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Article de revue

Les politiques de retour à l'emploi aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France

Pages 69 à 94

Notes

  • [1]
    Cet article porte uniquement sur l’Angleterre et le pays de Galles. Les cas de l’Écosse et de l’Irlande du Nord ne sont pas abordés.
  • [2]
    Pour une analyse approfondie, voir Jean-Claude Barbier, « Peut-on parler d’“activation” de la protection sociale en Europe ? », Revue française de sociologie, 43 (2), avril-juin 2002, p. 307-332.
  • [3]
    Ce terme générique est utilisé outre-Atlantique pour désigner l’ensemble des programmes d’aide aux catégories défavorisées. Ces derniers incluent notamment les tickets d’alimentation (Food Stamps) ; le revenu de sécurité supplémentaire (Supplemental Security Income, SSI), destiné aux personnes âgées exclues des droits à la retraite et aux personnes handicapées ; l’aide médicale gratuite (Medicaid) ; enfin – et surtout –, le programme d’aide aux familles nécessiteuses (Temporary Assistance for Needy Families, TANF).
  • [4]
    Theda Skocpol, « An Unusual Victory for Public Benefits : The Wildfire Spread of Mother’s Pensions », dans Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of Social Policy in the United States, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992, p. 424-479.
  • [5]
    Mary Jo Bane, « The Feminization of Poverty », dans Margaret Weir, Ann Shorla Orloff, Theda Skocpol (dir.), The Politics of Social Policy in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 387-389.
  • [6]
    Anne Daguerre, « La réforme de l’aide sociale aux États-Unis : modèle ou repoussoir ? », La revue française de droit sanitaire et social, 3,2001, p. 433-451.
  • [7]
    Pour une analyse très complète des propositions de réforme décrivant également le climat politique dans lequel elles sont apparues, voir R. Kent Weaver, « Welfare Reform Agenda in the 1990s », dans Ending Welfare as We Know It, Washington DC, Brookings Institutions Press, 2000, p. 102-135.
  • [8]
    Cf. Daniel Béland, François Vergniolle de Chantal, Alex Waddan, « Third Way Social Policy : Clinton’s Legacy ? », Policy and Politics, 30 (1), 2002, p. 19-30.
  • [9]
    Head Start est un programme fédéral destiné à fournir un ensemble de services aux enfants susceptibles de subir un handicap du fait de leur environnement familial.
  • [10]
    Voir John Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, New York, Longman, 1993, p. 30.
  • [11]
    Jochen Clasen, Daniel Clegg, « Unemployment Protection and Labour Market Reform in France and Great Britain : Solidarity versus Activation », Journal of Social Policy, 32 (3), 2003, p. 361-381.
  • [12]
    Heather Trickey, « Steps to Compulsion within British Labour Market Policies », dans Ivar Lodemel, Heather Trickey (eds), An Offer You Can’t Refuse : Workfare in International Perspective, Bristol, Policy Press, 2000, p. 189-210.
  • [13]
    A. Daguerre, « Neglecting Europe : Explaining the Predominance of American Ideas in New Labour’s Employment Policies since 1997 », Journal of European Social Policy, 14 (1), 2004, p. 25-39.
  • [14]
    Voir Bruno Jobert, Bruno Théret, « France : la consécration républicaine du néolibéralisme », dans B. Jobert (dir.), Le tournant néolibéral en Europe : idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • [15]
    Christine Daniel, « Les politiques sociales françaises face au chômage », dans Christine Daniel, Bruno Palier (dir.), La protection sociale en Europe, Paris, La Documentation française, 2001, p. 141-149.
  • [16]
    Gosta Esping Andersen, Welfare States in Transition : National Adaptations in Global Economies, Londres, Sage, 1996.
  • [17]
    Voir B. Palier, « Du traitement social des chômeurs à l’activation des chômeurs français », dans B. Palier, Gouverner la Sécurité sociale, Paris, PUF, 2002, p. 216-225.
  • [18]
    Voir J. Clasen, D. Clegg, « Unemployment Protection and Labour Market Reform in France and Great Britain : Solidarity Versus Activation », art. cité.
  • [19]
    Voir B. Palier, « Expliquer la diversité : l’empreinte des origines politiques », dans B. Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit..
  • [20]
    On désigne par ce terme la période 1865-1877 qui, à l’issue de la guerre de Sécession, avait vu l’occupation des États du Sud par les troupes nordistes [ndr].
  • [21]
    Cité dans Arianna Huffington, « Where Liberals Fear to Tread », août 1996 (http ://ariannaonline.huffingtonpost.com/columns/column.php ?id=659).
  • [22]
    Voir le rapport annuel du Congrès, « Temporary Assistance for Needy Families », Office of Research, Planning and Evaluation, Administration for Children and Families, US Department of Health and Human Services, février 2003.
  • [23]
    Congressional Research Service, TANF Reauthorization : Side by Side Comparison of Current Law and Two Versions of H.R. 4, Washington, Bibliothèque du Congrès, février 2004.
  • [24]
    Le Wisconsin est l’un des États pionniers du workfare. Avant même la loi de 1996, l’administration Thomson y avait mis en place un programme, « W2 », régulièrement cité en exemple comme l’un des dispositifs étatiques les plus efficaces en matière de retour à l’emploi des mères célibataires.
  • [25]
    Lui aussi fréquemment cité en exemple, ce programme reposait sur le principe d’une coopération totale de la part des bénéficiaires du TANF, fortement incités sinon contraints à accepter des travaux d’utilité publique sous peine de se voir refuser l’accès aux prestations.
  • [26]
    Entretien avec Don Winstead, Deputy Assistant Secretary for Human Services, Policy, Planning and Evaluation, DHHS, Washington DC, juillet 2004.
  • [27]
    « L’assistance est un don temporaire du peuple américain, c’est un système d’aide de retour à l’emploi. Ce n’est pas un droit, ce serait en contradiction avec les valeurs américaines d’indépendance et d’individualisme. » (Entretien avec Ron Haskins, ancien conseiller de George Bush, Washington DC, Brookings Institution, juillet 2004).
  • [28]
    Ibid..
  • [29]
    Personal Responsibility and Individual Development for Everyone Act, 108th Congress report, 108e Congres Session 162, Committee on Finance, p. 86.
  • [30]
    Entretien avec D. Winstead, cité.
  • [31]
    C’est ce que résume la devise « work for those who can, security for those who can’t », principal message véhiculé par le document du ministère des Affaires sociales A New Contract for Welfare, cm3805, Londres, HMSO, 1998.
  • [32]
    Office du Trésor, Pre-Budget Report, Opportunity for All, Londres, HMSO, 2004.
  • [33]
    Department for Work and Pensions, Pathways to Work, Helping People into Employment, Londres, HMSO, 2002. Les autorités n’ont pas pris tant de précautions quant il s’est agi de remettre au travail les jeunes chômeurs. Comme l’explique un fonctionnaire de Jobcentre Plus, la différence réside ici dans l’image que l’opinion publique se ferait des différentes catégories de prestataires : « Le document Pathways to Work propose une approche expérimentale mise en œuvre à une échelle très modeste parce que c’est politiquement très difficile. Tout le monde a de la sympathie pour les personnes en chaise roulante ou partiellement aveugles et le lobby des handicapés joue là-dessus » (entretien avec Stephen Holt, Director of Modernisation Strategy, Jobcentre Plus, DWP, Londres, avril 2003).
  • [34]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, Cm 6447, Londres, HMSO, 2005 (http :// www. dwp. gov. uk/ publications/ dwp/ 2005/ 5_yr_strat/ pdf/ report. pdf).
  • [35]
    Ibid., p. 9.
  • [36]
    « Le Cabinet du Premier ministre fait pression en faveur d’un agenda beaucoup plus radical afin de gagner l’appui de la presse de caniveau. Ils ont commencé à lancer des communiqués de presse sur la nécessité d’être ferme avec les bénéficiaires de pensions d’invalidité. » (Entretien avec un fonctionnaire du Trésor, Londres, avril 2005).
  • [37]
    DWP, A New Deal for Welfare : Empowering People to Work, Cm 6730, Londres, HMSO, 2006.
  • [38]
    Salaire minimum interprofessionnel de croissance.
  • [39]
    Cette loi s’inscrit dans le prolongement de plusieurs initiatives parlementaires des élus de droite que le gouvernement Jospin, privilégiant le renforcement des mécanismes d’intéressement à travers notamment la création de la Prime pour l’emploi, n’avait pas reprises à son compte. Parmi elles figurent la proposition formulée en 1998 par la Commission des affaires sociales du Sénat d’instituer une « Convention de revenu minimum d’activité » (Rapport Sénat, n? 450,1997-1998, tome I, p. 119) et une proposition de loi portant création d’un revenu minimum d’activité émanant des sénateurs UMP Lambert et Marini et adoptée par le Sénat en 2001 (Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304,2002-2003, tome I, p. 40).
  • [40]
    Notons toutefois que l’État prend en charge les cotisations sociales. L’opération n’est donc pas neutre financièrement, mais elle est sensiblement moins coûteuse que les formes traditionnelles d’emploi aidé.
  • [41]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 20.
  • [42]
    Voir Guy Laroque, Bernard Salanié, « Une décomposition du non-emploi en France », Économie et Statistique, 331,2000, p. 47-66.
  • [43]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, ministère des Affaires sociales, Paris, juin 2004.
  • [44]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 24.
  • [45]
    Ibid., p. 25.
  • [46]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [47]
    « Il fallait que le dispositif ait un coût nul ou presque. » Entretien avec un membre de la DGAS, Paris, juin 2004.
  • [48]
    Souligné par nous.
  • [49]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [50]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, cité, p. 26.
  • [51]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 24.
  • [52]
    Interview de D. Winstead, cité.
  • [53]
    Entretien avec un membre de la DGAS, cité.
  • [54]
    Entretien avec S. Holt, cité.
  • [55]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, cité, p. 9.
  • [56]
    Voir David Marsh, R. A W. Rhodes, « Policy Communities and Issue Networks : Beyond Typology », dans D. Marsh, R. A. W. Rhodes (eds.), Policy Networks in British Government, Oxford, Clarendon Press, 1992. Voir aussi D. Marsh, « Théorie de l’État et modèle de réseaux d’action publique », dans Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.) Les réseaux de politique publique : débat autour des Policy Networks, Paris, L’Harmattan, 1995.
  • [57]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [58]
    Voir plus généralement Giandomenico Majone, Evidence, Argument and Persuasion in the Policy Process, New Haven, Yale University Press, 1989.
  • [59]
    Sur cette question, voir par exemple Yannick L'Horty, « Que nous apprennent les bénéficiaires du RMI sur les gains du retour à l'emploi ? », Centre d’études de l'emploi, Rapport de recherche n? 24, juillet 2005.
  • [60]
    Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

