Couverture de CRII_029

Article de revue

Concurrence réglementaire contre santé publique ?

Le contrôle des médicaments dans l'Union européenne

Pages 87 à 106

Notes

  • [1]
    Voir, par exemple, Dani Rodrick, Has Globalization Gone too Far ?, Washington (DC), Institute for International Economics, 1997 ; David Vogel, Robert A. Kagan (eds), Dynamics of Regulatory Change : How Globalization Affects National Regulatory Policies, Berkeley, University of California Press, 2002.
  • [2]
    Les effets négatifs de la concurrence réglementaire ont été mis en évidence avec le cas de l’État du Delaware qui est parvenu à attirer près de 40 % des entreprises cotées au New York Stock Exchange en proposant des statuts d’entreprises favorables aux directions.
  • [3]
    Fritz W. Scharpf, « Introduction : The Problem-solving Capacity of Multi-level Governance », Journal of European Public Policy, 4 ( 4), 1997, p. 520-538.
  • [4]
    John Abraham, Michael Charlton, « Controlling Medicines in Europe : The Harmonisation of Regulatory Toxicology Assessed », Science and Public Policy, 22 ( 6), 1995, p. 354-362 ; John Abraham, Graham Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, Londres, Routledge, 2001.
  • [5]
    Cf. James Q. Wilson, « The Politics of Regulation », dans J. Q. Wilson (ed.), The Politics of Regulation, New York, Basic Books, 1980.
  • [6]
    Voir l’ensemble du dossier intitulé « Redresser le cap de la politique du médicament », La revue Prescrire, 229, juin 2002, et en particulier « La politique du médicament au service de l’industrie », p. 460-466.
  • [7]
    Franck Seuret, « Santé : l’Europe du médicament est malade », Alternatives économiques, 214, mai 2003, p. 36-39.
  • [8]
    Les développements qui suivent se fondent sur 70 entretiens effectués auprès des acteurs du secteur (industriels, membres des autorités nationales et des institutions européennes, représentants d’associations de consommateurs), sur un travail d’observation réalisé en 2000 au sein de l’Agence européenne des médicaments et sur le dépouillement d’archives (principalement françaises et communautaires). Trois pays ont été plus particulièrement étudiés : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
  • [9]
    Soit une molécule dont le chiffre d’affaires annuel dépasse un milliard de dollars.
  • [10]
    Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapport sur l’application de la loi n°98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme, février 2005 ; Organisation mondiale de la santé (hhttp :// www. who. int/ mediacentre/ releases/ pr81/fr/).
  • [11]
    Au début des années 1960, la consommation de thalidomide par des femmes enceintes a provoqué des milliers d’avortements et de naissances d’enfants mal formés en Europe et aux États-Unis.
  • [12]
    L’imposition de la reconnaissance mutuelle comme modalité d’unification de l’espace européen à partir de l’arrêt Cassis de Dijon (CJCE, affaire 120/78,20 février 1979) n’a pas modifié la situation, la protection de la santé et de la vie des personnes apparaissant comme un domaine d’exception à l’application du libre-échange.
  • [13]
    À raison d’un représentant par État.
  • [14]
    Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002 ; Nicolas Dodier, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003 ; Sébastien Dalgalarrondo, La course aux molécules, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
  • [15]
    Depuis le 30 avril 2004, le CSP est devenu le Comité des médicaments à usage humain (CMUH). Nous utilisons ici l’ancienne dénomination par souci de cohérence.
  • [16]
    À partir de la fin de l’année 2005, deux cas de figure peuvent se présenter : si le produit a déjà une AMM dans un pays, alors la procédure s’applique normalement ; en revanche, si aucun pays n’a encore donné d’AMM, alors tous les États reçoivent le dossier. Le RMS réalise en 120 jours un simple projet de décision qui doit être reconnu par les autres États. Si ce projet n’est pas reconnu, un groupe de coordination essaie de construire un accord. En cas d’échec, l’arbitrage du CSP est déclenché.
  • [17]
    Les produits biotechnologiques relèvent obligatoirement de la procédure centralisée et les produits non innovants de la procédure décentralisée.
  • [18]
    Voir notamment, pour l’analyse de ce type de concurrence réglementaire en Europe : Fritz Scharpf, Gouverner l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 91-126.
  • [19]
    Par exemple, l’une des solutions envisagées à terme pour améliorer l’efficience du système européen est la spécialisation des agences par domaine thérapeutique, ce qui pourrait entraîner la disparition de certaines autorités nationales.
  • [20]
    Voir plus généralement Norbert Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1990.
  • [21]
    En effet, cette liste, qui a été élargie en novembre 2005 aux médicaments destinés au traitement du sida, du cancer, du diabète, des désordres neurodégénératifs et des maladies rares, n’est pas définitivement arrêtée.
  • [22]
    Voir, par exemple, les débats au Parlement britannique : Select Committee on the European Communities, European Medicines Agency and Future Marketing Authorisation Procedures, with Evidence, Londres, Parlement, Chambre des Lords, 1991.
  • [23]
    J Abraham, G. Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, op. cit.
  • [24]
    Jürgen Feick, « Regulatory Europeanization, National Autonomy and Regulatory Effectiveness : Marketing Authorisation for Pharmaceuticals », MPIfG Discussion Paper, n°02/6,2002.
  • [25]
    Dans le cadre de la procédure centralisée, le mode de désignation adopté par le CSP a pour effet d’équilibrer davantage la répartition des fonctions de rapporteur. Les grandes agences (allemande, britannique, française, néerlandaise et suédoise) prennent en charge chacune environ 10 % des procédures.
  • [26]
    Par exemple, les autorités nationales qui, pour construire leur jugement, font appel à des experts externes (notamment l’agence française) ont parfois des difficultés à obtenir de ceux-ci les avis demandés dans les délais requis.
  • [27]
    Ces accusations portent sur la période où l’incertitude à laquelle sont confrontées les autorités nationales est la plus grande, soit celle qui voit les opérateurs tenter de s’acclimater au dispositif récemment mis en place.
  • [28]
    Voir, par exemple, les propos du directeur de l’autorité néerlandaise au début des années 1990, rapportés dans André Broekmans, Robin J. Harman, « The EC Regulatory Framework : The Role of the Dutch MEB », Regulatory Affairs Journal, 6 ( 8), 1995, p. 625-630.
  • [29]
    Silvio Garattini, Vittorio Bertele, « Adjusting Europe’s Drug Regulation to Public Health Needs », The Lancet, 358 ( 9275), 2001, p. 64-67. Comme l’a révélé le scandale de l’ESB (l’encéphalopathie spongiforme bovine), le fait qu’une agence européenne relève de la DG Santé et Protection des Consommateurs ne suffit pas à empêcher la prise en compte des intérêts industriels : voir François D. Lafond, « La création de l’autorité alimentaire européenne : enjeux institutionnels de la régulation des risques », Problématiques européennes, 10, novembre 2001 (www. notreeurope. asso. fr) ; Ellen Vos, « EU Food Safety Regulation in the Aftermath of the BSE Crisis », Journal of Consumer Policy, 23,2000, p. 227-255.
  • [30]
    Cf. J. Abraham, G. Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, op. cit.
  • [31]
    On peut définir l’identité pratique, dans un sens aristotélicien, comme la représentation que les acteurs se font des intérêts et des missions qui orientent leurs actions.
  • [32]
    Harry Marks, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques ( 1900-1990), Paris, Institut Synthélabo, 1999.
  • [33]
    Archives du cabinet du ministre de la Santé.
  • [34]
    Voir les rapports annuels de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ainsi que Jean-Philippe Bacou, Analyse des obstacles institutionnels et économiques à l’harmonisation européenne en matière d’enregistrement des médicaments, Paris, Faculté Xavier Bichat, 1990.
  • [35]
    Voir les rapports annuels du MCA.
  • [36]
    Voir J.-P. Bacou, Analyse des obstacles institutionnels et économiques à l’harmonisation européenne en matière d’enregistrement des médicaments, op. cit.
  • [37]
    Paul DiMaggio et Walter Powell distinguent trois types d’isomorphisme institutionnel : l’isomorphisme coercitif, les pressions normatives et les processus mimétiques. Ces derniers désignent l’adoption, dans des situations incertaines, de modèles qui sont présentés comme légitimes et plus performants ( cf. P. DiMaggio, W. Powell, « The Iron Case Revisited : Institutional Isomorphisms and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 47, avril 1983, p. 147-160).
  • [38]
    Par exemple, Marver Bernstein a affirmé que les autorités de régulation traversent quatre phases depuis le volontarisme des premières années jusqu’à la maturité, où la priorité est donnée aux besoins de l’industrie (M. Bernstein, Regulating Business by Independant Commission, Princeton, Princeton University Press, 1955).
  • [39]
    Il suffit pour s’en persuader de noter que, pour des dossiers peu importants sur le plan médical, les membres du CSP ne se bousculent pas pour exercer les fonctions de rapporteur.
  • [40]
    Michael Steiner, « Germany’s International Competitiveness for Research and Development Activities », communication au Congrès annuel de l’EFPIA, Bruges, 25 juin 2002.
  • [41]
    Sur ce sujet, voir notamment Philipp Genschel, Thomas Plümper, « Regulatory Competition and International Cooperation », Journal of European Public Policy, 4 ( 4), 1997, p. 629-642.
  • [42]
    N. Elias, « Les transformations de l’équilibre “nous-je” », dans N. Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991.
  • [43]
    Jeanne-May Sun, Jacques Pelkmans, « Regulatory Competition in the Single Market », Journal of Common Market Studies, 33 ( 1), 1995, p. 67-89.
  • [44]
    F. W. Scharpf, Gouverner l’Europe, op. cit.
  • [45]
    À la suite de l’adoption par la Californie de normes d’émission de polluants (monoxyde de carbone, hydrocarbures, monoxydes d’azote, etc.) plus exigeantes que celles en vigueur au niveau fédéral, les constructeurs automobiles, inquiets à l’idée de devoir multiplier les modèles, se sont en effet mobilisés pour étendre le champ d’application des normes californiennes ( cf. D. Vogel, Trading Up : Consumer and Environmental Regulation in a Global Economy, Cambridge, Harvard University Press, 1995).
  • [46]
    Cf. Jon Elster, « A Plea for Mechanisms », dans Peter Hedström, Richard Swedberg (eds), Social Mechanisms : An Analytical Approach to Social Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 45-73.
  • [47]
    Sur ces nouvelles formes de gouvernance européenne, voir notamment Renaud Dehousse, « Regulation by Networks in the European Community : The Role of European Agencies », Journal of European Public Policy, 4 ( 2), 1997, p. 246-261 ; Renaud Dehousse (ed.), L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la méthode ouverte de coordination, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • [48]
    Cf. Johan P. Olsen, « The Many Faces of Europeanization », Arena Working Papers, 2 ( 1), 2002, p. 1-43.
  • [49]
    Je remercie Philippe Urfalino, les évaluateurs anonymes et l’équipe rédactionnelle de Critique internationale et Sébastien Dalgalarrondo pour leurs conseils et leurs commentaires précieux.

