1 Tout le monde connaît les explications que l’on donnait jadis aux enfants pour annoncer l’arrivée des bébés dans les familles, explications retrouvées avec grande constance dans les pays d’Europe : le bébé pouvait être amené par la cigogne, trouvé dans un chou si c’était un garçon, dans une rose, si c’était une fille. Dans tous les cas, l‘enfant venait du dehors, d’un ailleurs, et les parents recevaient ce bébé qui pouvait même dans le récit, avoir été commandé, pour l’accueillir et l’élever. Faune et flore, qui pour certains convoient un caractère sexuel, étaient convoquées pour amener le bébé à destination chez ses parents, ce qui laisse entier le mystère de la création de l’humain. Je vous renvoie au texte de Freud dans La Vie Sexuelle pour l’utilisation que fait le petit garçon du récit concernant la cigogne (Freud S., 1905-1915)
2 À ces explications d’antan, et en lien avec les injonctions des publications psychanalytiques, ont succédé, dans nos sociétés contemporaines, des explications qui mentionnent l’implication du corps des parents, leur rencontre corporelle, voire celle de leurs organes sexuels dans l’arrivée de ces enfants. D’autres éléments culturels peuvent aussi intervenir dans les récits qui leur sont faits reflétant les représentations collectives du moment ainsi que celles relatives à ce qu’il est bon - non pathogène – ce qui représente une prise de position quasi idéologique– de leur dire ; par exemple, actuellement, la graine du papa dans le ventre de la maman sont utilisés mais l’énigme soulevée par comment l’enfant y entre-t-il, comment en sort-il et comment la graine arrive dans le ventre repose toujours et encore la question : D’où viennent les enfants ? (Ibidem)
3 Je travaille, depuis de nombreuses années dans un service de médecine de la reproduction à l’APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) où je reçois, pour un entretien, le plus souvent unique, des patients qui demandent à avoir un enfant au moyen des PMA. Il m’a semblé intéressant de confronter ces interrogations sur l’origine, interrogations qui nous constituent tous, à ces situations où les patients vivent dans leur corps l’aléa de pouvoir concevoir ou pas (Weil E., 1999)
C’EST TOUJOURS LE CORPS DE LA FEMME.
4 Qu’il s’agisse de stérilité féminine ou masculine, c’est toujours le corps de la femme qui est questionné. En effet, constatant que celle-ci n’est pas enceinte, on est amené à interroger sa fertilité et celle du conjoint. Je ne m’intéresserais aujourd’hui qu’aux techniques de PMA qui impliquent un don de gamètes extérieur au couple demandeur d’enfant. Que ce soit à l’aide d’un don de sperme, d’un don d’ovocytes ou d’un don d’embryon, pour ces patients stériles, c’est dans le ventre de la mère que va se jouer l’accrochage, le développement et la naissance de cet enfant si demandé, pour lequel tant de nouvelles connaissances et progrès technologiques auront été nécessaires. (Weil E., 1993)
5 Les patients infertiles qui entrent dans ces protocoles de PMA, vont être soumis, de ce fait même, à un questionnement qui va remettre en mouvement, les représentations qu’ils se font de la conception, de la grossesse, de la maternité, de la paternité et de ce qui constitue pour eux devenir et être des parents. Ce questionnement leur est imposé du dehors, à travers les consultations et examens des biologistes qui demandent des caryotypes, des médecins qui examinent leurs organes, leurs hormones et la fréquence de leurs rapports sexuels ou plutôt génitaux. Cette intervention externe réactive sans doute, en troublant la latence et en mobilisant l’amnésie, les interrogations depuis lesquelles se sont mises en place leurs théories sexuelles infantiles. Dans ce périple, il ne faut pas sous-estimer l’intervention des psy de tout genre qui vont réinterroger avec eux leurs affects, leurs désirs, leurs