon dont les processus de politisation et de sécuritisation ont été mis en avant par certains agents médiatiques et politiques. Enfin, nous avancerons les hypothèses de l’intensification et de la contestation de ces deux processus en vue de mieux comprendre leurs relations mutuelles au cœur de l’actualité internationale de l’après-guerre froide.

Politisation et sécuritisation : similitudes et différences

5 L’abondante littérature consacrée aux processus de politisation tente de répondre à une question en apparence tout simple : comment un sujet préalablement non traité comme étant d’ordre politique le devient-il ? Les mécanismes sociaux de la mise en politique sont en effet l’objet de nombreuses études réalisées sous divers chapeaux disciplinaires. Depuis Roger Cobb et ses collègues [3] jusqu’à Pierre Lascoumes [4] et Yannick Barthe [5], en passant par Frank Baumgartner et Bryan Jones [6], l’étude des mécanismes sociaux propres aux processus de politisation a pris de nombreuses tangentes aussi bien théoriques et méthodologiques que paradigmatiques.

6 L’étude des processus de politisation et les différents labels qui lui sont souvent associés – problématisation, mise en politique, mise à l’agenda, compétence politique, dont nous ne débattrons pas ici de la nature et des effets – ont également pris de nombreuses formes. Certains chercheurs ont par exemple tenté de mettre en lumière les indicateurs de la politisation des individus ainsi que les facteurs la favorisant ou la contraignant [7], et ont souligné à cette occasion la subtilité de la relation entre politisation et contraintes [8]. D’autres se sont penchés sur la politisation des campagnes [9], d’autres encore sur le processus de réduction – et non plus d’extension – d’une question à la sphère politique [10]. Yves Déloye a souligné la diversité des formes d’acculturation au politique via la politisation [11], tandis que plusieurs auteurs, en s’appuyant sur la politisation, ont problématisé de multiples enjeux comme la violence électorale, l’engagement religieux, les études supérieures, les pratiques politiques, la question du genre, les associations locales, le nationalisme ou encore les réfugiés et les diasporas [12].

7 En somme, et comme le soulignent M. Aït-Aoudia, M. Bennani-Chraïbi et J.-G. Contamin [13], la littérature a problématisé trois catégories d’objets de référence sous l’angle de la politisation : les individus et les enjeux ; les activités et les pratiques sociales les plus diverses ; les processus d’apolitisation, de repolitisation et de détournement de dispositifs. Pour tous ces objets, l’idée selon laquelle le processus de politisation est une construction sociale est valide. Il ne s’agit donc pas tant de se demander si un enjeu ou un individu est politisé ou non, mais de mettre en lumière, synchroniquement et diachroniquement, les mécanismes sociaux liés au processus de politisation. Ce dynamisme a offert différentes définitions de la politisation. Pour Françoise Lorcerie, c’est une « entreprise politique réussie », c’est-à-dire « une coordination d’acteurs sociaux de statuts divers, mobilisés pour faire prendre en charge par les décideurs politiques un problème donné, dans les termes qu’ils souhaitent » [14]. Pour Pierre Lascoumes, la politisation parlementaire est le traitement par une instance politique décisionnaire d’enjeux sociaux [15]. Dans son étude des sanctions politiques internationales contre la torture, Émilie Combaz l’entend comme le « fait de concevoir, de présenter et de prendre une sanction politique, comme le résultat d’une décision volontariste d’un ou de plusieurs acteurs se réclamant de normes ou d’éthiques particulières » [16]. De tous ces modèles et définitions, nous retiendrons en particulier les travaux de Jacques Lagroye. Dans un essai à saveur programmatique, il définit la politisation comme la « requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités » [17]. Cette conception a de nombreux avantages, et notamment celui de porter sur le devant de la scène les notions de mécanismes sociaux de requalification, de (re) conversion des finalités d’action et d’octroi de légitimité – non seulement à l’enjeu devenu politique mais aussi aux agents ayant participé au processus. Par extension, nous concordons avec Virginie Guiraudon qui, dans le contexte de ses analyses des politiques d’immigration, qualifie davantage la politisation en l’associant à son entrée dans l’arène des politiques publiques [18]. Il y a politisation des migrations lorsque cet enjeu est « sorti » des réseaux restreints de l’appareil bureaucratique et inclus dans la sphère publique, lorsqu’il est présenté comme une question sociale et non plus technique, en somme lorsqu’il y a déplacement de frontières [19]. Cette définition fait écho aux travaux de Michael Zürn et de ses collaborateurs sur l’autorité et les institutions internationales, dans lesquels la politisation est la demande ou l’acte de déplacer un enjeu dans la sphère politique, et ce faisant de rendre politisé un enjeu préalablement non politisé [20]. Nous pensons en l’occurrence que juxtaposer la politisation et la sécuritisation nous permettra de suggérer de nouvelles pistes de recherches. Comme les études sur la politisation, les études sur la sécurité sont sans conteste l’un des champs les plus dynamiques de la recherche en relations internationales depuis la fin de la guerre froide. Ces dernières années, elles se sont en outre considérablement raffinées et complexifiées grâce aux travaux de Barry Buzan, aux arguments sociaux des constructivistes tels Richard Price, Peter Katzenstein, Emanuel Adler et Michael Barnett, et aux approches critiques de Keith Krause et Michael C. Williams [21]. Alors qu’il avait été vivement contesté dans les années 1980 et 1990, l’argument de la construction sociale de l’objet « sécurité » mis en avant par ces chercheurs est aujourd’hui largement accepté dans la littérature.

8 Inspirés par ces ouvertures paradigmatiques, d’autres ont poussé plus loin la réflexion en travaillant davantage sur les processus de sécuritisation, que nous définissons comme les processus par lesquels une question est incluse à l’intérieur de cadres sécuritaires qui mettent l’accent sur le contrôle, la défense et la police [22]. Comme pour les études sur la politisation, on observe depuis une quinzaine d’années un foisonnement de travaux sur la sécuritisation, entre autres des migrations, de l’environnement, de l’identité collective, de la citoyenneté et de la santé publique [23].