1Les mères célibataires américaines, les adultes handicapés britanniques  [1] et les RMIstes français ont deux points communs : une insertion limitée dans le marché du travail et le fait de bénéficier de la charité, souvent parcimonieuse, de l’État. Depuis la seconde moitié des années 1990, ces populations se sont trouvées dans la ligne de mire des gouvernements européens et américains. En effet, les politiques d’activation  [2] adoptées par ces derniers dans le but de remettre les « exclus » au travail se caractérisent non seulement par l’offre de services destinés à faciliter la transition vers l’emploi, par exemple sous la forme de programmes de formation continue, mais aussi et avant tout par un principe de conditionnalité qui subordonne l’octroi de la prestation à la participation du bénéficiaire potentiel à un programme de recherche d’emploi. En cela, elles se situent à l’opposé des politiques de dépenses passives qui accordent des prestations sociales sans exigence de contrepartie. Dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne, prédomine le système du workfare, qui repose sur le principe de la carotte et du bâton. Côté carotte, les bénéficiaires de l’aide sociale se voient octroyer des avantages financiers sous forme de crédit d’impôt en cas de retour sur le marché de l’emploi. Côté bâton, un système progressif de diminution puis de suppression des prestations sanctionne ceux qui refusent les emplois qu’on leur propose. En revanche, en Europe continentale, les politiques d’activation sont fondées sur une logique d’incitation et d’accompagnement susceptible d’assurer au bénéficiaire un retour « en douceur » sur le marché de l’emploi. Au sein de l’ensemble des pays démocratiques et industrialisés figurent donc des traditions d’intervention en matière de protection sociale fondamentalement différentes. Les cas des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France en témoignent. La Grande-Bretagne se rapproche néanmoins des États-Unis pour ce qui est du primat d’une conception minimaliste et résidualiste du rôle de l’État – qui s’est traduite notamment par la résistance obstinée du gouvernement conservateur de Margaret Thatcher à la communautarisation du droit social (refus de ratifier la Charte communautaire des droits des travailleurs) –, tandis que les gouvernements français successifs, attachés à une conception collectiviste du rôle de l’État, demeurent plus réticents à s’engager dans la voie du workfare.

2Cet article a pour objet la seconde vague de réformes d’activation mises en œuvre dans les trois pays : la réforme de l’aide aux familles en difficulté promue par la Maison Blanche sous la Présidence de George W. Bush en 2002, celle relative au retour à l’emploi des personnes percevant l’allocation d’adulte handicapé en Grande-Bretagne (2002-2004) et la création du Revenu minimum d’activité (RMA) en France à la même période. Ces réformes interviennent dans le sillage de celles de la « première vague », plus ou moins contemporaine du Conseil européen de Luxembourg de 1997 qui avait consacré le retour à l’emploi des chômeurs comme objectif prééminent et mot d’ordre des politiques d’assistance sociale : la loi sur l’aide temporaire aux familles en difficulté promulguée par le Président Bill Clinton en août 1996, la « Nouvelle Donne » pour les chômeurs annoncée par le gouvernement travailliste de Tony Blair en 1997 et le plan de retour à l’emploi mis en œuvre par le gouvernement de Lionel Jospin la même année. Les politiques de la seconde vague s’inspirent des précédentes tout en cherchant à les améliorer. En dépit de leurs différences, toutes reposent sur une rhétorique assez dure à l’égard des personnes inactives. Mais avant de décrire les processus de réforme à l’œuvre aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France et de s’interroger sur une éventuelle convergence des politiques d’activation perceptible au niveau du contenu même des dispositifs, il convient de revenir sur les modèles traditionnels d’intervention sociale en vigueur dans les trois pays.

L’aide aux familles nécessiteuses aux États-Unis

3S’il fallait résumer en quelques mots l’esprit du welfare[3], on pourrait dire qu’il établit une frontière nette entre les pauvres méritants et ceux qui ne le sont pas. Durant l’ère « progressiste » (1890-1920), les pauvres méritants étaient principalement les vétérans de la guerre de Sécession et les veuves mères de famille. Les pensions maternelles introduites dans la plupart des États au tournant du XXe siècle devaient permettre à ces dernières d’élever leurs enfants dans le cadre du foyer comme n’importe quelle mère de famille américaine bénéficiant du soutien financier de son mari  [4]. Mais Theda Skocpol rappelle que ces pensions maternelles étaient attribuées aux femmes vertueuses : non alcooliques, sans liaison amoureuse notoire et soucieuses de la propreté des enfants et du foyer. Les femmes divorcées, mères célibataires ne satisfaisant pas aux critères de moralité, étaient évincées du programme. C’est ce « maternalisme social moral » qui est à l’origine du programme Aid to Dependent Children (ADC) institué par la loi sur la Sécurité sociale (Social Security Act) de 1935, laquelle jette les bases d’une aide sociale obligatoire pour les mères seules à charge de famille dispensée au niveau fédéral. En pratique, Washington distribue aux États fédérés des subsides correspondant à environ la moitié du coût du programme.

4Toutefois, à partir du début des années 1960, il apparaît clairement que la population des bénéficiaires de l’ADC n’est plus la même. Désormais, ce ne sont plus les veuves à charge d’enfants mais bien les mères divorcées ou célibataires qui en constituent la majorité. Or, contrairement aux allocataires du revenu de sécurité complémentaire (SSI), dont le handicap empêche que leur légitimité à bénéficier d’un programme d’assistance sociale soit mise en cause, les mères célibataires, n’étant pas dans l’incapacité physique de travailler, ne sont pas reconnues comme titulaires d’un droit inaliénable à la solidarité collective. Les pouvoirs publics ont donc la latitude d’introduire ici et là des mesures visant à les inciter à participer à des programmes d’emploi et de formation, sans pour autant ériger cette participation en condition générale  [5]. Reste que, sauf pour ceux qui sont manifestement dans l’incapacité de travailler, le fait d’occuper un emploi constitue l’unique vecteur d’acquisition de la citoyenneté au sens plein du terme dans un pays où la « dépendance » est fortement stigmatisée  [6]. À partir du milieu des années 1960, l’ADC, rebaptisée Aid to Families with Dependent Children (AFDC), souffre donc d’un déficit de légitimité d’autant plus profond que le programme n’est pas parvenu à éradiquer la très grande pauvreté, contrairement aux espoirs entretenus à cet égard sous la présidence de Lyndon Johnson.

5La crise s’accentue dans les années 1980 et 1990, période marquée par la montée en puissance de l’idéologie conservatrice républicaine. Les bénéficiaires de l’AFDC tendent de plus en plus à être perçus comme des pauvres non méritants, qui choisissent de se reproduire aux frais du contribuable tout en se soustrayant aux obligations communes. La « welfare queen » – formule popularisée par le Président Ronald Reagan pour désigner à la vindicte publique les Noires qui s’enrichiraient sur le dos de la collectivité au point de pouvoir s’offrir des « cadillacs » et autres objets de luxe – doit être remise au travail. Comme le confirment également des experts démocrates tels Mary Jo Bane et David Ellwood, les bénéficiaires de l’AFDC seraient littéralement piégés par un système qui les empêche de cumuler revenus du travail et revenus « de l’assistance ». Bane et Ellwood proposent donc de réduire la durée de cette assistance et, surtout, de rendre le travail salarié financièrement plus attractif pour les personnes concernées  [7].

6C’est dans ce contexte de remise en cause généralisée que le candidat démocrate à la Présidence Bill Clinton promet en 1992 de « mettre fin à l’aide sociale dans sa forme actuelle » (ending welfare as we know it). L’administration démocrate prépare alors une réforme radicale, dont les grandes lignes sont rendues publiques en 1994, dans le cadre d’un projet de loi intitulé Work and Responsibility Act. Selon le dispositif envisagé, les bénéficiaires de l’aide sociale en état de travailler auraient été dans l’obligation de trouver un emploi dans le secteur privé ; toutefois, en cas d’échec à l’issue d’un délai de deux ans, un emploi dans le secteur public leur aurait été proposé. Ce dispositif, qui rompait avec le principe d’une aide sociale illimitée, proposait cependant aux bénéficiaires de réelles garanties en termes d’emploi et de formation. Mais il est resté lettre morte. À partir de novembre 1994, les républicains, désormais majoritaires au Congrès, lancent un contre-projet d’orientation très conservatrice. En dépit d’un usage répété de son droit de veto, Bill Clinton perd le contrôle de l’agenda de la réforme. Soucieux de ne pas camper sur des positions dénoncées comme laxistes par la nouvelle majorité parlementaire, il finit par promulguer un texte de compromis, le Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act, dont la pièce maîtresse est le TANF, qui vient se substituer à l’AFDC  [8].

7L’aide temporaire aux familles nécessiteuses entend favoriser le retour au travail des plus défavorisés, mais elle vise en particulier les familles monoparentales. Pour cela, elle associe incitation et contrainte. Le crédit d’impôt sur le revenu salarié (Earned Income Tax Credit, EITC), impôt négatif qui complète les revenus d’activité des travailleurs pauvres ayant des enfants à charge, est revalorisé, mais le nouveau dispositif est assorti d’une menace d’arrêt des prestations en cas de refus d’un emploi salarié. De plus, la durée de l’aide attribuée à un même individu (adulte en âge de travailler) tout au long de sa vie ne peut excéder cinq ans. Les États peuvent venir en aide à tout parent en difficulté en lui fournissant un travail ou en lui proposant des services de formation ou d’avancement de carrière, de conseil conjugal ou de garde d’enfants. Il peut, plus indirectement, passer un contrat avec l’autorité locale responsable du programme Head Start[9] afin d’augmenter les capacités d’accueil des enfants en difficultés.

