Notes
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[1]
Entretien réalisé avec un résident déplacé de Gazi Nagar (Mumbai) qui a porté plainte devant la Commission d’inspection (Inspection Panel) de la Banque mondiale en 2004.
-
[2]
Entretien réalisé auprès du Secrétaire aux projets spéciaux (Secretary Special Projects) du gouvernement du Maharashtra.
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[3]
Le droit mou est un ensemble de règles de droit non obligatoires. On le trouve en droit international (les déclarations des Nations unies, les plans d’action, les codes de conduite, les lignes directrices), mais aussi, et de plus en plus, en droit national (les décrets administratifs, les directives, etc.).
-
[4]
Nos sources primaires ont été recueillies en deux temps : d’abord, lors d’un terrain de sept mois sur plusieurs sites, puis lors d’un terrain de deux mois sur plusieurs sites également. Les premières, issues de l’observation participante, comprennent des conversations informelles et des entretiens formels conduits à Mumbai en 2007 (Ciara Grunder). Les secondes comprennent d’autres entretiens réalisés cette fois auprès de militants et de personnes déplacées et le suivi de plusieurs affaires devant la Bombay High Court en 2009 et 2010 (Shalini Randeria). Nos interlocuteurs sont des employés de la Banque mondiale, des bureaucrates, des urbanistes, des architectes, les habitants des bidonvilles ainsi que les militants et les avocats qui représentent leurs intérêts. Au cours de ces années, nous avons également recueilli de multiples sources secondaires : des documents des gouvernements de l’Inde et du Maharashtra, des rapports de la Banque mondiale, des dossiers de la Commission d’inspection, des pétitions en justice et la correspondance de ceux qui se sont élevés contre les injustices occasionnées par le développement des infrastructures de la ville. Les citations et les paraphrases des opinions exprimées par les acteurs sont le fruit d’entretiens réalisés par C. Grunder lors de son enquête de terrain sur le projet de transport urbain à Mumbai (MUTP) de septembre 2006 à mars 2007. Ciara Grunder, Wer macht sich hier breit ? Transformation in eine « Weltklasse-Stadt » : Das Mumbai Urban Transport Project und die Umsiedlung von SlumbewohnerInnen, Lizentiatsarbeit, Institute of Social Anthropology, University of Zurich, 2008.
-
[5]
Shalini Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », European Journal of Sociology, 44 (1), 2003, p. 27-60 ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », Theory, Culture and Society, 24 (1), 2007, p. 1-33.
-
[6]
Voir Usha Ramanathan, « Displacement and the Law », Economic and Political Weekly, 1996, p. 1486-1489, et U. Ramanathan, « Demolition Drive », Economic and Political Weekly, 2 juillet 2005, p. 2908-2912, sur le déplacement et la démolition des bidonvilles, ainsi que U. Ramanathan, « Illegality and the Urban Poor », Economic and Political Weekly, 22 juillet 2006, p. 3193-3196, sur l’« illégalité » et les urbains pauvres.
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[7]
Il convient de comparer cette situation avec l’analyse, proposée par Véronique Dupont, des efforts visant à faire de Delhi une « ville globale » par la création de centres commerciaux, de complexes résidentiels de luxe et de nouvelles infrastructures, ce qui impliquait aussi de « nettoyer » la métropole de ses pauvres en détruisant – c’est-à-dire en repoussant vers la périphérie – les taudis et les bidonvilles (Véronique Dupont, « The Dream of Delhi as a Global City », International Journal of Urban and Regional Research, 35, 2011, p. 533-554). Dans le cas de Delhi, la Banque mondiale n’était pas impliquée dans le projet de restructuration urbaine, de sorte que l’État n’a pas eu à négocier ses choix avec une institution internationale ou avec des ONG. Et pourtant, comme à Mumbai, cette restructuration est attaquée devant les tribunaux, ce qui confère au pouvoir judiciaire un rôle de premier plan dans la gestion urbaine de cette ville. Notre analyse diffère cependant de celle de V. Dupont dans la mesure où nous ne considérons pas ce point comme un trait spécifique du remodelage de la capitale, mais comme une caractéristique de la judiciarisation du politique et de la politisation du judiciaire, manifestes dans toutes les villes de l’Inde.
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[8]
Voir Patrick Hassenteufel, « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale : les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques », Revue française de science politique, 55 (1), 2005, p. 113-132 (http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2005-1-page-113.htm) sur le besoin, en Europe, d’étudier la dimension transnationale de l’élaboration des politiques et le rôle des acteurs intermédiaires impliqués dans leur diffusion. P. Hassenteufel met l’accent sur les mécanismes de transfert, de traduction et d’hybridation. Nous pensons que ces politiques ne sont pas transférées en l’état du niveau transnational au niveau national ou local. C’est pourquoi nous préférons nous concentrer sur les processus de négociation entre les acteurs internationaux, nationaux, publics et privés. Nous avons choisi de ne pas utiliser la métaphore de la traduction qui contient l’idée d’un original transformé au cours de la traduction, ni celle de l’hybridation qui contient celle d’une forme pure rendue hybride par sa domestication dans un nouveau contexte. Nos matériaux désignent plutôt l’existence de pouvoirs asymétriques connus, de connections inconnues et de surprenants circuits de circulation des politiques dans le temps, l’espace et à des niveaux différents.
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[9]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », 2004 (www.worldbank.org/inspectionpanel) (consulté le 10 mars 2005).
-
[10]
World Bank, « Project Appraisal Document. Mumbai Urban Transport Project », 2002 (www.worldbank.org) (consulté le 10 septembre 2007) ; World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité.
-
[11]
Sally Falk Moore, « An International Regime and the Context of Conditionality », dans Michael Likosky (ed.), Transnational Legal Processes : Globalization and Power Disparities, Londres/Edimbourg, Butterworths and LexisNexis, 2002, p. 333-352.
-
[12]
S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité.
-
[13]
Jonathan Fox, L. David Brown, The Struggle for Accountability : The World Bank, NGOs, and Grassroots Movements, Cambridge, The MIT Press, 1998.
-
[14]
World Bank, « Policies and Procedures », n. d. (www.worldbank.org) (consulté le 3 septembre 2008). Les PO et PB 4.12 remplacent la directive opérationnelle (DO) 4.30 de la Banque mondiale sur la réinstallation involontaire.
-
[15]
World Bank, « Project Appraisal Document. Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 98. Les informations entre parenthèses ont été ajoutées par les auteurs.
-
[16]
S.F. Moore, « An International Regime and the Context of Conditionality », cité.
-
[17]
Ugo Mattei, « A Theory of Imperial Law : A Study on U.S. Hegemony and the Latin Resistance », Indiana Journal of Global Legal Studies, 10 (1), 2003, p. 385.
-
[18]
Les militants du Groupe de travail national sur le déplacement ont recommandé la création de normes en faveur d’une réinstallation et d’une réhabilitation équitables dont la portée dépasse celle des normes que la Banque mondiale avait adoptées. S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », art. cité.
-
[19]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 5.
-
[20]
Mumbai Transformation Support Unit (MTSU), Strategy for Land and Housing Development, Mumbai, All India Institute of Local Self-Government, 2006.
-
[21]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 7-9 ; World Bank, « Management Report and Recommendation in Response to the Inspection Panel Investigation Report : India Mumbai Urban Transport Project », 2006 (www.worldbank.org/inspectionpanel) (consulté le 12 octobre 2007) ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », 2006, 54f (http://siteresources.worldbank.org/EXTINSPECTIONPANEL/Resources/AnnualReport05-06.pdf) (consulté le 15 août 2007).