9 Plusieurs modèles ont cherché à mieux comprendre ce processus, notamment en ce qui concerne les nouveaux enjeux. S’inspirant de la tradition réaliste en relations internationales, certains chercheurs ont avancé l’argument selon lequel il serait une réponse à la condition objective que constitue l’anarchie internationale. Ainsi, pour Myron Weiner, un enjeu devient une question de sécurité pour les pays occidentaux lorsqu’il a la capacité de provoquer des conflits internationaux pouvant avoir des conséquences pour les intérêts nationaux de ces pays occidentaux [24]. Empruntant une approche néolibérale, d’autres ont tenté de démontrer que la sécuritisation est d’abord et avant tout une réponse étatique hautement coordonnée – voire rationnelle – à une menace géopolitique extérieure [25]. D’autres, comme Didier Bigo, davantage tournés vers les travaux de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, ont avancé la thèse de la gouvernementalité par l’inquiétude, reposant sur les pratiques routinières des professionnels de la sécurité qui créent et reproduisent de façon diffuse un système de peur et d’inquiétude [26]. Pour D. Bigo et ses collaborateurs, la sécurité n’est pas nécessairement une question de survie et ne fait pas appel à un sentiment d’urgence ou à des mesures exceptionnelles développées afin de protéger un objet de référence contre une menace sécuritaire. Dans le même ordre d’idées, Thierry Balzacq définit la sécuritisation comme un ensemble de pratiques inter-reliées expliquant la production, la diffusion, la réception et/ou la traduction d’une menace. Pour ce dernier, l’auditoire, le contexte et les dispositifs (au sens foucaldien) sont au cœur du processus [27]. D’autres, enfin, ont mis en lumière le rôle des lois, des experts, des entreprises privées et des images et ce, souvent, via une approche axée sur la gouvernementalité, le postmodernisme ou les mécanismes causaux [28]. Parmi les nombreux cadres d’analyse des processus de sécuritisation développés ces dernières années, celui de Barry Buzan, Ole Wæver, and Jaap de Wilde a suscité le plus attention [29]. S’inspirant à la fois des travaux de John L. Austin et de Carl Schmitt, Buzan et al. ont avancé l’idée que ce processus renvoie à ce que l’on appelle un acte de langage [30]. Les philosophes ont longtemps pensé qu’il n’y avait que des énoncés de constat, portant sur le vrai ou le faux. Or J.L. Austin a mis au jour l’existence d’énoncés performatifs, qui ne font pas que décrire une situation ou une réalité mais qui « font » quelque chose, comme la phrase « je vous déclare mari et femme » qui transforme le statut civil de deux personnes à partir du moment où elle est prononcée. Dire cette phrase, c’est accomplir un acte transformateur.

10 Dans le cas de la sécuritisation, l’acte de langage présente une question comme une menace sécuritaire existentielle à l’identité collective/nationale, à la société ou à l’État. Toutefois, un acte de langage sécuritaire n’entraîne pas automatiquement la sécuritisation de la question visée. Celle-ci ne devient un enjeu de sécurité qu’à la suite d’un processus social particulier comprenant (mais pas uniquement) des actes de langage sécuritaire qui la représentent, la construisent et la redéfinissent comme telle [31].

11 Les études portant sur la sécuritisation ne sont pas homogènes et cette façon de concevoir est contestée [32], mais l’avantage premier des travaux de Buzan, Wæver et de Wilde, pour notre propos, est d’établir avec précision le seuil différenciant la politisation de la sécuritisation.

De la nécessité de distinguer la politisation et la sécuritisation

12 Il ne fait aucun doute que le nouvel environnement mondial du XXIe siècle se définit – et se définira de plus en plus – dans l’espace créé par l’interpénétration des deux champs d’études que sont la politisation et la sécuritisation. L’importance qu’il y a à différencier les deux processus tient principalement au fait qu’ils ne renvoient pas aux mêmes phénomènes. Politiser un enjeu est une chose, le « sécuritiser » en est une autre, puisque mettre une question en politique ne signifie pas nécessairement l’inclure à l’intérieur de cadres sécuritaires. D’ailleurs, toutes les questions politisées ne sont pas « sécuritisées ». Reflets d’une politique mondiale de plus en plus complexe, les processus de politisation et de sécuritisation renvoient à des questionnements normatifs forts différents et font par conséquent intervenir des catégories d’agents et des répertoires d’actions très différenciés. Le fait qu’un enjeu soit politisé n’appelle pas nécessairement les mêmes réponses que s’il est « sécuritisé ». Puisque les rapports de force et de hiérarchisation sociale propres à ces deux processus ne sont potentiellement pas identiques, il nous paraît utile d’être en mesure de les différencier afin d’offrir la possibilité d’une analyse des leurs influences réciproques. Cette distinction est d’autant plus importante qu’elle permet de dégager des hypothèses de travail (par exemple l’intensification) sur les liens (ou ponts) connectant ces deux processus sociaux et qu’elle ouvre la possibilité d’une analyse poussée de leur contestation.

13 Pour autant, cette distinction ne signifie pas que politisation et sécuritisation ne partagent pas certaines prémisses. La définition lagroyenne de la politisation et la conception de la sécuritisation selon Buzan et al. présentent en effet de nombreuses similitudes. Premièrement, toutes deux acceptent d’emblée la construction sociale de leur objet d’étude (ce qui représente davantage une avancée pour les études sur la sécuritisation). Ni la politisation ni la sécuritisation d’une question ne sont objectives. Et leur construction sociale se fait rarement au singulier dans la mesure où, même s’ils sont initiés par une seule tentative ou un seul agent, ils nécessitent la constante réaffirmation, voire la répétition de cette construction.

14 Deuxièmement, les deux modèles postulent que les agents participants aux processus ne sont pas tous égaux. En effet, un agent « sécurisateur » ou politique doit posséder un pouvoir et une reconnaissance sociale particuliers pour que sa tentative de sécuritisation ou de politisation soit prise en considération. En écho aux critiques que Bourdieu a adressées à Austin sur la nécessité de prendre en compte dans l’analyse des énoncés performatifs les rapports sociaux intrinsèques à l’espace social [33], il est important de reconnaître que le pouvoir social d’un agent peut être institutionnel. Leurs positions sociales peuvent en effet avantager certains agents dans les processus de politisation et de sécuritisation, et les agents dits institutionnels sont susceptibles de posséder un pouvoir social qui renforce à la fois leur légitimité à parler en termes politiques ou sécuritaires et la prise en compte par les autres agents de leur tentative de requalification politique ou sécuritaire. De toute évidence, les agents occupant des fonctions politiques sont les exemples classiques d’agents institutionnels. Cependant, dans un contexte de mondialisation et de transnationalisation, le cadre d’analyse doit permettre l’étude du rôle des agents médiatiques, des maires de grandes villes, des groupes de pression, des organisations non gouvernementales et des entreprises privées de sécurité. L’approche utilisée doit être à même d’absorber et de problématiser ces hypothèses. Si la majorité des études ont mis en lumière le rôle des agents étatiques, tant l’approche lagroyenne que l’approche de Buzan et al. acceptent d’emblée que d’autres agents puissent requalifier une activité sociale ou un enjeu. L’inventaire des agents impliqués dans la politisation ou la sécuritisation d’un enjeu se fait au cas par cas.

