Couverture de CRII_035

Article de revue

Redimensionner la fonction publique au Malawi : préceptes des organisations internationales et réalités administratives

Pages 85 à 99

Notes

  • [1]
    Notre analyse se fonde sur un travail de recherche anthropologique entrepris dans deux villes – Lilongwe, la capitale, et Zomba, dans le Sud du pays –, entre novembre 1999 et novembre 2000, puis entre février et mars 2002.
  • [2]
    Voir les publications suivantes de la Banque mondiale : Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, Washington, D.C., The World Bank, 1989 ; Malawi Public Sector Management Review, World Bank, Southern Africa Department, Report No. 9643-MAI, 1993 ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, World Bank, Southern Africa Department, Report No. 13071-MAI, 1994 ; Adjustment in Africa : Reforms, Results, and the Road Ahead, Washington, D.C., The World Bank, 1994.
  • [3]
    Voir Arturo Escobar, Encountering Development : The Making and Unmaking of the Third World, Princeton, Princeton University Press, 1995 ; James Ferguson, The Anti-Politics Machine : “Development”, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994 ; Timothy Mitchell, Rule of Experts : Egypt, Technopolitics, Modernity, Berkeley, University of California Press, 2002 ; David Mosse, David Lewis (eds), The Aid Effect : Giving and Governing in International Development, Londres, Pluto Press, 2005 ; Philip Quarles van Ufford, Anta Kumar Giri (eds), A Moral Critique of Development : In Search of Global Responsibilities, Londres/New York, Routledge, 2003 ; Henrik Secher Marcussen, Signe Arnfred (eds), Concepts and Metaphors : Ideologies, Narratives and Myths in Development Discourse, Roskilde, International Development Studies, Roskilde University, 1998.
  • [4]
    Cf. Pierre Bourdieu, « Esprits d’État : genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97,1993, p. 49-62.
  • [5]
    UNDP, Human Development Report 2006 : Beyond Scarcity : Power, Poverty, and the Global Water-crisis, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2006.
  • [6]
    Jane Harrigan, « Modelling the Impact of World Bank Policy-based Lending : The Case of Malawi’s Agricultural Sector », Journal of Development Studies, 33 (6), 1997, p. 848-873.
  • [7]
    World Bank, Governance and Development, Washington D.C., The World Bank, 1992, p. 5.
  • [8]
    International Monetary Fund, Good Governance : The IMF’s Role, Washington D.C., International Monetary Fund, 1997, p. 1. Voir aussi World Bank, Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, cité ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, cité ; Adjustment in Africa : Reforms, Results, and the Road Ahead, cité.
  • [9]
    World Bank, Governance and Development, cité, p. 3.
  • [10]
    Ibid., p. 6.
  • [11]
    World Bank, Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, cité, p. 30.
  • [12]
    World Bank, World Development Report : The Challenges of Poverty, Washington D.C., The World Bank, 1991, p. 4.
  • [13]
    Mamadou Dia, A Governance Approach to Civil Service Reform in Sub-Saharan Africa, Washington D.C., The World Bank, 1993.
  • [14]
    Cette référence de la Banque mondiale ne ressemble que de manière superficielle au concept de néopatrimonialisme développé par Samuel N. Eisenstadt et Jean-François Médard. Voir S. N. Eisenstadt, Traditional Patrimonialism and Modern Neo-Patrimonialism, Mimeo, Jerusalem, Hebrew University, 1972, et J.-F. Médard, « The Underdeveloped State in Tropical Africa », dans Christopher Clapham (ed.), Private Patronage and Public Power : Political Clientelism in the Modern State, Londres, Frances Pinter, 1982, p. 162-192.
  • [15]
    Entretien avec un représentant de la Banque mondiale, Lilongwe, mars 2000.
  • [16]
    Government of Malawi, Action Plan for Civil Service Reform, Lilongwe, Government of Malawi, 1996, p. 2.
  • [17]
    World Bank, Malawi Public Sector Management Review, cité ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, cité.
  • [18]
    Sont officiellement fonctionnaires les employés du gouvernement qui occupent une position établie mais les employés à titre temporaire et le personnel IC dont le poste n’est pas établi étaient toutefois qualifiés de fonctionnaires et ont été inclus dans les chiffres du recensement de la fonction publique. Voir Government of Malawi, Action Plan for Civil Service Reform, op. cit.. De ce fait, nous avons choisi de qualifier tous les employés du gouvernement de fonctionnaires.
  • [19]
    Government of Malawi, Civil Service Census : Report on Census Results, Lilongwe, Civil Service Census Executing Unit, Office of the President and Cabinet, mars 1996, p. 29.
  • [20]
    Ibid., p. 27-31.
  • [21]
    World Bank, Malawi Public Service Pay and Employment Study, op. cit..
  • [22]
    Ibid., p. 18.
  • [23]
    Une exception notable est celle des instituteurs qui, bien que qualifiés de « juniors », n’ont pas été touchés par les réductions de coûts. En 1995 et 1996, le gouvernement s’est en effet lancé dans un programme de développement de l’éducation primaire et a, pour ce faire, embauché des milliers d’instituteurs, offrant ainsi un emploi à de nombreux fonctionnaires licenciés.
  • [24]
    Les chiffres officiels concernant les coupes budgétaires dans la masse salariale de la fonction publique sont toutefois à manipuler avec précaution. Il n’existait pas de données fiables sur le nombre d’employés IC en 1994, et le chiffre de 20 000 licenciés n’est pas vérifiable non plus. Dans la mesure où le gouvernement avait tout intérêt à faire état d’un grand nombre de licenciements dans les documents fournis à la Banque mondiale, la réduction du nombre de salariés étant une des conditions de l’accord, il est possible que les chiffres aient été gonflés avant le versement de l’aide afin de bien commencer la réforme.
  • [25]
    Le ministère des Finances a généralement la « totale responsabilité de la gestion du programme, du suivi et du rapport des responsabilités » (Entretien au ministère des Finances, mars 2000) et il représente le contact principal de la Banque mondiale et des missions de visite.
  • [26]
    Kwesi Botchwey, Paul Collier, Jan Willem Gunning, Koichi Hamada, Report of the Group of Independent Persons Appointed to Conduct an Evaluation of Certain Aspects of the Enhanced Structural Adjustment Facility, Washington D.C., International Monetary Fund, 1998, p. 81
  • [27]
    Lapido Adamolekun, Noël Kulemeka, Mouftaou Laleye, « Political Transition, Economic Liberalisation and Civil Service Reform in Malawi », Public Administration and Development, vol. 17,1997, p. 215-217.
  • [28]
    Yves Dezalay et Bryant Garth décrivent un développement similaire en Amérique latine, où les économistes diplômés des prestigieuses universités américaines ont formé les élites bureaucratiques et politiques dans leurs pays d’origine, créant ainsi une classe transnationale de bureaucrates qui « abordent les problèmes économiques et l’État exactement de la même manière ». Cf. Y. Dezalay, B. Garth, The Internationalization of Palace Wars : Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, Chicago, The University of Chicago Press, 2002, p. 28.
  • [29]
    Pour l’Afrique de l’Ouest française, voir Amadou Hampâté Bâ, Oui, Mon Commandant !, Arles, Actes Sud, 1994.