8Toutefois, l’octroi de l’aide est désormais lié à l’acceptation par le bénéficiaire d’une « activité d’adaptation au travail » d’au moins 30 heures par semaine. Outre la recherche d’un emploi, la formule désigne aussi bien une formation ou un stage qu’un travail d’utilité collective, autant de préalables au retour à un véritable emploi qui permettra à la personne de disposer de revenus suffisants pour sortir du dispositif. La contrainte d’activité était déjà présente sous le régime de l’AFDC, mais la nouveauté est qu’elle est ici associée à une limitation dans le temps du bénéfice de l’aide. En ce qui concerne les bénéficiaires qui ne se plieraient pas aux exigences du dispositif, les États décident eux-mêmes des pénalités applicables. Enfin, le système est personnalisé : après avoir fait un bilan de compétences du bénéficiaire, les bureaux d’aide sociale établissent un plan de responsabilité individuelle, qui définit les étapes de sa réinsertion professionnelle tout en précisant ses devoirs. La dimension révolutionnaire du TANF consiste ainsi en la suppression du droit à la prestation sans contrepartie d’engagement dans un travail salarié ou une activité y conduisant. L’objectif est d’accélérer le placement de l’individu sur le marché du travail en vertu du principe selon lequel le fait d’occuper un emploi, aussi peu qualifié et aussi mal payé soit-il, améliore automatiquement les perspectives de carrière.

9Le ministère des Affaires sociales (Department of Health and Human Services, DHHS), en particulier le Bureau d’aide à la famille (Office of Family Assistance), se contente de superviser la mise en œuvre des différents programmes, qui tendent à se superposer plutôt qu’à s’articuler dans le cadre d’une politique sociale homogène. Les secrétaires d’État aux Affaires sociales, qui sont nommés par le Président des États-Unis, demeurent à leur poste deux ans en moyenne. Le seul contre-pouvoir réellement susceptible de faire pièce aux initiatives de l’administration « politique » nommée par le Président et le secrétaire d’État – par opposition aux fonctionnaires de carrière – est le Congrès, le Sénat en particulier. En effet, non seulement les fonctionnaires de carrière, de manière générale, exercent une influence très limitée sur le processus de réforme  [10], mais les fonctionnaires fédéraux ont été dépouillés de leur pouvoir de contrôle sur la politique sociale au nom de la libre administration des États.

Les politiques de retour à l’emploi en Grande-Bretagne

10L’État providence britannique est un modèle hybride qui combine des éléments de nature libérale, comme la place accordée à des politiques d’assistance fondées sur des critères de besoin, et des éléments « sociaux démocrates », comme la persistance d’une protection sociale universelle, notamment en matière de santé. Il n’en demeure pas moins qu’à partir des années 1980 une critique des effets pervers de la dépendance sociale voisine des discours formulés aux États-Unis un peu plus tôt se développe en Grande-Bretagne également. Les élites politiques britanniques se convertissent alors à l’idée qu’il existe un chômage volontaire et que les politiques d’assistance, de par leur générosité excessive, créent les conditions d’une dépendance à long terme. Les politiques néolibérales visent donc en premier lieu les prestations d’assistance sociale – c’est la réforme de la Sécurité sociale en 1988 –, puis, en 1996, l’assurancechômage. Cette année-là, le gouvernement de John Major, d’une part, réduit la durée des prestations, d’autre part, rend beaucoup plus restrictives les conditions d’accès à l’allocation chômage à travers la réforme du Job Seeker Allowance (JSA), et ce tout en multipliant les contrôles  [11]. L’objectif n’est pas ici de faciliter le retour à l’emploi, mais bien de réduire radicalement le nombre de chômeurs pris en charge. Le JSA constitue une politique d’activation négative fondée sur l’idée selon laquelle les sanctions financières obligeront le chômeur à retrouver un emploi au plus vite, aussi mal payé soit-il. En matière de protection contre le chômage, la frontière entre assurance et assistance sociale tend ainsi à s’estomper.

11C’est dans ce contexte résolument individualiste et néolibéral que sont conçues les politiques d’activation britanniques, politiques qui, à partir de 1997 – date à laquelle les conservateurs cèdent la place au gouvernement travailliste de Tony Blair –, associent contrainte et incitation. Comme le note Heather Trickey  [12], les autorités britanniques hésitent alors entre une rhétorique individualiste mettant l’accent sur la nécessité de combattre la culture de la dépendance et un objectif de lutte contre l’exclusion. Dans cette perspective, les chômeurs sont perçus comme des personnes vulnérables dont il convient d’assurer la réinsertion sociale grâce au travail ou à la formation professionnelle. L’approche choisie est donc moins punitive que dans le TANF américain ou le JSA de John Major.

12Le programme phare de cette politique est la Nouvelle Donne pour les jeunes (New Deal for Young People, NDYP), expression qui désigne en fait un dispositif de retour à l’emploi auquel toute personne âgée de 18 à 24 ans et bénéficiaire de l’allocation chômage depuis plus de six mois est obligée de se soumettre sous peine de perdre tout ou partie de ses indemnités. Dans un premier temps, les Services pour l’emploi convoquent le jeune chômeur en vue d’un entretien. Si ce dernier ne répond pas à la première convocation, il lui est alors adressé une série de lettres d’avertissement qui, si elles demeurent toujours sans réponse, peuvent conduire à la suppression de l’allocation. En contrepartie de cette contrainte, le conseiller pour l’emploi offre à la personne en question une aide intensive à la recherche d’un emploi salarié pendant une période de quatre mois, via notamment un bilan de compétences personnalisé et la rédaction d’un projet professionnel.

13La contrainte est beaucoup moins forte pour les parents isolés, qui sont à 90 % des mères célibataires. Contrairement au NDYP et au workfare américain, la participation au programme d’activation – la Nouvelle Donne pour les parents isolés (New Deal for Lone Parents, NDLP) – s’effectue sur la base du volontariat. L’octroi des prestations ne lui est pas subordonné. En pratique, depuis 2002, les mères célibataires qui font la demande d’une allocation de parent isolé sont simplement tenues de se rendre à un entretien annuel d’évaluation avec un conseiller pour l’emploi, qui se borne à les inciter à participer au programme de retour sur le marché du travail.

14Ces mesures sont d’autant plus faciles à mettre en œuvre que la politique sociale britannique présente un caractère extrêmement centralisé. Dans ce domaine, fort du soutien d’une majorité parlementaire, le gouvernement dispose d’un pouvoir très étendu. Contrairement à son homologue américain, le Department for Work and Pensions (DWP) – qui regroupe à la fois l’agence de distribution des prestations, la Benefit Agency, et l’agence de retour à l’emploi, le Jobcentre Plus – est ainsi en mesure d’assurer la gestion effective de l’ensemble des politiques d’assistance sociale, politiques dont le Trésor surveille de près la mise en œuvre. Les politiques de retour à l’emploi ont du reste été définies par les conseillers du ministre des Finances Gordon Brown  [13]. Ces derniers – et plus généralement l’ensemble des conseillers politiques directement nommés par les membres du Cabinet – viennent ainsi de plus en plus concurrencer les fonctionnaires de carrière, membres du Civil Service. Plus autonomes que leurs homologues américains, ces derniers ont néanmoins à cœur de satisfaire les demandes du gouvernement.

L’émergence des politiques actives en France

15Confrontés à la montée du chômage dans les années 1980 et 1990, les pays d’Europe continentale, dont la France, ont d’abord privilégié des politiques de réduction massive de l’offre de travail, à travers notamment les préretraites ainsi que par la négociation de primes de licenciement permettant de maintenir dans l’emploi une population qualifiée, majoritairement masculine et dans la force de l’âge (25-55 ans). En France, jusqu’au début des années 1990, les préretraites sont ainsi subventionnées massivement par l’État. Un système dual d’indemnisation du chômage se met également en place, avec, d’une part, une assurance chômage – gérée depuis 1958 par l’UNEDIC, organisme paritaire où sont représentés les partenaires sociaux (syndicats et patronat) – de plus en plus restrictive et de fait réservée aux travailleurs facilement ré-employables ; d’autre part, un système d’aide sociale qui lui-même se décline en deux volets. Le premier est l’allocation spécifique de solidarité (ASS), créée en 1984 et destinée aux chômeurs de longue durée, qui ne rentre pas dans le champ de l’assurance chômage. Le second correspond aux minima sociaux, au premier rang desquels se trouve le Revenu minimum d’insertion (RMI), conçu au départ comme une mesure temporaire visant à maintenir le niveau de vie des exclus de l’assurance chômage et de l’ASS. Ces prestations sont gérées par l’État central et les collectivités locales, à charge pour les départements de mettre en place les contrats d’insertion pour les bénéficiaires du RMI. Depuis sa création en 1988, ce dernier est géré par les Caisses d’allocations familiales, lesquelles, il faut le souligner, ne sont aucunement partie prenante des politiques d’aide et de retour à l’emploi.

16Ce système est beaucoup moins centralisé que le système britannique dans la mesure où ce sont les partenaires sociaux qui gèrent les prestations de la Sécurité sociale. Le budget de celle-ci, théoriquement distinct du budget de l’État, fait l’objet d’un contrôle direct du gouvernement central depuis la réforme constitutionnelle de 1996, qui prévoit que ledit budget doit être voté par le Parlement dans le cadre de la loi de finances. Le système de protection sociale émane donc d’un État unitaire hybride, caractérisé par la puissance traditionnelle des partenaires sociaux. À cela s’ajoute la distinction entre les directions d’administration centrale, telles la Direction générale de l’action sociale (DGAS) et la Direction générale de la santé, composées dans leur majorité de fonctionnaires des services centraux de l’État chargés des tâches d’exécution, et les cabinets ministériels, dont les membres sont directement nommés par le pouvoir élu. Or l’administration sociale a perdu l’influence intellectuelle dont elle disposait jusqu’au début des années 1980, conséquence de la désagrégation de la communauté d’experts sociaux – où des énarques brillants tels Jean-Louis Bianco figuraient en bonne place  [14]. Elle ne conserve le plus souvent qu’un pouvoir d’obstruction, qui oblige les cabinets ministériels à la convaincre du bien-fondé des projets de réformes des politiques d’assistance sociale ou de retour à l’emploi dont ils sont en fait les véritables promoteurs.