15 Par ailleurs, et faisant cette fois écho aux critiques que Judith Butler a formulées à l’encontre des théories de Bourdieu au sujet de l’importance d’accepter l’idée que les positions sociales sont elles-mêmes le résultat d’une construction à travers le processus de performativité et qu’il existe une différence entre « être autorisé à parler » et « parler avec autorité » puisqu’il est possible de « parler avec autorité sans y être autorisé », il est également important de reconnaître que le pouvoir social d’un agent peut être émergent [34], c’est-à-dire qu’il peut avoir peu de pouvoir social au début du processus mais que celui-ci peut augmenter précisément grâce aux questions qu’il soulève. Ainsi, l’approche lagroyenne et l’approche de Buzan et al. considèrent leurs sphères respectives comme spécialisées et relativement autonomes. Elles postulent également que la catégorie d’agents concernés – qu’ils soient institutionnels ou émergents – est théoriquement ouverte (la sécuritisation ne relève pas uniquement des professionnels de la sécurité), et que leur objectif est toujours de requalifier des activités sociales ou des enjeux.

16 Troisièmement, l’espace social dans lequel évoluent ces agents est un lieu de rapports de force en mobilité constante, où chacun lutte pour renforcer sa position et façonner le champ du pouvoir (politique ou sécuritaire) à son avantage. Quatrièmement, les agents ne peuvent politiser ou « sécuritiser » seuls une question ; ils ne naviguent pas librement dans un vacuum social vers une politisation/sécuritisation automatique ou souhaitée, et ne peuvent s’exclure de l’environnement dans lequel ils interagissent. Certes, ils possèdent un degré considérable d’autonomie mais leur capacité à reproduire ou à transformer le champ politique et sécuritaire n’est pas sans contraintes ni sans limites. De même, les facteurs structurels ou contextuels dans lesquels ils évoluent ne peuvent être à eux seuls à l’origine de ces processus. Ils n’existent pas de façon objective dans l’espace social en attente d’exercer leurs influences, et requièrent donc un pouvoir agentiel. Ainsi, l’arrivée circonstancielle par bateaux de demandeurs d’asile et d’immigrants ne peut à elle seule imposer une sécuritisation des migrations internationales ; ce facteur contextuel doit être interprété comme un enjeu de sécurité pour devenir tel. Il en va de même pour l’architecture sociale, les normes, les rapports de force, l’ensemble des lois nationales, les conventions internationales et le système international. En somme, les processus de politisation et de sécuritisation font appel à la co-constitution de l’agent et de la structure.

17 Cinquièmement, la politisation ou la sécuritisation d’une question résulte souvent d’une fenêtre d’opportunités, c’est-à-dire d’un événement provoquant une rupture de l’ordre sociologique, culturel, politique ou sécuritaire établi, et offrant à ce titre des possibilités d’action aux agents désireux de requalifier et de redéfinir les structures sociales. Or, comme le souligne Y. Barthe, bien que la plupart des études sur la politisation se soient concentrées sur les fenêtres d’opportunités exogènes, il est important de rappeler que ces « chocs » peuvent également être d’origine endogène [35].

18 Sixièmement, les processus de politisation et de sécuritisation ne sont pas de facto négatifs. On peut ainsi politiser les migrations internationales positivement en soulignant les avantages du multiculturalisme ou l’apport considérable des immigrants à la société, même s’il arrive que les agents désireux de politiser négativement les migrations fassent entendre leurs voix plus fortement que les autres. À cet égard, V. Guiraudon a rappelé que la politisation des migrations internationales pouvait représenter un risque pour l’avancement des droits des étrangers [36]. La sécuritisation, elle aussi, peut être interprétée comme un processus soit positif, soit négatif. L’intensité du débat sur les implications normatives de la sécuritisation et de la dé-sécuritisation l’illustre parfaitement [37]. Au-delà de ces similitudes, l’intérêt d’une juxtaposition des deux processus est bien ce qui les distingue, alors même, nous l’avons dit, qu’ils ne s’excluent ni ne se concurrencent. Les processus de politisation et de sécuritisation peuvent coexister, voire se renforcer ou s’affaiblir mutuellement. Leur relation ne saurait être comprise uniquement en termes linéaires ou même dans une dynamique à double sens. De façon plus réaliste, ils devraient être vus selon une approche dite de contiguum [38] soulignant leur chevauchement potentiel, spatialement et temporellement.

19 Dans le cas qui nous intéresse ici, nous opèrerons la distinction entre les deux processus essentiellement en fonction du critère de survie. La sécurité est en effet affaire de survie. Le processus de sécuritisation prend forme lorsqu’un enjeu est présenté comme étant une menace existentielle à un objet de référence. Labelliser ainsi un enjeu confère à celui-ci une importance légitimant l’emploi de mesures exceptionnelles, puisque l’objet de référence est menacé de disparition tant qu’aucune action n’est entreprise.

20 Si elle peut sembler faire obstacle à une théorisation et à une compréhension de processus de sécuritisation plus nuancés, cette approche possède l’avantage de fournir un point d’ancrage par lequel les dynamiques sécuritaires peuvent être distinguées des dynamiques politiques. Elle limite la sphère de la sécurité à la survie et force un mécanisme de justification et de légitimation des efforts à « sécuritiser » un enjeu à l’extérieur de ses limites bien définies. En effet, c’est une chose de critiquer l’inefficacité du processus de reconnaissance des réfugiés et des services d’intégration, la surconcentration des immigrants dans les grands centres urbains et les obstacles à la reconnaissance des équivalences professionnelles. C’en est une autre de déclarer que les migrations internationales sont une menace à la sécurité nationale.

Politisation et sécuritisation des migrations : le cas du Canada

21 Le Canada offre de nombreux exemples de la validité et de l’utilité de la démarche consistant à distinguer les processus de politisation et de sécuritisation en matière de migrations. De nombreuses études ont démontré que l’immigration a toujours été et continue d’être socialement construite comme faisant historiquement partie intégrante de ce qui définit la nation et l’identité canadiennes [39]. Pour démontrer que les processus de politisation et de sécuritisation sont distincts mais pas nécessairement en compétition, nous examinerons la façon dont certains agents médiatiques et politiques ont interprété deux événements internationaux (ou fenêtres d’opportunités ou chocs exogènes) ayant consolidé et/ou bousculé la construction identitaire canadienne.

22 La montée en flèche du nombre de réfugiés à travers le monde au début des années 1990 est certainement un bon exemple de choc exogène ayant rudement mis à l’épreuve le regard porté par le Canada sur les migrations internationales. En moins d’une décennie, de 1984 à 1992, le nombre de réfugiés dans le monde est passé de 9 millions à 18 millions. Cette augmentation fulgurante a donné naissance à une multitude de projections, scénarios et arguments développés en termes de « vagues », d’« invasions », de « mouvements incontrôlables de populations »...

23 Entre 1989 et 1994, les migrations internationales ont été le principal sujet de plus de 70 éditoriaux de La Presse. Le quotidien a « mis en politique » plusieurs aspects de ces migrations : la validité des catégories d’immigrants admis au Canada, les relations fédéral-provincial en matière de gestion du phénomène, l’impact économique de ce dernier pour le Québec et le Canada. Or, de tous ces thèmes, celui du système de détermination des réfugiés est particulièrement révélateur d’une politisation qui n’a pas mené à une sécuritisation.

