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Article de revue

La question de l'affect dans la relaxation psychanalytique

Pages 81 à 99

1La relaxation psychanalytique (méthode Sapir) ou encore relaxation à induction variable prend en charge le ressenti corporel du patient en l’invitant par la voix, la parole, le toucher, à « ressentir » son corps dans un moment de détente suivi d’un temps de parole où sont alors évoquées les sensations ou leur absence, les images, les associations du patient.

2L’accent est mis sur le « ici et maintenant de la séance », sur la présence du corps dans sa sensorialité.

3L’induction est dite variable, elle est le produit de ce qui se tisse au fil des séances dans ce jeu entre la parole, le voir, le toucher, ce qu’il en est dit; elle est prise dans le transfert, en quelque sorte une création, une invention dans l’écoute du transfert– contre-transfert.

4Ainsi, les paroles, la voix, le toucher, la présence de l’analyste dessinent un cadre pour accueillir la parole du sujet souffrant, parole portant sur ce qu’il ressent dans son corps et sur ses associations (images, pensées, souvenirs, fantasmes). La relaxation psychanalytique intervient comme un praticable qui par le biais des sensations éprouvées et leur verbalisation amène le patient à signifier son histoire, à l’inscrire à nouveau. Nous sommes donc davantage du côté du corps pulsionnel, des affects, en convoquant les sensations, mais elles sont relayées par la parole et les représentations qui y sont attachées, renvoyant ainsi à l’histoire du patient.

5Affects, sensations, représentations, nous sommes amenés à questionner leur lien, leur articulation, leur différence afin de préciser leur relation dans la relaxation.

6Ainsi, au cours de la dixième séance de relaxation d’Alice, une jeune femme de 30 ans, je ne fais aucune induction verbale, juste un toucher sur le front et le coude, et à l’arrière de la tête.

7« J’arrive pas à me laisser aller... je n’arrive pas à me souvenir de ce qui se passe... et pourtant, j’ai des réflexions, des images alors, plus les sensations là dans le dos, j’avais des points très chauds, je sentais mon pouls battre... Quand vous êtes venue, j’ai eu froid, je me suis dit que vous alliez me toucher, ça m’a mis mal à l’aise, un mélange, un peu de honte, je me pose la question : mais qu’est ce que je crains ? Au départ j’ai pensé : que vous me fassiez mal, ça ne peut pas être ça et pourtant quand je dors, maman me le disait souvent, je dors à plat ventre, je ne bouge pas, impression que ce qui est le plus vulnérable c’est le ventre. » Nous pouvons appréhender la richesse de ce qui se déploie à partir des sensations de chaud, de froid, les battements du pouls enchaînant sur une sensorialité plus complexe : le malaise, la honte, affect qui directement articulé à ma présence questionne la présence maternelle, plus exactement le regard maternel scrutateur qui prend sens dans l’histoire de cette jeune femme qui doit à la fois se protéger, protéger son intérieur et être terriblement vivante pour rassurer sa mère.

8Les chaînes associatives qui se déroulent à partir des sensations et des affects ressentis, mettent au jour le fantasme sous-jacent, celui d’une effraction, qui sera travaillé, élaboré au cours des séances suivantes.

9Si l’on engage une réflexion, voire une rêverie, sur la notion d’affect, on peut dire : je suis affecté donc touché, la métaphore corporelle est là d’emblée, la sensorialité apparaît. Derrière la notion d’affect, très rapidement surgit le corps, le corps pulsionnel.

10La gamme de l’affect s’étend du plaisir à l’angoisse : plaisir, amour, haine, colère, peine, ennui, gaîté, tristesse, désagrément, douleur, effroi, horreur, peur, angoisse.

11Il existe un flottement, un glissement entre sensation et sentiment. Par exemple, on parle de sentiment ou de sensation de honte, celle-ci peut être accompagnée de manifestations corporelles comme la rougeur.

12Cependant la notion d’affect telle que nous l’envisageons est une notion psychanalytique indissociable de celle de représentation. En effet, l’affect voyage au gré des représentations, objet parfois du refoulement. La notion d’affect renvoie à la théorie des pulsions et à la conception établie par Freud de sa neurotica.