-
[22]
Sheela Patel, Kalpana Sharma, « One David and Three Goliaths : Avoiding Anti-Poor Solutions to Mumbai’s Transport Problems » (http://eau.sagepub.com/content/10/2/149.full.pdf).
-
[23]
Sundar Burra, « Resettlement and Rehabilitation of the Urban Poor : The Mumbai Urban Transport Project », 2001, p. 6 (http://www.sparcindia.org) (consulté le 10 octobre 2007).
-
[24]
Dana Clarke, Jonathan Fox, Kay Treakle, Demanding Accountability : Civil Society Claims and the World Bank Inspection Panel, India, Rainbow Publishers Ltd, 2003 ; S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité ; S. Randeria, « Global Designs and Local Lifeworlds : Colonial Legacies of Conservation, Disenfranchisement and Environmental Governance in Postcolonial India », Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 9 (1), 2007, p. 12-30 ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », art. cité.
-
[25]
Ces critiques, qui, de façon étonnante, furent prononcées par deux anciens membres de l’IMP et partagées par les membres de la Commission d’inspection, correspondent aux observations déjà émises en 2007 à propos du fonctionnement de l’IMP. World Bank, « The Inspection Panel Investigation Report », 2005, S. 197f (http://siteresources.worldbank.org/EXTINSPECTIONPANEL/Resources/IPNMUTPFINAL.pdf). (consulté le 10 octobre 2005) ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », cité.
-
[26]
World Bank, « The Inspection Panel Investigation Report », cité ; World Bank, « Management Report and Recommendation in Response to the Inspection Panel Investigation Report : India Mumbai Urban Transport Project », cité ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », cité.
-
[27]
Section de la Banque mondiale qui prête aux pays les plus pauvres.
-
[28]
Pierre Rosanvallon, Democracy Past and Future, New York, Columbia University Press, 2006.
-
[29]
S.F. Moore, « Comparisons : Possible and Impossible », Annual Review of Anthropology, 34, 2005, p. 3.
-
[30]
Jean Comaroff, John L. Comaroff, Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, p. 15.
-
[31]
Les auteures remercient Vincent Duclos qui a traduit ce texte de l’anglais et sont tout particulièrement reconnaissantes à Delphine Boisselier pour la révision qu’elle a faite du texte en français. Shalini Randeria remercie également Gilles Tarabout et Daniela Berti pour leur invitation à venir présenter en mai 2009 à l’EHESS (Paris) une première version de cet article lors de l’inauguration du projet de recherche « Just India » sur la gouvernance et la justice en Inde et en Asie du Sud. Voir Gilles Tarabout, Daniela Berti et al., « Just India : A Joint Programme on Justice and Governance in India and South Asia » (http://www.just-india.net). La plupart des remarques faites au cours de la discussion ont été incluses dans la version finale. Cette rencontre a été le début d’un échange d’idées extrêmement fructueux avec plusieurs membres du groupe de recherche à Paris et en Inde sur le droit non étatique, le pluralisme juridique, la justice environnementale et l’État indien. Elle remercie Birgit Müller pour l’invitation à présenter ce travail lors du workshop « Anthropologie des organisations internationales : mécanismes de gouvernance » en juin 2010 à l’EHESS, Paris.
« Le gouvernement a accepté la politique de la Banque mondiale qu’il a élaborée avec elle. Pourquoi ne la respecte-t-il pas ? Nous ne sommes pas très exigeants. Nous voulons seulement que nos problèmes soient résolus conformément à la politique de la Banque mondiale. Nous sommes prêts à déménager, mais uniquement à cette condition… Nous nous battons parce que notre projet est celui de la Banque mondiale [1]. »
« Les exigences de la Banque mondiale devraient être plus raisonnables. Le gouvernement du Maharashtra a été contraint d’accepter [sa] politique, mais nous n’avons pas pu la mettre en application. Les conditions de sa faisabilité devraient être posées. La Banque mondiale devrait aussi respecter les droits de propriété. Les personnes affectées par ce projet n’ont pas de licence commerciale ni de titre foncier [2]. »
1 La judiciarisation touche un nombre croissant d’univers, ce qui rend floue la distinction entre le droit au sens strict (c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiques établies par une instance dotée d’une autorité légitime) et les politiques. Elle correspond à un processus de création et d’interprétation du droit en général et du droit mou [3] (soft law) en particulier par des acteurs multiples (publics et privés, nationaux et internationaux). Les politiques et les procédures des institutions financières internationales, des agences de développement et des organisations humanitaires appartiennent à un domaine mal défini qui se trouve à l’intersection du droit international privé, du droit international public, des normes techniques et du droit mou. Malgré l’absence de caractère contraignant, elles ont des implications juridiques pour les individus et les communautés du Sud. Cette nouvelle forme de gouvernance a des conséquences importantes sur la souveraineté et les droits des citoyens. Son étude requiert un dialogue plus étroit entre des sous-champs disciplinaires qui se sont construits jusqu’ici indépendamment les uns des autres : l’anthropologie politique, l’anthropologie du droit, celle du développement et celle des politiques. Une anthropologie des institutions internationales se situerait plutôt à leur croisement.
2 Notre ethnographie examine les effets paradoxaux de la judiciarisation qui cherche à contrôler les déplacements forcés de populations dans l’État du Maharashtra à travers le projet de transports urbains à Mumbai (MUTP, Mumbai Urban Transport Project) subventionné par la Banque mondiale [4]. Nous décrivons ici la dynamique résultant de l’implication directe de l’institution financière internationale dans la formulation de la politique de réinstallation du MUTP. La formation de cette politique puis sa déformation mettent en relief les interactions entre quatre acteurs : la Banque mondiale, l’autorité du MUTP/le gouvernement du Maharashtra, les ONG et les entreprises privées de promotion immobilière. Toutefois, il s’avère que ni l’élaboration conjointe de la politique par la Banque mondiale et le gouvernement régional ni sa mise en place par les ONG et le secteur privé ne contribuent à sa « bonne gouvernance ». En l’occurrence, nous pensons qu’une pléthore d’acteurs peut émietter le pouvoir et diluer la responsabilité. Les personnes pour lesquelles le projet a eu des conséquences néfastes cherchent en vain à rendre l’État ou la Banque mondiale, et parfois les deux, responsables des difficultés liées à leur réinstallation.
3 Nous analyserons les stratégies de la Banque mondiale et celles du gouvernement indien, qu’ils agissent de concert ou l’un contre l’autre, pour décliner toute responsabilité dans la politique qu’ils ont pourtant conjointement négociée. La Banque mondiale se targue d’avoir conçu une politique novatrice mais ne veut pas endosser la responsabilité de son application. Les administrateurs étatiques, quant à eux, affirment l’impossibilité de mettre en pratique une politique indéfendable qu’ils n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter. Notre étude de cas cherche à révéler, d’une part, les politiques de complicité mutuelle entre la Banque mondiale et l’emprunteur, d’autre part, les politiques de souveraineté de ce que nous appelons l’« État rusé ». Nous utilisons cette expression [5] pour aller à l’encontre des discours sur la faiblesse de l’État qui abondent dans les cercles académiques et politiques, et parce que nous préférons nous concentrer sur ses stratégies plutôt que sur ses (in) capacités présumées. La souveraineté des États postcoloniaux est limitée à l’extérieur et contestée à l’intérieur. L’État rusé est en effet tout à fait capable de négocier les modalités de cession et de partage de la souveraineté dans certains domaines d’élaboration des politiques tout en conservant le contrôle intégral d’autres domaines. Nous cherchons à comprendre comment l’État mise sur son impuissance apparente pour légitimer ses choix auprès des citoyens et des donateurs internationaux. En invoquant son incapacité à exécuter des politiques et des programmes, il cherche également à justifier leur réalisation partielle et sélective auprès des institutions internationales. Cette mauvaise volonté est souvent interprétée comme une inaptitude, un signe de faiblesse. Or une telle lecture omet de reconnaître que la conformité relative et l’application inadéquate des politiques qu’ils négocient avec les institutions supranationales sont pour les États subalternes un moyen de résistance. Jusqu’à quel point et dans quels domaines les institutions financières internationales sont-elles disposées à tolérer une telle duplicité ? Cela dépend du domaine en question et du pays concerné. Notre ethnographie détaille ces pratiques bureaucratiques et leurs conséquences sur les acteurs intéressés : l’organisme public appliquant le projet, la Banque mondiale, les ONG et les citoyens affectés par la politique.