17Au cours des années 1990, le RMI se transforme peu à peu en un système de soutien de revenu destiné aux personnes les plus éloignées du marché du travail. Se met ainsi en place un système dual d’indemnisation du chômage et d’activation des chômeurs qui reflète tout en la perpétuant la segmentation du marché du travail français  [15]. Les politiques en question s’accompagnent d’un traitement social du chômage que l’on a pu qualifier de stratégie de protection sociale sans emploi  [16]. Elles reposent sur la création massive d’emplois aidés à vocation occupationnelle dans le secteur public (travaux d’utilité publique, contrats emploi solidarité, contrats de retour à l’emploi), dispositifs qui visent avant tout les chômeurs de longue durée et les jeunes sans qualification  [17]. C’est à la fin des années 1990 qu’intervient un changement de cap, principalement déterminé par le coût financier de la politique mise en œuvre. Si, en France, il n’existe pas à proprement parler de modèle cohérent des politiques d’activation, reste que, contrairement à la vision qui prévaut dans le cadre du workfare anglo-saxon, le demandeur d’emploi et surtout l’assisté demeurent perçus comme des victimes, non de leur comportement mais d’un déficit de perspectives et de la sélectivité croissante du marché du travail. Dans la tradition solidariste française héritée de penseurs comme Léon Bourgeois, le travail est un droit et le demandeur d’emploi peut demander des comptes à la société (préambule de la Constitution de 1946). Cette tradition solidariste explique au moins en partie la difficulté à mettre en œuvre des politiques d’activation fondées sur des sanctions comme celles en vigueur aux États-Unis et en Grande-Bretagne  [18].

18Les politiques d’activation introduites depuis 1997 à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin ont procédé en deux temps. Ont d’abord été ciblés les demandeurs d’emploi les plus vulnérables, en particulier les chômeurs de longue durée grâce au programme Nouveau Départ. Puis, ces politiques ont été étendues à l’ensemble des demandeurs d’emploi, notamment grâce à la réforme du plan d’aide et de retour à l’emploi adoptée en 2001. Toutefois, le caractère dual des politiques d’activation a perduré et s’est même accentué depuis la réforme du RMI mise en œuvre en 2003 sous l’égide du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin – sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Les réformes de la seconde vague

19Si les nouvelles politiques mises en place dans les premières années du XXIe siècle participent toutes de l’idée selon laquelle le travail est d’abord un devoir et accessoirement un droit, cette évolution prend des formes distinctes selon les contraintes institutionnelles, culturelles et politiques présentes dans chacun des trois pays considérés. À cet égard, l’argument néo-institutionna-liste qui met en lumière l’importance des choix originels dans l’évolution des politiques sociales conserve toute sa pertinence  [19].

Aux États-Unis

20En 1996, la plupart des adversaires de la réforme Clinton avaient annoncé un désastre social de première grandeur. Pour ne prendre qu’un exemple, l’un des experts et hommes politiques les plus écoutés sur ces questions, le sénateur démocrate Daniel Patrick Moynihan, avait qualifié la nouvelle loi « d’acte de politique sociale le plus brutal depuis la Reconstruction  [20] » et prédit que « ceux qui en [étaient] partie prenante [emporteraient] cette infamie jusque dans la tombe »  [21].

21Cinq ans plus tard, force est de constater que la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu. La réforme est même un succès, du moins si l’on en juge par la diminution du nombre des bénéficiaires de l’aide sociale. Alors qu’ils étaient 14,4 millions en 1994 (près d’une famille sur 7), ils ne sont plus que 5,4 millions en 2001, ce qui représente une réduction de 64 % pour la période 1994-2002 et de 58 % pour la période 1996-2002. Pressées par la menace de voir se vider leur compte épargne temps limité à cinq ans, les femmes ont préféré travailler que de renoncer au chèque conditionnel délivré par les autorités locales (comté). Par conséquent, la proportion d’allocataires adultes exerçant une activité passe de 11 % en 1996 à 33 % en 2000. Ces résultats exceptionnels s’expliquent en grande partie par l’insolente santé de l’économie américaine durant la période 1995-2001. Toutefois, la récession économique de 2001 produit des effets rapidement perceptibles : la proportion d’allocataires adultes ayant un travail décroît légèrement – de 33 % en 2000 à 32,6 % en 2001  [22] – et le nombre de candidatures à l’aide sociale augmente, quoique légèrement aussi (3,4 millions en 2001 contre 3,3 millions en 2000). En outre, 60 % des allocataires sont sans emploi depuis trois ans. C’est dans ce contexte, et profitant de la nécessité pour le Congrès de réexaminer le dispositif institué par la loi de 1996 – loi temporaire appelée à faire l’objet d’une procédure de « réautorisation » tous les cinq ans –, que l’administration Bush propose en 2001 un durcissement de la législation, désormais intitulée « Progresser vers l’indépendance » (Working Toward Independence).

22La première innovation consiste à porter de 30 à 40 heures la durée du travail hebdomadaire permettant de toucher l’aide sociale à taux plein. La seconde est l’initiative de soutien aux « mariages sains » (Healthy Mariage Initiative), plus précisément à la formation et au maintien de « couples sains et mariés »  [23]. L’idée est simple : le mariage représentant l’un des meilleurs moyens de prévenir la pauvreté, les conseillers qui aident ou incitent les couples à poursuivre la vie commune économisent l’argent du contribuable.

23Le projet de réforme de 2001 a été piloté pratiquement du début à la fin par l’administration du DHHS, notamment par le secrétaire d’État Tommy Thomson, ancien gouverneur du Wisconsin  [24], le sous-secrétaire d’État Wade Horn, promoteur de la Healthy Mariage Initiative, le directeur du Bureau d’assistance à la famille Andrew Bush, ancien directeur du programme W2 dans le Wisconsin, puis gestionnaire du programme TANF de la ville de New York  [25], et Don Winstead, ancien administrateur du programme TANF en Floride. Composé de « républicains impliqués dans la gestion des programmes d’aide sociale depuis des années » et ayant « les mêmes priorités et la même intelligence de la situation »  [26], ce groupe d’experts entretient également des liens étroits avec le principal think tank de la nouvelle droite, la Heritage Foundation, dont le directeur, Robert Rector, est l’un des plus radicaux parmi les théoriciens du workfare.

24Les convictions des membres de ce groupe sont les suivantes : l’accès au travail salarié est le meilleur moyen de sortir de la pauvreté ; les politiques de formation étant inefficaces, mieux vaut privilégier le placement rapide sur le marché du travail, en pariant sur le fait que les bénéficiaires verront leurs revenus augmenter à mesure que leur expérience professionnelle augmentera ; l’aide n’est pas un droit, mais une faveur  [27] ; la mise en œuvre de sanctions plus sévères aura pour effet d’inciter les bénéficiaires de l’aide sociale à travailler ; la première cause de la pauvreté n’est pas le déficit de protection sociale mais l’éclatement des structures familiales traditionnelles, d’où la nécessité de renforcer l’institution du mariage, étant donné que les enfants qui grandissent dans une famille unie, toutes choses égales par ailleurs, risquent beaucoup moins de se retrouver en dessous du seuil de pauvreté ; la priorité n’est pas tant la lutte contre la pauvreté que la diminution continue du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale ; enfin, l’existence d’un important niveau de pauvreté n’est pas considérée comme scandaleuse même s’il existe une limite à ne pas dépasser, en particulier pour les enfants. C’est ce dernier point qui constitue sans doute le plus important des clivages idéologiques entre démocrates et républicains. L’élection de George Bush en 2000 a ensuite ouvert une fenêtre d’opportunité pour ce groupe de réformateurs qui se sont vu accorder par le Président une sorte de blanc-seing pour conduire le débat relatif à la réautorisation. En particulier, d’après Ron Haskins, alors conseiller à la Maison Blanche, au nom de l’argument selon lequel « la plupart des mères qui [avaient] quitté le TANF [travaillaient] désormais 35 heures ou plus »  [28], la proposition concernant les 40 heures a été explicitement approuvée par George Bush et le vice-Président Dick Cheney.

25Quasi identique à la proposition de l’administration Bush, le projet de législation adopté par la Chambre des représentants – alors dominée par les républicains – sous l’intitulé Personal Responsibility and Individual Development for Everyone Act est ensuite transmis à la Commission des finances du Sénat, présidée par le républicain Grassley, la minorité démocrate étant conduite par le sénateur Baucus. Dans l’ensemble, les sénateurs républicains se montrent beaucoup plus circonspects. Ils préconisent notamment d’étendre à cinq ans la période durant laquelle les personnes ayant quitté le TANF pourraient continuer à recevoir l’aide médicale gratuite, alors que la majorité des représentants entendaient réduire cette période à un an  [29]. En dépit de ces concessions, depuis 2003, la minorité démocrate – qui inclut le sénateur John F. Kerry – a entrepris de bloquer le vote de la loi en refusant de participer à la session plénière avec la Chambre des représentants qui, selon elle, permettrait vraisemblablement aux républicains, assurés de disposer d’une confortable majorité, de refuser l’adoption d’un texte de compromis à caractère bipartisan. À en croire Don Winstead, « cette situation est appelée à durer. Au fond, il n’y a pas de désaccord majeur entre républicains et démocrates sur le projet, mais les démocrates ne veulent pas faire de concessions pour des raisons partisanes »  [30]. Tous les trois ou six mois, le Congrès se contente donc de renouveler l’autorisation budgétaire permettant de faire fonctionner le dispositif.

