Couverture de CPSY_053

Article de revue

Cabinet de lecture

Pages 181 à 188

Notes

  • [1]
    Freud S., Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Paris. Gallimard, collection « Connaissance de l’inconscient ». 1986
  • [2]
    Lacan J, Hommage fait à Marguerite Duras du ravissement de Lol V. Stein. Ornicar. 1985. p 9 Psychologue clinicienne au CHG Robert Ballanger, Unité Thérapeutique d’Accueil Familial Adulte ; équipe de T. Trémine. Membre du laboratoire de C. Dejours au CNAM Paris.
  • [3]
    Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris. Seuil. 1973. p. 8.

Éloge des pères Simone Korff-Sausse Éditions Hachette Littératures, 2009

1Après Plaidoyer pour l’enfant roi , Simone Korff-Sausse continue dans L’éloge des pères à déconstruire les images manichéennes que notre société, en mal d’avenir et déjà loin de ce que nous pourrions appeler société classique, nous propose de la famille, pères, mères et enfants. L’enfant, précipité trop tôt dans des familles décomposées / recomposées qui n’offrent plus les repères stables d’antan, entré dans un monde d’adultes qui n’entendent pas les causes profondes de sa souffrance, s’exprime par de la violence et des revendications de satisfaction immédiate. Mais ses exigences répondent souvent à celles, contradictoires, des parents qui lui demandent de satisfaire leur narcissisme et n’acceptent pas eux mêmes le retard à la satisfaction de leurs désirs. Confrontés à des situations nouvelles, les enfants ont créé de nouvelles façons d’être et d’agir.

2Si, d’après Simone Sausse, les enfants ne sont pas si rois que ça dans le monde en perpétuel remaniement où nous vivons, les pères ne sont pas non plus aussi absents et démissionnaires qu’on veut bien le dire. Tout se passe comme si, après avoir déboulonné l’autorité du pater familias qui tenait sous sa coupe femme et enfants, nous ne pouvions nous satisfaire des images différentes que nous renvoient les « nouveaux pères ». Jusqu’aux professionnels qui les trouvent insuffisamment présents auprès de leur enfant en difficulté, dont on se demande s’ils éprouvent vraiment la conviction qu’ils en ont besoin. On découvre pourtant que la filiation paternelle, ce qu’un père transmet, inconsciemment et à son corps défendant, venant de la relation qu’il a eue avec son propre père, est aussi important que ce qui se transmet de mères en filles, ce à quoi l’on prête attention depuis longtemps. À l’heure actuelle, dit- elle, les hommes se veulent libres, mais « la conquête de la liberté par les pères dans l’exercice de leur paternité risque de défaire le fondement anthropologique et l’indéfectibilité du lien parent/enfant sans lequel il n’y a ni sécurité, ni continuité pour ces derniers ». Reste à comprendre comment, pourtant, le modèle abstrait, structurant de la filiation, s’incarne dans le monde que l’on croyait devoir rester l’apanage des femmes, celui où la sensorialité est au premier plan du rapport parent/enfant. Toutes le nouveautés, depuis les exceptions que constituent les différents modes de procréations assistées, jusqu’à ce qui devient la règle, les familles décomposées/ recomposées, dérogent aux modes traditionnels de filiation selon lesquels seules les mères pouvaient dire qui était le père. Elles fragilisent les repères identificatoires de la paternité… et par là même l’image intouchable de la mère d’autrefois. Particulièrement intéressantes sont les dernières réflexions de Simone Sausse sur ce statut : – « le devenir-père engage le féminin/maternel chez l’homme », – « le devenir-père engage l’identification au père » ; « une double identification à son propre père : d’abord une identification œdipienne, (identification active, masculine : devenir comme le père), mais aussi une identification plus archaïque, (identification passive, féminine qui, dit-elle, suivant en cela Freud puis Mélanie Klein, permet de recevoir le pénis paternel, source de fécondité), l’identification homosexuelle au féminin paternel. » Mais s’agit-il bien de cela ? En relisant le texte de Simone Sausse, je retrouve les interrogations que me posent de longue date les théories de Freud et Mélanie Klein. L’omniprésence de la sexualité infantile, versus génitalité, serait à la source de toutes les représentations du monde, de l’autre et de soi. Si, à l’évidence, certains rêves, certains fantasmes psychotiques y invitent, cet aspect des choses ne doit-il pas être englobé dans une construction plus complexe de l’identité, où le corps à corps renvoie à autre chose que ce sexuel là ? Quand une mère jubile avec le bébé à qui elle donne son bain, le roule dans sa serviette pour le sécher et l’embrasse sur tout le corps avant de le rhabiller, est-on bien en présence d’une histoire pénétrant /pénétré qui anticipe sur la génitalité, bien longtemps encore hors de connaissance pour l’enfant ? Et quand le père joue de la même façon avec son enfant, reprenant à son compte ce qui a sans doute été joué avec lui, bébé, usurpe-t-il un rôle féminin ? Dans son étude sur les aspects multiples des pulsions de tendresse et de cruauté, Dominique Cupa qui se coule dans les théories traditionnelles, développe pourtant la question de la séduction tendre originaire. « Si elle n’est pas trop empreinte du narcissisme maternel, elle aménage un espace sans confusion entre les êtres, un espace de complicité, de connivence qui allie le souci de l’autre et le souci de soi » (p103), espace entre deux nécessaire à construction de soi. La mère tendre soutiendra le deuil de la relation primaire, lorsqu’il faudra affronter la perte de cet objet maternel. « La passivité comme composante de la tendresse est à comprendre (…) comme réceptivité, accueil, attente qui serait le propre de la féminité que l’homme partage avec la femme. » Et, dans sa conclusion, D. Cupa rappelle la fonction traumatique, désorganisatrice, d’expériences de détresse psychique par excès ou absence de contenance, d’étayage de l’environnement psychique primaire, de manque de tendresse. Elle parle alors d’« homosexualité primaire », (oubliant qu’il s’agit d’hétérosexualité dans les rapports mère/fils).