1Dans de nombreux domaines, le processus de cons truction européenne s’est traduit par l’émergence d’une concurrence réglementaire, c’est-à-dire d’une rivalité entre les politiques publiques au sein de l’espace commun. Comme pour la mondialisation  [1], reste à déterminer si la remise en cause des frontières nationales au sein de l’UE a entraîné ou non une baisse générale du niveau d’exigence des réglementations en vigueur. Dans le sillage des analyses portant sur le système fédéral américain, deux hypothèses opposées ont été avancées : celle d’une course à l’abîme ( race to the bottom[2]) et celle, à l’inverse, d’une course à l’élévation ( race to the top) des normes du secteur considéré  [3]. Or les publications qui concernent l’Europe du médicament dressent de la situation dans ce domaine un tableau des plus sombres  [4]. Les autorités de régulation, bien que constituées dans un but de préservation de la santé publique, auraient été « capturées » par les intérêts industriels, capture qui se serait aggravée depuis le milieu des années 1990 sous l’effet de la concurrence réglementaire européenne liée à l’obtention des financements des laboratoires. Reprenant sous une forme vulgarisée ce lieu commun de l’analyse des politiques de régulation  [5], la presse – revues médicales militantes  [6] mais aussi publications non spécialisées  [7] – s’est également fait l’écho des préoccupations de ceux qui dénoncent le fonctionnement actuel du système de régulation mis en place à l’échelle de l’Union européenne.

2Nous entendons toutefois exposer les raisons qui nous conduisent à rejeter l’hypothèse d’un affaiblissement de la régulation des médicaments dû à l’établissement d'un espace politique européen. Certes, les conséquences de l’émergence d’un « marché » des autorités sanitaires présentent un caractère problématique pour la protection de la santé publique – du fait notamment de la diversification des stratégies industrielles et du développement de logiques clientélistes –, mais les considérations économiques à l’œuvre dans la concurrence réglementaire ne doivent pas occulter les effets bénéfiques de la confrontation des expertises nationales et les efforts de coopération entre lesdits experts qui, depuis le milieu des années 1970, contribuent à l’amélioration des compétences et au renforcement des moyens mis en œuvre à des fins de contrôle public  [8].

Le contrôle sanitaire des médicaments et la formation d’un espace concurrentiel européen

3Si elles jouent un rôle majeur dans la préservation de la santé des populations, la recherche thérapeutique et la production de médicaments présentent également des dangers évidents. Les pouvoirs publics ont donc mis en place des organismes chargés de les contrôler. Un dispositif central de cette supervision est la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM). Sur la base des essais réalisés par les firmes sur plusieurs années, les pouvoirs publics doivent en effet décider si les nouveaux traitements méritent d’être commercialisés, c’est-à-dire s’ils affichent un rapport bénéfice/risque favorable. Les experts – internes aux autorités constituées à cette fin et/ou externes et consultés par elles – examinent les dossiers d’AMM en prenant en compte trois critères : la sécurité de l’usage du médicament, son efficacité et la qualité de sa fabrication. À l’issue de cette procédure d’évaluation, l’autorité sanitaire, si elle accorde l’AMM, définit les indications et contre-indications du produit ainsi que ses effets secondaires. Pour chaque demande d’AMM, les industriels paient une redevance aux autorités sanitaires.

4Ce contrôle met donc en jeu des intérêts sanitaires mais aussi économiques considérables. Le refus opposé à une demande d’AMM ou la suspension de celle-ci peut représenter pour une entreprise un manque à gagner gigantesque et entraîner une chute brutale de la valeur de ses actions. De plus, chaque journée passée à attendre l’autorisation des pouvoirs publics représente pour les industriels un coût qui se chiffre en millions de dollars dans le cas d’un produit blockbuster[9]. Le simple ajout d’une contre-indication par les autorités sanitaires pèse sur les perspectives de vente du produit. Quant aux pouvoirs publics, leur responsabilité est d’autant plus lourde que les risques liés à la consommation de médicaments sont réels et bien connus. Rappelons qu’en 2001 encore, un produit contre le cholestérol de la firme Bayer, la cérivastatine, a provoqué en quelques mois la mort de plus de 100 personnes, alors que des produits aussi efficaces et moins dangereux étaient déjà sur le marché. La consommation de médicaments serait responsable de 10 à 15 % des hospitalisations dans les pays européens, et, aux États-Unis, elle est classée parmi les premières causes de mortalité  [10].