4 Nous nous opposons à l’idée selon laquelle les États subordonnés dans le système international sont incapables de gouverner leurs populations et leurs territoires et de négocier avec des institutions financières internationales puissantes. Nous cherchons plutôt à comprendre comment certains États du Sud utilisent les contraintes qui pèsent sur leur action pour légitimer certains choix et résultats politiques auprès des citoyens et des donateurs internationaux, se jouant ainsi des deux. Le recours à la notion d’« État rusé » permet d’évoquer la gamme des tactiques déployées par l’État pour, d’une part, apparaître puis disparaître des négociations, d’autre part, assembler puis désassembler des procédés qui vont le dégager de toute responsabilité.
5 Malgré les fortes revendications des mouvements sociaux et des ONG qui ont eu lieu ces trois dernières décennies, l’État indien n’a toujours pas formulé de politique nationale de réinstallation. Le bilan est affligeant. Chaque année depuis l’Indépendance, 500 000 personnes pauvres (selon les statistiques officielles du gouvernement de l’Inde) sont expropriées. La plupart des 30 millions d’individus expulsés de force n’ont été ni indemnisés ni réinstallés convenablement [6], et les tribunaux ne se sont pas montrés très bienveillants à leur égard [7]. Depuis son implication dans le MUTP, la Banque mondiale a adopté des critères de réinstallation plus équitables en accordant des crédits soumis à certaines conditions. Pourtant, malgré l’intervention de leurs représentants élus, les citoyens ne réussissent pas à influencer le cours et le contenu des négociations entre la Banque mondiale et l’administration. Les mécontents essaient par conséquent de protéger leurs droits à l’information, à la consultation, à la participation, à la réinstallation et au dédommagement en utilisant les instruments juridiques mis à leur disposition par les différentes institutions administratives, judiciaires et quasi judiciaires. Leur participation politique est davantage tournée vers une inspection et une surveillance, un changement dans l’exercice de leurs droits qui accompagne la transnationalisation de la formulation politique [8]. Les fonctionnaires du gouvernement régional responsables de la mise en œuvre du MUTP et les personnes déplacées, deux groupes d’acteurs qui se trouvent dans des positions fortement dissymétriques, vivent différemment les ambiguïtés de ce processus. Nous analyserons, d’une part, le mécanisme complexe de négociation des politiques de réinstallation entre la Banque mondiale et les fonctionnaires du gouvernement du Maharashtra, d’autre part, la ténacité des citoyens qui dénoncent les violations de la politique de la Banque mondiale devant la Bombay High Court et le mécanisme d’inspection de l’institution financière internationale.
Le projet de transport urbain à Mumbai
6 Avec ses 18 millions d’habitants environ, Mumbai, capitale administrative de la province du Maharashtra et métropole commerciale et financière de l’Inde, est l’une des plus grandes villes du monde. Le MUTP vise à améliorer l’infrastructure des transports de cette mégalopole pour faciliter la mobilité des individus et la circulation des marchandises. Il comporte trois volets : l’extension du réseau ferroviaire suburbain, le développement d’autoroutes à l’intérieur de la ville et un programme de réinstallation et de réhabilitation des personnes déplacées par ces travaux. La Banque mondiale a prêté 542 millions de dollars américains, c’est-à-dire plus de la moitié du coût total du projet estimé à 945 millions de dollars. Le reliquat est financé par l’Indian Railways, la Compagnie ferroviaire nationale, et les gouvernements fédéral et régional [9]. Une partie du prêt servira à financer la réinstallation et la réhabilitation des 120 000 personnes dont les maisons, les boutiques, les entreprises ou les petits établissements industriels se situent sur les terres prises pour élargir l’infrastructure des transports de la ville [10]. C’est seulement en Inde et en Chine que la Banque mondiale contribue actuellement à financer un projet de réinstallation urbaine d’une telle ampleur. Le MUTP est en fait le premier projet d’infrastructure financé par la Banque mondiale qui prévoie un budget pour une réinstallation. Et le montant de ce budget est aussi exceptionnel que l’est l’inclusion d’une politique de réinstallation dans le projet. Pourtant, les questions relatives à la réinstallation et la réhabilitation se révèlent être le talon d’Achille de ce dernier. Parmi tous les projets que la Banque mondiale a financés, aucun n’aura provoqué autant de contestations. Des plaintes ont été déposées devant la Commission d’inspection, l’organe quasi judiciaire de l’institution, pour violation flagrante de ses politiques de sauvegarde. Le rapport de la Commission a poussé les dirigeants de la Banque mondiale à suspendre temporairement en 2006, et pour la première fois, l’octroi de crédits pour tout projet en Inde. Il s’est ensuivi une vague de réactions en chaîne tant de la part des autorités chargées du projet que de l’institution créancière, qui a malgré tout poursuivi ses financements. Notre ethnographie détaille cette « danse des donateurs » [11] avec les États dépendants et ses conséquences sur les citoyens concernés.
7 La planification de ce projet gigantesque d’amélioration de l’infrastructure ferroviaire suburbaine a démarré en 1995. Il a été présenté comme le pivot de la croissance économique, de l’amélioration de la qualité de la vie et de la réduction de la pauvreté en ville. L’inclusion tardive dans le MUTP de l’extension d’autoroutes longeant la Santa-Cruz-Chembur Link Road et la Jogeshwari-Vikroli Link Road a posé plusieurs problèmes. Le coût de la réinstallation des personnes déplacées n’a pas été correctement budgétisé dans la demande de prêt. Or les propriétaires des magasins, des entreprises et des petites unités industrielles ont des besoins – en termes de réhabilitation – différents de ceux des familles pauvres qui ont été forcées de quitter leurs habitations de fortune le long des voies ferrées. Ce sont les personnes les plus aisées qui ont porté plainte contre les violations de la politique de déplacement du MUTP. Le Conseiller régional de sauvegarde (Regional Safeguards Advisor) de la Banque mondiale a estimé que cette incapacité à offrir aux divers groupes déplacés des compensations financières différenciées aggravait le conflit autour de la réinstallation.
8 Le gouvernement du Maharashtra, lui, a estimé qu’il devait contrevenir à ses propres lois d’acquisition des terres et à sa politique de démolition des bidonvilles pour se conformer aux exigences déraisonnables de la Banque mondiale. Les bureaucrates ont donc justifié l’application partielle et sélective de la politique de réinstallation par son inadéquation au contexte local et par sa méconnaissance de la politique nationale.
Les négociations de la politique de réinstallation
9 Si la Banque mondiale a tellement insisté pour qu’une politique de réinstallation soit dès le départ introduite dans le MUTP, c’est parce qu’elle voulait éviter de reproduire l’erreur qu’elle avait commise lors de la construction – qu’elle avait largement contribué à financer– des barrages sur le fleuve Narmada, dans l’Ouest de l’Inde. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, un réseau transnational de soutien avait mobilisé l’opinion publique mondiale contre l’installation du plus important de ces barrages, le Sardar Sarovar, qui avait forcé 200 000 personnes environ à partir sans qu’aucun dédommagement n’ait été prévu [12]. Cette campagne, qui a poussé la Banque mondiale à revoir fondamentalement ses politiques, a débouché sur les dispositions actuelles relatives au déplacement involontaire [13].