CHEMINONS AVEC FREUD

13Nous savons, comme il en fait état, que « si la pulsion n’était pas attachée à une représentation ou n’apparaissait pas sous forme d’état d’affect, nous ne pourrions rien savoir d’elle. » Dans “le refoulement”, Métapsychologie, 1915, Freud amène les notions d’affect et de quantum d’affect (p. 55) :

14« Pour désigner cet autre élément du représentant psychique, le nom de quantum d’affect est admis; il correspond à la pulsion, en tant qu’elle s’est détachée de la représentation et trouve une expression conforme à sa quantité dans des processus qui sont ressentis sous formes d’affects; dorénavant dans la description d’un cas de refoulement, il faudra chercher séparément ce qu’il advient du fait du refoulement à la représentation et ce qu’il advient de l’énergie pulsionnelle qui lui est attachée. »

15Il précise plus loin dans “l’inconscient”, p. 83 :

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«…dans tous les cas où le refoulement réussit à inhiber le développement de l’affect, nous appelons inconscients les affects que nous rétablissons en redressant le travail du refoulement » …

17(La question des affects conscients et inconscients sera largement reprise dans un vaste débat par la suite, par Freud et par la communauté analytique.)

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« Il n’y a pas, au sens strict, d’affects inconscients comme il y a des représentations inconscientes. Mais il peut très bien y avoir dans le système ics des formations d’affects qui deviennent conscientes comme les autres. Toute la différence vient de ce que les représentations sont des investissements – fondés sur des traces mnésiques – tandis que les affects et les sentiments correspondent à des processus de décharge dont les manifestations finales sont perçues comme sensations. » p. 84.

19Nous voyons là très nettement indiquée la relation entre affect– représentation et sensation et soulignée la parenté entre affect et sensation. Ce sera le fil conducteur de cette réflexion.

20Dans « Le moi et le ça », Essais de Psychanalyse (1923), voici ce que Freud énonce concernant la sensation :

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« La différence est, en effet, qu’en ce qui concerne la représentation ics il faut d’abord créer des termes intermédiaires pour l’amener au conscient, tandis que ce n’est pas le cas pour les sensations qui se transmettent directement. En d’autres termes, la distinction entre cs et pcs n’a aucun sens, en ce qui concerne les sensations, le pcs ici fait défaut, les sensations sont ou bien conscientes ou bien inconscientes. Même lorsqu’elles sont liées à des représentations de mot, ce n’est pas à celles-ci qu’elles doivent de devenir conscientes, elles le deviennent directement... » p. 260.

SENSATIONS-AFFECTS-REPRÉSENTATIONS

22Nous pouvons reprendre à notre compte cette affirmation de Freud concernant l’expression directe de la sensation que nous proposons voire induisons à travers des inductions portant sur le corps même du patient. Mais son surgissement dans la séance, accroché à une rêverie qui s’élabore peu à peu en agrégeant des associations, des souvenirs, en provoquant des affects qui réinterrogent ainsi l’histoire du patient donne un statut bien particulier à la sensation.

23Elle est, mais n’est pas pure sensation dans le dispositif mis en place puisqu’elle a une adresse.

24Elle nous ramène sans doute aux expériences très précoces de l’enfant et à l’organisation de sa sensorialité, à sa construction psychique dans sa relation à l’autre, le premier autre qu’est la mère. C’est en cela que la frontière est mince entre affect et sensation, tout comme le concept de pulsion est un concept limite entre psyché et soma.

25Voici ce qu’en dit Michel Sapir (1996) :

26 « La sensation est produite par les organes des sens. Elle est subjective mais à partir d’une perception qui, elle, est biologiquement justifiée … C’est l’infans, qui, avant même la constitution de son appareil psychique reçoit, à partir de percepts, des sensations. Qu’il s’agisse de la peau, de la bouche, de l’intérieur du corps, ces sensations sont le support d’une future construction qui va avancer à la fois grâce à la maturation de l’appareil psychique et aux sensations que le monde extérieur va produire. » Il ajoute un peu plus loin :

27 « Il existe donc un élément corporel réel qui est au point de départ de la perception, suivi de la sensation, suivie elle de la représentation, qui est pratiquement toujours liée à l’existence de l’autre. Il s’agit là d’un phénomène complexe qui est bien une re-présentation dépendant du présent et de la relation à autrui et relié à un fait que ce présent déforme en fonction de l’affect. On peut se demander, qu’en serait-il faute de représentation ? »

28Nous trouvons donc ce trio indissociable qui caractérise la pratique de la relaxation; sensation, affect, représentation. M. Sapir met l’accent sur la re-présentation qui ouvre dans la relaxation sur la notion de régression dans le cadre du transfert, elle ouvre à la dimension de l’Autre. On pourrait ajouter également que cette re-présentation dans la relaxation d’enfant n’est pas loin parfois d’une présentation au sens où l’entend Winnicott; la mère qui présente le monde à son enfant.