Les étapes de l’accroissement de l’interdépendance et de la concurrence européenne

5Dès le début des années 1960, les efforts menés pour construire un marché commun pour les produits pharmaceutiques et la survenue de graves crises sanitaires  [11] ont conduit la Communauté européenne à jouer un rôle croissant dans le contrôle des médicaments. Dans un tel domaine, il était impossible de se limiter à une intégration négative qui aurait consisté à supprimer les barrières aux échanges et à instaurer la reconnaissance mutuelle automatique des AMM. En effet, aucun État n’était disposé à déléguer totalement à ses voisins le soin de protéger sa population contre des produits aussi dangereux  [12]. Par ailleurs, l’autorisation de chaque nouveau médicament étant une « décision critique », appelant une évaluation spécifique, il fallait, au-delà de l’application de normes communes, mettre en place des procédures permettant, à partir des expertises nationales, de formuler des jugements identiques sur les produits.

6Lorsque les premiers travaux communs ont commencé, les États membres avaient des systèmes d’enregistrement des médicaments très variés. La plupart d’entre eux ne contrôlaient que la qualité des produits, et même lorsqu’il existait, comme en France, une autorisation préalable, celle-ci était principalement de nature administrative. Cette situation rendait difficile la mise en place de tout système européen et les négociations n’aboutirent qu’à l’instauration en 1965 de l’obligation, pour tout État membre, de délivrer des AMM et à la fixation de ses critères fondamentaux.

7Dix ans plus tard, une directive communautaire est venue préciser le contenu des essais et les critères de l’évaluation, en même temps qu’était créée une première instance de régulation européenne : le comité des spécialités pharmaceutiques (CSP), composé de représentants des États  [13]. Désormais, lorsqu’une firme avait obtenu une AMM pour un produit, elle pouvait également demander la reconnaissance de cette autorisation dans d’autres pays européens. En cas de désaccords entre les pays concernés, le CSP était appelé à émettre un avis. Malgré le caractère non contraignant de ce dernier, l’évaluation des médicaments devenait pour la première fois un enjeu de compétition, chaque pays entendant non seulement protéger sa propre industrie (en évitant les barrières à l’exportation fondées sur des arguments pseudo-scien-tifiques et en contrôlant les importations) mais aussi défendre ses pratiques et savoirs médicaux. Pour répondre à ce défi d’un genre nouveau, la RFA en 1976, puis la France en 1978 créèrent donc des unités administratives autonomes et spécialisées – respectivement l’Institut du médicament et la Direction de la pharmacie et du médicament. Mais cette première mouture d’un système de régulation européen fonctionnait mal. Les États émettaient systématiquement des objections aux autorisations délivrées par leurs homologues et il arrivait même que tous prennent position au sein du CSP contre la mise sur le marché d’un produit et donc contre l’État qui avait délivré la première AMM.

8À partir du milieu des années 1980, l’évaluation des médicaments a connu une évolution significative. Les données prises en compte par les experts devenant de plus en plus fournies, les délais de délivrance d’autorisation tendaient alors à s’allonger pour atteindre deux ou trois ans en moyenne. Cette situation non seulement provoquait de vives protestations de la part des firmes pharmaceutiques mais elle apparaissait aussi, dans un contexte marqué par l’épidémie de sida, comme contraire à l’intérêt public. Il était clair que les précautions que prenaient les autorités publiques, quoique rapportées à un objectif irréprochable, retardaient la mise sur le marché de traitements vitaux  [14]. Or l’affirmation de cette exigence de performance est allée de pair avec un nouvel accroissement de la concurrence européenne. En effet, à partir du Livre blanc pour l’achèvement du marché intérieur de 1985, des négociations ont été engagées pour mettre en place de nouvelles procédures et créer une agence à l’échelle européenne. L’anticipation d’un futur espace européen dans lequel des firmes désormais internationalisées pourraient choisir leur guichet d’entrée a poussé la plupart des États à transformer leurs administrations publiques en agences de contrôle indépendantes. Au Royaume-Uni, la MCA (Medicines Control Agency) a été créée en 1989 et a accédé au statut d’agence exécutive dans le cadre de l’opération Next Step lancée par le gouvernement Thatcher un an auparavant en vue de réformer le service public. En France, après une première tentative avortée en 1991, l’Agence du médicament a finalement vu le jour en 1993 sous le ministère de Bernard Kouchner. Quant à l’Allemagne, elle a mis en place en 1994 une autorité fédérale indépendante, l’Institut fédéral du médicament et des dispositifs médicaux (Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte – BfArM), doté du degré maximal d’indépendance et de centralisation que puisse avoir un organe de ce type. Dans ces différents pays, ces initiatives ont été pensées par le personnel politique comme un moyen d’améliorer la place des structures nationales dans l’espace européen, celles-ci bénéficiant dès lors d’une plus grande souplesse de gestion et de budgets propres financés directement par les redevances des industriels. Ces redevances ont été dans les années suivantes très rapidement augmentées en échange d’une plus grande rapidité de traitement des dossiers de la part des pouvoirs publics.

9Dernière étape décisive, en 1995, la mise en place de l’Agence européenne des médicaments (EMEA) et de deux procédures d’enregistrement – l’une décentralisée, l’autre centralisée – a marqué l’avènement d’un système intégré de régulation des produits pharmaceutiques au sein de l’Union. Dans la procédure centralisée, le CSP  [15], devenu comité scientifique de l’EMEA, nomme parmi ses membres un rapporteur et un co-rapporteur qui, avec l’aide de leur agence nationale, réalisent un premier travail d’expertise. Puis le comité délibère à partir de l’évaluation des rapporteurs et émet, le cas échéant à la suite d’un vote majoritaire, un avis qui devient une décision de la Commission européenne. Dans la procédure décentralisée, les firmes choisissent le pays qui réalise l’évaluation (Reference Member State, RMS). Si ce dernier délivre l’AMM, les autres pays visés par la firme (Concerned Member States, CMS) sont censés se conformer à sa décision. En cas de désaccord (par exemple, sur la définition des indications du produit, les effets secondaires à inscrire sur la notice, etc.), les autorités nationales organisent, de façon autonome, des échanges entre leurs experts afin d’élaborer une position commune. S’ils n’y parviennent pas, le CSP est saisi du dossier et émet un avis contraignant  [16].

10Ce dispositif consacre la constitution de l’évaluation en enjeu de la concurrence entre États. En effet, sauf pour les produits vendus uniquement à l’intérieur des frontières d’un pays, toutes les AMM sont aujourd’hui délivrées à l’échelle européenne, et les firmes n’ont donc plus à constituer qu’un dossier par produit. Or elles conservent pour ce faire une certaine marge de manœuvre. Pour les produits innovants, qui ne sont pas issus de procédés biotechnologiques, les firmes ont le choix entre la procédure centralisée et la procédure décentralisée  [17]. Les firmes pèsent aussi sur la désignation des équipes d’évaluation qui réalisent le travail d’expertise. Leur liberté est totale dans la procédure décentralisée. Dans la procédure centralisée, elles proposent, par ordre de préférence, trois ou quatre noms de rapporteur parmi lesquels le CSP en retient au moins un (dans 60 % des cas, la firme obtient la nomination de la première personne de son choix). Or, en opérant des choix entre procédures et entre équipes d’évaluation, les firmes déterminent aussi la répartition des financements en Europe. En effet, dans le cadre de la procédure décentralisée, les agences perçoivent des redevances plus élevées lorsque le pays correspondant est choisi comme RMS que lorsqu’il ne s’agit que d’un CMS. Dans le cadre de la procédure centralisée, la moitié des redevances industrielles (soit près de 250 000 euros pour une demande d’AMM simple) revient à l’EMEA, l’autre moitié se trouvant partagée entre les autorités dont relèvent le rapporteur et le co-rapporteur.