En Grande-Bretagne

26Dans la mesure où ils participaient d’un projet de responsabilisation des chômeurs, les programmes britanniques constitutifs de la Nouvelle Donne mis en place de 1997 à 2001 ont logiquement commencé par cibler les catégories de bénéficiaires a priori les plus aisément employables et partant insusceptibles de faire valoir des raisons qui les conduiraient à pouvoir se soustraire à l’obligation de recherche d’emploi : les jeunes de 18 à 24 ans et les chômeurs de longue durée – par opposition aux mères célibataires et aux personnes handicapées. Suivant le principe alors brandi par l’aile centriste du parti travailliste suivant lequel il n’existe pas de droits sans devoirs, l’objectif est d’encourager les chômeurs à retrouver un emploi et à réaliser ainsi leur « potentiel humain » plutôt que de distribuer des prestations qui les enfermeraient dans le cercle de la dépendance  [31]. À l’instar de leurs homologues américaines, les élites gouvernementales britanniques sont convaincues que les politiques de formation sont inefficaces et qu’il faut favoriser le placement rapide des chômeurs sur le marché du travail. Américains et Britanniques avancent également une explication du chômage qui met davantage l’accent sur les comportements individuels que sur les facteurs macro-économiques. Pourtant, le dispositif d’encadrement des mères célibataires demeure moins coercitif que celui en vigueur aux États-Unis. Les parents isolés britanniques sont tenus d’assister à un entretien préalable avant toute demande d’allocation. Cet entretien a pour objectif d’étudier la possibilité pour la demandeuse d’occuper un emploi. Mais la participation au programme Nouvelle Donne est strictement volontaire, alors qu’elle est obligatoire pour les bénéficiaires de l’assistance aux États-Unis. Selon les estimations gouvernementales, ces deux programmes de la Nouvelle Donne ont été couronnés de succès. En 2004, le NDYP aurait permis le retour à l’emploi de 520 000 jeunes et le NDLP celui de plus de 276 000 parents isolés. Au total, les différents programmes d’activation auraient permis le retour à l’emploi d’un million de personnes depuis 1998  [32]. Le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis vingt ans puisqu’il oscille entre 4,5 et 4,8 % en 2006. Dans ces conditions, le problème à résoudre n’est plus le chômage de masse, mais la persistance d’un taux d’inactivité élevé des bénéficiaires de pensions d’invalidité – 2,7 millions de personnes en 2004, soit 7,5 % de la population en âge de travailler. Or 80 % de ces personnes ont des problèmes de santé dont la nature relativement bénigne ne les empêche pas véritablement de travailler. Au cours de son second mandat (2001-2005), le gouvernement travailliste entreprend donc de consolider le dispositif de la Nouvelle Donne en concentrant cette fois ses efforts sur deux catégories de population : les mères célibataires et, surtout, les bénéficiaires de l’allocation d’adulte handicapé. Politiquement, la tâche est plus délicate, dans la mesure où il s’agit de personnes qui demeurent victimes de barrières à l’emploi, que ce soit pour des raisons de santé ou de garde d’enfants.

27Pour ce qui est des mères isolées, c’est un fait que le sous-investissement chronique en matière d’équipements collectifs destinés à l’accueil des enfants en bas âge, joint au caractère relativement généreux des revenus de remplacement et des aides au logement, les a concrètement détournées du marché du travail. La volonté d’augmenter leur taux d’emploi demeurant toutefois limitée par la non-remise en cause de ce sous-investissement qui est l’une des clés du problème, les personnes en question ne se voient pas imposer d’obligations en matière de recherche d’emploi. Il en va différemment pour les 2,7 millions d’individus qui bénéficient d’une pension d’invalidité, et ce quand bien même le gouvernement, soucieux de ne pas heurter de front le puissant lobby des personnes handicapées, prend soin de souligner le caractère expérimental de la réforme entreprise, annoncée en octobre 2002 dans un document intitulé Pathways to Work (Les sentiers vers l’emploi)  [33].

28Lancé en octobre 2003 et d’abord testé dans sept localités britanniques, le programme combine incitations financières, accompagnement individuel et contrainte. Côté incitation, le gouvernement alloue au nouveau candidat soucieux de retrouver une activité une prime de retour à l’emploi d’un montant de 40 livres par semaine. Côté contrainte, les candidats à l’allocation d’adulte handicapé sont tenus de participer à une série d’entretiens individualisés avec un conseiller qui établit un plan de retour à l’emploi. Mais la véritable rupture intervient en février 2005, avec la publication par le ministère des Affaires sociales d’un document intitulé Department for Work and Pensions Five Year Strategy[34], qui témoigne de l’évolution vers une approche plus nettement punitive du problème. En effet, le DWP planifie la suppression des pensions d’invalidité d’ici à 2008. Plus précisément, après avoir passé un test d’aptitude au travail, complété par un bilan d’employabilité (Employability and Support Assessment), les prestataires seraient divisés en deux groupes. Les 80 % d’entre eux qui ne souffrent que d’infirmités non invalidantes (mal de dos, dépression) recevraient une allocation de réhabilitation, tout en suivant un programme graduel de retour au travail sous la stricte supervision des conseillers pour l’emploi. Les autres, ceux qui souffrent d’infirmités plus graves, recevraient une allocation d’adulte handicapé (Disability and Sickness Allowance) d’un montant supérieur à l’actuelle pension d’invalidité. À la différence du premier groupe, ils ne seraient pas obligés d’exercer une activité. Ces propositions sont conformes au principe qui veut que l’on donne « du travail à ceux qui peuvent travailler, de l’assistance à ceux qui ne le peuvent pas », lequel insiste également sur la solidarité entre droits et devoirs : « Nous pouvons attendre davantage des gens dans la mesure où nous sauvegardons leur droit à la sécurité financière et élargissons leurs perspectives d’insertion sur le marché du travail »  [35].

29En 2005, à l’initiative d’un groupe constitué de représentants du Trésor (fonctionnaires de carrière du DWP et du cabinet du Premier ministre), la décision est prise de consolider et d’élargir les mesures d’activation à l’ensemble des personnes en âge de travailler, y compris celles qui souffrent d’infirmités légères. Si certaines divergences apparaissent alors quant à l’opportunité de renforcer les sanctions à l’encontre des personnes qui refuseraient de prendre part aux dispositifs de retour à l’emploi – option que le cabinet du Premier ministre soutient le plus résolument  [36] –, la rhétorique des droits et des devoirs fait l’objet d’un consensus. Quant à l’affaiblissement de la majorité travailliste consécutif aux élections de mai 2005, il ne semble guère en mesure de bouleverser la donne du débat social britannique. C’est du moins ce qu’indique la nomination par Tony Blair de David Blunkett, ancien ministre de l’Intérieur connu pour sa réputation d’intransigeance, au poste de ministre des Affaires sociales, avec notamment pour mandat de mener à bien la réforme des pensions d’invalidité lors de la session parlementaire de l’automne 2005. À la suite d’une affaire de conflits d’intérêts, Tony Blair a dû se séparer d’un allié de plus en plus contesté. En novembre 2004, il l’a remplacé par un autre lieutenant du New Labour, John Hutton. Le Premier ministre a cherché à renforcer son emprise sur le ministère des Affaires sociales en nommant aux côtés de John Hutton son conseiller aux Affaires sociales, Gareth Davies, connu pour ses ambitions réformatrices radicales et surnommé « le faucon ». Cette nomination a provoqué l’ire des fonctionnaires du ministère, et Gareth Davies est retourné à son poste auprès de Tony Blair. La réforme a été annoncée en janvier 2006  [37] par un document de consultation, dont le contenu est beaucoup moins punitif que ne l’aurait souhaité le Premier ministre. Les possibilités de sanctions financières sont néanmoins renforcées puisque la pension est désormais réduite au niveau de l’allocation chômage dans le cas où les candidats à la pension d'invalidité jugés aptes au travail refuseraient de participer aux activités d'insertion prévues dans le contrat d'aide au retour à l’emploi. En revanche, s’ils participent pleinement aux activités d’insertion, ils reçoivent un crédit de retour à l’emploi qui s’ajoute à la pension pour une durée de 52 semaines. Le document n’est donc guère différent en pratique du plan de cinq ans (Five Year Strategy) élaboré par le personnel du ministère des Affaires sociales en janvier 2005.

30Du point de vue du processus décisionnel, la seule différence notable entre l’épisode de 1997 et celui de 2004-2005 tient au rôle beaucoup plus actif du DWP, qui était auparavant confiné dans une fonction d’exécution des réformes décidées par les conseillers de Gordon Brown, Ed Miliband et Spencer Livermore. Les documents Five Year Strategy et le Green Paper « A New Deal for Welfare : Empowering People to Work » ont été élaborés par une équipe restreinte du DWP, qui comprend des fonctionnaires de carrière tels Kay Stratton et Michael Richardson ou encore des économistes comme Jonathan Portes. Néanmoins, ces documents ont reçu l’approbation à la fois du Cabinet du Premier ministre et du Trésor. Il s’agit donc de textes de compromis dont l’initiative peut être largement attribuée au DWP. L’équipe en charge de la réforme au sein du DWP entretient des contacts étroits avec le Trésor, notamment Nick Macpherson, mais a des relations plus difficiles avec les conseillers de Tony Blair, comme l’indique l’échec de la nomination de Gareth Davies au DWP en novembre 2005. Tous les membres de ce groupe politico-administratif entretiennent des liens informels et partagent certaines convictions – parfois proches de celles de leurs collègues américains : exercer un emploi est la meilleure garantie contre la pauvreté ; le grand succès du gouvernement est son bilan en matière de politiques actives de l’emploi : le chômage ayant disparu, l’objectif est à présent de diminuer le nombre de bénéficiaires des pensions d’invalidité ; l’inactivité est nocive, tandis que le travail a des vertus thérapeutiques ; si les individus ont droit à une assistance de l’État en termes financiers comme d’accès au marché du travail, ils ont également le devoir de s’aider eux-mêmes ; enfin, chaque bénéficiaire d’une pension d’invalidité doit faire l’objet d’un suivi contraignant, à l’instar de n’importe quel chômeur. De même que l’encadrement personnalisé caractéristique des politiques de la Nouvelle Donne a permis de réduire le chômage, ce suivi devrait conduire à une réduction spectaculaire du taux d’inactivité dans la société britannique, grâce à un savant dosage entre incitations et coercition.