29Nous pouvons également y entendre la constitution d’une nouvelle dramaturgie où se rejouent des scènes anciennes. Dans un séminaire de recherche organisé par L’Areffs en 1990 sur “Sensation et interprétation”, P. Sorlin va plus loin dans sa réflexion et sa recherche; il avance l’idée d’une hystérisation de la scène analytique où le désir se met en scène via la sensation; l’affect y est alors majeur. La sensation serait ainsi une véritable formation de l’inconscient. Il avance cette proposition où la sensation « réactualisée dans le transfert, se saisit parmi l’ensemble des perceptions évoquées de celle qui va, ou vont, se prêter à sa mise en scène corporelle …La réalité de la sensation est une réalité rêvée qui emprunte à la sensorialité du sujet de quoi habiller la vérité du désir …L’espace entre le corps du patient et celui du thérapeute : aire d’illusion dans sa fonction créatrice. »

30On comprend alors que la relaxation se démarque d’une technique à visée cathartique pour prendre la dimension d’une véritable psychothérapie de transfert.

31Cette position suscite des réflexions et une contradiction de la part de M. Sapir rejoignant le point de vue de Freud qui insiste sur le caractère de décharge directe de la sensation : « La sensation – on en connaît les différences et les liens avec la perception – est en relaxation un pivot important des processus à survenir. Défense ou point de départ de la fantasmatisation, elle ne peut être une construction. Il s’agit d’un phénomène immédiat et d’une réponse corporelle à une intéro ou extéroception. Réponse agréable ou pénible, sensation agréable ou pénible qui se suffit à elle-même lorsqu’elle est défense; devenant résistance dans le transfert, elle peut être au contraire mise en mouvement d’une histoire vécue et surtout d’une histoire sentie et d’une attente signant le transfert. » Cette polémique autour de la sensation renvoie sans doute à la contiguïté de ces deux notions affect – sensation, à l’ambiguïté qu’elle recèle dans le langage lui-même, par exemple sensation de honte, sentiment de honte, et aux représentations de mot et de chose.

32Dans la vignette clinique présentée tout au début, nous pouvons suivre l’association des affects, peur, honte aux sensations de chaleur, de froid, aux variations de la présence de l’autre dans le désir qui lui est imputé occultant le sien propre : de quoi ai-je peur ? Corps sexualisé, possible effraction !

33Il y a en effet relance des chaînes associatives, chaînes signifiantes à partir d’un éprouvé qui ne peut avoir lieu que dans la dimension transférentielle. Cet éprouvé est là s’associant à d’autres éprouvés, à des affects, faisant surgir des souvenirs, des images.

34Il est bien certain que cet affect, peur de l’effraction, honte, était bien là, présent dans l’histoire de cette jeune femme; il renvoie à l’histoire trés complexe d’Alice qui précisément éprouvait peu d’affect dans sa vie, étrangement indifférente à ses proches ou au contraire, trop proche.

35Le fait que ses affects surgissent à l’occasion de sensations produites par le jeu des inductions a permis que se réduise le clivage entre l’image trés tonique et vivante qu’elle renvoyait et son sentiment douloureux de vide interne, entre son dehors et son dedans. L’analyse que nous avions faite auparavant de façon classique avait permis de mettre à jour de façon remarquable les élements de son histoire sans pour autant qu’elle puisse se les approprier, qu’ils fassent sens pour elle.

36C’est la relaxation qui a permis le travail de liaison entre les affects et les représentations par le biais des éprouvés corporels.

37Pour davantage éclairer ce paysage de la relaxation, je vais présenter quelques séquences d’une vignette clinique concernant un jeune garçon, Marco, qui a pris la proposition de la relaxation au pied de la lettre, dans sa dimension de plaisir (plaisir éprouvé, représentation de plaisir …).

38Nous allons voir comment à partir de son interprétation de ma proposition, il va, en associant le plaisir et les représentations de plaisir, s’acheminer vers des métaphores structurantes qui vont le décoller des affects qui l’envahissaient, la colère et la haine.

39Marco nous permet d’aborder la question de la construction psychique à travers un affect majeur et essentiel à celle-ci, le plaisir, et ce qu’apporte le praticable de la relaxation dans l’entreprise thérapeutique.

MARCO : DONNE-MOI UNE RÈGLE ET JE DESSINE L’HORIZON

40Marco est un garçon de douze ans qui est décrit comme un enfant terrible, caractériel, en conflit perpétuel avec ses parents, notamment son père : regard de haine, poing levé, menaces, propos violents.

41Marco est débordé par ses affects, par la violence, par ses pulsions. Sa petite histoire fait apparaître des troubles psycho-somatiques, épilepsie, asthme, allergie qui témoignent de la fragilité des barrières contenantes du moi.

42Marco est envahissant dans ses demandes surtout vis-à-vis de sa mère qui le trouve collant. Les parents me font un portrait très négatif de ce jeune garçon rebelle et en échec scolaire.

43Devant ce tribunal, il peut à peine parler, voire penser, il se sent incompris, persécuté.

44La violence est collective, verbale et physique, gifles, coups de ceinture...