1p international (FMI), les bureaucraties africaines ne sont our la Banque mondiale et le Fonds monétaire ni efficaces ni viables. La corruption et la mauvaise gestion des ressources publiques qui caractérisent ces administrations ont été dénoncées comme étant les principaux obstacles à la reprise économique des pays concernés.

2C’est la raison pour laquelle, depuis les années 1990, les Institutions financières internationales (IFI) ont institué la « bonne gouvernance » comme le seul instrument capable de remédier à ces insuffisances. L’expression « bonne gouvernance » désigne une série de mesures dont l’objectif est de transformer des administrations publiques « en état de dysfonctionnement » en prestataires de service efficaces, transparents et répondant de leurs actes devant la population, dans le cadre de l’État de droit. Une de ces mesures est la réforme de la fonction publique, autrement dit, la réorganisation de la bureaucratie d’État, selon les principes de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management, NPM). La Banque mondiale et le FMI font donc de la réorganisation de la fonction publique l’une des conditions premières de leur soutien financier à un État. En Afrique subsaharienne, où la plupart des pays ont mis en application les réformes de la bonne gouvernance durant la dernière décennie, la réorganisation de la fonction publique a eu des résultats nuancés. En dépit de l’introduction de nouveaux systèmes de gestion et de comptabilité, de la sous-traitance et de la privatisation de fonctions non régaliennes du gouvernement et du licenciement du personnel gouvernemental surnuméraire, les performances et l’efficacité des bureaucraties africaines ne sont toujours pas jugées satisfaisantes par la « communauté des bailleurs de fonds ».

3Partant d’archives et de données ethnographiques sur la réforme de la fonction publique au Malawi entre 1994 et 2004  [1], nous voudrions démontrer ici que la mise en application du programme de la bonne gouvernance n’a pas réussi à atteindre les dynamiques sous-jacentes des bureaucraties postcoloniales de l’Afrique subsaharienne. Les politiques promues par les IFI sont fondées sur des conceptions technocratiques de l’État perçu en l’occurrence comme un corps homogène qu’il s’agit de « réparer » avec une série d’« outils » fournis par les experts de la Banque mondiale ou du FMI. Dans le cas des États africains, une telle perspective est biaisée car elle ne prend pas en considération l’héritage colonial et les trajectoires historiques de ces États depuis leur indépendance.

4Ainsi, l’un des principaux éléments de la réforme de la fonction publique au Malawi a été la réduction des dépenses en termes salariaux, par le licenciement, réduction considérée par les consultants des IFI comme le premier pas vers la création d’une administration publique plus efficace  [2]. La diminution du nombre de fonctionnaires – généralement tenue pour l’une des marques distinctives des réformes néolibérales – était d’ailleurs pour les organismes internationaux l’une des conditions du maintien de leur soutien financier. Selon les chiffres officiels, entre 1994 et 2000, le gouvernement du Malawi a donc licencié environ 34 000 employés, principalement des personnels polyvalents et des fonctionnaires occupant des positions subalternes dans l’administration et appelés « juniors ». Or cette mesure, qui est probablement l’une des plus contestées de la réforme, se prête particulièrement bien à une analyse de l’application du programme car, loin de créer une cohésion jusque-là inédite au sein de la fonction publique, elle n’a fait que renforcer les clivages qui y existaient déjà, non seulement à cause de l’histoire coloniale et postcoloniale du Malawi, mais aussi du fait de la création, au cours des années 1990, de nouvelles agences avec le soutien des IFI.

5Notre objectif n’est pas de dresser un bilan de cette réforme mais plutôt de transcender les catégories contingentes de la pensée du développement – qui raisonne en termes de « réussites » et d’« échecs » – et de contribuer, par là même, à une meilleure compréhension des dynamiques d’un État postcolonial en Afrique subsaharienne. Ce faisant, nous adopterons un regard critique sur l’ingénierie sociale promue par les IFI et distinguerons l’analyse sociologique de la pratique du développement. Notre démarche s’appuie sur un savoir anthropologique critique en plein essor qui s’interroge notamment sur la pratique de construction ou d’encadrement des objets mêmes des interventions de développement  [3]. Le danger qu’il y a à mêler catégories d’analyse et catégories analysées est bien connu dans d’autres champs d’enquête  [4].

