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Article de revue

Traumatisme précoce et pédophilie : un cas de brûlure symbolique

Pages 105 à 116

1Dans l’histoire de la psychanalyse, S. Freud s’est d’abord appuyé sur le potentiel heuristique du cas, dans sa singularité, pour donner vie au corpus théorique que fut son œuvre. Comme la passerelle du normal au pathologique s’inscrit dans un aller et retour aux limites parfois floues, cette dimension heuristique donne à chaque cas un potentiel de savoir généralisable, par entrecroisement de fils théorico-cliniques convergents. Un autre aspect de la méthode freudienne est celui qui consiste à passer de l’individuel au collectif par l’usage de l’analogie : par exemple, sa conception de la phylogenèse s’articule avec le destin psychique individuel, notamment lorsqu’il compare les frères de la horde primitive à des patients souffrant de névrose obsessionnelle (S. Freud, 1913). C’est en s’appuyant sur cette méthodologie que nous présentons des extraits de psychothérapie d’un patient souffrant d’une problématique pédophile.

2À partir des travaux de D. W. Winnicott et de D. Anzieu notamment, mais aussi des développements théoriques que la clinique initiait concernant les processus d’individuation et de différenciation, l’intérêt des psychanalystes s’est développé dans le sens d’une articulation plus fine entre les notions de contenu et de contenant. Dans cette perspective, la peau a fait l’objet d’investigations en tant que premier lieu d’échanges avec autrui ; la fréquence des éprouvés initiés par la peau à la naissance en fait une surface originaire essentielle, à l’origine de fantasmes cutanés. La qualité de la constitution de l’enveloppe du sujet humain, de la peau et de ce qu’elle enregistre précocement des premières interactions avec les objets externes métaphorisent ainsi la qualité de la construction de l’espace psychique. La peau constitue une surface d’inscription de l’histoire du sujet ; les représentations issues de cette histoire sont reçues par la peau à la façon d’un conteneur. L’investissement sexuel et narcissique de l’enveloppe corporelle confère à la peau des qualités évoquant celles que S. Freud (1895) a données au pare-excitation, repéré topographiquement comme étant à la surface du cortex cérébral. Cette proposition a été assimilée par D. Anzieu à la fonction de l’épiderme dans la constitution du Moi-peau, concept théorique fécond sur lequel nous adossons notre propos.

3Malgré l’importance de ces travaux, peu d’auteurs ont insisté sur l’importance des traumatismes précoces passant par la surexcitation des enveloppes sensorielles, en les reliant avec la notion d’enveloppes thermiques. En dépliant le cas clinique de Jacques, nous proposons l’hypothèse selon laquelle les métaphores thermiques sont autant de révélateurs de la prégnance de traumatismes psycho-corporels précoces.

4Les extraits choisis de la psychothérapie de Jacques restituent l’importance des traumatismes sexuels et sensoriels dans la problématique de ce patient, touchant notamment les enveloppes visuelles, sonores et tactiles. Pourtant, les représentations concernant la peau et les brûlures émergent de façon sans doute plus décisive dans les déterminants psychiques de la problématique de Jacques. La réitération persistante de ces images constitue autant de témoignages d’un lien trop chaud avec sa mère pour ne pas faire effraction et laisser des traces indélébiles, collapsant précocement peaux physique et psychique.

CHANGER DE PEAU

5Âgé de quarante ans, Jacques engage de sa propre initiative une démarche psychothérapique parallèle à suivi socio- judiciaire. Sa demande repose sur le constat d’une impasse concernant ses désirs sexuels pédophiles, constat accompagné du projet de trouver une issue moins destructrice à sa sexualité. « Je veux changer de peau », commente-t-il.