Concurrences territoriale et institutionnelle

11Il existe en matière de médicaments une concurrence réglementaire « classique », générée par la volonté d’attirer des facteurs de production sur le territoire national  [18]. Les entreprises pharmaceutiques, largement internationalisées, implantent de préférence leurs activités de recherche dans les pays dont les autorités sont en mesure d’exercer l’influence la plus déterminante quant à l’élargissement de leurs marchés. Un État faisant office de rapporteur ou de RMS pour un grand nombre de produits est donc bien placé pour attirer les investissements dans ce domaine.

12Mais la concurrence est en même temps institutionnelle. En effet, au-delà de toute volonté liée à l’économie nationale, les autorités sanitaires, conscientes de l’intégration de plus en plus forte de leurs activités à l’échelle européenne, s’efforcent d’éviter leur possible marginalisation, voire leur éventuelle disparition  [19]. Or la place d’une autorité au sein de l’espace européen se manifeste par son rôle dans les débats, sa réputation et sa capacité à imposer ses jugements, mais aussi, plus concrètement, à travers l’importance des produits dont l’évaluation est sous sa responsabilité. À cela s’ajoutent, depuis 1995, les conséquences financières des choix des entreprises : des moyens supplémentaires permettent aux autorités d’accroître leurs ressources logistiques et scientifiques et d’améliorer ainsi leur attractivité. Cette logique de répartition des redevances industrielles est ainsi susceptible de déclencher un processus de monopolisation progressive des activités d’évaluation  [20]. Notons que cette concurrence institutionnelle n’existe pas seulement entre autorités nationales, elle oppose également les différentes procédures. Actuellement, des responsables (notamment de la Commission européenne et de l’EMEA) souhaitent par exemple promouvoir un élargissement maximal de la définition des produits obligés de passer par la procédure centralisée  [21]. Cette option est rejetée par de nombreux responsables étatiques qui, préférant le maintien d’une plus forte logique nationale et s’inquiétant de l’autonomisation de l’EMEA, défendent la procédure décentralisée. Les performances affichées de chaque procédure (délais, qualité des décisions prises) comme les préférences exprimées par les industriels sont donc aussi des enjeux politiques.

Un marché des autorités de régulation

13La mise en place de procédures européennes d’évaluation des médicaments marque une rupture par rapport au schéma classique des relations entre les autorités de régulation et les firmes désireuses de commercialiser leurs produits. La remise en cause de l’autorité directe d’une agence sur le territoire dont elle a vocation à protéger la population présente, il est vrai, de nombreux risques. Un système où coexistent plusieurs organes de contrôle n’offre-t-il pas au contrôlé la possibilité de faire jouer la concurrence entre les régulateurs à son avantage ? Les firmes désireuses de pénétrer plus facilement le marché européen ne seraient-elles pas incitées à jeter leur dévolu sur les régulateurs les moins capables et/ou les moins exigeants ? Une « course à l’abîme » des réglementations pourrait alors s’engager, dans la mesure où les États se montreraient avant tout soucieux de satisfaire les préférences des régulés. La qualité de l’évaluation des médicaments a donc fait l’objet d’inquiétudes légitimes  [22], et l’on peut effectivement se demander si les efforts déployés par les autorités sanitaires pour accroître leur compétitivité dans le cadre de ce nouveau marché ne se sont pas faits au détriment de leur objectif premier : la protection des patients. Le système de régulation européen ne privilégie-t-il pas manifestement les intérêts pharmaceutiques, comme l’affirment, par exemple, John Abraham et Graham Lewis, qui croient déceler une « alliance » objective entre industriels et régulateurs ? Les entreprises ne sont-elles pas en mesure de tirer indûment avantage de la complexité du dispositif comme de l’exacerbation de la concurrence entre des autorités nationales de plus en plus tiraillées entre les exigences des vérifications réglementaires et la nécessité d’agir au plus vite, de manière à s’attirer les faveurs des industriels  [23] ?

La diversification des stratégies d’influence des entreprises

14Des contacts plus ou moins formels entre firmes et autorités sanitaires précèdent ou accompagnent l’évaluation de tout dossier. Avant de déposer une demande d’AMM, il est notamment d’usage que les firmes effectuent une première présentation de leurs produits aux équipes d’évaluation. Dans le système européen, cette pratique leur permet de « prendre la température » et d’identifier éventuellement, parmi les nombreux contrôleurs potentiels, le rapporteur ou le RMS qui, pour diverses raisons non nécessairement illégitimes (situation sanitaire spécifique, culture médicale, degré de spécialisation des experts nationaux, etc.), portera sur leur demande le jugement le plus favorable. Étant donné la volonté des rapporteurs et des RMS de défendre leur évaluation initiale face aux remises en cause des autres autorités et leur rôle central dans toutes les discussions et les négociations ultérieures, la firme dispose de fait d’un « représentant » dans les délibérations européennes, lequel, a priori, se trouve de surcroît à l’abri d’un soupçon de partialité. Profitant des défauts de communication entre les différentes autorités nationales, les industriels n’hésitent pas à dire à chacune ce qu’elle veut entendre – quitte à tenir des discours contradictoires – et à enjoliver la description de la réception du produit dans les autres pays afin d’influencer favorablement les équipes d’évaluation. Enfin, les autorités dont la réticence est connue ou présumée pourront être privées de données informelles sur le produit et/ou les essais en cours, ce qui limitera leur capacité d’argumentation, tandis que l’on fournira tous les renseignements disponibles aux instances présumées plus bienveillantes.

Des logiques clientélistes

15À partir du milieu des années 1980, l’anticipation d’une forme de concurrence dans le cadre des futures procédures européennes et la mise sur agenda de la question des délais d’enregistrement des produits ont amené les autorités sanitaires à comparer leurs capacités à produire des évaluations rapides et à entreprendre d’améliorer leurs performances à cet égard. Entre 1990 et 1995, les délais d’enregistrement ont donc été quasiment divisés par deux  [24]. Cette tendance à la baisse s’est maintenue par la suite grâce aux mesures imposées par les directives européennes, mais surtout grâce à la place que ce critère a prise dans le classement des autorités. En réponse aux préoccupations des firmes, des études effectuées depuis 1995 distinguent par exemple, au-delà des variations observées dans les résultats suivant la méthodologie employée, les agences anglaise et suédoise – les plus performantes – de l’agence allemande – peu performante –, l’agence française occupant une position intermédiaire. Il est aisé de faire le lien entre ces constats et le fait que, dans le cadre de la procédure décentralisée, le Royaume-Uni et la Suède obtiennent chacun 25 % des demandes d’évaluation de nouveaux médicaments depuis 1995, tandis que l’Allemagne en obtient seulement 14 %  [25]. Mais les États membres de l’UE et l’EMEA ont eu également pour objectif de concurrencer la Food and Drug Administration (FDA) américaine à travers la procédure centralisée. Du reste, les délais moyens d’enregistrement de celle-ci sont identiques à ceux des États-Unis ( 300 jours).

16Si le nouveau dispositif d’enregistrement communautaire a largement contribué à la réduction des délais d’évaluation, cela n’a pas été sans susciter l’inquiétude de certains observateurs et surtout de membres d’autorités nationales pressées de réaliser toujours plus rapidement le travail d’expertise  [26]. Plus généralement, à en juger d’après les discours mais aussi les actes de certains responsables d’agences, le souci de satisfaire les firmes a poussé les autorités à adopter avec elles des relations s’apparentant parfois à des rapports fournisseurs/clients. L’agence suédoise, par exemple, a organisé une véritable « tournée » aux États-Unis afin de se faire connaître des grands groupes pharmaceutiques américains. Quant à l’agence anglaise, elle aurait poussé le souci d’établir de bonnes relations avec les industriels jusqu’à promettre à ceux-ci une relative clémence dans le traitement de leurs dossiers, laissant ainsi aux autres autorités le soin de restreindre, au cours des procédures européennes, les conditions d’utilisation de leurs produits  [27].