6Colonie britannique jusqu’en 1964, le Malawi, qui figure parmi les pays les moins développés selon l’index du Programme des Nations unies pour le développement  [5], a mis en application un certain nombre de mesures pensées et financées par les IFI, visant à résoudre des problèmes de la fonction publique préalablement identifiés. La mise en œuvre des ordonnances politiques de la Banque mondiale et du FMI n’est pas un fait nouveau pour le Malawi, qui a été l’un des premiers pays à appliquer les fameux programmes d’ajustements structurels en 1979, puis la série habituelle de réformes visant à stimuler la croissance économique, sans que les résultats soient pour autant probants  [6]. Sous le régime paternaliste de Kamuzu Hastings Banda, « président à vie » de 1971 à 1994, tous les aspects de la vie sociale et politique étaient strictement contrôlés par les services de sécurité de l’État et par le seul parti politique autorisé, le Parti du congrès du Malawi (Malawi Congress Party, MCP). Dans la fonction publique, qui n’échappait pas à ce contrôle, régnait une culture de la peur. Les fonctionnaires devaient une loyauté inconditionnelle au Président et au MCP. La loi du parti unique a pris fin en 1993 lorsque la population, consultée par référendum, a voté majoritairement en faveur de l’introduction de la démocratie multipartite. Les premières élections libres ont été remportées en 1994 par Bakili Muluzi et le Front démocratique uni (United Democratic Front, UDF). Muluzi a dirigé le pays durant deux mandats, jusqu’en 2004, date à laquelle a été élu le Président actuel Bingu wa Mutharika. Certes, au cours des premières années qui ont suivi l’introduction de la démocratie multipartite, la population malawienne a découvert avec enthousiasme ses nouvelles libertés politiques, mais elle a également éprouvé très rapidement un sentiment de désillusion face à l’incapacité des gouvernements démocratiquement élus à redresser une économie en déclin depuis les années 1980. Afin de mettre un terme à la crise économique, ces derniers ont appliqué les ordonnances politiques des IFI, qui allaient de la dérégulation de l’économie à la réforme de la fonction publique.

La vision instrumentale de la bonne gouvernance

7Nouveau paradigme de l’aide au développement, la bonne gouvernance a ouvert au cours des années 1990 une ère nouvelle, celle d’une plus grande ingérence dans les affaires des gouvernements des pays en voie de développement. Afin de mettre en place les conditions favorables au développement économique, les IFI ont appelé à une refonte radicale des institutions étatiques de ces pays suivant le dogme néolibéral. La bonne gouvernance devait ainsi créer un « développement économique et social durable »  [7] ainsi qu’« une stabilité macroéconomique, une viabilité extérieure et une croissance économique ordonnée »  [8].

8La brochure intitulée Governance and Development publiée en 1992 a été la première formulation officielle du nouveau programme de développement de la Banque mondiale. Elle définit la gouvernance comme « la manière dont le pouvoir est utilisé dans la gestion des ressources économiques et sociales en vue du développement d’un pays »  [9]. Selon la Banque mondiale, les dimensions principales de la gouvernance sont « la gestion du secteur public, la responsabilité, le cadre juridique du développement, l’information et la transparence »  [10]. Bien qu’il s’agisse de la première publication exclusivement consacrée aux questions de bonne gouvernance, la Banque mondiale avait déjà abordé le problème des bureaucraties d’État dans les pays en voie de développement dans un rapport sur l’Afrique subsaharienne, publié en 1989, qui identifiait notamment la « gouvernance détériorée » comme l’une des principales causes de la crise économique en Afrique. Ce rapport faisait en particulier porter la responsabilité de ladite crise sur l’expansion des services publics et sur l’interférence de l’État dans l’économie après l’indépendance  [11]. En 1992, en accord avec cette critique néolibérale, les experts et chercheurs de la Banque mondiale ont choisi des instruments visant à créer un « environnement favorable » en « définissant et en protégeant le droit de propriété, en offrant des systèmes juridiques et de régulation efficaces et en améliorant l’efficacité de la fonction publique »  [12].

9Ils ont ensuite développé « l’approche par la gouvernance »  [13], en expliquant notamment que les échecs rencontrés lors des précédentes réformes de la fonction publique en Afrique subsaharienne devaient être imputés au « caractère patrimonial » de l’État  [14]. Une variante de l’approche par la gouvernance a été appliquée au Malawi, et certaines fonctions clés comme la collecte des impôts et les inspections douanières – notamment maritimes – ont été attribuées à de nouvelles agences gouvernementales autonomes ainsi qu’à des entreprises privées. À ces mesures se sont ajoutés un programme de réforme de la fonction publique, l’externalisation de fonctions gouvernementales annexes, telles que le jardinage, les services de sécurité et la charpenterie, ainsi que la privatisation des entreprises nationales. Selon la vision de la Banque mondiale, l’État devait donc désormais se limiter à des fonctions essentielles et une gestion efficace créerait l’espace nécessaire pour que les entreprises privées participent à la croissance économique.

Redimensionner la fonction publique

10Tel a été l’un des principaux objectifs de la réforme de la fonction publique au Malawi  [15]. Pour les experts des IFI, une fonction publique réduite constituait une condition préalable nécessaire à la bonne gouvernance. En 1996, le gouvernement du Malawi a donc annoncé son intension d’externaliser et de privatiser ses fonctions non régaliennes, de réduire les « empiètements et doublons dans la machinerie gouvernementale », d’améliorer les performances et l’efficacité et d’« élaborer et mettre en œuvre un programme de réduction des coûts qui [aiderait] à construire une fonction publique peu coûteuse et viable »  [16].