45Il règne dans cette famille un très grand climat d’excitation réciproque qui ouvre régulièrement sur la violence et la déception. L’incompréhension est totale des uns par rapport aux autres. Le décollage ne s’effectue qu’à l’aide de coups et d’imprécations et laisse des traces sans cesse réactivées.

46Il n’y a pas d’espace entre eux.

47Marco a “la rage”.

48Je ressens chez cet enfant une très grande souffrance qu’il ne peut exprimer que dans la mise en acte. Son corps est comme ramassé, bandé sur un cri de désespoir et de révolte qu’il ne peut formuler. Il a l’air de contenir une bombe.

49Les deux parents sont de culture différente, immigrés l’un et l’autre. Il porte un prénom d’origine espagnole, pays natal de la mère; la fille cadette, celle qui réussit, porte un nom prestigieux qui évoque une personnalité originaire du pays du père. L’entreprise thérapeutique m’apparaît très difficile. Je demande aux parents de s’interroger sur ce qu’ils mettent en scène et comment ils alimentent cette passion collective. Marco ne peut porter seul la charge de ce travail.

50Marco a l’air compact, agité, anxieux, il a des tics, son expression verbale n’est pas aisée. La parole est rabattue sur le corps.

51Il dit qu’il est en colère depuis longtemps, il ajoute qu’il n’est bien et tranquille que lorsqu’il est seul sur le chemin de l’école, école qu’il adore et où il ne “fout rien.”

52Je trouve cette déclaration très touchante et prometteuse, en effet le seul lieu où il est bien c’est sur le chemin qui mène de sa maison à l’école où il y a une distance, un entre-deux, un espace.

53Je propose à Marco une psychothérapie basée sur la relaxation, (il avait déjà fait un travail plus classique sans succès). Je propose une relaxation car je crois important pour Marco de constituer un lieu primordial qu’il puisse s’approprier – un différentiel – et qu’il prenne ainsi conscience de son corps autrement que dans la tension ou la rage destructrice, qu’il puisse associer ce qu’il vit, ce qu’il sent et ressent à des paroles. Je lui propose donc de se poser, de se poser là une fois par semaine.

54C’est ainsi que nous avons commencé ce travail qui va durer six mois, trop peu. Seul, il est souriant, et se présente comme un enfant confiant. Nous sommes d’emblée dans cet espace paisible, sur le chemin de l’école.

55Qu’allons-nous y faire ?

56J’explique à Marco le processus en détail : la relaxation, et ensuite un temps pour parler de ce qu’il a ressenti, éventuellement de ce qui le préoccupe, de lui, de sa vie. Il peut dessiner s’il le désire.

57Je propose souvent aux enfants de penser à quelque chose d’agréable qui va les accompagner dans leur relaxation, quelque chose qui leur appartient : un souvenir, une image... Marco est désemparé, voire sidéré par ma proposition qu’il assimile à une demande : une demande impossible ? Il n’a pas d’image agréable : soit il ne peut pas penser ou éprouver quelque chose d’agréable, soit il ne peut pas penser, avoir une représentation, soit il ne peut pas penser en ma présence. Ce premier moment de la relaxation et de la séance est très fort, inaugural; pour l’aider je lui propose de choisir une couleur.

58Il choisit le rouge, c’est bien normal. La relaxation porte sur le bras gauche.

59Ensuite il parle très spontanément de quelque chose d’agréable, la connexion s’est faite, un oncle maternel qui habite au bord d’un lac; puis il évoque longuement sa famille des deux côtés, et son second prénom qui renvoie au pays natal du père alors que le second prénom de sa sœur renvoie à celui de la mère. Ce qui est caché ou mis en réserve derrière le prénom officiel fait signe.

60Ce qui surgit est donc le plaisir et la filiation.

61Ce qui a fonctionné comme induction à cette première séance : « s’appuyer sur quelque chose d’agréable » est déterminant pour tout le travail à venir... En effet c’est bien Marco qui s’est emparé de cette parole d’une façon créative à partir de son inhibition qui m’indique ses difficultés à symboliser et à métaphoriser.

62La notion de plaisir surgit, elle est comme retrouvée, ressentie dans son corps, introjectée et pour l’arrimer dans le déploiement imaginaire qu’elle suscite, il veut en dessiner les contours.

63Ensuite dans les séances où il éprouve son corps de façon agréable, il reprend l’induction en choisissant une couleur qui l’embarque dans un lieu agréable.

64La fois suivante c’est le bleu, et me dit-il : là je vais dessiner ce que j’ai imaginé. C’est donc de cette façon qu’il interprète ce que je lui ai proposé : il joue dans le cadre à sa façon et construit à l’intérieur de la séance une représentation de ce qu’il vit et ressent qu’il va dessiner, imprimer pourrait-on dire… (engrammes somato–pychiques ?)