En France

31Depuis la fin des années 1990, le débat porte essentiellement sur l’écart entre le salaire minimum (le SMIC  [38] ) et le RMI, écart que certains jugent trop minime pour inciter les RMIstes à retrouver un emploi. Dans cette perspective, la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions adoptée en 1998 a d’abord étendu la possibilité de cumuler un salaire et un revenu de subsistance déjà introduite par la loi de 1986 sur l’assurance chômage. Depuis le 1er décembre 2001, les bénéficiaires du RMI peuvent aussi cumuler intégralement leur allocation et leur revenu d’activité jusqu’à la deuxième déclaration trimestrielle de ressources qui suit leur reprise d’activité.

32Toutefois, la principale innovation intervient en 2003, avec la loi relative à la décentralisation du RMI, qui instaure un revenu minimum d’activité (RMA) pour les personnes bénéficiant du RMI depuis au moins un an  [39]. Le RMA est un contrat à durée déterminée de dix-huit mois maximum ayant pour objet un travail à temps partiel dont la durée hebdomadaire ne doit pas être inférieure à 20 heures. La loi autorise le versement direct à l’employeur d’une somme équivalente à l’allocation du RMI, en contrepartie de l’embauche de l’un des bénéficiaires du dispositif et d’actions d’insertion individualisées définies conjointement par le salarié, le département et l’employeur. C’est désormais au Conseil général qu’est confiée la responsabilité de mettre en œuvre les politiques d’insertion, au sein desquelles le nouveau type de contrat aidé qu’est le RMA est appelé à jouer un rôle privilégié. L’objectif est de promouvoir une politique d’insertion plus incitative grâce à l’activation des dépenses passives, en l’occurrence l’allocation de RMI. Le RMA est conçu de telle sorte que, contrairement aux contrats emploi solidarité, il ne représente pas une charge supplémentaire pour la collectivité puisqu’il consiste à reconvertir en rémunération des sommes affectées à l’allocation  [40].

33Concrétisation d’une promesse de campagne du candidat Jacques Chirac formulée à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2002, le RMA vise plus précisément à pallier les faiblesses du dispositif d’insertion des RMIstes. En effet, alors que la loi de 1988 créant le RMI avait mis en place un contrat destiné à assurer le lien entre l’allocation et l’engagement de l’allocataire à entreprendre une démarche d’insertion, le rapport du Sénat sur le projet de loi relatif au RMA note que « le taux de contractualisation oscille, depuis dix ans, autour de 50 %, avec des disparités départementales importantes »  [41]. Aux yeux du gouvernement, le RMI a ainsi eu pour effet d’enfermer un grand nombre de bénéficiaires dans une logique d’assistance, notamment de par l’existence de trappes à inactivité  [42]. La notion de trappes à chômage fait référence à l’idée selon laquelle les sans-emploi préféreraient le confort supposé du chômage, avec le RMI et les prestations connexes auxquelles il donne droit, à la reprise d’activité.

34Plus généralement, la réhabilitation de la valeur travail, objectif directeur du projet de loi portant création du RMA, fait fond sur une représentation de l’allocataire de minima sociaux comme acteur économique rationnel. Dans cette perspective, le RMIste se livrerait à un calcul coût/avantage au moment d’arbitrer entre le maintien dans le dispositif d’assistance (qui ouvre l’accès à une série de droits connexes comme l’aide médicale gratuite et l’aide au logement) et un emploi peu rémunérateur qui risque de lui faire perdre les avantages sociaux liés à son statut. L’échec des dispositifs d’insertion serait ainsi lié avant tout aux incertitudes financières induites par un éventuel retour à l’emploi. Le RMA résulte donc pour partie d’un effort d’empathie de la part des membres du Cabinet Fillon : « On part du principe que les RMIstes ont très peu d’incitation à travailler. Il faut donc essayer de leur faire goûter aux avantages du travail sans perdre les avantages du RMI… Si j’ai l’assurance de pouvoir conserver mes droits à la couverture maladie universelle et mes bons de transport, plutôt que de vivre passif, je me lance dans une activité qui me permet de gravir les échelons et de devenir indépendant »  [43].

35Cette vision paraît toutefois bien optimiste, puisque, selon le rapport du Sénat, « parmi les RMIstes qui retrouvent un emploi, 15 % perçoivent un revenu d’activité trop faible pour sortir du RMI et plus de 30 % n’y gagnent pas, voire y perdent financièrement »  [44]. Le rapport souligne en outre que les difficultés d’accès à l’emploi des RMIstes « tiennent plus aux carences de l’offre – celle des employeurs – qu’à la faiblesse de la demande – celle des allocataires »  [45]...

36Quoi qu’il en soit, lorsque s’engagent les discussions interministérielles sur le RMA en octobre 2002, l’objectif du ministre des Affaires sociales et de son Cabinet n’est pas de mettre à plat l’ensemble des dispositifs d’insertion, mais de compenser la réduction programmée des contrats emploi solidarité dans un contexte de crise économique et d’accroissement du nombre de RMIstes (de 10 % entre 2002 et 2003). Si le discours dominant est celui de la responsabilisation des allocataires, François Fillon tient aussi à éviter toute assimilation au workfare anglo-saxon. Par conséquent, son cabinet adopte à cet égard une position plus nuancée que les propositions du ministère des Finances visant à subordonner l’octroi de la prestation à la recherche active d’un emploi : « Bercy voulait obliger les bénéficiaires du RMI à s’inscrire à l’ANPE. Quand ils sont vu que cela risquait de faire augmenter le nombre de demandeurs d’emplois, cette suggestion a été mise de côté »  [46]. En définitive, la logique qui préside à l’élaboration du RMA est donc à la fois budgétaire, politique et idéologique. Budgétaire, parce qu’il s’agit pour l’État de remplacer les contrats aidés, notamment les contrats emploi solidarité, qui coûtent cher, par le RMA, qui, en principe, est « indolore » pour les finances publiques  [47]. Politique, dans la mesure où tout est fait pour accélérer le mouvement et faire passer la réforme de décentralisation du RMI et de création du RMA avant l’adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités locales. François Fillon voulait en effet que « sa » loi soit examinée par le Parlement avant la loi de décentralisation proposée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Idéologique enfin, de par l’accent mis par François Fillon sur la réhabilitation de la valeur travail et la responsabilisation des RMIstes. En témoigne notamment l’introduction dans la loi de 2003 de l’article L.262-37 précisant que l’intéressé « reçoit une information complète sur les droits et obligations de l’allocataire de revenu minimum d’insertion »  [48]. Certes, l’obligation de prendre part aux activités d’insertion figurait déjà dans la loi de 1988, ce qui permet aux promoteurs de la réforme de nier avoir introduit un principe de conditionnalité plus contraignant que dans le régime juridique précédent : « On n’a pas changé la règle, le refus du travail a toujours été un motif de suspension »  [49]. Mais la dimension coercitive du dispositif est désormais plus explicite.

37Quant au processus décisionnel conduisant à l’adoption de la loi de décentralisation du RMI et de création du RMA, il semble bien que l’impulsion décisive soit venue du cabinet de François Fillon. Dès l’été 2002, celui-ci s’efforce ainsi de presser le mouvement, faisant valoir auprès du Premier ministre l’urgence de la situation compte tenu de l’augmentation continue du nombre d’allocataires du RMI. Une fois obtenu le feu vert de Jean-Pierre Raffarin en février 2003, ce sont les services du ministre des Affaires sociales qui se mobilisent pour rédiger le projet de loi. La DGAS assure alors un rôle de coordination de l’ensemble des directions concernées, notamment la Direction de la Sécurité sociale et la Délégation à l’emploi et à la formation professionnelle, les consultations inter-administratives sous la forme de groupes de travail permettant de garantir l’adhésion de l’administration centrale. En revanche, la volonté politique d’aller vite a pour effet d’escamoter complètement les consultations avec le secteur associatif et les partenaires sociaux, ces derniers se montrant par ailleurs très peu intéressés par le RMA. La discussion parlementaire elle-même est réduite à la portion congrue, le rapporteur du projet de loi au Sénat, Bernard Seillier, se voyant chargé de faire adopter en seconde lecture par le Sénat le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale « sans y toucher une virgule », selon les termes mêmes de l’un des principaux acteurs de la réforme. C’est donc dans une relative précipitation que la loi est adoptée en décembre 2003, à peine un mois avant l’échéance du 1er janvier 2004, date prévue pour l’adoption de la loi sur les responsabilités locales (adoptée le 13 août 2004 seulement).

La convergence des réformes d’activation

38Les trois réformes ici décrites présentent des caractéristiques similaires sur au moins deux plans : elles se fondent sur une représentation commune de l’allocataire des minima sociaux, qu’il convient de responsabiliser, d’encourager mais aussi de contrôler afin de promouvoir son retour à l’emploi et à l’indépendance financière ; elles sont élaborées par des communautés de politique publique restreintes dominées par une logique idéologique et partisane plutôt que par une logique d’expertise technocratique.

Une prise en charge paternaliste des bénéficiaires

39L’analyse des politiques d’activation passe nécessairement par l’identification des représentations dominantes du public visé, qu’il s’agisse des mères célibataires aux États-Unis, des bénéficiaires des pensions d’invalidité en Grande-Bretagne ou des RMIstes en France. À cet égard, en dépit de l’hétérogénéité de l’ensemble constitué par ces populations, il n’est pas impossible de dégager des tendances observables à l’échelle transnationale. Plus précisément, les élites politiques américaines, britanniques et françaises semblent bien mettre en avant deux images du bénéficiaire a priori opposées.