10 Pour des projets impliquant des déplacements de populations, les emprunteurs sont liés par la politique opérationnelle (PO) et la procédure bancaire (PB) 4.12, c’est-à-dire la politique sur la réinstallation involontaire (Involuntary Resettlement) de la Banque mondiale [14]. La politique de sauvegarde recommande la consultation préalable des personnes devant être déplacées pour s’assurer de leur participation dans la planification et la mise en application des programmes de réinstallation. Ceux-ci doivent être réalisés dans un souci de développement durable pour que les populations concernées par le projet puissent en retirer des bénéfices. La politique cherche également à aider ces personnes « à améliorer leurs moyens de subsistance et leurs niveaux de vie ou du moins à les ramener, d’une manière concrète, à ce qu’ils étaient avant le déplacement, voire avant le début de la mise en œuvre du projet ». La plupart des normes qui ont été incorporées dans la politique de réinstallation du MUTP émanent des revendications émises par des mouvements sociaux dans le Sud et par des ONG environnementales dans le Nord pendant la campagne contre les barrages sur le Narmada. Les fonctionnaires du gouvernement du Maharashtra ont jugé irréalisables les politiques imposées de manière autoritaire par la Banque mondiale. Pourtant, il s’avère que celles-ci contiennent des normes provenant de la société civile, dont le Mouvement de sauvegarde du Narmada (Save Narmada Movement), et qui ont été ensuite diffusées auprès d’emprunteurs du Sud par le biais de leur incorporation dans les politiques opérationnelles de la Banque mondiale. L’élaboration indirecte de ces politiques contribue donc à brouiller les frontières entre acteurs étatiques et non étatiques.
11 La lecture attentive du MUTP et des entretiens réalisés avec les bureaucrates impliqués dans les négociations révèle le processus par lequel les prescriptions politiques de la Banque mondiale sont devenues les politiques du gouvernement du Maharashtra. Dans son rapport d’évaluation du projet, la Banque mondiale a constaté que « le gouvernement du Maharashtra [avait publié] en mars 1997 une résolution gouvernementale (RG) adoptant une politique qui [avait été] ultérieurement modifiée par la directive opérationnelle (DO) 4.30 de la Banque mondiale sur la réinstallation involontaire. Cette dernière version a été révisée, puis approuvée par la Banque mondiale en février 2000. Par la suite, le gouvernement du Maharashtra a publié une résolution gouvernementale (Prakalpa 1700/CR 31/Slum 2, datée du 12 décembre 2000) qui entérinait la nouvelle politique du projet » [15]. Les interventions des donateurs dans la formulation de la politique sont accréditées par l’État receveur, mais, comme l’a souligné Sally Falk Moore [16], les conditions de l’octroi de l’aide sont formulées dans le langage du contrat, et cette « construction du consentement présumé » [17] transfère la responsabilité de la mise en application des politiques opérationnelles et des directives opérationnelles sur un emprunteur qui n’a d’autre choix que d’accepter les termes du prêt.
12 L’incorporation des normes de la politique opérationnelle de la Banque mondiale dans la politique de réinstallation du MUTP a demandé de très longues négociations avec le gouvernement du Maharashtra. Ce dernier a créé un groupe de travail ad hoc composé de hauts fonctionnaires et d’acteurs du secteur privé chargés d’aplanir à huis clos les différends. La Banque mondiale a insisté pour que ce groupe accueille également des représentants d’ONG. Sous leur impulsion, celui-ci a recommandé que chaque famille expulsée, qu’elle possède ou non un titre foncier, se voie attribuée, à titre compensatoire, un nouveau logement de 225 pieds carrés (20,91 m2). Les représentants du gouvernement ont cédé à cette demande de la Banque mondiale, tout en insistant pour limiter la taille du nouveau logement, abstraction faite de celle de l’ancien. En revanche, ils ont refusé d’adopter la directive de la Banque mondiale suggérant d’indemniser la perte de revenus ou de restaurer le niveau de vie des personnes déplacées au motif que cela créerait un précédent qu’ils pourraient difficilement reproduire ailleurs. Ils ont également dénoncé la rigueur de la politique de réinstallation du MUTP à laquelle tenait la Banque mondiale, qu’ils ont accusée d’avoir ralenti la marche du projet et d’en avoir augmenté le coût.
13 Les politiques liées à des projets de développement soulèvent des questions controversées au sujet du pluralisme juridique et de la fragmentation des droits des citoyens. Élaborées dans un contexte de développement spécifique, elles divisent le territoire national en plusieurs zones qui comprennent des aires et des populations différentes auxquelles s’appliquent les normes préalablement négociées avec une organisation internationale particulière. Il se peut d’ailleurs que les normes en question diffèrent selon le donateur, les lois et les politiques nationales.
14 La politique de la Banque mondiale sur la réinstallation involontaire conseille d’indemniser les personnes déplacées indépendamment de la durée de leur résidence précédant leur éviction ou de leur possession de titres fonciers [18]. Ce faisant, elle contrevient aux lois du gouvernement du Maharashtra qui ne prévoient pas d’indemniser les personnes qui ne possèdent pas de titre foncier sur les terres réquisitionnées par l’État à des fins publiques ou de démolition des bidonvilles. La politique de la Banque mondiale accordant aux personnes déplacées des droits beaucoup plus importants que ceux conférés jusque-là dans pareil cas par le gouvernement, il n’est guère étonnant que les personnes affectées par le projet insistent pour que ce soit cette politique, et non le droit national, qui s’applique à elles. Or pratiquement tous les individus déplacés par le MUTP appartiennent à la catégorie officielle des « habitants de bidonvilles » (slum dwellers) et par conséquent ne possèdent ni titre foncier ni licence commerciale [19]. Cela n’est guère surprenant puisque plus de la moitié de la population de Mumbai demeure dans des secteurs classés comme « bidonvilles » [20]. Les représentants du gouvernement se sont donc fortement opposés à la demande de la Banque mondiale de réhabiliter ceux qui, aux yeux de la loi, sont considérés comme des « envahisseurs illégaux ». Ils sont même allés jusqu’à imposer au MUTP une note de désaccord stipulant que l’insistance de la Banque mondiale à vouloir indemniser les « habitants des bidonvilles » allait promouvoir l’illégalité et reconnaître l’occupation illégale des terres.
15 La mise en œuvre de la politique par des acteurs non étatiques : l’exemple des promoteurs immobiliers et des ONG
16 Au cours des négociations, les représentants du gouvernement du Maharashtra ont contesté la proposition de la Banque mondiale d’accorder la responsabilité du programme de réinstallation à une organisation non gouvernementale. Ils ont plutôt recommandé l’Autorité chargée du développement régional urbain de Mumbai (MMRDA, Mumbai Metropolitan Regional Development Authority). Or, comme l’a constaté l’ancien dirigeant de la division Réinstallation et Réhabilitation du MUTP, ni la MMRDA ni la Banque mondiale n’ont vraiment d’expérience dans ce type de projet de réinstallation urbaine. Finalement, la responsabilité du programme a été accordée aux ONG.