65Quelque chose semble s’être arrimé. Derrière la violence se dessine le plaisir, apparaît la demande…

66Ce qui pour moi était un élément du protocole de la relaxation, il s’en empare pour construire un système de représentation comme un petit et dans une dimension de plaisir, cela lui permet d’ouvrir l’imaginaire. Bien entendu, il considère que c’est ce que je lui ai demandé. Il répond à ma demande en fils obéissant qu’il est, soucieux de satisfaire voir de combler sa mère, mais dans un mouvement de création qui lui appartient et qui est lié au plaisir, sensation devenue affect majeur. Le dessin très appliqué où il est concentré et heureux représente une île sur laquelle il y a un palmier chargé de noix de coco. La mer est confondue avec le ciel, il n’y a pas de ligne d’horizon. Le soleil est présent à droite. C’est l’île qui fait la limite avec le ciel et la mer confondus. “Je n’aime pas laisser de blanc”, me dit-il.

67Il m’indique ainsi le problème auquel il est confronté et qui parfois le rend fou de douleur, le mettant ainsi en danger dans une appréhension violente de son environnement.

68Cette question de la ligne d’horizon est importante. En effet, elle manque comme élément de séparation, de structure. Il manque un trait créant la perspective.

69Marco poursuit le jeu associatif en posant une question sur les états d’âme des marins : “quand ils voient la mer au bout, ils croyaient que c’était la fin du monde ?”

70Question, remarque, réflexion : au-delà de la mer, y a-t-il un monde ?

71En même temps qu’il devient en quelque sorte marin, situation exposée, on voit là la question fondamentale que pose Marco et la faillite de sa construction psychique : se séparer de la mère, c’est la fin du monde et nulle séparation, nulle “castration symboligène” ne s’est effectuée. Il manque la ligne d’horizon, celle sur laquelle nous allons porter toute notre attention. Rien ne peut garantir de ne pas tomber dans le trou. La question est adressée au père, lui-même englouti dans sa déception et sa colère.

72Je reste pour ma part le regard fixé sur cette ligne d’horizon qui manque et qui est à dessiner, à faire exister à construire, à instituer. Elle est indissociable de la construction psychique, du côté de la loi, de la contenance et donc du contenant. Nous sommes ainsi ramenés aux expériences primaires de plaisir-déplaisir en relation à l’autre, l’autre spéculaire, puis l’autre différencié, identifiable dans sa fonction, père, mère…

73Nous travaillons sur la construction d’un espace psychique qui inclurait le plaisir-déplaisir des premières expériences de l’enfance – et la séparation, afin d’ouvrir la voie à l’imaginaire, à la pensée. Le plaisir ne devenant pas ainsi érotisation extrême, sans limites, mais irriguant le sensoriel, les sensations, libérant les affects associés à des représentations anciennes et nouvelles…

74Marco utilise à plein le cadre proposé par la relaxation.

75Les séances se poursuivent, il intègre les différentes parties du corps avec simplicité et calme.

76Ensuite il me parle en dessinant avec minutie un paysage suisse dont il a parlé et qu’il veut reproduire dans la logique où il est, obligé de me restituer le contenu de ses représentations.

77Mais si nous évoluons dans la construction et dans la liaison des affects et des représentations, je sens à quel point il y a peu d’espace pour un imaginaire.

78Il entend ma proposition de façon totalitaire comme dans sa famille : la demande peut devenir une exigence, voire une injonction insupportable. Il n’y a pas de véritable subjectivation, d’appropriation de cette expérience qui est pourtant originalement et originairement la sienne. Il est assujetti à la demande de l’autre, l’autre persécutant. Dans le transfert, j’occupe entre autres, cette place.

79Au fil des séances, je découvre un jeune garçon très curieux et érudit, voire cultivé sur des questions concernant l’origine du monde, les astres, les animaux disparus, la mythologie; c’est une culture parallèle acquise grâce à la télévision et non par la voie scolaire.

80II a réussi à conserver son désir de savoir, d’apprendre mais en passager clandestin.

81Lors d’une séance, il choisit une image de lui en Espagne, allongé sur un matelas pneumatique sur la mer. Il sort de l’inhibition, il peut imaginer, rêver. Je fais une induction sur les points d’appui en insistant sur le dos qui s’étale, qui prend sa place.

82Il sort de la relaxation en pleine forme, très content et il me dit qu’il a senti son dos comme du chocolat en train de fondre, de s’étaler, le soleil sans doute !

83Le champ métaphorique est bien là même si l’oralité domine le tableau.

84Il parvient à me parler très clairement de ce qui se passe à la maison autour de l’énervement. « Ma mère me fait m’énerver, elle fait tout pour que je crie sur elle”.