24 Dans son éditorial du 2 mars 1992, Alain Dubuc, éditorialiste en chef de La Presse, a avancé l’argument selon lequel les organisations non gouvernementales de défense des réfugiés nuisaient à la réputation du Canada en matière de politique migratoire. Selon lui, ces organisations montaient en épingle les erreurs, se focalisaient sur les cas isolés de rejet de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et braquaient leurs projecteurs sur les situations touchantes et les cas qui font « pleurer, (…) en raison de la présence d’un bébé ou d’un enfant qui a appris le français » [40]. Il estimait que ces groupes abreuvaient la société canadienne de dénonciations des injustices et expulsions arbitraires subies par ceux qui demandent refuge au Canada, et déplorait que l’on « s’apitoie sur le cas de Bulgares qui fuient un stalinisme disparu, de Mexicains victimes d’un fascisme dont on cherche les traces, de gays argentins », au lieu de parler de l’« exceptionnelle générosité » canadienne en la matière. Sans doute les médias s’étaient-ils faits complices, par excès de culpabilité, d’« une propagande que personne n’os[ait] plus dénoncer ». En somme, pour A. Dubuc, le Canada était trop généreux et les seuls gagnants d’un système manquant si cruellement de « cohérence et de justice » étaient les fraudeurs. Il fallait donc revoir l’attitude en cours qui était d’ouvrir les bras et de fermer les yeux, et pour ce faire se poser les questions suivantes : « Est-il normal (…) que presque personne ne soit refoulé aux frontières du Canada, même si leur histoire ne tient pas debout ? Est-il normal que les réfugiés en attente de statut aient droit à l’aide juridique, une invitation à étirer les délais et à multiplier les recours ? Est-il normal que l’aide sociale soit automatique et qu’un réfugié dont le cas est douteux puisse louer un appartement et travailler ? Est-il également normal qu’un réfugié accepté devienne automatiquement un immigrant quand le droit à l’asile est temporaire et devrait cesser quand la situation dans le pays d’origine revient à la normale ? ».

25 Cet éditorial a provoqué de vives réactions, en particulier de la part des organisations visées. Dans sa réponse aux « lettres aux éditeurs » reçues à la suite de la parution de son texte, A. Dubuc a déclaré que l’influence démesurée sur le débat public des lobbies et des groupes de pression rendait impossible une réflexion critique sur l’accueil des réfugiés sans que cela déclenche pour autant « les foudres des mafias qui s’arrogent le monopole de la vérité » [41]. Les exigences des combats menés par ces organisations prenaient le dessus sur « la recherche de la vérité et du débat démocratique ». Selon lui, ces organisations avaient une vision simpliste du monde : il y avait les bons et les méchants et les complots du « pouvoir » étaient partout. Et A. Dubuc de conclure que les groupes de pression et de défense des réfugiés étaient « largement responsables des imperfections du système ».

26 Cet épisode constitue un bon exemple de politisation (de surcroît intense) d’un aspect des migrations internationales. Il y était en effet question de groupes de pression, de politiques publiques et de possibilité d’une réflexion critique. En revanche, que ce soit dans son éditorial ou dans sa réponse aux lettres reçues, A. Dubuc n’a pas formulé de tentative de sécuritisation. Il n’a jamais soutenu que les migrations ou les réfugiés représentaient une menace existentielle pour la société (québécoise ou canadienne) ou étaient un vecteur de perte d’identité collective (et donc de sécurité sociétale).

27 Au demeurant, le fait de ne pas considérer les migrations comme une question de sécurité est la position officielle de l’équipe de La Presse depuis le début des années 1990. Certes, le 27 octobre 1989, le vétéran journaliste Pierre Vennat a publié l’un des rares éditoriaux du journal écrits entre 1989 et 2005 en faveur de la sécuritisation des migrations, mais l’analyse des éléments de rupture et de continuité dans la position de l’équipe rédactionnelle révèle que cet éditorial n’a été qu’un moment isolé. Dans « L’immigration et la survie du Québec francophone », P. Vennat déclarait en effet : « Ceux qui refuseront d’accepter qu’au Québec “c’est en français que ça se passe” devront tout simplement être dirigés ailleurs » [42]. Selon lui, l’anxiété et la peur des francophones envers l’immigration étaient tout à fait légitimes et justifiées parce provoquées par « la menace très réelle que fait peser l’immigration, dans l’état actuel des choses, sur la survie du Québec francophone ». Tous les ingrédients de la sécuritisation étaient ainsi réunis : survie, menace, disparition de l’objet de référence (le fait francophone au Québec) et nécessité d’adopter rapidement des mesures radicales.

28 Depuis, de nombreux éditoriaux ont catégoriquement et systématiquement rejeté l’argument de P. Vennat. Dans son éditorial du 19 août 1993, Agnès Gruda a estimé que le transfert de nombreuses responsabilités liées au portefeuille de l’immigration vers le ministère de la Sécurité publique fraîchement créé comportait le risque d’encourager la « xénophobie et [l’]intolérance ». En effet, puisque l’objectif premier du ministère de la Sécurité publique est de traquer les criminels de tous acabits, associer les immigrants et les criminels dans un même ministère procurait une fausse impression de contrôle et d’ordre. Selon l’éditorialiste, « il y a des gens qui fraudent l’assistance sociale, d’autres qui déjouent le fisc ou l’assurance-chômage : on ne place pas pour autant tous les assistés sociaux, ni tous les salariés, sous la coupe de la Sécurité publique. Pourquoi le ferait-on pour les immigrants ? » [43].