17 Curieusement, la Banque mondiale et le gouvernement du Maharashtra se sont entendus sur l’implication dans le projet de promoteurs immobiliers privés, implication déjà prévue dans le Plan de réhabilitation des bidonvilles de la ville en vigueur depuis 1995. Plusieurs entreprises ont été ainsi sélectionnées pour bâtir des immeubles destinés à accueillir les personnes déplacées. En échange, elles ont obtenu l’autorisation de développer des projets immobiliers dans des secteurs prisés de Mumbai. La Banque mondiale loue cette approche novatrice dictée par le marché, parce qu’elle applique ce que l’on appelle les « Droits de développement transférables » (DDT) [21] qui permettent à l’État d’acquérir des terres privées pour étendre ses infrastructures. Les DDT donnent au promoteur le droit de construire ailleurs ou de vendre son autorisation de construire à un tiers à un taux deux fois et demi supérieur au coefficient d’occupation des sols (COS) fixé pour la réinstallation. Si une agence immobilière procure 1000 pieds carrés (92,90 m2) d’espace habitable pour loger les individus expulsés par le MUTP, elle acquiert le droit d’édifier des espaces commerciaux ou résidentiels de 2500 pieds carrés (232,25 m2) ailleurs dans la ville. Toutefois, la décision de réinstaller les personnes déplacées à la périphérie de la ville reflète plus les intérêts des promoteurs immobiliers que ceux des principaux intéressés qui auraient préféré rester près de leurs logements d’origine et de leurs commerces. Le fait de ne pas avoir été consultés avant leur réinstallation constitue une violation de la politique de la Banque mondiale.
18 L’implication d’acteurs non étatiques dans la mise en œuvre de la politique de réinstallation traduit les prescriptions néolibérales de la Banque mondiale en matière de développement. Néanmoins, elle peut être aussi perçue comme une réaction à l’ancienne attitude récalcitrante de l’État indien vis-à-vis des questions de déplacements forcés. Forte de l’expérience malheureuse des barrages du fleuve Narmada, la Banque mondiale a insisté pour confier la responsabilité des programmes de réinstallation du MUTP à trois ONG dotées d’une forte légitimité locale : la Société pour la promotion des centres de ressources des sites protégés (SPARC, Society for the Promotion of Area Resource Centres), la Société pour la réhabilitation des bidonvilles (SRS, Slum Rehabilitation Society) et la Fédération nationale des habitants des bidonvilles (NSDF, National Slum Dwellers Federation), investies depuis longtemps dans la promotion du droit au logement des populations urbaines les plus démunies. Tandis que la SPARC se considérait comme « un David contre trois Goliaths [la Banque mondiale, l’Indian Railways et le gouvernement du Maharashtra] » [22], les lignes de bataille ont été tracées autrement pour ceux qui ont été déplacés et qui se sont opposés à une réinstallation inadaptée. Pour eux, la SPARC faisait partie des « Goliaths ».
19 Ces trois ONG ont été engagées pour effectuer des enquêtes socioéconomiques auprès des 120000 personnes environ qui devaient être déplacées, et ce afin d’élaborer les plans de réinstallation qu’elles auraient ensuite la charge d’appliquer. Elles se virent également attribuer la tâche – que l’État n’assume pas – de déterminer les conditions d’éligibilité de ces individus aux mesures compensatoires, de leur fournir des pièces d’identité et des actes de propriété foncière. La SPARC et la NSDF ont obtenu en outre un contrat pour construire rapidement 2 500 appartements afin d’y loger temporairement les personnes déplacées. Elles ont alors proposé de bâtir ces « installations transitoires pour 75 % environ du coût estimé, ce qui a rendu leur offre attrayante autant pour la Banque que pour la MMRDA » [23]. Ainsi ces ONG sont-elles devenues des partenaires de la Banque mondiale et des promoteurs immobiliers.
La vaine recherche de solutions quasi judiciaires : les mécanismes d’inspection à différents niveaux
20 La Commission d’inspection, fondée en 1993, n’est pas un organe de décision judiciaire à part entière. Elle reçoit néanmoins les plaintes déposées par les personnes affectées négativement par tout projet subventionné par la Banque mondiale. Sa création répond à une demande de longue date des acteurs de la société civile. La Banque mondiale étant responsable envers ses États membres, il n’y a pas de raison, selon eux, qu’elle ne le soit pas aussi envers les citoyens des pays débiteurs concernés par ses politiques de prêt, mais qui n’ont pas droit de regard sur son fonctionnement. Grâce à cet organisme indépendant – une nouveauté en droit international –, les citoyens peuvent désormais avoir accès, à titre individuel, à une institution financière internationale et s’assurer que leur propre gouvernement adhère aux normes qu’elle établit, même si celles-ci n’ont pas de valeur juridique contraignante [24]. Les trois membres de la Commission d’inspection, qui ont un pouvoir de conseil et d’enquête, ont pour mission principale d’examiner le respect par le personnel de la Banque mondiale de ses politiques de sauvegarde et de ses procédures, ces dernières s’imposant aussi aux emprunteurs. Néanmoins, son existence ne rend pas la Banque mondiale juridiquement responsable. Elle ne permet pas non plus d’indemniser les individus dont les plaintes sont pourtant légitimes. En y recourant, comme à un forum où trouver des solutions, les citoyens et les organisations de la société civile cherchent plutôt à éprouver le privilège d’exclusivité de l’État-nation pour parler au nom de ses citoyens et représenter leurs intérêts sur la scène internationale.
21 En 2004 et 2005, quatre demandes d’enquête sur les violations de la politique de réinstallation du MUTP ont été déposées devant la Commission d’inspection. Les plaintes concernaient l’absence de consultation préalable de la communauté, le choix inapproprié des sites de réinstallation et la faiblesse des revenus et des niveaux de vie rendant impossible l’accès aux services publics essentiels (écoles, soins médicaux, eau, équipements de collecte des déchets). La réinstallation sur des sites éloignés, inaccessibles en transports en commun, a posé de graves problèmes de mobilité, augmenté les dépenses et le temps nécessaires pour aller travailler, voire occasionné une perte de revenus pour les foyers les plus démunis. Les pétitionnaires affirmaient que, d’après la politique de la Banque mondiale, une réhabilitation adéquate devait compenser le bouleversement des conditions de vie et le déclin des niveaux de vie.
22 Lors de leur visite à Mumbai, les habitants de Gazi Nagar se sont souvenu que des membres de la Commission d’inspection leur avaient expliqué qu’ils pouvaient attester les violations de la politique, mais en aucun cas prendre des décisions pour améliorer la situation des personnes déplacées, car ce pouvoir appartient aux dirigeants de la Banque mondiale. Ces derniers ont élaboré, conjointement avec la MMRDA, un « plan d’action » et réagi aux nombreuses plaintes déposées devant la Commission d’inspection en persuadant les autorités chargées du projet d’actionner les mécanismes de réparation des torts mis en place par le MUTP.
23 L’affaire soumise à la Bombay High Court et les plaintes déposées devant la Commission d’inspection ont contraint la MMRDA à prendre des mesures pour formaliser le fonctionnement de ces instances de réception des griefs. Or aucune audience régulière n’a eu lieu, même en 2006, lorsque la Banque mondiale a interrompu ses financements. Les plaintes présentées devant les Field Level et Senior Level Grievance Redress Committees, tous deux chargés de déterminer les personnes éligibles (sur recommandation des ONG) à des mesures compensatoires, ont été sommairement rejetées. Indignés que la Banque mondiale les force à instaurer dans le MUTP des mécanismes de plainte et méfiants à l’égard des individus vivant dans les milieux urbains défavorisés, les bureaucrates ont fait en sorte que les nouvelles instances demeurent totalement inefficaces. À la suite des critiques de la Commission d’inspection, la Commission indépendante de surveillance (IMP, Independent Monitoring Panel) du MUTP, troisième organe (après les Field Level et Senior Level Grievance Redress Committees) instauré sous la pression de la Banque mondiale, a été élargie pour inclure des membres indépendants, extérieurs à la bureaucratie étatique [25]. Or, n’ayant pas la compétence requise pour prendre des décisions contraignantes, l’IMP a été dans ce domaine totalement inefficace. Les dirigeants de la Banque mondiale et la MMRDA ont profité de son intégration dans le MUTP – dans le but d’y gérer les plaintes et de fixer les procédures à suivre – pour canaliser toute protestation contre le projet. Ils ont ainsi limité la marge de manœuvre de ceux sur lesquels le projet avait des effets défavorables en s’assurant que les conflits resteraient cantonnés dans les limites de l’IMP plutôt que portés devant la justice ou encore transnationalisés.