40La première est celle de la victime : victime de l’enfermement dans une prestation d’assistance et de processus de marginalisation psychologique et économique concourant à la formation de « barrières à l’emploi » en Grande-Bretagne et aux États-Unis ; de l’« exclusion » en France. Cette victime, les pouvoirs publics se proposent de la réhabiliter par le travail, érigé en pierre angulaire de la dignité humaine. L’ensemble des travaux préparatoires aux propositions de réforme dans les trois pays insiste ainsi sur la volonté de travailler de la grande majorité des allocataires. La Department for Work and Pensions Five Year Strategy britannique souligne qu’« environ un million des bénéficiaires des pensions d’invalidité affirment qu’ils voudraient travailler s’ils recevaient une aide suffisante (...) dans leur démarche de retour à l’emploi »  [50]. De même, le rapport du Sénat français soutient que les « trois quarts des allocataires au chômage recherchent activement un emploi, mais [que] leurs demandes échouent faute de demande de la part des employeurs »  [51]. Aux États-Unis, selon le témoignage d’un membre de l’administration Bush, l’une des grandes réussites du TANF serait d’avoir modifié la perception des bénéficiaires de l’aide sociale dans l’opinion publique : « Les stéréotypes négatifs à l’endroit des bénéficiaires du TANF [que l’on constatait] il y a dix ans ont disparu. Le discours est beaucoup plus positif et les gens qui essaient de s’en sortir par eux-mêmes sont acceptés »  [52]. C’est cette représentation du pauvre méritant, désireux de rompre avec la logique d’assistance, qui justifie la mise en œuvre de programmes fondés sur l’adhésion attendue du bénéficiaire à un contrat de retour à l’emploi adapté à ses besoins et à ses aptitudes. Elle occulte cependant le caractère intrinsèquement inégalitaire de la relation entre le bénéficiaire et son « référent » (en anglais, personal adviser) et recouvre une logique paternaliste, les services de l’emploi se réservant constamment la possibilité de contrôler le comportement du bénéficiaire du contrat d’insertion par le biais de ce qu’il est convenu d’appeler « le contact régulier avec le référent ». Dans le cadre des politiques d’activation de la seconde vague plus spécifiquement, l’accent est mis sur la nécessité d’un tel suivi afin d’empêcher le décrochage du bénéficiaire par rapport au marché du travail. Le référent assume alors un rôle de mentor censé promouvoir le retour de la personne en question à l’emploi salarié et son maintien dans l’activité, de préférence dans le secteur marchand. Il a notamment pour fonction de suppléer à une éventuelle défaillance de la volonté du bénéficiaire au regard des exigences d’intégration sociale.

41À l’opposé du bénéficiaire de bonne volonté se situe l’assisté récalcitrant, celui qui refuse de s’engager dans une dynamique de retour à l’emploi. Cette image est nettement moins présente dans l’argumentaire des pouvoirs publics, généralement soucieux d’éviter de stigmatiser les allocataires des minima sociaux, d’autant qu’il n’existe pas de données statistiques véritablement fiables qui permettraient d’évaluer la part respective que représenteraient parmi ces derniers les personnes correspondant à chacun des deux profils. Elle peut néanmoins être convoquée lorsqu’il s’agit de justifier la mise en œuvre de mesures punitives : « Si l’on est confronté à la situation d’une personne qui refuse les propositions d’emploi et/ou de réinsertion alors que des professionnels se sont mobilisés et qu’il n’y a pas de carence du service public, alors il n’y pas d’états d’âme [à avoir]. Il n’existe pas de droits de tirage sociaux inconditionnels »  [53]. En Grande-Bretagne, le gouvernement s’efforce également de séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire de distinguer les bons (deserving) des mauvais (undeserving) pauvres. Selon un fonctionnaire du Jobcentre Plus, « le sentiment général est qu’il y a un grand nombre de personnes pour qui le travail est une réelle option mais qui choisissent de ne pas exercer cette option »  [54]. Par conséquent, dans la stratégie publiée par le ministère des Affaires sociales en 2005, il est prévu que les allocataires qui suivent le programme de retour à l’emploi recevront une prestation légèrement supérieure à l’allocation chômage. En revanche, les récalcitrants se verront supprimer la prime de retour à l’emploi et toucheront seulement l’allocation de base  [55]. Aux États-Unis, enfin, on retrouve évidemment cette même distinction, à ceci près que l’administration Bush a entrepris de rendre plus restrictifs les critères d’identification des bons allocataires – puisque la volonté de former un couple hétérosexuel stable, de préférence marié, devient l’une des conditions d’attribution des prestations. On a donc bel et bien affaire à une régulation autoritaire et moralisatrice du comportement des allocataires qui s’apparente à une intrusion de l’État dans la vie privée des individus. En cela, cependant, le cas américain demeure singulier.

Des communautés de politique publique restreintes

42Dans chacun des trois pays, le processus de décision est dominé par des communautés ou des réseaux de politique publique unis par des liens idéologiques et intellectuels consistants. En tant que tels, ces groupes se caractérisent notamment par leur taille restreinte, leur caractère sélectif, la relative stabilité de leur composition, l’existence d’une vision du monde et d’une éthique professionnelle fédératrices, et, enfin, par des liens interpersonnels étroits  [56]. Dans les trois cas en question, on observe également un renforcement du processus de politisation des décisions selon une logique partisane – sinon purement idéologique –, qui confine les fonctionnaires de carrière dans un rôle d’exécution. C’est particulièrement manifeste aux États-Unis, où l’administration Bush a joué un rôle décisif dans l’élaboration des réformes. C’est également le cas, dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne, où un réseau de conseillers politiques et de hauts fonctionnaires du Trésor et du ministère des Affaires sociales, impliqués depuis 1997 dans la mise en place des mesures d’activation, a conservé la haute main sur le processus de décision.

43En France, la réforme du RMA est également l’œuvre d’un cercle politicoadministratif restreint composé de conseillers et de chargés de mission du Cabinet Fillon, parmi lesquels figurent notamment Pierre Soutou, chargé de mission auprès du ministre, et Patricia Sitruk, conseillère technique. Pour des raisons de calendrier mais aussi, sans doute, en vertu d’un choix politique sinon partisan, le monde associatif (Emmaüs, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) et les associations de défense des chômeurs ont été écartés de la négociation, ou plutôt n’ont été consultés qu’après coup, à charge pour le rapporteur du projet de loi au Sénat, Bernard Seillier, de procéder au travail d’explication et de persuasion auquel le Cabinet n’a pas eu le temps ou le désir de se livrer. L’initiative de la réforme revenant aux responsables politiques, les services de l’administration centrale demeurent cantonnés à un rôle d’exécution, ce qu’ils n’apprécient pas toujours, comme le reconnaît l’un des acteurs concernés : « Les services n’aiment pas que les consignes viennent du Cabinet, ce qui peut créer non pas des résistances en tant que telles mais une certaine distance »  [57]. Or, dans le cas présent, si les experts de l’insertion, par exemple, Bertrand Fragonard, conseiller à la Cour des comptes, ont été consultés par le Cabinet, ce sont bien les membres de ce dernier, secondés par de jeunes énarques de la DGAS (Antoine Saint-Denis) et de la Direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle (DGFP) (Eloy Dorado), qui ont conservé le contrôle du processus de décision.

44L ’un des paradoxes de l’intensification des politiques d’activation tient à ce que, tout en se fondant sur des études d’évaluation de plus en plus précises des parcours individuels comme des attentes des publics cibles, elle repose sur une logique de contractualisation enjoignant aux individus de se conformer à des normes à géométrie variable mais de plus en plus exigeantes, théoriquement référées à un principe d’autonomie mais essentiellement moralisatrices. L’administration se trouvant confinée dans un rôle d’exécution, le travail de concertation avec les partenaires sociaux ou associatifs sert surtout à légitimer des décisions prises en amont. Plus généralement, la délibération et le débat contradictoire censément constitutifs de la décision publique dans une démocratie libérale ne jouent ici qu’un rôle mineur. Et si les acteurs politiques font constamment référence aux études existantes pour justifier leurs décisions  [58], ils le font de manière éminemment sélective. Par exemple, malgré les travaux qui mettent en évidence l’impact limité des mécanismes d’intéressement financier dans le processus de retour sur le marché du travail  [59], la plupart des acteurs politiques français ne s’attachent qu’à ceux des économistes qui justifient la mise en place d’un revenu d’activité financièrement plus attractif que le RMI. Autrement dit, le choix de la solution précède l’évaluation des coûts et des avantages des différentes options potentiellement envisageables ; les idéologies et les représentations partisanes jouent un rôle beaucoup plus déterminant que les débats d’experts.

45Un autre constat qui vaut pour les trois pays est celui de la faiblesse des mobilisations politiques des bénéficiaires des minima sociaux. On a bien affaire, pour reprendre la formule de Paul Pierson, à des weak welfare constituencies. Si Margaret Thatcher a largement échoué dans ses projets de restriction des programmes sociaux universels en vigueur en Grande-Bretagne dans les domaines de la santé et de l’éducation et Ronald Reagan dans son offensive contre les programmes Medicaid ou SSI – âprement défendus par des groupes de pressions bien organisés  [60] –, les programmes de logements sociaux ainsi que les minima sociaux ont pu faire l’objet de coupes sombres du fait de la très faible représentation politique des jeunes chômeurs en Grande-Bretagne et des mères célibataires aux États-Unis. Quant à la France, ce n’est pas la mobilisation des chômeurs qui permet d’expliquer la relative modération de la réforme du RMI-RMA, mais la prégnance d’une idéologie solidariste caractéristique des élites politiques dans leur ensemble.