3Depuis le début de la psychanalyse, on associe passivité, réceptivité à féminité, (tant qu’on fait abstraction de la bisexualité, ce qui serait un tout autre débat). Il me semble qu’il y a un hiatus dans le raisonnement qui y mène. Au départ, le plaisir du bébé est de recevoir passivement le sein et l’amour de sa mère. Cette satisfaction pulsionnelle sert d’appui, chez la fille, à une passivité, réceptivité, tant génitale que comportementale, pendant qu’elle développe son complexe d’Œdipe et le dépasse à l’adolescence, ce qui la mène à une féminité épanouie. Mais le garçon, parallèlement à l’identification active, phallique à son père, garde quelque chose de l’attachement passif originaire, qu’il peut retrouver quand il devient père, dans le corps à corps avec son bébé. Cela n’implique pas, me semble-t-il, qu’il s’agisse d’un féminin du père. (Par contre, le fait que cette composante relationnelle ait été rejetée pour donner corps aux marqueurs de la virilité, vient bien de ce que cette image renvoie dans la société en général à une image de féminité, qui gène pour l’accepter comme composante de la paternité.) Ce qui est à gagner dans l’évolution des rapports familiaux et la distribution des rôles masculin et féminin, n’est donc pas, pour moi, l’acceptation du féminin en l’homme, mais une reconnaissance que la tendresse et le recours à la relation tendre initiale, sont une nécessité relationnelle et identificatoire pour l’enfant, en même temps qu’un droit pour l’homme comme pour la femme.

4Marie-Claire CÉLÉRIER

L’originaire dans la création ou comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte ? Suzanne Ferrières-Pestureau ABC IDE, 2008, ISBN 978-2-91620-00-7

5C’est le sous-titre de l’ouvrage de Suzanne Ferrières-Pestureau, psychanalyste, « comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte », qui indique le chemin où elle nous amène, comme un voyage qui va nous faire revisiter plusieurs œuvres, d’une manière très enrichissante, grâce à l’immense culture de l’auteur et sa capacité à développer des théorisations sur la création artistique. Suzanne Ferrières-Pestureau est psychanalyste, membre participant au Quatrième Groupe, et auteur de La métaphore en psychanalyse (1994), ainsi que d’Une étude psychanalytique de la figure du ravissement dans l’œuvre de M. Duras, naissance d’une oeuvre, origine d’un style (1997), publiés à L’Harmattan. Tout au long de ce nouvel ouvrage, c’est la dimension originaire de la création que Suzanne Ferrières-Pestureau va explorer d’abord en revisitant la théorie freudienne, ainsi que celle d’autres auteurs, puis en confrontant ses développements théoriques à l’oeuvre de certains artistes. Après Freud, qui a dit que la psychanalyse n’avait pas grand chose à dire de l’art, malgré les quelques textes remarquables qu’il a consacrés à la question, le champ de la création artistique s’offre aux psychanalystes à la fois comme un terrain ouvert, à défricher, mais aussi comme une zone interdite (gare à la psychanalyse appliquée, de très mauvaise réputation ! ), Suzanne Ferrières-Pestureau reprend la question de fond en comble en retraversant toute l’œuvre de Freud sur les processus de création artistique, mais surtout en proposant de nouvelles hypothèses qui s’appuient particulièrement sur les concepts de Piera Aulagnier.