11La Banque mondiale a conduit deux études, en 1991 et 1993, destinées à mieux évaluer les problèmes qui se posaient au sein de la fonction publique et à élaborer des recommandations  [17]. Ces études ont mis en avant la nécessité de réduire le nombre de personnels qui occupaient les échelons les plus bas de la fonction publique, c’est-à-dire de l’Industrial Class (IC) et, dans une moindre mesure, de la Subordinate Class (SC). Contrairement à ces derniers, les employés de l’IC ne faisaient pas partie de l’« establishment de la fonction publique », expression désignant les positions spécifiées dans la liste du personnel permanent et contrôlées par la Commission du service publique (Public Service Commission), chargée des embauches et des licenciements des fonctionnaires  [18].

12Avant la réforme, la fonction publique garantissait un emploi à vie à des milliers de travailleurs manuels, agents d’entretien, ouvriers, jardiniers, gardiens de sécurité, réceptionnistes, coursiers, etc., bien que tous ces postes de l’IC soient officiellement des emplois temporaires. Outre un salaire régulier – quoique modeste –, la fonction publique offrait à ces employés des avantages sociaux tels que la sécurité sociale, les congés maladie ou des pensions de retraite. Chaque année, de plus en plus de personnes trouvaient du travail dans ce réseau d’emplois subalternes. En 1995,35 % des fonctionnaires occupaient des postes subalternes, tandis que 5 % à peine (soit 5 000 personnes)  [19] occupaient des postes de gestionnaires ou de directeurs, bien d’autres de ces postes restant par ailleurs vacants par manque de candidats qualifiés  [20]. Dans l’administration publique malawienne, ces fonctionnaires de haut rang étaient appelés des « patrons », ce qui laisse supposer l’étendue de leur pouvoir en matière de prises de décision, le terme désignant également des agents seniors qui supervisaient les équipes subalternes dans un service. Évidemment, une telle augmentation du personnel subalterne ne correspondait pas à des besoins réels.

13Les experts de la Banque mondiale ont été les premiers à remettre en cause ce modes de fonctionnement, et ce dès le début des années 1990. Au cours de leurs missions sur place, ils ont très bien identifié les pratiques de cooptation en cours : les chefs de département et autres hauts fonctionnaires abusaient de leur autorité pour fournir un emploi et une sécurité sociale à certains de leurs clients ou à des membres de leur famille. Ils employaient également des individus à l’instigation d’hommes politiques qui usaient, eux aussi, de leur influence pour trouver du travail à leurs clients. La capacité d’employer des personnels IC sans en référer à la Commission du service public ou du Département de gestion des ressources humaines était également utilisée pour embaucher des employés fictifs, communément appelés « travailleurs fantômes », dont les salaires étaient empochés par certains hauts fonctionnaires des départements et des services financiers. Les experts de la Banque mondiale ont donc conseillé de supprimer l’IC et de licencier ses employés. Ces licenciements ont été faits à la discrétion de chaque département. En revanche, la Commission du service public et le Département de gestion et de développement des ressources humaines devaient donner leur aval pour l’intégration, sur des postes titulaires, des IC conservés  [21].

14La mise en œuvre effective du plan d’action s’est révélée bien plus complexe que ce que prévoyaient les accords signés entre la Banque mondiale et le gouvernement. Les objectifs n’ont pas été atteints, les dates butoirs ont été dépassées et la réalisation a souvent été soumise à des décisions ad hoc, à des intérêts particuliers et à des événements non anticipés. Néanmoins, la Banque mondiale et le FMI sont parvenus à maintenir une pression suffisante pour empêcher que le gouvernement ne revienne à sa pratique antérieure d’embauche massive de personnel temporaire et sans formation mais bénéficiant du soutien de politiciens ou de parrains occupant des échelons élevés au sein de l’administration publique. En général, du fait de la transition démocratique, les hommes politiques de l’UDF et des autres partis ne se sont pas opposés à cette réforme car ils avaient tendance à associer les fonctionnaires au régime de Kamzu Banda. Le gouvernement, de son côté, s’est bien gardé d’encourager la réforme car il craignait une révolte des fonctionnaires ; c’est le vice-pré-sident, qui avait fait la promotion de la réforme de la fonction publique, qui a eu la charge de la mener à bout.

15Le secrétaire d’État à la Gestion des ressources humaines (Secretary of Human Resource Management) a calculé qu’il ne fallait garder que 16 000 employés de l’IC, lesquels seraient ensuite titularisés. Selon les estimations, en 1994, l’administration publique employait environ 50 000 personnes dans la classe IC. Cette évaluation demeure néanmoins floue car aucune donnée fiable n’est disponible avant le recensement de la fonction publique en 1995  [22]. La Lettre de politique de développement (Letter of Development Policy), soumise par le gouvernement à la Banque mondiale et demandant 106,4 millions de dollars pour la première phase de la réforme – c’est-à-dire le Programme de restructuration fiscale – indiquait qu’en réponse aux exigences de la Banque mondiale, soumettant son aide financière à la mise en œuvre de la réforme de la fonction publique, le gouvernement avait licencié entre février et septembre 1995 environ 20 000 fonctionnaires, occupant pour la majorité d’entre eux les échelons inférieurs de l’IC. Cela signifiait qu’il fallait encore licencier 14 000 fonctionnaires pour que l’objectif des 16 000 emplois conservés soit atteint. La seconde vague de licenciements, qui a eu lieu entre 1997 et 1998, a touché les employés dits « juniors »  [23]. Cette catégorie comprenait tous les fonctionnaires dits subalternes, y compris ceux des plus bas échelons, comme les personnels polyvalents, les ouvriers non qualifiés, les agents de vulgarisation ayant peu ou pas de formation, ainsi que les agents de la classe intermédiaire, tels que les enseignants et les employés de bureau n’ayant aucune autorité sur les autres fonctionnaires  [24].