représentations, leurs angoisses de ne pas être féconds comme tous les autres, ceux qui ont des enfants sans aide médicale. Ce questionnement est donc, induit par l’environnement, mais provient également du dedans, puisque qu’il a débuté, le plus souvent, par la constatation, décevante, dans le corps de la femme, que l’enfant ne venait pas, et amené l’interrogation anxieuse : pourquoi est-ce que je ne peux pas concevoir ? Cet échec a entraîné, de la part des couples, des prises de position en faveur des PMA ou le choix d’autres stratégies. Ces prises de position mettent au travail, consciemment certes, mais forcément inconsciemment la question du désir d’enfant chez chaque patient, sa place dans sa filiation, son projet de transmission et de reconduction de sa filiation génétique. Peuvent être évoqués aussi, le plaisir de cajoler un bébé, le désir de tenir un rôle social de « vraie » femme, car mère, d’homme puissant, car père, et classiquement, d’être comme maman qui les a portés dans son ventre même si cela apparaît comme inimaginable pour les adultes qu’ils sont actuellement, et en réalité, à nous aussi. Dans ces entretiens, il m’est apparu, que se dévoilait, de manière intermittente chez les patients et peut être chez moi aussi, un trouble de pensée semblable à un sentiment d’inquiétante étrangeté puisque : « La condition essentielle de l’émergence d’un sentiment d’inquiétante étrangeté se trouve dans l’incertitude intellectuelle… » mais aussi « il se trouve que cet étrangement inquiétant est l’entrée de l’antique terre natale du petit d’homme, du lieu dans lequel chacun a séjourné une fois d’abord » (Freud S., 1919)
6 Ce questionnement où se conjuguent avec une certaine violence des exigences du dehors et du dedans, m’a semblé induire un mouvement de déconstruction de la représentation de la paternité ou de la maternité en référence à deux types de processus explicatifs reliés à des savoirs ou à des modes de connaissance différents.
DEUX TYPES DE PROCESSUS EXPLICATIFS
7 Le premier mode concerne des modèles de type processus primaire où sont présents ou presque présents à la conscience, des éléments proches des pensées ou représentations inconscientes, primitives. Avoir un enfant, c’est faire comme papa et maman, se reproduire, se prolonger et au fond on ne sait pas grand-chose de comment cela arrive, sauf, et encore, que c’est une conséquence des rapports sexuels. Dans ce processus sont présents des représentations de l’enfant, plus ou moins identifié aux souvenirs et aux images que l’on a de soi-même, de ses frères et sœurs éventuels, de l’empreinte de l’enfant merveilleux ou idéal que l’on porte en soi. Cette première série de représentations cohabite avec une deuxième série explicative qui rassemble des pensées plus secondarisées relatives aux connaissances plus tardives et plus liées au jugement, stabilisées dans l’âge adulte. Ces représentations entremêlent savoir sur la conception, savoir sur la contraception, savoir sur l’embryon et savoir sur le patrimoine génétique, sa filiation et sa transmission.
8 Dans le champ qui s’ouvre aux patients que nous rencontrons, a priori normalement névrosés mais pas plus, l’annonce de l’incapacité, féminine ou masculine, à procréer, pulvérise et remanie ces divers niveaux de connaissance dans et par l’histoire singulière de chacun. Il leur faudra alors reconstruire, sous la poussée de ces remaniements, des chaînes de représentations qui permettront d’intégrer les nouveaux éléments issus des données scientifiques, diagnostiquant et nommant la cause de l’impossibilité de procréer dans les conditions habituelles.
9 Car, en effet, si ces patients désirent un enfant qui soit porté et accouché par le ventre de la mère, c’est que la grossesse fabrique, pour eux des contenus psychiques ou même physiologiques transmissibles à cet enfant.