6Les rapports de Freud avec l’art constituent surtout une tentative de confirmer ses idées tout au long de sa construction de la théorie psychanalytique à partir des données cliniques, en osant une affinité entre le névrosé et l’artiste, plutôt qu’une théorie de la création artistique.

7Suzanne Ferrières-Pestureau revisite ces grands textes freudiens qui ont un rapport à la création artistique, Léonard, L’Homme aux Loups, La Gradiva, Freud lui-même sur l’Acropole, en montrant que cette théorie freudienne, et en particulier le concept de la sublimation, sont insuffisants pour rendre compte de l’art moderne.

8L’hypothèse de Suzanne Ferrières-Pestureau qui traverse tous les chapitres et constitue le fil rouge de son ouvrage est que l’activité pictographique, représentant psychique des excitations corporelles, est un agir mental, une gestualité négative qui est réalisation hallucinatoire d’un désir autoérotique. Il s’agit d’un travail de symbolisation primaire par lequel la psyché se présente l’expérience antérieure en la transférant hallucinatoirement dans un objet matériel perceptible. Ainsi pour la Joconde, il s’agirait, d’après Suzanne Ferrières-Pestureau, d’effets hallucinatoires d’une imago archaïque, ayant échappé à l’introjection, c’est-à-dire à la phantasmatisation. C’est de cela que témoignerait le sourire énigmatique de Mona Lisa.

9C’est dans un après-coup que les effets d’une inscription originaire qui n’a pas été élaborée en fantasme, pourront se structurer en œuvre d’art. Ces effets hallucinatoires sont ressentis au départ par le créateur comme fragmentés et étrangers, puis ils seront contenus et intégrés à la faveur du geste créatif.

10Ces traces, au-delà du principe de plaisir, traces de l’expérience traumatique primaire clivé, vont être soumises à l’exigence de la figurabilité et réinvesties sur le mode hallucinatoire. C’est ainsi que se dessine l’idée que l’hallucinatoire (et ici l’auteur fait référence à l’œuvre de C. et S. Botellla) est une voie de passage vers la création. Suzanne Ferrières-Pestureau propose un cas clinique, celui de Sabine, qui montre au plus près ce passage. C’est une très belle saisie clinique de l’émergence du moment créatif dans le processus d’une cure, qui montre comment des éléments sensori-émotionnels qui ont échappé à la symbolisation reviennent sous une forme hallucinatoire et fondent le geste créatif de l’artiste.

11Après la clinique, ce sont les artistes qui permettent à l’auteur d’illustrer ses hypothèses, avec Cézanne et Munch. La Montagne Ste. Victoire, revisitée par Cézanne sans cesse, sans résolution possible, est emblématique de cet espace originaire. Les artistes évoquent un moment de dessaisissement, effet de la rencontre entre un objet externe, dont le représentation fait défaut dans la psyché et le surgissement d’un affect lié à une expérience traumatique inélaborable psychiquement, provoquant un moment quasi-hallucinatoire, dont Suzanne Ferrières- Pestureau montre qu’il peut être soit source de création, soit (ou alternativement) cause d’une passivisation dangereuse et menace de déliaison, ce qui apparaît chez Munch avec son célèbre tableau « Le cri ». Suzanne Ferrières-Pestureau nous raconte le récit passionnant de Munch qui rapporte comment l’hallucination du cri inaugure le geste créateur, en rapport avec le deuil impossible de la mère.