29 Le 11 décembre de la même année, A. Gruda a également soutenu, sur la base d’une étude du Conseil supérieur de la langue française, que la nouvelle réalité de la société québécoise était la plus belle « négation de ce stéréotype de l’immigrant-voleur-de-culture ». Le grand mérite de l’étude, soulignait-elle dans son éditorial « La langue et les chiffres », est de couper « l’herbe sous le pied des prophètes de malheur qui croient que la meilleure manière de se battre pour la survie du français, c’est de mousser la peur de l’étranger » [44]. À l’automne 1999, lors du Congrès national du Parti québécois (au pouvoir depuis 1994), l’aile radicale du parti a repris comme en écho les propos de l’éditorialiste P. Vennat sur une immigration responsable du déclin des francophones qui du coup seraient minoritaires sur l’île de Montréal dans quelques années. La nécessité de protéger les francophones « de souche » ayant été ainsi réaffirmée, l’un des objectifs du Congrès national a été de définir les politiques à adopter face à cette menace. Cette prise de position du Parti québécois a fait bondir A. Dubuc, d’autant que le Premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard (également chef du Parti québécois) semblait lui donner sa caution morale. Dans son éditorial du 2 octobre 1999 intitulé « Le Parti québécois et la peur de l’immigrant », il a déclaré qu’il était « odieux » et « méprisable » de jouer ainsi les Québécois « de souche » contre les autres. « C’est également stupide, poursuivait-il, parce que les quelque 30 % d’allophones ne constituent pas un groupe homogène, mais une mosaïque de langues et de cultures. » Ce qui était nouveau et inquiétant selon lui, c’était que « ces stratégies d’épouvantail » en général portées uniquement par les radicaux du Parti québécois trouvaient désormais écho auprès du gouvernement, et notamment de la ministre responsable du dossier linguistique, Louise Beaudoin, qui gérait les politiques linguistiques « avec un intégrisme qui ne correspond[ait] pas aux valeurs des Québécois francophones » : « Pour prendre une analogie avec la politique française (…) ses positions la situent, dans les faits, plus près du Front national que du Parti socialiste » [45]. Certes, A. Dubuc admettait que le poids accru de l’immigration représentait un défi pour le Québec, mais il précisait également que cela ne justifiait que l’on voie ce phénomène comme l’amorce d’un déclin ou une menace pour les francophones. Si l’on met de côté la contradiction avec certains anciens éditoriaux de La Presse (que Dubuc ne mentionne d’ailleurs pas), l’élément important ici est que la position éditoriale de La Presse depuis 1990 a été de rejeter sans équivoque la sécuritisation des migrations internationales et de traiter de façon soutenue et répétée le phénomène des migrations sous l’angle uniquement politique.

30 Les éditorialistes de La Presse n’ont toutefois pas été les seuls à qualifier et requalifier sans relâche les migrations internationales comme un enjeu politique et non sécuritaire. Entre 1990 et 2000, ceux du Globe and Mail, le plus important journal canadien, n’ont eu de cesse de refuser la lorgnette sécuritaire dans leur traitement du thème des migrations internationales auquel ils consacrent pourtant près d’une dizaine d’éditoriaux par an. Insistant sur les pouvoirs discrétionnaires du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, sur les contributions des immigrants à l’économie canadienne ou sur les failles du système de détermination des réfugiés, entre autres, le Globe and Mail opte dans la majorité des cas pour une politisation positive des migrations internationales. « Si l’immigration provoque de l’anxiété liée aux changements culturels qu’elle apporte, ce sont les premières générations d’immigrants qui peuvent la revendiquer et non la société canadienne. Leurs enfants seront très différents d’eux » remarquait un éditorialiste du journal le 6 novembre 1997 [46], tandis qu’un autre rappelait un an plus tard, le 9 juin 1998 : « L’idée selon laquelle Toronto va devenir dans quelques mois une ville composée majoritairement de non-Blancs est présente depuis des décennies… La peur était que ce changement radical provoquerait des explosions sociales, des conflits ethniques et une augmentation drastique de la criminalité. Rien de tout cela n’est arrivé. La grande nouvelle est à quel point cette nouvelle n’en est pas une » [47]. Le 31 janvier 2000, le Globe and Mail est allé plus loin encore en qualifiant de troublant et de « décourageant » le fait que les Américains puissent adopter à la frontière canado-américaine des mesures de sécurité similaires à celles qu’ils imposent au Mexique : « Est-il possible de sécuritiser la frontière canado-américaine ? Et même si cela était possible, est-ce souhaitable ? De futiles tentatives d’inspecter tout le monde traversant la frontière créerait un problème plutôt qu’une solution » [48].

31 L’importance de distinguer les processus de politisation et de sécuritisation s’est fait particulièrement sentir au tournant du XXIe siècle. À l’été 1999, quatre bateaux transportant au total près de 600 individus d’origine chinoise s’échouaient sur la côte occidentale du Canada. Les bateaux étaient dans un état pitoyable et les conditions dans lesquelles avaient voyagé leurs passagers ont été dénoncées par tous les observateurs. Certes, le premier bateau arrivé le 20 juillet n’a suscité que peu de réactions, mais lorsque le quatrième bateau s’est échoué le 9 septembre la crise des « réfugiés chinois » qui a éclaté alors a été d’une ampleur sans précédent. Ces arrivées ont en effet relancé les débats relatifs à la souveraineté, à la citoyenneté et à la politique d’immigration et des réfugiés du Canada. Leur couverture médiatique très imposante a occupé l’essentiel de l’actualité politique et sociale du pays pendant plusieurs semaines. Ce qui est désormais communément appelé « l’été chinois de 1999 » aurait pu facilement servir de prétexte au Premier ministre de l’époque pour populariser l’idée que ces migrations de masse étaient un exemple frappant des nouvelles dynamiques sécuritaires auxquelles le Canada devait faire face en ce début de siècle. Or Jean Chrétien (1993-2003) ne s’est pas contenté de ne faire aucune tentative de sécuritisation, il a également participé activement au processus de qualification et de requalification politique de l’arrivée massive de ces réfugiés, qualification positive en l’occurrence puisqu’il a vanté à plusieurs reprises la valeur ajoutée de l’immigration, les bienfaits du multiculturalisme et les contributions à la société canadienne des premières, deuxièmes et souvent troisièmes générations d’immigrants. L’élément fondamental demeure que le Premier ministre a opté pour une qualification et une requalification politique du phénomène de l’arrivée massive de réfugiés sur les côtes canadiennes plutôt que de choisir de qualifier ou requalifier cet événement en termes sécuritaires.

32 Le ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy (1996-2000) n’a pas, lui non plus, formulé de tentative de sécuritisation. S’il y avait menace à la sécurité, celle-ci ne concernait pas, selon lui, la société canadienne mais bien les réfugiés eux-mêmes, puisque « des millions d’individus vulnérables sont forcés de fuir leurs maisons, se présentent à des frontières qui sont ouvertes une minute puis fermées aussitôt, sont poussés à se cacher, sont séparés de leurs familles, perdent leurs identités, sont abusés sexuellement et cruellement tués » [49].