17De manière moins radicale, cette logique clientéliste se manifeste, d’une part, dans les enquêtes menées depuis la fin des années 1980 par de nombreuses autorités nationales désireuses d’apprécier leurs chances de succès par rapport à leurs rivaux dans la compétition réglementaire intra-européenne, d’autre part, par la multiplication des contacts directs entre évaluateurs et industriels au cours des procédures d’évaluation des produits. Sur ce dernier point, l’autorité allemande, qui était la plus restrictive des grandes agences européennes, s’est finalement alignée sur les pratiques des agences suédoise et britannique. Plus généralement, les responsables nationaux admettent désormais l’existence d’un véritable « marché » des autorités sanitaires et ne font aucune difficulté pour comparer leurs avantages respectifs dans la presse professionnelle  [28].

18Ceux qui dénoncent le plus vivement ces dérives en donnent une explication simple : le mode de financement des autorités sanitaires. Les agences indépendantes qui ont remplacé les administrations centrales sont financées en partie par les redevances industrielles, les autorités anglaises et suédoises le sont totalement. Le fonctionnement de l’EMEA, qui est financée à 70 % par ces redevances, est pour eux marqué par une dépendance analogue, que manifeste, le rattachement de cette organisation de santé publique à la DG Entreprise de la Commission européenne (plutôt qu’à la DG Santé et Protection des Consommateurs)  [29]. Même si, jusqu’à présent, aucun de ses avis n’a été directement mis en cause, certains membres de son secrétariat témoignent du malaise qu’ils éprouvent à devoir ainsi dépendre des ressources industrielles.

19Soulignons enfin une nuance dans les critiques formulées à l’égard du fonctionnement européen : la procédure décentralisée est beaucoup plus attaquée que la procédure centralisée. Il est clair que la première attise la concurrence entre les différentes autorités puisqu’elle donne aux firmes la totale liberté dans le choix de l’évaluateur de leurs produits, alors que la seconde favorise une évaluation plus collective. La procédure décentralisée met de plus l’État qui réalise la première évaluation dans une situation de porte-à-faux. En effet, lorsqu’il décide d’octroyer une autorisation, le RMS reçoit des objections des CMS, théoriquement sur la seule base de la perception d’un risque pour la santé publique. Ces interventions sont donc potentiellement néfastes aux intérêts industriels. Mais, ayant engagé sa responsabilité dans cette décision de santé publique, le RMS est naturellement porté à défendre son travail et à contester les critiques et les remarques des CMS. Il est donc amené à jouer un rôle d’avocat de la firme.

Espace européen et santé publique

20Si la formation d’un espace européen de concurrence entre les autorités sanitaires des États membres pourrait a priori laisser craindre l’enclenchement d’une « course à l’abîme » auto-entretenue des politiques de régulation, la plupart des acteurs que nous avons rencontrés (régulateurs, industriels et même les associations de malades ou de consommateurs) affirment que les procédures d’évaluation actuelles sont, au contraire, plus exigeantes que par le passé. Même John Abraham et Graham Lewis, qui comptent parmi les principaux défenseurs de la thèse adverse  [30], admettent que les trois quarts des personnes qu’ils ont interrogées récusent l’idée que la concurrence entre les agences aurait entraîné une détérioration de la qualité des évaluations. Peut-on comprendre ce fait autrement qu’en recourant à l’argument selon lequel les acteurs s’efforceraient simplement de légitimer le système dont ils sont parties prenantes ?

21Indépendamment de ses éventuelles motivations financières – plus ou moins manifestes –, la concurrence entre les différentes autorités sanitaires demeure en effet d’abord et avant tout une concurrence d’expertises : la collecte de la manne industrielle ne constitue pas une fin en soi mais un moyen de reconnaissance. Les autorités en question sont par ailleurs composées de professionnels de la médecine soucieux de protéger ou d’améliorer leur réputation au regard des critères d’évaluation internes à cette profession. Or, pour un évaluateur, la meilleure façon de faire la démonstration de ses qualités est de repérer, avant les autres, un risque ou une incohérence dans le dossier de demande d’autorisation qui lui est soumis. Le principal titre de gloire d’une agence ou d’un expert est bien de bloquer un produit que les autres experts nationaux auraient laissé passer – et de pouvoir justifier ce blocage. Le développement d’une logique de service n’a pas annihilé la force de cette identité pratique  [31].

Concurrence européenne et renforcement des capacités de contrôle

22Pour comprendre comment l’instauration de la concurrence réglementaire a pu participer au renforcement des capacités de contrôle des pouvoirs publics en Europe, un bref aperçu historique est nécessaire.

23En effet, lorsque les premières procédures européennes ont été mises en place, au milieu des années 1970, les différentes autorités nationales n’étaient pas en mesure de procéder à des évaluations scientifiques des produits également rigoureuses – tant s’en faut. Durant cette période, la « médecine des preuves » – expression qui renvoie à l’application des méthodes statistiques aux jugements médicaux  [32] – était en train de se substituer aux méthodes traditionnelles de développement et d’évaluation des produits. Selon ces dernières, les médicaments étaient le plus souvent élaborés à partir d’hypothèses dont la validité était éprouvée par des tests in vitro ou effectués sur des animaux, et l’efficacité des traitements était appréciée par les grands patrons hospitaliers, sur la base de leurs observations et de généralisations d’expériences individuelles. Le Royaume-Uni (qui s’était doté dès 1968 d’un système d’évaluation réformé) et les pays nordiques étaient en avance dans l’intégration de ces nouveaux standards sur d’autres pays européens comme la France et la RFA. La création d’organismes publics spécialisés dans ces deux pays visait donc à combler un retard dont les conséquences étaient néfastes à plus d’un titre : « Au cours d’une conférence, la FDA a annoncé une liste de dix médicaments qui présentaient des risques conséquents. Parmi eux, huit étaient français. Alors forcément (… ) cela pouvait entraîner un préjudice extrêmement important. Il fallait réformer notre système. On avait depuis longtemps dans la tête que ça devait se passer au niveau européen » (entretien avec un ancien dirigeant de la Direction de la pharmacie et du médicament, France).

24Alors qu’auparavant les dossiers fournis par les firmes ne faisaient l’objet d’aucune véritable contre-expertise, les réformes entreprises ont permis aux pouvoirs publics de se doter du minimum de moyens administratifs nécessaire à la protection de leurs populations. Quinze ans plus tard, la création d’agences indépendantes, qui découlait directement de la perception d’une concurrence européenne, a entraîné un nouveau renforcement des capacités publiques d’expertise. À cette époque, de nombreuses administrations européennes traversaient une crise grave et semblaient incapables de faire face à leurs responsabilités. En France, par exemple, le Rapport 1991-1992 de l’Inspection générale des Affaires sociales dénonçait le manque d’expertise et de moyens des services administratifs concernés, tandis qu’une note ministérielle de 1992 insistait sur les contraintes imposées par le contexte européen : « Si rien n’est fait aujourd’hui, il sera trop tard demain compte tenu des échéances européennes. Les firmes et la CEE s’adresseront aux pays crédibles. La Grande-Bretagne a mis en place une agence depuis deux ans. Dans un an, elle sera incontournable si rien ne s’amorce du côté français »  [33].

25En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, la création d’agences autonomes dans leur gestion et financées par les firmes, pièce maîtresse de la réforme des administrations sanitaires, a notamment permis d’embaucher un grand nombre de médecins et de pharmaciens qualifiés, d’autant plus que le montant des redevances a connu une augmentation très rapide. Ainsi – et même s’il faut tenir compte du fait que le champ de ses compétences a évolué au fil du temps –, l’autorité française a vu ses effectifs passer de 160 personnes en 1990 à 942 en 2003  [34], l’autorité anglaise, de 290 personnes en 1987 à 540 en 2003  [35], et l’autorité allemande, de 320 personnes en 1987 à 1 100 en 2003  [36]. L’agence française a également su convaincre l’un des pharmacologues les plus reconnus à l’échelle européenne, Jean-Michel Alexandre, de devenir son directeur de l’évaluation.