10 Par exemple, pour les femmes stériles : cet enfant porté dans mon ventre à l’aide des ovocytes d’une autre femme sera-t-il mon enfant à part entière ? Pour les hommes stériles : cet enfant conçu avec du sperme de donneur sera-t-il mon enfant, si c’est ma femme qui le porte dans son ventre et que nous le nourrissons de notre amour pendant ce temps et que je l’élèverai avec elle ? Ce ne sont là que quelques exemples de ce qui peut se poser plus ou moins brutalement à ces patients. C’est là que les théories sexuelles infantiles et l’histoire personnelle vont jouer leur rôle d’organisatrices de sens et de tissage subjectif entre les connaissances de la première série et les connaissances de la seconde.
11 Il nous a semblé que la représentation de la dimension génétique s’effaçait, à ces moments, au profit de l’affect, des auto-théories et des inscriptions intersubjectives libidinalisées. Le passage de la première série de connaissances à la seconde se fait en général, à l’aide d’une construction mythologique et dans ce cas la technologie et ses grands prêtres viendraient en lieu et place des mythes religieux. On peut se poser la question de leurs effets sur l’inscription sociale des sujets dans ces modalités de transmission des parents à cet enfant qui leur est génétiquement étranger pour moitié, dans le cas du don de gamètes, ou complètement dans le cas du don d’embryon (Weil E. et co. 1994, Weil E., 2004).
DE LA CIGOGNE À L’ÉPROUVETTE…
12 La FIV ou bébé éprouvette, terme générique de toutes les PMA induit des niveaux de connaissance et de causalités hétérogènes car dans la Fécondation In Vitro, l’embryon – le bébé, se fabrique en dehors du corps mais à partir des produits – gamètes sexuels des parents –sperme et ovocyte– puis l’embryon ainsi créé va être replacé in vivo dans le ventre de la mère pour se développer, grandir, s’accrocher, en sortir et vivre. La grossesse permet un processus d’appropriation et efface, le plus souvent, le in vitro.
13 Qu’est-ce que ce savoir change et change-t-il fondamentalement quelque chose aux théories sexuelles fantasmatiques infantiles pour les populations concernées ?
14 Une petite fille de 8 ans qui vient d’avoir un petit frère et à qui je demandais si elle savait comment naissent les enfants me dit : « oui, le papa met son zizi dans la zézette de la maman et voilà, et puis maintenant je n’ai plus envie d’en parler, sur un ton à la fois gêné et agressif. « je sais bien », ce que mes parents m’ont raconté mais la gêne agressive ainsi exprimée est probablement porteuse de la dimension sexuelle incompréhensible et non maîtrisable ainsi que du conflit créé par rapport aux parents. « Je sais bien mais quand même ». (Mannoni O., 1969)
15 Je me suis demandée si aborder le sexe et les parents dans la même séquence temporelle ne gênait pas cette petite fille comme cela peut être le cas pour les patients qui demandent de l’aide aux praticiens des PMA et qui doivent aborder leur demande, leur désir et les justifications à ce désir. Cette demande se complique du fait que c‘est d’un couple composé de deux sujets différents, avec des histoires différentes et peut être des théories sexuelles différentes qu’il s’agit. Deux sujets dont l’un peut être fertile et l’autre stérile, à moins, et cela arrive, qu’ils ne le soient tous les deux ou du fait de leur rencontre hypofertile. Le langage dans lequel répondent les formulations techniques médicalisées : diagnostic, taux de ci, dosages de ça, J-1, J-2 J-3 ou J-4, peut permettre aux patients de se dégager, à ces moments, des implications sexuelles de leur demande pour laisser, dans le silence ou le refoulement, leurs fantasmes inconscients et leurs théories sexuelles infantiles. Les patients qui demandent un enfant à l’aide de la médecine ne se retrouveraient-ils pas dans une situation de petit enfant démuni contraint de fournir des explications pour ses désirs aux grands pour avoir l’autorisation de faire comme eux et pouvoir jouer à papa maman ?
16 Dans nos sociétés, il faut noter que la position des grands, à leur égard est globalement bienveillante, puisque, la Sécurité Sociale, par exemple, notre mère à tous, prend en charge les tentatives de FIV, à concurrence de quatre, comme un traitement thérapeutique.