6Nous le recevons une fois par semaine en face à face, à la suite de sa seconde condamnation pour des faits de pédophilie. Jacques a récemment pris conscience qu’il ne se sentait pas appartenir à la communauté des humains, mais dans un monde personnel où rien ne compte d’autre que des désirs passionnels, sur fond de relations explosives avec sa mère. Celle-ci apparaît comme une figure incontournable de sa vie, comme en constante surimpression – et non en toile de fond– de sa vie psychique. Son adolescence est marquée par l’excitation sexuelle qu’il ressent pour elle, excitation qu’il qualifie de « monstrueuse », à l’origine d’une érection qui le remplit d’horreur et de gêne. Enfant, il a rêvé de sa mère se transformant en monstre. Il l’associe encore à un requin qui sent l’odeur du sang, remarquant que l’eau n’empêche pas l’odeur d’être repérée par le requin. Impressionné par le film « Les dents de la mer », il n’a jamais pu se baigner, envahi par le fantasme d’être dévoré par une mère-requin aux potentialités destructrices sans limites : l’épaisseur de l’eau n’établit aucune protection face au surgissement traumatique impliquant une situation d’impréparation.

7La fluidité apparente des associations d’idées laisse apparaître la fragilité de la constitution du pare-excitation, intriquée à la porosité du refoulement. Il associe ainsi sa mère au souvenir d’une baby-sitter adolescente qui, lorsqu’il a cinq ans, le force à mettre ses mains sur des plaques de cuisson brûlantes. Comme à l’annonce de la mort de son père, il ne ressent rien sur le moment, la douleur étant avant tout liée au sentiment d’avoir été abusé, davantage qu’aux sensations corporelles ou cutanées.

8Puis, une scène centrale émerge dans son discours ; son père, un homme effacé, fuyant, lui raconte, enfant, l’histoire suivante : alors qu’il s’occupe de repeindre une fenêtre dans la maison de sa mère, il utilise une matière inflammable et croise brutalement sa mère qui était en train de fumer ; elle prit feu immédiatement et en mourut, ce qui explique selon Jacques les désordres mentaux de son père fragile, persécuté par l’éventualité d’un débarquement extra-terrestre. Le vécu persécutif du père trouve un écho dans la formulation de Jacques à propos des réactions violentes et imprévisibles de sa mère : « Je me demande si c’est un piège, un piège brûlant ».

9Cette dimension brûlante de la relation aux femmes – une rencontre combustible– dans les générations constitue une composante essentielle de sa vie fantasmatique. Les scènes incestueuses passées se déplient maintenant au fil des séances ; sa mère, pour exprimer son désir de voir son fils fonder une famille, lui dit : « Je veux que tu me fasses un enfant ». La façon dont Jacques reçoit cette injonction résonne avec le fait que de neuf à quatorze ans, entre le départ de son père et l’arrivée de son beau-père, il a dormi dans le lit de sa mère. Lors de son passage à l’acte, Jacques séduit un enfant pour l’amener chez sa mère (chez qui il vit encore à ce moment là) comme une façon de réaliser le désir de sa mère, lui faire un enfant.

10Il prend peu à peu conscience que ses désirs pédophiles, aussi entêtants et pulsionnels soient-ils, ne constituent qu’une béquille pour ne pas être envahi par ses « désirs malsains » envers sa mère. La pédophilie lui apparaît progressivement comme la continuité du viol d’intimité vécu dans le lien à sa mère, et repris dans l’emprise avec les enfants séduits sexuellement par Jacques. Baigné par sa mère jusqu’à douze ans, elle lui touchait le sexe en lui disant que c’était normal : « Tu n’as rien à craindre, je suis ta mère », jusqu’à ce qu’il lui dise d’arrêter : « c’était comme un rêve dont je sortais ». Cette séduction sexuelle incestueuse n’est pas sans rappeler le scénario fantasmatique repéré par S. Freud (1928) au moment de l’adolescence, une mère, dans la continuité de son attachement érotique pour son fils, a le désir de le former sexuellement, en miroir du désir sexuel du fils pubère pour sa mère. Toute relation aux adultes, sur le modèle de celle à sa mère, est brûlante ; par peur d’être brûlé, il s’organise défensivement pour que personne n’effracte sa sphère d’intimité : il veut donc rester « intouchable » et ne laisse personne entrer en lui, par exemple en partageant son intimité dans une relation de couple. « C’est égoïste, mais c’est ma peau », dit-il avant de rajouter que « les femmes dures, les tueuses » lui font penser à des dragons. Dans la série des scènes brûlantes, il évoque une mère colérique qui, enfant, lui donnait de terribles fessées qu’il vivait comme violentes et interminables, notamment lorsqu’il ramenait de mauvaises notes. « Ma mère me terrorisait », dit-il pour expliquer l’origine de sa réussite professionnelle actuelle. Enfant, le lien à la mère est scandé par des phases où règnent l’indifférenciation et la terreur, et par d’autres phases de discontinuité du lien marquée par le caractère imprévisible de la relation à la mère : « Ma mère a toujours été éruptive comme un volcan ».