33 En revanche, la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Elinor Caplan (1999-2002), a interprété de façon bien différente cet « été chinois ». Selon elle, la question centrale pour le gouvernement du Canada en ce tournant du XXIe siècle était de « maintenir l’équilibre adéquat entre [les] objectifs humanitaires [du Canada] et la nécessité d’assurer [sa] sécurité face à cette migration mondiale ? » [50]. Dans l’un des discours qu’elle a prononcés tout de suite après la crise, elle a soutenu qu’une politique accrue de détention des réfugiés arrivés par bateaux était pour cela nécessaire : « Nous savons que, si un processus accéléré des demandes d’immigration est une partie de la solution, une politique de mise en détention de ces individus l’est également » [51]. Le nœud du problème était d’ailleurs, selon elle, que cet « été chinois » n’était que « la pointe de l’iceberg » : au Royaume-Uni, l’arrivée de migrants sans papiers avait augmenté de plus de 150 % au cours des années 1990, les Pays-Bas avaient reçu près de 50 000 demandes d’asile en 1998 et 21 bateaux avaient échoué sur les côtes australiennes en à peine cinq mois en 1999. Elle estimait donc que le Canada devait renforcer son système de surveillance ; sa « tradition de nation d’immigration [était] en jeu », et toutes les actions nécessaires seraient prises pour assurer sa survie [52]. Sur la scène nationale, E. Caplan s’est voulue rassurante, déclarant que les agents de l’immigration travaillaient conjointement avec la Gendarmerie royale du Canada (RCMP), le Service de renseignements canadien de sécurité (CSIS) et des spécialistes en études criminelles et de sécurité afin « d’assurer la sécurité des Canadiens » [53]. Ces menaces, poursuivait-elle, à la société canadienne et au bon fonctionnement de ses institutions confirmaient la nécessité de modifier l’appareil législatif vers une capacité accrue d’intercepter les migrants illégaux à l’étranger, des pénalités criminelles plus lourdes pour ceux qui contrevenaient aux lois canadiennes et un emploi plus étendu de la détention.

34 En somme, notre analyse du cas des migrations internationales au Canada montre que les processus de politisation et de sécuritisation sont certes deux processus distincts mais qu’ils ne sont pas mutuellement exclusifs ni nécessairement en concurrence directe l’un avec l’autre. Nous avons également vu que parfois les deux processus cohabitent. Enfin, notre étude de cas vient renforcer l’idée que les deux processus sont socialement construits, et partant que les facteurs exogènes n’existent pas de façon objective dans l’espace social en attente d’exercer leurs influences.

35 L ’approche dite de contiguum présentée ici permet d’entrevoir de multiples hypothèses de travail pour mieux comprendre la nature des relations entre les processus de politisation et de sécuritisation : une politisation négative favorise-t-elle à coup sûr le processus de sécuritisation, et si oui, de façon circonstancielle ou à plus long terme ? Est-il possible qu’un enjeu participe au processus de sécuritisation sans être mis en politique ? Une politisation positive répétée, voire institutionnalisée, agit-elle comme un obstacle à la sécuritisation ? Les processus de sécuritisation peuvent-ils engendrer une amplification des processus de politisation positive ou négative ? Nous retiendrons ici deux hypothèses en particulier : l’intensification et la contestation, ou plus précisément la résilience. Michael C. Williams est l’un des premiers à avoir proposé l’hypothèse de l’intensification comme vecteur d’une meilleure compréhension des processus de politisation et de sécuritisation [54]. Il explique ainsi que la notion d’intensification est intrinsèque (bien que non explicite) à la conception du processus de sécuritisation proposée par Buzan, Wæver et de Wilde, dans la mesure où, pour eux, un enjeu n’est susceptible de sécuritisation que s’il peut être « intensifié » au point d’être présenté comme une menace existentielle nécessitant des mesures sécuritaires d’urgence et que cette interprétation est acceptée. En revisitant les travaux fondateurs de Hans Morgenthau et de Carl Schmitt, Williams avance que le concept d’intensification pourrait représenter le chaînon manquant liant les processus de politisation et de sécuritisation, puisqu’il met en relief les liens étroits entre la sécurité et diverses notions telles que l’inquiétude et la peur en concevant ces notions comme des formes d’intensification en dessous du seuil critique propre à la sécurité. Puisque l’intensification peut s’exprimer selon diverses formes et modalités, il devient possible de rassembler les processus de politisation et de sécuritisation sous un même toit où interviennent pleinement les pratiques politiques et sécuritaires [55].

36 Puisque ces processus n’évoluent pas dans un vacuum social, nombre d’études ont cherché à comprendre les mécanismes de contestation de la politisation et de la sécuritisation. En études sur la sécuritisation, quatre stratégies ont particulièrement retenu l’attention : la dé-sécuritisation, la résilience, la résistance et l’émancipation [56].

37 La résilience, qui tire ses origines de la psychologie (principalement dans la littérature francophone) et de l’écologie (surtout dans la littérature anglophone), offre des pistes de réflexion utiles, particulièrement en distinguant trois types : la résilience comme maintien du statu quo, la résilience en tant qu’ajustement marginal et la résilience comme moteur d’un renouvellement [57]. Une société craignant qu’une immigration massive ne bouscule radicalement les fondements de son identité collective pourrait privilégier le maintien du statu quo et ce faisant accepter largement les tentatives de sécuritisation proposées par certains agents. La survie de l’objet de référence (l’identité collective) serait ainsi protégée par une stratégie de résilience (visant le maintien du statu quo) face à des chocs exogènes (arrivées réelles ou potentielles de migration massive). En d’autres termes, il y aurait eu politisation de la sécuritisation et non politisation vers la sécuritisation, comme le postule l’hypothèse de l’intensification. À l’inverse, une société craintive des conséquences de la sécuritisation des migrations pourrait opter pour une stratégie de résilience comme moteur de renouvellement en faveur d’une redéfinition de ses fondements sociopolitiques. La survie de l’objet de référence (l’identité collective) serait ainsi assurée par un renouvellement de la politisation de l’enjeu porteur de menace potentielle (la migration massive).

38 L’objectif de cet article est de souligner l’importance d’étudier la politisation avec un regard international, et ainsi de faire quelques pas vers une meilleure compréhension des liens étroits entre la politisation et de sécuritisation. Ces deux processus étant assurément au cœur des réalités sociales contemporaines, il reste à souhaiter que le dialogue entamé ici entre les différents champs d’études concernés se développe, se dynamise et se complexifie. ■