26Ces embauches ont évidemment contribué à la réduction des délais d’évaluation, réduction souvent considérée aujourd’hui comme la marque d’une dérive clientéliste et la cause principale d’un amoindrissement de la qualité des expertises mais qui était alors instamment réclamée par les patients et leurs représentants. Le préjudice subi par eux était en effet d’autant plus grave que les délais d’attente pour qu’un produit soit mis sur le marché n’étaient nullement dus à la plus grande attention portée aux dossiers, mais bien à une pénurie de moyens administratifs. Certes, toute réduction des délais ne représente pas ipso facto un progrès pour la santé publique, et la plupart des employés des agences considèrent aujourd’hui qu’il serait difficile, à moyens constants, de poursuivre le mouvement sans préjudice pour la qualité des évaluations. Mais le mouvement n’a précisément pas eu lieu à moyens constants. Par ailleurs, s’il est vrai que l’effort de rationalisation administrative entrepris par les différentes autorités dans le but spécifique de faire face à la concurrence sur le terrain européen s’est parfois opéré au détriment des procédures purement nationales, ces procédures, plus longues, ne s’appliquent qu’à des produits non susceptibles d’apporter de nouvelles solutions thérapeutiques.

27Bien sûr, les causes fonctionnelles de la création des agences sanitaires n’épuisent pas l’explication de ce phénomène. On notera que l’adoption par tous les pays européens de structures de ce type résulte également de mécanismes d’isomorphisme institutionnel (mimétisme  [37]) générés par la seule anticipation d’un marché intégré : lorsque les responsables nationaux ont perçu la nécessité de réformer leurs administrations respectives, ils ont pris modèle sur les organisations les plus valorisées (la FDA et, dans une moindre mesure, la MCA). Cependant, dans tous les cas en présence, s’il est vrai que l’autonomie des agences facilite l’établissement de relations du type clients/fournisseurs entre elles et les laboratoires, il est tout aussi vrai que leur mise en place a largement participé au renforcement des moyens de contrôle des pouvoirs publics. La conception de la régulation des médicaments comme jeu à somme nulle opposant les intérêts des industriels à ceux des patients – la promotion des premiers ne pouvant se faire qu’au détriment des seconds, et vice versa – est tout simplement erronée.

La confrontation des expertises

28L’hypothèse, conforme aux théories du cycle de vie des autorités de régulation  [38], d’une transformation fondamentale du comportement des agences depuis leur création n’est pas non plus satisfaisante. En effet, le contrôle des médicaments relève toujours de la politique sanitaire et demeure perçu comme tel par les autorités nationales, lesquelles ne sont pas prêtes à tous les sacrifices pour se lancer dans la course aux faveurs industrielles. S’il existe indéniablement une rivalité entre les agences compétentes, celle-ci autorise plusieurs stratégies, qui ne sont pas nécessairement préjudiciables au contrôle en question. Ainsi, le fait que les agences suédoise et britannique en soient venues à occuper une position dominante dans le cadre de la procédure décentralisée tient à la qualité reconnue de leur expertise autant qu’à leur plus grande rapidité de traitement des dossiers. L’agence française a adopté un autre positionnement, permis par sa relative imperméabilité aux logiques financières (elle n’établit pas de distinction entre le statut de RMS et celui de CMS quant au montant des redevances industrielles). Grâce à l’intransigeance dont elle a su faire preuve dans le cadre de la procédure décentralisée, à sa participation active à toutes les délibérations internes du CSP (la France procède à une évaluation complète des dossiers même lorsqu’elle n’est pas rapporteur) et au fait qu’elle a assuré la présidence du comité européen pendant plus d’une décennie, elle s’est imposée comme un acteur incontournable. Les firmes savent que, quand bien même elle ne serait pas choisie comme RMS ou rapporteur, il leur faudra prendre ses remarques en considération. Plus généralement, s’il est vrai que les enjeux financiers comptent, puisque les autorités les plus dépendantes des redevances payées par les firmes sont celles qui ont connu les dérives clientélistes les plus prononcées, attirer les demandes des entreprises ne signifie pas seulement percevoir des redevances supplémentaires mais aussi acquérir une plus grande influence au sein du système sanitaire européen  [39], ce qui impose des limites à la prise en compte des intérêts privés.

29En outre, au-delà des motivations sous-jacentes des responsables des agences, les procédures européennes exigent dans tous les cas des débats entre experts. Dans la procédure décentralisée et surtout, bien sûr, dans la procédure centralisée, il faut bien, pour espérer l’emporter, présenter des arguments convaincants. De cette contrainte structurelle du fonctionnement européen résulte le fait que, loin de se limiter à un échange bilatéral entre un évaluateur et un industriel, l’évaluation initiale est elle-même systématiquement évaluée par des tiers que rien n’incitent à faire preuve de complaisance puisque leur est offerte la possibilité de prendre un concurrent en défaut et de démontrer ainsi la supériorité de leur compétence. La virulence des débats entre délégués nationaux, que nous avons pu observer aussi bien au sein du CSP que dans le cadre de la procédure décentralisée, atteste la réalité de cette confrontation des expertises. Elle rend contre-productives les stratégies trop clientélistes, comme l’ont bien compris, à leurs dépens, les industriels eux-mêmes. Il est en revanche utile pour ces derniers que l’avis favorable obtenu dans un pays joue comme un certificat de qualité, qui donne confiance aux autres évaluateurs et facilite les enregistrements suivants, en Europe comme aux États-Unis. C’est la raison pour laquelle les États dont la réputation scientifique est médiocre ne sont pas choisis pour servir de point d’entrée dans l’Union, tandis que la spécialisation – et la compétence – d’une autorité dans une pathologie donnée lui attirent logiquement un flux de demandes. Ainsi, lors du congrès de la Fédération européenne d’associations et d’industries pharmaceutiques qui s’est tenu à Bruges en juin 2002, un rapport consacré à la compétitivité de l’Allemagne en tant que lieu d’activités de recherche et de développement dans ce domaine soulignait la place subordonnée de l’agence de régulation allemande dans le cadre des procédures européennes et expliquait cette faiblesse par ses délais d’évaluation excessifs, mais plus encore par sa réputation « scientifique » insuffisante  [40]. L’étude évoquait donc la possibilité d’une spécialisation de l’autorité allemande sur les maladies neuro-dégénératives qui serait le pendant de celle de l’agence suédoise sur le cancer ou de celle de l’agence anglaise sur les maladies respiratoires. De manière générale, c’est bien une telle conception d’un système de régulation européen constitué d’autorités nationales fonctionnant en réseau et spécialisée chacune dans un domaine de compétences que semblent privilégier les responsables communautaires.

La coopération européenne

30Si la concurrence a pu produire des effets positifs, c’est aussi parce qu’elle a toujours été encadrée par une étroite coopération entre les autorités en présence  [41], les États s’attachant à préserver l’idée d’un « nous »  [42] de nature à atténuer la férocité des conflits entre ses diverses composantes. En particulier, le processus même d’élaboration de normes communes au sein des instances européennes et l’uniformisation tendancielle des critères de référence ont contribué à l’établissement de relations de confiance comme à la réduction des écarts de performance en matière d’évaluation.

31Les comités européens (le CSP et ses nombreux groupes de travail) – qui regroupent les meilleurs experts de chaque État – ont ainsi constitué des lieux privilégiés d’apprentissage et de définition du travail d’évaluation. Les experts français le reconnaissent et soulignent aujourd’hui que la formation qu’ils ont reçue dans le cadre des rencontres européennes des années 1970 leur a permis de rattraper leur retard dans le domaine de la pharmacologie clinique et pour ce qui est de l’emploi des essais cliniques contrôlés. En outre, c’est bien grâce à la coopération communautaire que les normes sanitaires ont été renforcées en Europe. À la suite du scandale de la thalidomide, une directive européenne a en effet exigé, en 1965, la mise en place de systèmes de délivrance d’AMM dans tous les pays. Puis, au milieu des années 1970, d’autres directives, prenant acte de la révolution que constituait le développement de la « médecine des preuves », ont imposé l’utilisation de la statistique pour démontrer l’efficacité et la sécurité des produits. Tirant parti de la coopération entre agences nationales organisée au niveau de l’Union, des textes techniques ont par la suite identifié de plus en plus précisément les prérequis – eux-mêmes de plus en plus astreignants – nécessaires à l’obtention d’une autorisation. C’est dans le cadre de ce travail commun que les représentants des différentes autorités nationales ont pu développer des relations de confiance, lesquelles contribueront par la suite à faire échec aux stratégies industrielles fondées sur la multiplicité des contrôleurs et leurs divergences d’appréciation éventuelles. Prenant acte de l’existence de ces stratégies et de leur propre déficit d’information, les membres du CSP se sont par exemple accordés sur un principe de transparence quant aux contacts bilatéraux entre les autorités nationales et les firmes, qui se traduit notamment par la communication systématique des comptes rendus des réunions menées au niveau national. Comme on peut le voir, non seulement concurrence et coopération ne s’excluent donc pas mutuellement  [43], mais c’est précisément la synergie entre elles qui a permis le maintien d’une surveillance publique de haut niveau.

32Dans son livre Gouverner l’Europe, Fritz Scharpf distingue deux cas dans lesquels la concurrence en matière de réglementation des produits n’entraîne pas une baisse du degré d’exigence requis pour la délivrance de l’autorisation : l’existence d’une possibilité de refus d’un produit étranger pour cause de non-conformité à une réglementation nationale à visée protectrice ; et, à l’inverse, la possibilité pour une agence nationale de certifier la qualité supérieure d’un produit, qui détiendrait alors sur le marché européen un avantage comparatif  [44]. Considérant le cas de la Californie, David Vogel, lui, a montré comment, dans un territoire doté d’une importance suffisante aux yeux des producteurs, un niveau de protection élevé pouvait enclencher une spirale ascensionnelle des réglementations  [45]. Sans permettre aux États de défendre à nouveau leurs « frontières » – comme dans l’exemple californien –, le système européen de régulation des médicaments est néanmoins parvenu, grâce à son mode de fonctionnement collectif, à contenir les stratégies qui auraient pu conduire à une baisse du niveau d’exigence des normes en vigueur. Le refus de la reconnaissance mutuelle pure et simple au profit de dispositifs plus intégrés a permis que se nouent entre les autorités sanitaires des différents pays, d’une part, entre elles et les firmes, d’autre part, des interactions complexes et non exclusivement déterminées par des considérations économiques. Si le résultat agrégé des différents « mécanismes sociaux » que nous avons détaillés n’est pas aisément identifiable  [46], il n’empêche que le système européen de régulation des médicaments permet aujourd’hui la production de décisions cohérentes à l’échelon de l’Union tout en encadrant et en organisant la concurrence entre des expertises nationales. Alors même que les autorités de contrôle des médicaments font l’objet de vives critiques, le modèle de régulation européen demeure à ce jour l’instrument d’une meilleure défense de l’intérêt public. L’Agence européenne produit notamment des évaluations plus fiables que ne le seraient celles qui émaneraient de n’importe quelle agence nationale travaillant isolément. Ce constat n’est pas sans importance, à l’heure où s’élaborent de nouveaux instruments pour « faire l’Europe » tels que les régulations en réseau ou la méthode ouverte de coordination  [47].

33Enfin, notre réflexion sur les liens entre construction européenne, concurrence réglementaire et défense de la santé publique illustre l’intérêt, et même la nécessité, qu’il y a à ne pas réduire la formation d’un espace politique européen au développement des capacités de gouvernement des organisations communautaires, comme le confirment du reste les travaux sur l’européanisation (malgré la polysémie du terme  [48]). Dans le secteur pharmaceutique, l’affirmation de l’Europe comme site d’une sélection, présente et/ou anticipée, des dispositifs de régulation les plus adaptés a joué un rôle important dans la formation de l’aire politique européenne. La concurrence a poussé les autorités nationales à adapter leurs stratégies à celles de leurs partenaires, à réformer leur organisation interne, à copier les modèles qui leur paraissaient les plus performants. Elle a aussi encouragé le développement de nouvelles coopérations destinées à limiter les forces centrifuges de la rivalité intraeuropéenne, coopérations qui ont rendu possibles les réformes successives visant à l’unification de l’espace européen  [49].