16En 1997, le gouvernement a mis en place une structure spécialisée, l’Agence de gestion du changement du secteur public (Public Sector Change Management Agency, PSCMA), dont la fonction était de conduire des évaluations du fonctionnement de chaque ministère. La mise en place de la PSCMA était l’une des conditions du versement du crédit pour le financement du programme de réforme de la fonction publique. Les évaluations devaient aboutir à des recommandations en vue d’améliorer les performances, de restructurer la direction interne, d’éliminer les « empiètements et doublons » et de « réduire la facture salariale ». La plupart des membres de la PSCMA étaient âgés de moins de 40 ans, diplômés en économie ou en gestion des ressources humaines, et représentaient l’élite des fonctionnaires de carrière. Les officiers supérieurs des ministères de tutelle tels que la Santé et l’Agriculture, dont le pouvoir discrétionnaire était menacé par la réforme de la fonction publique, ont souvent refusé de coopérer avec les membres de la PSCMA et leur ont opposé de multiples formes d’insoumission : lenteurs stratégiques, non-respect des dates butoirs et des rendez-vous, résistance – silencieuse – à la réorganisation de leurs départements. Les évaluations ont tout de même été achevées en 2004, et à cette date, selon les chiffres officiels, tous les employés IC avaient été soit licenciés, soit titularisés en SC. Certains services, comme la sécurité ou le jardinage, ont été privatisés. Il est possible cependant que le nombre d’employés titularisés ait dépassé les 16 000 initialement prévus. Par exemple, la réduction des coûts n’a pas touché le personnel temporaire travaillant pour des projets bénéficiant d’un financement extérieur mais exécutés par le gouvernement. De nombreuses personnes licenciées sont ainsi parvenues à réintégrer la fonction publique via des projets situés hors du domaine de compétence du Département de gestion des ressources humaines et de la Commission du service public. Du fait de l’absence de statistiques, il n’est pas possible d’établir le nombre exact de ces personnes, mais les données ethnographiques récoltées lors de nos séjours sur le terrain nous permettent de considérer que leur nombre s’élève à plusieurs milliers.

17Quoi qu’il en soit, pour les IFI, l’entreprise de réduction des coûts a été un succès : le licenciement de la majorité des jeunes fonctionnaires surnuméraires a permis en effet de libérer des ressources financières pour augmenter les salaires des hauts fonctionnaires. Mais la notion de « succès » est contingente ; elle dépend plus des objectifs et du contexte politique du projet en question que des catégories d’analyse. Bien que les objectifs fixés par les experts de la Banque mondiale ou du FMI aient été atteints, la réduction de la facture salariale a surtout accentué les clivages existants de la fonction publique malawienne, menaçant par là même sa cohésion sur le long terme.

Une fonction publique de plus en plus fragmentée

18On peut distinguer deux types de clivage : le premier, entre les nouvelles agences chargées de promouvoir la réforme et les ministères concernés ; le second, déjà présent durant la période coloniale britannique, entre les « patrons » et les « juniors ».

Les « enclaves » contre les ministères de tutelle

19La Banque mondiale a identifié les ministères et agences gouvernementales qui pourraient fonctionner comme des centres, des « enclaves », à partir desquels la réforme serait mise en œuvre dans l’ensemble de la fonction publique. C’étaient généralement des ministères ayant un mandat interministériel comme le ministère des Finances  [25] et le Conseil économique national (National Economic Council, NEC), anciennement ministère du Plan et du Développement économique (Ministry of Economic Planning and Development), ou des agences récemment créées comme la PSCMA. Ces ministères et agences n’étaient pas les seuls organismes publics à être soutenus par la Banque mondiale qui a également assisté financièrement et logistiquement le Bureau national des statistiques, en vue d’améliorer la collecte des données, et le Département de gestion des ressources humaines, pour l’informatisation du traitement des salaires.

20Parce qu’elles bénéficiaient du soutien financier et logistique de la Banque mondiale, ces « enclaves » avaient à leur disposition plus de ressources et de personnel qualifié que les ministères de tutelle « classiques ». En règle générale, la coopération entre les ministères ou les agences et leurs pourvoyeurs de fonds respectifs était meilleure qu’entre les ministères eux-mêmes. Des différences considérables existaient entre les routines bureaucratiques des ministères et les exigences des agences multilatérales ou bilatérales des IFI, ce qui générait des pratiques bureaucratiques très différentes au sein des services et entre eux, selon l’organisme finançant les projets.