PASSER PAR LE CADRE POUR PROPOSER UN LIEU DE SUBJECTIVATION

11Les mécanismes de rationalisation, d’intellectualisation ou de fonctionnement d’allure obsessionnelle repérables chez Jacques tendent à refroidir la peur panique de l’autre ; ils ont une fonction de protection défensive pour éviter d’avoir à revivre des douleurs cuisantes. Dans ce contexte, les interventions du psychanalyste ont pour but latent de ne pas faire effraction par des interprétations trop chaudes, mais plutôt de procéder par petites touches, comme un peintre impressionniste. Dans le transfert, lorsqu’il tente de refuser le cadre que nous lui proposons concernant le paiement des séances manquées, proposition maintenue en l’état, il reprend d’abord cette expérience dans un sens persécutif–il s’est senti « coincé ». Plus tard, il évoque cette règle dans le sens d’un cadre qui tient ; poser des limites participe à le rendre sujet et non objet, le soumettant à une loi symbolique enfouie sous la passion désubjectivante car passivante de la relation avec sa mère. L’espace psychothérapique permettrait ici de passer par le cadre pour mobiliser des affects qui peuvent être repris dans l’après-coup comme participant d’un processus d’humanisation.

12Être objet passivé et sous emprise, il s’en défend dans son domaine professionnel par une attitude autoritaire et colérique. « Ça me fait flamber, les relations de soumission, je me consume dans la colère. », dit-il. La colère envers ses collègues vise à soumettre l’autre par peur d’être soumis. Il associe sur sa mère car lorsque l’agressivité monte entre elle et lui, « c’est le feu ». Mais en parlant de ses relations professionnelles, il se rend compte de l’effet effrayant qu’il peut produire sur les autres, et qu’il ne veut plus utiliser. Lorsqu’il envisage de mettre de la distance entre sa mère et lui, relation dont il considère qu’elle a encore trop d’impact sur lui, il « prend la température » et se rend compte que sa mère accepte sans sourciller cette mise à distance, ce qui le déçoit car il s’attendait à « un feu d’artifice ».

13Le froid et le chaud, équivalents d’enveloppes thermiques, représentent aussi les extrémités de la pulsion, dans sa réversibilité : l’impuissance et la toute-puissance, le tout ou rien, l’indifférence ou l’expression pulsionnelle brute. Au fur et à mesure que le processus psychothérapique se déroule, Jacques fait le constat que malgré des craintes concernant un « retour de flamme » de la part de sa mère ou de sa part, il ne s’est rien passé. Sa crainte d’être envahi par l’absence de sa mère a laissé la place à une auto-observation : il n’a pas pensé à sa mère pendant une semaine, comme si une part de refoulement commençait à recouvrir les pensées de désirs incestueux, refoulement au service du développement de l’investissement de son monde interne et de ses capacités réflexives. Il retrouve aussi la notion du temps qui passe, ce qui le soulage considérablement, de ne plus se sentir dans une atemporalité sans limites, un monde hors du monde. Il se souvient alors que, dans le cadre de son travail, il lui est arrivé de fréquenter le milieu maffieux sans se préoccuper des risques qu’il encourrait à la moindre erreur ; il prend conscience aujourd’hui de sa tendance au déni, notamment lorsqu’il s’exclame : « Mais comment j’ai pu faire des choses pareilles ? », qu’il associera également à ses passages à l’acte pédophiles.