24 Ces instances quasi judiciaires ne fonctionnent pas, ce qui n’est guère surprenant. Elles ne sont donc d’aucun secours pour ceux qui ont perdu leur maison ou leur commerce. Leur existence sur le papier a dégagé la Banque mondiale de toute responsabilité quant à la résolution des problèmes relatifs à la mise en place du projet. Elle a également détourné les demandes en responsabilité, initialement adressées aux dirigeants de la Banque mondiale, vers les autorités du projet. Celles-ci se sont alors référées aux trois mécanismes de réparation des torts au sein du MUTP pour démontrer que leurs actions étaient en conformité avec les conditions de prêt et les exigences de la « bonne gouvernance ». Les citoyens sont restés sceptiques devant ces mécanismes internes. À la suite d’une requête qu’il avait déposée devant la Commission d’inspection, un membre de l’Association des propriétaires de magasins unis s’est demandé : « Qu’est-ce que cette bureaucratie où chacun est à la fois prévenu, juge et avocat ? Comment, dans un tel contexte, justice peut-elle être faite ? »
25 Devant l’incapacité, ou le manque de volonté, de la MMRDA à résoudre les problèmes sérieux liés à la réinstallation, la situation est devenue critique. Après une série de plaintes, la Commission d’inspection a lancé une enquête de terrain visant à confirmer les violations de la politique. Son rapport accusateur précisait que celles-ci portaient sur l’évaluation environnementale, le contrôle du projet et le déplacement involontaire. Il désapprouvait le choix des sites de réinstallation, la surestimation par les dirigeants de la Banque mondiale de l’aptitude des ONG et de l’autorité responsable du projet à appliquer les programmes de réinstallation sur une si grande échelle, l’inefficacité des mécanismes de réparation des torts du MUTP et enfin la détérioration des niveaux de vie des gens après leur relocalisation [26]. En mars 2006, ce même rapport a contraint, nous l’avons dit, la Banque mondiale à suspendre temporairement le dernier versement du crédit IDA (International Development Association [27], 20 %) et le prêt de 150 millions de dollars pour financer la route contestée et les aspects du projet relatifs à la réinstallation. L’« État rusé » a accueilli cette mesure comme un mal pour un bien, une occasion de s’affranchir des standards stricts établis par la Banque mondiale. Dans un entretien avec la presse, le dirigeant de la MMRDA a même fait savoir qu’il était soulagé d’apprendre la suspension temporaire, à cause de manquements graves à la politique de réinstallation, du crédit que la Banque mondiale avait initialement octroyé. Il a affirmé qu’il serait par ailleurs plus économique, plus rapide et moins lourd aussi de réaliser le projet sans tenir compte des politiques et des critères de la Banque mondiale qui augmentaient le coût de la réinstallation et de la réhabilitation que les autorités du projet ne pouvaient pas assumer. Enfin, il a annoncé que la MMRDA envisageait pour finaliser le projet de se tourner vers les banques japonaises qui prêtent à des taux plus bas sans condition sociale ni environnementale. Cette déclaration s’est révélée être une menace sans suite. Le gouvernement fédéral a persuadé les autorités chargées du projet et le gouvernement du Maharashtra de ne pas envenimer le conflit pour ne pas compromettre les relations entre le gouvernement indien et la Banque mondiale.
L’exercice des droits des citoyens par l’action juridique
26 Notre étude de cas montre que contrairement au droit de vote, toujours lié aux démocraties représentatives des État-nations, les droits d’inspection et de jugement, d’évaluation et de dénonciation s’exercent désormais non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur des frontières étatiques. Ceux qui vivent en marge de l’État-nation peuvent ainsi recourir à un nouvel espace transnational, comme celui de la Commission d’inspection de la Banque mondiale, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils vivent dans un monde de citoyenneté « post-nationale » ou « plurinationale ». Pierre Rosanvallon nomme « contre-démocratie », sur le plan national, la tendance actuelle à une surveillance et un contrôle accrus [28]. Même à l’échelle transnationale, les citoyens ont plus de facilité à inspecter, nommer ou humilier les gouvernements qu’à améliorer l’accès aux institutions internationales ou encore à y être représentés.
27 Aujourd’hui, les citoyens s’adressent davantage aux tribunaux mais participent moins aux élections. L’affaire de Mumbai révèle la disparition notable des mobilisations politiques, des débats parlementaires et des manifestations qui sont remplacés par un accroissement des litiges devant la High Court et sur la scène internationale. Le MUTP est un exemple remarquable de la ténacité des personnes qui cherchent, par des remèdes exclusivement juridiques, à obtenir une réhabilitation adaptée. Pourtant, les requêtes effectuées dans les sphères judiciaire et quasi judiciaire exigent d’abord une vaste mobilisation sur le terrain. Leur succès dépend aussi, dans une large mesure, de la capacité des citoyens à réunir des ressources, à attirer l’attention médiatique et à maintenir la pression politique.
28 Les revendications que les citoyens portent devant des forums juridiques, nationaux ou transnationaux, concernent davantage des questions d’inspection et de jugement que des problèmes classiques – liés à la citoyenneté – de légitimité, de participation et de représentation. Une grammaire plus large de gouvernance est apparue, qui étend le vocabulaire propre à la citoyenneté hors des frontières de l’État-nation. Dans le cadre de cette nouvelle architecture de non-responsabilité, les citoyens sont exposés à la difficulté d’identifier le destinataire de leurs protestations. Les militants évaluent différemment l’efficacité du recours – exclusif, consécutif ou simultané – aux arènes locales, nationales ou transnationales. Leurs stratégies changent selon la nature du problème, leur localisation et leur idéologie. Les ressources disponibles varient également. Elles conditionnent les soutiens que les acteurs locaux peuvent réunir à différents niveaux, les réseaux auxquels ils peuvent accéder ou les coalitions qu’ils peuvent établir et maintenir. L’affaire de Mumbai démontre que le destinataire de la protestation, l’échelle sur laquelle celle-ci se fait entendre et la stratégie utilisée pour faire avancer les revendications peuvent se modifier au cours de la lutte.
29 Nous avons montré qu’une politique de la Banque mondiale peut produire des effets très différents selon les contextes et en fonction de la puissance de négociation de l’État emprunteur et de sa capacité à contourner les politiques négociées dans un rapport de force inégal. Néanmoins, l’État bénéficie des prescriptions politiques externes et possède les moyens nécessaires pour influencer localement leur réalisation. Bien qu’il soit un objet de restructuration néolibérale, il façonne activement les résultats de cette politique. L’« État rusé » peut facilement s’affranchir de toute responsabilité à l’égard des citoyens et des institutions internationales en justifiant son manque de volonté par son incapacité à mettre en place une politique. La Banque mondiale est en situation d’interpréter la conformité partielle et les atermoiements de l’État comme un besoin d’améliorer ses aptitudes et sa gouvernance. Dans des mondes politiques transnationalisés, la dispersion du pouvoir obscurcit les prises de décision, dilue et dépouille la responsabilité. Dans ce contexte, les différents acteurs vivent le pluralisme juridique et l’avènement d’une sphère quasi judiciaire comme un moyen de donner et de retirer simultanément du pouvoir. Notre ethnographie a exploré la nature équivoque de certains de ces développements prometteurs.