Notes

  • [1]
    Cet article porte uniquement sur l’Angleterre et le pays de Galles. Les cas de l’Écosse et de l’Irlande du Nord ne sont pas abordés.
  • [2]
    Pour une analyse approfondie, voir Jean-Claude Barbier, « Peut-on parler d’“activation” de la protection sociale en Europe ? », Revue française de sociologie, 43 (2), avril-juin 2002, p. 307-332.
  • [3]
    Ce terme générique est utilisé outre-Atlantique pour désigner l’ensemble des programmes d’aide aux catégories défavorisées. Ces derniers incluent notamment les tickets d’alimentation (Food Stamps) ; le revenu de sécurité supplémentaire (Supplemental Security Income, SSI), destiné aux personnes âgées exclues des droits à la retraite et aux personnes handicapées ; l’aide médicale gratuite (Medicaid) ; enfin – et surtout –, le programme d’aide aux familles nécessiteuses (Temporary Assistance for Needy Families, TANF).
  • [4]
    Theda Skocpol, « An Unusual Victory for Public Benefits : The Wildfire Spread of Mother’s Pensions », dans Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of Social Policy in the United States, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992, p. 424-479.
  • [5]
    Mary Jo Bane, « The Feminization of Poverty », dans Margaret Weir, Ann Shorla Orloff, Theda Skocpol (dir.), The Politics of Social Policy in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 387-389.
  • [6]
    Anne Daguerre, « La réforme de l’aide sociale aux États-Unis : modèle ou repoussoir ? », La revue française de droit sanitaire et social, 3,2001, p. 433-451.
  • [7]
    Pour une analyse très complète des propositions de réforme décrivant également le climat politique dans lequel elles sont apparues, voir R. Kent Weaver, « Welfare Reform Agenda in the 1990s », dans Ending Welfare as We Know It, Washington DC, Brookings Institutions Press, 2000, p. 102-135.
  • [8]
    Cf. Daniel Béland, François Vergniolle de Chantal, Alex Waddan, « Third Way Social Policy : Clinton’s Legacy ? », Policy and Politics, 30 (1), 2002, p. 19-30.
  • [9]
    Head Start est un programme fédéral destiné à fournir un ensemble de services aux enfants susceptibles de subir un handicap du fait de leur environnement familial.
  • [10]
    Voir John Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, New York, Longman, 1993, p. 30.
  • [11]
    Jochen Clasen, Daniel Clegg, « Unemployment Protection and Labour Market Reform in France and Great Britain : Solidarity versus Activation », Journal of Social Policy, 32 (3), 2003, p. 361-381.
  • [12]
    Heather Trickey, « Steps to Compulsion within British Labour Market Policies », dans Ivar Lodemel, Heather Trickey (eds), An Offer You Can’t Refuse : Workfare in International Perspective, Bristol, Policy Press, 2000, p. 189-210.
  • [13]
    A. Daguerre, « Neglecting Europe : Explaining the Predominance of American Ideas in New Labour’s Employment Policies since 1997 », Journal of European Social Policy, 14 (1), 2004, p. 25-39.
  • [14]
    Voir Bruno Jobert, Bruno Théret, « France : la consécration républicaine du néolibéralisme », dans B. Jobert (dir.), Le tournant néolibéral en Europe : idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • [15]
    Christine Daniel, « Les politiques sociales françaises face au chômage », dans Christine Daniel, Bruno Palier (dir.), La protection sociale en Europe, Paris, La Documentation française, 2001, p. 141-149.
  • [16]
    Gosta Esping Andersen, Welfare States in Transition : National Adaptations in Global Economies, Londres, Sage, 1996.
  • [17]
    Voir B. Palier, « Du traitement social des chômeurs à l’activation des chômeurs français », dans B. Palier, Gouverner la Sécurité sociale, Paris, PUF, 2002, p. 216-225.
  • [18]
    Voir J. Clasen, D. Clegg, « Unemployment Protection and Labour Market Reform in France and Great Britain : Solidarity Versus Activation », art. cité.
  • [19]
    Voir B. Palier, « Expliquer la diversité : l’empreinte des origines politiques », dans B. Palier, Gouverner la Sécurité sociale, op. cit..
  • [20]
    On désigne par ce terme la période 1865-1877 qui, à l’issue de la guerre de Sécession, avait vu l’occupation des États du Sud par les troupes nordistes [ndr].
  • [21]
    Cité dans Arianna Huffington, « Where Liberals Fear to Tread », août 1996 (http ://ariannaonline.huffingtonpost.com/columns/column.php ?id=659).
  • [22]
    Voir le rapport annuel du Congrès, « Temporary Assistance for Needy Families », Office of Research, Planning and Evaluation, Administration for Children and Families, US Department of Health and Human Services, février 2003.
  • [23]
    Congressional Research Service, TANF Reauthorization : Side by Side Comparison of Current Law and Two Versions of H.R. 4, Washington, Bibliothèque du Congrès, février 2004.
  • [24]
    Le Wisconsin est l’un des États pionniers du workfare. Avant même la loi de 1996, l’administration Thomson y avait mis en place un programme, « W2 », régulièrement cité en exemple comme l’un des dispositifs étatiques les plus efficaces en matière de retour à l’emploi des mères célibataires.
  • [25]
    Lui aussi fréquemment cité en exemple, ce programme reposait sur le principe d’une coopération totale de la part des bénéficiaires du TANF, fortement incités sinon contraints à accepter des travaux d’utilité publique sous peine de se voir refuser l’accès aux prestations.
  • [26]
    Entretien avec Don Winstead, Deputy Assistant Secretary for Human Services, Policy, Planning and Evaluation, DHHS, Washington DC, juillet 2004.
  • [27]
    « L’assistance est un don temporaire du peuple américain, c’est un système d’aide de retour à l’emploi. Ce n’est pas un droit, ce serait en contradiction avec les valeurs américaines d’indépendance et d’individualisme. » (Entretien avec Ron Haskins, ancien conseiller de George Bush, Washington DC, Brookings Institution, juillet 2004).
  • [28]
    Ibid..
  • [29]
    Personal Responsibility and Individual Development for Everyone Act, 108th Congress report, 108e Congres Session 162, Committee on Finance, p. 86.
  • [30]
    Entretien avec D. Winstead, cité.
  • [31]
    C’est ce que résume la devise « work for those who can, security for those who can’t », principal message véhiculé par le document du ministère des Affaires sociales A New Contract for Welfare, cm3805, Londres, HMSO, 1998.
  • [32]
    Office du Trésor, Pre-Budget Report, Opportunity for All, Londres, HMSO, 2004.
  • [33]
    Department for Work and Pensions, Pathways to Work, Helping People into Employment, Londres, HMSO, 2002. Les autorités n’ont pas pris tant de précautions quant il s’est agi de remettre au travail les jeunes chômeurs. Comme l’explique un fonctionnaire de Jobcentre Plus, la différence réside ici dans l’image que l’opinion publique se ferait des différentes catégories de prestataires : « Le document Pathways to Work propose une approche expérimentale mise en œuvre à une échelle très modeste parce que c’est politiquement très difficile. Tout le monde a de la sympathie pour les personnes en chaise roulante ou partiellement aveugles et le lobby des handicapés joue là-dessus » (entretien avec Stephen Holt, Director of Modernisation Strategy, Jobcentre Plus, DWP, Londres, avril 2003).
  • [34]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, Cm 6447, Londres, HMSO, 2005 (http :// www. dwp. gov. uk/ publications/ dwp/ 2005/ 5_yr_strat/ pdf/ report. pdf).
  • [35]
    Ibid., p. 9.
  • [36]
    « Le Cabinet du Premier ministre fait pression en faveur d’un agenda beaucoup plus radical afin de gagner l’appui de la presse de caniveau. Ils ont commencé à lancer des communiqués de presse sur la nécessité d’être ferme avec les bénéficiaires de pensions d’invalidité. » (Entretien avec un fonctionnaire du Trésor, Londres, avril 2005).
  • [37]
    DWP, A New Deal for Welfare : Empowering People to Work, Cm 6730, Londres, HMSO, 2006.
  • [38]
    Salaire minimum interprofessionnel de croissance.
  • [39]
    Cette loi s’inscrit dans le prolongement de plusieurs initiatives parlementaires des élus de droite que le gouvernement Jospin, privilégiant le renforcement des mécanismes d’intéressement à travers notamment la création de la Prime pour l’emploi, n’avait pas reprises à son compte. Parmi elles figurent la proposition formulée en 1998 par la Commission des affaires sociales du Sénat d’instituer une « Convention de revenu minimum d’activité » (Rapport Sénat, n? 450,1997-1998, tome I, p. 119) et une proposition de loi portant création d’un revenu minimum d’activité émanant des sénateurs UMP Lambert et Marini et adoptée par le Sénat en 2001 (Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304,2002-2003, tome I, p. 40).
  • [40]
    Notons toutefois que l’État prend en charge les cotisations sociales. L’opération n’est donc pas neutre financièrement, mais elle est sensiblement moins coûteuse que les formes traditionnelles d’emploi aidé.
  • [41]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 20.
  • [42]
    Voir Guy Laroque, Bernard Salanié, « Une décomposition du non-emploi en France », Économie et Statistique, 331,2000, p. 47-66.
  • [43]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, ministère des Affaires sociales, Paris, juin 2004.
  • [44]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 24.
  • [45]
    Ibid., p. 25.
  • [46]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [47]
    « Il fallait que le dispositif ait un coût nul ou presque. » Entretien avec un membre de la DGAS, Paris, juin 2004.
  • [48]
    Souligné par nous.
  • [49]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [50]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, cité, p. 26.
  • [51]
    Sénat, Commission des Affaires sociales, n? 304, cité, p. 24.
  • [52]
    Interview de D. Winstead, cité.
  • [53]
    Entretien avec un membre de la DGAS, cité.
  • [54]
    Entretien avec S. Holt, cité.
  • [55]
    DWP, Department for Work and Pensions Five Year Strategy, cité, p. 9.
  • [56]
    Voir David Marsh, R. A W. Rhodes, « Policy Communities and Issue Networks : Beyond Typology », dans D. Marsh, R. A. W. Rhodes (eds.), Policy Networks in British Government, Oxford, Clarendon Press, 1992. Voir aussi D. Marsh, « Théorie de l’État et modèle de réseaux d’action publique », dans Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.) Les réseaux de politique publique : débat autour des Policy Networks, Paris, L’Harmattan, 1995.
  • [57]
    Entretien avec un membre du Cabinet Fillon, cité.
  • [58]
    Voir plus généralement Giandomenico Majone, Evidence, Argument and Persuasion in the Policy Process, New Haven, Yale University Press, 1989.
  • [59]
    Sur cette question, voir par exemple Yannick L'Horty, « Que nous apprennent les bénéficiaires du RMI sur les gains du retour à l'emploi ? », Centre d’études de l'emploi, Rapport de recherche n? 24, juillet 2005.
  • [60]
    Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
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