14Dans le transfert, aux relations potentiellement « brûlantes destructrices » avec les hommes maffieux succède le souvenir de voix d’hommes calmes, celle d’un médecin bienveillant, d’un notaire puis la notre. Il envie cette capacité, propre à des hommes de loi ou de soins, à refroidir les sentiments – sa pulsionnalité débordante – sans les désaffectiver. La bienveillance partageable s’oppose à l’indifférence et l’indifférenciation soi-autrui, la sonorité de la voix d’homme possédant alors une fonction tierce dans le sens du refroidissement des excitations débordantes.

15Pour la première fois, il a le sentiment de pouvoir s’approprier sa pulsion pédophile, vécue auparavant comme une déferlante qui lui faisait voir « rouge », pulsion incandescente l’empêchant de voir – et de se représenter– quoique ce soit d’autre. Il ressent qu’il peut vivre ses désirs non pas comme ceux de sa mère, qui se sont imposés de façon intrusive, mais comme des tendances qui font partie de lui et vis-à-vis desquelles il a « le choix des actes ».

RELIER AFFECT ET REPRÉSENTATIONS

16L’enveloppe de chaleur, si elle reste tempérée, témoigne d’une sécurité narcissique et d’un investissement de la pulsion d’attachement suffisants pour entrer en relation avec l’autre : on parle alors de contact chaleureux. La sensation de froid vise à constituer ou reconstituer une enveloppe protectrice, un pare- excitation qui tient l’autre à distance (D. Anzieu, 1985)

17Une mère qui hurle, qui donne de longues fessées, qui touche le sexe de son fils ou qui lui demande un enfant sont autant de représentations « figure-fond » (Anzieu, 2007, p. 24) émergeantes dans le discours de Jacques. Dans les situations où la sécurité narcissique de base n’a pas été atteinte par le patient et qu’il ressent la nécessité de vivre une relation symbiotique dépourvue d’empiètements, alors le face à face, en terme de dispositif fauteuil-fauteuil tempéré, s’impose de lui-même.

18La possibilité d’un partage affectif (Parat C., 1995) entre le psychanalyste et son patient passe ici par des approches successives et nuancées concernant la reconnaissance des émotions, non sans souffrance mais dans le dénouage progressif du déni. Ce n’est pas seulement l’accès à un partage affectif qui prime ; il ouvre une voie praticable pour permettre la reconstruction de processus psychiques donnant accès à un sentiment d’identité continu et soutenu par des représentations conflictualisées et supportables (Balier C., 2005).

19L’intervention précoce sur le cadre semble, dans l’après- coup, décisive, comme Jacques me le confirmera. En signifiant que le cadre – payer les séances prévues où il serait absent– était intouchable, une position interne s’est spontanément imposée : « soit il accepte cette règle, soit il refuse et on s’arrêtera là ». Ce maintien ferme de l’interdit est aussi la restitution d’un interdit du toucher passant par les éprouvés – « vous m’avez bien coincé, là »– passant par le filtre de la parole et non d’une intrusion corporelle.

20Les interventions, participantes mais dépassionnées, de l’analyste, accompagnées de séquences verbales témoignant de son expérience de la condition humaine, tendent à restaurer un contact psychisé peau à peau chargé de sens. Ce contact réintègre le sujet dans la communauté des humains, l’extirpant d’une passion déshumanisante qui l’isole dans une mixion brûlante entre érotisme narcissique et destructivité. En montrant au patient qu’il peut nous toucher émotionnellement, par cette mise en partage d’affects communs, se dégage une enveloppe contenante anti-traumatique : l’interdit du toucher est maintenu, tandis que le patient est touché émotionnellement.