30 La judiciarisation croissante s’accompagne aussi d’une institutionnalisation, à des échelles différentes, du secteur quasi judiciaire de la médiation, de l’arbitrage et de l’inspection. Les citoyens ont de plus en plus recours aux forums juridiques, qui sont d’ailleurs en pleine expansion, pour tenter d’influencer les résultats des politiques. Or l’accès à ces forums ne renforce pas nécessairement leurs droits et n’affirme pas non plus la responsabilité des institutions publiques. La prolifération des organes quasi judiciaires peut au contraire avoir des conséquences paradoxales. Les citoyens peuvent être placés devant une incertitude juridique dans la mesure où ils doivent se frayer un chemin dans un dédale d’institutions étrangères dont les juridictions floues se chevauchent. Les États et les institutions internationales essaient souvent de se dédouaner, soit en se renvoyant la responsabilité de la conception et de l’exécution des politiques, soit en la faisant reposer sur les acteurs non gouvernementaux qui sont impliqués dans le processus de leur élaboration. Seule une ethnographie fine peut décrire les effets et les pratiques de la judiciarisation. Ses ambiguïtés et ses limites peuvent alors être perçues par les acteurs « locaux », qu’ils soient des bureaucrates négociant avec les institutions internationales ou des individus contestant les programmes et les politiques de ces dernières. Une enquête ethnographique, menée intensivement pendant une longue période de temps sur un terrain donné, selon la méthode de l’observation participante, peut permettre d’examiner la manière dont les relations entre le « national » et l’« international », l’« interne » et l’« externe » ou le public et le privé sont reconfigurées. En outre, les analyses sur la transnationalisation du droit mou et des politiques publiques doivent comporter une dimension diachronique afin de pouvoir retracer la formation des politiques, puis leur déformation, par les différents acteurs, à des échelles et sur des sites différents. Seule une telle étude ethnographique des mondes de la politique peut tisser des liens entre les échelles et les sites pour révéler, comme le fait remarquer S.F. Moore, les « déformations du planifié et la formation de l’involontaire » [29]. Nous pensons que l’anthropologie des institutions internationales ne peut pas se limiter à la seule compréhension des pratiques des acteurs qui se trouvent à l’intérieur des institutions. Elle doit aussi inclure l’examen de ceux qui se trouvent à l’extérieur de leurs frontières et des différents sites. Enfin, l’enquête ethnographique est mieux à même de tracer les frontières, devenues floues, entre les institutions internationales, les gouvernements nationaux et les ONG en traçant la circulation des capitaux, les liens personnels et les réseaux d’élaboration des politiques qui relient les acteurs des différents sites. Lorsque les institutions internationales font l’objet d’une étude ethnographique minutieuse, elles apparaissent comme des entités moins distinctes et délimitées que poreuses, perméables et hétérogènes.
31
L’anthropologie des politiques offre le recul nécessaire pour cartographier
les processus de restructuration de l’État ainsi que ses relations avec les institutions internationales et les citoyens. Elle est bien adaptée pour saisir les
changements qui ont lieu, d’une part, dans la rhétorique et les pratiques de la
souveraineté, d’autre part, dans l’exercice des droits des citoyens. Notre
ethnographie de la (dé) formation de la politique de réinstallation du MUTP
a exploré la manière dont le droit mou devient efficace dans la vie quotidienne des personnes d’un endroit donné. Pour comprendre les processus de
judiciarisation dans un État en développement, justement nommé « État
d’expropriation endémique » par Jean et John Comaroff [30], l’étude de champs
dynamiques chargés de conflits est nécessaire. Leurs frontières ne sont pas
prédéfinies, mais au contraire empiriquement déterminées par l’objet de
notre enquête. Le processus d’élaboration des politiques ne peut être compris
sans mentionner les dispositifs de forces plus vastes qui se manifestent localement, mais ont une portée mondiale [31].
Notes
-
[1]
Entretien réalisé avec un résident déplacé de Gazi Nagar (Mumbai) qui a porté plainte devant la Commission d’inspection (Inspection Panel) de la Banque mondiale en 2004.
-
[2]
Entretien réalisé auprès du Secrétaire aux projets spéciaux (Secretary Special Projects) du gouvernement du Maharashtra.
-
[3]
Le droit mou est un ensemble de règles de droit non obligatoires. On le trouve en droit international (les déclarations des Nations unies, les plans d’action, les codes de conduite, les lignes directrices), mais aussi, et de plus en plus, en droit national (les décrets administratifs, les directives, etc.).
-
[4]
Nos sources primaires ont été recueillies en deux temps : d’abord, lors d’un terrain de sept mois sur plusieurs sites, puis lors d’un terrain de deux mois sur plusieurs sites également. Les premières, issues de l’observation participante, comprennent des conversations informelles et des entretiens formels conduits à Mumbai en 2007 (Ciara Grunder). Les secondes comprennent d’autres entretiens réalisés cette fois auprès de militants et de personnes déplacées et le suivi de plusieurs affaires devant la Bombay High Court en 2009 et 2010 (Shalini Randeria). Nos interlocuteurs sont des employés de la Banque mondiale, des bureaucrates, des urbanistes, des architectes, les habitants des bidonvilles ainsi que les militants et les avocats qui représentent leurs intérêts. Au cours de ces années, nous avons également recueilli de multiples sources secondaires : des documents des gouvernements de l’Inde et du Maharashtra, des rapports de la Banque mondiale, des dossiers de la Commission d’inspection, des pétitions en justice et la correspondance de ceux qui se sont élevés contre les injustices occasionnées par le développement des infrastructures de la ville. Les citations et les paraphrases des opinions exprimées par les acteurs sont le fruit d’entretiens réalisés par C. Grunder lors de son enquête de terrain sur le projet de transport urbain à Mumbai (MUTP) de septembre 2006 à mars 2007. Ciara Grunder, Wer macht sich hier breit ? Transformation in eine « Weltklasse-Stadt » : Das Mumbai Urban Transport Project und die Umsiedlung von SlumbewohnerInnen, Lizentiatsarbeit, Institute of Social Anthropology, University of Zurich, 2008.
-
[5]
Shalini Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », European Journal of Sociology, 44 (1), 2003, p. 27-60 ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », Theory, Culture and Society, 24 (1), 2007, p. 1-33.
-
[6]
Voir Usha Ramanathan, « Displacement and the Law », Economic and Political Weekly, 1996, p. 1486-1489, et U. Ramanathan, « Demolition Drive », Economic and Political Weekly, 2 juillet 2005, p. 2908-2912, sur le déplacement et la démolition des bidonvilles, ainsi que U. Ramanathan, « Illegality and the Urban Poor », Economic and Political Weekly, 22 juillet 2006, p. 3193-3196, sur l’« illégalité » et les urbains pauvres.
-
[7]
Il convient de comparer cette situation avec l’analyse, proposée par Véronique Dupont, des efforts visant à faire de Delhi une « ville globale » par la création de centres commerciaux, de complexes résidentiels de luxe et de nouvelles infrastructures, ce qui impliquait aussi de « nettoyer » la métropole de ses pauvres en détruisant – c’est-à-dire en repoussant vers la périphérie – les taudis et les bidonvilles (Véronique Dupont, « The Dream of Delhi as a Global City », International Journal of Urban and Regional Research, 35, 2011, p. 533-554). Dans le cas de Delhi, la Banque mondiale n’était pas impliquée dans le projet de restructuration urbaine, de sorte que l’État n’a pas eu à négocier ses choix avec une institution internationale ou avec des ONG. Et pourtant, comme à Mumbai, cette restructuration est attaquée devant les tribunaux, ce qui confère au pouvoir judiciaire un rôle de premier plan dans la gestion urbaine de cette ville. Notre analyse diffère cependant de celle de V. Dupont dans la mesure où nous ne considérons pas ce point comme un trait spécifique du remodelage de la capitale, mais comme une caractéristique de la judiciarisation du politique et de la politisation du judiciaire, manifestes dans toutes les villes de l’Inde.