85À propos d’une mauvaise note, elle le dispute et ne lui laisse pas annoncer lui-même sa mauvaise note à son père. Il dit : “c’est toujours la même chose, ça va faire des confusions.” La mère, en effet, ne lui laisse pas la responsabilité d’en parler lui-même à son père. Elle court-circuite la relation père-fils tout en étant à l’égard de son mari comme une petite fille… Il n’a donc aucun accès à des représentants symboliques occupant leur fonction.

86D’une certaine façon, il n’a ni père ni mère en face de lui, il a bien raison de parler de confusion. Il est face à un bloc et ne peut être lui-même qu’un bloc noué par la violence.

87Dépossedé de lui-même, une violence destructrice s’empare de lui devant cette masse indifférenciée que sont ces parents et l’impuissance qu’il ressent à s’exprimer, voire à se confronter nominalement.

88Pendant que nous parlons, il dessine un soleil couchant très imposant environné de bleu, noyé de bleu. Je lui fais remarquer qu’à nouveau, le ciel et la mer sont confondus et il me dit “donne-moi une règle et je fais la séparation”. Il fait une belle ligne d’horizon en bleu foncé qui marque la différence entre le ciel et la mer. Il marque ainsi à la fois l’absence et le rétablissement d’une loi vraiment structurante et identifiable, mais qu’il réclame à corps et à cris.

89J’essaye d’aborder ces questions avec les parents de Marco, mais cela s’avère difficile car le père est terriblement blessé narcissiquement par ce fils si peu conforme à ses aspirations, la mère est très peu soutenante avec son fils, ambiguë et dans une dépendance extrême à son mari.

90La structure familiale est peu mobile et je ne parviens pas à explorer les ascendances ou ce qui fait que Marco est assigné à cette place d’enfant violent, mauvais : “je suis toujours coupable.”

91C’est donc avec Marco que je travaille, la relaxation est pour lui ce lieu agréable de non-tensions, de tout petit, expérimentant le monde et son monde interne. Il rêve d’endroits de jeux, de façon à la fois régressive mais restructurante. ll y a un va-et-vient entre les images inductrices qui lui appartiennent – des prairies fleuries, des parcs d’attraction, un château sur l’eau comme Saint Malo – les dessins qu’il fait concernant les inductions et l’imaginaire qu’elles déploient et les propos fluides qu’il m’adresse pendant qu’il dessine. L’expérience de la détente accompagne ces découvertes.

92Il dessine vers la fin des séances un orphelinat rouge où l’on est très heureux. Il me parle de Pluton où l’on peut respirer et me tient informée de l’évolution de la planète.

93En 2018, lorsque Vénus se représentera, quel âge aura-t-il ? Il en profite pour me dire qu’il commence à comprendre les maths.

94La psychothérapie s’arrête avec les vacances et les parents ne reprennent pas contact. Je le déplore car grâce à ce praticable proposé à Marco, en sécurité dans un espace de régression contenant, il commençait à élaborer et intérioriser ses conflits psychiques et à grandir.

95Il commençait à parler, au sens premier du terme. Le processus de séparation, d’individuation était en cours.

96La relaxation était pour lui comme une nacelle où il pouvait se reposer et ressentir des sensations de plaisir associées à des mots et représentées, dessinées.

97Il a pu construire un espace personnel différencié avec un corps propre : c’est ce qui a permis qu’un début de métaphorisation s’opère. Plus, il m’a semblé qu’il construisait non seulement son propre mode de représentation, mais le système lui-même grâce au dispositif mis en place.

98Marco décrété hors la loi, s’approchait de la loi qui structure le monde par le langage en différenciant le père de la mère, en séparant le fils de sa mère, en dessinant une ligne d’horizon.

99Il commençait à opérer lui-même les séparations symboliques ou “symboligènes” nécessaires pour qu’il puisse s’emparer des instruments du savoir et parler, quitter le tout pulsionnel, métaphoriser au lieu“d’acter”, de mettre en scène dans son corps (violence, asthme, allergie, épilepsie) son impuissance à contenir les affects et ainsi les élaborer afin de les mettre en mots. Pour cela, il a dû repasser par les expériences premières de plaisir…

100Qu’avons-nous fait Marco et moi en cheminant ensemble un petit moment ?

VIOLENCE / PLAISIR – SATISFACTION / RECONNAISSANCE

101Le mot “agréable” a fait pour Marco induction d’une façon massive voire primordiale. Sa surprise n’a eu d’égale que la mienne en écho, faisant interprétation de ce qui était pour moi un élément du cadre que je ne questionnais plus. À ce titre je lui suis reconnaissante puisqu’il m’a permis de réinterroger ma pratique et notamment de mettre en perspective la notion de plaisir (sensation-affect) et cet élément du cadre dans le dispositif de la relaxation Psychanalytique.