21Lors de la mise en œuvre de la réforme, des conflits sont apparus entre les agents qui travaillaient dans les « enclaves » et certains hauts fonctionnaires des ministères de tutelle  [26], qui considéraient d’un mauvais œil le fait de devoir désormais collaborer avec des fonctionnaires plus jeunes qu’eux, qui plus est recrutés selon des modes tout à fait différents. Les « enclaves », soutenues par les IFI, employaient en effet un fort pourcentage de jeunes économistes diplômés des universités et adeptes de la théorie économétrique. Nous les qualifierons de « technocrates ». En revanche, la plupart des hauts fonctionnaires des ministères de tutelle, appartenaient à une génération qui avait fait carrière dans les années 1970 et que nous qualifierons de « fonctionnaires de la vieille école »  [27]. Généralement peu formés, du fait de l’absence d’institutions scolaires pendant la période coloniale, ces hauts fonctionnaires n’avaient en effet accédé que très tard dans leur carrière à des postes élevés dans la hiérarchie. Ils devaient d’ailleurs leurs emplois à Kamuzu Banda, qu’ils considéraient comme le père de la patrie, puisqu’il avait réussi à libérer le pays du colon britannique. Éduqués au sein d’une culture très hiérarchisée, ils ne remettaient jamais en cause les décisions de leurs supérieurs. Sous le régime de Kamuzu Banda, le sommet de l’État, voire Banda lui-même, était généralement informé de la moindre décision, et les fonctionnaires hésitaient à prendre des initiatives, de peur d’être accusés de dissidence. Par ailleurs, la majorité d’entre eux avaient été des officiers subordonnés dans l’administration coloniale, dans laquelle les Africains se devaient de suivre les ordres de leurs supérieurs européens sans poser de questions. Cette stratégie de survie, qui consiste à garder profil bas et à éviter toute initiative, fait que les hauts fonctionnaires de la vieille école n’ont pas manifesté ouvertement leur opposition à la réforme. Il faut dire également qu’ils étaient effrayés à l’idée de perdre leur poste, le contexte de la transition démocratique incitant les nouveaux dirigeants politiques à se débarrasser de toute personne suspectée d’avoir été proche de Kamuzu Banda et du MCP. Une telle peur était toutefois infondée car, le pays manquant de professionnels formés au travail dans les services gouvernementaux, le nouveau gouvernement n’avait pas d’autre choix que de compter sur l’administration publique héritée du régime précédent.

22Les jeunes technocrates, eux, étaient dans l’ensemble favorables aux réformes, même s’ils ne partageaient pas forcément toutes les idées de la Banque mondiale. Élevés dans les années 1970, sous le régime répressif de Kamuzu Banda, nombre d’entre eux avaient espéré le changement sans pouvoir s’exprimer librement, et, du fait de leur formation universitaire, notamment en science économique, ils étaient particulièrement conscients de la gravité de la crise économique de la fin de règne de Banda. L’influence de certains d’entre eux a été déterminante. C’est le cas des économistes qui ont travaillé pour la Banque mondiale, comme le Président Bingu wa Mutharika, ou pour le FMI, comme le ministre des Finances Goodall Gondwe  [28]. De plus, ces technocrates étaient trop jeunes pour avoir connu la pratique des embauches massives et n’avaient donc pas le même sentiment de loyauté à l’égard des personnes menacées de licenciement que les fonctionnaires de la vieille école des ministères de la Santé, de l’Agriculture ou du Travail.

23Ce fossé générationnel n’implique toutefois pas un désaccord total entre l’ancienne et la nouvelle génération. Au Malawi comme ailleurs, les jeunes technocrates étaient attachés aux hauts fonctionnaires de la vieille école par des liens de parenté et leur style différent n’empêchait pas les similitudes avec la génération précédente. La compétition entre technocrates et fonctionnaires de la vieille école n’est donc pas la conséquence d’un conflit de génération mais constitue plutôt l’une des dimensions de la compétition entre « enclaves » et ministères de tutelle. Elle est en cela l’une des conséquences directes de la mise en œuvre de mesures visant à améliorer la gouvernance au Malawi.

Les « patrons » contre les « juniors »

24Le licenciement des employés surnuméraires a creusé l’écart qui existait déjà entre les « juniors », la masse des fonctionnaires, et les « patrons », les gestionnaires et les hauts fonctionnaires. Ce clivage nettement marqué est l’une des caractéristiques de l’Afrique postcoloniale. Elle est due, nous le savons, à la discrimination notoire, fondée sur la couleur, entre colons européens, en l’occurrence britanniques, et colonisés africains  [29]. Durant la période coloniale, les premiers occupaient toutes les positions hiérarchiques de la fonction publique tandis que les seconds étaient relégués aux postes dits « juniors », qu’ils soient enseignants, employés de bureau ou ouvriers agricoles.

25Cette hiérarchie de type colonial a été maintenue, voire systématiquement reproduite – avec tout le mépris et l’exigence de soumission qu’elle implique vis-à-vis des individus considérés comme subalternes – après l’indépendance de 1964. Comme auparavant, les « juniors » ne devaient pas discuter les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques, lesquels ne devaient pas davantage s’interroger sur ceux de Kamuzu Banda, dont le règne absolu a duré jusqu’en 1993. Le Président comptait d’ailleurs sur les Européens pour gérer la fonction publique qui, selon lui, ne menaçait pas son autorité. Et s’il s’est lancé – sans enthousiasme – dans un programme d’« africanisation », la plupart des Britanniques qui avaient servi dans l’administration coloniale ont gardé jusqu’aux années 1980 des positions de pouvoir au sein de la fonction publique, de la justice, de la police et de l’armée. Cette continuité avec l’administration coloniale a largement participé au maintien des attitudes discriminatoires des « patrons » envers les « juniors », et ce même lorsque les agents européens ont pris leur retraite. Il est également important de souligner qu’en dépit des invocations rituelles à une appartenance commune à la culture africaine, la distance qui sépare d’un point de vue social les « patrons » – dont la plupart ont eu la chance de suivre des études supérieures dans un pays occidental – des « juniors » – dont l’origine est généralement plus humble – est considérable. Les « patrons », qu’il s’agisse d’ailleurs des fonctionnaires de la vieille école ou des technocrates, appartiennent à la minuscule élite malawienne et se perçoivent comme étant plus « modernes » et « civilisés » que leurs compatriotes au statut social plus modeste. Les « juniors », de leur côté, envient le mode de vie de « ceux qui sont au sommet », les apamwamba en chichewa, la langue majoritaire dans le pays. Certes, on ne trouve pas dans la société malawienne cette consommation ostentatoire que l’on peut observer dans d’autres pays africains ; en général, les individus invoquent dans leurs rapports l’harmonie et les valeurs égalitaires, mais on ne peut nier cette différence entre « patrons » et « juniors ». Contrairement à la logique prévalente de clientélisme et de solidarité, les héritiers des maîtres coloniaux et les fonctionnaires de haut rang ne se sont pas manifestés, lors de la mise en œuvre des réformes, pour protéger leurs compatriotes plus démunis qu’eux – compatriotes avec lesquels ils n’avaient au demeurant que très peu de points communs et qu’ils tendaient à mépriser. Ils ont préféré demeurer discrets afin de ne pas mettre en danger leurs propres positions, devenues précaires à la suite du changement de gouvernement en 1994.