Notes

  • [1]
    Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « La politisation des individus », Critique internationale, 50, 2011.
  • [2]
    Nous utilisons le néologisme sécuritisation, plutôt que sécuritarisation, puisqu’il est largement utilisé dans ce champ d’étude dans la littérature francophone.
  • [3]
    Roger Cobb, Charles D. Elder, Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda Building, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972 ; R. Cobb et al., « Agenda Building as a Comparative Political Process », American Political Science Review, 70 (1), 1976.
  • [4]
    Pierre Lascoumes, « Gouverner par les instruments. Ou comment s’instrumente l’action publique ? », dans Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003 ; P. Lascoumes, « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation », Revue française de science politique, 59 (3), 2009.
  • [5]
    Yannick Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », dans J. Lagroye (dir.), op. cit. ; Y. Barthe, Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Économica, 2006.
  • [6]
    Frank R. Baumgartner, Bryan D Jones, « Agenda Dynamics and Policy Subsystems », The Journal of Politics, 53 (4), 1991.
  • [7]
    Myriam Aït-Aoudia, Mounia Bennani-Chraïbi, Jean-Gabriel Contamin, « Indicateurs et vecteurs de la politisation des individus : les vertus heuristiques du croisement des regards », Critique internationale, 50, 2011 ; Sophie Duchesne, Florence Haegel, « La politisation des discussions, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation », Revue française de science politique, 54 (6), 2004.
  • [8]
    Frédéric Vairel, Lamia Zaki, « Politisation sous contrainte et politisation de la contrainte : outsiders politiques et outsiders de la ville au Maroc », Critique internationale, 50, 2011.
  • [9]
    Gilles Pécout, « La politisation des paysans au XIXe siècle. Réflexions sur l’histoire politique des campagnes françaises », Histoires et sociétés rurales, 2 (2), 1994.
  • [10]
    Y. Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », cité.
  • [11]
    Y. Déloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1996.
  • [12]
    Magali Della Sudda, « La politique malgré elles. Mobilisations féminines catholiques en France et en Italie (1900-1914) », Revue française de science politique, 60 (1), 2010 ; Olivier Ihl, « L’urne et le fusil. Sur les violences électorales lors du scrutin du 23 avril 1848 », ibid. ; Julie Pagis, « La politisation d’engagements religieux. Retour sur une matrice de l’engagement en mai 68 », ibid. ; Julien Talpin, « Ces moments qui façonnent les hommes. Éléments pour une approche pragmatiste de la compétence civique », ibid. ; Stéphane Dufoix, « Fausses évidences. Statut de réfugié et politisation », Revue européenne de migrations internationales, 16 (3), 2000 ; Camille Hamidi, « Éléments pour une approche interactionniste de la politisation. Engagement associatif et rapport au politique dans des associations locales issues de l’immigration », Revue française de science politique, 56 (1), 2006 ; Stéphanie Guyon, « Politisation et hiérarchies coloniales : Amérindiens et Noirs-marrons à St-Paul (Guyane française, 1946-2000) », Critique internationale, 50 (1), 2011 ; Benjamin Gourisse, « Enquête sur les relations entre politisation et études supérieures : le cas turc (1971-1980) », Critique internationale, 50, 2011 ; M. Aït-Aoudia, M. Bennani-Chraïbi, J.-G. Contamin, « La politisation des individus », cité.
  • [13]
    M. Aït-Aoudia, M. Bennani-Chraïbi, J.-G. Contamin, « Contribution à une histoire sociale de la conception lagroyenne de la politisation », Critique internationale, 48, 2010.
  • [14]
    Françoise Lorcerie, « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 », dans F. Lorcerie, La politisation du voile. L’affaire en France et son écho à l’étranger, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [15]
    P. Lascoumes, « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation », art. cité, p. 457.
  • [16]
    Émilie Combaz, « Sanctions politiques internationales et crimes de torture : entre (il) légitimités et (dé) politisation, effets et paradoxes », Raisons politiques, 17, 2005, p. 67.
  • [17]
    J. Lagroye, « Les processus de politisation », dans J. Lagroye (dir.), La politisation, op. cit..
  • [18]
    Virginie Guiraudon, « Citizenship Rights for Non-Citizens : France, Germany, and the Netherlands », dans Christian Joppke, Challenge to the Nation-State, Oxford, Oxford University Press, 1998.
  • [19]
    Lionel Arnaud, Christine Guionnet (dir.), Les frontières du politique. Enquêtes sur les processus sociaux de politisation et de dépolitisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [20]
    Michael Zürn et al., « International Authority and Its Politicization », International Theory, 4, 2012.
  • [21]
    Barry Buzan, People, States and Fear : An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era, Harvester Wheatsheaf, Lynne Reinner, 1983 ; Richard Price, The Chemical Weapons Taboo, Ithaca, Cornell University Press, 1997 ; Peter J. Katzenstein (ed.), The Culture of National Security : Norms and Identity in World Politics, New York, Columbia University Press, 1996 ; Emanuel Adler, Michael N. Barnett, Security Communities, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; Keith Krause, Michael C. Williams, Critical Security Studies : Concepts and Cases, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997.
  • [22]
    Philippe Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, Londres, Routledge, 2011 ; P. Bourbeau, « Processus et acteurs d’une vision sécuritaire des migrations : le cas du Canada », Revue européenne des migrations internationales, 29 (4) 2013.
  • [23]
    Rita Floyd, Security and the Environment : Securitisation Theory and US Environmental Security Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 ; Lene Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », European Journal of International Relations, 17, 2011 ; P. Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, op. cit. ; Stefan Elbe, « Should HIV/ AIDS Be Securitized ? The Ethical Dilemmas of Linking HIV/AIDS and Security », International Studies Quarterly, 50 (1), 2006 ; P. Bourbeau, « La diaspora chinoise repensée », Études internationales, 32 (4), 2001 ; Peter Nyers (ed.), Securitizations of Citizenship, Londres, Routledge, 2009 ; P. Bourbeau, La Chine et la diaspora chinoise. L’Extrême-Orient russe convoité, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Melissa G. Curley, Jonathan Herington, « The Securitisation of Infectious Disease : International Norms and Domestic Politics in Asia », Review of International Studies, 37, 2011.
  • [24]
    Myron Weiner, International Migration and Security, Boulder, Westview Press, 1993.
  • [25]
    Christopher Rudolph, National Security and Immigration : Policy Development in the United States and Western Europe since 1945, Stanford, Stanford University Press, 2006.
  • [26]
    Didier Bigo, « Sécurité et immigration : vers une gouvernementalité par l’inquiétude », Cultures & Conflits, 31-32, 1998 ; Didier Bigo, Anastassia Tsoukala, « Understanding (In) security », dans D. Bigo, A. Tsoukala, Terror, Insecurity, and Liberty, Londres, Routledge, 2008 ; Ayse Ceyhan, Anastassia Tsoukala, « The Securitization of Migration in Western Societies : Ambivalent Discourses and Policies », Alternatives, 27, supplément spécial, 2002.
  • [27]
    Thierry Balzacq, « A Theory of Securitization. Origins, Core Assumptions, and Variants », dans T. Balzacq, Securitization Theory. How Security Problems Emerge and Dissolve, Londres, Routledge, 2011.
  • [28]