17 Tout au long de la prise en charge dans le cadre des PMA se construit une déconstruction des représentations ordinaires de la conception et un nouvel assemblage des idées qui lui sont liées. Dans ce mouvement, un seul état semble rester relativement stable et inchangé, celui des 9 mois de la grossesse. Et cela reste toujours le cas, même quand l’embryon porté dans le ventre de la mère n’est issu ni de sa filiation génétique ni de celle de son mari et quelquefois d’aucun des deux. C’est cet éprouvé de la grossesse qui justifie, dans le discours des patients infertiles, à travers les riches qualifications des échanges fœtaux placentaires ainsi que des interactions précoces, le recours à tous ces agencements génétiques hétérogènes. La métaphore de la grossesse comme travail de gestation et comme lieu originaire actif, qui transforme l’embryon étranger en un enfant est toujours très investie par les femmes et leurs compagnons (Weil E., 1993) Dans les dons de gamètes, c’est souvent de la métaphore d’un don de grossesse possible, plutôt que d’un don de gènes, dont les patientes font état. Sinon, on peut, bien sûr, toujours adopter, s’il s’agit d’avoir un enfant, mais ceci est une autre histoire, une autre transmission.
18 J’ajouterais sur ce thème un mot sur les femmes et hommes fertiles, partenaires associés indispensables des PMA qui font don de leurs gamètes pour les traitements des stérilités que je vous ai présentées. En effet, ce don de cellules d’un humain à un autre ou à un groupe est toujours nécessaire et chaque culture le réglemente à travers des lois particulières de bioéthique : gratuité, anonymat, âge des uns et des autres etc.
19 Ces femmes ayant fait la preuve de leur fertilité, donneuses de gamètes sont traitées dans les structures hospitalières pour le recueil de leurs ovocytes qui, en France, en tout cas, pour le moment, restent génétiquement anonymes. On peut noter qu’elles expriment toujours que l’ovocyte n’est pas un enfant ; l’enfant, c’est celui qui est fabriqué par le sperme du père, nourri par le ventre de la mère, l’amour et le désir des parents. Mais pourtant, elles reconnaissent qu’elles donnent quelque chose de nécessaire, une étincelle cellulaire qui permettra peut-être, aux femmes receveuses, d’être enceintes et d’accoucher. Ces femmes fertiles ont croisé, dans un premier temps, la stérilité de leurs sœurs, cousines, collègues ou amies ; si elles décident de donner leurs gamètes elles vont devoir rencontrer l’équipe médicale et psychologique. Elles seront donc contraintes, elles aussi, du fait de ces rencontres, à reconsidérer et à interroger leurs ressentis, leurs croyances, leurs rapports aux lignées parentales et à leurs propres fantasmes générationnels, souvent peu explorés jusque-là. Dans ce cheminement qui peut prendre un temps assez long, du fait des examens et diagnostics nécessaires, elles sont à la fois accompagnées et sollicitées par les équipes médicales, et les psy, qui re-questionnent avec eux leur histoire, leur choix et les positions reflétant ces nouvelles accessions à la possibilité de devenir mère et parents sans oublier le poids des lois. Le don de leurs gamètes contraint les donneuses, toutes déjà mères, dans nos protocoles, à déconstruire, elles aussi, et à contextualiser ce qui leur a paru aller de soi et être le plus naturel au monde « avoir un enfant », avec le cortège narratif singulier de chacune, à propos de ce moment qualifié souvent de « plus heureux de leur vie. » (Klein M., Langer M., 1958)
20 L’ambivalence, les projections et les identifications successives ne sont, bien entendu, pas absentes du champ de nos entretiens et les questions qui se posent dans l’espace relationnel dans cette situation de PMA entre le tiers institution et eux.