26Dans la mesure où la réforme de la fonction publique était la condition sine qua non à l’octroi d’une aide financière de la part des IFI, le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que de licencier le personnel surnuméraire. Le Président, les ministres et les hauts fonctionnaires des « enclaves » savaient que cette décision serait très mal perçue par les dizaines de milliers de « juniors » dont les emplois étaient menacés. Les acteurs en charge de ces réductions budgétaires ont essayé d’en faire porter la responsabilité à la Banque mondiale et au FMI. De fait, les nouveaux dirigeants démocratiques du Malawi craignaient la colère des fonctionnaires : entre 1994 et 2004, il ne s’est pas passé une année sans grève dans la fonction publique.

27Si l’on considère cette fréquence des grèves, l’absence de manifestations organisées ou de grande ampleur contre les réductions budgétaires est très surprenante. Elle est due tout d’abord au très faible degré de syndicalisation des fonctionnaires au cours de la seconde moitié des années 1990, au moment précisément où la majorité du personnel polyvalent a été licencié. Les syndicats étaient interdits sous le régime précédent, et ceux qui se sont formés après 1994 (comme le Civil Servants Trade Union, CSTU) n’ont joué qu’un rôle mineur dans les grèves souvent spontanées d’avant 2000, leur faiblesse s’expliquant par l’instabilité de leurs sources de financement et par le petit nombre de leurs adhérents. Certes, en 2000, le gouvernement a reconnu le CSTU comme étant le représentant des intérêts des fonctionnaires, mais il était alors trop tard pour remettre en question la réforme, dont la mise en œuvre était largement entamée. Ensuite, de nombreuses personnes licenciées ont retrouvé un emploi. Ne voulant pas s’aliéner leurs supérieurs, de nombreux « juniors » n’ont pas voulu résister ouvertement aux licenciements. Ils ont préféré rester proches de leurs « patrons », leur rappelant en permanence leurs obligations, une stratégie qui s’est révélée payante pour certains qui ont retrouvé un emploi dans la fonction publique ou dans le secteur privé, grâce au courtage des « patrons » qui ne pouvaient résister à cette pression sociale aussi subtile que forte.

28L ’efficacité des relations clientélistes a cependant été largement démythifiée lorsque des milliers d’individus se sont rendus compte que leurs directeurs ne les aideraient pas à retrouver un emploi, et ce malgré un attente très longue, qui témoigne de la puissance de la logique clientéliste dans la fonction publique. De nombreux jeunes fonctionnaires avec qui nous avons eu l’occasion de parler nous ont dit combien ils se sentaient éloignés de leurs « patrons », qu’ils qualifiaient d’égoïstes, ce qui constitue une violente critique dans une société où le partage des richesses est l’un des principes moraux essentiels. La confiance en ses supérieurs étant un gage d’efficacité, cette distance entre « patrons » et « juniors » risque de saper durablement les efforts de transformation de la fonction publique. Les grèves répétées des fonctionnaires « juniors » depuis le milieu des années 1990 montrent que le clientélisme a perdu de sa force. Les conséquences de cette distanciation croissante au sein de la fonction publique et, plus largement, de la société devront faire l’objet de recherches à venir.