Notes

  • [1]
    Voir, par exemple, Dani Rodrick, Has Globalization Gone too Far ?, Washington (DC), Institute for International Economics, 1997 ; David Vogel, Robert A. Kagan (eds), Dynamics of Regulatory Change : How Globalization Affects National Regulatory Policies, Berkeley, University of California Press, 2002.
  • [2]
    Les effets négatifs de la concurrence réglementaire ont été mis en évidence avec le cas de l’État du Delaware qui est parvenu à attirer près de 40 % des entreprises cotées au New York Stock Exchange en proposant des statuts d’entreprises favorables aux directions.
  • [3]
    Fritz W. Scharpf, « Introduction : The Problem-solving Capacity of Multi-level Governance », Journal of European Public Policy, 4 ( 4), 1997, p. 520-538.
  • [4]
    John Abraham, Michael Charlton, « Controlling Medicines in Europe : The Harmonisation of Regulatory Toxicology Assessed », Science and Public Policy, 22 ( 6), 1995, p. 354-362 ; John Abraham, Graham Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, Londres, Routledge, 2001.
  • [5]
    Cf. James Q. Wilson, « The Politics of Regulation », dans J. Q. Wilson (ed.), The Politics of Regulation, New York, Basic Books, 1980.
  • [6]
    Voir l’ensemble du dossier intitulé « Redresser le cap de la politique du médicament », La revue Prescrire, 229, juin 2002, et en particulier « La politique du médicament au service de l’industrie », p. 460-466.
  • [7]
    Franck Seuret, « Santé : l’Europe du médicament est malade », Alternatives économiques, 214, mai 2003, p. 36-39.
  • [8]
    Les développements qui suivent se fondent sur 70 entretiens effectués auprès des acteurs du secteur (industriels, membres des autorités nationales et des institutions européennes, représentants d’associations de consommateurs), sur un travail d’observation réalisé en 2000 au sein de l’Agence européenne des médicaments et sur le dépouillement d’archives (principalement françaises et communautaires). Trois pays ont été plus particulièrement étudiés : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
  • [9]
    Soit une molécule dont le chiffre d’affaires annuel dépasse un milliard de dollars.
  • [10]
    Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapport sur l’application de la loi n°98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme, février 2005 ; Organisation mondiale de la santé (hhttp :// www. who. int/ mediacentre/ releases/ pr81/fr/).
  • [11]
    Au début des années 1960, la consommation de thalidomide par des femmes enceintes a provoqué des milliers d’avortements et de naissances d’enfants mal formés en Europe et aux États-Unis.
  • [12]
    L’imposition de la reconnaissance mutuelle comme modalité d’unification de l’espace européen à partir de l’arrêt Cassis de Dijon (CJCE, affaire 120/78,20 février 1979) n’a pas modifié la situation, la protection de la santé et de la vie des personnes apparaissant comme un domaine d’exception à l’application du libre-échange.
  • [13]
    À raison d’un représentant par État.
  • [14]
    Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002 ; Nicolas Dodier, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003 ; Sébastien Dalgalarrondo, La course aux molécules, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
  • [15]
    Depuis le 30 avril 2004, le CSP est devenu le Comité des médicaments à usage humain (CMUH). Nous utilisons ici l’ancienne dénomination par souci de cohérence.
  • [16]
    À partir de la fin de l’année 2005, deux cas de figure peuvent se présenter : si le produit a déjà une AMM dans un pays, alors la procédure s’applique normalement ; en revanche, si aucun pays n’a encore donné d’AMM, alors tous les États reçoivent le dossier. Le RMS réalise en 120 jours un simple projet de décision qui doit être reconnu par les autres États. Si ce projet n’est pas reconnu, un groupe de coordination essaie de construire un accord. En cas d’échec, l’arbitrage du CSP est déclenché.
  • [17]
    Les produits biotechnologiques relèvent obligatoirement de la procédure centralisée et les produits non innovants de la procédure décentralisée.
  • [18]
    Voir notamment, pour l’analyse de ce type de concurrence réglementaire en Europe : Fritz Scharpf, Gouverner l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 91-126.
  • [19]
    Par exemple, l’une des solutions envisagées à terme pour améliorer l’efficience du système européen est la spécialisation des agences par domaine thérapeutique, ce qui pourrait entraîner la disparition de certaines autorités nationales.
  • [20]
    Voir plus généralement Norbert Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1990.
  • [21]
    En effet, cette liste, qui a été élargie en novembre 2005 aux médicaments destinés au traitement du sida, du cancer, du diabète, des désordres neurodégénératifs et des maladies rares, n’est pas définitivement arrêtée.
  • [22]
    Voir, par exemple, les débats au Parlement britannique : Select Committee on the European Communities, European Medicines Agency and Future Marketing Authorisation Procedures, with Evidence, Londres, Parlement, Chambre des Lords, 1991.
  • [23]
    J Abraham, G. Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, op. cit.
  • [24]
    Jürgen Feick, « Regulatory Europeanization, National Autonomy and Regulatory Effectiveness : Marketing Authorisation for Pharmaceuticals », MPIfG Discussion Paper, n°02/6,2002.
  • [25]
    Dans le cadre de la procédure centralisée, le mode de désignation adopté par le CSP a pour effet d’équilibrer davantage la répartition des fonctions de rapporteur. Les grandes agences (allemande, britannique, française, néerlandaise et suédoise) prennent en charge chacune environ 10 % des procédures.
  • [26]
    Par exemple, les autorités nationales qui, pour construire leur jugement, font appel à des experts externes (notamment l’agence française) ont parfois des difficultés à obtenir de ceux-ci les avis demandés dans les délais requis.
  • [27]
    Ces accusations portent sur la période où l’incertitude à laquelle sont confrontées les autorités nationales est la plus grande, soit celle qui voit les opérateurs tenter de s’acclimater au dispositif récemment mis en place.
  • [28]
    Voir, par exemple, les propos du directeur de l’autorité néerlandaise au début des années 1990, rapportés dans André Broekmans, Robin J. Harman, « The EC Regulatory Framework : The Role of the Dutch MEB », Regulatory Affairs Journal, 6 ( 8), 1995, p. 625-630.
  • [29]
    Silvio Garattini, Vittorio Bertele, « Adjusting Europe’s Drug Regulation to Public Health Needs », The Lancet, 358 ( 9275), 2001, p. 64-67. Comme l’a révélé le scandale de l’ESB (l’encéphalopathie spongiforme bovine), le fait qu’une agence européenne relève de la DG Santé et Protection des Consommateurs ne suffit pas à empêcher la prise en compte des intérêts industriels : voir François D. Lafond, « La création de l’autorité alimentaire européenne : enjeux institutionnels de la régulation des risques », Problématiques européennes, 10, novembre 2001 (www. notreeurope. asso. fr) ; Ellen Vos, « EU Food Safety Regulation in the Aftermath of the BSE Crisis », Journal of Consumer Policy, 23,2000, p. 227-255.
  • [30]
    Cf. J. Abraham, G. Lewis, Regulating Medicines in Europe : Competition, Expertise and Public Health, op. cit.
  • [31]
    On peut définir l’identité pratique, dans un sens aristotélicien, comme la représentation que les acteurs se font des intérêts et des missions qui orientent leurs actions.
  • [32]
    Harry Marks, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques ( 1900-1990), Paris, Institut Synthélabo, 1999.
  • [33]
    Archives du cabinet du ministre de la Santé.
  • [34]
    Voir les rapports annuels de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ainsi que Jean-Philippe Bacou, Analyse des obstacles institutionnels et économiques à l’harmonisation européenne en matière d’enregistrement des médicaments, Paris, Faculté Xavier Bichat, 1990.
  • [35]
    Voir les rapports annuels du MCA.
  • [36]
    Voir J.-P. Bacou, Analyse des obstacles institutionnels et économiques à l’harmonisation européenne en matière d’enregistrement des médicaments, op. cit.
  • [37]
    Paul DiMaggio et Walter Powell distinguent trois types d’isomorphisme institutionnel : l’isomorphisme coercitif, les pressions normatives et les processus mimétiques. Ces derniers désignent l’adoption, dans des situations incertaines, de modèles qui sont présentés comme légitimes et plus performants ( cf. P. DiMaggio, W. Powell, « The Iron Case Revisited : Institutional Isomorphisms and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 47, avril 1983, p. 147-160).
  • [38]
    Par exemple, Marver Bernstein a affirmé que les autorités de régulation traversent quatre phases depuis le volontarisme des premières années jusqu’à la maturité, où la priorité est donnée aux besoins de l’industrie (M. Bernstein, Regulating Business by Independant Commission, Princeton, Princeton University Press, 1955).
  • [39]
    Il suffit pour s’en persuader de noter que, pour des dossiers peu importants sur le plan médical, les membres du CSP ne se bousculent pas pour exercer les fonctions de rapporteur.
  • [40]
    Michael Steiner, « Germany’s International Competitiveness for Research and Development Activities », communication au Congrès annuel de l’EFPIA, Bruges, 25 juin 2002.
  • [41]
    Sur ce sujet, voir notamment Philipp Genschel, Thomas Plümper, « Regulatory Competition and International Cooperation », Journal of European Public Policy, 4 ( 4), 1997, p. 629-642.
  • [42]
    N. Elias, « Les transformations de l’équilibre “nous-je” », dans N. Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991.
  • [43]
    Jeanne-May Sun, Jacques Pelkmans, « Regulatory Competition in the Single Market », Journal of Common Market Studies, 33 ( 1), 1995, p. 67-89.
  • [44]
    F. W. Scharpf, Gouverner l’Europe, op. cit.
  • [45]
    À la suite de l’adoption par la Californie de normes d’émission de polluants (monoxyde de carbone, hydrocarbures, monoxydes d’azote, etc.) plus exigeantes que celles en vigueur au niveau fédéral, les constructeurs automobiles, inquiets à l’idée de devoir multiplier les modèles, se sont en effet mobilisés pour étendre le champ d’application des normes californiennes ( cf. D. Vogel, Trading Up : Consumer and Environmental Regulation in a Global Economy, Cambridge, Harvard University Press, 1995).
  • [46]
    Cf. Jon Elster, « A Plea for Mechanisms », dans Peter Hedström, Richard Swedberg (eds), Social Mechanisms : An Analytical Approach to Social Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 45-73.
  • [47]
    Sur ces nouvelles formes de gouvernance européenne, voir notamment Renaud Dehousse, « Regulation by Networks in the European Community : The Role of European Agencies », Journal of European Public Policy, 4 ( 2), 1997, p. 246-261 ; Renaud Dehousse (ed.), L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la méthode ouverte de coordination, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • [48]
    Cf. Johan P. Olsen, « The Many Faces of Europeanization », Arena Working Papers, 2 ( 1), 2002, p. 1-43.
  • [49]
    Je remercie Philippe Urfalino, les évaluateurs anonymes et l’équipe rédactionnelle de Critique internationale et Sébastien Dalgalarrondo pour leurs conseils et leurs commentaires précieux.
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