LE DON DE DON
21 Dans un travail réalisé à l’hôpital Tenon dans le cadre d’une recherche financée par l’agence de Bio Médecine, je reçois pour un entretien obligatoire les couples qui choisissent de donner les embryons qui leur restent à l’issue des FIV subies, à d’autres couples infertiles pour ce qui est nommé « accueil » par la loi. Dans le cas où ces embryons ont résulté d’un don de gamètes, sperme ou ovocytes, la proportion de ceux qui choisissent de les donner à un autre couple est largement plus élevée que dans les cas où l’embryon est issu des gamètes du couple. On pourrait en conclure alors qu’il est plus facile de donner ce qui ne vous appartient pas ou qu’un certain désinvestissement a pu s’opérer pour un embryon qui n’est pas issu dans son entièreté des gènes parentaux. Toutefois, ce n’est pas cette configuration qui se dessine dans les entretiens avec ces patients, mais plutôt un mouvement lié à cette déconstruction des représentations courantes de la filiation que j’évoquais. En effet, ces patients, qui, pour la plupart sont, depuis longtemps en traitement pour leur stérilité, ont été soumis – se sont soumis – à des processus de questionnement de leurs théories implicites et, sans doute, à des transformations, si minimes soient-elles, de celles-ci. En s’engageant, quelquefois malgré eux, dans ce mouvement de déconstruction-reconstruction, les différents niveaux de savoirs-première série, deuxième série, constitués jusque-là, se défont et se remanient jusqu’à mettre en place une certaine continuité dans les mécanismes du don. Cela pourrait s’énoncer ainsi a- du point de vue de la femme : puisque j’ai reçu quelque chose dont j’ai eu besoin pour être enceinte et accoucher d’un enfant, un vrai enfant vivant et, b - du point de vue de l’homme : pour que ma femme puisse être enceinte et porter mon phallus dans son gros ventre, je reconduis et je répète, cette aventure, en permettant, à mon tour, à un autre couple de s’inscrire dans cette entreprise. Une communauté de don médicalement assisté s’organise ainsi qui permettra de surcroît l’allégement du sentiment d’extra-territorialité et d’extravagance de cette pratique. Les futurs parents déclarent souvent : « dans quelques années, quand nos enfants seront grands, ces techniques seront si répandues et courantes que les enfants en discuteront et en riront dans les cours de récréation des écoles en se demandant, et toi tu es né comment ? ». (Weil E. et co, 1994)
22 Le rire semble une bonne défense contre l’angoisse pour qu’elle puisse rester légère et partagée. À la cigogne, aux choux et aux roses semblent s’être substituées, dans nos sociétés occidentales l’image iconique du ventre de la mère et de sa grossesse montrée et parée d’ornements. Cette image peut même devenir la vedette de photos et de films destinés à figurer dans les albums des futurs enfants issus de cette grossesse. Cela est sans doute plus manifeste pour les femmes à qui leur destin génétique ne permettait pas cet état et, par exemple, une femme demandeuse d’un don d’ovocytes me dira : « le don d’ovocytes est ce qui pourra permettre à mon enfant me voir enceinte de lui, ce sera bien évident alors que je suis sa mère, la mère qui l’a portée, sa mère « certissima ». Le gros ventre honteux d‘antan se serait-il mué en un gros ventre exhibé, victorieux, garant de « je t’ai porté dans mon ventre, tu es donc mon enfant désiré et aimé ». Les représentations à caractère épigénétique, aux dépens du génétique, dans ces cas-là, s’expriment dans le discours des futures mères sous la forme de : « je pourrais nourrir cet enfant avec mon désir, mon sang, mon amour, mes émotions pour qu’il se développe et naisse sereinement » ; elles semblent même anticiper les connaissances nouvelles des sciences du vivant dans le domaine de la transmission épigénétique.