21Si on considère que le clivage est ordonné à la répression de l’affect, alors le travail sur les affects dans la dynamique transférentielle bilatérale œuvre pour décliver les représentations liées aux traumatismes précoces, favorisant une des visées de la psychothérapie : activer chez le patient son potentiel de passivité, sans le placer sous l’emprise d’un cadre figé grâce à la participation émotionnelle du psychanalyste. L’émotion passe par des mots et chemine sur le versant de la symbolisation, à la façon d’une expérience émotionnelle restituante quant aux carences affectives précoces.

22Jacques se vit actuellement moins pris par des impulsions pédophiles à agir immédiatement, dans la passion, tout en reconnaissant que les désirs, eux, persistent. Dans un contexte où il est question de favoriser la mise en place de la capacité à refouler, en lieu et place du déni, nous reprenons quelques praticables de la psychothérapie : l’instauration d’un lien sécure et dépassionné ; un cadre où les quelques règles de base sont rigoureusement respectées ; une humanisation progressive du patient par le travail de subjectivation. Ainsi le patient peut- il passer du clivage à la prise de conscience, de l’impulsion vécue comme incontrôlable à un désir plus tempéré et donc plus accessible à un type de raisonnement arrimé au sentiment d’humanité et à la capacité de sollicitude (Winnicott D. W, 1963).

23La dimension d’érotisation de la destructivité dépliée dans le lien mère-enfant ne suffit pas à résumer les impasses de construction subjective de Jacques. L’accès à l’altérité et à une relation possible à un autre non persécutant centre la démarche psychothérapique sur la possibilité de trouver un espace d’accalmie relationnelle et pulsionnelle. Conjointement au processus de subjectivation, il est question d’instaurer un processus intersubjectif, ouvrant sur d’autres valeurs qu’incestueuses et indifférenciatrices.

DOUBLE LIMITE ET ENVELOPPE THERMIQUE

24Pour Jacques, ce n’est pas la capacité à fantasmer qui est altérée, mais plutôt celle de contenir la vie fantasmatique, notamment par la possibilité de l’endiguer grâce à l’action de la double limite (Houssier F., 2003). Lorsqu’il cite l’enveloppe perverse, D. Anzieu se réfère à Médée qui, en guise de cadeau à sa rivale Créüse, envoie une robe qui met le feu au corps (2007, p. 236). Cet extrait du mythe rappelle la rencontre combustive et mortelle entre le père de Jacques et sa grand- mère, répétée entre Jacques et sa propre mère. L’excitation déliée se retourne en scénario pervers dans la séduction pédophile, où Jacques amène l’enfant incestueux à sa mère, séduction mêlant une parole supposée bonne à un acte cruel, un cadeau empoisonné. Dans ce contexte, le fantasme prédominant est le sacrifice d’un enfant (Houssier F., 2007, b.)

25La précocité des traumatismes précoces n’est pas sans évoquer une surexcitation sexuelle envahissante. Aussi, M. Klein (1968) relie l’empiètement des sensations génitales par les tendances orales comme un élément sexuel précoce traumatique du sexuel phallique ; une fois atteinte, la sexualité phallique est considérée comme une fuite pour échapper à l’oralité, à l’origine de la masturbation compulsive ultérieure. Le manque de gratification primaire entraîne l’envahissement de toutes les activités par les sensations sexuelles, contribuant également à ne pas haïr et endommager l’objet primaire, à l’égard duquel il éprouve de l’ambivalence. Cette installation prématurée d’un investissement phallique intervient comme une couverture défensive contre les traumatismes précoces, dont les signifiants de brûlure sont les restes représentables, tandis que la pédophilie représente la surface pseudo-sexualisée de la vie génitale de Jacques.

26Dans une perspective kleinienne, le peau-à-peau brûlant est un obstacle à la possibilité de déshalluciner le mauvais sein persécutif. Un des moyens d’échapper à ce persécuteur interne consiste à se couper de ses affects : on brûle les mains de Jacques et il ne ressent rien sur le moment, comme si son corps ne lui appartenait pas, ce qu’il remet en scène dans le retournement passif-actif en emprise du scénario pédophile : le corps de l’enfant lui appartient.