102Ce qui a fait sidération pour lui également c’est qu’il puisse avoir une image, donc une représentation d’un moment agréable, donc un contenu psychique.

103À mon sens, cela a créé une ouverture, fait surgir le désir – remarquons que Lacan parle plus volontiers du désir que d’affect qui ait été en quelque sorte aspiré par la mise en place de la théorie du fantasme articulé par le désir.

104Voici ce qu’en dit Lacan (La logique du fantasme) :

105

« L’affect est toujours lié à ce qui nous constitue comme sujet désirant dans notre relation : à l’autre notre semblable; à l’Autre comme lieu du signifiant, donc de la représentation; à l’objet cause de notre désir, l’objet a. »

106Il s’agit bien de cela pour Marco; retrouver un désir propre. Le mot agréable a fait sonner aux oreilles de Marco la possibilité d’avoir un monde interne propre, cela nous a renvoyés à sa construction d’objet primordiale !

107Marco met en place grâce au dispositif de la relaxation les conditions de réalisation de son désir de tout petit dans un espace régressif engagé à travers cette notion de plaisir et de détente, espace bien nécessaire pour réinscrire en quelque sorte les expériences sensibles sur une autre mode que celui de l’effraction, l’extériorité, la violence. Pour des raisons que j’ignore, ces relations précoces constitutives du narcissisme primaire ont été dévoyées engendrant ce système de demande aberrante dans la famille et cette proximité affective dévastatrice.

108À un niveau très profond, on peut faire l’hypothèse que Marco a entendu ma proposition comme à la fois la reconnaissance d’un contenu déjà là, peut être à réactiver, à réinscrire dans l’éprouvé de nouvelles sensations, ce en présence de cet autre bienveillant assimilé à la mère, et dans un second temps comme d’une autorisation à être.

109Cette sensorialité articulée autour de la satisfaction, vécue dans le corps et productrice de souvenirs voire d’images, de scénarios s’arrime ensuite dans ce second temps du langage, dessin, où le désir et ses impasses s’expriment, permettant une écoute interprétative secondaire.

110Remarquons pour Marco l’importance du dessin; il prend le relais de l’expérience sensorielle, il constitue une prise, une reprise tout en continuant à déployer le fantasme qui l’anime, ou pour reprendre les termes de Dolto « l’image inconsciente du corps ». Marco affirme depuis le début son rôle d’acteur dans cette entreprise ce qui diminue considérablement ses tensions psychiques et corporelles.

111Cette reconnaissance, c’est ce qui est à l’œuvre pour Marco dans cette expérience de relaxation qui s’origine à sa demande sur le mode de satisfaction.

112Elle passe d’abord par l’expérience du holding, porteuse de satisfaction et de sécurité puisque le cadre est là bien défini qui permet l’intériorisation d’une juste limite, celle qui manquait à Marco, l’empêchant de respirer et produisant l’effraction. Il semble que Marco soit passé d’un corps pulsionnel à un corps sensoriel. Il s’est donc saisi avec beaucoup d’à propos de ce praticable pour retrouver des sensations de plaisir afin de créer de nouvelles inscriptions et puis ensuite tracer une ligne de séparation qui devient une ligne d’horizon.

113Avoir un horizon, c’est avoir un avenir.

114Dans ce lieu psychothérapique, un lieu concave avec des bords, la relaxation a permis d’articuler les expériences vécues et la parole, d’amorcer le travail métaphorique nécessaire à la construction de Marco pour, comme il le dit lui-même, “sortir de la confusion”. Il n’arrivait pas à mettre en mots l’infamie et la violence qu’il ressent à ne pas être considéré pour lui-même. Pour cela la relaxation lui a fourni à la fois un espace et un instrument pour effectuer une régression tranquille où il pouvait être un enfant confiant expérimentant ses pulsions à la façon du pervers polymorphe dont parle Freud, c’est-à-dire l’enfant qui s’ouvre au monde, et à qui l’on offre le monde en le nommant et dont ainsi il peut jouir jusqu’à un certain point, c’est-à-dire en étant porté et limité. C’est la construction du narcissisme primaire.

115En effet, les sensations éprouvées ont pu délimiter son corps et acheminer des affects autres que la violence et permettre de parler de celle-ci en termes de confusion puis de conflit, l’élaborant progressivement.

QUEL CORPS POUR LA RELAXATION ?

116À partir d’une image suggérée, un espace de régression s’est ouvert pour Marco, espace de transformation comme dans le rêve; il s’en est emparé et a commencé un travail d’intériorisation qu’il signifiait ensuite de façon active en dessinant et en m’informant des problèmes confusionnant qui émaillaient sa construction psychique.