CLINIQUES DU DON
23 M. et Mme G sont demandeurs d’un accueil d’embryons. Ils ont 40 et 38 ans ; mariés depuis six ans, ils ont souhaité avoir un enfant dès leur mariage et leur parcours médical dure depuis lors. Il s’est avéré que la fertilité de M.G était déficiente et a été traitée sans succès ; à cette occasion, M.G. apprend, quand son père lui montre les examens médicaux conservés depuis plus de 30 ans, que celui-ci a eu les mêmes difficultés, moins sévères puisqu’il a pu avoir deux enfants, le patient et son frère. Ce frère n’a pas d’enfants et on ne sait pas s’il est porteur du même déficit. Le gynécologue que consulte Mme G. l’adresse alors à son fils, également gynécologue et praticien des PMA. C’est ce médecin qui les suivra pour un accueil d’embryons, après échec de FIV, car le temps a passé et la qualité ovocytaire de Mme G a diminué.
24 Tous deux ont le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance en rencontrant les bons médecins et j’ai le sentiment, qu’à partir de ceux-ci, s’est organisée une filiation où la généalogie offerte par ces médecins vient en lieu et place de celle, déficiente du mari,
25 L’offre de don d’embryon a été faite par les médecins, en raison de la mauvaise qualité des ovocytes, et ce corps médical, personnalisé par le père et le fils, gynécologues, est très investi libidinalement ; ce sont ces médecins qui vont leur permettre de réaliser leur désir d’enfant.
26 Mme G. me dit qu’avoir un enfant est essentiel pour elle et que peu importe d’où proviennent les gamètes qui l’ont permis : ovocyte, sperme ou embryon –à condition que les médecins en soient garants sur le plan de la qualité. La part génétique n’a pas d’importance me dit-elle, « ce qui compte, c’est la grossesse et que leurs enfants n’aient pas à vivre le même difficile parcours qu’eux ». Tous deux sont d’accord pour affirmer que ce sera leur enfant, parce que le désir, l’amour et l’éducation qu’ils lui donneront. « 9 mois d’embryon, 40 ans de vie partagée » exprime M. G, et c’est pour ce lien fort des 9 mois qui influe sur la suite des 40 ans, que la grossesse est si importante.
27 Personne dans leur entourage n’est au courant de ce don ; il n’y a rien à dire puisque la grossesse rendra cette parentalité vraisemblable et ordinaire. M. et Mme G pensent qu’il vaut mieux ne rien dire, car si en vieillissant, leurs parents perdaient la tête, ils pourraient raconter n’importe quoi, par exemple, que leur petit enfant est un embryon étranger... L’enfant à venir est déjà inscrit dans leur vie et leur ascendance : et même, si ces parents seront atteints de la maladie d’Alzheimer…
28 Dans leur discours, aucune référence n’est faite aux donneurs ; ce qui compte, c’est de pouvoir éduquer leur enfant, et c’est comme ça que M.. G estime qu’il deviendra père. Quant à Mme G, le déroulement de cette grossesse doit apporter à l’embryon, sérénité, développement et un bon environnement. Ce programme de grossesse est la première étape de son rôle de mère et de la continuité renforcée, de son identité féminine.
29 Personne, donc n’est au courant du mode spécifique de cette PMA, mais du fait de ses absences répétées au travail, la supérieure hiérarchique de Mme G. a dû être mise au courant. Le couple exprime que cette femme l’a peut être d’autant mieux accepté, qu’elle même vient d’avoir un premier enfant à 47 ans ; ils ne savent pas à l’aide de quelle technique mais supposent que c’est par PMA. Cette contextualisation de leur démarche nous semble représenter une inscription importante dans la culture de notre société.
30 Les PMA ont conforté et installé d’une manière particulière, un espace « sacré » de la grossesse puisque c’est cette grossesse et son déroulement conforme qui signent la transformation fondamentale, à savoir que les parents stériles sont devenus fertiles, que l’enfant sera leur, même si les rencontres génétiques sont très modifiées par rapport aux transmissions habituelles. L’agencement interne est modifié mais le passage par le ventre maternel donne le certissima qui permet que la théorie sexuelle infantile primitive soit conservée : c’est du ventre de la maman que vient le bébé et on a le sentiment que c’est dans ce temps de la grossesse que vont se transmettre des éléments fondamentaux des fantasmes parentaux.
31 Comment l’enfant entre, comment il en sort semblent secondaires dans ce contexte. Bain de langage, d’émotions, d’amour et de désir constituent cette grossesse comme espace sacré du séculier Julia Kristeva (2010), celui où l’identité de mère est montrée, peut même être exhibée et fait le lien avec la mère fertile qui a porté cette femme, car en effet se rejoue la connaissance que tout être humain est nécessairement sorti d’un ventre maternel, même si cela est toujours aussi difficile à se représenter. La grossesse fabrique l’enfant et la généalogie où les patients peuvent retrouver leur place de chaînon de transmission. Cela se passe généralement, également, ainsi pour les hommes stériles qui deviennent pères au moyen d’un don de sperme.
32 Bella, 32 ans, est donneuse d’ovocytes pour Suzanne, son amie d’enfance.
33 Son mari et elle se sont mariés à 20 ans et ils ont maintenant 3 enfants de 10, 7 et 5 ans. Bella, qui tient un commerce avec son mari, s’occupe énormément de ses enfants pour qu’ils soient « presque » parfaits. La receveuse est son amie d’enfance, elles ont toujours été proches et quand Bella a vu une émission à la télé sur le sujet elle avait pris l’initiative de demander à son amie si ce n’était pas une solution pour elle. Quelque temps après, quand son amie lui a demandé si elle serait d’accord pour donner ses ovocytes, elle a répondu oui sans hésiter, car Suzanne le mérite vraiment. Elle-même n’aurait jamais pu construire sa vie sans enfants, qui pour elle, en représentent le sens. Ses parents, beaux-parents et la famille de la receveuse sont au courant de son don, avec l’accord de Suzanne. Bella reconnaît ne pas avoir une représentation très précise de ses ovocytes ; c’est ce qui permet de concevoir un enfant mais ce qui compte c’est d’aider Suzanne. Connaissant cette dernière, elle pense qu’elle le racontera à l’enfant, sans qu’elles n’en aient jamais parlé ensemble.
34 Dans son discours, « les ovocytes viennent du cœur » est une localisation anatomique qui revient souvent dans chez ces femmes et qui symbolise la primauté des liens affectifs qui existent entre elles. À son insu, cette localisation reprendrait-elle l’un des mythes de la conception virginale par Marie, à savoir par l’oreille pour aller dans le cœur ?
35 L’anonymat ne gêne pas Bella puisque c’est la loi, mais il lui semble qu’elle aurait également pu donner directement puisque de toute façon elle a une relation très forte à la receveuse.
36 L’aide qu’elle apporte à son amie se dédouble en deux séquences :
- la première est le don qu’elle fait au couple de ses amis receveurs qui leur permettra peut-être d’avoir un enfant, comme elle-même.
- la deuxième pour une autre femme stérile ou un autre couple qui leur ressemble et qui recevra ses ovocytes dans une transmission, cette fois, uniquement génétique.
38 De la cigogne venue d’un ailleurs, hors des corps sexués, à la conception dans l’éprouvette in vitro qui va amener l’embryon à se développer, in vivo, dans le ventre maternel, le chemin parcouru par les praticiens et utilisateurs des PMA est un condensé de la trajectoire aléatoire des théories sexuelles infantiles. Nous pouvons y retrouver également l’infantile des cultures et, aussi, un travail de culture, dans la mesure où ces avancées technologiques mettent en jeu les représentations qui constituent les transformations des savoirs d’une société. Mais au-delà de ces constructions et représentations, théories sexuelles et fantasmes originaires, l’énigme des origines ou l’énigme de l’origine de la vie ne saurait elle demeurer qu’énigmatique, même si elle s’ancre et s’enracine dans le ventre de la mère ? Transmettre la vie, l’histoire de leur désir, de leur imaginaire de parent est au cœur de cette quête.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Théories sexuelles infantiles et infertilité, Procréations médicalement assistées, Transmission psychique et fantasmes, Consultation thérapeutique obligatoire
Mise en ligne 01/03/2012
https://doi.org/10.3917/cpsy.060.0027