12Disons tout de suite que là encore Suzanne Ferrières-Pestureau nous offre un haut niveau d’élaboration théorique et métapsychologique, qui vise à dégager une théorie des processus de création artistique à partir des œuvres plutôt qu’à proposer un nouveau regard sur les œuvres ou une nouvelle compréhension de la personnalité de l’artiste. Tel n’est pas son propos. Avec une approche très métapsychologique, en soutenant avec rigueur un point de vue psychanalytique, l’auteur nous donne plus une théorie du tableau qu’une vision du tableau. Et c’est peut-être un regret qu’on ressent à la lecture de cet ouvrage, c’est la prédominance de la théorisation au détriment d’un regard sur l’œuvre, une expérience esthétique plus intuitive. Ce qui pose la question plus générale de savoir ce qu’est écrire sur l’art… De la part d’un auteur psychanalyste de surcroît : s’agit-il de donner à voir ? De révéler ? D’expliquer ? Au risque, dans le fil de Freud, de se servir des œuvres d’art pour illustrer des concepts psychanalytiques ? Mais aussi de montrer, comme le fait largement Suzanne Ferrières-Pestureau, que l’analyse des œuvres d’art permet d’enrichir nos conceptualisations psychanalytiques, et ici en particulier les concepts de l’originaire et de l’hallucinatoire tels qu’ils apparaissent dans la création artistique. Les deux peintres choisis et commentés par Suzanne Ferrières-Pestureau permettent de montrer que, dans l’art moderne, le vécu sensori-moteur qui fonde le geste artistique n’est pas relié à une représentation de la réalité mais aux traces mnésiques antérieures à la distinction sujet/objet, marque de la rencontre originaire avec les choses avant qu’elles ne soient constituées comme objets de connaissance. La théorie de Suzanne Ferrières-Pestureau paraît donc très inspirée par la théorie de l’originaire de Piera Aulagnier, dont cet ouvrage constitue une belle prolongation dans le domaine de l’art.

13Simone KORFF-SAUSSE

Coquelicots sous l’orage Gisèle Harrus-Révidi

14On connaît bien l’affirmation de Freud : « les poètes et les romanciers connaissent entre ciel et terre bien des choses que notre sagesse scolaire ne saurait encore rêver ». Dans sa Gradiva [1], il allait même jusqu’à reconnaître que la description de la vie psychique de l’homme est le domaine le plus spécifique de l’écrivain. Lacan [2], à sa suite, affirme quant à lui que l’artiste s’avère « savoir sans la psychanalyse ce que celle-ci enseigne ». C’est à ce périlleux saut entre psychanalyse et littérature que Gisèle Harrus-Révidi s’essaye. Non pas en herméneute savant mais en tant qu’artiste même. Ces huit nouvelles satisfont tant les amateurs de belles lettres que ceux qui s’intéressent à la chose psychanalytique. Loin d’être des « cas cliniques », Gisèle Harrus-Révidi nous livre des récits de vie et d’expériences, non pas recueillis sur le divan mais dans la vie ordinaire. Elle évite deux écueils : le récit de cas et l’analyse sauvage. L’amateur de nouvelles littéraires ne pourra pas s’y tromper. Gisèle Harrus-Révidi ne s’intéresse aucunement à la psychopathologie ni même aux «  mécanismes qui fond l’édifice inconscient »  [3]. Elle nous livre des histoires de vie qui laisse celui qui y prête attention sidéré c’est-à-dire dans l’incapacité de les penser. Des personnes ordinaires auxquelles arrivent des histoires extraordinaires. Nous voilà plongés dans l’extra-ordinaire quotidien… Écrites dans un français exemplaire, ces nouvelles ont un fil conducteur : l’irruption de l’impensable et de l’extraordinaire dans la banalité de nos vies quotidiennes. Sans doute l’auteur de nouvelles et le psychanalyste ont ce goût pour les histoires simples et banales mais qui prennent une toute autre dimension lorsqu’elles passent par la mise en récit d’un autre… Flaubert ne nous contredirait pas sans doute… Cette entreprise a également pour intérêt de démystifier la figure du psychanalyste empreint d’une aura qui fascine aujourd’hui autant qu’elle angoisse car, forte de sa propre expérience, Gisèle Harrus-Révidi, nous dépeint également la difficulté et la richesse du travail de psychanalyste. Elle ne traite pas ces histoires de vie comme des cas cliniques mais grâce à la mise en scène du psychanalyste et par le registre littéraire qu’elle choisit, elle nous rend compte de la quintessence du travail de ce dernier.

15Alors le psychanalyste : une femme comme les autres ?

16Frédérique DEBOUT


Date de mise en ligne : 01/10/2009

https://doi.org/10.3917/cpsy.053.0181

Notes

  • [1]
    Freud S., Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Paris. Gallimard, collection « Connaissance de l’inconscient ». 1986
  • [2]
    Lacan J, Hommage fait à Marguerite Duras du ravissement de Lol V. Stein. Ornicar. 1985. p 9 Psychologue clinicienne au CHG Robert Ballanger, Unité Thérapeutique d’Accueil Familial Adulte ; équipe de T. Trémine. Membre du laboratoire de C. Dejours au CNAM Paris.
  • [3]
    Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris. Seuil. 1973. p. 8.

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