117Il est tout à fait remarquable que cet enfant ait interprété ma proposition de cette façon, pour reconstituer ses expériences primaires en s’appuyant sur l’expérience du plaisir pour pouvoir enfin accéder à la représentation masquée par les affects de violence et la recouvrant.

118Le praticable de la relaxation par l’induction verbale ou le toucher engendre un état particulier de régression. Elle favorise l’ancrage corporel à partir duquel un être humain va pouvoir parler, prétendre à son désir, le dégager de ses impasses historiques.

119La sensation participe de cette reconnaissance du corps propre et engage une métaphorisation de celui-ci par le langage qui va permettre de lier, délier, relier affect et représentation et relancer la signifiance dans la relation transférentielle.

120Le “trop de corps de Marco” traversé par ses impulsions dévastatrices indiquait la désappropriation de lui-même et la confiscation de son désir.

121Nous pourrions dire que le corps émerge dans la relaxation comme lieu d’inscription des signifiants fondamentaux de notre histoire, un corps aimé, blessé, marqué par les différentes expériences de la vie dans la relation à l’Autre.

122Sous des livres de chair se cache notre histoire, nos expériences infantiles investies de plaisir et de déplaisir. C’est cette histoire et ses avatars que nous essayons de réinterroger grâce à la relaxation.

123Le corps auquel nous avons affaire dans la relaxation est un corps sollicité dans ses éprouvés bien réels qui chemine vers la métaphore. La sensation ne peut prendre sens que dans la relation transférentielle instituée. Grâce à la sensorialité proposée qui n’est pas le « tout pulsionnel », le corps devient le lieu de réminiscence qui entraîne une reviviscence de l’affect. Celui-ci peut alors se lier aux représentations abolies ou disparues qui resurgissent ou/et favoriser la création de nouvelles représentations, relançant ainsi la signifiance et le processus thérapeutique.

124A. Green (2002) évoque l’affect magnifiquement en parlant de « chair du signifiant et signifiant de la chair ». Il rappelle son rapport ambigu à la représentation :

125

« L’affect apparaît comme tenant lieu de représentation. Le procès de la concaténation est une mise en chaîne d’investissements où l’affect possède une structure ambiguë. En tant qu’il apparaît comme élément du discours, il se soumet à cette chaîne, s’inclut en se rattachant aux autres éléments du discours. Mais en tant qu’il rompt avec les représentations, il est cet élément du discours qui refuse de se laisser lier par la représentation et “monte” à sa place. »

126Nous pensons à Marco où l’affect en effet tenait en quelque sorte lieu de représentation et où ma proposition, surprenante, a déverrouillé cet embargo.

127Green poursuit :

128

« L’affect est identifié alors à l’investissement torrentiel qui rompt les digues du refoulement, submerge les capacités de liaison et de maîtrise du Moi. Il devient une passion sourde et aveugle, ruineuse pour l’organisation psychique… L’affect est pris entre sa mise en chaîne dans le discours et la rupture de la chaîne, qui redonne au ça sa puissance originelle. »

129Marco nous enseigne que pour lui et d’autres enfants présentant des troubles précoces, l’accès à la symbolisation, passe par l’expérience du plaisir, de la détente, un réinvestissement libidinal du corps dans un cadre contenant ainsi que le propose la relaxation psychanalytique.

130Pour reprendre les éléments de discussion évoqués au début de l’exposé sur la sensation directe et subjective à la fois, sur son aspect de construction, nous pouvons voir à la lumière de ce qui s’est passé pour Marco que les trois dimensions (sensation, affect, représentation) sont intimement liées et ont pu reprendre une organisation fluide dans le transfert et grâce à la richesse du cadre proposé.

131La notion de plaisir a pu mobiliser des représentations de plaisir déjà là et, par le biais des sensations de plaisir, les lier à des affects, les élaborant ainsi, les faisant advenir et prendre place dans la construction psychique.

132Cette articulation à la fois subtile et incontournable entre sensation, affect et représentation, nous la trouvons en effet à l’œuvre dans la relaxation psychanalytique conçue comme un lieu transitionnel, lieu potentiel pour écrire et réécrire son histoire.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • FREUD S., 1915, Métapsychologie, Folio essais.
  • FREUD S., 1923, Essais de psychanalyse, Editions Payot et Rivages.
  • GREEN A., 2002, La pensée clinique. Paris, O. Jacob.
  • LACAN J., 1962, Leçon du 14 novembre.
  • SAPIR M., 1996, Traces corporelles et relaxation, Champ psychosomatique 5, pp. 20-21.

Mots-clés éditeurs : Sensation, Narcissisme primaire, Symbolisation, Affect, Régression, Lieu potentiel, Relaxation psychanalytique, Pulsions, Représentation

Mise en ligne 01/08/2008

https://doi.org/10.3917/cpsy.041.0081

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