    Jarrod Hayes, « Securitization, Social Identity, and Democratic Security : Nixon, India, and the Ties That Bind », International Organization, 66, 2012 ; L. Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », art. cité ; Trine Villumsen Berling, « Securitization and Science : Objectivation, the Authority of the Speaker and Mobilization of Scientific Facts », Security Dialogue, 42 (4-5), 2011 ; Rita Abrahamsen, Michael C Williams, Security beyond the State : Private Security in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
  • [29]
    Barry Buzan et al., Security : A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1998 ; Ole Wæver, « Securitization and Desecuritization », dans Ronnie D. Lipschultz, On Security, New York, Columbia University Press, 1995 ; B. Buzan, O. Wæver, « Macrosecuritisation and Security Constellations : Reconsidering Scale in Securitisation Theory », Review of International Studies, 35 (2), 2009.
  • [30]
    John L. Austin, How to Do Things with Words : The Williams James Lectures Delivered at Harvard University in 1955, Oxford, Clarendon Press, 1962 (Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970).
  • [31]
    P. Bourbeau, The Securitization of Migration. A Study of Movement and Order, op. cit. ; M. C. Williams, « Words, Images, Enemies : Securitization and International Politics », International Studies Quarterly, 47 (4), 2003 ; L. Hansen, « Theorizing the Image for Security Studies : Visual Securitization and the Muhammad Cartoon Crisis », art. cité.
  • [32]
    Pour un récent tour d’horizon des différents points de désaccord, voir le numéro spécial dirigé par Ulrik P. Gad et Karen L. Petersen, « Concepts of Politics in Securitization Studies », Security Dialogue, 42 (4-5), 2011. Voir également T. Balzacq, « The Three Faces of Securitization : Political Agency, Audience and Context », European Journal of International Relations, 11 (2), 2005 ; Matt McDonald, « Securitization and the Construction of Security », European Journal of International Relations, 14 (4), 2008 ; Juha A. Vuori, « Illocutionary Logic and Strands of Securitization : Applying the Theory of Securitization to the Study of Non-Democratic Political Orders », European Journal of International Relations, 14 (1), 2008.
  • [33]
    Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.
  • [34]
    Judith Butler, Excitable Speech : A Politics of the Performative, Londres Routledge, 1997 ; J. Butler, « Performativity’s Social Magic », dans Richard Shusterman, Bourdieu. A Criticial Reader, Londres, Blackwell, 1999.
  • [35]
    Giovanni Capoccia, Daniel Keleman, « The Study of Critical Junctures : Theory, Narrative and Counterfactuals in Historical Institutionalism », World Politics, 59, 2007 ; James Mahoney, Kathleen Thelen (eds), Explaining Institutional Change : Ambiguity, Agency, and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 ; Y. Barthe, « Le recours au politique ou la problématisation politique “par défaut” », art. cité.
  • [36]
    V. Guiraudon, « Citizenship Rights for non-citizens : France, Germany, and the Netherlands », art. cité.
  • [37]
    Jef Huysmans, « Dire et écrire la sécurité : le dilemme normatif des études de sécurité », Cultures & Conflits, 31-32, 1998 ; Claudia Aradau, « Security and the Democratic Scene : Desecuritization and emancipation », Journal of International Relations and Development 7, no. 4, 2004 ; Paul Roe, « Securitization and Minority Rights : Conditions of Desecuritization », Security Dialogue, 35 (3), 2004 ; R. Floyd, Security and the Environment : Securitisation Theory and US Environmental Security Policy, op. cit. ; Lene Hansen, « Reconstructing Desecuritisation : The Normative-Political in the Copenhagen School and Directions for How to Apply It », Review of International Studies, 38 (6), 2012.
  • [38]
    Il ne s’agit donc pas de voir les deux processus dans une logique séquentielle mais bien de permettre la théorisation de leur potentielle simultanéité. Cette approche est particulièrement utilisée dans la littérature sur les crises humanitaires et la gestion des désastres. Philippe Régnier et al., « From Emergency Relief to Livelihood Recovery. Lessons Learned from Post-tsunami Experiences in Indonesia and India », Disaster Prevention and Management, 17 (3), 2008 ; Tim O’Dempsey, Barry Munslow, « “Mind the Gap !” Rethinking the Role of Health in the Emergency and Development Divide », International Journal of Heatlh Planning and Management, 24 (1), 2009.
  • [39]
    Jeffrey G. Reitz, « Canada : Immigration and Nation-Building in the Transition to a Knowledge Economy », dans Wayne A. Cornelius et al., Controlling Immigration : A Global Perspective, Stanford, Stanford University Press, 2004 ; Irene Bloemraad, Becoming a Citizen : Incorporating Immigrants and Refugees in the United States and Canada, Berkeley, University of California Press, 2006 ; Alison Mountz, Seeking Asylum : Human Smuggling and Bureaucracy at the Border, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010.
  • [40]
    Michael Zürn et al., « International Authority and Its Politicization », International Theory, 4, 2012.
  • [41]
    A. Dubuc, « La pression des groupes de pression », La Presse B3, 19 mars, 1992.
  • [42]
    Pierre Vennat, « Éditorial. L’immigration et la survie du Québec francophone », La Presse B2, 27 octobre, 1989.
  • [43]
    Agnès Gruda, « Éditorial. Immigration : à droite, toute ! », La Presse B2, 19 août, 1993.
  • [44]
    A. Gruda, « Éditorial. La langue et les chiffres », La Presse B2, 11 décembre, 1993.
  • [45]
    A. Dubuc, « Éditorial. Le PQ et la peur de l’immigrant », La Presse B2, 2 octobre, 1999.
  • [46]
    « Editorial », The Globe and Mail A26, 6 novembre 1997. Nous traduisons les citations en anglais utilisées dans cet article.
  • [47]
    « Editorial », The Globe and Mail A16, 9 juin 1998.
  • [48]
    « Editorial », The Globe and Mail A14, 31 janvier 2000.
  • [49]
    Lloyd Axworthy, Notes for an Address by the Honourable Lloyd Axworthy, Minister of Foreign Affairs, to the Middlebury College 200th Anniversary Symposium on International Affairs, Ottawa, Département des Affaires étrangères, 30 mars 2000.
  • [50]
    Elinor Caplan, Notes for an Address by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, to the Maytree Foundation Trends in Global Migration Forum, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 12 janvier 2000.
  • [51]
    E. Caplan, Remarks by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, to the Canadian Club, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 9 septembre 1999.
  • [52]
    Ibid..
  • [53]
    E. Caplan, Statement by the Honourable Elinor Caplan, Minister of Citizenship and Immigration, on Illegal Human Smuggling to Canada, Ottawa, Département de la citoyenneté et de l’immigration, 11 août 1999.
  • [54]
    M. C. Williams, « Words, Images, Enemies : Securitization and International Politics », art. cité ; M. C. Williams, « The Continuing Evolution of Securitization Theory », dans T. Balzacq, Securitization Theory. How Security Problems Emerge and Dissolve, op. cit. ; M. C. Williams, « Securitization and the Liberalism of Fear », Security Dialogue, 42 (4-5), 2012.
  • [55]
    Emanuel Adler, Vincent Pouliot (eds), International Practices, Cambridge, Cambrige University Press, 2011.
  • [56]
    T. Balzacq (ed.), Contesting Security, Londres, Routledge, 2013.
  • [57]
    P. Bourbeau, « Resiliencism : Premises and Promises in Securitization Research », Resilience : International Politics, Practices and Discourses, 1 (1), 2013 ; P. Bourbeau, « Resilience and Security Studies : Initiating a Dialogue », dans T. Balzacq (ed.), Contesting Security, op. cit..
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