27La fessée donnée par la mère n’apparaît pas comme un souvenir-écran, mais plutôt comme une scène réelle qui condense plusieurs dimensions du traumatisme. Elle serait comme un révélateur de l’impossibilité d’un après-coup pubertaire du traumatisme, ramassant coup et après-coup. Cette fessée porte les traces d’un éprouvé traumatique primaire : elle est douloureuse, brûlante et sans fin. Elle constitue un traumatisme pseudo-secondarisé dans le sens où elle est infiltrée d’un érotisme de pacotille, qui viendrait masquer l’éprouvé originaire par sa reconstruction érotisée, comparable au scénario pédophile : un enfant est l’objet érotique de la mère (Houssier F., 2007. a). Cependant, l’éprouvé primaire constitue l’essentiel de la souffrance de Jacques, rappelant les souffrances agonistiques maillées à la crainte de l’effondrement (Winnicott D. W., 1974). Cette distinction entre les processus primaires et leur destin (pseudo-secondarisation) n’est pas sans évoquer également le distinguo entre traumatisme froid et chaud proposé par Janin. A l’inadéquation des réponses maternelles et de l’environnement de l’enfant succède un après-coup pré-pubertaire qui passe par la sexualisation du traumatisme d’origine. Au noyau froid succède un noyau chaud : « (…) les scénarios pervers retracent dans leur diversité cet essai de transformation de « non sexuel » en « sexuel », en une sorte de simulacre d’étayage de la pulsion sexuelle chez des sujets ayant vécu des expériences traumatiques relativement précoces » (Janin C., p. 40). Jacques, lorsqu’il évoque la voix d’un homme calme, envie la possibilité de refroidir les affects, dans le sens de l’usage d’un pare-feu (ou excitation). Ce pare- feu permet de mélanger le chaud de la passion érotique au refroidissement des processus secondaires à visée élaborative, sur fond de transmission transgénérationnelle et maternelle des traumatismes de débordements (Houssier F., 2008).

CONCLUSION

28Bien avant la différence des sexes et des générations, 2007, c’est la différence soi-autrui dont il est question (Houssier F, c). Et comme le précise S. Freud (1913), les expériences précoces tendent à se conserver, davantage que les autres. Cette situation montre que l’enjeu thérapeutique n’est pas de changer dans le sens de guérir le patient, mais, en étant un conteneur des affects douloureux et en créant une enveloppe contenante d’apaisement, de lui permettre d’appréhender autrement sa vie psychique. Dans le transfert, le psychanalyste est à la fois idéalisé, trace du lien à la mère, mais sert aussi de prothèse surmoïque restaurant un éprouvé des limites. Pour Jacques, les conflits narcissiques se déplacent, d’autres choix deviennent alors possibles que celui de la destructivité.

29Rien de ce qui se passe dans l’esprit n’est pas d’abord passé par les sens (Chabert C., 2007). Les signifiants formels proposés par D. Anzieu passent par des métaphores de la peau, d’une peau commune catastrophique car arrachée à l’union initiale : un appui s’effondre, un trou aspire… un morceau de peau brûle, pourrait-on rajouter. Les signifiants formels sont des sensations corporelles sans lien avec des perceptions externes mais figurent les sensations avec la mère. Tout humain naît de l’absence et du manque de l’objet après l’union avec l’objet ; tout humain pense avec sa peau, la question étant de savoir si c’est avec la sienne ou celle d’un autre.

30L’enveloppe cutanée marque la limite entre monde interne et monde externe, à condition que cette enveloppe, traversée par les éprouvés thermiques, se soit constituée dans les premières expériences de contact et de différenciation.

31Les représentations réitérées de sensations de chaleur font du Moi-peau une pensée cicatricielle par rapport à des traumatismes précoces. La brûlure est ici une métaphore à peine transformée de traumatismes précoces par effraction et impréparation. Sans doute s’agit-il ici de « métaphores limites », souvent associées à des représentations crues – processus primaire – contenues par sa mise en mot, véhicule de la secondarisation.

Bibliographie

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