-
[8]
Voir Patrick Hassenteufel, « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale : les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques », Revue française de science politique, 55 (1), 2005, p. 113-132 (http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2005-1-page-113.htm) sur le besoin, en Europe, d’étudier la dimension transnationale de l’élaboration des politiques et le rôle des acteurs intermédiaires impliqués dans leur diffusion. P. Hassenteufel met l’accent sur les mécanismes de transfert, de traduction et d’hybridation. Nous pensons que ces politiques ne sont pas transférées en l’état du niveau transnational au niveau national ou local. C’est pourquoi nous préférons nous concentrer sur les processus de négociation entre les acteurs internationaux, nationaux, publics et privés. Nous avons choisi de ne pas utiliser la métaphore de la traduction qui contient l’idée d’un original transformé au cours de la traduction, ni celle de l’hybridation qui contient celle d’une forme pure rendue hybride par sa domestication dans un nouveau contexte. Nos matériaux désignent plutôt l’existence de pouvoirs asymétriques connus, de connections inconnues et de surprenants circuits de circulation des politiques dans le temps, l’espace et à des niveaux différents.
-
[9]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », 2004 (www.worldbank.org/inspectionpanel) (consulté le 10 mars 2005).
-
[10]
World Bank, « Project Appraisal Document. Mumbai Urban Transport Project », 2002 (www.worldbank.org) (consulté le 10 septembre 2007) ; World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité.
-
[11]
Sally Falk Moore, « An International Regime and the Context of Conditionality », dans Michael Likosky (ed.), Transnational Legal Processes : Globalization and Power Disparities, Londres/Edimbourg, Butterworths and LexisNexis, 2002, p. 333-352.
-
[12]
S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité.
-
[13]
Jonathan Fox, L. David Brown, The Struggle for Accountability : The World Bank, NGOs, and Grassroots Movements, Cambridge, The MIT Press, 1998.
-
[14]
World Bank, « Policies and Procedures », n. d. (www.worldbank.org) (consulté le 3 septembre 2008). Les PO et PB 4.12 remplacent la directive opérationnelle (DO) 4.30 de la Banque mondiale sur la réinstallation involontaire.
-
[15]
World Bank, « Project Appraisal Document. Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 98. Les informations entre parenthèses ont été ajoutées par les auteurs.
-
[16]
S.F. Moore, « An International Regime and the Context of Conditionality », cité.
-
[17]
Ugo Mattei, « A Theory of Imperial Law : A Study on U.S. Hegemony and the Latin Resistance », Indiana Journal of Global Legal Studies, 10 (1), 2003, p. 385.
-
[18]
Les militants du Groupe de travail national sur le déplacement ont recommandé la création de normes en faveur d’une réinstallation et d’une réhabilitation équitables dont la portée dépasse celle des normes que la Banque mondiale avait adoptées. S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », art. cité.
-
[19]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 5.
-
[20]
Mumbai Transformation Support Unit (MTSU), Strategy for Land and Housing Development, Mumbai, All India Institute of Local Self-Government, 2006.
-
[21]
World Bank, « Bank Management Response to Request for Inspection Panel Review of the India – Mumbai Urban Transport Project », cité, p. 7-9 ; World Bank, « Management Report and Recommendation in Response to the Inspection Panel Investigation Report : India Mumbai Urban Transport Project », 2006 (www.worldbank.org/inspectionpanel) (consulté le 12 octobre 2007) ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », 2006, 54f (http://siteresources.worldbank.org/EXTINSPECTIONPANEL/Resources/AnnualReport05-06.pdf) (consulté le 15 août 2007).
-
[22]
Sheela Patel, Kalpana Sharma, « One David and Three Goliaths : Avoiding Anti-Poor Solutions to Mumbai’s Transport Problems » (http://eau.sagepub.com/content/10/2/149.full.pdf).
-
[23]
Sundar Burra, « Resettlement and Rehabilitation of the Urban Poor : The Mumbai Urban Transport Project », 2001, p. 6 (http://www.sparcindia.org) (consulté le 10 octobre 2007).
-
[24]
Dana Clarke, Jonathan Fox, Kay Treakle, Demanding Accountability : Civil Society Claims and the World Bank Inspection Panel, India, Rainbow Publishers Ltd, 2003 ; S. Randeria, « Cunning States and Unaccountable International Institutions : Legal Plurality, Social Movements and Rights of Local Communities to Common Property Resources », art. cité ; S. Randeria, « Global Designs and Local Lifeworlds : Colonial Legacies of Conservation, Disenfranchisement and Environmental Governance in Postcolonial India », Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 9 (1), 2007, p. 12-30 ; S. Randeria, « The State of Globalization : Legal Plurality, Overlapping Sovereignties and Ambiguous Alliances between Civil Society and the Cunning State in India », art. cité.
-
[25]
Ces critiques, qui, de façon étonnante, furent prononcées par deux anciens membres de l’IMP et partagées par les membres de la Commission d’inspection, correspondent aux observations déjà émises en 2007 à propos du fonctionnement de l’IMP. World Bank, « The Inspection Panel Investigation Report », 2005, S. 197f (http://siteresources.worldbank.org/EXTINSPECTIONPANEL/Resources/IPNMUTPFINAL.pdf). (consulté le 10 octobre 2005) ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », cité.
-
[26]
World Bank, « The Inspection Panel Investigation Report », cité ; World Bank, « Management Report and Recommendation in Response to the Inspection Panel Investigation Report : India Mumbai Urban Transport Project », cité ; World Bank, « The Inspection Panel Annual Report 2005-06 », cité.
-
[27]
Section de la Banque mondiale qui prête aux pays les plus pauvres.
-
[28]
Pierre Rosanvallon, Democracy Past and Future, New York, Columbia University Press, 2006.
-
[29]
S.F. Moore, « Comparisons : Possible and Impossible », Annual Review of Anthropology, 34, 2005, p. 3.
-
[30]
Jean Comaroff, John L. Comaroff, Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, p. 15.
-
[31]
Les auteures remercient Vincent Duclos qui a traduit ce texte de l’anglais et sont tout particulièrement reconnaissantes à Delphine Boisselier pour la révision qu’elle a faite du texte en français. Shalini Randeria remercie également Gilles Tarabout et Daniela Berti pour leur invitation à venir présenter en mai 2009 à l’EHESS (Paris) une première version de cet article lors de l’inauguration du projet de recherche « Just India » sur la gouvernance et la justice en Inde et en Asie du Sud. Voir Gilles Tarabout, Daniela Berti et al., « Just India : A Joint Programme on Justice and Governance in India and South Asia » (http://www.just-india.net). La plupart des remarques faites au cours de la discussion ont été incluses dans la version finale. Cette rencontre a été le début d’un échange d’idées extrêmement fructueux avec plusieurs membres du groupe de recherche à Paris et en Inde sur le droit non étatique, le pluralisme juridique, la justice environnementale et l’État indien. Elle remercie Birgit Müller pour l’invitation à présenter ce travail lors du workshop « Anthropologie des organisations internationales : mécanismes de gouvernance » en juin 2010 à l’EHESS, Paris.