29Traduit de l’anglais par Miriam Perier

Notes

  • [1]
    Notre analyse se fonde sur un travail de recherche anthropologique entrepris dans deux villes – Lilongwe, la capitale, et Zomba, dans le Sud du pays –, entre novembre 1999 et novembre 2000, puis entre février et mars 2002.
  • [2]
    Voir les publications suivantes de la Banque mondiale : Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, Washington, D.C., The World Bank, 1989 ; Malawi Public Sector Management Review, World Bank, Southern Africa Department, Report No. 9643-MAI, 1993 ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, World Bank, Southern Africa Department, Report No. 13071-MAI, 1994 ; Adjustment in Africa : Reforms, Results, and the Road Ahead, Washington, D.C., The World Bank, 1994.
  • [3]
    Voir Arturo Escobar, Encountering Development : The Making and Unmaking of the Third World, Princeton, Princeton University Press, 1995 ; James Ferguson, The Anti-Politics Machine : “Development”, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994 ; Timothy Mitchell, Rule of Experts : Egypt, Technopolitics, Modernity, Berkeley, University of California Press, 2002 ; David Mosse, David Lewis (eds), The Aid Effect : Giving and Governing in International Development, Londres, Pluto Press, 2005 ; Philip Quarles van Ufford, Anta Kumar Giri (eds), A Moral Critique of Development : In Search of Global Responsibilities, Londres/New York, Routledge, 2003 ; Henrik Secher Marcussen, Signe Arnfred (eds), Concepts and Metaphors : Ideologies, Narratives and Myths in Development Discourse, Roskilde, International Development Studies, Roskilde University, 1998.
  • [4]
    Cf. Pierre Bourdieu, « Esprits d’État : genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97,1993, p. 49-62.
  • [5]
    UNDP, Human Development Report 2006 : Beyond Scarcity : Power, Poverty, and the Global Water-crisis, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2006.
  • [6]
    Jane Harrigan, « Modelling the Impact of World Bank Policy-based Lending : The Case of Malawi’s Agricultural Sector », Journal of Development Studies, 33 (6), 1997, p. 848-873.
  • [7]
    World Bank, Governance and Development, Washington D.C., The World Bank, 1992, p. 5.
  • [8]
    International Monetary Fund, Good Governance : The IMF’s Role, Washington D.C., International Monetary Fund, 1997, p. 1. Voir aussi World Bank, Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, cité ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, cité ; Adjustment in Africa : Reforms, Results, and the Road Ahead, cité.
  • [9]
    World Bank, Governance and Development, cité, p. 3.
  • [10]
    Ibid., p. 6.
  • [11]
    World Bank, Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth, cité, p. 30.
  • [12]
    World Bank, World Development Report : The Challenges of Poverty, Washington D.C., The World Bank, 1991, p. 4.
  • [13]
    Mamadou Dia, A Governance Approach to Civil Service Reform in Sub-Saharan Africa, Washington D.C., The World Bank, 1993.
  • [14]
    Cette référence de la Banque mondiale ne ressemble que de manière superficielle au concept de néopatrimonialisme développé par Samuel N. Eisenstadt et Jean-François Médard. Voir S. N. Eisenstadt, Traditional Patrimonialism and Modern Neo-Patrimonialism, Mimeo, Jerusalem, Hebrew University, 1972, et J.-F. Médard, « The Underdeveloped State in Tropical Africa », dans Christopher Clapham (ed.), Private Patronage and Public Power : Political Clientelism in the Modern State, Londres, Frances Pinter, 1982, p. 162-192.
  • [15]
    Entretien avec un représentant de la Banque mondiale, Lilongwe, mars 2000.
  • [16]
    Government of Malawi, Action Plan for Civil Service Reform, Lilongwe, Government of Malawi, 1996, p. 2.
  • [17]
    World Bank, Malawi Public Sector Management Review, cité ; Malawi Public Service Pay and Employment Study, cité.
  • [18]
    Sont officiellement fonctionnaires les employés du gouvernement qui occupent une position établie mais les employés à titre temporaire et le personnel IC dont le poste n’est pas établi étaient toutefois qualifiés de fonctionnaires et ont été inclus dans les chiffres du recensement de la fonction publique. Voir Government of Malawi, Action Plan for Civil Service Reform, op. cit.. De ce fait, nous avons choisi de qualifier tous les employés du gouvernement de fonctionnaires.
  • [19]
    Government of Malawi, Civil Service Census : Report on Census Results, Lilongwe, Civil Service Census Executing Unit, Office of the President and Cabinet, mars 1996, p. 29.
  • [20]
    Ibid., p. 27-31.
  • [21]
    World Bank, Malawi Public Service Pay and Employment Study, op. cit..
  • [22]
    Ibid., p. 18.
  • [23]
    Une exception notable est celle des instituteurs qui, bien que qualifiés de « juniors », n’ont pas été touchés par les réductions de coûts. En 1995 et 1996, le gouvernement s’est en effet lancé dans un programme de développement de l’éducation primaire et a, pour ce faire, embauché des milliers d’instituteurs, offrant ainsi un emploi à de nombreux fonctionnaires licenciés.
  • [24]
    Les chiffres officiels concernant les coupes budgétaires dans la masse salariale de la fonction publique sont toutefois à manipuler avec précaution. Il n’existait pas de données fiables sur le nombre d’employés IC en 1994, et le chiffre de 20 000 licenciés n’est pas vérifiable non plus. Dans la mesure où le gouvernement avait tout intérêt à faire état d’un grand nombre de licenciements dans les documents fournis à la Banque mondiale, la réduction du nombre de salariés étant une des conditions de l’accord, il est possible que les chiffres aient été gonflés avant le versement de l’aide afin de bien commencer la réforme.
  • [25]
    Le ministère des Finances a généralement la « totale responsabilité de la gestion du programme, du suivi et du rapport des responsabilités » (Entretien au ministère des Finances, mars 2000) et il représente le contact principal de la Banque mondiale et des missions de visite.
  • [26]
    Kwesi Botchwey, Paul Collier, Jan Willem Gunning, Koichi Hamada, Report of the Group of Independent Persons Appointed to Conduct an Evaluation of Certain Aspects of the Enhanced Structural Adjustment Facility, Washington D.C., International Monetary Fund, 1998, p. 81
  • [27]
    Lapido Adamolekun, Noël Kulemeka, Mouftaou Laleye, « Political Transition, Economic Liberalisation and Civil Service Reform in Malawi », Public Administration and Development, vol. 17,1997, p. 215-217.
  • [28]
    Yves Dezalay et Bryant Garth décrivent un développement similaire en Amérique latine, où les économistes diplômés des prestigieuses universités américaines ont formé les élites bureaucratiques et politiques dans leurs pays d’origine, créant ainsi une classe transnationale de bureaucrates qui « abordent les problèmes économiques et l’État exactement de la même manière ». Cf. Y. Dezalay, B. Garth, The Internationalization of Palace Wars : Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, Chicago, The University of Chicago Press, 2002, p. 28.
  • [29]
    Pour l’Afrique de l’Ouest française, voir Amadou Hampâté Bâ, Oui, Mon Commandant !, Arles, Actes Sud, 1994.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.170

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions